Conseil Constitutionnel

DÉCISION N° 2019-794 DC / 20 décembre 2019 / Loi d’orientation des mobilités Non-conformité partielle

Loi d’orientation des mobilités

Saisi de plusieurs dispositions de la loi d’orientation des mobilités, le Conseil constitutionnel a, en particulier, été amené à censurer celles relatives aux chartes de responsabilité sociale des plateformes électroniques, à préciser sa jurisprudence sur l’article 1er de la Charte de l’environnement et à moderniser son contrôle des cavaliers législatifs.

Au nombre des dispositions qui lui étaient soumises figurait l’article 44 de la loi, prévoyant les conditions dans lesquelles une entreprise, qui, en qualité d’opérateur de plateforme, met en relation par voie électronique des personnes en vue de la fourniture des services de conduite d’une voiture de transport avec chauffeur ou de livraison de marchandises au moyen d’un véhicule à deux ou trois roues, peut établir une charte précisant les conditions et les modalités d’exercice de sa responsabilité sociale. Lorsqu’elle a établi cette charte, la plateforme peut, après avoir consulté les travailleurs indépendants avec lesquels elle est en relation, saisir l’autorité administrative afin qu’elle l’homologue. En cas d’homologation, l’établissement de la charte et le respect des engagements qu’elle prévoit ne peuvent caractériser l’existence d’un lien de subordination juridique entre la plateforme et les travailleurs. Tout litige relatif à cette homologation relève de la compétence du tribunal de grande instance.

Le Conseil constitutionnel a rappelé qu’il incombe au législateur d’exercer pleinement la compétence que lui confie la Constitution, en particulier son article 34, sans reporter sur des personnes privées le soin de fixer des règles dont la détermination n’a été confiée par la Constitution qu’à la loi. Il y a lieu de ranger au nombre des principes fondamentaux du droit du travail, et qui comme tels relèvent du domaine de la loi, la détermination du champ d’application du droit du travail et, en particulier, les caractéristiques essentielles du contrat de travail.

le Conseil constitutionnel a soumis à un contrôle inédit des dispositions de programmation au regard de l’article 1er de la Charte de l’environnement

À l’aune de ces exigences constitutionnelles, le Conseil constitutionnel a relevé que si, en principe, les travailleurs en relation avec une plateforme ayant établi une charte exercent leur activité de manière indépendante dans le cadre de la relation commerciale nouée avec elle, il appartient au juge, conformément au code du travail, de requalifier cette relation en contrat de travail lorsqu’elle se caractérise en réalité par l’existence d’un lien de subordination juridique. Les dispositions contestées visaient à faire échec à cette requalification lorsqu’elle repose sur le respect d’engagements pris par la plateforme et que la charte a été homologuée.

Or, d’une part, ces engagements peuvent recouvrir tant les droits consentis aux travailleurs par la plateforme que les obligations auxquelles elle les soumet en contrepartie et qu’elle définit, de manière unilatérale, dans la charte. En particulier, la charte doit préciser « la qualité de service attendue, les modalités de contrôle par la plateforme de l’activité et de sa réalisation et les circonstances qui peuvent conduire à une rupture des relations commerciales entre la plateforme et le travailleur ». Ainsi, elle peut porter sur des droits et des obligations susceptibles de constituer des indices de nature à caractériser un lien de subordination du travailleur à l’égard de la plateforme.

D’autre part, lorsqu’elle est saisie par la plateforme d’une demande d’homologation de sa charte, il appartient seulement à l’administration de vérifier la conformité de celle-ci à des dispositions déterminées du code du travail.

Le Conseil constitutionnel en a déduit que les dispositions contestées permettaient aux opérateurs de plateforme de fixer eux-mêmes, dans la charte, les éléments de leur relation avec les travailleurs indépendants qui ne pourront être retenus par le juge pour caractériser l’existence d’un lien de subordination juridique et, par voie de conséquence, l’existence d’un contrat de travail. Elles leur permettent donc de fixer des règles qui relèvent de la loi et, par conséquent, ont méconnu l’étendue de sa compétence. Le Conseil constitutionnel a en conséquence censuré les mots « et le respect des engagements pris par la plateforme dans les matières énumérées aux 1° à 8° du présent article » figurant au trente-neuvième alinéa de l’article 44.

Par ailleurs, le Conseil constitutionnel a soumis à un contrôle inédit des dispositions de programmation au regard de l’article 1er de la Charte de l’environnement.

Rappelant que, aux termes de l’article 1er de la Charte de l’environnement, « Chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé », il a jugé que les objectifs assignés par la loi à l’action de l’État ne sauraient contrevenir à cette exigence constitutionnelle. Le Conseil constitutionnel ne dispose toutefois pas d’un pouvoir général d’appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement. Il ne saurait se prononcer sur l’opportunité des objectifs que le législateur assigne à l’action de l’État, dès lors que ceux-ci ne sont pas manifestement inadéquats à la mise en œuvre de cette exigence constitutionnelle.

Par application de ce contrôle, il a jugé notamment que l’objectif, fixé à l’action de l’État par l’article 73 de la loi, d’atteindre la décarbonation complète du secteur des transports terrestres, d’ici à 2050, n’était pas manifestement inadéquat aux exigences de l’article 1er de la Charte de l’environnement.

Enfin, cette décision du Conseil constitutionnel a innové dans le contrôle des « cavaliers législatifs », c’est-à-dire des dispositions n’ayant pas leur place dans la loi déférée, faute d’avoir un lien avec les dispositions initiales du projet de loi par une explicitation accrue du raisonnement traditionnellement suivi en application de l’article 45 de la Constitution.

Après avoir rappelé les dispositions de cet article, elle fait mention de ce qu’« il appartient au Conseil constitutionnel de déclarer contraires à la Constitution les dispositions introduites en méconnaissance de cette règle de procédure. Dans ce cas, le Conseil constitutionnel ne préjuge pas de la conformité du contenu de ces dispositions aux autres exigences constitutionnelles ». Elle rappelle ce qu’était le périmètre initial du projet de loi, avant de faire apparaître, pour chacune des dispositions censurées, pourquoi elle doit être regardée comme dénuée de lien direct ou même indirect avec celui-ci. Les observations produites par le Gouvernement devant le Conseil constitutionnel sur ces questions sont en outre désormais rendues publiques sur le site internet du Conseil constitutionnel à l’appui de sa décision.

Qu’est-ce qu’un cavalier législatif ? Un cavalier législatif est une disposition introduite dans une loi par un amendement dépourvu de lien suffisant avec le projet ou la proposition de loi déposé, en méconnaissance de l’article 45 de la Constitution. Le Conseil constitutionnel peut se saisir d’office et censurer les cavaliers législatifs, même s’ils ne sont pas mentionnés dans la saisine par les parlementaires.


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OCTOBRE 2020
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