Décision n° 89-268 DC du 29 décembre 1989 - Saisine par 60 sénateurs
SAISINE SENATEURS Les sénateurs soussignés à Monsieur le président et Messieurs les membres du Conseil constitutionnel
Conformément au deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution, nous avons l'honneur de déférer au Conseil constitutionnel la loi de finances pour 1990, et notamment ses articles 16, 47, 50, 102, 104 et 108. Nous attirons également l'attention du conseil sur l'absence de conformité à la Constitution de la procédure suivie pour parvenir à l'adoption de ce texte.
I : Procédure d'adoption de la loi de finances et article d'équilibre
La loi de finances pour 1990 n'a pas été, dans certains de ses articles, adoptée selon une procédure conforme à la Constitution.
Ainsi, en est-il de la procédure suivie pour la suppression de l'article 33 ter du projet de loi de finances pour 1990, introduit par l'Assemblée nationale en première lecture, adopté conforme par le Sénat également en première lecture et supprimé par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture au nom d'une prétendue « coordination » avec un article 34 quinquies (art 52 du texte définitif) introduit par elle en première lecture dans le projet de loi de finances rectificative pour 1989.
A : Rappel de la procédure suivie
L'article additionnel 33 ter a été inséré dans le projet de loi de finances pour 1990 en première lecture à l'Assemblée nationale, le 20 octobre 1989 sur amendement du Gouvernement.
Cet article proposait une majoration de la taxe sur les véhicules des sociétés (art 1010 du code général des impôts) destinée à financer un certain nombre d'ajustements de crédits en seconde partie du projet de loi.
L'article 34 (art 50 du texte définitif) du projet de loi (article d'équilibre) tirait les conséquences de ce vote en majorant de 100 millions de francs les ressources nettes du budget général et la ligne 0044 de l'état A annexé à cet article (taxe sur les véhicules de tourisme des sociétés).
Le 24 novembre 1989, le Sénat adoptait en première lecture l'article 33 ter sans modification.
Par lettre du 11 décembre 1989, M le Premier ministre faisait connaître à M le président du Sénat et M le président de l'Assemblée nationale que, conformément à l'article 45, alinéa 2, de la Constitution, il avait décidé de provoquer la réunion d'une commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de finances pour 1990.
Le 12 décembre 1989, la commission mixte paritaire constatait qu'aucun texte ne pouvait recueillir l'agrément de la majorité de ses membres et ne pouvait donc être proposé aux deux assemblées.
Le 14 décembre 1989, l'Assemblée nationale était saisie à nouveau du projet de loi de finances pour 1990, en nouvelle lecture.
Le Gouvernement décidait, à l'issue de la discussion générale, de demander la réserve du vote de l'ensemble des articles et amendements de l'article 2 jusqu'à l'article 34 et état A ainsi que la réserve de la discussion d'un certain nombre d'articles (Journal officiel, Débats, Assemblée nationale, 2e séance, du 14 décembre 1989, page 6563), parmi lesquels l'article 33 ter pourtant adopté conforme par le Sénat.
Puis le ministre d'Etat, ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports, chargé de l'intérim de M le Premier ministre, engageait la responsabilité du Gouvernement, conformément au troisième alinéa de l'article 49 de la Constitution, sur l'adoption en nouvelle lecture d'une liste d'articles, le cas échéant assortis d'amendements, parmi lesquels l'article 33 ter assorti d'un amendement de suppression n° 75 présenté par M Alain Richard, rapporteur général, au nom de la commission des finances.
En l'absence de tout débat en séance publique, il convient de se reporter, d'une part, au rapport de la commission des finances de l'Assemblée nationale (rapport n° 1098, première session ordinaire de 1989-1990) annexé à la séance du 13 décembre 1989 et, d'autre part, à l'exposé écrit sommaire de l'amendement n° 75 au projet de loi de finances pour 1990 daté du 13 décembre 1989.
Le premier indique :
« L'article 1010 du code général des impôts fixe le tarif de la taxe spécifique sur les véhicules des sociétés. Dans le texte considéré comme adopté par l'Assemblée nationale, le tarif a été porté, par le présent article, de 4 800 F à 5 000 F pour les véhicules de plus de 7 chevaux, de 10 500 F à 11 200 F pour les autres véhicules.
» Le Sénat a adopté conforme cet article.
« Or entre temps, dans le texte relatif à la loi de finances rectificative pour 1989, considéré comme adopté par l'Assemblée nationale, ce tarif de la taxe a été porté respectivement à 5 700 F et 12 500 F suite à un amendement du Gouvernement (art 34 quinquies nouveau).
» En conséquence, il est nécessaire de supprimer le présent article 33 ter bien qu'il ait été adopté conforme par le Sénat. "
Le second précise :
« Amendement de coordination avec l'article 34 quinquies (nouveau) du projet de loi de finances rectificative pour 1989 considéré comme adopté par l'Assemblée nationale en première lecture, et qui majore davantage que le présent article 33 ter la taxe sur les véhicules des sociétés et ce à compter du 1er octobre 1989. Cette suppression est donc formelle et n'a pas d'incidence sur les recettes de l'exercice 1990. »
De fait, l'article 34 (article d'équilibre) (art 50 du texte définitif) modifié par l'amendement n° 206 du Gouvernement, loin de diminuer les ressources nettes de l'Etat pour 1990 de 100 millions de francs au titre de la taxe sur les véhicules de tourisme des sociétés (ligne 0044 de l'état A annexé à cet article) pour tirer les conséquences de la suppression de l'article 33 ter, les majore au contraire de 245 millions de francs pour tenir compte de l'adoption de l'article 34 quinquies (art 52 du texte définitif) du projet de loi de finances rectificative pour 1989.
En effet, comme l'indique tant le rapport de la commission des finances de l'Assemblée nationale que l'exposé des motifs de l'amendement de suppression n° 75, l'Assemblée nationale avait entre temps abordé l'examen du projet de loi de finances rectificative pour 1989.
Au cours de la discussion de ce projet de loi en première lecture, le 4 décembre 1989, l'Assemblée nationale était saisie d'un amendement n° 65 du Gouvernement tendant à majorer, à compter de la période d'imposition s'ouvrant le 1er octobre 1989, les tarifs de la taxe sur les véhicules des sociétés prévus à l'article 1010 du code général des impôts afin, selon les propos du ministre délégué « de dégager des recettes supplémentaires permettant d'abonder pour 1990 les crédits destinés à financer les mesures récemment décidées en faveur des agents relevant des ministères de l'intérieur et des finances » (Journal officiel, Débats, Assemblée nationale, 3e séance, du 4 décembre 1989, p 5955).
Le 6 décembre 1989, le Premier ministre engageait la responsabilité du Gouvernement pour l'adoption en première lecture d'un certain nombre d'articles précédemment réservés dont l'amendement n° 65 portant article additionnel après l'article 34 (devenu l'article 34 quinquies) ainsi que sur l'ensemble du projet de loi.
On observera en outre que le Gouvernement a considéré que l'insertion de l'article 34 quinquies (art 52 du texte définitif) dans le projet de loi de finances rectificative n'avait aucun effet sur les ressources de l'Etat en 1989 comme en témoigne la non-modification de l'article 3 (article d'équilibre) dudit projet de loi.
B : La procédure suivie n'est pas conforme à la Constitution
En résumé, l'article 33 ter du projet de loi de finances adopté conforme par le Sénat le 24 novembre 1989 a été supprimé par l'Assemblée nationale le 15 décembre 1989 pour des motifs dits de « coordination » avec le vote par la même assemblée : et elle seule - le 6 décembre 1989 d'un amendement au projet de loi de finances rectificative qui ne sera examiné par le Sénat que le 18 décembre 1989.
Cette procédure qui consiste à supprimer un article de projet de loi qui n'est plus en discussion est contraire à l'article 45 de la Constitution selon lequel « tout projet ou proposition de loi est examiné successivement dans les deux assemblées du Parlement en vue de l'adoption d'un texte identique ».
Il résulte en effet, de l'esprit comme de la lettre de l'article 45, qu'au cours de la « navette » parlementaire, la discussion des articles est limitée à ceux pour lesquels les deux assemblées du Parlement n'ont pu parvenir à un texte identique.
Telle est, d'ailleurs, l'interprétation qu'en donnent les règlements tant de l'Assemblée nationale que du Sénat, dont la conformité à la Constitution a été prononcée par le Conseil constitutionnel en application de l'article 61, premier alinéa, de la Constitution.
L'article 108 du règlement de l'Assemblée nationale dispose en effet :
1. Au cours des deuxièmes lectures et des lectures ultérieures par l'Assemblée nationale des projets et des propositions de loi, la discussion a lieu conformément au chapitre IV du présent titre, sous les réserves suivantes.
2. La discussion des articles est limitée à ceux pour lesquels les deux assemblées du Parlement n'ont pu parvenir à un texte identique.
3. En conséquence, les articles votés par l'une et l'autre assemblée dans un texte identique ne peuvent faire l'objet d'amendements qui remettraient en cause, soit directement, soit par des additions incompatibles, les dispositions adoptées.
4. Il ne peut être fait exception aux règles ci-dessus édictées qu'en vue d'assurer la coordination des dispositions adoptées ou de procéder à une rectification matérielle.
Les alinéas 10 et suivants de l'article 42 du règlement du Sénat traduisent cette inspiration commune :
10. A partir de la deuxième lecture au Sénat des projets et propositions de loi, la discussion des articles et des crédits budgétaires est limitée à ceux pour lesquels les deux chambres du Parlement n'ont pas encore adopté un texte ou un montant identique.
11. En conséquence, il ne sera reçu, au cours de la deuxième lecture ou des lectures ultérieures, aucun amendement ou article additionnel qui remettrait en cause, soit directement, soit par des additions qui seraient incompatibles, des articles ou des crédits budgétaires votés par l'une ou l'autre assemblée dans un texte ou avec un montant identique.
11 bis. Il peut être fait exception aux règles édictées aux alinéas 10 et 11 pour assurer la coordination des dispositions adoptées ou procéder à une rectification matérielle.
Le texte même de l'article 45, deuxième alinéa, qui prévoit « lorsque, par suite d'un désaccord entre les deux assemblées, un projet ou une proposition de loi n'a pas pu être adopté après deux lectures par chaque assemblée ou, si le Gouvernement a déclaré l'urgence, après une seule lecture par chacune d'elles », la faculté pour le Premier ministre de provoquer la réunion d'une commission mixte paritaire « chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion » indique clairement, a contrario, que les dispositions adoptées en termes identiques par les deux assemblées cessent d'être en discussion.
L'exception à la règle que constitue l'alinéa 4 de l'article 108 du règlement de l'Assemblée nationale et l'alinéa 11 bis de l'article 42 du règlement du Sénat ne saurait être utilement invoquée dès lors que la prétendue « coordination » s'effectue entre des articles relevant de projets de loi distincts à des stades différents de la navette parlementaire.
Par ailleurs, le Conseil constitutionnel, dans sa décision n° 86-221 DC du 29 décembre 1986 sur la loi de finances pour 1987, a admis que des amendements portant articles additionnels déposés par le Gouvernement au texte élaboré par une commission mixte paritaire pouvaient « même avoir pour effet d'affecter des dispositions qui ont déjà été votées dans les mêmes termes par les deux assemblées » tout en précisant « que toutefois, les adjonctions ou modifications ainsi apportées au texte en cours de discussion ne sauraient, sans méconnaître les articles 39, alinéa 1, et 44, alinéa 1, de la Constitution, ni être sans lien avec ce dernier, ni dépasser, par leur objet et leur portée, les limites inhérentes à l'exercice du droit d'amendement ».
Le Conseil constitutionnel a considéré en l'espèce que les dispositions introduites n'étaient pas sans lien avec le texte en discussion, que, tant par leur objet qui était « étroitement spécifié » que par leur « portée restreinte », elles n'avaient pas dépassé les limites inhérentes à l'exercice du droit d'amendement.
Il convient d'observer que le Gouvernement a utilisé, en nouvelle lecture à l'Assemblée nationale, cette possibilité ouverte par la Haute Juridiction dans le cadre pourtant restrictif d'une lecture de conclusions de commission mixte paritaire : il a ainsi introduit un article 58 sexies 1 nouveau (art 83 du texte définitif) précisant la date d'entrée en vigueur des dispositions de l'article 58 sexies (art 82 du texte définitif) voté conforme par le Sénat en première lecture, se refusant donc à modifier l'article 58 sexies (art 82 du texte définitif) lui-même précisément parce que cet article avait été adopté conforme par le Sénat.
Il n'a pas davantage prétendu modifier l'article 33 ter pour tenir compte de la nécessité de financer les « mesures récemment décidées en faveur des agents relevant des ministères de l'intérieur et des finances ».
Mais il a choisi, le 4 décembre 1989, de déposer un amendement dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances rectificative pour 1989, laissant à la commission des finances de l'Assemblée nationale le soin, au nom d'une prétendue « coordination », de déposer un amendement de suppression de l'article 33 ter du projet de loi de finances pour 1990 en nouvelle lecture.
Il apparaît ainsi nettement que la procédure suivie a eu pour but de contourner l'impossibilité de modifier l'article 33 ter et il serait dès lors pour le moins paradoxal de considérer que l'impossibilité de modifier cet article puisse être résolue par sa suppression pure et simple.
En outre, une telle suppression ne saurait s'inscrire dans le droit d'amendement reconnu par la haute juridiction dans sa décision précitée du 29 décembre 1986 car elle ne peut être considérée, par son objet même, comme ayant « une portée restreinte ».
Enfin, s'il était reconnu la possibilité de modifier implicitement ou explicitement, par un projet de loi nouveau, les dispositions d'un autre projet de loi déjà en cours d'examen successif par les deux assemblées, l'esprit même de l'article 45 de la Constitution serait violé.
S'agissant des lois de finances, cette procédure serait de surcroît directement contraire à l'article 47 de la Constitution et à l'article 39 de l'ordonnance n° 59-2 du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances, notamment son alinéa 5, qui dispose que « le projet de loi de finances est ensuite examiné selon la procédure d'urgence dans les conditions prévues à l'article 45 de la Constitution ».
En l'espèce, faire prévaloir les dispositions de l'article 34 quinquies (art 52 du texte définitif) introduit par l'Assemblée nationale en première lecture le 4 décembre 1989 dans le projet de loi de finances rectificative pour 1989 sur celles de l'article 33 ter inséré dans le projet de loi de finances pour 1990 et voté conforme par le Sénat le 24 novembre 1989, revient à réouvrir un délai d'examen et une possibilité d'amendements qui constituent en fait autant de lectures supplémentaires du projet de loi de finances pour 1990, alors même que tant la Constitution que l'ordonnance organique ont institué des règles déterminant avec précision les modalités de la discussion des projets de lois de finances.
C : Conséquences sur l'article d'équilibre
Enfin, la procédure adoptée comporte une imperfection dirimante en tant qu'elle conduit à l'adoption d'un texte non conforme aux dispositions des articles 1er et 31 de l'ordonnace organique précitée relative aux lois de finances.
L'article 1er de l'ordonnance dispose en effet dans son premier alinéa : « les lois de finances déterminent la nature, le montant et l'affectation des ressources et des charges de l'Etat, compte tenu d'un équilibre économique et financier qu'elles définissent. »
L'article 31 précise que le projet de loi de finances de l'année, dans sa première partie, « autorise la perception des ressources publiques et comporte les voies et moyens qui assurent l'équilibre financier ; évalue le montant des ressources d'emprunts et de trésorerie ; autorise la perception des impôts affectés aux collectivités et aux établissements publics ; fixe les plafonds des grandes catégories de dépenses et arrête les données générales de l'équilibre financier ».
En effet, l'article 34 (article d'équilibre) (art 50 du texte définitif) du projet de loi de finances pour 1990 tel qu'il a été considéré comme adopté par l'Assemblée nationale tant en nouvelle lecture qu'en dernière lecture, comportait l'inscription de recettes qui ne résultaient aucunement de la première partie du projet de loi de finances, ni au titre des impôts existants dont la perception est autorisée par son article 1er, ni au titre des mesures fiscales nouvelles proposées par ses autres articles.
Tel est notamment le cas de la recette de 345 millions de francs inscrite au titre de la majoration de la taxe sur les véhicules de sociétés résultant de l'article 34 quinquies (art 52 du texte définitif) du projet de loi de finances rectificative pour 1989.
Tel est également le cas d'une recette de 250 millions de francs résultant à la fois des articles 34 ter (art 50 du texte définitif) (majoration du droit de timbre sur les cartes d'entrée dans les casinos) et 34 quater (art 51 du texte définitif) (majoration du droit de timbre de dimension) du même projet de loi.
Tel est encore le cas de l'inscription d'une ressource de 1 milliard de francs en faveur des comptes d'affectation spéciale découlant de l'article 28 (art 40 du texte définitif) du même projet de loi de finances rectificative créant une taxe annuelle sur les locaux à usage de bureau dans la région d'Ile-de-France.
On observera que l'ensemble de ces dispositions inscrites dans le projet de loi de finances rectificative pour 1989 n'entraîne aucune recette supplémentaire pour cet exercice et n'ont de conséquences financières que sur la loi de finances de l'année.
Il en résulte que le texte définitif de la loi de finances pour 1990 tel qu'il a été considéré comme adopté par l'Assemblée nationale en dernière lecture le 20 décembre 1989 et tel qu'il est déféré à la haute juridiction, ne répond pas aux exigences de l'article 1er de l'ordonnance organique en tant notamment que ce texte ne saurait être considéré comme ayant déterminé la nature des ressources prises en compte dans l'équilibre économique et financier qu'il définit.
En outre, la procédure adoptée a pour conséquence de priver le Conseil constitutionnel, dans le cadre du présent recours, de la possibilité d'examiner la conformité à la Constitution des dispositions dont les conséquences financières sont néanmoins prises en compte dans l'équilibre de la loi de finances pour 1990.
Une telle procédure, à ce seul titre, serait condamnable.
A contrario, dans l'hypothèse où les personnes visées au deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution estimaient devoir déférer au Conseil constitutionnel la loi de finances rectificative pour 1989 et où la haute juridiction dans sa sagesse déclarait non conforme à la Constitution certains des articles de cette loi dont les conséquences financières ont été prises en compte dans la loi de finances pour 1990 ; et si par ailleurs lesdites personnes s'étaient abstenues de déférer à la haute juridiction la loi de finances pour 1990, il en résulterait une confusion juridique et institutionnelle extrême qui condamne une nouvelle fois la procédure suivie, et justifie si besoin en était le présent recours.
Les sénateurs soussignés considèrent donc que la procédure suivie pour la suppression de l'article 33 ter du projet de loi de finances pour 1990 n'est pas conforme aux dispositions des articles 45 et 47 de la Constitution et 39 de l'ordonnance n° 59-2 du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances et que l'article 50 de ladite loi n'est pas conforme à l'article 1er de l'ordonnance précitée.
Ils considèrent que la non-conformité de la procédure suivie pour la suppression de l'article 33 ter doit entraîner de fait la non-conformité de l'ensemble de la loi de finances pour 1990 ; ils estiment qu'il en est de même de la non-conformité de l'article 50 de ladite loi en tant que cet article évalue les recettes, fixe les plafonds des charges, arrête ainsi les données générales de l'équilibre économique et financier de la loi de finances dont il ne saurait, à l'évidence, être dissocié.
II. : Article 16
Cet article tend à supprimer, à compter du 1er janvier 1989, l'exonération d'impôt sur le revenu des primes de remboursement distribuées ou réparties par les organismes de placement collectif en valeurs mobilières, dès lors que ces primes représentent plus de 10 p 100 des répartitions ou distributions effectuées par l'OPCVM.
La mesure instituée est extrêmement sévère, puisqu'elle modifie a posteriori des conditions fiscales qui ont été déterminantes pour la réalisation d'opérations légales.
Elle n'est pas conforme à deux principes de valeur constitutionnelle :
1. Parce qu'elle constitue une sanction, du fait de sa sévérité vis-à-vis de contribuables ayant pu bénéficier de mesures légales, et par définition non avertis de la modification du régime fiscal de ces opérations. Cette modification a posteriori remet en question l'intérêt même de ces opérations, pour des contribuables auxquels les établissements financiers ont simplement proposé un contrat avantageux. Or, cette sanction est rétroactive, puisqu'elle prend effet au 1er janvier 1989, et dès lors n'est pas conforme au principe constitutionnel de non-rétroactivité des sanctions (v décision du Conseil constitutionnel du 30 décembre 1982 n° 82-155).
2. Parce que sa sévérité est excessive eu égard à l'intérêt général poursuivi.
S'il s'agit d'une mesure de rationalisation fiscale, il est exagéré de lui faire prendre effet au 1er janvier 1989 : aussi bien, cette mesure aurait pu intervenir le 1er janvier 1990, l'exonération étant une mesure très ancienne. Dès lors, on peut considérer que le législateur a commis une erreur manifeste d'appréciation en prévoyant cette rétroactivité. Si d'autres objectifs que la simple rationalisation fiscale sont poursuivis, il s'agit bien d'une mesure de sanction. (Sa rétroactivité, comme on l'a vu, la rend dès lors non conforme à la Constitution).
Pour ces raisons, il y a donc lieu de déclarer non conforme à la Constitution l'article 16 de la loi de finances pour 1990.
III. : Article 47, paragraphe VIII
L'article 47 de la loi de finances instaure de nouvelles modalités de calcul de la dotation globale de fonctionnement. La plupart des dispositions de cet article sont donc susceptibles de figurer dans une loi de finances, au regard de l'article 1er de l'ordonnance du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances.
Les dispositions du paragraphe VIII de l'article 47, toutefois, semblent totalement étrangères au domaine imparti aux lois de finances par l'article 1er de l'ordonnance du 2 janvier 1959.
Le paragraphe VIII a, en effet, trait aux modalités de répartition de la dotation globale de fonctionnement et non à la fixation de son montant.
A : Rappel du contenu du paragraphe VIII de l'article 47.
L'article 47 de la loi de finances prévoit l'indexation du montant de la dotation globale de fonctionnement sur le taux prévisionnel de hausse des prix pour l'exercice 1990 et sur un indice « composite », associant taux de croissance en volume et taux de hausse des prix pour les exercices ultérieurs.
Cet article prévoit également une régularisation du montant de la dotation figurant dans la loi de finances initiale, lorsque l'indice prévisionnel sur lequel est fondé ce montant se révèle d'une valeur inférieure à l'indice constaté à l'issue de l'exercice.
L'objet du paragraphe VIII est de définir les modalités de répartition de cette régularisation entre les différentes communes.
Il dispose en outre qu'un acompte de 4 p 100 sera notifié au début de 1990, en anticipation de la régularisation de la dotation globale de fonctionnement de l'exercice 1989, normalement notifiée en juillet. Il fixe, enfin, les modalités de répartition de cet acompte.
B : Le paragraphe VIII de l'article 47 a un contenu étranger à celui imparti aux lois de finances.
Le paragraphe VIII de l'article 47 a un objet étranger au domaine des lois de finances, tel qu'il est défini par l'article 1er de l'ordonnance du 2 janvier 1959.
Tendant à prévoir les modalités de répartition d'une dotation allouée aux collectivités locales et constitutive d'un prélèvement sur les recettes de l'Etat, il ne concerne en effet ni la détermination de la nature, du montant ou de l'affectation des ressources et des charges de l'Etat, ni l'information et le contrôle parlementaire sur la gestion des finances publiques, ni, enfin, la fixation de règles relatives aux impositions de toutes natures.
Le Conseil constitutionnel a d'ailleurs déjà statué en ce sens à propos d'une disposition similaire, également relative à la répartition de la dotation globale de fonctionnement, par une décision n° 82-155 DC du 30 décembre 1982 dont il convient de rappeler les termes :
« Considérant que les dispositions de l'article 23 ont pour objet de modifier les conditions de répartition entre les communes intéressées de la dotation supplémentaire instituée par l'article L 234-14 du code des communes ; que, comme le font valoir les auteurs de la saisine, elles ne modifient en rien le montant global de ladite dotation qui a le caractère d'un prélèvement et non d'une dépense de l'Etat ; que, par suite, l'article 23 est étranger à l'objet des lois de finances. »
Il convient, au surplus, d'observer que le fait que les deux premiers alinéas du paragraphe VIII aient trait à la notification par anticipation d'un acompte sur le montant total de la régularisation perçue en 1990 est sans influence sur le montant total de la dotation et n'a pas non plus d'incidence sur le montant des charges de trésorerie de l'Etat, dans la mesure où la notification par anticipation n'implique pas le paiement par anticipation.
Il y a donc lieu de déclarer non conforme à la Constitution le paragraphe VIII de l'article 47 de la loi de finances pour 1990.
IV. : Article 102
Introduit par amendement d'origine parlementaire en deuxième lecture à l'Assemblée nationale, après avoir été rejeté par sa commission des finances, l'article 102 de la loi de finances a pour objet de permettre à l'administration de corriger certaines erreurs de procédures fiscales qu'elle a commises lors des contrôles qu'elle a effectués et ce, nonobstant l'expiration éventuelle des délais de prescription.
Cette possibilité peut s'exercer dans les conditions suivantes :
La nature des erreurs pouvant être rectifiées :
: il doit s'agir d'erreurs non substantielles ;
: ces erreurs ne peuvent qu'avoir porté sur la mise en uvre des articles L 48, L 49, L 54 B, L 57, L 59, L 76, L 77, L 80 D et L 80 E du livre des procédures fiscales, ou sur l'avis de vérification mentionné à l'article L 47 ;
: ces erreurs ne doivent pas pouvoir être rectifiées spontanément par l'administration.
La procédure à suivre pour corriger ces erreurs :
: l'administration doit solliciter une autorisation auprès du juge, cette décision étant valable pendant un mois ;
: en cas de saisine d'un tribunal, l'autorisation ne peut être accordée après le jugement rendu en première instance ;
: lorsque la rectification concerne les dispositions de certains articles du livre des procédures fiscales (mention dans la notification d'une proposition de redressement de la faculté de se faire assister par un conseil et motivation de cette proposition, notification des bases ou éléments servant au calcul des impositions d'office, prise en compte des redressements sur l'assiette de l'impôt), le juge peut autoriser l'administration à engager une nouvelle procédure de redressement sans que puissent lui être opposés les délais relatifs à l'examen contradictoire de l'ensemble de la situation personnelle des personnes physiques et sans que puissent lui être opposées en matière d'impôt sur le revenu les dispositions qui interdisent de revenir sur une période vérifiée si le contribuable a fourni des renseignements complets et exacts lors de la vérification.
L'article 102 porte atteinte à deux principes de valeur constitutionnelle, la garantie des droits de la défense et l'égalité devant le juge.
A : La garantie des droits de la défense.
D'une part, l'article 102 prévoit que des erreurs non substantielles peuvent être commises dans la mise en uvre de procédures essentielles à la garantie des droits de la défense, ainsi :
: l'article L 54 B du livre des procédures fiscales, qui prévoit que la notification d'une proposition de redressement doit mentionner, sous peine de nullité, que le contribuable a la faculté de se faire assister d'un conseil de son choix pour discuter la proposition, ou pour y répondre ;
: l'article L 57, qui dispose que l'administration adresse au contribuable une notification de redressement qui doit être motivée de manière à lui permettre de formuler ses observations ou de faire connaître son acceptation ;
: l'article L 76, qui fixe les modalités de notification des bases ou éléments servant au calcul des impositions d'office.
Une erreur commise dans la mise en uvre de ces procédures, par définition, est substantielle, sauf à considérer qu'il ne s'agit pas de principes fondamentaux vis-à-vis desquels le moindre manquement constitue une violation des droits de la défense.
Dans le cas, également, des rectifications qui mettent en échec les dispositions des articles L 12 et L 50 fixant des délais protégeant les citoyens, les erreurs ne peuvent être que substantielles.
D'autre part, l'article 102 prévoit que l'autorisation de rectifier une erreur non substantielle pourra être délivrée par le juge sur demande de l'administration et devra porter ses effets dans un délai d'un mois. D'après la rédaction du texte, le contribuable concerné n'aura pas la possibilité de faire valoir son point de vue devant le juge quant au caractère substantiel, ou non, de l'erreur commise, alors que la décision prise par le juge pourra avoir des conséquences graves sur sa situation.
En cela également, l'article 102 porte atteinte au principe des droits de la défense.
B : L'égalité devant le juge.
En premier lieu, l'article 102 institue une inégalité injustifiée entre l'administration et le citoyen. Ce dernier ne pourra, au-delà du délai de prescription, invoquer une erreur de procédure non substantielle, alors que l'administration pourra le faire à son profit.
En deuxième lieu, l'article crée une inégalité non justifiée entre les contribuables vis-à-vis desquels l'administration aura commis une erreur de procédure et les autres. Alors que l'erreur commise est totalement indépendante de la volonté du contribuable, elle déterminera de façon décisive la possibilité de remettre en cause l'imposition le concernant. L'inégalité ainsi créée ne se justifie nullement par une différence objective de situations. Cette inégalité est particulièrement grave quand il s'agit des dispositions des articles L 12 et L 50 du livre des procédures fiscales. Les citoyens auxquels s'appliquerait une rectification leur retirant le bénéfice de ces deux articles se trouveraient gravement désavantagés.
Il y a donc lieu de déclarer non conforme à la Constitution l'article 102 de la loi de finances pour 1990.
V : Article 104
Egalement introduit par l'Assemblée nationale par un amendement parlementaire, après avoir été rejeté par sa commission des finances, l'article 104 de la loi de finances a pour objet de permettre à l'administration de corriger certaines erreurs d'imposition au-delà du délai normal de prescription, et ce dans les conditions suivantes :
: il doit s'agir d'omissions ou d'insuffisances d'imposition ;
: celles-ci doivent avoir été révélées par une instance devant un tribunal, quel qu'il soit : la possibilité n'existant actuellement que devant les tribunaux répressifs : ou par une réclamation contentieuse ;
: les omissions ou insuffisances peuvent être réparées par l'administration jusqu'à la fin de l'année suivant celle de la décision qui a clos l'instance ;
: enfin, cette réparation ne peut être effectuée, au plus tard, que jusqu'à la fin de la dixième année suivant celle au titre de laquelle l'imposition est due.
Cet article n'est pas conforme à deux principes de valeur constitutionnelle :
L'égalité des citoyens devant la loi.
En effet, selon que les contribuables seront concernés, ou pas, par une instance qui pourra être tout à fait indépendante de leur situation fiscale (litige de droit des personnes, de droit du travail, litige commercial), l'administration pourra exercer ou non son pouvoir de réparation des omissions ou insuffisances d'imposition. L'inégalité introduite n'a pas de rapport avec une quelconque différence de situations objectives.
L'égalité des citoyens devant le juge (et la liberté d'accès à la justice).
En effet, certains contribuables pourront être amenés à renoncer à une instance, de crainte que celle-ci ne révèle une omission fiscale à leur désavantage. Or, l'accès à la justice doit être libre de tout type de pression, et ce pour tous les citoyens.
Il y a donc lieu de déclarer l'article 104 non conforme à la Constitution.
VI. : Article 108
L'article 108, introduit par un amendement du Gouvernement, en nouvelle lecture à l'Assemblée nationale, modifie sensiblement les dispositions du livre des procédures fiscales (art L 16 B et L 38) et du code des douanes (art 64) relatives aux procédures de visite et de saisie, susceptibles d'être mises en uvre pour rechercher la preuve d'agissements frauduleux au regard de la législation fiscale ou douanière.
Les modifications ainsi apportées, qui ont pour objet de tenir en échec la jurisprudence de la Cour de cassation, intervenue en la matière, tendent principalement :
: à restreindre le contenu de la motivation des ordonnances judiciaires autorisant les visites ;
: à alléger la procédure d'autorisation de visite de coffres en cas de découverte de leur existence au cours d'une visite ;
: à autoriser, lors des opérations de perquisition, la participation et l'assistance d'agents habilités n'appartenant pas nécessairement à la catégorie A ;
: à valider les impositions fiscales ou douanières établies sur le fondement de pièces et documents saisis lors de visites intervenues avant le 31 décembre 1989, dans des conditions que la Cour de cassation ne pourrait manquer de considérer comme irrégulières.
D'une manière générale, il convient de souligner que le dispositif contesté concerne, dans une large mesure, l'article L 16 B du livre des procédures fiscales, issu de l'article 94 de la loi de finances pour 1985, qui a été élaboré à la lumière de la décision du Conseil constitutionnel en date du 29 décembre 1983 (n° 83-164 DC) et jugé comme ne méconnaissant « aucune des exigences constitutionnelles assurant la conciliation du principe de la liberté individuelle et des nécessités de la lutte contre la fraude fiscale » par la Haute Instance dans sa décision du 29 décembre 1984 (n° 84-184 DC). Les dispositions de l'article L 16 B, ainsi acceptées par le juge constitutionnel, ont ensuite été étendues, sous réserve de certaines adaptations, aux articles L 38 du livre des procédures fiscales et 64 du code des douanes, par l'article 80 de la loi de finances pour 1987 (n° 86-1137 du 30 décembre 1986).
A : S'agissant de la motivation des ordonnances autorisant les visites, les articles L 16 B (II, 2e alinéa) et L 38 (3e alinéa du 2) du livre des procédures fiscales ainsi que l'article 64 (3e alinéa du 2 a) du code des douanes précisent, conformément à l'exigence posée par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 29 décembre 1983 (n° 83-164 DC), que « le juge doit vérifier de manière concrète que la demande d'autorisation qui lui est soumise (par l'administration fiscale ou douanière) est bien fondée ». Par ailleurs, ces dispositions indiquent que la demande « doit comporter tous les éléments d'information en possession de l'administration de nature à justifier la visite ».
La Cour de cassation a fait une stricte application de ces dispositions qui s'inscrivent dans le droit fil de la décision du Conseil constitutionnel en date du 29 décembre 1983.
C'est ainsi que se prononçant, le 15 décembre 1988, sur des ordonnances dépourvues de motivation propre à l'espèce, la chambre mixte de la Cour de cassation a estimé qu'en se déterminant par de tels motifs, les magistrats ne l'avaient pas mise en mesure de contrôler si le bien-fondé de la demande avait été vérifié.
Appelée, le 21 mars 1989, à statuer sur des pourvois formés contre des ordonnances qui comportaient des mentions de présomptions d'infractions, la chambre commerciale a jugé qu'en se déterminant par de tels motifs, « sans se référer aux éléments d'information fournis par l'administration », le président du tribunal de grande instance n'avait pas permis à la Cour de cassation d'exercer son contrôle.
Enfin, dans un arrêt du 18 juillet 1989, la chambre commerciale de la Cour de cassation a considéré que l'énumération des présomptions retenues par le juge n'était pas suffisante dès lors que « sans se référer en les analysant, fût-ce succinctement, aux éléments d'information fournis par l'administration fiscale le président du tribunal de grande instance n'a pas mis la cour en mesure d'exercer son contrôle ».
En définitive, la jurisprudence de la Cour de cassation impose au juge de vérifier concrètement l'existence de présomptions suffisantes des agissements illégaux allégués par l'administration. Pour la Cour de cassation, l'ordonnance doit faire apparaître non seulement le bien-fondé de la demande de l'administration mais également la réalité et le sérieux du contrôle du juge. Cette jurisprudence exige, au-delà d'une motivation en droit et en fait de l'ordonnance, une analyse des pièces fournies par l'administration.
Selon le Gouvernement, cette exigence de la Cour de cassation risque de mettre en danger la confidentialité de certaines sources d'information de l'administration puisque l'ordonnance serait, aux termes de l'article 108 de la loi de finances pour 1990, « notifiée verbalement et sur place, au moment de la visite, à l'occupant des lieux ou à son représentant ».
En conséquence, le texte proposé par le Gouvernement, tout en laissant subsister, dans les trois articles modifiés, le principe selon lequel « le juge doit vérifier de manière concrète que la demande d'autorisation qui lui est soumise est bien fondée », en restreint singulièrement la portée par l'insertion d'une disposition complémentaire précisant que « le juge motive sa décision par l'indication des éléments de fait et de droit qu'il retient et qui laissent présumer, en l'espèce, l'existence des agissements frauduleux dont la preuve est recherchée ». En effet, cette « précision complémentaire » signifie que les ordonnances autorisant les visites, délivrées pour rechercher les preuves d'agissements frauduleux en matière d'impôts directs et de TVA (I, 1), de contributions indirectes (II, 3) et d'impositions douanières (III, 2) sont suffisamment motivées lorsqu'elles comportent les éléments de droit et de fait propres à l'espèce, tels qu'ils résultent des pièces présentées par l'administration, mais sans référence à ces pièces, ni même analyse de ces documents.
En définitive, l'article 108 opère une distinction entre, d'une part, l'information du juge chargé de délivrer l'ordonnance, qui demeurera complète et concrète si l'administration lui fournit toutes les pièces motivant sa demande et, d'autre part, la motivation de l'ordonnance autorisant la visite qui pourra ne comporter, outre l'indication de faits présumés et d'éléments de droit, qu'un simple visa des pièces.
Une telle limitation de la motivation des ordonnances autorisant les visites annihile la portée du contrôle effectué par la Cour de cassation qui ne pourra plus vérifier si le juge a rendu son ordonnance en toute connaissance de cause. Or, l'effectivité du contrôle du juge de cassation constitue la contrepartie indispensable au regard des libertés individuelles d'une procédure sui generis, dénuée des garanties qui entourent le prononcé des décisions judiciaires et notamment le caractère contradictoire et la publicité des débats, la collégialité.
Par ailleurs, l'article 66 de la Constitution confie à l'autorité judiciaire la sauvegarde de la liberté individuelle « sous tous ses aspects et notamment celui de l'inviolabilité du domicile » (décision du Conseil constitutionnel n° 83-164 DC du 29 décembre 1983). Or, cette mission s'exerce sous le contrôle de la cour suprême de l'ordre judiciaire : la Cour de cassation.
En conséquence, les dispositions de l'article 108 de la loi de finances relatives au contenu de la motivation des ordonnances autorisant les visites vont à l'encontre de l'article 66 de la Constitution et portent atteinte au principe constitutionnel des droits de la défense.
B : Concernant la visite des coffres dont l'existence apparaît au cours d'une perquisition, mais qui se trouvent en dehors des lieux visités, les juges, dans le silence des textes, ont souvent autorisé, par leurs ordonnances initiales, la visite de tout coffre ouvert dans un établissement bancaire situé dans leur ressort territorial ainsi que de tout véhicule stationné au lieu du domicile ou sur la voie publique.
De telles ordonnances ont été censurées par la Cour de cassation qui exige pour la visite de ces coffres la délivrance d'ordonnances spécifiques, dûment motivées.
En conséquence, le présent article permet aux agents habilités, lorsqu'ils découvrent l'existence d'un coffre dans un établissement de crédit dont la personne occupant les lieux visités est titulaire et où des pièces et documents se rapportant aux agissements présumés sont susceptibles de se trouver, de procéder immédiatement à la visite de ce coffre, sur autorisation délivrée par tout moyen par le juge qui a pris l'ordonnance, la mention de l'autorisation étant portée au procès-verbal.
En l'occurrence, l'autorisation complémentaire de visiter le coffre constituerait le prolongement de l'ordonnance initiale, l'argument invoqué étant que l'établissement bancaire n'est pas un domicile privé. Il n'en demeure pas moins qu'un établissement bancaire constitue un « lieu protégé » et qu'une simple autorisation de perquisition, délivrée par tout moyen, y compris par un appel téléphonique, contrevient au principe, posé par le Conseil constitutionnel, selon lequel le juge doit vérifier de manière concrète que la demande d'autorisation est bien fondée. On observera, par ailleurs, que ces dispositions pourraient constituer une incitation à la détention de coffres en dehors des établissements bancaires, par exemple au domicile de parents ou d'amis sûrs. En effet, dans ces cas, une ordonnance dûment motivée, et non plus une simple autorisation délivrée par tout moyen, serait nécessaire pour procéder à la visite du coffre.
Enfin, la faculté d'autoriser par tout moyen la visite d'un coffre situé dans un établissement bancaire ne permettra pas au juge de contrôler et de suivre effectivement le cours de la visite, comme le veut la jurisprudence du Conseil constitutionnel (décisions n° 83-164 DC du 29 décembre 1983 et n° 84-184 DC du 29 décembre 1984).
C : En dernier lieu, l'article 108 procède à la validation des impositions établies à l'aide des pièces et documents saisis au cours d'une visite effectuée avant le 31 décembre 1989, dans trois cas :
: lorsque l'ordonnance autorisant la visite comportait la nouvelle motivation prévue par le texte ;
: lorsque l'ordonnance a autorisé la visite de tout coffre ou véhicule mais qu'une telle visite n'a pas été effectuée ;
: et lorsque la perquisition a été faite avec la participation d'agents de collaboration de l'administration fiscale.
On observera, tout d'abord, que la disposition relative aux ordonnances ayant autorisé la visite de tout coffre ou véhicule introduit une discrimination entre les contribuables placés dans des situations identiques au regard des ordonnances, qui est fondée sur le seul comportement de l'administration, à savoir l'accomplissement ou non de la visite du coffre. Cette différence de traitement, qui ne peut se justifier par des considérations d'intérêt général, va à l'encontre du principe d'égalité devant la loi.
Par ailleurs, les dispositions litigieuses ne précisent pas explicitement qu'elles ne sauraient préjudicier aux contribuables dont les droits ont été reconnus par une décision de justice passée en force de chose jugée. Par leur mutisme, ces dispositions enfreignent le principe posé par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 88-250 DC du 29 décembre 1988.
Enfin, la rédaction des dispositions relatives à la validation des impositions n'interdit pas à l'administration d'infliger des pénalités aux contribuables concernés. Or, une telle pratique irait à l'encontre du principe de la non-rétroactivité des sanctions fiscales dégagé par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 88-250 DC du 29 décembre 1988.
Pour tous ces motifs, les sénateurs auteurs de la présente saisine ont l'honneur de demander au Conseil constitutionnel de déclarer non conforme à la Constitution l'article 108 de la loi de finances pour 1990.