Conseil Constitutionnel

Regards rétrospectifs
sur la QPC

par Anne Levade et Bertrand Mathieu

anne levade

Anne Levade
Professeur à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne / Président de l’Association française de droit constitutionnel
© Danilo Agutoli

anne levade

Bertrand Mathieu
Professeur agrégé des Facultés de droit Président émérite de l’Association française de droit constitutionnel
© Danilo Agutoli

Tout commença un matin de juillet 2008. Sur l’initiative de Guy Carcassonne, à quelques heures de la première réunion du Comité Balladur, les constitutionnalistes qui en étaient membres se retrouvaient dans un café de la place de l’Alma. Premiers échanges sur les sujets qui semblaient essentiels et, sans surprise, l’un d’eux fit l’unanimité : la mise en place d’un contrôle de constitutionnalité a posteriori. Qu’importe si les motivations divergeaient, nous étions d’accord pour unir nos forces. Cela seul importait, car le sujet ne ferait pas d’emblée consensus au sein du Comité.
Ensuite, c’est sur les modalités qu’il fallut s’accorder. Sécurité juridique oblige, l’option d’un contrôle diffus par les juges du fond fut rapidement écartée. En revanche, la mise en place d’un filtre s’imposait pour éviter que le Conseil ne fût submergé. Quant à l’idée, formulée par le président Debré, de confier à celui-ci le contrôle de conventionnalité, elle joua son rôle d’épouvantail mais ne fut guère explorée.
Première étape franchie. Le 29 octobre, dans son rapport, le Comité Balladur préconisait de « reconnaître aux justiciables un droit nouveau : l’exception d’inconstitutionnalité ».
Mais rien n’était encore gagné. Déjà, au sein de l’Élysée, le mot d’ordre était que la question devait faire l’objet d’une réflexion ! Pourtant, le futur article 61-1 fut adopté presque facilement. Puis vint l’étape la plus délicate car la plus technique : le projet de loi organique relative à son application. Les obstacles politiques levés, surgissaient ceux de nature juridique.
Le plus épineux était bien sûr l’articulation avec le contrôle de conventionnalité qui justifia que la question de constitutionnalité devint prioritaire. Bilan : il fallut deux ans et demi pour que la QPC entre en vigueur et, dix ans plus tard, l’heure est au bilan.
Le premier constat, positif, est partagé par les auteurs de ces lignes. La QPC est un succès : les acteurs du procès s’en sont emparés, le Conseil s’est transformé, la Constitution irrigue toutes les branches du droit jusque dans les débats parlementaires.
Pour le reste, des nuances nous semblent justifier que chacun prenne la plume en son nom propre.

BM - Certaines évolutions conduisent à s’interroger.

D’abord, sur le point de savoir si le Conseil saura résister à la tentation créatrice qui est celle de la Cour européenne des droits de l’homme.
Ensuite, sur les rapports entre le Conseil constitutionnel et le législateur. En modulant les effets dans le temps de ses décisions d’abrogation, en substituant temporairement une disposition nouvelle à la disposition législative inconstitutionnelle (n° 2010-10 QPC) ou en indiquant au législateur la voie à suivre (n° 2019-827 QPC), le Conseil s’immisce dans le travail et l’agenda parlementaires. Et cela a des prolongements, par exemple lorsque le Conseil d’État en déduit la responsabilité de l’État du fait d’une disposition législative inconstitutionnelle (CE 24 décembre 2019 n° 425981). En réalité, si cette réforme s’imposait, les craintes de ceux qui y voyaient une nouvelle phase du déclin de la loi et un affaiblissement du politique face au juge n’étaient pas totalement infondées.

AL - Je n’ai pas à proprement parler d’inquiétudes sur l’avenir de la QPC car il me semble que deux défis majeurs ont été d’ores et déjà relevés.

Le premier tenait aux conséquences de son caractère prioritaire. Passés les moments de tensions entre juges du filtre et Conseil constitutionnel, on a vu comment les premiers se sont adaptés, tandis que le second trouvait de nouveaux moyens d’établir un dialogue avec la Cour de justice en usant du renvoi préjudiciel. Rien que de très normal : les deux contrôles ne se recouvrent pas. Il sera intéressant de voir si le Conseil estime utile de formuler un jour une demande d’avis à la Cour de Strasbourg.
Le second concernait le contrôle a priori que d’aucuns disaient condamné. Il n’en est rien et même la QPC l’a renforcé, ce dont je me réjouis.


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OCTOBRE 2020
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