Nos années rue de Montpensier

31 août 2010 Nommée par le Président de l’Assemblée nationale (renommée le 12 février 2013)

7 septembre 2010 Prête serment une première fois devant le Président de la République et une seconde fois le 14 mars 2013

Claire Bazy Malaurie

Claire Bazy Malaurie

©Joël Saget / AFP

« J'utiliserai trois mots qui me paraissent pouvoir rendre compte de la vie au sein de l'institution : diversité, exigence et collégialité. »

Près de douze années au Conseil... au-delà de sa durée exceptionnelle, (tout à fait conforme à la Constitution !) ce mandat m’aura permis de vivre l’implantation de la question prioritaire de constitutionnalité et par suite l’émergence sous forme de juridiction d’une institution certes prestigieuse, mais restée jusque-là hors de portée du citoyen. D’autres feront l’histoire de cette mue intervenue en pratique en 2010. D’autres feront la critique de l’institution, souvent au nom de comparaisons auxquelles manque cependant l’expérience du travail au Conseil. C’est de mon expérience dont je veux témoigner, en réponse à l’invitation à participer à la rédaction de ce rapport d’activité, comme elle est faite à tous les membres dont la fin de mandat approche.

Il n’est évidemment pas besoin ici de souligner l’importance de la mission de protection de la démocratie, des droits fondamentaux et de l’État de droit à laquelle chacun dans cette institution est dévoué. Chaque jour nous apporte la preuve que la vigilance est nécessaire. À ceux qui trouvent que nous n’en faisons jamais assez, il faut rappeler, d’une part, que nous ne faisons que répondre aux questions qui nous sont posées, d’autre part, que les onze ans d’exercice du contrôle a posteriori qui viennent de s’écouler, ajoutés au flux de contrôles a priori qui n’a pas diminué, ont été le temps de nombre d’approfondissements sur le fond et la méthode, de percées dans des champs nouveaux, parfois d’heureuses modifications de jurisprudence.

Pour être plus concrète et répondre à une curiosité parfaitement légitime, j’utiliserai trois mots qui me paraissent pouvoir rendre compte de la vie au sein de l’institution : diversité, exigence et collégialité. Diversité, puisqu’aucun pan du droit n’échappe à l’examen du Conseil. Le droit que l’on appelle constitutionnel s’intéresse à tout : il n’est plus le droit des institutions politiques que, pour la plupart, nous avons pu connaître au cours de nos études. Le droit fiscal nous a sans surprise beaucoup occupés et le droit pénal semble avoir pris la relève ces dernières années en termes de nombre d’interrogations. Le droit public, bien sûr, dans son ensemble, et le droit que l’on appelle « privé » sont aussi au rendez-vous, dans toutes leurs expressions inscrites dans les milliers de pages de nos codes. Exigence, qui tient ici à l’objectif de faire vivre une règle commune respectueuse de chacun, au plus proche des besoins de la vie de la cité. Exigence qui se décline pour les membres par la nécessité de s’approprier les principes et les méthodes de contrôle propres au droit constitutionnel, mais aussi de se familiariser pour chaque dossier avec l’histoire de la règle dont on parle, sa portée et les éventuelles approches et décisions des autres juridictions, qu’elles soient nationales ou européennes. L’énorme travail de veille et d’analyse effectué sur chaque dossier par les personnels et parmi eux par les juristes les plus qualifiés que le Conseil a su attirer est remarquable et surtout indispensable, compte tenu des délais dans lesquels nous devons statuer.

Travailler vite est alors possible, même si l’ampleur des saisines en contrôle a priori, lorsque nous ne disposons, au mieux, que d’un mois, relève du tour de force. Certes, le nombre de pages de nos décisions n’en rend pas compte, mais l’économie du style de rédaction ne doit pas être assimilée à une économie de temps de recherche et d’analyse. Chaque membre, et pas seulement le rapporteur du projet, est destinataire de ce travail de préparation. La curiosité que représente dans notre univers juridique l’absence d’assistant pour chacun d’entre nous, souvent relevée par nos homologues, met en exergue la manière dont fonctionne la collégialité qui est en fait une grande force de l’institution. Chacun est évidemment libre de faire ses propres recherches avec l’aide d’une très riche documentation fournie par des collaborateurs familiers de nos besoins et des analyses très fines fournies par le service juridique. Il est ainsi possible de construire son propre raisonnement, seul dans son bureau ou en utilisant ce moyen exceptionnel d’échange qu’est le couloir du troisième étage où sont les bureaux des membres.

Cette mise en commun des recherches et des analyses dès avant le délibéré, non seulement ne porte pas préjudice à la richesse du débat oral sur le projet de décision lors du délibéré, mais permet au contraire de le concentrer sur la confrontation de nos approches pour conclure sur une décision argumentée qui sera bien souvent consensuelle. Ayant vécu des compositions différentes de notre collège, je dois témoigner de l’intérêt, je peux même dire aujourd’hui de la nécessité, pour le Conseil, de regrouper autour de la table des personnalités ayant des expériences professionnelles diverses consacrées à la chose publique, la res publica de nos ancêtres. Quelle que soit l’origine de leur nomination, et beaucoup sont prêts à vouloir cataloguer les membres en fonction de leur opinion politique au moins supposée, leur caractéristique commune aura été à mes yeux (et pardon si je m’approprie de ce fait la qualité de ceux que je décris) d’être des esprits libres, préoccupés de la réalité de la vie de leurs concitoyens et du meilleur de leur avenir. Alors, oui, les messages qui sont communiqués par nos décisions peuvent leur paraître trop complexes ou trop simplistes, pendant que pour nous, le travail préparatoire peut être ressenti comme aride. Mais personnellement je garderai certainement la nostalgie de toutes ces années d’échanges roboratifs et même de toutes les critiques que j’aurai pu lire ou entendre, quoi que j’aie pu en penser à l’époque !

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Retrouvez l’intervention de Claire Bazy Malaurie dans le reportage « Quand les citoyens saisissent le Conseil constitutionnel - La QPC ».

12 février 2013 Nommée par le Président de la République

14 mars 2013 Prête serment devant le Président de la République

Nicole Maestracci

Nicole Maestracci

©Joël Saget / AFP

« Dans un monde de plus en plus incertain, le rôle des cours constitutionnelles, et singulièrement du Conseil constitutionnel, deviendra à la fois de plus en plus central et de plus en plus contesté.  »

J’ai passé au Conseil constitutionnel neuf années passionnantes dans un contexte où la fragilité de l’État de droit est palpable et rend l’office du juge constitutionnel d’autant plus exigeant. Alors que je m’apprête à quitter le Conseil, je voudrais partager quelques réflexions personnelles. Celles-ci sont nécessairement subjectives, non exhaustives, nécessairement discutables et sans doute marquées par mon expérience de juge judiciaire. Mais elles résultent également de nombreux échanges avec le monde universitaire, avec les autres juridictions suprêmes françaises ainsi qu’avec d’autres cours constitutionnelles, en Europe et ailleurs. À cet égard, le programme de recherche conduit à l’occasion de l’anniversaire des 10 ans de la QPC a permis de mettre en évidence les forces et les faiblesses du système de contrôle constitutionnel français et d’imaginer quelques perspectives d’évolution.

Ce qui frappe d’abord, lorsqu’on arrive au Conseil constitutionnel en 2013, soit trois ans après l’entrée en vigueur de la QPC, c’est de découvrir une institution en transition. On sait que le Conseil constitutionnel, contrairement aux cours constitutionnelles voisines, n’est pas né juridiction. Il n’en a d’ailleurs toujours pas le nom. Il a été conçu en 1958 comme une institution politique destinée à protéger le pouvoir exécutif des ingérences du Parlement. Il n’a commencé réellement à devenir une juridiction qu’avec l’entrée en vigueur de la QPC qui a imposé la plupart des exigences du procès équitable : respect du contradictoire, droits de la défense, large publicité des débats… Malgré cette réforme décisive, le Conseil reste marqué par les conditions de sa naissance de sorte qu’en son sein cohabitent une procédure parfaitement juridictionnelle, celle de la QPC, et une procédure plus fruste, plus secrète et faiblement contradictoire, celle du contrôle des lois avant leur promulgation. Cette coexistence constitue la première difficulté. Certes, il ne s’agit pas ici de porter un jugement sur l’opportunité du maintien d’un contrôle des lois a priori même s’il est utile de rappeler qu’un tel contrôle n’existe dans aucun autre pays. Mais cette double procédure dont l’une seulement respecte les exigences du procès équitable, introduit une certaine confusion sur la nature juridictionnelle du contrôle exercé et ne facilite pas la compréhension de la portée de nos décisions par les non spécialistes. Dans l’hypothèse probable où ces deux procédures continuent à coexister, il est peut-être temps, même si les conditions de notre saisine immédiatement après le vote de la loi rendent cet exercice difficile, de réfléchir à des règles qui garantissent mieux le respect du contradictoire et la publicité des débats.

La deuxième difficulté est liée à la composition du Conseil qui continue à faire l’objet de critiques récurrentes. On passera rapidement sur la qualité de membre de droit des anciens présidents de la République. Dans une institution qui devient une juridiction, une telle participation ne peut plus être comprise. La suppression de celle-ci fait aujourd’hui l’objet d’un consensus et il n’est pas douteux qu’elle deviendra effective à l’occasion de la prochaine réforme de la Constitution. La question des critères selon lesquels les neuf membres sont désignés est plus complexe. La Constitution se borne à préciser la procédure de nomination sans définir aucune exigence en termes de formation ou d’expérience. Et la réforme constitutionnelle de 2008, qui soumet les propositions de nomination à un éventuel veto parlementaire, n’a pas fait taire les critiques. Celles-ci portent essentiellement sur l’absence d’exigence d’une formation juridique et sur le profil plus politique que juridique de certains membres. La réponse à ces critiques est particulièrement délicate. Il est certain que la procédure de nomination des membres porte encore la marque d’une institution qui n’est pas encore tout à fait devenue une juridiction. Mais l’examen des systèmes de nomination en vigueur dans d’autres cours suprêmes montre surtout qu’il n’existe pas de système idéal. Sous des formes diverses, les pouvoirs exécutifs et législatifs interviennent dans le processus de nomination de manière la plupart du temps décisive. Nulle part, les nominations ne sont exemptes de considérations politiques. En revanche, la plupart des pays exigent une expérience juridique d’une certaine durée. En France, une telle condition n’existe pas, même si elle est majoritairement remplie dans les faits. Mais, si elle existait, suffirait-elle à renforcer la légitimité du Conseil ? Ce n’est pas certain. Il ne suffit pas en effet d’être un excellent juriste pour être un bon juge. Certes, un juge doit avoir une bonne connaissance et compréhension du raisonnement juridique. Il doit savoir se défaire de ses convictions personnelles et préjugés lorsqu’il entre dans la salle des délibérés.

Mais il doit aussi et surtout avoir une bonne compréhension du monde dans lequel il exerce son office. Il doit comprendre la complexité des comportements humains individuels et collectifs et s’intéresser aux enjeux humains, économiques et sociaux de ses décisions. Il faut enfin qu’il voie plus loin que la question qui lui est posée afin de mesurer les effets de ses décisions sur des litiges futurs. En considération de ces exigences, la diversité des profils est une garantie. À la condition de partager un socle commun de culture juridique, une telle diversité pourrait même être plus large et plus clairement revendiquée en intégrant notamment des exigences de parité entre les hommes et les femmes, ou entre différentes origines professionnelles. Mais une telle évolution ne renforcerait la légitimité du Conseil que si elle s’accompagnait d’une certaine transparence, c’est-à-dire d’une explicitation par les autorités de nomination des critères qui les ont conduites à telle ou telle désignation. Une telle transparence permettrait de lever certaines des incompréhensions, voire suspicions, qui entourent, à tort ou à raison, le processus de nomination. Elle permettrait également de mettre en évidence une conception partagée des qualités attendues d’un juge constitutionnel.

La troisième difficulté est celle de notre modèle de contrôle qui est resté abstrait, même pour l’examen des QPC, dans un contexte où les litiges sont concrets, faits de chair et de sang, de passions humaines ou de conflits économiques et sociaux. Certes, un contrôle abstrait était justifié pour le contrôle a priori de lois qui n’avaient pas encore eu l’occasion d’être appliquées. Mais dès lors que le Conseil est saisi du droit vivant, il examine des lois qui sont critiquées non seulement en raison de leurs défauts intrinsèques mais aussi en raison des modalités pratiques de leur mise en œuvre et des conséquences concrètes néfastes qu’elles peuvent entraîner pour les personnes concernées.

On observe ainsi que depuis 2010, audience après audience, la vie concrète s’invite progressivement dans le débat constitutionnel. Cette évolution a été encouragée par l’existence d’audiences contradictoires auxquelles assistent souvent non seulement le ou les justiciables qui ont posé la question mais aussi les intervenants et personnes morales diverses qui ont intérêt au changement de la loi ou au contraire à son maintien. Ces audiences sont en outre filmées et diffusées en temps réel et, de ce point de vue, le Conseil constitutionnel s’est montré plutôt pionnier. En visionnant certaines audiences, on observe d’ailleurs que les conséquences concrètes de la disposition occupent l’essentiel des plaidoiries et des débats. Le juge constitutionnel cherche par ailleurs pour chaque QPC à connaître le contexte de la loi critiquée. Il prend connaissance des chiffres, des rapports de recherche, des rapports parlementaires ou administratifs. Il veille à ce que ses décisions soient compatibles avec celles de la Cour européenne des droits de l’Homme qui exerce, quant à elle, un contrôle concret. Et cette concrétisation est encore plus évidente lorsqu’il s’agit de statuer sur les effets dans le temps d’une éventuelle censure. L’ensemble de ces éléments influencent nécessairement la décision du juge constitutionnel. C’est la part du raisonnement du juge qui n’est pas réductible au droit.

Certes, il ne s’agit pas de remplacer le contrôle abstrait par un contrôle concret. C’est l’office des juridictions judiciaires et administratives. Il s’agit plutôt de tenir compte plus explicitement des éléments concrets du débat juridictionnel dans nos décisions. Dans cette perspective, j’évoquerais deux pistes d’évolution. Une première piste serait d’enrichir les débats contradictoires à l’audience en invitant des « amicus curiae », sachant ou experts à s’exprimer sur certains sujets très controversés ou sur lesquels les juges ne s’estimeraient pas suffisamment éclairés. Les débats qui permettraient aux juges et aux parties de poser publiquement des questions prendraient ainsi une nouvelle dimension. Une telle procédure relativement lourde, en raison de ce qu’elle implique comme concertation avec les parties dans un délai très court, pourrait être limitée aux QPC dont les enjeux sont particulièrement importants. La seconde piste viserait à introduire au début de chaque décision un paragraphe énumérant les éléments concrets (rapports, recherches, statistiques, éléments de droit comparé) sur lesquels le Conseil s’est appuyé pour élaborer sa décision. Je ne sous-estime pas les difficultés entraînées par une telle proposition dès lors que le choix a été fait en 2010 de calquer la procédure d’examen des QPC sur celle relative au contrôle a priori, et donc de conserver un contrôle totalement abstrait. On aurait pu faire un autre choix et introduire, compte tenu de la nature de la QPC, une certaine dose de concrétisation. L’évolution de ces dix dernières années montre qu’une telle évolution se produira inéluctablement. En effet, les justiciables et plus largement les citoyens sont de plus en plus exigeants à l’égard de la motivation des décisions des juges. Ils veulent savoir sur quels éléments ceux-ci se sont fondés pour juger ce qu’ils ont jugé et cette demande, même si elle heurte notre tradition de motivation brève et abstraite, est légitime. Pour y répondre, il serait justifié que tous les éléments qui influencent nos décisions, même ceux qui ne sont pas réductibles au droit, ne restent pas totalement absents de nos motivations.

Je voudrais évoquer en dernier lieu la difficulté pour un public non spécialiste de comprendre les enjeux du débat constitutionnel, dans un contexte où l’état du droit applicable est devenu d’une complexité redoutable. Le secret du délibéré associé à notre tradition de rédaction brève ne permet pas de rendre compte des différents points de vue en présence. Or, c’est en mettant en scène la confrontation des points de vue et en les assortissant éventuellement d’exemples concrets qu’on parvient à faire comprendre ce qui a été tranché par la décision. C’est une des raisons pour laquelle j’ai toujours été favorable à la possibilité d’exprimer des opinions séparées, qu’elles soient divergentes, ou convergentes. Je connais les arguments contraires qui ne sont pas à balayer d’un revers de main mais qui me paraissent plus convaincants pour le contrôle a priori que pour la QPC. À l’issue de ces neuf années, je suis convaincue que les avantages l’emportent sur les inconvénients. Seule la publication de points de vue séparés permet de comprendre quels sont les arguments en présence, quels sont les enjeux et quelle est la portée de la décision. Le commentaire rédigé et publié par le secrétariat général ne peut remplir cet office car par construction, il ne peut rendre compte des termes de la discussion. La publication d’opinions séparées n’oblige pas à dévoiler la répartition des votes même si personnellement je n’y serais pas opposée. Et je ne vois pas en quoi elle porterait atteinte à l’indépendance des juges. Il me semble au contraire qu’une telle réforme renforcerait de manière significative leur légitimité au lieu de l’affaiblir. Elle permettrait en effet de mieux comprendre les termes et enjeux du délibéré tout en conservant à la décision sa pureté juridique. Elle permettrait de rendre visibles la multiplicité des sources, l’enchevêtrement de normes, de précédents jurisprudentiels, de contraintes techniques, de compréhension du réel, d’émotions devant les histoires singulières ou collectives et de souci d’équité qui font la décision du juge. Elle contribuerait à rendre le débat juridictionnel vivant et compréhensible y compris pour un public non juriste, c’est-à-dire pour tous les citoyens qui au cours de leur vie ont ou auront besoin de la protection des droits fondamentaux pour eux-mêmes ou pour d’autres dont ils se préoccupent à quelque titre que ce soit.

Le Conseil constitutionnel exerce un contrôle qui ne peut s’analyser que sur le temps long. Neuf ans est un temps court à l’échelle de ce temps. Les évolutions que je viens d’évoquer, dont certaines me paraissent inéluctables, ne peuvent donc être que lentes. Ainsi, si la juridictionnalisation du Conseil progresse inexorablement, elle n’est pas totalement achevée. Certains éléments que je pense non négociables freinent les évolutions. C’est le cas par exemple des délais de jugement extraordinairement courts qui n’existent nulle part ailleurs. Ces délais rendent difficiles une instruction et des débats suffisamment approfondis malgré l’exceptionnelle qualité du service juridique qui nous assiste. Mais dans un contexte où la justice est traditionnellement jugée trop lente, les délais courts sont plébiscités sans que leurs inconvénients aient d’ailleurs été sérieusement discutés. D’autres évolutions pourraient être plus facilement envisagées, notamment le recrutement de juristes en plus grand nombre permettant d’affecter à chaque membre au moins un, voire plusieurs assistants, comme il en existe dans toutes les cours constitutionnelles comparables.

Si j’ai voulu partager ces réflexions, c’est parce que je suis consciente que dans un monde de plus en plus incertain, le rôle des cours constitutionnelles, et singulièrement du Conseil constitutionnel, deviendra à la fois de plus en plus central et de plus en plus contesté. Il est donc essentiel de renforcer encore sa légitimité auprès d’un public large et je suis convaincue que celle-ci passe notamment par l’accélération, voire l’achèvement, de la transition en cours qui devrait rendre indiscutable la transformation du Conseil en une véritable juridiction.

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Retrouvez l’intervention de Nicole Maestracci lors du séminaire d’échange sur les rapports des chercheurs dans le cadre de la démarche QPC 2020.

25 octobre 2017 Nommée par le Président du Sénat

6 novembre 2017 Prête serment devant le Président de la République

Dominique Lottin

Dominique Lottin

©Joël Saget / AFP

« Ce mandat de quatre ans et demi aura été d’une particulière densité et d’une grande richesse. »

Au mois de mars 2022, nous serons trois femmes à quitter le Conseil constitutionnel. Mon mandat aura été plus court que celui de mes collègues et amies, Claire Bazy Malaurie et Nicole Maestracci, puisque je remplaçais l’éminente juriste, Nicole Belloubet, nommée garde des Sceaux quelques mois plus tôt. Ce mandat de quatre ans et demi aura été d’une particulière densité et d’une grande richesse.

Rue Montpensier, je ne porte plus ni la robe noire, ni la robe rouge du magistrat que j’ai été pendant plus de trente-cinq ans. Pour autant, je m’emploie à apporter au Conseil l’approche pragmatique et humaine du juge et à accompagner sa judiciarisation progressive. En outre, même si le défi est difficile à relever, je m’efforce de donner à mes collègues un regard plus juste sur l’institution judiciaire, ses modes de fonctionnement et ses contraintes. Mais pour devenir « un Sage », expression couramment utilisée mais peu en phase avec les évolutions de ces dernières années, j’ai dû parfaire mes connaissances en droits constitutionnel et administratif et, pour assurer une « conciliation équilibrée » entre droits fondamentaux et motifs d’intérêt général, j’ai tenté de contribuer à préserver la nécessaire efficacité de l’État tout en respectant la volonté du législateur, seul juge de l’opportunité des mesures adoptées, sans méconnaître le respect des principes constitutionnels qui fondent notre démocratie et les attentes de nos concitoyens.

Dans cette recherche, j’ai bénéficié des expériences des autres membres du Conseil, qu’il s’agisse de juristes, d’élus, de hauts fonctionnaires ou d’anciens responsables politiques et d’hommes d’État, étant souligné que la majorité d’entre eux ont, dans leurs riches parcours professionnels, cumulé ces qualités. Je peux ici témoigner que si aucun n’a renoncé à ses convictions, dans leur fonction de juge constitutionnel, ils se départent de tous réflexes partisans et ne cèdent pas à la tentation du « gouvernement des juges ». Nos échanges, comme nos délibérés, même les plus vifs, sont toujours empreints de cordialité et de respect, animés par le souci de répondre au mieux aux missions qui nous ont été confiées. Je ne saurai évoquer nos travaux sans rendre hommage à l’excellence du service juridique du Conseil dirigé par un secrétaire général d’un dévouement et d’une compétence hors du commun sans lequel nous ne pourrions pas exercer notre office dans les délais contraints qui sont les nôtres.

À cet égard, le Conseil constitutionnel se démarque de ses homologues européens en rendant toutes ses décisions dans les délais fixés par le constituant soit un mois, voire huit jours, en matière de contrôle a priori et trois mois en matière de traitement des questions prioritaires de constitutionnalité. Même si cette exigence est parfois source de tensions, elle est essentielle pour éviter des recours dilatoires ou la paralysie de l’action gouvernementale et législative. Qu’il me soit permis d’ajouter que pour permettre à chaque membre de remplir pleinement son office, il serait souhaitable qu’il puisse bénéficier de l’assistance d’un collaborateur qui lui soit dédié et choisi par lui pour la durée de son mandat. Non pas que les juristes du Conseil ne soient prêts à exercer cet office mais leur calendrier souvent très tendu ne leur offre pas toujours la disponibilité nécessaire pour répondre à nos sollicitations. Cette assistance serait d’autant plus précieuse que les membres du Conseil n’ont pas de spécialisation. En effet, si cette pratique est très précieuse pour maintenir chacun de nous en alerte sur les nombreux domaines de compétences du Conseil, elle exige un investissement encore plus important lorsque les rapports qui nous sont confiés par le Président ne nous sont pas familiers, nous privant parfois de la disponibilité nécessaire pour l’examen approfondi des dossiers présentés par les autres membres.

De ce point de vue, j’ai pu constater que l’inflation législative comme le développement des questions prioritaires de constitutionnalité ont considérablement élargi le champ de compétences du Conseil constitutionnel comme ils en ont alourdi la charge. Depuis dix ans, le Conseil constitutionnel rend une moyenne de cent décisions par an sans parler des décisions consacrées au contentieux électoral et à la vérification des comptes de campagne comme aux référendums d’initiative partagée. Aux traditionnelles procédures relevant du droit pénal ou du droit fiscal qui restent majoritaires, se sont ajoutées celles relevant du droit de la santé et de la protection sociale, du droit à l’éducation et de la liberté d’enseignement ou encore du droit de l’environnement, du droit de la concurrence et celles relatives à la liberté d’expression et d’opinion, à la lutte contre le terrorisme, à l'encadrement de la diffusion des informations via les sites internet ou encore l’utilisation des algorithmes par l’administration ou de la visioconférence, pour ne parler que des dernières affaires soumises au Conseil.

Pour traiter de ces contentieux je mesure combien le dialogue des juges nationaux et européens est précieux. Certes, le Conseil ne juge pas des affaires au fond et n’exerce pas le contrôle de conventionalité. Mais dans son appréciation du respect des droits fondamentaux, il ne reste pas indifférent aux jurisprudences des cours suprêmes nationales et européennes. Ce dialogue permanent reste le plus souvent muet mais il est essentiel pour permettre l’émergence de principes communs à toutes les démocraties européennes et éviter des conflits de jurisprudence qui pourraient être très préjudiciables. À cet égard, même si les derniers mois ont été affectés par la crise sanitaire, j’ai apprécié les nombreux échanges avec nos homologues étrangers comme avec les magistrats des deux ordres juridictionnels ainsi que la participation à de nombreux colloques universitaires.

Ces échanges parfois critiques sur nos pratiques, tant sur le fond que sur la procédure suivie par le Conseil, jugée parfois insuffisamment contradictoire, ou sur nos modes de rédaction considérés souvent comme trop elliptiques, nous obligent à une saine réflexion et à des évolutions par petites touches pour tenter d’améliorer nos modes de fonctionnement. J’espère y avoir apporté ma contribution, consciente que le plus grand défi du Conseil est sans aucun doute celui de mieux faire connaître à nos concitoyens notre institution et le rôle essentiel qui est le sien dans le fonctionnement de l’État et la préservation de leurs droits et libertés. Je ne doute pas que mes collègues et les nouveaux membres qui viendront bientôt les rejoindre sauront le relever.

En quittant dans quelques mois le Conseil, je mesure l’honneur et la chance qui m’ont été donnés de participer à cette œuvre collective dans le souci constant d’apporter à l’institution le meilleur de moi-même pour assurer le respect de nos valeurs démocratiques telles qu’elles figurent dans la Constitution de la Ve République.

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Retrouvez l’intervention de Dominique Lottin auprès d’enseignants et de lycéens de l’Institution de la Croix Blanche à Bondues (Nord), dans le cadre du concours Découvrons notre Constitution.

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OCTOBRE 2021
Conseil constitutionnel
2, rue de Montpensier 75001 Paris

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Laurent Fabius
COORDINATION ÉDITORIALE :
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CONCEPTION ET RÉALISATION :
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