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Décision n° 2009-592 DC du 19 novembre 2009 - Observations du gouvernement

Loi relative à l'orientation et à la formation professionnelle tout au long de la vie
Conformité

Le Conseil constitutionnel a été saisi, par plus de soixante sénateurs, d'un recours dirigé contre la loi relative à l'orientation et à la formation professionnelle tout au long de la vie.

Le recours tend plus particulièrement à obtenir la censure de l'article 53 de la loi, relatif au transfert d'une partie des personnels de l'association pour la formation professionnelle des adultes (AFPA) au sein de Pôle-Emploi.

Ce recours appelle, de la part du Gouvernement, les observations suivantes.

I/ SUR LE GRIEF TIRE DE L'ABSENCE DE JUSTIFICATION DU TRANSFERT

A/ Les auteurs de la saisine estiment que le transfert de personnel envisagé ne se trouve justifié par aucun principe ou aucun texte.

B/ Le Conseil constitutionnel ne pourra suivre cette analyse.

Le transfert prévu par la loi déférée concerne les salariés de l'AFPA qui participent à l'accomplissement des missions d'orientation professionnelle des demandeurs d'emploi vers la formation, soit un peu plus de 900 personnes qui exercent, à l'heure actuelle, les fonctions de psychologue du travail au sein de l'association.

Ce transfert est justifié, en droit, par la nécessité de mettre en conformité le régime juridique de l'orientation professionnelle avec les exigences résultant du droit communautaire.

La Cour de justice des communautés européennes a en effet jugé à plusieurs reprises que l'exercice d'une concurrence non faussée entre opérateurs exerçant leur activité sur un même marché, garanti par le Traité instituant la Communauté européenne, ne peut être assuré que si l'égalité des chances entre ces opérateurs est préservée. Il en résulte qu'un opérateur sur un marché ne peut exercer à la fois des activités de prestation de service et une mission de contrôle ou de prescription de celles-ci : voir en ce sens, notamment CJCE, 19 mars 1991, France c/ Commission, aff. C-202/88, Rec. P. I-1223, a contrario CJCE 27 octobre 1993, Lagauche, aff. C-46/90 et C-93/91, Rec. P. I-5267 et CJCE, 9 novembre 1995, Tranchant, aff. C-91/94, Rec. P. I-3911.

Or, l'exercice de sa mission de conseil en orientation par l'AFPA la conduit à intervenir, en tant que prescripteur, sur un marché où elle est elle-même un intervenant majeur. C'est afin de mettre un terme à cette situation, contestable au regard du droit communautaire, et soulevant les objections mises en évidence par le Conseil de la concurrence dans son avis n°08-A-10 du 18 juin 2008 relatif à une demande présentée par la fédération de la formation professionnelle, que l'article 53 de la loi déférée prévoit de retirer cette mission d'orientation à l'AFPA, qui pourra ainsi poursuivre sa mission d'opérateur de services de formation dans un cadre juridique mieux assuré.

La fonction d'orientation étant indispensable à la qualité du système de prise en charge des demandeurs d'emploi, il convenait d'en assurer la permanence en transférant les personnels en charge de cette dernière au sein d'un organisme public n'intervenant pas en tant qu'acteur sur le marché de la formation.

Le choix de « l'institution mentionnée à l'article L. 5312-1 du code du travail », c'est-à-dire de Pôle-Emploi, s'est imposé pour deux raisons.

D'abord car cet organisme possède, en droit, une compétence d'orientation et de prescription des actions de formation en vertu du 2 ° de cet article, dans sa rédaction issue de la loi n°2008-126 du 13 février 2008, sans exercer lui-même d'action de formation.

Ensuite, car il est apparu rationnel et cohérent de compléter l'ensemble issu de la fusion entre l'agence nationale pour l'emploi et les Assedic par l'apport de personnels spécialisés dans une fonction qui faisait encore défaut, en fait, au nouvel établissement issu de ce rapprochement.

Le premier grief des auteurs de la saisine sera donc écarté.

II/ SUR LE GRIEF TIRE DE L'INCOMPETENCE NEGATIVE DU LEGISLATEUR

A/ Les auteurs de la saisine font valoir que le législateur n'aurait pas épuisé sa compétence, faute d'avoir suffisamment précisé le régime de transfert envisagé par l'article 53 de la loi déférée.

B/ Le Conseil constitutionnel ne pourra faire sienne cette analyse.

L'article 53 comporte en effet l'ensemble des éléments nécessaires au transfert, dans le respect du champ de compétence conféré au législateur par l'article 34 de la Constitution.

1/ Il règle tout d'abord entièrement le sort des contrats individuels de travail concernés, en prévoyant leur transfert de plein droit au plus tard le 1er avril 2010.

Cette mention était nécessaire car, dans le silence de la loi sur ce point, le droit commun du régime de succession des contrats de travail, fixé à l'article L. 1224-1, anciennement article L. 122-12, du code du travail n'aurait pu s'appliquer.

L'application de cet article se trouve en effet subordonnée, en jurisprudence, à l'exigence que le transfert porte sur une « entité économique autonome » (voir en ce sens, par exemple, Cass. Soc. 18 juillet 2000, Société Perrier Vittel France, bull. civ. V, n°285, p. 225 ou CJCE, 11 mars 1997, Süzen, aff. C-13/95, Rec. p. I-1259).

Or, tel n'est pas le cas en l'espèce, puisque la mission d'orientation confiée à l'AFPA n'est pas constituée sous la forme d'une telle entité au sein de cette dernière.

C'est pour cette raison que l'article 53 de la loi déférée prévoit un mécanisme spécial de transfert de plein droit, assorti d'une date butoir.

Il sera observé, au surplus, qu'aucun renvoi au pouvoir réglementaire d'application n'était requis en l'espèce. Il est vrai que l'article L. 1224-4 du code du travail prévoit l'intervention d'un décret en Conseil d'Etat pour préciser les modalités d'application de l'article L. 1224-1. Mais cet article a toujours été interprété par une jurisprudence constante comme étant d'application directe. Pas davantage que le droit commun, le mécanisme particulier prévu à l'article 53 ne nécessitait donc le renvoi au pouvoir réglementaire à l'effet de prévoir ses modalités d'application.

En adoptant l'article 53 de la loi déférée, le législateur a donc pleinement exercé sa compétence en tant qu'elle concerne le régime de succession des contrats de travail.

2/ L'article 53 règle, en second lieu, entièrement le sort que devra connaître, de son côté, la convention collective applicable aux personnels transférés de l'AFPA vers Pôle-Emploi.

Dans le droit commun du code du travail en cas de transfert d'activité, l'article L. 2261-14 prévoit qu'à l'expiration d'un délai de préavis de trois mois après la mise en cause de la convention collective existante, une année de négociations s'engage afin de signer une nouvelle convention, faute de quoi les salariés conservent les avantages individuels acquis en application de l'ancienne convention collective.

L'article 53 prévoit un mécanisme dérogatoire au droit commun, à la fois en termes de délai mais aussi de définition des règles applicables en cas d'absence ou d'échec des négociations, en disposant qu'en cas d'absence d'accord au terme d'un délai de quinze mois la convention en vigueur à Pôle-Emploi sera applicable aux agents transférés.

En procédant ainsi, le législateur a entièrement déterminé le sort de la convention collective applicable aux agents transférés.

Il a en effet prévu un délai réglant la succession des conventions, fixé une obligation de négociation et même prévu les dispositions applicables dans la période transitoire postérieure au 1er avril 2010 en indiquant que demeurerait, alors, applicable la convention collective en vigueur à l'AFPA.

Le législateur a donc totalement exercé sa compétence sans que l'article 53 ne doive, sur ce point non plus, et pas davantage que le droit commun issu de l'article L. 2261-14 du code du travail, être accompagné d'un décret d'application.

Le grief des auteurs de la saisine pourra donc être écarté.

III/ SUR LE GRIEF TIRE DE L'ATTEINTE AUX SITUATIONS CONTRACTUELLES

A/ Les auteurs de la saisine estiment que l'atteinte portée aux contrats en cours ne serait pas justifiée par un motif d'intérêt général suffisant.

B/ Le Gouvernement ne partage pas cette analyse.

Il est exact que l'application de l'article 53 est de nature à modifier la situation des personnels concernés par le transfert.

Mais, d'une part, cette modification se trouve justifiée par des considérations d'intérêt général.

La première, déterminante, a déjà été soulignée plus haut. Elle tient à la nécessité d'adapter le régime de l'orientation professionnelle aux obligations issues du droit communautaire, telles que les a énoncées la Cour de justice des communautés européennes et que les a exprimées le Conseil de la concurrence.

Il faut aussi mentionner une seconde raison, plus factuelle, qui tient à la nécessité de ne pas multiplier, dans un organisme en phase de constitution par fusion, les statuts particuliers que les différentes catégories de personnels pourraient tirer de leurs anciennes fonctions. Les agents transférés de l'AFPA vont en effet intégrer une institution elle-même nouvelle employant, jusqu'à la signature de la nouvelle convention collective de Pôle-Emploi actuellement en cours de négociation, des salariés de droit privé et des agents publics contractuels déjà titulaires d'un droit d'option. Prévoir une possibilité de maintien à terme, pour une partie du personnel, d'un troisième statut collectif présenterait des difficultés réelles et des risques de tension au sein de l'établissement que l'article 53 a précisément pour objet de prévenir.

Il sera observé, d'autre part, qu'aucun agent transféré en provenance de l'AFPA ne verra sa situation individuelle amoindrie à l'occasion du transfert. Le document d'orientation, signé par les deux directeurs généraux de l'AFPA et de Pôle-Emploi, qui servira de toile de fond pour déterminer les éventuelles adaptations à la convention collective en cours de négociation à Pôle-Emploi, prévoit en effet, notamment, le maintien de la rémunération annuelle, de l'ancienneté, des conditions d'indemnisation en cas de mobilité géographique et du droit individuel à la formation des agents transférés. Dans les faits, aucune atteinte ne sera donc portée aux situations contractuelles des agents transférés.

Le grief articulé par les auteurs de la saisine pourra donc être écarté.

Pour ces raisons, le Gouvernement est d'avis que les griefs articulés dans la saisine ne sont pas de nature à conduire à la censure de la loi déférée, et notamment pas à celle de son article 53.

Aussi estime-t-il que le Conseil constitutionnel devra rejeter le recours dont il est saisi.