Titre VII

Hors-série - octobre 2020

Avec l'introduction de la QPC, le Conseil constitutionnel acquiert le statut de juridiction

L'entrée en vigueur de la réforme constitutionnelle du 23 juillet 2018 instaurant la Question prioritaire de constitutionnalité (QPC) a profondément bouleversé le rôle et la place du Conseil constitutionnel au sein des institutions et l'a fait entrer dans l'ordre juridictionnel national et européen.

Sans perdre le statut de « Sages » qui leur a été attribué dès l'origine, les membres du Conseil y ont ajouté celui de juge constitutionnel. Les portes de la rue de Montpensier se sont ouvertes aux justiciables et à leurs représentants, avocats ou groupes d'intérêt, permettant ainsi à chaque citoyen de revendiquer l'application des droits fondamentaux. Pourtant, la très grande majorité de nos concitoyens ignore encore l'existence de la QPC et ses effets. Un récent sondage initié par le Conseil constitutionnel met en évidence que « 71 % des personnes interrogées n'en n'ont jamais entendu parler ».

Ce constat est d'autant plus regrettable que depuis le 1er mars 2010, le Conseil constitutionnel a rendu 830 décisions QPC dépassant le nombre de celles rendues en 60 ans par la voie du contrôle direct des lois avant leur promulgation. Il a ainsi largement contribué à l'émergence d'un droit constitutionnel vivant qui se nourrit des jurisprudences nationales et européennes.

Aussi, l'anniversaire des dix ans de la QPC doit être l'occasion, non seulement de dresser un bilan d'étape de cette jeune institution et de conduire une réflexion sur les moyens d'en améliorer le fonctionnement et l'efficience, mais aussi d'engager une action d'ouverture à destination d'un public plus large.

Pour ce faire, le Conseil a suscité 16 travaux de recherches menés par des équipes pluridisciplinaires qui portent notamment sur les aspects sociologiques de la QPC. Leurs conclusions ont été largement débattues lors d'un séminaire réunissant membres du Conseil et universitaires. Par ailleurs, une émission sera prochainement l'occasion de diffuser ces éléments de réflexion et de dialoguer avec le grand public. L'ensemble de ces travaux et des premières réunions organisées avec la Cour de cassation et le Conseil d'État permettront à court et moyen terme des avancées significatives sans qu'il soit nécessaire d'envisager, dès à présent, des réformes législatives ou constitutionnelles.

Statistiquement les domaines majoritairement représentés en QPC sont ceux touchant au droit fiscal et à la matière pénale. Mais à y regarder de plus près, les jurisprudences les plus emblématiques du Conseil portent sur des questions de société beaucoup plus variées telles que le droit de l'expression et de la communication, la liberté de la presse, l'encadrement des sites Internet, la diffusion des Fake News, le droit à l'éducation, l'utilisation des algorithmes par l'administration, le droit de la santé et de la protection sociale, la liberté d'entreprendre et le droit de la concurrence, le droit des étrangers, des mineurs et des personnes vulnérables ou encore le droit de l'environnement.

Par ailleurs, si le droit constitutionnel trouve sa source dans les jurisprudences du Conseil, il se nourrit également des décisions des juges du fond et du filtre. Pourtant, il n'existe aucune base de données les concernant. La mise en œuvre de l'open data des décisions de justice devrait permettre de pallier cette lacune à la condition qu'un focus particulier soit consacré aux QPC et qu'un observatoire national ou un comité de suivi soit mis en place pour leur examen. Une telle base de données permettrait, en outre, de faciliter la formation des magistrats et des avocats qui fait cruellement défaut et de limiter les divergences d'appréciation sur le « caractère sérieux » des QPC.  

Force est également de constater qu'après un afflux de QPC déposées devant les juridictions du fond, on assiste depuis deux ans à une légère diminution du nombre des saisines de notre Conseil. Ce mouvement s'explique en partie par « la purge » de nombreuses dispositions législatives intervenues depuis dix ans et la plus grande application avec laquelle le législateur examine la constitutionnalité des textes qui lui sont soumis. On ne peut que se féliciter des effets positifs ainsi induits par la QPC.

Selon plusieurs études, cette inflexion des saisines s'expliquerait également par le fait que certains justiciables se détourneraient de la procédure de QPC au profit du contrôle de conventionalité devant les juridictions européennes en particulier la CEDH. Ce choix serait notamment guidé par le fait que le Conseil constitutionnel ne tranche pas le fond du litige et prend insuffisamment en compte la situation individuelle du requérant. On peut cependant faire observer que les délais de jugement au fond sont peu impactés par les procédures de QPC dans la mesure où elles donnent lieu à une décision du Conseil dans le délai maximal de trois mois. Par ailleurs, si compte tenu de l'effet erga omnes de ses décisions, le Conseil est tenu de statuer in abstracto, il n'en demeure pas moins que les éléments de contexte fournissent une illustration précieuse pour la réflexion de ses membres sur les effets de la disposition contestée. Une meilleure connaissance des mécanismes de la QPC par les justiciables permettrait sans doute de lever les réticences ainsi exprimées par certains.

Pour autant, demeure la question essentielle de l'effet utile des décisions du Conseil constitutionnel. Pour des motifs tenant aux conséquences manifestement excessives des décisions de censure, un tiers d'entre elles ne profitent pas au justiciable à l'origine de la QPC. Outre la question d'une motivation enrichie sur ce point, les membres du Conseil doivent poursuivre leur réflexion et explorer les possibilités de rendre les décisions de censure plus fréquemment applicables au cas d'espèce qui leur est soumis.

Plusieurs études mettent par ailleurs en évidence la nécessité d'intensifier les efforts entrepris pour judiciariser la procédure de QPC. Même si les délais de procédure devant le Conseil constitutionnel sont contraints, le respect du caractère contradictoire de la procédure, en particulier sur la recevabilité des interventions et les effets d'une éventuelle décision de censure méritent d'être renforcé. De nombreux universitaires ont également souligné la nécessité de développer une motivation enrichie des décisions du Conseil qui permettrait tout à la fois de répondre de manière plus exhaustive aux griefs soulevés par les parties et de les rendre plus intelligibles pour les justiciables.

La démarche inédite entreprise par le Conseil constitutionnel de soumettre ses modes de traitement des QPC aux chercheurs engage ses membres à poursuivre les évolutions entreprises sans que, comme aimait à le souligner le regretté Michel Charasse, ne « nous effleure la tentation du Gouvernement des juges ». Le Conseil constitutionnel n'est ni une Cour suprême chargée de trancher les litiges, ni un Parlement chargé de faire la loi. Il contribue à la création d'un droit vivant qui préserve les valeurs essentielles de nos démocraties européennes en assurant une protection efficace des droits fondamentaux reconnus par la Constitution à nos concitoyens.

Citer cet article

Dominique LOTTIN . « Avec l'introduction de la QPC, le Conseil constitutionnel acquiert le statut de juridiction », Titre VII [en ligne], Hors-série, QPC 2020 : les dix ans de la question citoyenne, octobre 2020. URL complète : https://www.conseil-constitutionnel.fr/publications/titre-vii/avec-l-introduction-de-la-qpc-le-conseil-constitutionnel-acquiert-le-statut-de-juridiction