Conseil Constitutionnel

DÉCISION N° 2018-773 DC / 20 décembre 2018 / Loi organique et loi ordinaire relatives à la lutte contre la manipulation de l’information Conformité – réserve

Lutte contre la manipulation de l’information

Le Conseil constitutionnel a été saisi de la loi organique relative à la lutte contre la manipulation de l’information et de plusieurs dispositions de la loi ordinaire ayant le même objet.

S’agissant en particulier de l’article L. 163-2 du code électoral, nouvellement issu de l’article 1er de la loi ordinaire, qui instaure une procédure de référé permettant d’obtenir, pendant les trois mois précédant une élection générale, la cessation de la diffusion de fausses informations sur les services de communication au public en ligne, lorsqu’elles sont de nature à altérer la sincérité du scrutin, le Conseil constitutionnel a admis sa conformité à la Constitution sous plusieurs réserves d’interprétation.

Il a examiné ces dispositions au regard de la liberté d’expression et de communication garantie par l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, mais aussi au regard du principe de sincérité du scrutin, qui découle de l’article 3 de la Constitution.

Le Conseil constitutionnel juge qu’il appartient au législateur de concilier le principe constitutionnel de sincérité du scrutin avec la liberté constitutionnelle d’expression et de communication

En ce qui concerne la liberté d’expression et de communication, dans le prolongement de sa jurisprudence traditionnelle, il a rappelé que son exercice est une condition de la démocratie et l’une des garanties du respect des autres droits et libertés. Il en va notamment ainsi, compte tenu de l’état actuel des moyens de communication, de son exercice par le biais des services de communication au public en ligne, eu égard au développement généralisé de ces services ainsi qu’à leur importance pour la participation à la vie démocratique et l’expression des idées et des opinions. Toutefois, il est loisible au législateur d’instituer des dispositions destinées à faire cesser des abus de l’exercice de la liberté d’expression et de communication qui portent atteinte à l’ordre public et aux droits des tiers.

Le Conseil constitutionnel juge qu’il appartient au législateur de concilier le principe constitutionnel de sincérité du scrutin avec la liberté constitutionnelle d’expression et de communication.

À l’aune de ces exigences constitutionnelles, il a relevé notamment que, en instaurant une procédure de référé pour obtenir la cessation de la diffusion de certaines fausses informations susceptibles de porter atteinte à la sincérité du scrutin, le législateur a entendu lutter contre le risque que les citoyens soient trompés ou manipulés dans l’exercice de leur vote par la diffusion massive de telles informations sur des services de communication au public en ligne. Il a ainsi entendu assurer la clarté du débat électoral et le respect du principe de sincérité du scrutin. En outre, la procédure de référé ne concerne que les contenus publiés sur des services de communication au public en ligne. Or, ces derniers se prêtent plus facilement à des manipulations massives et coordonnées en raison de leur multiplicité et des modalités particulières de la diffusion de leurs contenus.

Le Conseil a cependant rappelé que la liberté d’expression revêt une importance particulière dans le débat politique et dans les campagnes électorales

S’agissant du champ de la procédure de référé qui était critiquée, le Conseil constitutionnel a également relevé que le législateur a strictement délimité les informations pouvant en faire l’objet. Il juge, d’une part, que cette procédure ne peut viser que des allégations ou imputations inexactes ou trompeuses d’un fait de nature à altérer la sincérité du scrutin à venir. Ces allégations ne recouvrent ni les opinions, ni les parodies, ni les inexactitudes partielles ou les simples exagérations. Elles sont celles dont il est possible de démontrer la fausseté de manière objective. D’autre part, seule la diffusion de telles allégations ou imputations répondant à trois conditions cumulatives peut être mise en cause : elle doit être artificielle ou automatisée, massive et délibérée.

Il a cependant rappelé que la liberté d’expression revêt une importance particulière dans le débat politique et dans les campagnes électorales. Elle garantit à la fois l’information de chacun et la défense de toutes les opinions mais prémunit aussi contre les conséquences des abus commis sur son fondement en permettant d’y répondre et de les dénoncer.

Il juge dès lors que, compte tenu des conséquences d’une procédure pouvant avoir pour effet de faire cesser la diffusion de certains contenus d’information, les allégations ou imputations mises en cause ne sauraient, sans que soit méconnue la liberté d’expression et de communication, justifier une telle mesure que si leur caractère inexact ou trompeur est manifeste. Il en est de même pour le risque d’altération de la sincérité du scrutin, qui doit aussi être manifeste.

Sous ces réserves, il juge que les dispositions contestées ne portent pas à la liberté d’expression et de communication une atteinte qui ne serait pas nécessaire, adaptée et proportionnée.

Le Conseil constitutionnel a également jugé conformes à la Constitution des dispositions insérées dans la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication par les articles 5, 6, 8 et 10 de la loi déférée, relatives aux pouvoirs du Conseil supérieur de l’audiovisuel dans la régulation de la diffusion de services de radio et de télévision.


OCTOBRE 2019
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