Titre VII
N° 9 - octobre 2022
La décentralisation et la démocratie locale
La démocratie locale n'existe pas. Du moins pas dans la Constitution de 1958 et dans ces termes. La démocratie est peu présente en tant que telle dans la Constitution, sauf sous la forme d'un adjectif à l'article 1er définissant la France comme une « République indivisible, laïque, démocratique et sociale » et par la définition habituellement acceptée de la démocratie en tant que « gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple » en tant que principe de la République (art. 2 al. 5). Dans un cas comme dans l'autre, la démocratie n'est envisagée, à n'en pas douter, que du point de vue étatique et national.
Bien que l'article 3 de ce même texte soit consacré à la souveraineté nationale dans ses alinéas 1 et 2, les éléments de définition de la démocratie qui sont énoncés aux alinéas 3 et 4, à propos du suffrage le sont néanmoins de manière suffisamment générale pour s'appliquer aussi à des modalités locales de la démocratie. Encore faut-il admettre que ces alinéas soient applicables aussi au monde local. La jurisprudence du Conseil constitutionnel, notamment dans la décision n° 82-146 DC du 18 novembre 1982 ne laisse plus de doute sur ce point, en se fondant sur les articles 3 de la Constitution et 6 de la Déclaration des droits pour reconnaître le caractère politique des élections municipales(1).
L'assimilation entre les différentes formes de démocratie peut être envisagée aussi à la lecture de l'alinéa 7 de l'article 34 qui fait référence à la compétence du législateur pour fixer les règles relatives au régime électoral des assemblées parlementaires au même titre que celui des assemblées locales.
Qu'elle soit nationale ou locale, la démocratie peut revêtir diverses modalités qui ne peuvent pas toutes être présentées dans le cadre imparti. Elle intéresse ainsi le fonctionnement des organes de décision, notamment celui des assemblées locales dans lesquelles il existe des règles destinées à garantir les droits des élus contre d'éventuels abus de majorité, au profit des élus des minorités politiques. De même, les règles visant à garantir l'accès aux fonctions locales en assurant la diversité des candidats participent à la garantie de la démocratie locale. De manière encore plus indirecte, les dispositions intéressant la déontologie des décisions prises par les collectivités garantissent la transparence du fonctionnement de celles-ci, ce qui peut constituer un élément complémentaire d'une démocratie plus réelle.
La référence à des « conseils élus » à l'article 72 alinéa 3 a longtemps fait penser que la démocratie locale se limitait à la seule élection des organes chargés de la gestion des collectivités territoriales, pour laquelle les électeurs ne se distinguaient pas de ceux qui sont les acteurs de la démocratie nationale ou étatique. Tel n'est plus le cas depuis les années 1990, mais cette période a consacré aussi la constitutionnalisation et la politisation des élections locales.
Parallèlement, la loi constitutionnelle n° 2003-276 du 28 mars 2003 relative à l'organisation décentralisée de la République a introduit des dispositions nouvelles et qui se voulaient réformatrices. L'article 72-1 est en effet consacré à trois modalités de démocratie, le droit de pétition (alinéa 1er) et la reconnaissance du référendum local pour l'ensemble des collectivités territoriales (al. 2)(2). Ces procédés de démocratie directe n'ont, à ce jour, pas donné toutes les satisfactions espérées.
I. Une démocratie réduite aux élections
L'alinéa 3 de l'article 72 dispose que les collectivités territoriales s'administrent librement par des conseils élus. Cette élection est envisagée comme devant se faire au suffrage universel, selon l'alinéa 3 de l'article 3 qui précise que « Le suffrage est toujours universel, égal et secret ». Le renvoi implicite à cette disposition a évité au constituant de 1958 de répéter ce que l'article 87 de la Constitution du 27 octobre 1946 avait précisé : « Les collectivités territoriales s'administrent librement par des conseils élus au suffrage universel », car son article 3 ne prévoyait le recours au suffrage universel, égal, direct et secret que pour l'élection des députés à l'Assemblée nationale.
Ces élections nécessitent de déterminer qui sont les électeurs locaux ainsi que les règles qui s'appliquent à elles. Dans les deux cas, la question centrale est celle de l'application ou non des dispositions intéressant les autres élections ayant recours au suffrage universel.
A. Les électeurs sont essentiellement des électeurs nationaux
L'article 3 al. 4 prévoit que « Sont électeurs, dans les conditions déterminées par la loi, tous les nationaux français majeurs des deux sexes, jouissant de leurs droits civils et politiques ». Il résulte de cette affirmation que, selon l'interprétation qu'en a donné le Conseil constitutionnel, seuls des citoyens français peuvent participer aux élections qui se déroulent au suffrage universel, qu'elles soient nationales, mais aussi locales, car rien ne permet de les considérer de manière différente sur ce point (déc. n° 92-308 DC du 9 avril 1992, Traité sur l'Union européenne, cons. 26).
Cette citoyenneté unique ne tolère pas de distinction selon les types d'élections. Les citoyens sont les mêmes, qu'ils élisent des autorités politiques nationales (président de la République, députés ou, indirectement, sénateurs), ou participent à des référendums nationaux de l'article 11 ou de l'article 89. Ces citoyens participent aussi à la désignation des élus chargés d'administrer les collectivités territoriales. L'unité du corps électoral qui reposait sur l'unité du peuple français a connu, de manière récente, des atteintes. Des « non-nationaux » se sont vus reconnaître le droit de vote pour certaines élections ou votations locales, limitées en l'état aux communes et aux établissements publics de coopération intercommunale. En sens inverse, le droit de vote a pu être refusé à des citoyens français, au nom de considérations « locales ».
L'ouverture du droit de vote pour deux catégories d'élections aux ressortissants des pays de l'Union européenne autres que la France a été en effet autorisée par le traité du 7 février 1992 sur l'Union européenne. Comme le recours à une révision constitutionnelle n'a pas été jugé nécessaire pour les élections au Parlement européen(3), une loi ordinaire a suffi pour reconnaître le droit de vote et d'éligibilité aux citoyens de l'Union européenne pour cette catégorie d'élections, ce qu'a réalisé l'article 2-1 de la loi n° 94-104 du 5 février 1994 modifiant la loi n° 77-729 du 7 juillet 1977 relative à l'élection des représentants au Parlement européen.
En revanche, s'agissant des élections municipales ouvertes elles aussi aux citoyens de l'Union, la loi constitutionnelle n° 92-554 du 25 juin 1992 préalable à la ratification du traité sur l'Union européenne a voulu contourner l'obstacle constitutionnel dressé par le Conseil dans la même décision n° 92-308 DC. L'article 88-3 nouveau se présente alors comme une dérogation implicite à l'article 3 en reconnaissant la possibilité d'octroyer le droit de vote et d'éligibilité aux ressortissants des États de l'Union européenne autres que la France pour les élections municipales, complétée par la loi organique n° 98-404 du 25 mai 1998.
Cette ouverture aux citoyens européens se manifeste aussi lors de l'organisation de référendums décisionnels prévus par l'article 72-1 de la Constitution, dans le cadre des seules communes. Le Conseil constitutionnel a validé, dans sa décision n° 2003-482 DC relative à la loi n° 2003-705 du 1er août 2003 relative au référendum local, l'interprétation large selon laquelle l'article 88-3 et la loi organique précitée ont conféré aux citoyens de l'Union européenne la qualité générale d'électeurs communaux leur permettant de participer aussi aux référendums(4).
En sens inverse, le droit de vote a été aussi restreint pour certaines élections considérées comme locales. À la suite de l'accord de Nouméa du 5 mai 1998, constitutionnalisé par la loi constitutionnelle n° 98-610 du 20 juillet 1998, la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie a restreint le droit de vote pour les élections aux assemblées de province à partir desquelles est déterminée la composition du Congrès de Nouvelle-Calédonie (art. 62 de la loi organique). Elle a ainsi distingué les citoyens nationaux et les citoyens locaux en créant une véritable citoyenneté néocalédonienne. Le droit de vote pour ces élections n'est octroyé qu'aux citoyens qui disposent d'une durée de résidence suffisante en Nouvelle-Calédonie, notamment tirée de l'inscription sur les listes électorales de la Nouvelle-Calédonie établies en vue de la consultation du 8 novembre 1998 (art. 188-a). Des restrictions semblables, mais reposant sur des critères plus nombreux, comme celui d'avoir eu le statut civil coutumier ou, pour ceux nés en Nouvelle-Calédonie, y avoir eu le centre de leurs intérêts matériels et moraux (art. 218-d), sont également prévues à l'article 218 de la loi organique du 19 mars 1999 pour les consultations sur l'accession à la pleine souveraineté, qui se sont déroulées le 4 novembre 2018, le 4 octobre 2020 et le 12 décembre 2021, mais qui se sont soldées toutes les trois par une réponse négative.
Que ce soit pour élargir le droit de vote au-delà des seuls électeurs nationaux, ou le restreindre au détriment de certains d'entre eux, une révision constitutionnelle a été nécessaire. La démocratie locale est une chose trop sérieuse pour être laissée dans les mains du seul législateur, et encore moins dans celles des autorités locales.
B. Des règles constitutionnelles communes pour toutes les élections
La décision précitée n° 82-146 DC du 18 novembre 1982 a posé le principe du caractère politique des élections municipales et au-delà, pour toutes les élections locales, comme l'a confirmé la décision n° 98-407 DC(5). Les règles posées par l'article 3 de la Constitution de 1958 et par l'article 6 de la Déclaration des droits s'appliquent en effet « pour tout suffrage politique » (déc. n° 82-146 DC, cons. 7). Cette soumission aux dispositions constitutionnelles est justifiée, selon le Conseil constitutionnel, par la participation, indirecte, de ces élections locales à l'exercice de la souveraineté nationale, par l'intermédiaire des élections sénatoriales. Le Sénat, qui assure la représentation des collectivités territoriales de la République au titre de l'article 24, doit en effet être élu par un corps électoral qui est lui-même l'émanation de ces collectivités (déc. n° 92-308 DC, cons. 26). Néanmoins, cette « politisation » des élections locales, au rebours du traitement administratif de ces élections pendant des décennies, qui s'illustre encore par la compétence des juridictions administratives en matière de contentieux électoral, implique aussi que les élections locales sont soumises aux mêmes règles que les autres élections politiques et notamment celles prévues par le Code électoral.
La soumission à l'article 3 de la Constitution a surtout une incidence sur la définition des électeurs (cf. supra). Elle implique aussi le respect du suffrage universel, ce qui va presque de soi, mais aussi de son caractère égal et secret. S'agissant de l'égalité devant le suffrage, une jurisprudence plus que trentenaire a établi que les élections locales devaient se dérouler à intervalles suffisamment réguliers. Opérant une lecture synthétique des articles 3, 24, 34 et 72 de la Constitution, le Conseil a affirmé, depuis 1990, que « le législateur, compétent pour fixer les règles concernant le régime électoral des assemblées locales peut, à ce titre, déterminer la durée du mandat des élus qui composent l'organe délibérant d'une collectivité territoriale ; que, toutefois, dans l'exercice de cette compétence, il doit se conformer aux principes d'ordre constitutionnel, qui impliquent notamment que les électeurs soient appelés à exercer selon une périodicité raisonnable leur droit de suffrage » (déc. n° 90-280 DC du 6 décembre 1990, Loi organisant la concomitance des renouvellements des conseils généraux et des conseils régionaux, cons. 8(6)).
En revanche, les exigences constitutionnelles ne semblent pas imposer au législateur des choix spécifiques en matière de mode de scrutin. La décision n° 98-407 DC précitée s'est contentée de préciser que « les dispositions critiquées ont fixé sans ambiguïté les règles relatives au nouveau mode du scrutin régional ; que le législateur n'est pas resté, en les énonçant, en deçà de la compétence que lui confèrent les articles 34 et 72 de la Constitution s'agissant de la libre administration des collectivités territoriales » (cons. 5). Le Conseil s'est alors situé plus sur le terrain de la compétence du législateur que sur celui du choix d'un mode de scrutin particulier.
De même, il n'a pas jugé contraire à la Constitution l'interdiction du cumul des mandats entre une fonction exécutive locale et un mandat parlementaire, mais l'a au contraire légitimée en jugeant qu'il était loisible au législateur « nbsp ;de renforcer les incompatibilités entre fonctions électives, dès lors qu'il estimait que le cumul de tels mandats ou fonctions, en particulier le cumul du mandat parlementaire avec des fonctions exécutives locales, ne permettait pas à leur titulaire de les exercer de façon satisfaisante » (déc. n° 2014-689 DC du 13 février 2014, Loi organique interdisant le cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de député ou de sénateur, cons. 13)(7). L'exercice satisfaisant des mandats apparaît ainsi comme l'une des exigences résultant de la démocratie locale.
Il est certain que ces législations et les décisions qui les accompagnent ne rendent pas compte de toutes les questions relatives à l'accès et à l'exercice concret des mandats locaux. La représentativité des élus, notamment du point de vue de la pyramide des âges ou de la diversité socioprofessionnelle, pour ne dire pas sociale, n'est pas, en l'état, un objet constitutionnel, à la différence de l'égalité entre les femmes et les hommes que la Constitution révisée en 1999 et 2008 et la législation ont rendu beaucoup plus réelle. Ne sont pas non plus prises en compte, du point de vue constitutionnel et en l'état, les questions aussi essentielles que l'abstention aux élections, notamment locales(8), le manque grandissant d'attrait pour les fonctions électives, notamment dans les petites communes, l'une et l'autre étant des facteurs affaiblissant la démocratie locale.
La crise de la représentation, souvent dénoncée, n'épargne pas les collectivités territoriales, pourtant réputées plus proches des citoyens. La participation directe est conçue pour tenter de remédier aux défauts de la démocratie représentative.
II. Une démocratie participative embryonnaire
Lors de la crise dite des « gilets jaunes » de l'hiver 2018-2019, la revendication en faveur d'un référendum d'initiative citoyenne concernait surtout des sujets d'intérêt national. Au niveau local sont institués des mécanismes reconnus constitutionnellement, mais dont l'efficacité reste limitée, sauf lorsque sont en jeu des questions intéressant le statut de certaines collectivités territoriales.
A. La démocratie référendaire et pétitionnaire
L'alinéa 2 de l'article 72-1, créé par la loi constitutionnelle no 2003-276 du 28 mars 2003, permet la mise en place de mécanismes de décision par les électeurs locaux, à la place des instances élues : « Dans les conditions prévues par la loi organique, les projets de délibération ou d'acte relevant de la compétence d'une collectivité territoriale peuvent, à son initiative, être soumis, par la voie du référendum, à la décision des électeurs de cette collectivité »(9). Le référendum, qualifié parfois de « décisionnel » pour le distinguer de la « simple » consultation, constitue une innovation importante dans le droit local français qui a toujours été rétif à l'introduction de cette forme de démocratie directe, assimilée souvent à une forme de démagogie. L'article 72, alinéa 3 de la Constitution ne fait pas mention des citoyens ou des électeurs en tant qu'auteurs directs de décisions. Les conseils élus semblent alors disposer d'un monopole de la décision en tant qu'expression de la libre administration, les autorités exécutives n'agissant ainsi que sous le contrôle des conseils délibérants. La doctrine s'était néanmoins montrée favorable à la reconnaissance de la constitutionnalité des procédés de « référendum local »(10).
La loi constitutionnelle du 28 mars 2003 a alors répondu à ces interrogations en consacrant le référendum décisionnel, ce qui pouvait signifier que ce dernier n'était pas possible dans le cadre constitutionnel antérieur, seul le constituant pouvant l'autoriser. Le choix du terme « référendum » dans l'article 72-1 affirme aussi que la consultation des électeurs locaux doit aboutir à une véritable décision. La loi organique no 2003-705 du 1er août 2003 sur le référendum local est venue confirmer l'utilisation du terme de « référendum » désormais associé à « local », ce qui contribue à la fois à rapprocher, mais aussi à distinguer le référendum national du référendum local. Elle a été validée par la décision précitée no 2003-482 DC du 30 juillet 2003 du Conseil constitutionnel qui n'a relevé aucune contrariété à la Constitution(11).
L'alinéa 1er de l'article 72-1 issu de la même révision de 2003 a également inscrit un droit de pétition au profit des électeurs, en prévoyant que « La loi fixe les conditions dans lesquelles les électeurs de chaque collectivité territoriale peuvent, par l'exercice du droit de pétition, demander l'inscription à l'ordre du jour de l'assemblée délibérante de cette collectivité d'une question relevant de sa compétence ». Il a fallu attendre la loi n° 2022-217 du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale (dite loi « 3 DS ») pour que ce droit nouveau reçoive une timide concrétisation, car ce texte ne se présente pas véritablement comme le texte général susceptible de concrétiser le droit reconnu par l'article 72-1(12). Depuis 2003, plusieurs lois étaient d'ailleurs intervenues de manière dispersée, afin de déterminer, à chaque fois à propos d'une collectivité bien identifiée, les modalités d'exercice du droit de pétition local, mais sans jamais avoir pour objet unique ce droit de pétition, que ce soit pour la Polynésie française(13), ou pour Saint-Barthélemy, Saint-Martin et Saint-Pierre-et-Miquelon(14). La loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales se présentait sous un jour différent, car elle n'a eu pour objet que d'étendre aux départements et aux régions le droit de pétition en vue de provoquer une consultation des électeurs (art. 122)(15).
De manière donc plus générale, l'article 14 de la loi 3DS a distingué, d'une part, la consultation locale sur demande des électeurs, d'autre part, le régime de la pétition locale. La loi se contente, en modifiant les conditions de seuil d'une procédure prévue depuis la loi n° 95-115 du 4 février 1995 d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire(16), de modifier l'article L. 1112-16 du CGCT qui est relatif à la consultation locale sur demande des électeurs. Il ne s'agit que de permettre aux électeurs de la collectivité ou de l'établissement public de coopération intercommunale de demander à l'assemblée délibérante l'organisation d'une consultation sur un objet que la pétition suggère(17).
La loi 3DS, de façon plus nouvelle, reconnaît un véritable droit de pétition, c'est-à-dire celui de demander l'organisation d'un débat en dehors de toute procédure de consultation (paragraphe II de l'article L.1111-16). Ce dernier prévoit désormais que « Une collectivité territoriale peut être saisie (...) de toute affaire relevant de sa compétence, pour inviter son assemblée délibérante à se prononcer dans un sens déterminé. La décision de délibérer sur l'affaire dont la collectivité territoriale est saisie appartient au conseil municipal ou à l'assemblée délibérante ». Il est regrettable que ce droit nouveau soit en quelque sorte noyé dans le chapitre consacré aux consultations et référendums, car il s'agit d'un autre procédé de dialogue entre les élus et les administrés(18).
Si les conditions de saisine sont identiques à celles requises pour les pétitions en vue d'une consultation, la décision de délibérer sur l'affaire dont la collectivité territoriale est saisie appartient à l'assemblée délibérante de la collectivité concernée (art. L. 1112-16, II, alinéa 2). Cela signifie que la pétition ne peut porter que sur des questions qui sont de la compétence de la collectivité par l'intermédiaire de l'organe délibérant. Cela doit exclure les questions qui ne relèvent que de la compétence propre des organes exécutifs, comme par exemple, les compétences des maires en matière de police. Les EPCI ne sont pas concernés par le nouveau régime des pétitions locales, sans doute parce que, dans nombre d'entre eux, du fait du mode de désignation des conseillers communautaires dans les communes de moins de mille habitants qui ne fait appel au suffrage universel direct (art. L. 273-6 du Code électoral, a contrario).
B. Le consentement obligatoire des électeurs aux modifications statutaires
Si l'on met à part l'alinéa 3 de l'article 53 qui dispose que « nulle cession, nul échange, nulle adjonction de territoire n'est valable sans le consentement des intéressés », la Constitution ne prévoyait pas, pendant longtemps, d'autres modalités de participation des électeurs considérés dans une dimension locale ou « territoriale »(19).
Cela n'a pas empêché le législateur de prévoir des modalités de démocratie locale manifestant le consentement nécessaire des électeurs en cas de fusion de certaines collectivités. Il a prévu un tel mécanisme, tout d'abord, pour les communes par la loi n° 71-588 du 16 juillet 1971 sur les fusions et regroupements de communes afin de compenser la brutalité de la fusion de communes par une procédure associant la population, en rendant obligatoire la consultation des électeurs des communes concernées en cas de fusion de communes(20). La loi n° 2010-1563 du 16 décembre 2010 de réforme des collectivités territoriales, qui a créé les communes nouvelles, a substitué des dispositions nouvelles à celles applicables au régime des fusions de communes en ne prévoyant la consultation des électeurs que dans la phase de création de la commune nouvelle (art. L. 2113-2 à L. 2113-9)(21).
S'agissant en revanche de la fusion de départements et de régions, l'obligation d'une consultation exprimant le consentement des électeurs concernés n'a connu qu'une brève existence. La loi précitée du 16 décembre 2010 avait en effet prévu que, pour qu'une décision puisse être valablement prise, le consentement de la majorité absolue des suffrages exprimés par les électeurs correspondant à un nombre de voix au moins égal au quart des électeurs inscrits était requis (art. L. 3114-1 pour le regroupement de départements, L. 4123-1 pour le regroupement des régions et L. 4124-1 pour la fusion départements-régions). Si aucune procédure de regroupement de départements ou de régions n'a été mise en œuvre, la fusion de la région Alsace et des deux départements qui la composent, le Bas-Rhin et le Haut-Rhin, n'a pas recueilli, en avril 2013, un nombre suffisant de suffrages favorables(22). La méfiance envers l'expression de la démocratie directe qui ne permet pas l'adoption des réformes statutaires jugées indispensables par les autorités étatiques a conduit à ce que la loi n° 2015-29 du 16 janvier 2015 relative à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral supprime tout recours obligatoire à la consultation des électeurs (abrogation du II des art. L. 3114-1, L. 4123-1 et L. 4124-1). Circonstance aggravante, plutôt que de recourir à de telles consultations, la même loi a procédé de manière discrétionnaire à la fusion de plusieurs régions. Saisies, les différentes juridictions n'ont trouvé aucun motif d'inconstitutionnalité à cette absence de recours à la démocratie directe (déc. n° 2014-709 DC du 15 janvier 2015, cons. 5). L'article 72, alinéa 3, prévoyant que la libre administration des collectivités territoriales s'exerce dans les conditions prévues par la loi, reconnaît ainsi la grande liberté du législateur, y compris pour déterminer les limites territoriales et le nombre des collectivités territoriales.
L'article 72-1 alinéa 3 n'a pas non plus été jugé un obstacle suffisant, car aucune « exigence constitutionnelle n'impose la consultation des collectivités territoriales préalablement au dépôt d'un projet ou à l'adoption d'une loi modifiant leurs délimitations territoriales » (déc. n° 2014-709 DC, cons. 5).
C'est surtout outre-mer que l'exigence de consentement des électeurs locaux en vue d'un éventuel changement statutaire est devenue une véritable obligation constitutionnelle. La fin des années 1990 et les années 2000 ont été marquées par plusieurs revendications en faveur de statuts plus autonomes par rapport à la métropole pour des collectivités situées outre-mer.
En mettant à part le cas de la Nouvelle-Calédonie, pour laquelle une révision constitutionnelle spécifique a pu déterminer une catégorie particulière d'électeurs autorisés à participer aux consultations relatives à l'accession à la pleine souveraineté de la collectivité (cf. supra), le législateur a été amené à trouver des solutions plus ou moins discutables, validées néanmoins par le Conseil constitutionnel, afin de permettre l'organisation de certaines consultations sur l'avenir de ces collectivités. C'est ainsi que les décisions n° 2000-428 DC du 4 mai 2000 (Loi organisant une consultation de la population de Mayotte quant à l'accord sur l'avenir de Mayotte signé à Paris le 27 janvier 2000, cons. 17) et no 2000-435 DC du 7 déc. 2000 (Loi d'orientation pour l'outre-mer, cons. 43(23)) ont pu donner une interprétation très extensive de l'alinéa 2 du Préambule de la Constitution de 1958 et des principes de libre détermination des peuples dans les territoires d'outre-mer et de libre expression de leur volonté qu'il consacre. En tout état de cause, ces consultations ne pouvaient avoir qu'un caractère « consultatif », le Parlement ne pouvant être privé de son pouvoir de décision (déc. n° 2000-428 DC, cons. 17).
Afin de donner un fondement moins aléatoire à ces possibles référendums, la révision constitutionnelle du 28 mars 2003 a prévu, outre-mer, que le consentement des électeurs est une condition essentielle de l'évolution des statuts ultra-marins. L'article 72-4, auquel renvoie l'article 73, a rendu obligatoire et préalable le recours à ces consultations, dans une collectivité située outre-mer, ou même pour une partie de celle-ci, aussi bien lorsqu'est envisagé un changement de statut entre celui prévu à l'article 73 (départements et régions d'outre-mer et collectivités uniques) et celui régi par l'article 74 pour les collectivités d'outre-mer, que dans le cas de la création d'une collectivité unique se substituant à un département et à une région d'outre-mer et celle d'une assemblée unique pour une région et un département d'outre-mer ont été l'objet de nombreuses revendications outre-mer (art. 73 al. 7). Cette procédure a été utilisée pour la transformation de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin en collectivités d'outre-mer (loi organique précitée du 21 février 2003) et, en sens inverse, pour Mayotte, dont les électeurs ont été consultés le 29 mars 2009 en vue de la transformation de Mayotte en une collectivité unique appelée « Département » régie par l'article 73 de la Constitution, exerçant les compétences dévolues aux départements et régions d'outre-mer(24).
Si le recueil de ce consentement pouvanut s'apparenter à un veto est l'expression d'une forme de démocratie, celle-ci, dans ce cas, est tout autant « nationale » que « locale », le dernier mot revenant au législateur, tant organique (art. 72-4) qu'ordinaire (art. 73).
(1): # Décision relative à la loi modifiant le code électoral et le code des communes et relative à l'élection des conseillers municipaux et aux conditions d'inscription des Français établis hors de France sur les listes électorales.
(2): L'alinéa 3 de cet article qui dispose que « Lorsqu'il est envisagé de créer une collectivité territoriale dotée d'un statut particulier ou de modifier son organisation, il peut être décidé par la loi de consulter les électeurs inscrits dans les collectivités intéressées » a été inséré par la révision de 2003 pour permettre, notamment, de consulter les électeurs de Corse, quant à un éventuel nouveau statut.
(3): Conseil constitutionnel, décision n° 92-308 DC du 9 avril 1992 relative au traité car le Parlement européen ne constituait « pas une assemblée souveraine dotée d'une compétence générale et qui aurait vocation à concourir à l'exercice de la souveraineté nationale » et qu'il appartenait « à un ordre juridique propre qui, bien que se trouvant intégré au système juridique des différents États membres des Communautés, n'appartient pas à l'ordre institutionnel de la République française » (cons. 34).
(4): Une interprétation plus stricte avait été soutenue en faveur de la reconnaissance de ce droit pour les seules élections municipales (cf. Rapport de P. Clément, au nom de la commission des lois de l'Assemblée nationale sur le projet de loi constitutionnelle relatif à l'organisation décentralisée de la République, p. 101).
(5): Loi relative au mode d'élection des conseillers régionaux et des conseillers à l'Assemblée de Corse et au fonctionnement des Conseils régionaux, cons. 11 faisant référence à la chose jugée par la décision du 18 novembre 1982 précitée.
(6): Pour une illustration plus récente, cf. la décision n° 2020-849 QPC du 17 juin 2020, M. Daniel D. et autres, paragr.18
(7): # Dans le même sens, voir la décision n° 2014-688 DC du 13 février 2014, Loi interdisant le cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de représentant au Parlement européen
(8): Le Conseil a néanmoins émis un certain nombre de remarques sur ces questions à propos du report au mois de juin 2020 du second tour des élections municipales du fait de l'épidémie de Covid-19 (déc. n° 2020-849 QPC précitée, notamment paragr. 25 renvoyant au juge électoral le soin d'apprécier si le niveau de l'abstention a pu ou non altérer, du fait de ce report, la sincérité du scrutin).
(9): Sur ce sujet, voir M. Verpeaux, Référendums et consultations des électeurs, Dalloz, Répertoire des collectivités locales, 2021, n° 12230 et n°12332
(10): M. Guillaume-Hofnung évoquait ainsi « l'argumentaire ressassé sur la prétendue inconstitutionnalité du référendum local décisionnel » (Le référendum, 2e éd., 1994, coll. Que sais-je ?, PUF, p. 122). Le même auteur considérait qu'il n'y avait aucune interdiction expresse du référendum local et qu'il appartiendrait au Conseil constitutionnel en définitive de trancher si une loi consacrant le référendum local venait à lui être déférée (M. Guillaume-Hofnung, « Référendum local », J.-Cl. Coll. terr., fasc. 520, éd. 1992, no 9). Voir aussi M. Verpeaux, « Le « référendum local » et la Constitution », Cah. Cons. const., no 12, 2002, p. 124.
(11): Sur cette décision, V. l'analyse de J.-É. Schoettl, « nbsp ; La loi organique sur le référendum local devant le Conseil constitutionnel », LPA, 25 sept. 2003, p. 8. - J.-P. Duprat, « La prudente avancée du référendum local dans la loi organique », < ; REF TYPE »REV« REFID »AJDA/CHRON/2003/0453"> ; AJDA 2003. 1862< ;/REF> ;. - M. Verpeaux, « Les premières lois organiques : expérimentation par les collectivités territoriales et référendum local », JCP 2003. 2017.
(12): JO du 22 février 2022. Les dispositions relatives à ce sujet se trouvent dans le Titre 1er de la loi, relatif à la différenciation territoriale, sans qu'il y ait un rapport direct entre les deux questions. Sur cette loi, voir notamment L. Janicot et M. Verpeaux, « Les institutions et les compétences », RFDA, 2022, n° 3, p. 397.
(13): « L'assemblée de la Polynésie française peut être saisie, par voie de pétition, de toute question relevant de sa compétence », (art. 158 de la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française, JO du 2 mars 2004, p. 4213).
(14): Loi organique n° 2007-223 du 21 février 2007 portant dispositions statutaires et institutionnelles relatives à l'outre-mer, JO du 22 février 2007, p. 3220, créant les articles L.O. 6231-1 pour Saint-Barthélemy, L.O. 6331-1 pour Saint-Martin et L.O. 6441-1 pour Saint-Pierre-et-Miquelon (« Le conseil territorial peut être saisi, par voie de pétition, de toute question relevant de la compétence de la collectivité », al. 1er).
(15): Loi n° 2004-809 du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales, JO du 17 août 2004, p. 14545 (art. 122).
(16): Cette procédure n'était prévue, dans la loi de 1995, que pour les seules opérations d'aménagement relevant de la décision des autorités municipales et limitées aux communes et établissements publics de coopération intercommunale. C'est la loi précitée du 13 août 2004 qui en a étendu l'objet aux affaires relevant de la compétence de chaque collectivité territoriale.
(17): Ce droit de pétition est aussi reconnu aux électeurs des EPCI, l'article L. 5211-49 prévoyant déjà un mécanisme de pétition susceptible d'aboutir à l'organisation d'une consultation dans sa rédaction issue de la loi n° 2004-809 du 13 août 2004 (art. 122-II-2 °).
(18): L'actuel chapitre II bis consacré à la médiation ne comprend que le seul article L. 1112-24, issu de la loi précitée du 27 décembre 2019, « Loi engagement et proximité ».
(19): À ces trois hypothèses, le Conseil constitutionnel a ajouté celle « nbsp ;où un territoire cesserait d'appartenir à la République pour constituer un État indépendant ou y être rattaché » (déc. n° 75-59 DC du 30 décembre 1975, Loi relative aux conséquences de l'autodétermination des îles des Comores, JO 3 janv. 1976, p. 182, cons. 2). Le Conseil a même précisé que les territoires visés à l'article 53, alinéa 3, ne sont pas synonymes des territoires d'outre-mer prévus dans la Constitution, ce qui élargit assez considérablement les possibles utilisations de ce droit de sécession. La décision no 87-226 DC du 2 juin 1987, Loi organisant la consultation des populations intéressées de la Nouvelle-Calédonie et dépendances prévue par l'alinéa 1er de l'article 1er de la loi no 86-844 du 17 juillet 1986 relative à la Nouvelle-Calédonie est venue préciser les conditions de cette consultation.
(20): Cette loi avait été modifiée par la loi n° 2004-809 du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales.
(21): # Cette loi a été modifiée par les lois n° 2015-292 du 16 mars 2015 relative à l'amélioration du régime de la commune nouvelle, pour des communes fortes et vivantes et n° 2016-1500 du 8 novembre 2016 tendant à permettre le maintien des communes associées, sous forme de communes déléguées, en cas de création d'une commune nouvelle.
(22): Semaine juridique, édition Administrations et collectivités territoriales, 2013. Actu. 362, note M. Verpeaux
(23): Loi n° 2000-1207 du 13 décembre 2000
(24): À la suite de cette consultation, la loi organique n° 2009-969 du 3 août 2009 relative à l'évolution institutionnelle de la Nouvelle-Calédonie et à la départementalisation de Mayotte a créé le « Département de Mayotte », collectivité régie par l'article 73 de la Constitution et exerçant les compétences dévolues aux départements d'outre-mer et aux régions d'outre-mer. La loi organique n° 2010-1486 du 7 décembre 2010 a créé un livre cinquième au sein de la troisième partie du Code, intitulé « Dispositions applicables au Département de Mayotte » qui est entré en vigueur le 31 mars 2011, date de la première réunion suivant le renouvellement du conseil général de Mayotte.
Citer cet article
Michel VERPEAUX. « La décentralisation et la démocratie locale », Titre VII [en ligne], n° 9, La décentralisation, octobre 2022. URL complète : https://www.conseil-constitutionnel.fr/publications/titre-vii/la-decentralisation-et-la-democratie-locale
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