Conseil Constitutionnel

DÉCISION N° 2019-780 DC / 4 avril 2019 / Loi visant à renforcer et garantir le maintien de l’ordre public lors des manifestations Non-conformité partielle

Maintien de l’ordre public lors des manifestations

Saisi de la loi dite « anti-casseurs », le Conseil constitutionnel a validé des dispositions permettant certains contrôles sur réquisition judiciaire et la répression pénale de la dissimulation volontaire du visage mais il a censuré celles relatives au prononcé d’interdictions administratives individuelles de manifester.

Pour statuer sur la conformité à la Constitution des dispositions contestées, le Conseil constitutionnel a en particulier rappelé, sur la base de l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, que la liberté d’expression et de communication, dont découle le droit d’expression collective des idées et des opinions, est d’autant plus précieuse que son exercice est une condition de la démocratie et l’une des garanties du respect des autres droits et libertés. Il s’ensuit que les atteintes portées à l’exercice de cette liberté et de ce droit doivent être nécessaires, adaptées et proportionnées à l’objectif poursuivi.

S’agissant des dispositions de l’article 2 de la loi permettant, sous certaines conditions, à des officiers et, sous leur responsabilité, à des agents de police judiciaire, de procéder, sur les lieux d’une manifestation et à ses abords immédiats, à l’inspection visuelle et à la fouille de bagages ainsi qu’à la visite des véhicules, le Conseil constitutionnel a relevé que ces opérations ne peuvent être réalisées que pour la recherche et la poursuite de l’infraction de participation à une manifestation ou à une réunion publique en étant porteur d’une arme. Elles poursuivent donc un objectif de recherche des auteurs d’une infraction de nature à troubler gravement le déroulement d’une manifestation. Ces opérations sont placées sous le contrôle d’un magistrat judiciaire qui en précise, dans sa réquisition, le lieu et la durée en fonction de ceux de la manifestation attendue. Ainsi, elles ne peuvent viser que des lieux déterminés et des périodes de temps limitées. Enfin, ces dispositions ne peuvent conduire à une immobilisation de l’intéressé que le temps strictement nécessaire à leur réalisation. Elles n’ont donc pas, par elles-mêmes, pour effet de restreindre l’accès à une manifestation ni d’en empêcher le déroulement.

Le législateur a procédé à une conciliation qui n’est pas déséquilibrée entre les exigences constitutionnelles

Le Conseil constitutionnel en déduit que le législateur a procédé à une conciliation qui n’est pas déséquilibrée entre les exigences constitutionnelles rappelées plus haut et n’a pas porté au droit d’expression collective des idées et des opinions une atteinte qui ne serait pas nécessaire, adaptée et proportionnée.

S’agissant de l’article 6 punissant d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende le fait pour une personne, au sein ou aux abords immédiats d’une manifestation sur la voie publique, de dissimuler volontairement tout ou partie de son visage sans motif légitime, le Conseil constitutionnel a en particulier relevé que, en retenant, comme élément constitutif de l’infraction, le fait de dissimuler volontairement une partie de son visage, le législateur a visé la circonstance dans laquelle une personne entend empêcher son identification, par l’occultation de certaines parties de son visage. En visant les manifestations « au cours ou à l’issue » desquelles des troubles à l’ordre public sont commis ou risquent d’être commis, le législateur a, d’une part, précisément défini la période pendant laquelle l’existence de troubles ou d’un risque de troubles doit être appréciée, qui commence dès le rassemblement des participants à la manifestation et se termine lorsqu’ils se sont tous dispersés. D’autre part, en faisant référence au risque de commission de troubles à l’ordre public, il a entendu viser les risques manifestes de tels troubles.

En revanche, s’agissant de l’article 3 qui permettait à l’autorité administrative, sous certaines conditions, d’interdire à une personne de participer à une manifestation sur la voie publique et, dans certains cas, de prendre part à toute manifestation sur l’ensemble du territoire national pour une durée d’un mois, le Conseil constitutionnel a notamment relevé que la menace d’une particulière gravité pour l’ordre public nécessaire au prononcé de l’interdiction de manifester devait résulter, selon les dispositions contestées, soit d’un « acte violent » soit d’« agissements » commis à l’occasion de manifestations au cours desquelles ont eu lieu des atteintes graves à l’intégrité physique des personnes ou des dommages importants aux biens.

Ainsi, le législateur n’a pas imposé que le comportement en cause présente nécessairement un lien avec les atteintes graves à l’intégrité physique ou les dommages importants aux biens ayant eu lieu à l’occasion de cette manifestation. Il n’a pas davantage imposé que la manifestation visée par l’interdiction soit susceptible de donner lieu à de tels atteintes ou dommages. En outre, l’interdiction peut être prononcée sur le fondement de tout agissement, que celui-ci ait ou non un lien avec la commission de violences. Enfin, tout comportement, quelle que soit son ancienneté, peut justifier le prononcé d’une interdiction de manifester. Dès lors, les dispositions contestées laissent à l’autorité administrative une latitude excessive dans l’appréciation des motifs susceptibles de justifier l’interdiction.

Le législateur a porté au droit d’expression collective des idées et des opinions une atteinte qui n’est pas adaptée, nécessaire et proportionnée

En outre, lorsqu’une manifestation sur la voie publique n’a pas fait l’objet d’une déclaration ou que cette déclaration a été tardive, l’arrêté d’interdiction de manifester est exécutoire d’office et peut être notifié à tout moment à la personne, y compris au cours de la manifestation à laquelle il s’applique.

Le Conseil constitutionnel a jugé que, ainsi, compte tenu de la portée de l’interdiction contestée, des motifs susceptibles de la justifier et des conditions de sa contestation, le législateur a porté au droit d’expression collective des idées et des opinions une atteinte qui n’est pas adaptée, nécessaire et proportionnée.


OCTOBRE 2019
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