Conseil Constitutionnel

DÉCISION N° 2020-844 QPC / 19 juin 2020 / M. Éric G. [Contrôle des mesures d’isolement ou de contention dans le cadre des soins psychiatriques sans consentement] Non-conformité totale – effet différé

Isolement et contention en hôpital psychiatrique

Statuant sur une QPC reçue de la Cour de cassation (première chambre civile), le Conseil constitutionnel a jugé que le législateur ne pouvait, au regard des exigences de l’article 66 de la Constitution, permettre le maintien à l’isolement ou en contention en psychiatrie au-delà d’une certaine durée sans contrôle du juge judiciaire.

Cette question prioritaire de constitutionnalité était relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l’article L. 3222-5-1 du code de la santé publique, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé.

Ces dispositions établissent le cadre dans lequel, lors d’une prise en charge dans un établissement assurant des soins psychiatriques sans consentement, il peut être recouru à l’isolement d’une personne hospitalisée, consistant à la placer dans une chambre fermée, ou à sa mise sous contention, consistant à l’immobiliser.

Le requérant et les parties intervenantes reprochaient à ces dispositions, telles qu’interprétées par la Cour de cassation, de méconnaître la liberté individuelle protégée par l’article 66 de la Constitution en ce qu’elles ne prévoyaient pas de contrôle juridictionnel systématique des mesures d’isolement et de contention mises en œuvre dans les établissements de soins psychiatriques, non plus qu’aucune voie de recours en faveur de la personne qui en fait l’objet.

Le Conseil constitutionnel a rappelé que, aux termes de l’article 66 de la Constitution, « Nul ne peut être arbitrairement détenu. – L’autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi ». La liberté individuelle, dont la protection est confiée à l’autorité judiciaire, ne saurait être entravée par une rigueur non nécessaire. Les atteintes portées à l’exercice de cette liberté doivent être adaptées, nécessaires et proportionnées aux objectifs poursuivis.

Au regard des exigences constitutionnelles qui viennent d’être rappelées, le Conseil constitutionnel a jugé que les mesures d’isolement et de contention ne sont pas nécessairement mises en œuvre lors d’une hospitalisation sans consentement et n’en sont donc pas la conséquence directe. Elles peuvent être décidées sans le consentement de la personne. Par suite, l’isolement et la contention constituent une privation de liberté.

Il a relevé que le placement à l’isolement ou sous contention d’une personne prise en charge en soins psychiatriques sans consentement ne peut être décidé que par un psychiatre pour une durée limitée lorsque de telles mesures constituent l’unique moyen de prévenir un dommage immédiat ou imminent pour elle-même ou autrui. Leur mise en œuvre doit alors faire l’objet d’une surveillance stricte confiée par l’établissement d’accueil à des professionnels de santé désignés à cette fin. En outre, tout établissement de santé chargé d’assurer des soins psychiatriques sans consentement doit, d’une part, veiller à la traçabilité des mesures d’isolement et de contention en tenant un registre mentionnant, pour chaque mesure, le nom du psychiatre qui a pris la décision, sa date et son heure, sa durée et le nom des professionnels de santé l’ayant surveillée. Ce registre doit être présenté, sur leur demande, à la commission départementale des soins psychiatriques, au Contrôleur général des lieux de privation de liberté ou à ses délégués et aux parlementaires. D’autre part, l’établissement de santé doit établir un rapport annuel rendant compte des pratiques d’admission en chambre d’isolement et de contention, de la politique définie pour limiter le recours à ces pratiques et de l’évaluation de sa mise en œuvre. Ce rapport est transmis pour avis à la commission des usagers et au conseil de surveillance de l’établissement.

Le Conseil constitutionnel en a déduit que, en adoptant ces dispositions, le législateur a fixé des conditions de fond et des garanties de procédure propres à assurer que le placement à l’isolement ou sous contention, dans le cadre de soins psychiatriques sans consentement, n’intervienne que dans les cas où ces mesures sont adaptées, nécessaires et proportionnées à l’état de la personne qui en fait l’objet.

Il a jugé en outre que, si l’article 66 de la Constitution exige que toute privation de liberté soit placée sous le contrôle de l’autorité judiciaire, il n’impose pas que cette dernière soit saisie préalablement à toute mesure de privation de liberté. Dès lors, les dispositions contestées, en ce qu’elles permettent le placement à l’isolement ou sous contention dans le cadre de soins psychiatriques sans consentement, ne méconnaissent pas l’article 66 de la Constitution.

En revanche, la liberté individuelle ne peut être tenue pour sauvegardée que si le juge intervient dans le plus court délai possible. Or, si le législateur a prévu que le recours à isolement et à la contention ne peut être décidé par un psychiatre que pour une durée limitée, il n’a pas fixé cette limite ni prévu les conditions dans lesquelles, au-delà d’une certaine durée, le maintien de ces mesures est soumis au contrôle du juge judiciaire. Le Conseil constitutionnel en a déduit qu’aucune disposition législative ne soumet le maintien à l’isolement ou sous contention à une juridiction judiciaire dans des conditions répondant aux exigences de l’article 66 de la Constitution.

Par ces motifs, le Conseil constitutionnel a jugé contraires à la Constitution les dispositions contestées. Dès lors que l’abrogation immédiate des dispositions déclarées contraires à la Constitution, en ce qu’elle ferait obstacle à toute possibilité de placement à l’isolement ou sous contention des personnes admises en soins psychiatriques sous contrainte, entraînerait des conséquences manifestement excessives, la date de leur abrogation a été reportée au 31 décembre 2020.

Censure à effet immédiat ou à effet différé ? En vertu du deuxième alinéa de l’article 62 de la Constitution, une abrogation prononcée dans le cadre d’une décision QPC prend effet soit à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel, soit à compter d’une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil peut décider de reporter l’effet de la censure si l’abrogation immédiate est de nature à provoquer des effets manifestement excessifs ou à créer un vide juridique. Cependant, dans plus des deux tiers des cas, le Conseil constitutionnel statue en faveur d’une abrogation immédiate, notamment lorsque les dispositions en cause ne sont plus en vigueur ou qu’il n’est pas possible de laisser subsister l’inconstitutionnalité, même à titre temporaire.


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OCTOBRE 2020
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