Résumé

Le secret est le jeu de forces contradictoires.
Les entreprises souhaitent conserver secrets les facteurs de production qu’elles utilisent, l’organisation qu’elles mettent en place, les innovations qu’elles créent, leurs savoir-faire, leurs données économiques, financières ou stratégiques. Elles militent pour la protection absolue du secret.
La transparence, le droit à la preuve, l’exigence de sincérité, l’effectivité et l’efficacité de la règle de droit, les droits et libertés des parties prenantes, s’opposent au caractère absolu du secret. De nombreuses personnes souhaitent la disparition du secret.
Le droit concilie ces intérêts opposés et ces solutions sont subtiles, sophistiquées et évolutives.

Une stratification normative. Le secret a été de tout temps une préoccupation des agents économiques et a fait l'objet de leurs rivalités(1). Le feu, le ver à soie, l'imprimerie, la poudre, le verre, la porcelaine ont été à des époques différentes des secrets. La maîtrise de l'atome, les algorithmes ou certains savoir-faire le sont encore. Les débats juridiques sont le reflet de ces affrontements. À chaque époque, le droit a cherché à concilier des intérêts opposés et à transcender les luttes au sujet du secret. Si le droit positif est nuancé, contradictoire et complexe, c'est parce qu'il doit trancher des conflits de légitimité. Le droit positif est le fruit de l'histoire, d'une accumulation normative qu'il convient de tracer à gros traits en distinguant la période antérieure à 2018 de celle qui lui est postérieure.

Avant 2018, la protection du secret dans la vie économique et sa contestation étaient tranchées par différents juges, sur le fondement de quelques textes de droit commun(2).

Pour appréhender le secret dans la vie économique, il faut donc convoquer de nombreuses matières juridiques et les juges en charge de les faire respecter tels que le droit des biens (possession, droit de propriété intellectuelle), le droit des personnes (vie privée), le droit des obligations (droit des contrats, de la responsabilité délictuelle), le droit pénal, le droit professionnel, le droit économique, les règles de procédure, etc. Donnons quelques illustrations, sans pourtant pouvoir être exhaustif.

Le juge pénal a une mission importante de protection du secret dans la vie économique. Ainsi sont sanctionnés le vol d'information(3), les atteintes à un système de traitement automatisé des données(4), l'extorsion de secret(5), le chantage au secret(6), l'escroquerie au secret(7), l'abus de confiance(8), la révélation d'un secret de fabrique(9), la violation du secret des correspondances(10) ou du domicile(11).

Le juge civil, commercial et social(12) a eu recours à la responsabilité civile délictuelle, au droit des contrats, au respect de la vie privée(13) ou au droit de propriété intellectuelle(14). Ont ainsi été convoquées la concurrence déloyale(15), l'obligation de loyauté dans la formation(16) et l'exécution du contrat(17), les obligations de confidentialité(18) pendant et après le contrat(19).

La violation du secret par des professionnels du droit (avocats, notaires, commissaires de justice par exemple), du chiffre (experts-comptables, commissaires aux comptes) et des banquiers ou établissements de crédit(20) fait l'objet de sanctions civiles, pénales(21) et disciplinaires et de discussions byzantines.

Mais ce droit au secret cède devant les autorités administratives et judiciaires, devant le droit à la preuve ou celui des enquêteurs, devant les droits à l'information et à la transparence(22).

Depuis la loi de transposition du 30 juillet 2018, le secret des affaires fait l'objet d'une protection spécifique(23). D'abord, l'article L 151-1 du Code de commerce donne les trois éléments de la définition du secret protégeable : une information non connue ou aisément accessible qui revêt une valeur commerciale du fait de son caractère secret et dont le détenteur légitime a pris des dispositions raisonnables à l'effet de la garder secrète. Ensuite, les textes subséquents offrent à son détenteur de prévenir et réprimer les atteintes au secret ou les tentatives de porter atteinte au secret. L'obtention, l'utilisation, et la divulgation du secret sans le consentement de son détenteur légitime engagent la responsabilité civile de son auteur(24). À côté des mesures préventives ou visant à faire cesser une atteinte au secret qui se traduisent par des injonctions de faire ou de ne pas faire(25), la loi prévoit que la réparation d'une atteinte au secret est effectuée par l'allocation de dommages et intérêts et par la publicité de la décision(26).

Une protection absolue du secret heurtant de plein fouet le droit à la preuve, le droit à l'information(27) et les exigences de transparence, la loi a apporté des limites à la protection du secret des affaires en rendant celui-ci inopposable. Le secret des affaires n'est pas opposable aux autorités juridictionnelles ou administratives qui exercent des pouvoirs d'enquête, de contrôle, d'autorisation ou de sanction(28), aux personnes qui exercent la liberté d'expression, la liberté de la presse et d'information, aux lanceurs d'alerte(29), aux salariés et à leurs représentants(30) et aux personnes qui exercent leur droit à la preuve(31).

L'édiction de ce droit spécial n'a pourtant pas remis en cause l'essentiel du droit prétorien antérieur, de sorte que le droit positif s'apparente à un mille-feuille.

L'objet de cette présentation n'est pas de faire un exposé analytique du droit positif et de reprendre en détail l'ensemble de ces règles, mais plutôt de formuler quelques observations générales sur la notion de secret.

Tenter de définir le secret, c'est plonger dans l'abîme des questions qu'il suscite et prendre conscience des dialectiques qui l'animent.

Le secret en question. Définir le secret juridiquement est une entreprise complexe et subtile. La raison en est que les critères qui permettent de le caractériser sont fuyants, imprécis et variables.

Si l'on s'attache à l'objet du secret, celui-ci est défini comme un savoir, une connaissance, une information. Mais il ne s'agit pas de n'importe quelle connaissance. C'est une information cachée, dissimulée, inconnue, confidentielle, dérobée, discrète, occulte, mystérieuse, etc. Tout a une aptitude à devenir secret, à être caché(32). Le secret se caractérise par deux traits. Tout d'abord, le secret n'est pas une information publique connue de tous ou susceptible de l'être. Ensuite, le secret est une information cachée qui est susceptible d'être transmise ou dévoilée, ce n'est pas un mystère inaccessible.

Un secret n'est pas une information publique ou qui devrait l'être. Dévoiler le secret au public, c'est le détruire. Une information publique ou susceptible d'être connue du public n'est plus un secret. Mais une fois publique, une information ne peut plus être secrète. D'où l'importance de dissimuler ses secrets avec efficacité et de faire sanctionner leurs divulgations.

C'est pourquoi il faut distinguer, à notre sens, la transmission du secret à une personne qui n'a pour simple effet que d'augmenter le nombre de personnes dans la confidence (élargissement du cercle de confidentialité)(33), de sa divulgation ou de son dévoilement, qui par son caractère public fait disparaître le secret.

Le secret a aussi une dimension chronologique(34) : les secrets d'hier ne sont pas ceux d'aujourd'hui. Avec le temps, les secrets finissent par s'éventer, se diffuser ou se répéter. La distinction entre les ignorants et les sachants a vocation, à terme, à disparaître. Ainsi, confectionner du feu, de la porcelaine ou de la soie ne sont plus aujourd'hui des secrets, alors qu'ils le furent jadis.

Inversement, il existe des choses qui sont inconnaissables, inaccessibles, mystérieuses à l'être humain. Logiquement, on ne peut conférer un droit sur les choses qui échappent à l'entendement ou il ne peut peser sur personne une obligation de garder le secret d'une chose qui ne peut être connue. En revanche, on a pu se demander s'il ne doit pas être interdit de tenter de dévoiler les mystères, changer la frontière de ce qui est connu de ce qui ne l'est pas, démontrer que des choses ne sont pas connues, uniquement parce qu'on n'a pas encore mis en œuvre les méthodes qui permettent de les connaître. Le livre de la genèse, le mythe de Prométhée ou encore le procès de Galilée nous enseignent que la religion et la révélation des secrets ont des rapports parfois conflictuels.

Quoiqu'il en soit, dans le cadre de cette présentation, posons le postulat que pour le droit, dont l'objet principal est de régir les relations entre les êtres humains et/ou les institutions, le secret suppose une information sur laquelle les êtres humains (ou les institutions) ont une prise. C'est en raison de l'action ou de l'inaction de cet être que l'information est ou n'est pas dissimulée, gardée, cachée. Le secret est imputable à l'être humain et aux institutions qu'il contrôle.

Plusieurs interrogations surgissent alors : par qui une information est-elle dissimulée(35) ? À qui ? Comment ? Pour quelle raison ?

Nous répondrons à ces questions en nous attachant au domaine économique(36).

La vie économique. Il y a sans doute un artifice à séparer la vie économique des autres activités sociales. On trouvera certaines porosités entre les questions économiques, politiques, diplomatiques, militaires, juridiques ou sociologiques(37). Il n'en reste pas moins que l'économie s'attache spécifiquement à certaines interactions sociales.

Les éléments fondamentaux qui composent la vie économique sont les richesses (biens matériels(38), incorporels(39), la monnaie(40), le travail(41)), des activités (de production(42), d'échanges(43), de consommation(44), d'épargne(45)) et des acteurs (les entreprises, les ménages et l'État(46)). Chacun de ces éléments fondamentaux de l'économie entretient un lien particulier avec le secret. Le secret permet l'exploitation exclusive ou partagée par un petit nombre d'un moyen de production(47) et d'avoir un avantage sur ses partenaires et ses concurrents sur le marché et dans la négociation contractuelle. Le secret est à la source de l'enrichissement.

Récemment, les économistes ont développé l'idée que les informations pouvaient constituer une richesse et ont mis en lumière une économie de l'information liée aux nouvelles technologies. Le secret n'est pas uniquement ce qui donne de la valeur aux richesses ; le secret en tant qu'information est une richesse qui se produit, s'utilise, se garde et s'échange. Le secret est une source de pouvoir, il permet à l'entreprise de modifier les termes des relations qu'elle entretient avec les parties prenantes à son avantage(48).

Cette approche économique du secret fait écho aux questions que nous nous sommes posées ci-dessus et auxquelles nous allons répondre.

Par qui ? Les principaux acteurs de l'économie sont les entreprises. Ce sont elles qui produisent les secrets, souhaitent les utiliser en exclusivité, les garder et les échanger. Rappelons que les entreprises se définissent comme des unités économiques homogènes rassemblant durablement divers éléments personnels, matériels, immatériels et financiers dans le but de produire et offrir des biens ou des services en prenant un risque économique et financier(49). Les entreprises souhaitent conserver secrets les facteurs de production qu'elles utilisent, l'organisation qu'elles mettent en place, les innovations qu'elles créent, leurs savoir-faire et les données économiques, financières ou stratégiques. Ces informations sont nombreuses et variées, ce sont par exemple les renseignements relatifs à la situation économique d'une société, à sa santé financière et à l'état de son crédit ou son niveau d'activité tels que le chiffre d'affaires, les volumes de production, les capacités d'exploitation, le montant des investissements, les volumes de matières premières utilisées et les bases d'imposition. Ce sont aussi des éléments de R & D(50), un algorithme, des projets d'acquisition d'une entreprise, le lancement d'un nouveau produit, des fichiers clients ou fournisseurs, des taux de marge, des contrats, un savoir-faire, une méthode de prospection, une correspondance, une rencontre, etc.

Pourquoi ? Une personne, une institution souhaite généralement éviter la divulgation d'une information en raison des effets supposés ou probables que produira la prise de connaissance de celle-ci par le destinataire. Est secret ce qui nuirait aux intérêts de son détenteur en cas de divulgation(51). La révélation peut créer directement ou indirectement un manque à gagner, une perte ou une atteinte morale (ex. atteinte à l'honorabilité). Souhaitant éviter ces conséquences, la personne ou l'institution concernée agit pour qu'elle reste cachée. Ainsi, grâce au secret, les entreprises évitent des pertes, des dommages ou des préjudices qui peuvent naître de leur transmission ou de leur utilisation par les tiers.

Dans la vie économique, les secrets jouent pour les entreprises le rôle de talisman. L'utilisation exclusive du secret est source de richesse et de pouvoir. Concrètement, utiliser le secret c'est adopter un comportement économique qu'on n'aurait pas eu, si on n'avait pas eu connaissance du secret. C'est par exemple mettre en œuvre un savoir-faire pour fabriquer une chose (production), prospecter un fichier client (les échanges), établir une politique de prix (échanges d'information entre entreprises concurrentes sur leurs prix), commettre un délit d'initié (acheter ou vendre des instruments cotés), ou acheter en viager un immeuble à un vendeur malade. L'utilisation du secret supprime ou atténue les risques, l'aléa, les incertitudes, l'insécurité. Elle permet d'anticiper et d'obtenir un avantage dans ses relations avec ses concurrents, fournisseurs ou clients. Elle permet de conclure des accords dans des conditions avantageuses. Dès lors, il est important de savoir garder un secret.

Comment ? Pour conserver ces secrets, il faut que celui qui les détient se prémunisse contre lui-même (le poids des secrets), les personnes qui partagent l'information confidentielle avec lui et des tiers susceptibles de l'appréhender.

Garder le secret, ce peut être le fait de ne pas l'utiliser, de ne pas le transmettre ou de ne pas le diffuser(52), mais aussi le fait de mettre en place un dispositif, des méthodes, des procédés ayant pour objet d'empêcher soit que ceux qui détiennent le secret ne l'utilisent ou ne le divulguent, soit que ceux qui ne le détiennent pas puissent l'obtenir ou le capter et l'utiliser. Il y a de nombreuses techniques qui permettent de garder un secret (rendre inaccessible, coffre, camouflage, rendre invisible, vidéo surveillance(53)) ou de sécuriser les communications (code, cryptage, classification des informations, cybersécurité, mesure de traçabilité et de conservation)(54). Garder le secret, c'est aussi mettre en place un service d'intelligence économique, se protéger contre les captations d'information ou les cyberattaques. Parfois, la préservation des secrets est une culture, une stratégie, le résultat de savoir-faire(55). Les entreprises ont des secrets et parfois une stratégie du secret. Le renseignement est un service dont doivent se doter les personnes pour se protéger contre les captations d'information auxquelles elles sont exposées. À défaut, la probabilité de captation et de divulgation des secrets augmente et la durée de ceux-ci se réduit. Pour les entreprises, le droit doit offrir les armes pour renforcer la protection de leurs secrets. Elles ont une vision instrumentale du droit, au simple service de leurs intérêts particuliers. Qu'en est-il ?

Certes, le droit offre des armes aux entreprises pour leur permettre de conserver des secrets ou de lutter contre la captation d'information et de son utilisation. L'arme est offensive (dans les relations avec ses associés, ses partenaires économiques ou ses concurrents)(56) et défensive (dans le cadre d'une procédure civile et commerciale ou une enquête ou un contentieux administratif ou pénal)(57). Citons, sans être exhaustif, les accords de confidentialité, les interdits et sanctions de la captation de l'information, le refus légitime de communiquer une information dans le cadre d'un contentieux, la possibilité d'agir en justice contre les tiers, etc. Le droit encadre cette activité. Les acteurs de l'économie ont le droit de mettre en place des dispositifs techniques ou juridiques qui permettent de garder les secrets en respectant certaines conditions.

Mais tous les moyens, toutes les méthodes, tous les processus par lesquels l'information est gardée secrète ne se justifient pas. Les comportements illicites ou immoraux (mensonge(58), homicide, pression, menace, etc.) sont interdits. Les entreprises ont l'interdiction d'utiliser certaines méthodes de conservation des secrets.

Si le droit intervient pour encadrer les mesures prises par les entreprises pour protéger leurs secrets, c'est que ces armes heurtent les intérêts d'autres personnes à qui le secret est opposé.

À qui ? L'entreprise qui produit, détient, utilise, conserve un secret et commerce avec lui souhaite que l'information qu'elle estime secrète ne soit pas communiquée, transmise ou dévoilée à certaines personnes. Les entreprises estiment, souvent de façon excessive, que toutes les informations qu'elles détiennent sont secrètes et qu'elles sont des boîtes noires(59).

Par définition un secret, une confidence, une discrétion amènent à distinguer les personnes en deux catégories : ceux qui savent, qui partagent ou qui sont dans la confidence ou qui sont susceptibles de l'être(60) et ceux qui ne savent pas, qui ne partagent pas, qui ne sont pas dans la confidence est qui sont insusceptibles de l'être(61).

Les entreprises ont différents cercles de secret selon les circonstances(62). Un secret n'est pas opposable de la même façon aux personnes qui participent à l'organisation interne de l'entreprise (dirigeants, associés, salariés, syndicat), aux partenaires économiques (clients, fournisseurs, sous-traitants, banquiers, assureurs) aux concurrents effectifs ou potentiels, aux tiers qui poursuivent des intérêts particuliers (ex. association de consommateurs) ou généraux (juges, journalistes) et à l'administration (ex. administration économique, fiscale et douanière, autorité de régulation, collectivité territoriale). Le droit régit les relations entre initiés ou ceux qui sont susceptibles de l'être, mais aussi entre les informés, les sachants, les éclairés et les ignorants, le public et les profanes.

Les membres d'une communauté détenant un secret ont un lien qui crée entre eux des devoirs (secret professionnel, respect de la vie privée), un statut (la connaissance secrète a le régime des biens inaliénables) et des rites (le secret s'accompagne toujours d'un formalisme dans la communication entre membres de la communauté du secret). La solidarité oblige entre membres de la communauté, mais aussi à l'égard des tiers. Elle est une question de confiance, de loyauté ou d'honneur. La trahison, la délation est parfois punie et parfois ne l'est pas.

Les tiers en principe ne peuvent prendre connaissance des informations confidentielles. L'espionnage industriel ou commercial est interdit. Toutefois, ces tiers ou certains d'entre eux sont légitimes à recevoir des informations confidentielles et ont même le devoir de rechercher la vérité, même lorsqu'elle est dissimulée. Il peut être possible de trouver un secret à partir d'informations publiques accessibles. On ne peut interdire la perspicacité, l'intelligence, les veilles industrielles, commerciales ou stratégiques(63).

Il existe des droits à obtenir des informations (ex. agent de l'administration fiscale, syndicat, journaliste), à les dévoiler (lanceur d'alerte), qui s'opposent au droit de détenir des secrets ou au devoir de ne pas dévoiler une information (droit à la preuve, droit de visite et de communication, droit à l'information, liberté d'expression). La transparence est devenue une injonction catégorique qui érode inéluctablement les secrets(64). Le rôle du droit est de trancher ces conflits d'intérêts, de droits ou de libertés. Le secret est un objet de conflit. Les obstacles qu'il crée révoltent ceux à qui les entreprises les opposent. Pour certains, les entreprises devraient devenir des maisons de verre.

Le secret en conflit. Le secret est le jeu de forces contradictoires. La transparence, la recherche de la vérité, l'exigence de sincérité, l'effectivité et l'efficacité de la règle de droit, les droits et libertés des parties prenantes, s'opposent au caractère absolu du secret. La gouvernance d'entreprise, la responsabilité sociétale de l'entreprise et les exigences de développement durable ou de démocratie participative ont conféré aux parties prenantes davantage de créances d'information contre les entreprises et ont fait naître à la charge de celles-ci de nouvelles obligations de rendre des comptes. L'essentiel du droit du secret consiste à régler les conflits entre les détenteurs de secrets et les parties prenantes.

Pour certains, le secret doit être protégé dans l'intérêt particulier de son producteur(65) ou de son détenteur. Cette protection doit conduire le droit à donner à son détenteur(66) :

  • le droit d'utiliser exclusivement le secret et de l'exploiter personnellement (usus et fructus) ;

  • le droit de mettre en place les outils techniques et juridiques qui permettent de garder le secret (droit de garde, droit de garder le silence, obligation de confidentialité, secret professionnel, interdiction de transmettre ou divulguer)(67) ;

  • le droit de contracter avec le secret (ex. licence, cession, donation)(68) ou de le rendre public (fructus et abusus) ;

  • des actions en justice permettant d'interdire à un tiers d'en prendre connaissance (de le capter), de l'utiliser, de l'exploiter, de le transmettre ou de le divulguer (ex. action contractuelle, possessoire, délictuelle, plainte pénale ou déontologique, saisine administrative).

Pour d'autres, au nom d'un intérêt collectif ou des libertés fondamentales, il faut au contraire que le droit :

  • Interdise et régule les méthodes mises en œuvre pour garder les secrets (conditions de validité de certaines clauses, refus de donner efficacité aux actions entreprises par le producteur ou le détenteur du secret, obligation de dévoiler le secret) ;

  • Confère à certaines personnes, dans certaines circonstances, le droit de prendre connaissance des secrets, de les utiliser ou de les divulguer et de s'opposer aux actions en justice exercées par les détenteurs de secrets(69) ;

  • Limite la possibilité pour ses détenteurs de conserver le silence et donner aux tiers des actions en justice qui leur permettront d'obtenir, d'utiliser, d'exploiter ou de diffuser un secret(70).

Les intérêts collectifs (d'une communauté) s'imposent aux intérêts particuliers (des personnes et des institutions publiques ou privées qui composent cette communauté). Le secret doit s'effacer devant des demandes légitimes fondées sur des intérêts supérieurs telles que la liberté d'entreprendre, la libre concurrence, le droit à la preuve ou le droit à l'information.

Le droit impose à chaque personne ou institution de subir les nuisances normales d'une vie économique fondée sur les libertés économiques et des agents et sur la primauté des intérêts collectifs et généraux sur les simples intérêts particuliers.

Ces conflits de légitimités sont tranchés par les juges en mettant en œuvre le principe de proportionnalité et une analyse casuistique des situations de fait. Le secret n'est pas un objet de litige commun. Une erreur d'appréciation peut avoir des conséquences très importantes. C'est sans doute pourquoi le droit du secret est sophistiqué.

(1): É. et F.-B. Huyghe, Histoire des secrets, De la guerre du feu à Internet, F. Hazan, 2000.

M. Azuelos, *Les enjeux économiques du secret dans l'Angleterre de la Renaissance, Histoire et secret à la renaissance*, Presses Sorbonne Nouvelle, 1997.

(2): G. Isouard, « La protection du secret des affaires entre tradition prétorienne et apports normatifs », Les cahiers Portalis, 2020/1, p. 177, PU d'Aix-Marseille.

(3): Art. 311-1 C. pén., Cass. crim., 12 janv. 1989, n° 87-822265, Bull. Crim. n° 14 ; Cass. crim., 9 sept. 2003, n° 02-87098 ; Cass. crim., 4 mars 2008, n° 07-84002 ; Cass. crim., 20 mai 2015, n° 14-81336, Bull. crim. n° 119 ; Cass. crim., 28 juin 2017, n° 16-81113, Bull. crim. n° 191.

(4): Art. 323-1 et s. C. pén. et notamment l'article 323-3 qui sanctionne le fait « d'extraire, de détenir, de reproduire, de transmettre, de supprimer ou de modifier frauduleusement les données » contenues dans un système de traitement automatisé de données.

(5): Article 312-1 C. pén., sanctionne « le fait d'obtenir par violence, menace de violences ou contrainte (...) la révélation d'un secret ».

(6): Article 312-10 C. pén., incrimine « *le fait d'obtenir, en menaçant de révéler ou d'imputer des faits de nature à porter atteinte à l'honneur ou à la considération (...) la révélation d'un secret *». Autrement dit, on ne peut pas menacer de révéler un secret (relevant de la vie privée par exemple), pour obtenir un secret économique.

(7): Article 313-1 C. pén., définit l'escroquerie comme « *le fait, soit par l'usage d'un faux nom ou d'une fausse qualité, soit par l'abus d'une qualité vraie, soit par l'emploi de manœuvres frauduleuses, de tromper une personne physique ou morale et de la déterminer ainsi, à son préjudice ou au préjudice d'un tiers, à remettre des fonds, des valeurs ou un bien quelconque (...) *». On doit estimer que le secret en tant que valeur peut faire l'objet d'une escroquerie. Les termes « des fonds, des valeurs ou un bien quelconque » étant utilisés aussi pour définir l'abus de confiance.

(8): Pour l'article 314-1 C. pén., l'abus de confiance consiste dans « le fait par une personne de détourner, au préjudice d'autrui, des fonds, des valeurs ou un bien quelconque qui lui ont été remis et qu'elle a acceptés à charge de les rendre, de les représenter ou d'en faire un usage déterminé ». Ainsi ont été sanctionnés sur ce fondement des salariés qui détournent des fiches clients, un projet, des fichiers informatiques contenant des informations confidentielles, Cass. crim., 4 janv. 1968, n° 67-91.237, Bull. crim., n° 1 ; Cass. crim., 22 sept. 2004, n° 04-80.285, Bull. crim., n° 218 ; Cass. crim., 22 oct. 2014, n° 13-82.630.

(9): Article L. 1227-1 du Code du travail repris à l'article L 621-1 CPI prévoit que : « Le fait pour un directeur ou un salarié de révéler ou de tenter de révéler un secret de fabrication est puni d'un emprisonnement de deux ans et d'une amende de 30 000 euros ». Voir aussi L 2143-21 C. trav., pour les délégués syndicaux.

(10): L'article 226-15 C. pén. sanctionne : « Le fait, commis de mauvaise foi, d'ouvrir, de supprimer, de retarder ou de détourner des correspondances arrivées ou non à destination et adressées à des tiers, ou d'en prendre frauduleusement connaissance, est puni d'un an d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende.

*Est puni des mêmes peines le fait, commis de mauvaise foi, d'intercepter, de détourner, d'utiliser ou de divulguer des correspondances émises, transmises ou reçues par la voie électronique ou de procéder à l'installation d'appareils de nature à permettre la réalisation de telles interceptions* », Cass. crim., 17 févr. 1988, n° 87-81.429 P.

(11): Le délit de violation de domicile de l'article 226-4 C. pén. (soit l'introduction ou le maintien dans le domicile d'autrui à l'aide de manœuvres, menaces, voies de fait ou contrainte) s'applique aux locaux industriels et commerciaux, Cass. crim., 21 mai 1957, n° 1-61.356 P ; Cass. crim., 4 déc. 1957, n° 91-23.157 P ; Cass. crim., 23 mai 1995, n° 94-81.141. En revanche, ne constitue pas une atteinte à l'intimité de la vie privée (article 226-1 C. pén.) l'enregistrement d'une conversation téléphonique par l'un des interlocuteurs, à l'insu de l'autre, lorsque celle-ci porte sur l'activité professionnelle des intéressés, peu important que les propos aient été tenus dans un lieu privé, Cass. crim., 14 févr. 2006, n°^ ^05-84.384 P.

(12): Le juge administratif peut aussi se faire le gardien des secrets, notamment pour les entreprises publiques. Ainsi, l'article L 311-6 du Code des relations entre le public et l'administration limite le droit de communication des documents administratifs « dont la communication porterait atteinte à la protection de la vie privée, au secret médical et au secret des affaires, lequel comprend le secret des procédés, des informations économiques et financières et des stratégies commerciales ou industrielles et est apprécié en tenant compte, le cas échéant, du fait que la mission de service public de l'administration mentionnée au premier alinéa de l'article [L. 300-2] est soumise à la concurrence », CE, 17 avril 2013, Cabinet de La Taille, n° 344924

(13): Si les personnes morales disposent, notamment, d'un droit à la protection de leur nom, de leur domicile, de leurs correspondances et de leur réputation, seules les personnes physiques peuvent se prévaloir d'une atteinte à la vie privée au sens de l'art. 9, Civ. 1re, 17 mars 2016, n° 15-14.072 ; O. de Maison Rouge, « Le secret des affaires à la frontière de la vie privée de l'entreprise », Constructif, n° 51, novembre 2018, p. 31

(14): La protection du secret par le brevet est imparfaite, car elle impose une publicité, elle est limitée dans le temps et dans l'espace et tous les secrets ne sont pas brevetables. Le droit d'auteur protège les bases de données (art. L 341-1 CPI) et les logiciels.

(15): Cass. com., 3 oct. 1978, n° 77-10915, Bull. IV, n° 208 ; Cass. com., 3 juin 1986, n° 84-16971, Bull. IV, n° 110 ; Civ. 1ere, 5 juil. 2006, n° 05-12193, Bull. I, n° 360 ; Cass. com., 24 avr. 2007, n° 06-11008.

(16): Article 1104 C. civ. : « Les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi ».

L'obligation de bonne foi dans la négociation conduit à révéler des informations (article 1137 C. civ.). Celui qui recueille ces secrets doit les garder et s'abstenir de les utiliser. En effet, l'article 1112-2 C. civ. dispose : « *Celui qui utilise ou divulgue sans autorisation une information confidentielle obtenue à l'occasion des négociations engage sa responsabilité dans les conditions du droit commun* ».

(17): La mauvaise foi consiste à trahir la confiance de son contractant et notamment à dévoiler ces secrets, pour un salarié voir, Cass. soc., 28 juin 1972, n° 71-40435, Bull. V n° 471 ; pour un agent commercial voir Cass. com., 16 oct. 2001, n° 99-11932, voir aussi art. L134-4 C. com.

(18): La confidentialité est parfois imposée par la loi, voir par exemple l'article L 225-37 al. 5 C. com. pour toute personne participant au conseil d'administration d'une société anonyme, l'article L 225-97 C. com. pour celle qui assiste à un directoire ou à un conseil de surveillance.

(19): Ces accords peuvent prendre la forme de clauses ou d'accords autonomes (ou NDA, non disclosure agreement). Ils produisent effet après le contrat, même lorsque celui-ci est résolu. En effet, l'article 1230 C. civ. dispose : « *La résolution n'affecte ni les clauses relatives au règlement des différends, ni celles destinées à produire effet même en cas de résolution, telles [les clauses de confidentialité] et de non-concurrence *» (soulignement ajouté).

C. Geiger et J. Boyer, « L'accord de confidentialité dans la pratique des affaires », *Contrats, concurrence, consommation*, mars 2016, p. 3 ; A.-S. Lucas-Puget, « L'opportunité des clauses de confidentialité aujourd'hui et demain ? », *Les Petites Affiches*, 14 nov. 2016, n° 119, p. 50 ; A. Latreille, « Réflexion critique sur la confidentialité dans les contrats », *Les Petites Affiches*, 8 août 2006, n° 157, p. 4 ; O. Leclerc, « Sur la validité des clauses de confidentialité en droit du travail », *Droit social*, 2005, n° 2, p. 173.

(20): Haut Comité Juridique de la Place financière de Paris, Rapport sur le secret bancaire, 6 juillet 2020. Le secret bancaire est encadré par les articles L 511-33 et L 522-19 du CMF, article L 612-17 CMF. Les sanctions qui y sont attachées sont prévues aux articles L 571-4 et 572-7 du CMF qui renvoient aux articles 226-13 C. pén. sur le secret professionnel. Des sanctions civiles pourront être prononcées sur le fondement de l'article L 152-1 et s. C. com. Des sanctions disciplinaires peuvent être prononcées par l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) en application de l'article L 612-1 CMF.

(21): Article L 226-13 C. pén. : « La révélation d'une information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire soit par état ou par profession, soit en raison d'une fonction ou d'une mission temporaire, est punie d'un an d'emprisonnement et de 15 000 € d'amende ». Dans la vie économique, ce texte s'applique aux avocats, aux notaires, aux banquiers, aux commissaires aux comptes, aux experts-comptables, aux huissiers (devenus commissaires de justice), mais pas aux dirigeants sociaux.

Toutefois, l'article 226-13 n'est pas applicable dans les cas où la loi impose ou autorise la révélation du secret (art. 226-14 C. pén.). Le secret ne peut être opposé que dans certaines conditions restrictives à la justice et à l'administration. Il pèse aussi sur certains professionnels une obligation de révélation des faits délictueux dont ils ont connaissance.

(22):  Ainsi les exceptions au secret bancaire sont nombreuses. Les textes encadrant le secret bancaire prévoient une liste d'entités à qui le secret est inopposable (ex. l'ACPR, la Banque de France, l'autorité judiciaire agissant dans le cadre d'une procédure pénale, les commissions parlementaires, les agences de notation, des partenaires financiers). D'autres textes lèvent le secret bancaire à l'égard d'autorités publiques telles que notamment l'administration fiscale (lorsque les établissements de crédit sont tenus de faire des déclarations, de communiquer certains documents en application des articles L 81, L 83 et L 85 du LPF ou de se soumettre aux visites et saisies de l'article L 16 B du LPF), l'administration des douanes (articles 65 et 455 C. douanes), l'Autorité des marchés financiers (art. L 621-8-4 CMF), la Banque centrale européenne (articles 10 et 12 du Règlement n° 1024/2013 du 15 octobre 2013 confiant à la Banque centrale européenne des missions spécifiques ayant trait aux politiques en matière de surveillance prudentielle des établissements de crédit), la Cour des comptes (art. L 141-5 et L 141-9-1 C. jur. financ.), l'Autorité de la concurrence (art. L 450-1 à L 450-8 C. com.), la DGCCRF (art. L 511-1 et s. C. consom.), la CNIL (art. 19 III loi n° 78-17 du 6 janvier relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés), TRACFIN (art. L 561-15 à L 561-22 CMF), la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (art. 25 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique dite « Sapin 2 »), etc.

Le droit à la preuve peut permettre aussi au juge civil et commercial de lever le secret bancaire (Cass. com., 4 juill. 2018, n° 17-10158 ; Cass. com., 15 mai 2019, n° 18-10491).

(23): En 2004, 2009 et 2011, le député Bernard Carayon a déposé des propositions de lois visant à protéger le secret des affaires. En 2014, c'est le groupe socialiste de l'Assemblée nationale qui a déposé une proposition de loi (Bruno Leroux, Jean-Jacques Urvoas). Celle-ci a été reprise par le gouvernement (amendement R. Ferrand) et insérée dans le projet de loi pour la croissance et activité (loi Macron). Puis sous la pression des journalistes, le gouvernement a fait machine arrière. Le 8 juin 2016 fut adoptée la Directive n° 2016-943 sur la protection des savoir-faire et des informations commerciales non divulgués (secret d'affaires contre l'obtention, l'utilisation et la divulgation illicites). La transposition de ce texte est intervenue par le biais de la loi du 30 juillet 2018. Le Conseil constitutionnel a déclaré 7 articles de cette loi conformes à la Constitution ; décision n° 2018-768 DC du 26 juillet 2018, Loi relative à la protection du secret des affaires.

(24): Articles 151-2 à 151-6 C. com.

(25): Articles L 152-3 à L 152-5 C. com., et R 152-1 C. com.

(26): Articles L 152-6 à L 152-7 C. com.

(27): Cass. com., 4 octobre 2018, n° 18-10688 QPC, Sté Mergermark et Limite c/ Sté Consolis

Article L 1231-1 C. trav. ; Article L 2143-21 C. trav.

(28): Art. L 151-7 C. com.

(29): Article L 151-8 C. com.

(30): Article L 151-9 C. com.

(31): Articles L 151-3 et R 153-1 à R 153-10 C. com.

(32): Une réunion, une rencontre, une correspondance, une délibération, une mission, une action, une arme, un agent et des services, un dossier, des fonds, une partie à un procès, une police, un scrutin, un langage, un trajet, un passage, une porte, un tiroir, une serrure, un meuble, un code, une personne (secrète ou mise au secret), un journal, une botte, une maladie, un motif, un monde, une filiation, un sentiment, une recette de cuisine, un procédé alchimique, un tour de magie, une stratégie, des données économique et commerciales, un savoir-faire, etc.

(33): L'article 153-2 C. com. impose une obligation de confidentialité à toute personne qui a eu accès à une pièce secrète d'un dossier judiciaire. Voir aussi l'article L 151-9 C. com. pour les salariés et leurs représentants.

(34): Il peut être aussi important de dater la production ou l'acquisition d'une information confidentielle. À cette fin, on peut utiliser les enveloppes Soleau, faire faire un constat par un commissaire de justice, utiliser la blockchain, tenir un cahier de laboratoire, horodater électroniquement, etc.

(35): Les dieux, Dieu, la nature, l'État, les entreprises, les familles, les professionnels de santé ou du droit, chaque être humain, chaque communauté, chaque institution a des secrets, dissimule des actes, des pensées, des savoirs, des lieux, des relations avec d'autres personnes. Cette liste n'est pas limitative.

(36): D'autres contributions de ce dossier traitent du secret de la défense nationale, du secret professionnel de l'avocat, du secret dans l'investigation et l'instruction, du secret du délibéré ou des délibérations, du secret de l'administration et des politiques (monnaie et crédit public, politique extérieure). Il ne sera donc pas utile de les aborder lorsque ceux-ci peuvent avoir un rôle dans la vie économique. Ajoutons que pour un juriste privatiste, il est important d'invoquer deux autres secrets : le secret de la famille et celui de la vie privée. Si le premier n'a quasiment aucun rôle direct à jouer dans la vie économique, il en va autrement du second. En effet, certains secrets professionnels (ex. bancaire, comptable, commissaires aux comptes) sont fondés sur la protection de la vie privée de leurs clients (le secret médical quant à lui a un fondement distinct).

(37): Les articles 411-4 et s. du C. pén. sanctionnent au titre de l'intelligence avec une puissance étrangère le fait d'entretenir des intelligences avec une entreprise étrangère ou sous contrôle étranger ou avec leurs agents et notamment de livrer à ceux-ci des renseignements, procédés, objets, documents, données informatisées ou fichiers. L'intelligence économique est proche du renseignement économique, notamment dans le domaine de l'armement ou des entreprises participant à l'économie de la défense nationale.

(38): Les biens naturels (comme un gisement de matières premières exploitable) et manufacturés. L'exploration minière consiste à découvrir un gisement de matière première exploitable. Un ensemble de choses précieuses caché constitue un trésor.

(39): Si le brevet protège une invention, il impose toutefois une diffusion qui peut conduire l'inventeur à préférer garder le secret, sans solliciter la protection du droit. Ainsi, le droit de la propriété intellectuelle étant jugé par les entreprises de l'économie numérique comme conférant une protection imparfaite, celles-ci recourent au secret des affaires pour veiller à l'intégrité de leurs actifs essentiels ; voir F. Marty, « La protection des algorithmes par le secret des affaires, entre risques de faux négatifs et risques de faux positifs », Rev. Int. Drt éco, 2019/2, t XXXII, p. 211. Dans d'autres hypothèses (recettes de cuisine, tours de magie, fragrance de parfum et plus généralement toutes les activités artisanales), l'information n'est pas protégeable par la propriété intellectuelle.

(40): Ne sont pas accessibles au public les documents administratifs dont la consultation ou la communication porterait atteinte à la monnaie et au crédit public, comme les documents émanant des autorités monétaires comme la Banque de France ou le Trésor si leur divulgation favorisait des mouvements spéculatifs ou affaiblissait la politique monétaire de la France, article L. 311-5 du CRPA.

(41): Les techniques de fabrication de certaines choses constituent des secrets de fabrique (article 418 C. pénal). Les savoir-faire ne se limitent pas aux activités de production.

(42): Classiquement, produire c'est combiner des facteurs de production (ou les richesses, biens, travaux, monnaies) pour faire exister un nouvel objet, une nouvelle richesse et les économistes distinguent l'exploitation de ressources naturelles (agriculture, pêche ou mine ou secteur primaire), les activités de transformation (industrie, artisanat, construction ou secteur secondaire) et les activités de services (transport, commerce, restauration ou secteur tertiaire). Le secret peut s'attacher aux richesses utilisées comme moyens de production, mais il est aussi lié à la méthode de combinaison des facteurs de production (au procédé de production) et aux nouvelles richesses créées.

(43): Échanger c'est transmettre une richesse en contrepartie d'une autre richesse. L'échange peut se faire sans monnaie de paiement (troc, don et contre-don) ou grâce à elle (un prix). Les lieux où les échanges se réalisent sont les marchés.

Les secrets sont très présents dans la stratégie des offreurs sur les marchés. Ils portent notamment sur les prix et remises pratiqués, la liste des fournisseurs et des clients, la politique de développement à l'exportation, les raisons du retrait de la candidature de l'entreprise à un appel d'offres. Ils permettent d'optimiser la rentabilité de l'échange.

(44): Consommer au sens économique c'est utiliser des biens et services, généralement dans le but de satisfaire des besoins ou des désirs. C'est retirer la valeur d'usage de la chose, mais aussi l'exploiter dans le processus de production (consommation intermédiaire).

(45): L'épargne est le fait de ne pas consommer une richesse. Dans son expression première, c'est le fait de ne pas utiliser la richesse. L'épargne suppose aussi une action positive, une décision, celle de mettre en réserve. Ces deux sens du mot épargne qu'on applique classiquement aux revenus peuvent être étendus au secret.

(46): Généralement, les économistes reconnaissent aux États aux moins deux activités : réguler les activités économiques et redistribuer les richesses. Le droit est l'instrument de l'État pour réguler et redistribuer. À cette première approche, il faut aussi ajouter la résolution des conflits.

(47): Le secret crée la rareté, permet de dominer les membres de la communauté du secret, confère un avantage stratégique dans les relations avec les partenaires et fait gagner du temps.

(48): Ce que les économistes appellent la rente informationnelle.

(49): Juridiquement, les entreprises peuvent prendre de nombreuses formes, telles qu'une société civile ou commerciale, une association ou une entreprise publique.

(50): Des formules de fabrication, des connaissances élaborées ou acquises (l'expérience), des procédés, des éléments non brevetés, des produits, une organisation.

(51): « Les secrets d'affaires sont des informations dont non seulement la divulgation au public, mais également la simple transmission à un sujet de droit différent de celui qui a fourni l'information peut gravement léser les intérêts de celui-ci », TPICE, 18 septembre 1996, aff. T-353/94, Postbank NV (point n° 87)

(52): Ainsi la protection des savoir-faire ou des procédés de production et de commercialisation consiste avant tout à garder secrète une façon de travailler ou de fournir un service.

(53): La protection passe aussi souvent par la sécurisation des locaux (ex. barrières, sas, contrôles d'accès, identification biométrique), du matériel (classification des documents, système d'information, mot de passe) et des ressources humaines (charte de sécurité, formation et sensibilisation, accord de confidentialité).

(54): Le recours à des sous-traitants et à des prestataires externes, le télétravail, le cloud, la vente à distance et tout ce qui favorise l'utilisation des technologies de l'information accentue le risque de captation des secrets au cours de leur circulation.

(55): Des savoir-faire parfois secrets. Il y a un secret des méthodes qui permettent de garder le secret.

(56): Le détenteur du secret d'affaires agit pour le protéger et prend l'initiative du procès. Il est en demande. Il doit donc se demander si les conditions posées par la norme qu'il invoque pour obtenir gain de cause sont remplies (ex. suis-je détenteur d'un véritable secret protégeable ? Ma détention du secret est-elle licite ? Le défendeur a-t-il commis un acte illicite ?). À supposer que le détenteur du secret considère être dans son bon droit, il devra se poser la question du risque probatoire. Ne risque-t-il pas de dévoiler un secret dans la procédure pour respecter le droit au procès équitable, le principe du contradictoire et le principe de publicité de la justice ? L'équilibre entre la protection du secret et ces principes est fait au cas par cas par le juge en s'appuyant sur divers fondements juridiques (motivation de la décision et publication de celle-ci, débats en chambre du conseil, mise en place de cercle de confidentialité).

(57): Le détenteur du secret se sert de celui-ci comme d'un bouclier pour s'opposer à une demande. Le détenteur du secret est en défense. Le secret ne permet jamais de paralyser les instructions civiles, administratives ou pénales. Le droit à la preuve, le droit des enquêteurs, limitent la force du secret dans des degrés variables.

(58): Garder le secret conduit parfois à mentir, à créer des apparences trompeuses. Le mensonge couvre le secret, il permet de créer « un écran de fumée ». Le plus souvent, ces mensonges appellent de nouveaux mensonges. La question est de savoir si la fin (conserver le secret) justifie les moyens (le mensonge, la tromperie, les manœuvres dolosives). Il faut combiner le droit à un secret avec les exigences de sincérité et de loyauté.

(59): On ne peut pas dire des entreprises qu'elles sont des sociétés secrètes, car leurs existences ne sont pas clandestines et leurs buts ne sont pas ésotériques ou criminels.

(60): L'enseignement consiste parfois en la transmission de connaissance sous le sceau du secret. L'organisation des professions contient le plus souvent un volet pédagogique. Les compétences, les savoir-faire, les savoir-dire assurent la cohésion du groupe.

(61): Le langage courant marque des nuances quant au nombre de personnes connaissant le secret et la probabilité de sa révélation qui en découle : le secret absolu, la confidence, la discrétion, la cachotterie, la réserve, le secret de polichinelle, etc.

(62): Les gestionnaires opposent, dans une perspective initialement comptable, les actionnaires (stockholder) et plus largement ceux qui partagent les bénéfices (shareholder) aux stakeholder (traduit par partie prenante) qui désigne tout acteur individuel ou collectif, interne ou externe à une entreprise dont les intérêts peuvent être affectés positivement ou négativement à la suite de l'exécution ou de la non-exécution par l'entreprise d'une décision ou d'un projet (externalité positive ou négative).

(63): Le détenteur d'un secret d'affaires ne peut pas empêcher d'autres entreprises d'utiliser les mêmes données publiques et de les combiner pour obtenir, indépendamment de tout acte illicite, un secret équivalent à celui détenu antérieurement par le détenteur initial.

(64): B. Delaunay, « La transparence dans la vie économique », Nouveaux cahiers du Conseil constitutionnel, 2018, n° 59, p. 23 ; J.-F. Kerléo, La transparence en droit, Recherche sur la formation d'une culture juridique, Mare et Martin, 2015 ; G. Goffaux-Callebaut, « Secret et transparence en droit des affaires », Petites affiches, 14 nov.  2016, p. 48 ; J. Mestre, « Transparence ou secret, un débat toujours difficile », Rev. Lamy Droit civil, 1er mai 2021.

(65): Si certains secrets peuvent apparaître comme naturels, la plupart d'entre eux sont le résultat d'une œuvre d'un sujet de droit. Le secret se crée, se fabrique, se construit, se forme. La détention du secret est la suite immédiate de sa production. Concevoir le secret comme une production de l'activité des entreprises (et des êtres humains qui la composent) conduit à affirmer que le secret est approprié par son auteur ou celui qui en devient détenteur licitement. Le secret doit se présenter comme une information que d'autres ne détiennent pas et qui a été obtenue licitement. Voir articles L 151-1 à L 151-6 C. com.

(66): La « propriété » de l'information est un sujet qui est apparu dans les années 1980, voir P. Catala, La « propriété » de l'information, Mélanges offerts à P. Raynaud, Dalloz, 1985 ; P. Catala, « Ébauche d'une théorie juridique de l'information », Rev. drt. Prospect. Aix-Marseille III. L'auteur distingue les droits sur l'information du droit à l'information.

Sur le site de l'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI), les secrets d'affaires sont définis comme « *des droits de propriété intellectuelle portant sur des renseignements confidentiels pouvant être vendus ou faire l'objet de licence* ».

(67): Le premier droit d'un détenteur de secret est de ne pas divulguer son secret ? Ce refus devient contestable uniquement si un tiers détient un droit à obtenir cette information ou s'il pèse sur son détenteur une obligation de la transmettre ou de la divulguer.

(68): Les secrets peuvent faire aussi l'objet d'échanges. Il y a des flux d'informations secrètes. Il y a un marché de l'information. L'analyse économique a toutefois mis en lumière que celui-ci conduit parfois à des sélections adverses (le demandeur acquiert dans l'ignorance un bien qui ne correspond pas à ses besoins) et pose des difficultés morales (tromperie, violence).

(69): Une grande partie des règles juridiques relatives au secret ont pour objet la circulation des secrets. Ainsi le droit prévoit pour celui qui détient un secret soit le droit de transmettre ou de ne pas le transmettre, soit l'interdiction de transmettre celui-ci.

Pour celui qui ne détient pas un secret, le droit peut prévoir soit le droit de l'obtenir ou de ne pas l'obtenir, soit l'interdiction de l'obtenir ou de chercher à l'obtenir. La Cour de cassation a, dans son rapport annuel pour l'année 2010, publié une étude consacrée au droit de savoir (p. 93). La Cour expose d'abord le droit d'obtenir d'autrui une information (elle présente les obligations d'information en droit des contrats et en procédure et les obligations de se justifier telles que rendre des comptes ou motiver), puis le droit de prendre connaissance d'une information. À ce titre, elle présente le droit de savoir et la confidentialité du fonctionnement d'une entreprise, la protection de la vie privée, les secrets professionnels et le droit de savoir du public (droits de la personnalité, liberté d'expression et syndicale, infractions de presse).

(70): Ainsi, nul ne peut commettre des actes interdits et exciper d'un secret pour échapper à une enquête et à la sanction qui peut en découler et ce quelles que soient les nuisances qui peuvent en naître.

La protection du secret doit céder pour vérifier que l'entreprise n'a pas commis des actes illicites (fraude fiscale, blanchiment, corruption, pratiques anticoncurrentielles, fraude, délit d'initiés, espionnage industriel, escroquerie, etc.) et pour être sanctionnée si c'est le cas.

Citer cet article

Georges DECOCQ. « Le secret dans la vie économique », Titre VII [en ligne], n° 10, Le secret, avril 2023. URL complète : https://www.conseil-constitutionnel.fr/publications/titre-vii/le-secret-dans-la-vie-economique