Conseil Constitutionnel

Aux origines de la question prioritaire de constitutionnalité

par Robert Badinter

Président du Conseil constitutionnel de 1986 à 1995 / Garde des Sceaux de 1981 à 1986

Regard

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Robert Badinter
© Joël Saget / AFP Photo

En 1989, année du bicentenaire de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen, je publiais une tribune dans Le Monde dans laquelle je dénonçais l’ambiguïté de la situation des justiciables en France. Ils pouvaient saisir la Cour européenne des droits de l’Homme à Strasbourg, depuis octobre 1981, en invoquant la non-conformité d’une loi à la Convention européenne de sauvegarde des libertés et des droits fondamentaux. En revanche, l’accès au Conseil constitutionnel à Paris afin de faire constater la violation de leurs droits fondamentaux, leur était refusé.
Ce déséquilibre institutionnel, qui faisait du citoyen français un majeur conventionnel mais un mineur constitutionnel, ne devait plus durer. Il convenait d’y remédier en introduisant dans notre droit une exception d’inconstitutionnalité.
Président de la République, François Mitterrand ne prisait guère le contrôle de constitutionnalité. Il préférait la République parlementaire. J’entrepris de le convaincre en faisant valoir que l’occasion était unique : alors que l’on célébrait le bicentenaire de la Déclaration des droits de l’Homme, il pourrait dire aux citoyens que, grâce à l’exception d’inconstitutionnalité et à l’ouverture aux justiciables de la juridiction constitutionnelle, chacun pourrait faire respecter ses droits et libertés fondamentales. L’aspect politique de l’argument l’a intéressé – d’autant plus qu’il était convaincu que le Sénat s’opposerait à ce projet de révision constitutionnelle, par hostilité à l’égard de la majorité de gauche.
Je me mis donc au travail avec le premier président de la Cour de cassation, Pierre Drai, le vice-président du Conseil d’État, Marceau Long, et Bruno Genevois, secrétaire général du Conseil constitutionnel, pour élaborer la procédure de l’exception d’inconstitutionnalité. Nous créâmes ainsi une procédure de filtrage complexe.
Comme le relevait le doyen Vedel, ce filtre ne devait pas être un bouchon, mais il était nécessaire pour éviter que le Conseil constitutionnel ne soit submergé par les actions des justiciables. En outre, dans ma pensée, associer étroitement les juridictions suprêmes à ce filtrage était une manière d’imprégner toute la justice française de la culture du respect des droits fondamentaux sur lesquels repose la justice américaine et celle de bien des pays européens.
Ainsi fut fait : le projet de révision constitutionnelle créant l’exception d’inconstitutionnalité fut voté en 1990 par l’Assemblée nationale, à majorité de gauche. Parmi les opposants, on comptait alors deux jeunes députés pleins d’allant – Nicolas Sarkozy et François Fillon.
Le texte fut repoussé par le Sénat, en majorité de droite. Nous ne pouvions évidemment en rester là.
En 1993, la commission Vedel pour la réforme des institutions se déclara favorable à l’exception d’inconstitutionnalité. Il est vrai qu’elle comptait parmi ses membres certains de ses promoteurs les plus actifs, notamment les professeurs Guy Carcassonne et Olivier Duhamel. Un nouveau texte de révision constitutionnelle fut donc déposé sur le bureau du Sénat. Mais l’exception d’inconstitutionnalité ne figurait pas dans la loi constitutionnelle adoptée en 1993 …
Heureusement, avec le temps, les esprits évoluèrent et l’on connaît la suite. En 2007, la commission Balladur fut constituée. Édouard Balladur, après avoir combattu le contrôle de constitutionnalité en 1993 lorsqu’il était Premier ministre de la cohabitation, s’était convaincu que l’on ne pouvait ouvrir aux justiciables français le contrôle de conventionnalité et leur refuser le contrôle de constitutionnalité.
Les esprits étaient donc prêts. Le reste appartient à l’histoire parlementaire. Il demeure que vingt ans ont été perdus parce que les assemblées, particulièrement le Sénat, étaient hostiles à tout renforcement des pouvoirs du Conseil constitutionnel.


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OCTOBRE 2020
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