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Conseil constitutionnel et jurisprudence de la CEDH

Hélène SURREL - Professeur, Sciences Po Lyon IDEDH, EA 3976

I - LES DROITS PROCÉDURAUX

La décision 2015-525 QPC, du 2 mars 2016, Société civile immobilière PB 12, apporte une confirmation éclatante de la convergence des jurisprudences européenne et constitutionnelle relatives aux lois de validation. En l'absence de « motif impérieux d'intérêt général », formule empruntée à la Cour européenne depuis la décision QPC Selarl PJA(1), le Conseil juge ici contraire à l'article 16 de la Déclaration la validation rétroactive, par le paragraphe III de l'article 32 de la loi n° 2014-1655 du 29 décembre 2014, de l'impossibilité pour le contribuable de se prévaloir, aux fins de remettre en cause l'évaluation de la valeur locative d'un local -- commercial ou à usage d'habitation ou professionnel --, du motif d'irrégularité tiré de ce que le terme de comparaison utilisé pour fonder l'évaluation a été détruit ou a changé de consistance, d'affectation ou de caractéristiques physiques, y compris pour les impositions postérieures au 1er janvier 2015, dès lors que cette évaluation a été réalisée avant cette date. Visant à « éviter le développement d'un contentieux de masse », l'atteinte litigieuse n'est, en effet, pas justifiée par un « motif impérieux d'intérêt général ». D'une part, il n'est pas établi que, du fait de la décision SociétéIshtar(2) -- par laquelle le Conseil d'État a jugé que, pour l'application de la méthode d'évaluation de la valeur locative des locaux commerciaux prévue au 2 ° de l'article 1498 du code général des impôts (CGI), « un local-type qui, depuis son inscription régulière au procès-verbal des opérations de révision foncière d'une commune, a été entièrement restructuré ou a été détruit ne peut plus servir de terme de comparaison, pour évaluer (...) la valeur locative d'un bien soumis à la taxe foncière au 1er janvier d'une année postérieure à sa restructuration ou à sa disparition » --, le nombre de contestations « s'accroisse dans des conditions de nature à »perturber l'activité de l'administration fiscale et de la juridiction administrative" (cons. 8)(3). D'autre part, l'existence d'un risque financier, qui ne suffit d'ailleurs pas à rendre compatible une loi de validation avec la Convention(4), pour l'État et les collectivités territoriales affectataires des impositions assises sur la valeur locative des propriétés bâties n'est pas non plus établie puisque l'utilisation d'un terme de comparaison inapproprié ne conduit pas à la décharge de l'impôt assis sur cette valeur locative, une autre méthode d'évaluation étant alors appliquée. Dans cette perspective, l'issue d'une contestation de la valeur locative d'un local visé à l'article 1496 ou à l'article 1498 du CGI, fondée sur le caractère inapproprié du terme de comparaison utilisé par l'administration, est « incertaine quant au montant de la cotisation d'impôt fixée finalement » (cons. 9).

Dans la décision n° 2015-504/505 QPC, Mme Nicole B. veuve B et a., du 4 décembre 2015, les requérants alléguaient une méconnaissance de la garantie des droits. À la suite de la décision n° 2010-93 QPC, Comité Harkis et Vérité, du 4 février 2011, censurant la condition de nationalité, indissociable du statut des intéressés, tous les membres des forces supplétives pouvaient, en effet, prétendre au bénéfice de l'allocation de reconnaissance qu'ils aient été soumis au statut de droit civil de droit commun ou à celui de droit local. Aussi le législateur avait-il rétabli (loi n° 2013-1168 du 18 décembre 2013) comme seule condition pour en bénéficier la soumission au statut civil de droit local avant l'indépendance de l'Algérie. Son objectif était, d'une part, d'empêcher tout « effet d'aubaine » et, d'autre part, de rétablir sa volonté initiale, c'est-à-dire de réserver l'allocation aux seuls supplétifs de statut civil de droit local en raison du préjudice spécifique qu'ils avaient subi. Or, ce nouveau dispositif est applicable aux demandes d'allocation présentées avant son entrée en vigueur qui n'ont pas donné lieu à une décision de justice passée en force de chose jugée. Le grief tiré de la méconnaissance de la garantie des droits ne pouvait cependant prospérer puisque le Conseil n'avait pas été saisi de l'examen du paragraphe II de l'article 52 de la loi du 18 décembre 2013 (cons. 14). Mais la décision n° 2015-522 QPC, du 19 février 2016, Mme Josette B.-M., lui permet, sans surprise, d'en constater l'inconstitutionnalité, au regard de l'article 16 de la DDHC, la volonté du législateur de rétablir un système d'indemnisation correspondant à son intention initiale ne constituant pas un « motif impérieux d'intérêt général » de nature à justifier l'atteinte dénoncée. Alors que les dispositions législatives ouvrant un droit à l'obtention de l'allocation de reconnaissance aux anciens harkis, moghaznis et personnels des formations supplétives ayant servi en Algérie relevant du statut civil de droit commun sont restées en vigueur plus de trente-quatre mois, le dispositif litigieux entraînait, en effet, « l'extinction totale de ce droit, y compris pour les personnes ayant engagé une procédure administrative ou contentieuse en ce sens à la date de (son) entrée en vigueur ». En outre, l'existence d'un « enjeu important pour les finances publiques » n'était pas prouvée (cons. 11). Si la Cour européenne admet, dans certaines circonstances, qu'une loi rétroactive ou une loi de validation soit justifiée par la volonté de rétablir la volonté initiale du législateur et d'éviter un « effet d'aubaine » au profit des intéressés(5), il est permis de penser qu'ici la requérante était titulaire d'une « espérance légitime » de voir concrétiser sa créance fondée sur une base légale inconditionnelle et non contestée (la décision Comité Harkis et Vérité) et, partant, d'un « bien » au sens de l'article 1 du Protocole 1(6). Le Conseil ne manque d'ailleurs pas de relever que les dispositions consacrant un droit à l'allocation étaient restées en vigueur pendant près de trois ans.

Par ailleurs, le juge constitutionnel vérifie, dans la décision n° 2015-515 QPC, M. MarcFrançois-Xavier M.-M., du 14 janvier 2016, si le troisième alinéa du 1 de l'article 150-0 D du CGI, issu de la loi n° 2013-1278 du 29 décembre 2013, en excluant le complément de prix, reçu par le cédant des titres d'une société, du bénéfice de l'abattement pour durée de détention lorsque cet abattement n'a pas été appliqué à la plus-value réalisée lors de la cession, ne porte pas atteinte à des situations légalement acquises et ne remet pas en cause les effets qui pouvaient être légitimement attendus de telles situations, notion dont les affinités avec celle d'« espérance légitime » ont déjà été relevées(7). Mais le grief est écarté. D'une part, il n'est pas porté atteinte à une situation légalement acquise puisqu'est en cause la modification, pour le calcul de l'impôt sur le revenu, des règles d'assiette applicables à des faits générateurs postérieurs à l'entrée en vigueur du dispositif. D'autre part, « la soumission à un taux forfaitaire, au titre de l'impôt sur le revenu, de la plus-value réalisée lors de la cession des titres ne peut être regardée comme ayant fait naître l'attente légitime que le complément de prix y afférent soit soumis aux mêmes règles d'imposition » (cons. 9).

Ces décisions attestent bien d'un contrôle dont la rigueur, qu'il s'agisse d'une loi de validation ou d'une loi rétroactive, fait écho à celle du juge de Strasbourg(8). L'absence de convergence des jurisprudences peut, a contrario, être relevée s'agissant du principe non bisin idem. De nouveau(9) confronté à la constitutionnalité du cumul, pour les mêmes faits, de poursuites pénales pour délit d'initié et de poursuites devant la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers (AMF) pour manquement d'initié au regard des articles 8 et 16 de la DDHC, dans la décision n° 513/514/526 QPC, du 14 janvier 2016, M. Alain D. et a., le Conseil juge le paragraphe III c) et d) de l'article L. 621-15 du code monétaire et financier, dans sa version résultant de la loi n° 2006-1770 du 30 décembre 2006, conforme au principe de nécessité des délits et des peines en raison de la « nature différente » des sanctions en cause, le juge pénal pouvant infliger une peine d'emprisonnement lorsque l'auteur du délit est une personne physique et pouvant, lorsqu'il est une personne morale, prononcer sa dissolution et une amende d'un montant cinq fois supérieur à celle susceptible d'être prononcée par la commission des sanctions de l'AMF (cons. 12). Ce faisant, il confirme une conception du principe non bis in idem moins protectrice que celle de la Cour de Strasbourg, en subordonnant notamment l'interdiction de cumul à la similitude de nature des sanctions encourues (cons. 11).

II - LES DROITS SUBSTANTIELS

Inviolabilité du domicile

Appelé à se prononcer sur la conformité de la possibilité de conférer à l'autorité administrative, via le décret déclarant ou la loi prorogeant l'état d'urgence, le pouvoir d'ordonner des perquisitions « en tout lieu, y compris un domicile, de jour et de nuit » (exception faite de certains lieux) « lorsqu'il existe des raisons sérieuses de penser que ce lieu est fréquenté par une personne dont le comportement constitue une menace pour la sécurité et l'ordre publics » (article 11, § 1, alinéas 1 à 4 et 6 de la loi du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence, dans sa rédaction issue de la loi n° 2015-1501 du 20 novembre 2015), le Conseil juge le régime de ces mesures conforme, sauf en ce qui concerne les « saisies » de données à caractère personnel (décision n° 2016-536 QPC, du 19 février 2016, Ligue des droits de l'homme). Les perquisitions administratives ne portent pas d'atteintes disproportionnées aux droits à l'inviolabilité du domicile et à un recours juridictionnel effectif en raison des garanties prévues. Leur champ d'application est limité aux lieux situés dans la zone couverte par l'état d'urgence, lequel ne peut être déclaré que dans certaines circonstances : un « péril imminent résultant d'atteintes graves à l'ordre public » ou des « événements présentant, par leur nature et leur gravité, le caractère de calamité publique ». La décision, dont le procureur est informé, précise le lieu et le moment de la perquisition. Celle-ci est conduite en présence d'un officier de police judiciaire et ne peut se dérouler qu'en présence de l'occupant ou, à défaut, de son représentant ou de deux témoins, et donne lieu à l'établissement d'un compte rendu communiqué sans délai au procureur de la République. La décision ordonnant une perquisition et les conditions de sa mise en œuvre doivent être justifiées et proportionnées par rapport aux raisons qui l'ont motivée, particulièrement pour une perquisition de nuit qui doit être fondée sur l'urgence ou l'impossibilité de l'effectuer le jour, et le juge administratif exerce a posteriori un contrôle entier sur la mesure, lequel peut conduire à l'engagement de la responsabilité de l'État. En l'absence de garanties, la possibilité pour l'autorité administrative de copier les données informatiques auxquelles elle a accès pendant la perquisition est, en revanche, contraire à l'article 2 de la DDHC. « (A)ssimilable à une saisie », cette mesure et l'exploitation des données en cause ne sont pas autorisées par un juge, y compris lorsque l'occupant du lieu ou le propriétaire des données s'y oppose, et alors même qu'aucune infraction n'est constatée. En outre, des données dépourvues de lien avec la personne ayant fréquenté le lieu où a été ordonnée la perquisition et dont le comportement est en cause peuvent être copiées (cons. 14). L'approche du Conseil fait ici écho à celle de la Cour européenne qui vérifie l'existence de « garanties adéquates et suffisantes contre les abus ». Au regard de l'article 8, une autorisation préalable de la perquisition et de la saisie n'est pas requise mais il faut que l'intéressé ait la possibilité de contester, en fait et en droit, tant la régularité de la décision litigieuse que celle des mesures prises sur son fondement. L'absence d'un mandat de perquisition peut donc être contrecarrée par un contrôle judiciaire ex post facto sur la légalité et la nécessité de la mesure -- d'autant plus nécessaire lorsque la perquisition a une portée générale --, qui doit permettre de fournir à l'intéressé un redressement approprié(10). La Cour vérifie également l'existence d'une réglementation relative à la conservation et à l'éventuelle destruction des copies obtenues(11). Lorsque la saisie porte sur des fichiers informatiques -- dont des documents ayant un caractère personnel -- sans lien avec l'enquête, il revient au juge « de statuer sur leur sort au terme d'un contrôle concret de proportionnalité et d'ordonner, le cas échéant, leur restitution » et non de se limiter à apprécier la régularité du cadre formel de la saisie litigieuse (2 avril 2015, Vinci Construction et a. c/ France, § 79).

Liberté d'expression et de communication

La décision n° 2015-512 QPC, M. Vincent R., du 8 janvier 2016 permet de souligner la prise en compte implicite par le Conseil du standard conventionnel. Était en cause, en l'espèce, la constitutionnalité de l'article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, introduit par la loi n° 90-615 du 13 juillet 1990, dite loi Gayssot -- punissant la contestation des crimes contre l'humanité « tels qu'ils sont définis par l'article 6 du statut du tribunal militaire international annexé à l'accord de Londres du 8 août 1945 et qui ont été commis soit par les membres d'une organisation déclarée criminelle en application de l'article 9 dudit statut, soit par une personne reconnue coupable de tels crimes par une juridiction française ou internationale » --, le requérant estimant qu'il portait atteinte à la liberté d'expression et au principe d'égalité devant la loi pénale.

À l'instar de la Cour (7 décembre 1976, Handyside c/ Royaume-Uni), le Conseil valorise particulièrement la liberté d'expression et de communication « d'autant plus précieuse que son exercice est une condition de la démocratie et l'une des garanties du respect des autres droits et libertés », ce qui commande un contrôle rigoureux, les atteintes qui sont portées à son exercice devant être « nécessaires, adaptées et proportionnées à l'objectif poursuivi » (cons. 5). Pour autant, le législateur peut instituer des incriminations réprimant les abus de l'exercice de la liberté d'expression et de communication portant atteinte à l'ordre public et aux droits des tiers. Ainsi de la disposition litigieuse qui, en réprimant les propos contestant l'existence de faits commis durant la Seconde Guerre mondiale qualifiés de crimes contre l'humanité et sanctionnés comme tels par une juridiction française ou internationale, vise à sanctionner des propos qui « constituent en eux-mêmes une incitation au racisme et à l'antisémitisme » (cons. 7). Toutefois, l'atteinte portée à la liberté garantie par l'article 11 de la DDHC est conforme à la Constitution. Visant « à lutter contre certaines manifestations particulièrement graves d'antisémitisme et de haine raciale », l'article 24 bis ne prohibe que « la négation, implicite ou explicite, ou la minoration outrancière » de certains crimes contre l'humanité ». Ce faisant, il « n'a ni pour objet ni pour effet d'interdire les débats historiques » (cons. 8). Cette approche est pleinement convergente avec celle de la Cour de Strasbourg. L'étendue, conçue de manière très libérale, du droit à la liberté d'expression est, en effet, bornée par le critère de la destruction des valeurs de la société démocratique. Aussi admet-elle non seulement l'existence de restrictions au sens de l'article 10 § 2 de la CEDH(12), mais recourt-elle, dans des situations exceptionnelles, à l'application de la clause de déchéance de l'article 17, en présence d'écrits négationnistes et révisionnistes mais aussi d'incitations à la haine : à propos de la condamnation d'un auteur en raison de la publication d'un ouvrage niant l'organisation de la « solution finale » (déc., 24 juin 2003, n° 65831/01, Garaudy c/ France) ou encore du spectacle d'un humoriste qui est, en fait, un meeting antisémite(13). Le juge européen veille, cependant, à la préservation de la « recherche de la vérité historique (qui) fait partie intégrante de la liberté d'expression »(14). Le débat entre historiens est protégé dès lors qu'il ne constitue pas la négation ou la révision de « faits historiques clairement établis » tel l'Holocauste, la Cour estimant « qu'il ne lui revient pas d'arbitrer (une) question, qui relève d'un débat toujours en cours entre historiens sur le déroulement et l'interprétation des événements » en cause (Gr. Ch., 23 septembre 1998, Lehideux et Isorni c/ France, § 47, encart publicitaire glorifiant l'action du maréchal Pétain durant la Seconde Guerre mondiale). L'arrêt Perinçek c/ Suisse (Gr. Ch., 15 octobre 2015) est topique de son appréhension très libérale et, partant, source de vives controverses. En l'espèce, un homme politique turc avait été condamné pénalement pour avoir refusé la qualification de « génocide » aux événements survenus dans l'Empire ottoman en 1915 et les années suivantes, sans pour autant nier la réalité des massacres et des déportations massives subis par le peuple arménien. Soulignant d'emblée que non seulement elle « n'est pas tenue de dire » si ceux-ci « peuvent être qualifiés de génocide au sens que revêt ce terme en droit international, mais aussi qu'elle est incompétente pour prononcer, dans un sens ou dans l'autre, une conclusion juridique contraignante sur ce point » (§ 102), la Cour estime qu'elle « n'a pas à dire si la criminalisation de la négation de génocides ou d'autres faits historiques peut en principe se justifier » (§ 226). Procédant à la mise en balance entre le droit du requérant et la protection des droits des Arméniens, elle conclut ici à la violation de l'article 10. Les propos litigieux portant sur une « question d'intérêt public » et ne constituant pas, bien que virulents, des appels à la haine, à la violence ou à l'intolérance envers les Arméniens bénéficient d'une protection renforcée. Ils n'avaient pas été tenus dans un contexte « marqué par de fortes tensions ni par des antécédents historiques particuliers en Suisse » et « ne pouvaient être regardés comme ayant attenté à la dignité des membres de la communauté arménienne au point d'appeler une réponse pénale en Suisse », leur criminalisation n'étant d'ailleurs pas requise par une obligation internationale pesant sur l'État défendeur. Aussi les tribunaux internes apparaissaient-ils avoir lourdement condamné l'intéressé « pour avoir exprimé une opinion divergente de celles ayant cours en Suisse » (§ 280). Dans cette perspective, l'arrêt Perinçek permet à la Cour de préciser sa position, indiquant que la criminalisation de la négation de l'Holocauste « ne se justifie pas tant parce qu'il constitue un fait historique clairement établi que parce que, au vu du contexte historique dans les États en question (...), sa négation, même habillée en recherche historique impartiale, traduit invariablement une idéologie antidémocratique et antisémite. La négation de l'Holocauste est donc dangereuse à double titre, surtout dans les États qui ont connu les horreurs nazies et dont on peut estimer qu'ils ont une responsabilité morale particulière : se distancer des atrocités de masse commises par eux ou avec leur complicité, notamment en en prohibant la négation » (§ 243). La position du Conseil, également appelé à se prononcer sur la conformité de l'article 24 bis avec le principe d'égalité devant la loi pénale en ce qu'il ne criminalise pas la négation de tous les crimes contre l'humanité fait en définitive écho à cette approche de la Cour EDH. À ses yeux, d'une part, « la négation de faits qualifiés de crime contre l'humanité par une décision d'une juridiction française ou internationale reconnue par la France se différencie de la négation de faits qualifiés de crime contre l'humanité par une juridiction autre ou par la loi » et, d'autre part, « la négation des crimes contre l'humanité commis durant la Seconde Guerre mondiale, en partie sur le territoire national, a par elle-même une portée raciste et antisémite » (cons. 10). Partant, la différence de traitement litigieuse est en rapport avec l'objet de la loi qui vise à réprimer des actes racistes, antisémites ou xénophobes. La spécificité du négationnisme, discutée par certains au regard de l'article 6 de la DDHC, tient donc aussi à l'histoire de la France.

Liberté de réunion

La décision n° 2016-535 QPC, Ligue des droits de l'homme, du 19 février 2016 permet de souligner l'appréhension convergente de la liberté de réunion par les juridictions européenne et constitutionnelle. Toutes deux mettent l'accent sur le lien étroit qui l'unit à la liberté d'expression, le Conseil évoquant le « droit d'expression collective des idées et des opinions » (cons. 6) tandis que la Cour considère que la « protection des opinions personnelles, assurée par l'article 10, compte parmi les objectifs de la liberté de réunion pacifique telle que la consacre l'article 11 » (26 avril 1991, Ezelin c/ France, § 37). S'agissant d'« un droit fondamental dans une société démocratique et, à l'instar du droit à la liberté d'expression, l'un des fondements de pareille société », « il ne doit pas faire l'objet d'une interprétation restrictive »(15). Son champ d'application est également largement conçu puisque la liberté de réunion « couvre à la fois les réunions privées et les réunions sur la voie publique » ainsi que « les réunions statiques et les défilés publics »(16). Dans le même sens, le Conseil estime ici que le pouvoir de l'autorité administrative d'ordonner, dans le cadre de l'état d'urgence, la fermeture provisoire de lieux de réunion et d'interdire les réunions de nature à provoquer ou à entretenir le désordre, en ce qu'il restreint la liberté de se réunir, peut porter « atteinte au droit d'expression collective des idées et des opinions » garanti par l'article 11 de la Déclaration (cons. 6). Certes, la Cour européenne admet que, pour des raisons d'ordre public et de sécurité nationale, un État puisse « soumettre à autorisation la tenue de réunions et réglementer la libre circulation des personnes à de telles réunions pacifiques ». Mais, en présence d'un préfet, titulaire de vastes prérogatives en matière d'interdiction administrative pour la tenue de réunions ou de manifestations, dans une région soumise à l'état d'urgence, elle se montre, toutefois, particulièrement attentive au respect de certaines garanties, notamment l'exigence de motivation des décisions litigieuses et l'existence d'un contrôle juridictionnel pour éviter d'éventuels abus (Güneri et a. c/ Turquie, 12 juillet 2005, § 77 et § 79). Dans une approche comparable, le Conseil relève que « celles de ces mesures qui présentent un caractère individuel doivent être motivées » et que le « juge administratif est chargé de s'assurer que chacune de ces mesures est adaptée, nécessaire et proportionnée à la finalité qu'elle poursuit » (cons. 7), précisant également, au regard de l'article 16 de la DDHC, qu'un recours peut être formé à l'encontre de la décision du ministre de l'intérieur ou du préfet, « y compris par la voie du référé » (cons. 14). Aussi, l'article 8 de la loi du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence est-il jugé conforme à la Constitution, la conciliation opérée entre la prévention des atteintes à l'ordre public et le respect de ce droit n'étant pas manifestement déséquilibrée.

(1) Cons. const., déc. n° 2013-366 QPC, 14 février 2014, cette chron., cette Revue, juin 2014, p. 164.
(2) 5 février 2014, n° 367995.
(3) La Cour européenne n'est guère convaincue par l'invocation d'un risque, hypothétique au moment de l'adoption de la loi de validation, d'augmentation des recours. Voy., par exemple, 23 juillet 2009, Joubert c/ France, § 61.
(4) Voy. Cour EDH, Gr. Ch., 28 octobre 1999, Zielinski et a. c/ France, § 59 ; F. Sudre (dir.), Les grandsarrêts de la Cour européenne des droits de l'homme (ci-après GACEDH), PUF, 2014, n° 29.
(5) Parmi d'autres, Cour EDH, 27 mai 2004, Ogis-Institut Stanislas et a. c/ France.
(6) Voy., par exemple, Cour EDH, Gr. Ch., 6 octobre 2005, Draon et Maurice c/ France.
(7) Cette chron., cette Revue, octobre 2015, p. 221.
(8) Dans la décision n° 2015-524 QPC, M. Abdel Manane M. K., du 2 mars 2016, le Conseil se montre par ailleurs attentif, comme la CJCE (Gr. Ch., 3 septembre 2008, Kadi et a., aff. C-402/05 P) et la Cour européenne (26 novembre 2013, Al-Dulimi c/ Suisse, renvoi en cours) à l'existence d'un contrôle juridictionnel effectif des mesures de gel des avoirs décidées dans le cadre de la lutte contre le terrorisme.
(9) Cons. const., déc. n° 2014-453/454 QPC et n° 2015-462, 18 mars 2015, M. John L. et a., cette chron., cette Revue, juin 2015, p. 234.
(10) CEDH, 21 février 2008, Ravon et a. c/ France, §§ 28-30, 15 octobre 2013 ; Gutsanovi c/ Bulgarie, §§ 220-226, procédure pénale.
(11) Cour EDH, 14 mars 2013, Bernh Larsen Holding AS et a. c/ Norvège, § 171, copie des données d'un serveur informatique partagé par des sociétés remise à l'administration fiscale. Voy. aussi 2 octobre 2014, Delta Pekarny c/ République tchèque, inspection de l'Autorité de la concurrence.
(12) Par exemple, CEDH, 29 juin 2004, Chauvy et a. c/ France, condamnation pour diffamation publique de l'auteur et de l'éditeur d'un ouvrage évoquant la responsabilité supposée des époux Aubrac dans l'arrestation de Jean Moulin.
(13) CEDH, déc., 20 octobre 2015, n° 25239/13, Dieudonné M'Bala M'Bala c/ France, JCP G, 2015, 1405, note H. Surrel.
(14) Chauvy et a. c/ France, préc., § 49. Voy. GACEDH, op. cit., nos 59 et 60. (15) Cour EDH, Gr. Ch., 15 octobre 2015, Kudrevicius et a. c/ Lituanie, § 91.
(16) Commission EDH, déc. 10 octobre 1979, Rassemblement jurassien et Unité jurassienne c/ Suisse, n° 8191/78, D. et R. 17, p. 93, Interdiction de toute réunion publique sur le territoire d'une commune, même dans des lieux clos, et Cour EDH, 20 février 2003, Djavit An c/ Turquie, § 56. Voy. aussi Occupation d'une église, Cour EDH, 9 avril 2002, Cisse c/ France.