Décision n° 2022-1008 QPC du 5 août 2022
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 9 juin 2022 par la Cour de cassation (chambre commerciale, arrêt n° 484 du même jour), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée par M. Frédéric B. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2022-1008 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article L. 812-8 du code de commerce.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- le code de commerce ;
- la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations en intervention présentées pour le Conseil national des barreaux par la SCP Piwnica et Molinié, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées le 16 juin 2022 ;
- les observations présentées par la Première ministre, enregistrées le 24 juin 2022 ;
- les secondes observations en intervention présentées pour le Conseil national des barreaux par la SCP Piwnica et Molinié, enregistrées le 8 juillet 2022 ;
- les secondes observations présentées par le requérant, enregistrées le 11 juillet 2022 ;
- les autres pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me François Molinié, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour le Conseil national des barreaux, et M. Antoine Pavageau, désigné par la Première ministre, à l'audience publique du 26 juillet 2022 ;
Au vu de la note en délibéré présentée par la Première ministre, enregistrée le 26 juillet 2022 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. La question prioritaire de constitutionnalité doit être considérée comme portant sur les dispositions applicables au litige à l'occasion duquel elle a été posée. Dès lors, le Conseil constitutionnel est saisi de l'article L. 812-8 du code de commerce dans sa rédaction résultant de la loi du 18 novembre 2016 mentionnée ci-dessus.
2. L'article L. 812-8 du code de commerce, dans cette rédaction, prévoit : « La qualité de mandataire judiciaire inscrit sur la liste est incompatible avec l'exercice de toute autre profession.
« Elle est, par ailleurs, incompatible avec :
« 1 ° Toutes les activités à caractère commercial, qu'elles soient exercées directement ou par personne interposée ;
« 2 ° La qualité d'associé dans une société en nom collectif, d'associé commandité dans une société en commandite simple ou par actions, de gérant d'une société à responsabilité limitée, de président du conseil d'administration, membre du directoire, directeur général ou directeur général délégué d'une société anonyme, de président ou de dirigeant d'une société par actions simplifiée, de membre du conseil de surveillance ou d'administrateur d'une société commerciale, de gérant d'une société civile, à moins que ces sociétés n'aient pour objet l'exercice de la profession de mandataire judiciaire ou d'une profession prévue au titre IV bis de la loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990 précitée ou l'acquisition de locaux pour cet exercice. Un mandataire peut en outre exercer les fonctions de gérant d'une société civile dont l'objet exclusif est la gestion d'intérêts à caractère familial.
« La qualité de mandataire judiciaire inscrit sur la liste ne fait pas obstacle à l'exercice d'une activité de consultation dans les matières relevant de la qualification de l'intéressé, ni à des activités rémunérées d'enseignement, ni à l'accomplissement des mandats de mandataire ad hoc, de conciliateur et de mandataire à l'exécution de l'accord prévus aux articles L. 611-3, L. 611-6 et L. 611-8 du présent code et par l'article L. 351-4 du code rural et de la pêche maritime, de commissaire à l'exécution du plan ou de liquidateur amiable des biens d'une personne physique ou morale, d'expert judiciaire, de séquestre judiciaire et d'administrateur en application des articles L. 612-34, L. 612-34-1 ou L. 613-51-1 du code monétaire et financier. Elle ne fait pas non plus obstacle à l'accomplissement de mandats de liquidateur nommé en application des articles L. 5122-25 à L. 5122-30 du code des transports ou à l'exercice de missions pour le compte de l'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués. Sans préjudice de l'article L. 663-2 du présent code, les mandats de liquidateur amiable, de liquidateur en application du code des transports, d'expert judiciaire et de séquestre amiable ou judiciaire ne peuvent être acceptés concomitamment ou subséquemment à une mesure de prévention ou à une procédure collective dans laquelle le mandataire judiciaire a été désigné. Ces activités et ces mandats, à l'exception des mandats de mandataire ad hoc, de conciliateur, de mandataire à l'exécution de l'accord, de commissaire à l'exécution du plan et d'administrateur nommé en application des articles L. 612-34, L. 612-34-1 ou L. 613-51-1 du code monétaire et financier, ne peuvent être exercés qu'à titre accessoire. La même personne ne peut exercer successivement les fonctions de conciliateur et de mandataire judiciaire avant l'expiration d'un délai d'un an à moins qu'elle ait été chargée, dans le cadre de la conciliation, de la mission d'organiser une cession partielle ou totale de l'entreprise. Le tribunal peut, en outre, lors de l'ouverture de la procédure de sauvegarde ou de redressement judiciaire et après avoir recueilli l'avis du ministère public, déroger à cette incompatibilité si celle-ci n'apparaît pas faire obstacle à l'exercice, par le mandataire judiciaire, de la mission prévue par le premier alinéa de l'article L. 622-20.
« Les conditions du présent article sont, à l'exception du quatrième alinéa, applicables aux personnes morales inscrites ».
3. Le requérant reproche à ces dispositions d'interdire aux mandataires judiciaires l'exercice de la profession d'avocat, alors que les règles d'incompatibilité applicables aux administrateurs judiciaires autorisent ces derniers à exercer cette profession. Elles institueraient ainsi une différence de traitement injustifiée entre les mandataires judiciaires et les administrateurs judiciaires dès lors que leurs conditions d'exercice et d'organisation seraient, selon lui, similaires. Elles porteraient en outre une atteinte disproportionnée à la liberté d'entreprendre, au motif que d'autres mesures moins restrictives permettraient de lutter contre les risques de conflits d'intérêt.
4. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur le premier alinéa de l'article L. 812-8 du code de commerce.
5. Aux termes de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ». Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.
6. Les dispositions contestées de l'article L. 812-8 du code de commerce prévoient que la qualité de mandataire judiciaire inscrit sur la liste nationale établie à cet effet est incompatible avec l'exercice de toute autre profession. Il en résulte que les mandataires judiciaires ne peuvent exercer la profession d'avocat, à la différence des administrateurs judiciaires qui, en vertu de l'article L. 811-10 du même code, ne peuvent exercer aucune autre profession à l'exception de celle d'avocat.
7. En application de l'article L. 812-1 du même code, les mandataires judiciaires sont chargés de représenter les créanciers du débiteur en difficulté ou d'intervenir en qualité de liquidateur dans le cadre des procédures collectives. Une telle profession est distincte de celle d'administrateur judiciaire chargée, en application de l'article L. 811-1 du même code, d'administrer les biens d'autrui ou d'exercer des fonctions d'assistance ou de surveillance dans leur gestion et qui représente, à ce titre, les intérêts du débiteur dans le cadre d'une procédure collective.
8. Ainsi, au regard de l'objet de la loi, qui est de définir le régime d'incompatibilités d'une profession pour assurer son indépendance, l'entière disponibilité du professionnel et prévenir les conflits d'intérêts, le législateur a pu prévoir pour les mandataires judiciaires des règles différentes de celles applicables aux administrateurs judiciaires.
9. Dès lors, la différence de traitement résultant des dispositions contestées, qui est fondée sur une différence de situation, est en rapport avec l'objet de la loi.
10. Le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant la loi doit donc être écarté.
11. Par conséquent, les dispositions contestées, qui ne méconnaissent pas non plus la liberté d'entreprendre ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - Le premier alinéa de l'article L. 812-8 du code de commerce, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle, est conforme à la Constitution.
Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 4 août 2022, où siégeaient : M. Alain JUPPÉ exerçant les fonctions de Président, Mmes Jacqueline GOURAULT, Corinne LUQUIENS, Véronique MALBEC, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET, Michel PINAULT et François SÉNERS.
Rendu public le 5 août 2022.
JORF n°0181 du 6 août 2022, texte n° 96
ECLI : FR : CC : 2022 : 2022.1008.QPC
Les abstracts
- 5. ÉGALITÉ
- 5.1. ÉGALITÉ DEVANT LA LOI
- 5.1.4. Respect du principe d'égalité : différence de traitement justifiée par une différence de situation
5.1.4.28. Professions réglementées
Les dispositions contestées de l'article L. 812-8 du code de commerce prévoient que la qualité de mandataire judiciaire inscrit sur la liste nationale établie à cet effet est incompatible avec l'exercice de toute autre profession. Il en résulte que les mandataires judiciaires ne peuvent exercer la profession d'avocat, à la différence des administrateurs judiciaires qui, en vertu de l'article L. 811-10 du même code, ne peuvent exercer aucune autre profession à l'exception de celle d'avocat.
En application de l'article L. 812-1 du même code, les mandataires judiciaires sont chargés de représenter les créanciers du débiteur en difficulté ou d'intervenir en qualité de liquidateur dans le cadre des procédures collectives. Une telle profession est distincte de celle d'administrateur judiciaire chargée, en application de l'article L. 811-1 du même code, d'administrer les biens d'autrui ou d'exercer des fonctions d'assistance ou de surveillance dans leur gestion et qui représente, à ce titre, les intérêts du débiteur dans le cadre d'une procédure collective.
Ainsi, au regard de l'objet de la loi, qui est de définir le régime d'incompatibilités d'une profession pour assurer son indépendance, l'entière disponibilité du professionnel et prévenir les conflits d'intérêts, le législateur a pu prévoir pour les mandataires judiciaires des règles différentes de celles applicables aux administrateurs judiciaires.
Dès lors, la différence de traitement résultant des dispositions contestées, qui est fondée sur une différence de situation, est en rapport avec l'objet de la loi. Le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant la loi doit donc être écarté.
- 11. CONSEIL CONSTITUTIONNEL ET CONTENTIEUX DES NORMES
- 11.6. QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITÉ
- 11.6.3. Procédure applicable devant le Conseil constitutionnel
- 11.6.3.5. Détermination de la disposition soumise au Conseil constitutionnel
11.6.3.5.1. Délimitation plus étroite de la disposition législative soumise au Conseil constitutionnel
Le Conseil constitutionnel juge que la question prioritaire de constitutionnalité porte sur un champ plus restreint que la disposition renvoyée.
- 11. CONSEIL CONSTITUTIONNEL ET CONTENTIEUX DES NORMES
- 11.6. QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITÉ
- 11.6.3. Procédure applicable devant le Conseil constitutionnel
- 11.6.3.5. Détermination de la disposition soumise au Conseil constitutionnel
11.6.3.5.2. Détermination de la version de la disposition législative soumise au Conseil constitutionnel
La question prioritaire de constitutionnalité doit être considérée comme portant sur les dispositions applicables au litige à l'occasion duquel elle a été posée. La rédaction de la disposition renvoyée n'ayant pas été déterminée, le Conseil constitutionnel y procède en déterminant la rédaction applicable au litige.