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Décision n° 89-268 DC du 29 décembre 1989 - Saisine par 60 députés (1)

Loi de finances pour 1990
Non conformité partielle

PREMIERE SAISINE DEPUTES
Les députés soussignés ont l'honneur de déférer au Conseil constitutionnel la loi de finances pour 1990 adoptée en dernière lecture par l'Assemblée nationale le 21 décembre 1989, afin qu'il plaise au conseil d'annuler cette loi pour vice de procédure et de reconnaître l'inconstitutionnalité des articles 4, 10 ter IV, 28-A, 56, 58 ter, 60 ter à 60 undecies et 68 bis A pour les motifs développés ci-joint : En ce qui concerne la validité de la procédure législative :
La première partie du projet de loi de finances pour 1990 a été adoptée par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture par recours à la procédure de l'article 49, alinéa 3, de la Constitution. En l'absence du Premier ministre, c'est M Lionel Jospin, ministre d'Etat, chargé de l'éducation nationale qui, chargé de l'intérim du Gouvernement, a engagé la responsabilité de celui-ci lors de la deuxième séance du 14 décembre 1989 à 0 h 55 ainsi que l'atteste le Journal officiel des débats à l'Assemblée nationale, page 6595.
Cette procédure appelle deux remarques quant à la compétence du ministre chargé de l'intérim et quant à l'opposabilité de décret organisant l'intérim : 1. Sur la compétence :
L'article 49, alinéa 3, de la Constitution précise : « le Premier ministre peut après délibération du conseil des ministres engager la responsabilité du Gouvernement sur le vote d'un texte. »
En l'absence de toute autre hypothèse, il apparaît clairement que le Premier ministre a seul le pouvoir de mettre en uvre la procédure de l'article 49-3, à l'exclusion de tout autre membre du Gouvernement.
A contrario, les articles 41, 43 ou 44 de la Constitution, parmi d'autres, montrent bien que lorsque le constituant a voulu élargir certains pouvoirs à tous les membres du Gouvernement, il l'a précisé en évoquant alors « le Gouvernement » et non pas « le Premier ministre ».
Ni l'article 49 ni aucun autre article ne prévoit l'hypothèse de l'intérim du Premier ministre, ce qui amène à penser, en respectant une lecture stricte de la Constitution, que seul le Premier ministre en titre et en personne peut exercer les pouvoirs que la Constitution lui reconnaît à titre exclusif.
Si l'article 21 prévoit que le Premier ministre « peut déléguer certains de ses pouvoirs aux ministres », d'une part, il n'est pas certain que les pouvoirs de l'article 49 entrent dans cette catégorie et, d'autre part, cette délégation formelle n'a pas eu lieu en l'occurrence. Le décret du 14 décembre 1989 du Président de la République ne constitue en aucune manière une délégation de cette nature. L'intérim décidé par décret en l'absence de toute précision constitutionnelle ne saurait concerner que les seuls pouvoirs réglementaires du Premier ministre afin d'assurer la continuité de l'« exécution des lois » dont il a la charge du fait de l'article 21.
Le recours à l'article 49-3 par une autre personne que le Premier ministre en titre est donc contraire à la Constitution. Il constitue en l'espèce un vice grave de procédure impliquant l'annulation du texte déféré.
2. Sur l'inopposabilité :
A supposer que l'intérim du Premier ministre puisse s'exercer dans le domaine constitutionnel, il ne peut être opposé en l'espèce.
En effet, M Jospin a engagé la responsabilité du Gouvernement le 15 décembre 1989 à 0 h 55 alors que le décret le chargeant d'assurer l'intérim n'a été publié qu'au Journal officiel du 15 décembre 1989.
Cela veut dire qu'à 0 h 55 les députés ne pouvaient matériellement avoir pris connaissance de ce décret, il leur était donc inopposable.
A fortiori, en vertu du décret-loi du 5 novembre 1870, les décrets n'entrent en vigueur qu'un jour franc après leur promulgation, c'est-à-dire en l'occurrence le 16 décembre à 0 heure.
La décision d'engager la procédure de l'article 49-3 ayant été prise le 15, elle a été prise par une personne qui n'avait pas compétence pour le faire. Il y a donc là aussi vice de procédure.
Enfin, le texte qui est déféré a été adopté en dernière lecture après que le Premier ministre eut engagé une nouvelle fois la responsabilité de son Gouvernement, conformément à l'article 49-3, le lundi 18 décembre 1989.
Or l'article 49-3 précise que le Premier ministre ne peut engager cette procédure « qu'après délibération du conseil des ministres ».
Le compte rendu officiel du conseil des ministres du 13 décembre 1989 ne mentionne nulle part une telle délibération.
Il apparaît donc, sauf à recueillir de plus amples informations sur la matérialité de cette délibération, que le Premier ministre a méconnu une disposition de la Constitution en engageant la responsabilité du Gouvernement en l'absence de délibération préliminaire.
Le texte a donc été adopté selon une procédure qui a méconnu une exigence constitutionnelle.
Ce vice de forme constitue à lui seul un motif d'annulation.
En ce qui concerne la validité des articles additionnels introduits par voie d'amendement :
Par ailleurs, s'agissant des articles 60 bis à 60 nonies, il s'agit de dispositions introduites par voie d'amendements parlementaires en première lecture.
Or, ces amendements constituent un tout, visant à remettre en cause l'équilibre des rapports entre l'administration et les contribuables tel qu'il résultait des lois adoptées au cours de la précédente législature, et notamment de la loi n° 87-502 du 8 juillet 1987. L'importance de telles modifications aurait justifié qu'elles soient présentées sous la forme d'un projet ou d'une proposition de loi puisque ces dispositions, bien que fractionnées en une suite d'amendements différents, ont une cohérence interne évidente.
Ces amendements qui ont été déposés par les mêmes auteurs le même jour et défendus au cours de la même réunion de commission, et qui se placent au même endroit du projet de loi, excèdent largement, par leur portée, leur ampleur et leur cohérence interne entre eux, l'exercice normal du droit d'amendement.
S'agissant de l'article 60 undecies, introduit en nouvelle lecture par le Gouvernement, outre qu'il présente par son ampleur et sa portée le même défaut que les amendements parlementaires précités et sans même prendre en compte les critiques de fond qui seront exposés ci-après, il convient de rappeler qu'il constitue une mesure nouvelle introduite après la commission mixte paritaire, que, dès lors, il n'a pu faire l'objet d'une navette entre l'Assemblée nationale et le Sénat puisqu'à ce stade de la procédure le vote d'un texte par l'Assemblée nationale a pour seul effet de délimiter le contenu du texte qui sera soumis pour lecture définitive à la même Assemblée nationale, le Sénat n'ayant en l'espèce, lorsqu'il statue en nouvelle lecture, que le pouvoir de suggérer des modifications, ces modifications n'étant elles-mêmes soumises à l'Assemblée nationale que si un député les reprend sous forme d'amendement lorsque l'Assemblée nationale statue en nouvelle lecture.
En ce qui concerne l'article 4 :
Le V de l'article qui institue une taxe nationale sur les résidences principales et secondaires pour financer certains dégrèvements de taxe d'habitation apparaît contraire au principe d'égalité devant l'impôt pour deux motifs :
a) S'agissant d'un impôt national, il n'est pas conforme au principe d'égalité que son assiette puisse baisser en fonction de décisions prises de manière facultative par les communes. Or, tel est le cas puisque l'assiette tient compte des abattements mentionnés à l'article 1411 du code général des impôts ;
b) Le barème est contraire à l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen qui prévoit que la contribution « doit être également répartie entre tous les citoyens en raison de leurs facultés ».
Or, en l'espèce, le barème est basé sur le principe de la progressivité par classes et il aboutit, dans certaines situations, à une progression de l'impôt sans commune mesure avec la progression de l'assiette. Ainsi, un contribuable dont la résidence a une valeur locative de 49 950 F paiera 599,40 F alors qu'avec une valeur de 1 000 F supérieure (50 050 F), il aurait payé 850,80 F.
Dans cet exemple, une augmentation de 0,2 p 100 de la valeur locative entraîne une majoration de 42 p 100 de l'impôt.
Cette situation est à rapprocher de la décision n° 85-200 (DC du 16 janvier 1986) dans laquelle le conseil a annulé pour le même motif le barème de la contribution de solidarité.
En ce qui concerne l'article 10 ter IV : I : La disposition déférée est rétroactive alors qu'elle consacre une sanction pécuniaire
1 ° Le principe de non-rétroactivité de la loi pénale est un principe de valeur constitutionnelle, consacré par l'article 8 de la déclaration des droits de 1789 et rappelé encore, pour les infractions passibles de la Haute Cour, par l'article 68 de la Constitution.
Le Conseil constitutionnel a déjà jugé que ce principe constitutionnel « ne concerne pas seulement les peines appliquées par les juridictions répressives, mais s'étend nécessairement à toute sanction ayant le caractère d'une punition, même si le législateur a cru devoir laisser le soin de la prononcer à une autorité non judiciaire » (c consti. 30 déc 1982, n° 82-155 DC : RDP 1983, p 333, comm. L Favoreu).
Cette assimilation, pour l'application des principes et garanties constitutionnels, des sanctions et punitions infligées par les autorités administratives aux peines prononcées par les juridictions répressives a été encore rappelée à plusieurs reprises, notamment en matière fiscale (c consti 30 déc. 1987, n° 87-237 DC, sur recours des députés socialistes contre la loi de finances pour 1988 : Rec, p 63 : V encore c consti 3 septembre 1986, n° 86-215 DC : Rec, p 130).
Il est donc établi, en cet état de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, que le principe de non-rétroactivité s'impose non seulement à la loi pénale proprement dite, mais encore à toute loi comportant une sanction ou une punition, même infligée en dehors de l'intervention des tribunaux.
2 ° Or, il apparaît bien que la disposition législative ici critiquée ressortit à cette catégorie.
Elle ne vise pas seulement en effet, selon les propres termes de l'exposé des motifs rédigé par le Gouvernement, à « mettre un terme à une pratique de certains organismes de placement collectif en valeurs mobilières qui permet aux personnes physiques qui ont réalisé des plus-values taxables d'éluder l'impôt correspondant », mais bien à pénaliser par une véritable sanction pécuniaire ceux qui : avant le vote de la loi et de façon parfaitement licite et régulière : ont souscrit les parts de ces fonds communs.
Sous couvert d'une extension de la taxation à l'impôt sur le revenu, la disposition litigieuse édicte en fait une pénalité dont le montant, dans chaque cas, est déterminé par l'application du barème de l'impôt, mais que l'on peut estimer, dans la majorité des cas, à environ 30 p 100 de l'investissement en capital engagé : très légitimement et régulièrement : par le souscripteur. Elle institue du point de vue économique une véritable taxation du capital très supérieure à l'imposition de droit commun des plus-values.
Le texte se présente en effet comme la simple suppression d'une exonération jusqu'alors attachée à certaines primes de remboursement.
En réalité, compte tenu de l'importance de ces primes par rapport au cours initial du titre, c'est l'investissement en capital qui est frappé et très lourdement frappé.
On se tromperait ainsi en voyant dans la disposition querellée une simple modification de l'assiette de l'impôt sur le revenu ; elle est d'une autre nature, et vise la pénalisation rétroactive d'un investissement en capital réalisé dans des termes qui sans doute permettaient de limiter l'impôt, mais parfaitement conformes à la législation alors en vigueur.
En bref, et malgré la présentation donnée par le gouvernement, il paraît difficile d'y voir autre chose qu'une sanction, mise en uvre par la voie administrative, dont la disposition litigieuse de la loi de finances consacre le principe.
Comme telle, elle ne peut frapper des comportements ou initiatives qui lui préexistent sans enfreindre le principe constitutionnel de non-rétroactivité.
II. : La disposition déférée méconnaît la liberté d'entreprendre et la protection constitutionnelle du droit de propriété
En tant que sanction, la disposition litigieuse pénalise gravement le libre exercice professionnel des établissements financiers et comporte une sorte de confiscation dans le patrimoine des épargnants souscripteurs. Sous ces deux aspects encore, les principes constitutionnels paraissent sérieusement malmenés.
1 ° Il appartenait certainement aux établissements financiers, avec le souci de proposer des produits financiers adaptés à la concurrence internationale, d'utiliser d'éventuelles opportunités dégagées par la loi fiscale pour faire bénéficier leurs clients des possibilités correspondantes. En cela ils ont, dans le cadre de la loi et conformément à leur objet, exercé leur liberté d'entreprendre.
Or, le Conseil constitutionnel, ayant statué sur les lois de nationalisation, a reconnu la liberté d'entreprendre comme un principe de valeur constitutionnelle, qu'il rattache d'ailleurs indirectement au droit de propriété (c consti. 16 janvier 1962 : AJDA, 1982, p 209, note J Rivero : B Genevois. La jurisprudence du Conseil constitutionnel, p 227). Il avait déjà déclaré auparavant le caractère constitutionnel du « libre exercice professionnel ». Et il a encore récemment réaffirmé la garantie constitutionnelle de la liberté d'entreprendre en sanctionnant certaines dispositions d'une loi d'amnistie qui « risquent de mettre en cause la liberté d'entreprendre de l'employeur responsable de l'entreprise » (c consti. 20 juillet 1988, n° 88-244 DC : Rec, p 119).
Certes les plus récentes de ces décisions précisent que la liberté d'entreprendre n'est « ni générale, ni absolue », et qu'« il est loisible au législateur d'y apporter les limitations exigées par l'intérêt général » (c consti. 16 janvier 1986 : droit social 1986, p 372, note Y Gaudemet p- 4 juillet 1989, n° 89-254 DC) Mais précisément cette formule indique qu'une restriction de la liberté d'entreprendre n'est possible qu'« exigée par l'intérêt général » et inclut le contrôle du Conseil constitutionnel, dans les termes de l'erreur manifeste d'appréciation et du contrôle de proportionnalité, sur les exigences des intérêts en cause.
Le Gouvernement, en imposant cette disposition de dernière minute dans la loi, ne s'est-il pas mépris sur l'intérêt général que comportait l'institution d'une semblable pénalité ? Et surtout a-t-il bien mis en balance les différentes considérations d'intérêt général qui sont ici concernées ? L'atteinte à une liberté constitutionnelle comme la liberté d'entreprendre ne peut en effet se concevoir que proportionnée au but d'intérêt général poursuivi. Le Conseil constitutionnel exerce aujourd'hui régulièrement ce contrôle de proportionnalité, soit par le biais de l'erreur manifeste d'appréciation (ainsi à propos de la fixation d'une proportion pour définir la nature des biens professionnels exclus de l'impôt sur les grandes fortunes : déc. 164 DC ; pour l'appréciation de la nécessité des peines au sens de l'article 8 de la déclaration de 1789 : déc.
176 DC ; ou en matière de découpage électoral : déc. 8 août 1985, RDP 1986, p 395, note L Favoreu), soit encore de façon autonome (C consti. 30 déc. 1987, déc. 87-237 DC). Sur tous ces points voir notamment B Genevois, La jurisprudence du Conseil constitutionnel, p 296, L Favoreu, RDP 1989, p 449).
Dans le cas présent, il appartient ainsi au Conseil constitutionnel de mettre en regard du gain fiscal escompté par le Gouvernement les graves inconvénients de cette mesure, du point de vue même de l'intérêt général sous d'autres aspects, pour apprécier si, véritablement, l'atteinte portée pour ce motif à la liberté d'entreprendre était bien constitutionnellement justifiée. On a déjà dit à cet égard l'effet très néfaste qu'une mesure rétroactive comme celle qui est critiquée, sans précédent dans la législation fiscale française, aura nécessairement sur le crédit public et sur les comportements d'épargne des Français et des ressortissants étrangers.
La sécurité des relations juridiques se trouve gravement affectée et les relations contractuelles qui se sont librement et régulièrement mises en place entre les établissements financiers et leurs clients sont aujourd'hui bouleversées. Il y a là, du point de vue même de l'intérêt général, des inconvénients considérables qui paraissent sans proportion avec le gain fiscal escompté de la mesure litigieuse.
Pour ce motif, il n'apparaît pas que l'on ait été ici dans l'hypothèse où, du point de vue des principes constitutionnels, la liberté d'entreprendre pouvait être limitée ou affectée.
2 ° Des remarques analogues peuvent être faites au regard du droit de propriété. La pénalisation fiscale mise en place aboutit : on l'a montré : à un prélèvement forcé dans le patrimoine de nombreux épargnants.
Le Conseil constitutionnel, qui confirme régulièrement la protection constitutionnelle du droit de propriété (C consti.
16 janvier 1982, n° 81-132 DC : Rec. p 18), n'admet la limitation de celui-ci qu'exigée par l'intérêt général. Les mêmes critiques peuvent donc être faites à nouveau ici, du point de vue du droit de propriété, et en considération des intérêts en cause, que celles développées au paragraphe précédent à propos de la liberté d'entreprendre (supra n° 9 et s) ; en particulier, dans sa décision du 17 juillet 1985 (n° 85-189 DC : Rec. p 49, relative à la loi d'aménagement foncier), le Conseil constitutionnel applique le contrôle de proportionnalité aux atteintes portées par le législateur dans ce texte au droit de propriété.
III. : La disposition déférée méconnaît le principe constitutionnel d'égalité
La disposition litigieuse de la loi de finances modifie rétroactivement le régime fiscal de certains emprunts d'Etat, notamment de l'emprunt 3 p 100 de la Caisse nationale de l'énergie.
Mais cette modification n'est pas générale, l'exonération fiscale antérieure n'est supprimée que lorsque les revenus correspondants passent par des fonds communs de placement ou des Sicav et représentent, de la part de ces fonds, plus de 10 p 100 de la distribution ou de la répartition.
Un même titre d'emprunt se trouve ainsi soumis à des régimes fiscaux différents selon ses détenteurs ou gestionnaires. Cette situation est particulièrement surprenante dans le cas des fonds communs de placement qui, dépourvus de personnalité morale, sont des organismes absolument transparents constitués en simples indivisions.
De la sorte, le principe d'égalité, de valeur constitutionnelle, paraît doublement méconnu.
1 ° Les épargnants sont différemment traités selon les intermédiaires qu'ils ont choisis, et alors même qu'ils ont placé leur épargne dans le même titre obligataire. Rien a priori ne justifie cette discrimination. Elle ne s'appuie pas en effet sur la nature des revenus, ni sur la situation propre de chaque contribuable, mais exclusivement sur l'intervention d'éventuels intermédiaires et la personnalité de ceux-ci ; ce qui paraît totalement étranger à la loi qui règle le budget de l'Etat.
2 ° En second lieu, et à supposer même que l'on veuille considérer la personnalité même de ces intermédiaires, on ne voit pas pourquoi la suppression de l'exonération serait décidée lorsque les primes représentent plus de 10 p 100 du montant de la distribution ou de la répartition, tandis qu'elle est conservée dans le cas inverse.
Là encore, et cette fois-ci non seulement pour le même titre mais aussi en présence des mêmes intermédiaires, la loi établit une discrimination fiscale que rien ne justifie, et que seule l'optique répressive dans laquelle est placée cette disposition (supra I) permet de comprendre.
Il faut ici rappeler, en commun aux points 1 ° et 2 ° développés ci-dessus, que le principe d'égalité interdit de lui apporter « une atteinte qui dépasse manifestement ce qui serait nécessaire pour faire droit à la situation particulière de certains » (C consti.
7 janvier 1988, n° 87-232 DC, loi relative à la mutualisation de la Caisse nationale de crédit agricole). Et que, d'une façon générale, le Conseil constitutionnel rappelle toujours que le principe d'égalité ne s'oppose « ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport avec l'objet de la loi qui l'établit » (C consti. 4 juillet 1989, n° 89-254 DC, loi modifiant la loi relative aux privatisations).
Dans le cas présent, les discriminations dénoncées ci-dessus ne sont pas justifiées par des différences de situation des intéressés et sont sans rapport avec l'objet de la loi de finances.
En ce qui concerne l'article 28-A :
Cet article institue un prélèvement au profit de l'Etat sur la Caisse des dépôts et consignations.
Ce prélèvement opéré par la loi doit être considéré comme « une imposition de toute nature ».
En conséquence, l'article 28-A ne peut qu'être jugé contraire à l'article 34 de la Constitution qui précise qu'il appartient au législateur de fixer la règle concernant l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toute nature.
En ce qui concerne l'article 56 :
L'article 56 et l'état H annexé du projet de loi de finances pour 1990 ont été adoptés (art 781 de la loi considéré comme adopté par l'Assemblée nationale en dernière lecture) dans des conditions contraires à la Constitution.
En effet, adopté conforme par le Sénat en première lecture, l'article 56 a fait l'objet d'un amendement du Gouvernement en nouvelle lecture, après échec de la commission mixte paritaire, à l'Assemblée nationale ; cet amendement (n° 245) avait pour objet d'inscrire à l'état H le chapitre 45-40 Contributions de l'Etat à la SNCF du budget des transports terrestres.
Or, cet article ne pouvait être valablement remis en discussion à ce stade de la procédure. Une telle pratique est en effet contraire à l'article 42 de la Constitution qui dispose qu'une assemblée saisie d'un texte voté par l'autre délibère sur le texte qui lui est transmis et à l'article 45 de la Constitution qui prévoit que tout projet de loi est examiné successivement dans les deux assemblées en vue de l'adoption d'un texte identique.
En outre, l'article 108 du règlement de l'assemblée qui, en l'occurrence ne fait que tirer les conséquences pratiques des dispositions constitutionnelles précitées est formel : la discussion des articles est limitée à deux pour lesquels les deux assemblées parlementaires n'ont pu parvenir à un texte identiqueCe même article prévoit deux exceptions à la règle ainsi définie : rectification d'une erreur matérielle à coordination des dispositions adoptées.
En l'espèce, le rappel de l'article 56 pour coordination est sans fondement juridique. Aucune autre disposition du projet de loi de finances pour 1990 ne pourrait le justifier.
Dans ces conditions, l'article 56 et l'état H annexé ont été adoptés en méconnaissance des règles constitutionnelles et pour ces raisons les requérants en demandent l'annulation. A tout le moins, dans l'hypothèse où le conseil constitutionnel estimerait que cette procédure n'entache pas l'adoption conforme par les deux assemblées en première lecture de l'article 56 et de l'état H annexe, l'inscription à cet état du chapitre 45-40 précité doit être annulée.
En ce qui concerne l'article 58 ter :
En effet, ni le taux ni l'assiette ne sont explicitement définis.
Cet article institue une taxe départementale sur le revenu. Il apparaît critiquable à deux titres :
a) Il est issu d'un amendement parlementaire et entraîne une réforme fondamentale de notre système fiscal. En effet, le nouvel impôt s'appliquerait à la quasi-totalité des foyers fiscaux et porterait sur le revenu comme l'impôt sur le revenu.
Une telle disposition dépasse les limites inhérentes à l'exercice du droit d'amendement et aurait dû faire l'objet d'une proposition de loi autonome.
Les termes de l'annulation prononcés par la décision n° 86-225 DC du 23 janvier 1987 sont ici parfaitement transposables.
b) Il est contraire à l'article 34 de la Constitution.
En effet, il ne fixe pas précisément l'assiette de l'impôt. La seule définition est « le montant net des revenus et plus-values pris en compte pour l'établissement de l'impôt sur le revenu ».
Cette définition comporte au moins deux ambiguïtés :
: la notion de revenu « pris en compte » inclut-elle les revenus exonérés ou les revenus bénéficiant d'abattement ? L'abattement de 20 p 100 des salariés est-il ou non dans l'assiette ?
: les revenus soumis à prélèvements libératoires sont-ils inclus dans cette base ? Normalement, la réponse est positive car il s'agit bien d'un revenu soumis à l'impôt sur le revenu. Mais le 6 de l'article prévoyant une imposition spécifique en cas de prélèvement libératoire, ce point reste obscur.
Ainsi, la législation, laissant plusieurs interprétations possibles, n'a pas pleinement utilisé la compétence que lui attribue l'article 34 de la Constitution.
En ce qui concerne l'article 60 ter :
Le III de l'article 60 ter, en son 1 et son 2, est contraire aux principes généraux du droit fiscal.
1. Il prévoit que « l'abattement n'est pas appliqué lorsque la déclaration professionnelle, la déclaration d'ensemble de revenus ou la déclaration d'ensemble de revenus ou les déclarations de chiffre d'affaires n'ont pas été souscrites dans les délais ».
Une telle disposition est contraire à la Constitution pour trois raisons :
: tout d'abord, elle crée une double sanction au défaut de déclaration dans les délais. En effet, d'une manière générale, le retard dans le dépôt des déclarations est déjà sanctionné aux articles 1727 et 1728 du code général des impôts. Le principe de proportionnalité des sanctions interdit d'y ajouter une nouvelle pénalité (article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen : « la loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires ») ;
: ensuite, il y a lieu de noter que la disposition ainsi élevée est encore plus injustifiable, s'agissant d'un retard dans le dépôt d'une déclaration de chiffre d'affaires. En effet, l'abattement de 20 p 100 s'applique aux revenus et concerne l'impôt sur le revenu.
Il est donc injustifié de tenir compte de la situation fiscale du contribuable au regard d'un autre impôt ;
: enfin, cette règle est contraire au principe d'égalité. En effet, les adhérents des centres de gestion agréés sont au regard de la date de dépôt de la déclaration générale d'impôt sur le revenu dans la même situation que tout contribuable.
Dès lors, rien ne saurait justifier une sanction spécifique pour retard de dépôt de cette déclaration qui ne s'appliquerait qu'à une seule catégorie de contribuables.
Ce point a d'ailleurs été jugé par le Conseil constitutionnel (n° 73-51 DC du 7 décembre 1973 et n° 86-209 DC du 3 juillet 1986).
2. Les mêmes observations valent à l'encontre du 2 du paragraphe III qui permet de retirer l'abattement de 20 p 100 en cas de mauvaise foi pour un redressement de TVA, la disproportion entre la sanction et la faute est injustifiée dès lors qu'il ne s'agit pas d'un même impôt.
En ce qui concerne l'article 60 quinquies :
Cet article qui donne des pouvoirs exorbitants à l'administration apparaît contraire à de nombreux principes constitutionnels : I : Violation du principe des droits de la défense
Dans plusieurs décisions (89-260 DC du 28 juillet 1989 ; 86-224 DC du 23 janvier 1987 ; 84-182 DC du 18 janvier 1985), le Conseil constitutionnel a reconnu le principe du respect des droits de la défense au nombre des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République.
Il implique notamment « l'existence d'une procédure juste et équitable, garantissant l'équilibre des droits des parties ».
En l'espèce, cette garantie est nécessairement violée puisqu'au cours même de la première instance devant le juge fiscal l'administration pourra obtenir, d'une part, d'effacer certains vices de procédure qui constituaient l'objet même des moyens invoqués par le contribuable et, d'autre part, de recommencer une procédure alors que l'effet combiné de la nullité et des règles de prescription du droit de reprise lui garantissait que le contrôle ne pouvait être réitéré.
Les dispositions contestées ont donc pour résultat d'organiser au profit de l'administration un déséquilibre tel, dans les droits des parties au procès fiscal, que les principales garanties de procédure élaborées progressivement et insérées dans le livre des procédures fiscales perdent toute leur justification et leur utilité puisque leur invocation par le contribuable devant le juge fiscal sera neutralisée par une autorisation qui permettra de régulariser leur violation.
Mais il y a plus. Le respect des droits de la défense implique à la fois un double degré de juridiction et l'existence de l'effet dévolutif de l'appel, toutes règles en l'espèce méconnues.
En prévoyant que l'autorisation juridictionnelle de régularisation ne peut intervenir après le jugement en première instance, le législateur a nécessairement supprimé toute voie de recours contre cette décision d'autorisation tandis que le juge d'appel se verra dessaisi de l'appréciation des vices de procédure invoqués en première instance et pour lesquels une autorisation de régularisation sera donnée.
Enfin, en prévoyant que ladite autorisation puisse être donnée à tout moment, le législateur a évidemment visé des cas dans lesquels cette autorisation serait accordée en dehors du cadre d'un contentieux fiscal engagé par le contribuable. Dans une telle hypothèse, en ne prévoyant pas que le contribuable puisse intervenir au cours de la procédure d'autorisation, le législateur lui a retiré tout droit de se défendre.
II. : Violation du principe d'égalité devant la loi et la justice
Rappelé de manière solennelle à propos de la mise en uvre de la procédure fiscale (73-51 DC du 27 décembre 1973), ce principe est méconnu dans l'organisation de la procédure qui fait l'objet des dispositions contestées.
En effet, la mise en uvre de la procédure de régularisation est abandonnée à l'administration fiscale qui décidera discrétionnairement de saisir le juge. Elle ouvre ainsi la possibilité de traiter de façon totalement discriminatoire et sans contrôle des contribuables placés exactement dans la même situation, qui, selon les cas, pourront soit obtenir l'annulation de la procédure de redressement, soit subir un nouveau contrôle alors que la première procédure était entachée de nullité.
III. : Violation du principe de l'autorité de la chose jugée et du principe de légalité
S'il appartient ni au législateur ni au Gouvernement de censurer les décisions des juridictions, le législateur conserve, sauf en matière pénale, par la voie de dispositions rétroactives, le pouvoir de modifier les règles que le juge a mission d'appliquer (80-119 DC du 22 juillet 1980), c'est le fondement du pouvoir de validation.
Or les dispositions contestées ont pour résultat d'attribuer au juge un pouvoir de validation a priori de certaines procédures fiscales en lui ouvrant la possibilité de déroger au principe de légalité qui pourtant s'impose à lui.
Alors que le juge fiscal sera saisi de conclusions qui aboutiront nécessairement à l'annulation de la procédure primitive, il aura le pouvoir par avance de considérer que cette annulation sera sans effet en autorisant l'administration à couvrir les vices invoqués par le contribuable.
Il apparaît donc que le juge fiscal est doté d'une compétence discrétionnaire d'accorder des dérogations à certaines règles légales de procédure en même temps qu'il prive par avance d'effet la chose par lui ultérieurement jugée.
Il y a bien là reconnaissance au profit du juge d'un pouvoir indirect de validation de certaines procédures fiscales dont seul le législateur doit avoir le monopole de l'exercice sous les conditions fixées par le Conseil constitutionnel.
IV. : Violation du principe de légalité des délits et des peines et de l'indépendance de la juridiction répressive
La violation de certaines des dispositions visées par l'article contesté est de nature à entraîner la nullité de la procédure pénale pour fraude fiscale qui suit la procédure de contrôle. Il en est ainsi notamment de la violation des dispositions de l'article L 47 du livre des procédures fiscales (Crim. 8 décembre 1980, Bull. Crim.
n° 336, p 866 ; Crim. 2 juin 1986, Bull. Crim. n° 187, p 481).
Il va s'ensuivre que le juge fiscal en autorisant la rectification de tels vices de procédure conduit nécessairement le juge pénal à maintenir la validité d'une procédure pénale qui normalement aurait été déclarée nulle.
Une simple décision du juge fiscal prise à la seule initiative de l'administration fiscale va donc trancher le sort d'une procédure pénale dont la nullité est pourtant constante.
Pour ces motifs, les dispositions déférées doivent être déclarées contraires à la Constitution.
En ce qui concerne l'article 60 sexies :
L'article 66 de la Constitution réserve à l'autorité judiciaire la garde de la liberté individuelle sous tous ses aspects, notamment celui de l'inviolabilité du domicile.
Or l'article 60 sexies sur le contrôle fiscal des comptabilités informatiques prévoit de compléter l'article L 16 B du livre des procédures fiscales, issu du décret n° 55-467 du 30 avril 1955, dans des conditions qui portent atteinte à ce principe. En effet, l'article L 13 précise que « les agents de l'administration vérifient sur place, en suivant les règles prévues par le présent livre, la comptabilité des contribuables astreints à tenir et à présenter des documents comptables ». L'article 60 sexies le complète en disposant que, « lorsque la comptabilité est tenue au moyen de systèmes informatisés, le contrôle porte sur l'ensemble des informations, données et traitements informatiques qui concourent directement ou indirectement à la formation des résultats comptables ou fiscaux et à l'élaboration des déclarations rendues obligatoires par le code général des impôts ainsi que sur la documentation relative aux analyses, à la programmation et à l'exécution des traitements ».
Ainsi, grâce aux procédures instituées, les agents de l'administration, quelle que soit leur qualité, seraient autorisés à se rendre sur place, en tout lieu même privé, afin de rechercher toute information concourant, même indirectement, à la formation de résultats comptables ou fiscaux. Dès lors, il serait légal de se rendre chez un particulier qui, client d'une société ou d'une personne exerçant une profession libérale, ou fournisseur de la documentation informatique de la société ou de la personne, sans que l'agent de l'administration soit habilité par une autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, à procéder à la visite et, le cas échéant, à la saisie de documents comptables ou autres, pour rechercher la preuve d'infractions fiscales non dénommées. En outre, l'opposition que pourrait tenter le tiers qui, par rapport à la société ou la personne contrôlée, serait visité pourrait se traduire, pour cette société ou cette personne, soit par une opposition au contrôle fiscal, laquelle a pour sanction la taxation d'office du contribuable contrôlé, société ou personne, sans mise en demeure, prévue à l'article L 68 du livre des procédures fiscales, soit par une évaluation d'office prévue à l'article L 74 du livre des procédures fiscales issu du décret n° 54-1073 du 4 novembre 1954 modifié.
Ces dispositions manifestement contraires à l'article 66 de la Constitution sont aussi contraires au principe d'égalité devant la loi proclamé par la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, puisque, sur décision discrétionnaire de tiers, le contribuable contrôlé peut se trouver sanctionné.
Enfin, comme la loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, il serait anormal de faire obligation de conserver pendant au moins trois ans : donc sans limite maximum à la conservation : la documentation établie ou reçue sur support informatique (2e alinéa de l'article L 102 B prévu au paragraphe III de l'article 60 sexies).
En ce qui concerne l'article 60 septies :
L'article VIII de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen dispose que « la loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires ». L'article XII ajoute : « La garantie des droits de l'homme et du citoyen nécessite une force publique : cette force est instituée pour l'avantage de tous, et non pour l'utilité particulière de ceux auxquels elle est confiée. » L'article XVI ajoute encore que : « toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution. »
L'article 60 septies porte atteinte à chacun des trois articles de la déclaration.
En effet, étendant à l'ensemble des juridictions administratives, civiles, pénales et prud'homales la reprise ou l'insuffisance d'impositions révélée par une instance, cet article permet à l'une des parties à un litige de menacer l'autre de révélations d'ordre fiscal relevant d'une période très antérieure, afin d'obtenir des concessions dans le litige qui les oppose. Cet article favoriserait donc la délation ou la révélation de différents faits survenus au cours des dix années précédant un litige, sans que l'intérêt qu'en tirerait l'administration fiscale soit équilibré par le désordre qui en résulterait. La sanction de la reprise dans ces conditions n'est pas nécessaire.
Ensuite, il est évident que la sanction ainsi instituée ne pourrait pas être appliquée lors de chaque révélation d'insuffisances ou d'omissions devant une instance. Dès lors, l'utilisation sélective de cette arme fiscale serait très aléatoire et, le cas échéant, fonction de critères personnels. Or la loi ne saurait être instituée pour l'utilité particulière de ceux auxquels elle est confiée.
Enfin, les mesures administratives de contrôle fiscal et les décisions de justice seraient entremêlées de telle sorte que la séparation des pouvoirs ne serait plus déterminée entre l'exécutif et l'autorité judiciaire.
Par ailleurs, la prescription décennale qui suit l'année au titre de laquelle l'imposition est due rompt l'équilibre entre prescription de dix ans pour l'administration et prescription quadriennale pour les particuliers.
En ce qui concerne l'article 60 octies :
L'article 60 octies tend à maintenir un impôt dont la Cour de cassation a jugé qu'il constituait une discrimination à l'encontre de sociétés étrangères prohibée par les traités internationaux.
Il n'est pas conforme à la Constitution :
: parce que son caractère « interprétatif » porte atteinte à l'indépendance, constitutionnellement garantie, du juge de cassation qui s'est prononcé sur l'application et l'interprétation du texte « interprété » ;
: parce qu'il maintient ou rétablit un impôt confiscatoire et discriminatoire contraire aux articles 13 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme du 26 août 1789 ;
: enfin, parce qu'il tend à faire échec à l'application de traités qui, en vertu de l'article 55 de la Constitution, ont une autorité supérieure à celle des lois.
1. En premier lieu, l'article 60 octies, et notamment le V qui affirme le caractère « interprétatif » du texte, qui tend à contrer une jurisprudence bien établie de la Cour de cassation, porte atteinte à l'indépendance des juridictions souveraines, chargées de veiller à l'application de la loi et à l'unité de son interprétation en assurant la conformité des jugements aux règles de droit, que sont la Cour de cassation et le Conseil d'Etat lorsqu'il statue comme juge de cassation.
Certes, le Conseil constitutionnel a naguère admis que, si l'indépendance des juridictions, garantie par la Constitution, interdisait au législateur et au Gouvernement de censurer les décisions des juridictions et de se substituer à elles dans les litiges relevant de leur compétence, ces principes de valeur constitutionnelle ne s'opposent pas à ce que, au besoin par la voie de dispositions rétroactives, le législateur modifie des règles que le juge a mission d'appliquer (CC 22 juillet 1980 n° 80-119 DC, Rec. p 46 ; 24 juillet 1985 n° 85-192 DC, Rec. p 56). Cette jurisprudence a été appliquée notamment en matière fiscale à la suite de décisions du Conseil d'Etat statuant alors comme juge d'appel et se prononçant à ce titre sur le fond des affaires. Sauf erreur, aucune loi « interprétative » n'a été prise à l'encontre de décisions de la Cour de cassation.
Toutefois, s'agissant de décisions de juges de cassation, dont la mission est précisément de dire le droit à la lumière des dispositions législatives et, le cas échéant, des traités internationaux en vigueur, toute disposition législative tendant à imposer une interprétation de la loi ou d'un traité international différente de celle qu'a retenue la Cour de cassation elle-même impliquerait nécessairement une censure du juge de cassation par le législateur et une substitution du législateur au juge de cassation.
En effet, le juge de cassation ne connaissant pas du fond des affaires (art L 111-2, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire) mais veillant exclusivement à l'application de la règle de droit serait évincé de son rôle, constitutionnellement garanti, par une disposition « interprétative » ou rétroactive du type de celle qui est envisagée ici.
Pour cette raison déjà, la disposition litigieuse est contraire à la Constitution, et notamment à ses articles 34 et 64, à l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme du 26 août 1789 et aux principes de valeur constitutionnelle énoncés aux articles L 111-1 et 111-2, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire.
2. En deuxième lieu, la taxe annuelle de 3 p 100 sur la valeur vénale des immeubles est un impôt confiscatoire, contraire aux dispositions des articles 13 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme du 26 août 1789.
En effet, comme l'a rappelé le Conseil constitutionnel dans sa décision relative à l'impôt sur les grandes fortunes, un impôt annuel sur le capital « est appelé normalement à être acquitté sur les revenus des biens imposables » (CC 30 décembre 1981 n° 81-133 DC, Rec, p 41).
Si l'impôt de solidarité sur la fortune satisfait à cette exigence en raison notamment de son taux (maximum 1,5 p 100) et de son assiette constituée par l'actif net du contribuable, sous déduction notamment du passif existant au jour du fait générateur de l'impôt, tel n'est manifestement pas le cas de la taxe annuelle de 3 p 100 :
: qui est assise sur la valeur vénale des immeubles possédés en France par des sociétés étrangères sans possibilité de déduction du passif, et notamment des dettes afférentes à l'acquisition ou à la conservation de l'immeuble ;
: dont le taux de 3 p 100 (double du taux maximum de l'impôt de solidarité sur la fortune) est d'autant plus confiscatoire que la taxe n'est pas déductible pour l'assiette de l'impôt sur le revenu ou de l'impôt sur les sociétés (art 990 G du CGI), de sorte qu'elle devrait être payée sur le revenu net après impôt provenant de l'immeuble en cause, lequel serait, dans la plupart des cas, insuffisant. En effet, contrairement à ce qui est prévu en matière d'impôt de solidarité sur la fortune, il n'existe pas de plafonnement de la taxe en fonction du revenu.
On est donc bien en présence d'un impôt confiscatoire, qui tend à exproprier, sans indemnité, sur une période de trente-trois ans, les immeubles détenus en France par des sociétés étrangères.
Une telle « imposition » bafoue les principes essentiels des droits fiscaux civilisés, et notamment les principes de valeur constitutionnelle des articles 13 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme de 1789 et ne saurait être justifiée par le légitime souci de « mieux contrer l'évasion fiscale internationale », laquelle ne saurait être présumée, de façon irréfragable, à partir de la simple possession d'un immeuble en France par une société étrangère.
Le Conseil constitutionnel, appelé à apprécier la constitutionnalité du texte modifiant les article 990 D et suivants du CGI, contrôlerait donc la constitutionnalité de la loi antérieure, même promulguée, et ne manquerait pas de constater qu'elle n'est pas conforme à la Constitution et aux principes qui viennent d'être rappelés.
Le fait que le Conseil constitutionnel n'ait pas cru devoir, lors de l'examen de la loi de finances pour 1983, relever d'office l'inconstitutionnalité de l'article 4 de cette loi, n'exclut nullement qu'il soit saisi de moyens tendant à contester la constitutionnalité du texte à l'occasion d'un recours présenté lors de la présente loi de finances ou, ultérieurement, par une question préjudicielle émanant d'un tribunal ou de la Cour de cassation.
Les vices de fond qui affectent les textes instituant la taxe annuelle de 3 p 100 doivent être purgés par l'abrogation pure et simple des articles 990 D et suivants du CGI à moins que la taxe annuelle de 3 p 100 ne revête un caractère optionnel comme on le verra plus loin.
3. En troisième lieu, et comme l'a relevé la Cour de cassation, la taxe annuelle de 3 p 100 sur la valeur vénale des immeubles est un impôt discriminatoire puisqu'il frappe différemment des sociétés et personnes morales qui se trouvent dans la même situation, c'est-à-dire qui sont placées dans les mêmes circonstances de fait et de droit au regard de la législation fiscale française de droit commun.
Quel est le fait générateur de l'impôt ? C'est la possession d'immeubles en France au 1er janvier de l'année (art 990 D et 990 F du CGI).
Selon la législation et la réglementation fiscales françaises de droit commun, et contrairement à ce que paraît suggérer l'exposé des motifs de l'amendement qui est à l'origine de l'article 60 octies, les sociétés françaises et étrangères sont soumises aux mêmes impôts à raison de ce fait :
: droit de mutation lors de l'acquisition des immeubles (les sociétés étrangères étant, au surplus, exclues par l'article 711 A du CGI du taux réduit applicable aux immeubles d'habitation, ce qui constitue déjà une discrimination à leur encontre) ;
: taxes foncières sur les propriétés bâties et non bâties à raison de la valeur locative des immeubles ;
: droit de bail si les immeubles sont loués ;
: impôt sur les sociétés sur les bénéfices nets provenant de l'exploitation des immeubles, notamment par voie de location (ainsi que le confirme une abondante jurisprudence du Conseil d'Etat) et sur les plus-values éventuelles résultant de la cession des immeubles.
Imposer aux sociétés étrangères une taxe annuelle supplémentaire de 3 p 100 sur la valeur vénale des immeubles qu'elles possèdent en France constitue une discrimination évidente, comme l'a jugé la Cour de cassation et par suite une violation des articles 6 et 13 de la Déclaration des droits de l'homme du 26 août 1789.
Peu importe que la société étrangère ait, par définition, son siège hors de France : le siège de la société et la loi qui lui est applicable n'ont aucune incidence sur l'application des impôts de droit commun. A cet égard, la nouvelle rédaction du texte, qui vise le « siège de direction effective », est sans incidence puisque, selon la jurisprudence constante de la Cour de cassation, c'est le siège de direction effective qui détermine le rattachement de la société à un territoire ou à un Etat.
La discrimination opérée par la loi qui assujettit à la taxe annuelle de 3 p 100 les seules sociétés étrangères n'est donc pas justifiée par une différence de situation. Elle n'est donc pas seulement contraire aux traités internationaux conclus par la France ; elle est, en outre, contraire à la Constitution et au principe constitutionnel d'égalité devant l'impôt.
Vainement suggérerait-on qu'en frappant la société étrangère on voudrait, en réalité, frapper les associés qui se cacheraient derrière elle.
D'une part, la loi désigne bien la société et non pas ses associés qui, s'il s'agit de personnes physiques, sont personnellement assujetties à l'impôt sur le revenu et à l'impôt de solidarité sur la fortune dans les conditions de droit commun sans qu'il y ait lieu de leur infliger, au surplus, une taxe annuelle de 3 p 100 sur la valeur d'immeubles qu'ils détiendraient par l'intermédiaire de sociétés étrangères.
D'autre part, si l'immeuble situé en France constitue le principal actif de la société, comme le prévoit l'article 990 E 1 ° du CGI :
: la plus-value de cession des parts ou actions de la société est taxable en France, quel que soit le siège de la société ou le lieu de résidence de l'actionnaire (art 150 A bis du CGI) ;
: les parts ou actions de la société, même étrangère, constituent des actifs français, assujettis en France aux droits de mutation à titre gratuit en cas de donation ou de succession, quel que soit le domicile du donateur ou du défunt (art 750 ter du CGI) et, par suite, à l'impôt de solidarité sur la fortune quel que soit le domicile de l'actionnaire (art 885 A, 885 D et 885 L du CGI).
Il est donc inexact d'énoncer, comme le fait l'exposé des motifs de l'amendement qui est à l'origine de l'article 60 octies, que la taxe aurait « pour objet de compenser les impôts (ISF, droits de mutation, impôts sur les plus-values) susceptibles d'être éludés par le recours à ces sociétés », puisque, même en présence de ces sociétés, les impôts en question sont dus dans les mêmes conditions que si les immeubles étaient possédés par des sociétés françaises.
En d'autres termes, que l'on considère la société qui possède un immeuble en France, ou l'actionnaire : français ou étranger, résidant en France ou non résident : qui possède des parts ou actions de la société propriétaire de l'immeuble, la taxe annuelle de 3 p 100 sur la valeur vénale des immeubles appliquée aux seules sociétés étrangères ou non résidentes constitue un impôt supplémentaire discriminatoire qui n'est justifié par aucune différence réelle de situation entre les sociétés françaises et les sociétés étrangères au regard du fait générateur de l'impôt.
Ce que la Cour de cassation a jugé au regard d'un traité international s'impose de même au regard de la Constitution.
Il appartient au législateur de respecter le principe d'égalité devant l'impôt, sauf à encourir, à plus ou moins brève échéance, la censure du Conseil constitutionnel.
A défaut de supprimer purement et simplement la taxe annuelle de 3 p 100, il conviendrait de lui donner un caractère optionnel :
: en laissant aux contribuables tentés par l'évasion fiscale soupçonnée par les auteurs de l'amendement la faculté de payer la taxe annuelle de 3 p 100 pour échapper aux impôts de droit commun ;
: mais en conservant aux autres contribuables l'application de la législation fiscale de droit commun.
Le régime serait, en quelque sorte, calqué sur celui des bons et titres anonymes.
4. Enfin, on se permettra d'observer que, sous couvert de préciser le champ d'application des articles 711 A, 990 D et suivants du CGI, le texte tend, en réalité, à faire échec à l'application des clauses de non-discrimination figurant dans les traités internationaux et, par suite, à violer l'article 55 de la Constitution, ce qui constitue une nouvelle cause d'inconstitutionnalité de la loi (CC 5 septembre 1986, n° 86-216 DC, Rec. p 135).
En effet, comme l'a jugé le Conseil constitutionnel, il n'appartient pas au législateur de restreindre le domaine d'application de l'article 55 de la Constitution (CC 5 septembre 1986 précité). Or, tel est le cas de l'article 990 E 2 ° du CGI qui n'exclut expressément de la taxe annuelle de 3 p 100 que les personnes morales étrangères « ayant leur siège dans un pays ou un territoire ayant conclu avec la France une convention d'assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l'évasion fiscales », ce qui, selon l'administration fiscale, exclurait toutes les autres conventions internationales, y compris celles qui comportent des clauses de non-discrimination et des clauses d'assistance administrative en vue de leur application régulière.
Le souci légitime de lutter contre la fraude et l'évasion fiscales internationales ne saurait conduire à méconnaître l'ensemble de ces autres traités internationaux conclus par la France et qui ont une autorité supérieure à celle des lois.
En ce qui concerne l'article 60 decies :
L'article 60 decies impose l'obligation pour tout règlement d'un montant supérieur à 150 000 F effectué par un particulier non commerçant, et en paiement d'un bien ou d'un service, de procéder par chèque (correspondant aux caractéristiques de barrement d'avance et de non-transmissibilité par voie d'endossement) par virement bancaire ou postal, ou par carte de paiement ou de crédit.
I : La définition de l'infraction est critiquable en ce qui concerne les résidents étrangers
L'alinéa 2 de l'article 60 decies énonce :
« Toutefois, les particuliers non commerçants n'ayant pas leur domicile fiscal en France pourront continuer d'effectuer les règlements de tout bien ou service d'un montant supérieur à 150 000 F en chèque de voyage, ou en espèces, après relevé, par le vendeur du bien ou le prestataire de service, de leur identité et domicile justifiés. » 1 L'infraction, telle qu'elle est définie, est infondée, dans le cas où il s'agit de paiements en espèces
Un principe traditionnel veut qu'en France, depuis une loi du 12 août 1870, les billets de la Banque de France ont cours légal, c'est-à-dire qu'ils ne peuvent être refusés en paiement par tout créancier.
On trouve un autre énoncé de cette règle fondamentale de la République dans la loi n° 73-7 du 3 janvier 1973 relative à la Banque de France, dont l'article 2 dispose :
« La Banque de France est seule habilitée à émettre des billets qui sont reçus comme monnaie légale sur le territoire de la France métropolitaine. »
Enfin, la Cour de cassation a depuis longtemps posé que :
« Il est de principe que tout paiement fait en France, quelle qu'en soit la cause, doit être effectué en monnaie française. » (Req.
17 février 1937, DH 1937, 234)
En assortissant le paiement en espèces d'une obligation de relevé d'identité et de domiciliation, le texte de l'alinéa 2 est donc non conforme au principe fondamental du cours légal de la monnaie.
2 L'obligation d'information sur leur domiciliation à l'encontre des résidents étrangers est contraire au droit communautaire
L'article 67 du traité CEE prévoit la suppression des « discriminations de traitement fondées sur la nationalité ou la résidence des parties ou sur la localisation du placement ».
L'article 30 du même texte interdit l'instauration de restrictions quantitatives à l'importation, ainsi que toute mesure d'effet équivalent.
La cour de justice a d'ailleurs jugé qu'était incompatible avec le droit communautaire l'application de sanctions disproportionnées à la nature d'une infraction de caractère purement administratif, telle que les pénalités proportionnelles prévues par le code des douanes (CJCE, 15 décembre 1976, aff. 4176 Donckerwolcke, Rec.
p 1921).
Ces règles, dont l'autorité est supérieure à celles des lois françaises par l'effet de l'article 55 de la Constitution, exposent toute législation incompatible, soit à la censure de la Cour de justice des communautés européennes (dans le cadre de la procédure de manquement de l'article 169 du traité CEE), soit à celles de la juridiction française (CE 20 octobre 1989, Nicolo).
Enfin, si l'article 4 de la directive du 24 juin 1988 pour la mise en uvre de la liberté de circulation des capitaux dans la communauté réserve le droit des Etats membres de prendre les mesures indispensables pour faire échec aux infractions à leurs lois et règlements, notamment en matière fiscale :
: d'une part, ce texte ne permet d'établir des procédures de déclaration des mouvements de capitaux qu'« à des fins d'information administrative ou statistique » ;
: d'autre part, ces mesures ou ces procédures ne sauraient « avoir pour effet d'empêcher les mouvements de capitaux effectués en conformité avec les dispositions du droit communautaire ».
Or, la disposition qui assujettit les résidents étrangers, et notamment communautaires, à l'obligation de justifier leur domiciliation, sous peine d'une sanction très lourde, est manifestement contraire aux principes régissant la libre circulation des capitaux ou des marchandises. Elle opère en effet, à l'égard des résidents étrangers, une sujétion non seulement spécifique, mais encore excessive.
II. : La sanction prévue est critiquable
L'inobservation de cette obligation nouvelle est sanctionnée par une amende fiscale égale à 25 p 100 des sommes payées. Cette amende est recouvrée comme en matière de timbre, et incombe pour moitié au débiteur et au créancier, chacun d'eux étant solidairement tenu d'en assurer le règlement total.
Le principe de cette amende, son montant et la procédure qui est adoptée ne paraissent conformes ni aux principes constitutionnels en vigueur ni aux règles législatives et réglementaires sur les sanctions administratives.
1 Le principe de l'amende est contestable
Dans une décision du 30 décembre 1987 (n° 87-237 DC, Rec. p 63), le Conseil constitutionnel a déclaré inconstitutionnelle une amende fiscale encourue en cas de divulgation du revenu d'une personne.
Cette position s'est fondée sur l'application de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 (« la loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires ») à toute sanction ayant le caractère d'une punition et non plus seulement aux peines prononcées par les juridictions répressives.
Dans son commentaire de la décision précitée, le secrétaire général du Conseil constitutionnel a indiqué que le 17e considérant de la décision implique qu'il existe un doute sur la constitutionnalité de textes prévoyant des sanctions fiscales qui ne sont pas l'accessoire d'un impôt ou qui ne tendent pas à réparer le préjudice causé à l'Etat par la fraude (Genevois, « L'application du principe de proportionnalité aux amendes fiscales », RFDA 1988350).
Or, l'amende, apparemment fiscale, et non prononcée par une juridiction répressive, ne correspond à aucune des justifications admises par la jurisprudence pour les amendes fiscales :
a) Elle ne permet pas d'assurer le recouvrement d'un impôt ou d'une taxe (finalité reconnue par le Conseil d'Etat, in CE 5 mai 1922, Fontan, p 388, cf art précité) ;
b) Elle ne revêt pas le caractère de réparation civile que la Cour de cassation reconnaît, partiellement, aux amendes fiscales ;
c) Par voie de conséquence, n'étant l'accessoire d'aucune charge fiscale (impôts ou taxes), l'amende en cause est dépourvue de tout fondement. Elle est donc, dans son principe, inconstitutionnelle.
Le non-respect des obligations définies aux alinéas 1 et 2 du même article est étranger au domaine d'intervention d'une quelconque amende fiscale. Comme c'était le cas pour la divulgation de l'impôt payé, dans la décision précitée du Conseil constitutionnel, l'auteur de l'infraction aux règles sur les modalités de paiement d'une somme supérieure à 150 000 F n'agit nullement en contribuable.
De même, il est douteux qu'un agissement en contravention des obligations définies dans l'article critiqué porte un quelconque préjudice au Trésor public.
Quand bien même on admettrait le principe de l'amende, son taux est disproportionné.
2 Le montant de l'amende est disproportionné
Sur le fondement de l'article 8 précité de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, le Conseil constitutionnel censure les cas de disproportion manifeste entre l'infraction et la peine encourue (en ce sens, CC. n° 87-237 du 30 décembre 1987).
Tel serait le cas à propos de l'article 60 decies :
: l'amende ne peut être modulée ou atténuée que par la voie gracieuse, une fois devenue définitive et, par voie de transaction, lorsque la pénalité n'est pas devenue définitive ;
: son montant est fixé à 25 p 100 des sommes non réglées suivant les modalités prescrites. Ce chiffre doit être rapproché des taux beaucoup plus raisonnables que la loi a fixés pour les erreurs ou omissions du tireur (6 p 100 de la somme, art 1840 M du CGI) ou encore pour le non-respect des obligations en matière de paiement par chèques barrés ou par virement bancaire ou postal (5 p 100, art 1840 N sexies du CGI).
3 La procédure applicable est contraire aux règles sur les droits de la défense 31 Sur le principe même de la sanction administrative et sur ses modalités : A supposer que l'amende critiquée ne soit pas fiscale, elle n'est pas non plus juridictionnelle. Elle tomberait donc dans la catégorie des sanctions administratives.
Or, la possibilité de prononcer des sanctions administratives, bien qu'elle ait été reconnue à plusieurs reprises par le Conseil constitutionnel (en ce sens notamment CC. n° 88-248 DC. du 17 janvier 1989), est assortie des conditions précises suivantes : : le rejet de tout caractère automatique de la sanction ;
: la motivation de la mesure de sanction ;
: le même manquement ne peut donner lieu qu'à une seule sanction administrative légale ;
: une sanction pécuniaire ne peut se cumuler avec une sanction pénale.
Le mécanisme proposé contrarie au minimum trois de ces principes : : la sanction revêt un caractère automatique ;
: aucune forme de motivation n'est prévue ;
: le taux de 25 p 100 est manifestement disproportionné comme cela a été démontré précédemment.
32 En outre, on notera que la sanction prononcée serait en contradiction avec les dispositions de la loi du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs.
Enfin, on rappellera qu'en matière de timbre la procédure de redressement contradictoire est inapplicable, de sorte que les droits de la défense ne seraient pas préservés.
En ce qui concerne l'article 60 undecies :
Le principe de non-rétroactivité s'étend à toute sanction ayant le caractère d'une punition même si celle-ci est prononcée par une autorité de nature non judiciaire.
Dès lors, la validation des pièces et documents saisis utilisés pour « l'établissement d'une imposition lorsque l'ordonnance autorisant la visite comporte la motivation prévue au 1 du I ou au 3 du II du présent article » (1er alinéa du paragraphe V) montre que la règle proposée offre moins de garanties que l'ancienne. La motivation requise pour les ordonnances rendues antérieurement au 31 décembre 1989 apparaît, compte tenu de l'interprétation des textes existants, plus stricte que celle fixée par le présent article et donc plus contraignante pour l'administration des impôts. Dès lors qu'offrant moins de garanties aux contribuables, elle permet mieux de les sanctionner, l'effet rétroactif du dispositif quasi pénal est contraire au principe constitutionnel.
En outre la validation ne devrait pas s'étendre aux pénalités, majorations de droits et intérêts de retard ayant le caractère d'une sanction pécuniaire. Or le texte ne veille nullement à ce qu'aucune sanction fiscale de cette nature ne soit prononcée sur le fondement de la validation, en raison de faits antérieurs à la date d'entrée en vigueur de la loi validant les impositions établies à partir des pièces et documents saisis.
Les mêmes observations valent également pour les deuxième et troisième alinéas du paragraphe V de l'article 60 undecies qui valident les impositions lorsque l'ordonnance a illégalement autorisé la visite de tout coffre ou véhicule hors des lieux visités, donc en tout autre lieu même privé, mais qu'une telle visite n'a pas été faite, et lorsque l'ordonnance a illégalement autorisé, en sus de la présence des inspecteurs des impôts, la participation d'agents de collaboration, c'est-à-dire de tout autre agent de l'administration fiscale.
Les mêmes observations valent davantage encore pour le paragraphe VI du même article, puisque les infractions douanières ont traditionnellement un caractère pénal plus marqué que les infractions fiscales, ne serait-ce qu'en raison de l'existence de la procédure des flagrants délits douaniers, ce qui dispense d'ailleurs au second alinéa du paragraphe V de demander la validation des impositions douanières relativement aux visites de véhicules.
Enfin l'alinéa 1 du paragraphe II de cet article dispose qu'en matière de contributions indirectes (art L 38 du livre des procédures fiscales) la saisie peut porter sur des objets et marchandises, sans que la restitution à l'occupant des lieux soit prévue. Or, si « la loi ne doit établir que ces peines strictement et évidemment nécessaires », il est inutile de confisquer définitivement ces objets et marchandises. En outre, « les propriétés étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment », ce qui n'est manifestement pas le cas au présent article.
Pour l'ensemble de ces motifs, il est demandé de déclarer cet article non conforme à la Constitution.
En ce qui concerne l'article 68 bis A :
Cette disposition particulière concerne les compétences d'un comptable public nommé à la Cour des comptes. Elle n'a aucun lien avec la loi de finances.
Il convient donc de l'annuler comme contraire aux articles 39, alinéa 1, et 44, alinéa 1, de la Constitution, ainsi que le Conseil constitutionnel l'a notamment rappelé dans sa décision n° 86-225 DC du 23 janvier 1987.