Conseil Constitutionnel

DÉCISION N° 2019-796 DC / 27 décembre 2019 / Loi de finances pour 2020 Non-conformité partielle

Loi de finances pour 2020


              Le Conseil a censuré partiellement l’exploitation par les administrations fiscale et douanière de données publiées sur les réseaux sociaux.

Le Conseil a censuré partiellement l’exploitation par les administrations fiscale et douanière de données publiées sur les réseaux sociaux.
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Par cette décision, comprenant 147 paragraphes, le Conseil constitutionnel s’est prononcé sur la loi de finances pour 2020, dont il avait été saisi par la voie de trois recours, émanant, pour les deux premiers, de plus de soixante députés et, pour le dernier, de plus de soixante sénateurs.

Saisi de plusieurs articles de la loi de finances pour 2020, le Conseil constitutionnel a en particulier encadré les dispositions de cette loi autorisant l’expérimentation de la collecte et de l’exploitation, par les administrations fiscale et douanière, des données rendues publiques sur les réseaux sociaux et les sites des opérateurs de plateforme aux fins de recherche de manquements et d’infractions en matière fiscale et douanière.

Le Conseil constitutionnel a rappelé qu’il appartient au législateur d’assurer la conciliation entre l’objectif de valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude et l’évasion fiscales et le droit au respect de la vie privée. Il appartient également au législateur de fixer les règles concernant les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques. Sur ce fondement, il lui est loisible d’édicter des règles de nature à concilier la poursuite de l’objectif de valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude et l’évasion fiscales avec l’exercice du droit de libre communication et de la liberté de parler, écrire et imprimer. Toutefois, la liberté d’expression et de communication est d’autant plus précieuse que son exercice est une condition de la démocratie et l’une des garanties du respect des autres droits et libertés. Les atteintes portées à l’exercice de cette liberté doivent être nécessaires, adaptées et proportionnées à l’objectif poursuivi.

il appartient au législateur d’assurer la conciliation entre l’objectif de valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude et l’évasion fiscales et le droit au respect de la vie privée

Au regard du cadre constitutionnel ainsi précisé, le Conseil constitutionnel a jugé que, en autorisant l’administration à recourir à des moyens informatisés et automatisés lui permettant, d’une part, de collecter de façon indifférenciée d’importants volumes de données, relatives à un grand nombre de personnes, publiées sur des services de communication au public en ligne et, d’autre part, d’exploiter ces données, en les agrégeant et en opérant des recoupements et des corrélations entre elles, les dispositions contestées portent atteinte au droit au respect de la vie privée. Dans la mesure où elles sont susceptibles de dissuader d’utiliser de tels services ou de conduire à en limiter l’utilisation, elles portent également atteinte à l’exercice de la liberté d’expression et de communication.

S’agissant des finalités de la mesure contestée, il a cependant relevé que, en adoptant les dispositions contestées, le législateur a entendu renforcer les moyens de contrôle des administrations fiscale et douanière et a ainsi poursuivi l’objectif de valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude et l’évasion fiscales.

L’atteinte portée à l’exercice de la liberté d’expression et de communication est nécessaire, adaptée et proportionnée aux objectifs poursuivis

Le Conseil constitutionnel a ensuite examiné l’ensemble des garanties établies par la loi qui lui était déférée afin d’encadrer la mise en œuvre de ces dispositifs et circonscrire le risque d’atteinte au respect de la vie privée et à la liberté d’expression et de communication. Il a ainsi fixé les conditions auxquelles est subordonné le recours à ce dispositif.

Il a en particulier relevé que les données susceptibles d’être collectées et exploitées doivent répondre à certaines conditions cumulatives. D’une part, il doit s’agir de contenus librement accessibles sur un service de communication au public en ligne d’une des plateformes précitées, à l’exclusion donc des contenus accessibles seulement après saisie d’un mot de passe ou après inscription sur le site en cause. D’autre part, ces contenus doivent être manifestement rendus publics par les utilisateurs de ces sites. Le Conseil constitutionnel a souligné qu’il en résulte que ne peuvent être collectés et exploités que les contenus se rapportant à la personne qui les a, délibérément, divulgués. Ne peuvent faire l’objet d’aucune exploitation à des fins de recherche de manquements ou d’infractions les données qui révèlent la prétendue origine raciale ou l’origine ethnique, les opinions politiques, les convictions religieuses ou philosophiques ou l’appartenance syndicale d’une personne, les données génétiques et biométriques et celles concernant la santé et la vie ou l’orientation sexuelles.

Il a jugé que, pour garantir que la mise en œuvre des traitements de données, tant lors de leur création que lors de leur utilisation, soit proportionnée aux finalités poursuivie, il appartiendra au pouvoir réglementaire de veiller, sous le contrôle du juge, à ce que les algorithmes utilisés par ces traitements ne permettent de collecter et de conserver que les données strictement nécessaires à ces finalités. Il appartiendra également aux autorités compétentes, dans le respect des garanties précitées et sous le contrôle de la juridiction compétente, de s’assurer que la collecte, l’enregistrement, la conservation, la consultation, la communication, la contestation et la rectification des données des traitements en cause seront mis en œuvre de manière adéquate et proportionnée à l’objectif poursuivi.

Au regard de l’ensemble de ces éléments, le Conseil constitutionnel a jugé que, pour un ensemble déterminé de manquements et infractions, le législateur a assorti, sous le respect de ces conditions, le dispositif contesté de garanties propres à assurer, entre le droit au respect de la vie privée et l’objectif de valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude et l’évasion fiscales, une conciliation qui n’est pas déséquilibrée. Il en résulte également que l’atteinte portée à l’exercice de la liberté d’expression et de communication est nécessaire, adaptée et proportionnée aux objectifs poursuivis.

Le Conseil constitutionnel a en revanche censuré les dispositions permettant également la collecte et l’exploitation automatisées de données pour la recherche du manquement sanctionnant d’une majoration de 40 % le défaut ou le retard de production d’une déclaration fiscale dans les trente jours suivant la réception d’une mise en demeure. Dans une telle situation, l’administration, qui a mis en demeure le contribuable de produire sa déclaration, a déjà connaissance d’une infraction à la loi fiscale, sans avoir besoin de recourir au dispositif automatisé de collecte de données personnelles. Dès lors, en permettant la mise en œuvre d’un tel dispositif pour la simple recherche de ce manquement, ces dispositions portaient au droit au respect de la vie privée et à la liberté d’expression et de communication une atteinte qui ne peut être regardée comme proportionnée au but poursuivi.

À la lumière de cette évaluation, la conformité à la Constitution de ce dispositif pourra de nouveau être examinée

Le Conseil constitutionnel a souligné enfin que, pour apprécier s’il convient de pérenniser le dispositif expérimental en cause au terme du délai de trois ans fixé par la loi, il appartiendra au législateur de tirer les conséquences de l’évaluation de ce dispositif et, en particulier, au regard des atteintes portées aux droits et libertés précités et du respect des conditions précédemment mentionnées, de tenir compte de son efficacité dans la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales. À la lumière de cette évaluation, la conformité à la Constitution de ce dispositif pourra de nouveau être examinée.

Le contrôle de constitutionnalité des lois de finances Chaque année, la loi de finances détermine les recettes et les dépenses de l’État. En tant que loi ordinaire, elle n’est pas obligatoirement soumise au contrôle de constitutionnalité a priori. Dans la pratique, les lois de finances sont systématiquement déférées devant le Conseil constitutionnel par l’opposition parlementaire en raison du caractère particulièrement sensible des questions budgétaires.


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