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Documents et procédures

Cahiers du Conseil constitutionnel n° 13 - janvier 2003

Depuis 1983 les saisines sont publiées au Journal officiel à la suite des décisions du Conseil constitutionnel. Il en va de même depuis 1995, des observations en réponse présentées par le gouvernement.

Il a paru cependant opportun de porter à la connaissance du public, avec l'autorisation de leurs auteurs, certains autres documents de procédure, parmi les plus intéressants.

Ainsi pourra-t-on trouver ci-dessous le mémoire en réplique de plus de 60 députés relatif à la loi d'orientation et de programmation pour la justice.

Décision n° 2002-461 DC du 29 août 2002

Loi d'orientation et de programmation pour la justice

Mémoire en réplique par plus de 60 députés

Paris, le 24 août 2002

Monsieur le Président, mesdames et messieurs les membres du Conseil constitutionnel, nous avons l'honneur de produire les observations suivantes pour faire réponse aux observations du gouvernement sur le recours dirigé contre la loi d'orientation et de programmation pour la justice.

I. Sur le titre II de la loi

S'agissant, en premier lieu, de la compétence du juge de proximité en matière pénale, le gouvernement soutient l'absence d'inconstitutionnalité en arguant du fait que le législateur peut fort bien renvoyer au pouvoir réglementaire la liste des contraventions qui relèveront de ce nouvel ordre de juridiction.

À titre liminaire, on observera que le gouvernement s'est abstenu de répondre sur toute une branche du moyen soulevé par les auteurs de la saisine à cet égard, et particulièrement sur la méconnaissance de l'article 66 C.

Il est frappant, en effet, que le gouvernement s'abstienne de répondre sur la circonstance que ce juge non professionnel pourra prononcer des mesures portant atteinte à la liberté individuelle, et par exemple, en prononçant une peine privative ou restrictive de droits. D'autant plus, comme cela a été montré par ailleurs, que ce juge aura une compétence à l'égard des mineurs.

Il importe de rappeler que la Commission nationale consultative des droits de l'homme a critiqué ce point de la loi dans son avis du 15 juillet 2002.

Les pouvoirs ainsi accordés à ce nouvel ordre de juridiction posent des questions bien différentes de celles qui sont susceptibles d'apparaître pour les litiges en matière civile.

Concernant, ensuite, l'incompétence négative du législateur, on se bornera à relever que les exemples donnés par le gouvernement pour venir à l'appui de son raisonnement ne sont pas pertinents. Force est de constater que la question posée n'est pas celle de la détermination des contraventions, qui relève du domaine réglementaire, mais de la définition de la compétence d'attribution d'un nouvel ordre de juridiction.

À ce titre, l'article 529 du code de procédure pénale est hors sujet puisqu'il vise la procédure de l'amende forfaitaire sans affecter en aucune façon la compétence des juridictions pénales et concerne la procédure applicable devant un même juge.

En l'occurrence, la question est bien différente, dans la mesure où il s'agit de déterminer la compétence rationae materiae d'un nouvel ordre de juridiction compétent en matière pénale.

II. Sur le titre III de la loi

A. S'agissant, en second lieu, de l'article 13 de la loi, le gouvernement prétend que les sanctions éducatives constituent un seuil intermédiaire entre les mesures éducatives et les peines prévues par le code pénal et qu'elles sont nécessaires au sens de l'article 8 de la Déclaration de 1789.

On ne peut que contester cette thèse.

Il est, en effet, admis que l'équilibre de l'ordonnance de 1945 trouve son expression, notamment, dans l'énoncé de catégories bien claires qui permettent à l'autorité judiciaire, face à un acte délinquant, de prononcer soit une mesure éducative soit une peine pouvant aller jusqu'à l'emprisonnement. En créant cette catégorie, ambiguë, de sanctions à l'égard des mineurs âgés d'au moins dix ans, le législateur rompt cet équilibre dont on a vu qu'il a valeur constitutionnelle.

Ainsi, sous le couvert d'une présentation habile, le gouvernement tente de faire entrer dans notre droit positif un mécanisme de répression particulier, destiné aux jeunes mineurs de moins de treize ans, avouant dans ses propres observations qu'il peut aboutir à mettre en cause, d'une manière ou d'une autre, la scolarisation de l'enfant en la désorganisant le cas échéant (cf. p. 14 des observations du gouvernement, § 1).

D'autant plus que la création de cette catégorie hybride de sanction, peut conduire, sous la pression de certaines passions, à l'aggravation de l'échelle de ces sanctions éducatives. Autrement dit, en rompant l'équilibre de l'ordonnance de 1945, le législateur rend possible, de surcroît, la mise en oeuvre de futurs dispositifs qui viendraient aggraver le mécanisme présentement critiqué et ruiner les principes du droit et de la procédure pénale applicable aux mineurs.

B. Concernant, en troisième lieu, la durée de la retenue des mineurs de 10 à 13 ans telle qu'allongée par l'article 16 de la loi, force est d'admettre que le gouvernement ne démontre en rien la nécessité de cette aggravation d'une telle mesure privative de liberté.

Or, ainsi qu'il a été dit, votre jurisprudence a fixé une limite haute à dix heures qui est ici méconnue sans aucune justification sérieuse.

Pour mémoire, on rappellera que la circulaire d'application de la Chancellerie prise sur ce point notait qu'une telle mesure ne pouvait être prise qu'en cas d'absolue nécessité pour une durée limitée au maximum. Cette durée de dix heures est donc bien un plafond que vous avez encadré en application des règles constitutionnelles applicables à cet égard.

D'ailleurs, la volonté véritable du gouvernement se masque à peine dès lors qu'il établit un parallèle avec la durée maximale de garde à vue de droit commun applicable aux mineurs âgés d'au moins treize ans (cf. observations du gouvernement, p. 5, § 3). Ce à quoi il faut ajouter que le doublement de la durée initiale de cette mesure de retenue, si les conditions en sont certes réunies, aboutira précisément à cette durée de 24 heures. Le dessein du gouvernement est donc transparent.

C. En quatrième lieu, en ce qui concerne les articles 17 et 22 de la loi, et particulièrement l'instauration des centres éducatifs fermés, il faut bien avouer que les observations du gouvernement ne clarifient aucune des questions constitutionnelles posées par un mécanisme qui, de l'avis général, souffre d'approximation et pour tout dire de flou. Défauts qui ne peuvent être admis en matière de garanties des droits et singulièrement quand il s'agit de ceux des mineurs.

L'essentiel de la réponse du gouvernement tient donc à ce que ces centres éducatifs fermés ne seront pas fermés !

Certes, il est ajouté que la fermeture dont s'agit est juridique et non physique. Le gouvernement indique donc que « le caractère fermé de ces centres résulte ainsi de l'obligation, intrinsèque, à ce type de placement, d'avoir à en respecter les règles de fonctionnement [ ]. La mesure de placement emporte une restriction juridique des droits du mineur » (cf. observations, p. 17).

La défense du gouvernement est embarrassée dès lors qu'il entend donner une portée normative à la création de ces centres fermés afin de les distinguer des centres déjà en fonctions sans toutefois méconnaître les exigences constitutionnelles qui s'imposent en la matière.

Mais en voulant naviguer entre ces deux écueils, d'inégales importances, il s'échoue sur la protection des droits et libertés fondamentaux.

D'une part, toute mesure de placement, qu'il s'agisse des anciennes Unités d'encadrement renforcé ou des Centres d'éducation renforcée, emporte, par principe, une obligation d'en respecter ses règles de fonctionnement. Cet argument est donc sans portée.

D'autre part, il est certain que la privation de la liberté d'aller et venir, qui constitue l'un des caractères de l'emprisonnement, s'analyse en une restriction juridique des droits du mineurs. Le fait qu'il existe des permissions de sorties n'est pas déterminant dès lors que ce droit existe également pour des personnes détenues dans des établissements pénitentiaires afin d'y purger une peine d'emprisonnement.

Ces similitudes avec le monde carcéral n'ont pas échappé à la Commission nationale consultative des droits de l'homme (cf. son avis, préc.).

Au surplus, l'ensemble de garanties dont le gouvernement prétend que le placement dans ces centres est entouré, montre assez bien qu'un séjour dans un tel centre de rétention pour mineur prive celui-ci de sa liberté d'aller en venir dans des proportions telles que l'intervention de l'autorité judiciaire est apparue indispensable selon des formes et des procédures qui font plus que penser à la décision de placement en détention provisoire et, qu'en tout état de cause, la durée maximale de placement a dû être limitée dans le temps.

Si de telles garanties sont indispensables, il demeure qu'elles ne suffisent pas à purger le vice d'inconstitutionnalité.

Plus, elles constituent le faisceau d'indices de ce que ce placement en centre éducatif fermé constitue une alternative déguisée à la détention entendue stricto sensu; une sorte de « rétention judiciaire pour mineur ». L'habileté sémantique ne pourra cependant éviter la rigueur que l'imprécision d'un régime édicté dans le domaine des libertés fondamentales encourt nécessairement.

Là encore, il est certain que le législateur tente de déplacer le curseur de l'équilibre constitutionnellement admissible en matière de droit des mineurs.

Enfin, il apparaît que le gouvernement n'éclaire à aucun moment la signification de l'expression « surveillance et contrôle » qui caractérise à l'évidence le caractère fermé de ces centres. Ainsi, et quoi qu'il en soit, l'incompétence négative est certaine.

Dans ces conditions, et par voie de conséquence, la mesure de contrôle judiciaire visant au placement d'un mineur dans un tel centre fermé ne pourra qu'être jugée, à son tour, inconstitutionnelle ainsi qu'il a été montré dans la saisine.

D. Pour ce qui est, en cinquième lieu, de l'article 19 de la loi et de l'institution d'une procédure nouvelle de jugement à délai rapproché, les observations du gouvernement confirment paradoxalement les griefs articulés par les saisissants.

D'abord, le gouvernement admet que la procédure critiquée est semblable, au moins pour partie, à celle de la comparution immédiate telle qu'applicable aux majeurs utilisant même le mot « similitudes » (cf. observations p. 1, § 5).

Ensuite, et quoi qu'il en soit de la tentative bien vaine de montrer les différences qui rendraient le dispositif constitutionnellement acceptable, force est de constater que l'ensemble du mécanisme ainsi mis en place est calqué sur la comparution immédiate, procédure largement critiquée par ailleurs et notamment au titre de son extension par la présente loi (cf. l'art. 40 de la loi).

Ces procédures de jugement accélérées sont susceptibles de mettre en péril, on le sait, les droits de la défense lorsqu'elles sont appliquées aux majeurs. Ici, en outre, elles menacent la spécificité de la procédure pénale constitutionnellement dérogatoire prévue depuis 1945 pour les mineurs.

On relèvera, à cet égard, que le gouvernement dans ses observations en réponse, ni plus que pendant les travaux parlementaires, n'a justifié qu'il faille déjà en finir avec la procédure de comparution à délai rapproché instituée par la loi n° 96-585 du 16 juillet 1996 et dont le ministre de la justice de l'époque avait souligné, en substance, qu'elle constituait le point au-delà duquel la violation des principes du droit des mineurs serait atteinte.

La présente procédure n'est, en tout état de cause, pas nécessaire.

C'est pourquoi, les différences maintenues entre la procédure de comparution immédiate pour majeurs et la procédure de jugement rapproché pour mineurs sont, nul ne peut s'y tromper, des gages donnés pour tenter d'échapper à la censure. Mais, elles ne peuvent suffire dès lors que le principe est atteint.

III. Sur l'article 38 de la loi

En sixième et dernier lieu, il sera montré que c'est en vain que le gouvernement tente de sauver la disposition instaurant un « référé-détention ».

Il a été amplement démontré dans la saisine que cette procédure ne pouvait bénéficier de votre jurisprudence du 22 avril 1997 relative au " référé-rétention " applicable au titre du droit des étrangers et donc distincte de la procédure pénale ici en cause.

Il importe toutefois de redire qu'il s'agit là d'une question de principe tendant à garantir la présomption d'innocence et la liberté individuelle.

Vous avez souligné avec force « qu'en matière de délits et de crimes, la séparation des autorités chargées de l'action publique et des autorités de jugement concourt à la sauvegarde de la liberté individuelle » (déc. n° 95-360 DC du 2 févr. 1995).

C'est dire que la décision de remise en liberté par un magistrat du siège, après un examen rigoureux du dossier, ne peut être mise en échec, ni pour une heure ni pour deux jours, par la volonté d'un magistrat du parquet.

La censure s'impose donc.


Pour toutes ces raisons, les auteurs de la saisine persistent de plus fort dans leurs précédentes demandes.

Nous vous prions d'agréer, monsieur le Président, mesdames et messieurs les membres du Conseil constitutionnel, l'expression de notre haute considération.