Le Conseil constitutionnel ne défend plus les pouvoirs financiers du Parlement
Titre VII
Le contrôle de constitutionnalité des lois financières - Hors-série - juillet 2024
Le Conseil constitutionnel ne défend plus les pouvoirs financiers du Parlement. Les deux dernières fois qu'il l'a fait datent du 24 décembre 1979 (loi de finances pour 1980) et du 24 juillet 1984 (loi de règlement pour 1983). Depuis ces années, on a beau chercher dans la jurisprudence constitutionnelle, on ne trouve aucun exemple en ce sens. Au contraire, la technique de la double détente par anticipation utilisée en 1997 et en 2005 a montré que le Conseil répugnait à sanctionner le Gouvernement en cas de violation directe de la loi organique relative aux lois de finances. De la même manière, le principe de sincérité, pourtant inscrit à l'article 32 de la LOLF, n'a jamais permis à l'opposition de faire censurer le Gouvernement. Ni pour la loi de finances initiale ni pour la loi de règlement. Enfin, de nouvelles pratiques, comme celle des non cavaliers, montrent que le Gouvernement suit de plus en plus les orientations fixées par les observations du Gouvernement.
Le Conseil constitutionnel ne défend plus les pouvoirs du Parlement. Les dernières fois où il l'a fait, c'était dans deux décisions anciennes dont on a parlé pour l'une d'elles, celle du 24 décembre 1979, loi de finances pour 1980, pour laquelle il y avait eu un vice de procédure, c'est pourquoi la loi de finances a été intégralement déclarée contraire à la Constitution. Il y a aussi une deuxième fois, malheureusement méconnue, qui a eu lieu le 24 juillet 1984 pour la loi de règlement. Là c'était un autre vice de procédure : le Gouvernement aurait dû déclarer l'urgence, l'urgence n'a pas été déclarée donc il a fallu reprendre la procédure à zéro. Le Gouvernement a été deux fois sanctionné. Depuis, c'est terminé. C'est silence radio, tout est mis en veilleuse et le Conseil constitutionnel ne fait plus que défendre le Gouvernement. D'ailleurs, le Conseil constitutionnel se borne à appliquer la Constitution. Et quand on cherche la disposition de la Constitution qui est la plus favorable au Gouvernement, c'est le 49-3. Regardons ce qui s'est passé pour l'adoption de la loi de finances pour 2023 : cette procédure a permis à la Première ministre de prendre les crédits du programme du service public de l'énergie au sein de la mission écologie (12 milliards dans le PLF) et de renverser ces chiffres qui sont passés quasiment au double (21 milliards). C'est sympathique le 49-3, ça permet au Gouvernement de multiplier les chiffres du budget d'un programme déjà conséquent par deux sans s'embêter et finalement pour le Conseil constitutionnel, c'est une application qui ne pose pas de problème car c'est conforme à la Constitution.
On peut donner trois exemples de l'attitude du Conseil qui ne défend pas le Parlement mais plus volontiers le Gouvernement, tout d'abord ce que j'appelle la double détente par anticipation, ensuite le principe de sincérité budgétaire et enfin ce que j'appelle les non cavaliers. La double détente par anticipation, qu'est-ce que c'est ? C'est le cas où le Conseil constitutionnel va déclarer, dans un premier temps, qu'une disposition de la loi de finances est contraire à la Constitution ; mais finalement et dans un deuxième temps, comme le Gouvernement dit que cette anomalie va être régularisée dans le délai d'un an, le Conseil constitutionnel va s'abstenir de toute sanction. On le voit très clairement, il y a une double détente : le premier temps est celui de la reconnaissance d'une contradiction de la Constitution et le second temps, qui devrait être celui de la sanction, sera celui de l'absence de sanction. Mais c'est une double détente par anticipation parce que le Conseil constitutionnel va donner une portée rétroactive à la future régularisation promise par le Gouvernement. Et c'est cette anticipation qui n'est pas normale et qui montre bien que le Conseil défend le Gouvernement. La double détente par anticipation a joué à deux reprises : une première fois dans le système financier régi par l'ordonnance de 1959 et une deuxième fois l'année d'entrée en vigueur de la loi organique relative aux lois de finances de 2001.
Pour la première fois, il s'agit de la décision du Conseil constitutionnel du 30 décembre 1997, loi de finances pour 1998 : c'est la décision qu'on appelle familièrement la décision sur les fonds de concours. De quoi s'agissait-il ? Le Gouvernement avait pris l'habitude, sur le fondement de textes de rang législatif, de rattacher chaque année des crédits par voie de fonds de concours aux crédits prévus et autorisés par la loi de finances. Ces fonds de concours permettaient au ministre des Finances d'utiliser des crédits supplémentaires pour financer des dépenses supplémentaires qui étaient loin d'être inutiles ni négligeables. Cette pratique était rendue possible par le fait que les fonds de concours pouvaient être rattachés au budget par un simple arrêté du ministre des Finances. Or, les fonds de concours qui existent depuis bien longtemps étaient prévus par l'ordonnance de 1959. La procédure relevait de l'article 19 de l'ordonnance de 1959. Dans un premier temps, le Conseil a relevé que la procédure était en contradiction avec l'ordonnance de 1959, mais comme le Gouvernement avait promis de régulariser la situation dans un an, il n'y a pas eu de déclaration d'inconstitutionnalité. Les spécialistes du contentieux constitutionnel ont tout de suite vu qu'il s'agissait d'une réserve d'interprétation d'un type particulier qui permettait au Conseil de ne rien sanctionner du tout.
La deuxième fois, c'est la décision du Conseil constitutionnel du 29 décembre 2005, loi de finances pour 2006 sur les missions mono-programme. Il faut revenir sur cette anomalie. Plusieurs missions du budget de l'État comportaient un seul programme alors qu'il faut qu'une mission contienne au minimum deux programmes, sans quoi le Parlement ne peut pas opérer de modulation de crédits d'un programme à un autre. Par conséquent, là aussi, le Conseil constitutionnel va déclarer, dans un premier temps, que les missions mono-programme contredisent la lettre de la nouvelle loi organique mais dans un deuxième temps, il va s'abstenir de prononcer la moindre sanction car le Gouvernement promet de régulariser la situation dès la prochaine loi de finances en disant que l'année prochaine, toutes les missions du budget de l'État, y compris celles des budgets annexes et des comptes spéciaux, seront présentées avec un minimum de deux programmes. Et c'est cette deuxième décision qui a abouti à ce que certains ont appelé l'injusticiabilité des lois de finances. Pendant trois années, 2006, 2007 et 2008, les parlementaires vont s'abstenir de saisir le Conseil constitutionnel sur la loi de finances de l'année. Que se passait-il ? La majorité et l'opposition savaient que la saisine du Conseil constitutionnel risquait d'aboutir à une absence de sanction. Ils se sont donc entendus chaque année sur des amendements et des cavaliers budgétaires pour éviter d'avoir à saisir le Conseil constitutionnel. Mais avec l'ampleur de la crise financière et l'enjeu que représentait la réforme de la taxe professionnelle et la création de la taxe carbone, les parlementaires se sont remis à saisir le Conseil constitutionnel à partir de l'année 2009 pour la loi de finances pour 2010.
Deuxième argument : le principe de sincérité. C'est un principe que j'aime beaucoup car il nous vient du droit des sociétés qui exige que les comptes donnent une image fidèle et qu'ils soient réguliers et sincères, ce qui est une chose tout à fait pertinente. Et puis, c'est aussi un principe budgétaire qui joue au niveau des finances locales, depuis la loi du 2 mars 1982, dans laquelle il est écrit que le budget doit être présenté et voté en équilibre réel. Ce qui signifie qu'il doit respecter trois conditions : l'équilibre de chaque section, la sincérité des évaluations de recettes et de dépenses et le respect de la règle d'or. La sincérité fait donc partie de l'équilibre au plan local, ce qui signifie que les recettes ne doivent pas être grossies artificiellement et que les dépenses ne doivent pas être minimisées. Et justement, cette question de la sincérité s'est posée lorsque le Gouvernement Balladur a évalué les recettes attendues des privatisations de 1993. L'opposition a saisi le Conseil constitutionnel sur la base de la rupture du principe de sincérité car les recettes avaient été évaluées de manière excessive, selon l'opposition. Mais le Conseil constitutionnel n'a pas voulu utiliser ce principe. On a alors saisi le Conseil constitutionnel du moyen tiré de la violation du principe de sincérité pour les lois de finances initiales jusqu'à ce que la décision du Conseil constitutionnel fixe une interprétation de ce principe dans sa décision du 29 décembre 1994, loi de finances pour 1995. Quelle est cette interprétation ? C'est tout simple : le Gouvernement a le droit de se tromper dans ses évaluations de recettes et de dépenses, ce qui revient à dire que le Conseil constitutionnel a institué une présomption de sincérité du Gouvernement. À la suite de cette importante décision, aucun recours des parlementaires n'a pu aboutir à une déclaration d'inconstitutionnalité d'une disposition d'une loi de finances pour un motif tiré de la violation du principe de sincérité. Puis ce principe a été écrit dans l'article 32 de la loi organique de 2001 mais il est mal écrit. C'est la raison pour laquelle le Conseil constitutionnel a été obligé d'en donner une interprétation claire. En effet, que veut dire cet article : « Les lois de finances présentent de façon sincère l'ensemble des ressources et des charges de l'État. Leur sincérité s'apprécie compte tenu des informations disponibles et des prévisions qui peuvent raisonnablement en découler » ? Le Conseil a été obligé de fournir une explication dans sa décision du 25 juillet 2001 sur la loi organique relative aux lois de finances en disant qu'il y avait deux cas distincts de sincérité, la petite et la grande. Le principe n'a pas la même portée selon qu'il s'agit des lois de finances de l'année ou de la loi de règlement. La petite sincérité, c'est la sincérité de la loi de finances initiale ou rectificative dans laquelle le Gouvernement peut se tromper dans l'évaluation des chiffres de recettes et de dépenses, ce qui est parfaitement normal. Le Conseil constitutionnel précise que la sincérité consiste en l'absence d'intention de fausser l'équilibre de la loi de finances. Mais il est évident que cette condition ne pourra jamais être remplie, ce qui explique pourquoi le Conseil n'a jamais censuré une loi de finances ou une loi de finances rectificative pour défaut de sincérité. Le Conseil dégage par conséquent une présomption de sincérité du Gouvernement dans l'évaluation des chiffres des lois de finances. En réalité, c'est parce que le Conseil constitutionnel ne veut pas aller contre le Gouvernement et encore moins procéder à la vérification des chiffres.
Et puis il y a la grande sincérité, plus contraignante, celle qui concerne la loi de règlement appelée aujourd'hui loi relative aux résultats de la gestion et portant approbation des comptes de l'année. Et la sincérité de la loi de règlement porte sur les résultats de l'exécution de la loi de finances, à savoir encaissement des recettes, paiement des dépenses, fixation du montant du déficit et autorisations rétroactives accordées en cas de force majeure. Pour la loi de règlement, le Conseil constitutionnel explique que la sincérité signifie exactitude des comptes, ce qui renvoie à une exigence beaucoup plus grande. En effet, s'il y a une inexactitude des comptes, le Conseil constitutionnel pourra censurer la loi de règlement car c'est une question trop grave. Et là, c'est très intéressant de regarder ce qui s'est passé dans la jurisprudence constitutionnelle. Les choses se sont déroulées en deux temps. Dans un premier temps, les requérants ont constaté que la Cour des comptes avait relevé de graves inexactitudes dans les comptes de l'État pour l'année 2005. En effet, la Cour relève notamment dans son rapport des pratiques prenant de grandes libertés avec le principe comptable d'indépendance des exercices. Les requérants pensent qu'ils vont pouvoir faire déclarer la loi de règlement contraire à la Constitution pour violation du principe de sincérité de la loi de règlement. Mais le Conseil constitutionnel va leur répondre dans sa décision du 13 juillet 2006 que l'article 32 ne s'applique pas à la loi de règlement pour 2005 dans la mesure où la loi organique de 2001 ne s'appliquera que pour les comptes de 2006 et donc pour la loi de règlement de l'exercice suivant. C'est l'incompétence ratione temporis. Les requérants ont raté leur coup. L'année suivante, en 2007, c'est l'élection présidentielle, on a d'autres centres d'intérêts que la sincérité de la loi de règlement. Il faut attendre la loi de règlement pour 2008, ce qui signifie l'été 2009. La Cour des comptes signale de la même manière de graves inexactitudes dans les comptes. Les requérants saisissent alors le Conseil constitutionnel en pensant que cette fois, ils vont réussir à faire censurer le Gouvernement pour défaut de sincérité et montrer que la loi de règlement n'a pas respecté la rigueur de l'exactitude des comptes. La décision du 6 août 2009 va surprendre en ne censurant pas la loi de règlement car le Conseil constitutionnel n'a pas osé aller jusqu'au bout de la logique qu'il avait lui-même tracée dans sa propre jurisprudence en la matière. On le voit très clairement, lorsque le Conseil constitutionnel est face à une inexactitude des comptes, et que les observations du Gouvernement minimisent les constats de la Cour des comptes, il ne censure pas et préfère se ranger prudemment derrière le Gouvernement. Ce qui envoie un message subliminal concernant la sincérité : ce n'est pas le Conseil constitutionnel qui en est juge, c'est la Cour des comptes. Mais comme la Cour des comptes n'a pas de pouvoir de sanction, le Conseil constitutionnel refuse de jouer ce rôle.
Enfin, je termine par les non cavaliers. On sait ce que sont les cavaliers mais on connaît moins ce que j'appelle les non cavaliers. Les cavaliers budgétaires sont une notion bien connue. D'ailleurs, Jean-Pierre Camby ici présent a écrit un article de référence sur les cavaliers dans les Mélanges offerts à Loïc Philip. On sait ce qu'est un cavalier budgétaire, c'est une disposition étrangère à l'objet des lois de finances. C'est une disposition qui n'est pas à sa place dans la loi de finances, un passager clandestin en somme. Et on sait tout le travail accompli par le Conseil constitutionnel pour faire le tri, la sélection de ces cavaliers qui sont retirés de la loi de finances pour garantir le respect des règles de contenu des lois de finances. Mais on ne sait pas ce que sont les non cavaliers. Ce sont des dispositions qui sont soulevées par les saisines des députés et des sénateurs parce qu'ils considèrent qu'elles ne sont pas à leur place dans la loi de finances. Mais lorsque le Conseil examine si ces dispositions sont à leur place dans la loi de finances, le Gouvernement, dans ses observations, développe une argumentation contraire pour dire que ce sont des dispositions qui sont bien à leur place au sein de la loi de finances et donc qu'il n'y a pas lieu de les en retirer. Finalement, les non cavaliers, c'est un exemple dans lequel on voit très bien que le Gouvernement ne tient pas compte de la lettre de saisine pour suivre le Gouvernement. Et le Gouvernement qui est à l'origine de ces cavaliers va fournir un raisonnement clé en mains au Conseil constitutionnel pour que ces non cavaliers ne soient pas retirés de la loi de finances.
Regardons comment ces non cavaliers ont fonctionné dans la jurisprudence récente du Conseil constitutionnel. Par exemple dans la loi de finances pour 2021 : le Conseil constitutionnel a été saisi de deux recours, un premier recours par 60 sénateurs et un second par 60 députés. Les sénateurs soutenaient que quatre articles de la loi de finances constituaient des cavaliers budgétaires, or le Conseil constitutionnel n'en a retenu que deux. En outre, il convient de remarquer que le Conseil constitutionnel a retiré d'office cinq cavaliers budgétaires de la loi de finances. Quelles étaient ces deux dispositions dont le Conseil a jugé qu'elles étaient à leur place dans la loi de finances ? Il s'agit tout d'abord de [l'article 190] qui prévoyait que le bureau de chaque assemblée déterminait les modalités selon lesquelles l'organe chargé de la déontologie parlementaire contrôlait les dépenses engagées au titre de l'indemnité représentative de frais de mandat. Les sénateurs considéraient que cette disposition devait être déclarée contraire à la Constitution car elle ne faisait pas partie du contenu obligatoire, ni du contenu exclusif ni du contenu facultatif ou partagé des lois de finances. Pourtant, le Conseil constitutionnel a jugé que cette disposition visait à renforcer l'information et le contrôle du Parlement sur la gestion des dotations budgétaires prévues et autorisées pour l'Assemblée et le Sénat au sein de la mission Pouvoirs publics.
Cette fonction de contrôle du Parlement sur la gestion des finances publiques est essentielle et relève du domaine facultatif des lois de finances depuis la loi organique du 1er août 2001 alors qu'elle relevait du domaine exclusif selon l'ordonnance du 2 janvier 1959. Ainsi, peuvent figurer dans la deuxième partie de la loi de finances toutes les dispositions relatives à l'information et au contrôle du Parlement sur la gestion des finances publiques en application de l'article 34 II point 7 ° e) de la LOLF. Les observations du Gouvernement indiquent que cet article relève bien du domaine des lois de finances à un triple titre : d'abord parce qu'il s'agit d'un contrôle du Parlement sur les finances publiques dont font partie les dotations des assemblées qui contiennent l'indemnité représentative de frais de mandat dont il est question, ensuite parce que le contrôle parlementaire peut aboutir à un reversement qui trouverait sa place en deuxième partie de la loi de finances car il s'agit de dépenses budgétaires et enfin car la seconde partie de la loi de finances pouvait contenir des dispositions relatives à la responsabilité personnelle et pécuniaire des agents des services publics. Mais le Conseil constitutionnel n'a retenu que le premier argument du Gouvernement selon lequel l'article litigieux visait à renforcer l'information et le contrôle des parlementaires sur la gestion des finances publiques. Ce premier « non cavalier » nous semble parfaitement cohérent et les saisines des parlementaires montrent bien que leur position n'était peut-être pas seulement justifiée par des arguments purement formels.
Le second « non cavalier » portait sur une pratique plus traditionnelle consistant à rendre obligatoire la publication d'un rapport du Gouvernement au Parlement. Il s'agissait de l'article 265. Bien souvent, ces rapports sont sans incidence sur les ressources et les charges de l'État, ce qui fait que le Conseil constitutionnel n'a aucune difficulté à les retirer de la loi de finances. Pourtant dans la loi de finances pour 2021, le cavalier litigieux avait été très bien construit. Il s'agissait de la remise d'un rapport au Parlement sur l'emploi associatif, les conséquences de la réduction du nombre d'emplois aidés sur le développement des associations et l'accessibilité des parcours emplois compétences (PEC) pour les associations. Le Conseil constitutionnel a jugé que ce rapport n'était pas un cavalier dans la mesure où il visait l'impact de dispositifs d'accès à l'emploi partiellement financés par le budget de l'État, ce qui était de nature à contribuer à l'information et au contrôle du Parlement sur la gestion des finances publiques. Certes, les contrats PEC permettent à l'employeur de percevoir une aide allant de 30 à 60 % du SMIC mais cette disposition avait été écrite pour les associations et le lien avec le budget de l'État n'était qu'un lien indirect. Pourtant, le Conseil constitutionnel a jugé qu'il ne s'agissait pas d'un cavalier budgétaire. En effet, l'impact budgétaire des PEC était beaucoup plus lourd que celui des groupements de compétences locaux qui, lui, a été déclaré comme contraire à la Constitution car sans incidence directe sur les dépenses budgétaires de l'année. Les annexes au projet de loi de règlement et plus particulièrement le rapport annuel de performance du programme 102 sur l'exécution du budget 2020 indiquent que les contrats PEC ont coûté 299,68 millions d'euros en CP réellement exécutés en 2020 pour 100 000 entrées en PEC au cours de l'exercice 2020. À partir de quelle somme le Conseil constitutionnel considère-t-il qu'une disposition a une incidence sur les crédits du budget de l'État ? Certainement pas à partir du milliard d'euros puisqu'en l'espèce, la somme représentait moins du tiers d'un milliard. Il faut sans doute rechercher du côté du dispositif lui-même. L'aide de l'État allant de 30 à 60 % du SMIC, le budget de l'État était susceptible de financer plus de la moitié du contrat aidé. On regrette que la décision n'en dise pas plus. Les observations du Gouvernement indiquent que seuls des rapports susceptibles d'améliorer l'information et le contrôle du Parlement sur la gestion des finances publiques sont aptes à figurer en loi de finances.
La jurisprudence constitutionnelle fait donc le tri entre les dispositions étrangères aux lois de finances (cavaliers) et celles qui sont à leur place (« non cavaliers »). Pour cela, le Conseil étudie le critère de liaison avec le contenu de la loi de finances qui est soit le rapport direct de la disposition avec les impositions de toutes natures au sens de l'article 34 de la Constitution, soit l'incidence sur l'information et le contrôle du Parlement sur les finances publiques. Pour la loi de finances pour 2023, le Conseil constitutionnel a suivi le même raisonnement en jugeant que trois dispositions désignées par les saisines des parlementaires comme des cavaliers n'en étaient pas. Mais en se saisissant d'office, le Conseil a déclaré contraires à la Constitution sept cavaliers budgétaires. On retrouve cette même technique dans la jurisprudence relative aux lois de financement de la sécurité sociale.
Alors qu'allez-vous me dire ? Que le Conseil constitutionnel défend le Parlement lorsqu'il donne une interprétation favorable de l'article 47 de la LOLF pour permettre au Parlement d'opérer une modulation des crédits d'un programme à un autre ? Mais on le sait, la modulation ne joue qu'à la marge et le Conseil ne défend le Parlement que sur des points mineurs. Ma conclusion est que le Conseil constitutionnel pourrait s'opposer au Gouvernement mais c'est ainsi, il ne le fait pas.
Citer cet article
Étienne DOUAT. « Le Conseil constitutionnel ne défend plus les pouvoirs financiers du Parlement », Titre VII [en ligne], Le contrôle de constitutionnalité des lois financières - Hors-série, Le contrôle de constitutionnalité des lois financières - Hors-série, juillet 2024. URL complète : https://www.conseil-constitutionnel.fr/publications/titre-vii/le-conseil-constitutionnel-ne-defend-plus-les-pouvoirs-financiers-du-parlement
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