Conseil Constitutionnel

Décision n° 2021-823 DC / 13 août 2021 / Loi confortant le respect des principes de la République

Respect des principes de la République

Par sa décision n° 2021-823 DC du 13 août 2021, le Conseil constitutionnel s’est prononcé sur la loi confortant le respect des principes de la République, dont il avait été saisi par deux recours émanant, chacun, de plus de soixante députés, ainsi que par un recours émanant de plus de soixante sénateurs. Saisi de sept articles de la loi, il a censuré deux dispositions et en a assorti deux autres de réserves d’interprétation.

Le Conseil constitutionnel a rappelé que la liberté d’association est au nombre des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République et solennellement réaffirmés par le Préambule de la Constitution.

Au nombre des dispositions contestées figurait l’article 12 de la loi, prévoyant que toute association ou fondation sollicitant l’octroi d’une subvention publique doit souscrire un contrat d’engagement républicain et qu’en outre, l’autorité ou organisme refuse cette subvention ou procède à son retrait lorsque l’objet de l’association ou de la fondation, son activité ou les modalités d’exercice de celle-ci sont illicites ou incompatibles avec le contrat d’engagement républicain.

Il était notamment soutenu par l’un des recours que l’imprécision des obligations que ces associations doivent s’engager à respecter était de nature à conférer aux autorités compétentes un pouvoir d’appréciation arbitraire pour attribuer des subventions publiques ou en exiger le remboursement en cas de non-respect du contrat d’engagement. Il en résultait selon les députés requérants une méconnaissance, notamment, de la liberté d’association.

Le Conseil constitutionnel a rappelé que la liberté d’association est au nombre des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République et solennellement réaffirmés par le Préambule de la Constitution. En vertu de ce principe, les associations se constituent librement et peuvent être rendues publiques sous la seule réserve du dépôt d’une déclaration préalable.

À cette aune, le Conseil constitutionnel a jugé que l’obligation faite à une association de souscrire un contrat d’engagement républicain lorsqu’elle sollicite une subvention publique n’a ni pour objet ni pour effet d’encadrer les conditions dans lesquelles elle se constitue et exerce son activité. En revanche, l’obligation de restituer des subventions publiques déjà versées est susceptible d’affecter les conditions dans lesquelles une association exerce son activité.

Relevant que, aux termes des dispositions contestées, il est procédé, en cas de manquement au contrat d’engagement, au retrait de la subvention publique, à l’issue d’une procédure contradictoire, sur décision motivée de l’autorité ou de l’organisme, et qu’un délai de six mois est imparti à l’association pour restituer les fonds qui lui ont été versés, le Conseil constitutionnel a jugé, par une réserve d’interprétation, que ce retrait ne saurait, sans porter une atteinte disproportionnée à la liberté d’association, conduire à la restitution de sommes versées au titre d’une période antérieure au manquement au contrat d’engagement.

L’un des recours contestait également l’article 16 de la loi, relatif aux cas dans lesquels une association ou un groupement de fait peut faire l’objet d’une décision administrative de dissolution et permettant la suspension, à titre conservatoire, de ses activités.

Examinant les dispositions permettant au ministre de l’intérieur de prononcer la suspension des activités d’une association ou d’un groupement de fait faisant l’objet d’une procédure de dissolution sur le fondement de l’article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure en cas d’urgence et à titre conservatoire, pour une durée maximale de trois mois, renouvelable une fois, le Conseil constitutionnel a jugé qu’elles portent atteinte à la liberté d’association.

Or, en permettant au ministre de l’intérieur de prendre une telle décision pour une durée pouvant atteindre six mois dans l’attente d’une décision de dissolution, ces dispositions ont pour objet de suspendre les activités d’une association dont il n’est pas encore établi qu’elles troublent gravement l’ordre public. Il résulte d’ailleurs des travaux préparatoires que cette décision de suspension vise à permettre aux autorités compétentes de disposer du temps nécessaire à l’instruction du dossier de dissolution. Le Conseil constitutionnel a jugé que, dès lors, en permettant de prendre une telle décision, sans autre condition que l’urgence, le législateur a porté à la liberté d’association une atteinte qui n’est pas nécessaire, adaptée et proportionnée. Il a censuré ces dispositions.

Le Conseil constitutionnel était également saisi de l’article 49 de la loi déférée réformant les conditions dans lesquelles l’instruction obligatoire peut être dispensée en famille. Selon ces dispositions, l’instruction obligatoire peut, par dérogation à la règle selon laquelle elle est donnée dans les établissements ou écoles publics ou privés, être dispensée en famille par les parents ou par toute personne de leur choix sur autorisation délivrée par l’autorité de l’État compétente en matière d’éducation. Sans que puissent être invoquées d’autres raisons que l’intérêt supérieur de l’enfant, cette autorisation est accordée soit en raison de l’état de santé de l’enfant ou de son handicap, soit en raison de la pratique d’activités sportives ou artistiques intensives, soit en raison de l’itinérance de la famille en France ou de l’éloignement géographique de tout établissement scolaire public. Il est également prévu que cette autorisation soit accordée en raison de l’existence d’une situation propre à l’enfant motivant le projet éducatif.

Il était notamment reproché à ces dispositions, par deux des recours, de méconnaître le principe fondamental reconnu par les lois de la République de liberté de l’enseignement, dont l’instruction en famille serait une composante depuis sa reconnaissance par la loi du 28 mars 1882. La soumission de la possibilité d’instruction en famille à un régime d’autorisation préalable en lieu et place d’un régime de simple déclaration ne serait pas nécessaire dès lors que l’objectif poursuivi est imprécis et qu’il est toujours possible à l’autorité administrative d’opérer des contrôles a posteriori de l’instruction en famille. Il était également reproché à ces dispositions de ne pas prévoir que la demande d’autorisation d’instruction en famille puisse être motivée par des convictions politiques, religieuses ou philosophiques. Il en serait résulté une méconnaissance de la liberté d’opinion et de la liberté de conscience. En outre, un pouvoir d’appréciation trop important serait laissé à l’autorité administrative pour octroyer ou refuser l’autorisation d’instruction en famille.

L’article 4 de la loi du 28 mars 1882 portant sur l’organisation de l’enseignement primaire n’a fait de l’instruction en famille qu’une modalité de mise en œuvre de l’instruction obligatoire.

Le Conseil constitutionnel a jugé que, en prévoyant que « L’instruction primaire est obligatoire … elle peut être donnée soit dans les établissements d’instruction primaire ou secondaire, soit dans les écoles publiques ou libres, soit dans les familles, par le père de famille lui-même ou par toute personne qu’il aura choisie », l’article 4 de la loi du 28 mars 1882 portant sur l’organisation de l’enseignement primaire n’a fait de l’instruction en famille qu’une modalité de mise en œuvre de l’instruction obligatoire. Il n’a ainsi pas fait de l’instruction en famille une composante du principe fondamental reconnu par les lois de la République de la liberté de l’enseignement. Il en déduit que le grief tiré de la méconnaissance de la liberté d’enseignement ne peut qu’être écarté.

Examinant les dispositions de l’article 49 prévoyant que l’autorisation d’instruction en famille est accordée en raison de « l’existence d’une situation propre à l’enfant motivant le projet éducatif sous réserve que les personnes qui en sont responsables justifient de la capacité de la ou des personnes chargées d’instruire l’enfant », le Conseil constitutionnel a jugé que, d’une part, en subordonnant l’autorisation à la vérification de la « capacité … d’instruire » de la personne en charge de l’enfant, ces dispositions ont entendu imposer à l’autorité administrative de s’assurer que cette personne est en mesure de permettre à l’enfant d’acquérir le socle commun de connaissances, de compétences et de culture défini à l’article L. 122-1-1 du code de l’éducation au regard des objectifs de connaissances et de compétences attendues à la fin de chaque cycle d’enseignement de la scolarité obligatoire. D’autre part, en prévoyant que cette autorisation est accordée en raison de « l’existence d’une situation propre à l’enfant motivant le projet éducatif », le législateur a entendu que l’autorité administrative s’assure que le projet d’instruction en famille comporte les éléments essentiels de l’enseignement et de la pédagogie adaptés aux capacités et au rythme d’apprentissage de l’enfant.

Par une réserve d’interprétation, le Conseil constitutionnel a jugé qu’il appartiendra, sous le contrôle du juge, au pouvoir réglementaire de déterminer les modalités de délivrance de l’autorisation d’instruction en famille conformément à ces critères et aux autorités administratives compétentes de fonder leur décision sur ces seuls critères excluant toute discrimination de quelque nature que ce soit.

Par l’ensemble de ces motifs, il a jugé que les dispositions contestées ne sont pas entachées d’incompétence négative et ne méconnaissent pas l’objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi. En outre, si les dispositions contestées prévoient que l’autorisation d’instruction en famille est accordée sans que puissent être invoquées d’autres raisons que l’intérêt supérieur de l’enfant, elles n’ont ni pour objet ni pour effet de porter atteinte à la liberté de conscience ou d’opinion des personnes qui présentent un projet d’instruction en famille.


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OCTOBRE 2021
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