Titre VII
N° 2 - avril 2019
L'Union européenne : un système démocratique, un vide politique
Le système institutionnel de l’Union offre aujourd’hui la plupart des outils démocratiques que connaissent les systèmes constitutionnels nationaux. Il reste pourtant impuissant à faire vivre la démocratie européenne. Celle-ci souffre d’un déficit politique. Cette anémie politique frappe non seulement la gouvernance technocratique européenne mais encore la démocratie représentative et la démocratie participative.
A l'heure où les élections européennes de juin 2019 approchent, la rengaine du déficit démocratique de l'Union, quoique usée, est entonnée plus que jamais. Elle prend souvent la forme d'une dénonciation de la technocratie bruxelloise à laquelle le discours populiste oppose la démocratie nationale, quand bien même elle prendrait une orientation illibérale. L'Union européenne, ses normes, ses décisions sont contestées. Et cette contestation prend pour étendard la démocratie dont l'Union, à la différence des États, ne pourrait revendiquer le label. Le vote du 23 juin 2016 en faveur du Brexit fut ainsi salué par ses partisans comme une reprise en main par le peuple de son destin. Pour s'opposer au plan de relocalisation des réfugiés décidé par l'Union européenne(1), le Premier ministre hongrois soumit en octobre 2016 à référendum une question dont le libellé dit bien les termes dans lesquels le conflit était posé : « Voulez-vous que l'Union européenne décrète une relocalisation coercitive de citoyens non hongrois en Hongrie, sans l'approbation du Parlement hongrois » ? On pourrait à l'envi multiplier les exemples. Même les cours constitutionnelles justifient les limites qu'elles posent à l'autorité et à l'application du droit européen en droit interne par le respect du consentement démocratique national à l'intégration européenne et par l'insuffisante légitimation démocratique de l'Union(2).
Évoquer la démocratie de l'Union européenne reviendrait donc à parler d'un « oxymore »(3). L'Europe, il est vrai, s'est pendant longtemps construite dans l'indifférence à l'impératif démocratique. La conception de l'intégration européenne que les pères fondateurs, Jean Monnet en particulier, ont imposée était celle celle d'un « despotisme bénin »(4), qui privilégiait un système de gouvernance par des experts indépendants(5). L'essentiel du pouvoir normatif fut, dans le cadre de la CECA, confié à la Haute Autorité et, si dans le cadre de la CEE, l'équilibre institutionnel fut infléchi au profit du Conseil, les prérogatives du Parlement restèrent longtemps réduites à un pouvoir de contrôle hypothétique de la Commission et à un droit de consultation en matière législative dans quelques cas. La légitimité de la construction européenne devait découler des bénéfices économiques escomptés de l'intégration des marchés(6).
La faiblesse de la légitimité démocratique de la construction européenne ne commença à faire question qu'à mesure de l'extension de ses compétences et de la politisation des questions que l'Union est désormais invitée à traiter. Le mode de légitimation panem et circences ne suffisait plus. Aussi a-t-on fait progressivement monter en puissance le principe démocratique dans le droit de l'Union européenne(7), au point qu'aujourd'hui les traités fondateurs apparaissent saturés de références démocratiques. La démocratie n'est-elle pas proclamée comme étant une des valeurs sur lesquelles l'Union est fondée(8) ? Et la démocratie européenne n'est-elle pas, en conséquence, exaltée tant dans sa dimension représentative que participative et le rôle des parlements nationaux dans le fonctionnement de l'Union souligné(9) ?
Pourtant, le procès en illégitimité démocratique fait à l'Union européenne est plus actuel que jamais. Est-il alors le fruit d'un mythe ou d'une réalité ? Tenter une réponse suppose de distinguer la démocratie comme principe de légitimité du pouvoir et comme forme de gouvernement. Envisagé comme principe de légitimité, la critique est celle de l'inexistence d'un peuple européen auquel imputer l'exercice du pouvoir politique de l'Union. Le débat porte alors sur la nécessité d'un demos comme condition d'épanouissement d'une démocratie effective(10) et sur les conditions d'émergence d'un demos européen(11). On ne le reprendra pas ici. Si on se limite à considérer la démocratie comme forme de gouvernement, il n'est guère contestable que l'on retrouve dans le système juridico-politique de l'Union européenne l'essentiel des institutions, procédures et mécanismes caractéristiques d'un régime démocratique. Le problème vient de ce qu'ils demeurent impuissants à politiser la prise de décision européenne. Le déficit démocratique naît d'un déficit politique(12). C'est ainsi d'abord la démocratie représentative européenne qui souffre d'un déficit politique (I) que des dispositifs de démocratie participative trop timides échouent à pallier (II), d'autant que le modèle de gouvernance apolitique demeure par ailleurs prégnant (III).
I. Une démocratie représentative dépolitisée
Comme le rappelle l'article 10 TUE, « le fonctionnement de l'Union est fondé sur la démocratie représentative ». De fait, tout l'effort déployé au fil des révisions successives des traités a consisté à renforcer le caractère représentatif des institutions de l'Union et à orienter le fonctionnement de son système institutionnel dans le sens d'une parlementarisation accrue.
Ainsi, le Parlement européen, élu au suffrage universel direct depuis 1979, après avoir initialement représenté les peuples des États membres, est depuis le traité de Lisbonne « composé de représentants des citoyens de l'Union »(13), la question lancinante restant évidemment celle de savoir si par là même est assurée une véritable représentation démo(s)cratique(14). Même les Conseils se voient aujourd'hui parés d'une légitimité démocratique, ils ne sont plus seulement vus comme représentant les États membres mais aussi et même avant tout les citoyens nationaux(15), à l'instar des parlements nationaux dont le rôle dans le fonctionnement de l'Union a été progressivement renforcé(16). La double légitimité démocratique, nationale et européenne, de l'Union est ainsi affirmée avec force.
La parlementarisation(17) s'est d'abord traduite par la montée en puissance du Parlement européen jusqu'à constituer aujourd'hui à égalité avec le Conseil l'une des deux branches de l'autorité législative et de l'autorité budgétaire(18) et de disposer d'un droit de veto sur la conclusion des accords externes les plus importants(19). Le désir d'apparentement à un régime parlementaire a conduit également à renforcer la liaison politique entre la Commission et le Parlement. A un dispositif de responsabilité de la première devant le second(20) sont venues s'ajouter des procédures d'investiture parlementaire, d'abord uniquement collective de la Commission puis aussi individuelle de son président, celle-ci ayant été remplacée par son élection par les députés européens sur proposition du Conseil européen faite « en tenant compte des élections au Parlement européen »(21).
L'Union présente donc aujourd'hui les principaux traits d'une démocratie représentative à caractère parlementaire. Certes, il peut être rétorqué que le Parlement européen ne saurait être tenu pour un véritable parlement, faute notamment d'être doté d'un quelconque pouvoir fiscal(22) et pour ses membres de disposer d'un droit d'initiative législative ; et qu'il manque à la Commission pour être un gouvernement au sens plein et entier du terme la maîtrise de l'intégralité de la fonction exécutive et gouvernementale, qu'elle partage avec le Conseil et le Conseil européen. Les propositions de réformes ne manquent pas pour y remédier, qu'il s'agisse par exemple de conférer un droit d'initiative législative au Parlement, d'accroître ses pouvoirs en matière de recettes budgétaires ou de transformer les Conseils en seconde chambre parlementaire(23).
Mais l'essentiel est ailleurs. Les carences démocratiques dont souffre l'Union européenne tiennent moins à des défauts institutionnels qu'à son incapacité à assurer une « traduction »(24) adéquate des principes de représentation et de responsabilité(25). Son système institutionnel tel qu'il fonctionne ne permet pas de dégager des urnes une majorité politique européenne sur la base d'un programme politique qu'elle aurait promu avec succès devant les électeurs. Par conséquent, les citoyens européens n'ont pas davantage la possibilité de changer de gouvernement au moment des élections au cas où ils ne seraient pas satisfaits du bilan. Il est ainsi impossible de trouver un lien significatif entre les résultats aux élections du Parlement européen et la performance des partis politiques lors de la session parlementaire précédente. Il n'y a guère de structuration partisane autour d'un clivage majorité/opposition. Le processus décisionnel reste largement tendu vers la recherche du consensus qui conduit les acteurs à mettre l'accent sur les aspects techniques au détriment des débats politiques. Ce déficit politique tient beaucoup aux difficultés de constitution d'un espace public transnational organisé par des partis politiques, groupements d'intérêts et médias européens, qui permettrait le développement d'un débat entre des forces sociales, intérêts et idées opposés et, partant, l'émergence d'une opinion publique européenne. Aussi les élections européennes restent-elles davantage déterminées par des considérations de politique intérieure que par des enjeux proprement européens ou, au mieux, par des visions nationales des questions européennes. De surcroît, il n'existe pas de mécanisme européen de responsabilité politique du Conseil de l'Union et du Conseil européen. Le contrôle politique des membres des Conseils par la représentation nationale dépend de chaque système constitutionnel étatique et s'avère très variable.
En bref, la démocratie représentative européenne ne permet guère aux citoyens d'avoir prise sur l'orientation de la politique européenne(26). Et les mécanismes de démocratie participative qui ont été mis en place ne leur offrent pas davantage la possibilité de faire entendre leur voix.
II. Une démocratie participative (trop) timide
Il est commun en droit constitutionnel de chercher remède à la crise de la représentation dans le développement de la démocratie participative. L'éventualité de l'instauration d'un référendum d'initiative citoyenne(27) en réponse à la contestation de la représentation par les 'gilets jaunes' en est la dernière illustration. L'Union européenne, sans surprise, partage ce réflexe. Si dans un premier temps, dans le sillage duLivre blanc sur la gouvernance européenne(28), la promotion de la participation des citoyens de l'Union à la prise de décision répondait surtout à une préoccupation managériale d'amélioration de l'effectivité de la décision, tout change avec le traité de Lisbonne qui consacre pour la première fois la démocratie participative avec pour but affiché de lutter contre le sentiment de dépossession politique né de l'absence de connexion entre le résultat des élections et le choix des gouvernants et des politiques menées.
La portée de ce nouveau paradigme démocratique demeure cependant faible comme en atteste la modestie des voies de la participation démocratique envisagées par le traité.
Le « dialogue civil »(29) institutionnalisé par les trois premiers alinéas de l'article 11 TUE ne désigne, pour l'essentiel, rien d'autre que des pratiques institutionnelles de participation que la Commission avait déjà développées, sous la réserve qu'elles ne sont plus vues dans une perspective élitiste et fonctionnelle comme des instruments d'un nouveau modèle de gouvernance européenne(30) mais désormais comme des expressions d'une démocratie participative. De plus, l'intensité de la participation prévue au titre du dialogue civil demeure faible, le traité étant resté muet sur le passage dudit dialogue à la décision ; il ne prescrit même pas d'obligation dans le chef de l'institution auteur de la décision d'apporter une réponse aux opinions formulées dans le cadre du dialogue civil.
Quant à l'initiative citoyenne (ICE), dont la consécration dans l'article 11, § 4 TUE avait été saluée comme pouvant offrir « une réponse au déficit démocratique »(31) de l'Union, c'est un instrument qui jusqu'à présent n'a pas permis aux citoyens européens d'influer sur l'agenda politique européen, et cela pour deux raisons.
L'ICE ne saurait être assimilée aux instruments de démocratie semi-directe qui, dans les systèmes constitutionnels étatiques, coexistent avec le régime représentatif et peuvent être mobilisés pour en prendre le relais. On peut le regretter. Le référendum d'initiative populaire paraît, en effet, particulièrement adapté à l'Union qui correspond au modèle de démocratie consociative, où les clivages économiques, religieux, culturels, linguistiques qui traversent la société conduisent les acteurs politiques représentant des intérêts divergents à gouverner par consensus. C'est pourquoi son instauration à l'échelle de l'Union européenne a pu être suggérée(32). Une telle réforme aurait offert aux citoyens de l'Union une prise sur l'agenda politique européen, qui leur aurait permis de soumettre au débat et à la décision publics des questions que les institutions ont préféré ignorer. A ceux qui objecteraient que l'introduction de l'instrument référendaire suppose levée l'hypothèque de l'existence d'un corps politique européen, il pourrait être rétorqué que l'instauration d'un référendum européen en matière législative serait de nature à stimuler le développement d'un espace public transnational en suscitant l'émergence de solidarités transnationales sur des questions d'intérêt européen et la mobilisation transnationale des mouvements politiques contraints ainsi de prendre position sur celles-ci ; partant, il pourrait être un outil particulièrement efficace de constitution d'une identité commune, donc d'émergence d'un demos européen dans son acception civique par-delà l'hétérogénéité culturelle qui continuerait à le caractériser. L'ICE, elle, ne confère pas aux citoyens européens le pouvoir de décider in fine. Elle ne s'apparente même pas à une initiative législative populaire telle que la connaissent certains États membres, par laquelle les citoyens peuvent proposer un texte qui doit ensuite être discuté et adopté par le parlement national. Comme le précise l'article 11, § 4 TUE, les citoyens de l'Union peuvent uniquement « inviter » la Commission à formuler une proposition appropriée d'acte juridique.
De plus, le jeu de l'ICE est entièrement soumis à la médiation des institutions représentatives, en particulier de la Commission qui, voyant son utilisation comme une source de légitimité démocratique concurrente, en a retenu une approche malthusienne. Ainsi, une proposition d'ICE doit, avant de pouvoir prospérer et éventuellement déboucher sur une ICE, avoir été dûment enregistrée, l'enregistrement étant soumis à un certain nombre de conditions dont le contrôle a été confié à la Commission(33). En outre au cas où, ayant été jugée recevable et ayant recueilli le nombre requis de signatures, une ICE aboutit, le seul effet est l'activation du pouvoir d'initiative de la Commission, à l'entière discrétion de celle-ci cependant(34), l'article 10 du règlement relatif à l'ICE lui impartissant uniquement de présenter « ses conclusions juridiques et politiques sur l'initiative citoyenne, l'action qu'elle compte entreprendre, le cas échéant, ainsi que les raisons qu'elle a d'entreprendre ou de ne pas cette action ». Bien que tout ait, ainsi, été fait pour que l'ICE ne concurrence pas la démocratie représentative, la Commission, jalouse de ses prérogatives, n'a pas su se garder d'une attitude défensive à l'égard des ICE dont elle a été saisie. En atteste le faible taux d'enregistrement des propositions d'ICE(35), principalement dû à l'appréciation particulièrement stricte des conditions de recevabilité effectuée par la Commission(36). En témoigne également le fait que les quatre seules ICE menées à terme à ce jour n'ont pas donné lieu à des propositions de la Commission à la hauteur des demandes. Aussi a-t-on enregistré une diminution notable du recours à ce dispositif participatif(37) et le bilan de l'ICE a-t-il pu être qualifié d'« échec »(38). Il faut alors espérer que les décisions juridictionnelles récentes(39) incitent la Commission à réserver dans l'avenir meilleur accueil aux ICE qui lui seront soumises.
III. Une gouvernance apolitique prégnante
On a rappelé d'emblée la prédilection de l'Union pour une gouvernance par des « indépendants »(40). Ce modèle 'policies without politics' a la vie dure. La part prise par les organes indépendants dans le système institutionnel de l'Union a même notablement augmenté récemment, au point d'affaiblir les éléments de démocratie patiemment instillés au fil des révisions successives et fortement promus par le traité de Lisbonne. Pour répondre à la crise économique et financière, la solution a, en effet, largement été recherchée dans des délégations de pouvoirs croissants à leur profit. Que l'on songe à la régulation et à la supervision des marchés financiers confiées à trois nouvelles agences(41), aux pouvoirs de surveillance en matière bancaire conférés à la BCE dans le cadre du Mécanisme de surveillance unique ou aux pouvoirs de résolution des banques octroyés au Conseil de résolution unique dans le cadre du Mécanisme de résolution unique. Que l'on songe surtout aux rôles dévolus à la Commission et à la BCE en matière de surveillance des politiques économiques et budgétaires nationales et d'assistance financière aux États membres de la zone euro. La Commission(42) a vu ses prérogatives considérablement augmentées en vue d'assurer une surveillance accrue des politiques économiques et une discipline budgétaire renforcée, lui permettant d'exercer une tutelle sur les budgets étatiques et de proposer des mesures correctrices et des sanctions qui sont réputées adoptées sauf si une majorité qualifiée au Conseil s'y oppose. La BCE, elle, a vu sa position institutionnelle encore davantage renforcée à la faveur de la crise. Mais c'est en vertu d'une conception extensive de son mandat de politique monétaire délimité par l'objectif principal de stabilité des prix qu'elle a adopté des mesures non conventionnelles qui lui ont permis de restaurer la stabilité financière, n'hésitant pas, comme dans le cas du programme OMT d'achat de dettes publiques, à subordonner le bénéfice de leur application à la mise en œuvre de réformes économiques structurelles dans les pays concernés. L'influence que la BCE peut ainsi exercer sur les choix budgétaires et de politique économique des États membres est d'autant plus forte qu'elle est membre avec la Commission et le FMI de la Troïka, qui joue un rôle central dans la conception et le contrôle de la mise en œuvre des plans d'ajustement budgétaire et de réformes structurelles qui conditionnent l'assistance financière octroyée à un Etat par le Mécanisme européen de stabilité.
Si ce renforcement de la gouvernance économique technocratique(43) a permis de juguler la crise, il a été unanimement dénoncé comme marquant un recul de la démocratie(44).
La démocratie nationale a été affaiblie par l'effet d'une perte d'autonomie politique en matière d'orientations budgétaires et de politique économique, d'intensité variable selon la santé financière de l'État membre, alors que, comme le Bundesverfassungsgericht l'a rappelé à plusieurs reprises, le pouvoir budgétaire constitue un élément essentiel de la capacité d'autodétermination démocratique d'un Etat(45), ce qui suppose qu'il conserve en la matière « une marge d'action politique suffisante »(46).
Quant à la démocratie européenne, la montée en puissance des organes indépendants a contribué à faire basculer l'équilibre institutionnel de l'Union en faveur de ce qu'Habermas appelle le fédéralisme exécutif postdémocratique(47). On pourra certes rétorquer qu'il n'en résulte pas nécessairement un affaiblissement de la démocratie. Pierre Rosanvallon présente ainsi les organes indépendants comme étant l'expression d'une nouvelle forme de légitimité démocratique, qu'il dénomme la légitimité d'impartialité et soutient que leur montée en puissance ne ferait que répondre à l'essoufflement du modèle de la démocratie représentative (48). Mais cela ne peut convaincre que si l'indépendance qui leur est reconnue est contrebalancée par des mécanismes adéquats de contrôle démocratique et que les tâches qui leur sont confiées et les décisions qu'ils sont amenés à prendre ne sont pas de celles qui, vu leur nature ou leur importance, ne peuvent relever que d'organes représentatifs ou démocratiquement responsables. Or, d'une part, même les plus fervents partisans d'une gouvernance européenne apolitique conviennent qu'elle ne saurait légitimement étendre son emprise sur les politiques à effets redistributifs(49). De même, le Bundesverfassungsgericht a soutenu que l'indépendance de la BCE n'est justifiée au regard du principe démocratique que dans la mesure où son mandat reste limité à une politique monétaire orientée principalement vers le maintien de la stabilité des prix et entendue strictement ; en vain(50). D'autre part, le contrôle démocratique de la gouvernance économique demeure très faible. A part le droit d'être informé, le Parlement européen ne joue aucun rôle dans le contrôle de la discipline budgétaire, la coordination des politiques économiques et l'octroi de l'assistance financière(51).
Il est donc urgent de politiser l'Europe. La légitimité démocratique de l'Union en dépend et, au bout du compte, la pérennité du projet d'intégration.
(1) Voir Décision (UE) 2015/1523 du Conseil du 14 septembre 2015 instituant des mesures provisoires en matière de protection internationale au profit de l'Italie et de la Grèce, JO L 239, 15.9.2015, p. 146 ; Décision (UE) 2015/1601 du Conseil du 22 septembre 2015 instituant des mesures provisoires en matière de protection internationale au profit de l'Italie et de la Grèce, JO L 248, 24.9.2015, p. 80.
(2) Voir notamment, BVG, 12 octobre 1993, arrêt dit Brunner, 2 BvR 2134/92 & 2159/92 ; BVG, 14 janvier 2014, OMT, 2 BvR 2728/13. Voir aussi J. Gerkrath, La critique de la légitimité démocratique de l'Union européenne selon la Cour constitutionnelle fédérale de Karlsruhe, in G. Duprat (dir. ), L'Union européenne, droit, politique, démocratie, PUF 1996, p. 234
(3) Ch. Mestre, Rapport introductif, in C. Haguenau-Moizard et Ch. Mestre (dir. ), La démocratie dans l'Union européenne, Bruylant 2018, p. 9, sp. 14.
(4) Selon la formule de Jacques Delors, citée par Bouchard, L'Europe à la recherche des européens. La voie de l'identité et du mythe , Notre Europe, Etudes et Rapports 2016, p. 20.
(5) Voir K. Featherstone, Jean Monnet and the Democratic Deficit in the European Union, JCMS, vol. 32, n° 2, 1994, p. 149.
(6) C'est Fritz Scharpf qui, appliquant la distinction 'input-output legitimacy' au domaine de l'intégration européenne, fut l'un des premiers à insister sur le fait que la légitimité du projet européen avait été fondée sur les bénéfices escomptés plutôt que sur le caractère démocratique de sa fondation et de ses processus de décision (voir F. W. Scharpf, Governing in Europe : Effective and Democratic ?, OUP1999).
(7) Voir C. Castor, Le principe démocratique dans le droit de l'Union européenne , Bruylant 2011.
(8) Voir art. 2 TUE.
(9) Voir les art. 10 à 12 TUE.
(10) Ou si l'on peut envisager une démocratie européenne fondée sur des demoi nationaux : voir K. Nikolaïdis, The Idea of European Demoicracy, in J. Dickson and P. Eleftheriadis (dir.), The Philosophical Foundations of European Union Law, OUP 2012, p. 247 ; F. Cheneval et F. Schimmelfennig, The case for demoicracy in the European Union, JCMS 2013, vol. 51, p. 334.
(11) Selon que l'on retient une acception ethno-culturelle ou civique de la notion de peuple.
(12) Voir aussi T. Chopin, La fracture politique de l'Europe. Crise de légitimité et déficit politique , Larcier 2015.
(13) Art. 14, § 2 TUE.
(14) Sur la notion de représentation démocratique, voir E. W. Böckenförde, Démocratie et représentation. Pour une critique du débat contemporain, in E. W. Böckenförde, Le droit, l'Etat et la constitution démocratique, LGDJ 2000, p. 294.
(15) L'article 10, § 2 TUE soulignant désormais que leurs membres sont soit élus par les citoyens soit responsables devant la représentation nationale.
(16) Depuis une première mention dans la Déclaration n° 13 annexée au traité de Maastricht. Voir aujourd'hui art. 12 TUE et le Protocole n° 1 sur le rôle des parlements nationaux dans l'Union européenne.
(17) Sur ce mouvement, voir notamment, S. Roland, La parlementarisation de l'Union européenne, in L. Dubin et M.-C. Runavot (dir. ), Le phénomène institutionnel international dans tous ses états : transformation, déformation ou reformation ? , Pedone 2014, p. 123 ; M. C. Runavot, La réorientation de la parlementarisation du droit de l'UE : « enquête » sur la notion de démocratie représentative, in C. Haguenau-Moizard et Ch. Mestre (dir. ), La démocratie dans l'Union européenne, précité, p. 42.
(18) Voir art. 14, § 1 TUE : « Le Parlement européen exerce, conjointement avec le Conseil, les fonctions législative et budgétaire ». Voir aussi art. 299 et 314 TFUE.
(19) Par le biais d'un pouvoir d'approbation (voir art. 218, § 6 TFUE).
(20) Voir art. 234 TFUE. Voir déjà art. 144 CEE.
(21) Art. 17, § 7 TUE, issu du traité de Lisbonne. D'où la pratique du 'Spitzenkandidat'.
(22) Ce sont les États membres qui conservent la maîtrise des ressources propres de l'Union (voir art. 311 TFUE).
(23) du Ppélement olution .ionale.retions et adaptations possibles de la structure institutionnelle actuelle de l'ation nationale.redu Ppélement olution .ionale.retions et adaptations possibles de la structure institutionnelle actuelle de l'ation nationale.re[23] Voir notamment en ce sens, Résolution du Parlement européen du 16 février 2017 sur les évolutions et adaptations possibles de la structure institutionnelle actuelle de l'Union européenne (2014/2248 (INI)).du Ppélement olution .ionale.retions et adaptations possibles de la structure institutionnelle actuelle de l'ation nationale.redu Ppélement olution .ionale.retions et adaptations possibles de la structure institutionnelle actuelle de l'ation nationale.re
(24) N. Walker, Postnational Constitutionalism and the Problem of Translation , in J. H. H. Weiler, M. Wind (dir.), European Constitutionalism Beyond the State, Cambridge University Press, 2003, p. 29.
(25) Voir notamment J. H. H. Weiler, European democracy and its critics : polity and system, in J. H. H. Weiler , The Constitution of Europe, CUP 1999, p. 264 ; A. Follesdal and S. Hix, Why There is a Democratic Deficit in the EU : A Response to Majone and Moravscik, JCMS, vol. 44, n° 3, 2006, p. 533.
(26) D'où la baisse continue de la participation aux élections européennes à rebours de l'accroissement constant des prérogatives du Parlement européen. Le taux de participation aux élections européennes de 2014 a ainsi été le plus faible jamais enregistré (42, 61 %) malgré l'innovation du Spitzenkandidat... Pour une tentative d'explication, voir par exemple, Y. Bertoncini, Élections européennes : le piège de l'abstention, Notre Europe, Policy Paper n° 110, 2014.
(27) Voir l'étude du think tank Terra Nova, Le référendum d'initiative citoyenne délibératif, 19 février 2019.
(28) Communication de la Commission du 25 juillet 2001, « Gouvernance européenne -- Un livre blanc », COM (2001) 428 final.
(29) E. Bernard, La démocratie participative sous l'angle du dialogue civil et du dialogue social, in V. Constantinesco, Y. Gautier et V. Michel (dir. ), Le traité établissant une constitution pour l'Europe. Analyses et commentaires , PUS 2005, p. 365.
(30) Voir P. Magnette, European governance and civic participation : beyond elitist citizenship ?, Political Studies 2003, p. 144.
(31) N. Levrat, L'initiative citoyenne européenne : une réponse au déficit démocratique ?, CDE 2011, p. 53.
(32) Voir déjà, J. H. H. Weiler, 'The European Union belongs to its citizens : three immodest proposals', European Law Review 1997, p. 150 ; Y. Papadopoulos, « Implementing (and radicalizing) art. I-47.4 of the Constitution : is the addition of some (semi-) direct democracy to the nascent consociational European federation just Swiss folklore », Journal of European Public Policy, 2005, p. 448..
(33) Voir art. 4, § 2 du Règlement (UE) n° 211/2011 du Parlement européen et du Conseil, du 16 février 2011, relatif à l'initiative citoyenne.
(34) Comme le juge de l'Union l'a confirmé (voir Trib. UE, 13 avril 2018, European Citizens' Initiative One of Us, aff. T-561/14, EU : T : 2018 : 210).
(35) Après trois ans d'application de l'ICE, un taux de près de 40 % de refus d'enregistrement avait été relevé (voir 1er Rapport de la Commission sur l'application du règlement n° 211/2011 relatif l'initiative citoyenne européenne, 31 mars 2015, COM (2015) 145 final, p. 4). Il a remonté depuis (voir 2ème Rapport de la Commission sur l'application du règlement n° 211/2011 relatif l'initiative citoyenne européenne, 28 mars 2018, COM (2018) 157 final, p. 4) mais le nombre de demandes d'enregistrement a considérablement diminué.
(36) Voir sur ce point, en particulier les critiques émises par J. Organ, Decommissioning direct democracy ? A critical analysis of Commission decision-making on the legal admissibility of European citizens initiative proposals, ECLR 2014, p. 422.
(37) On est passé de 51 propositions d'ICE durant les trois premières années de mise en œuvre de l'ICE à 19 durant les trois années suivantes (chiffres tirés du 2ème Rapport de la Commission sur l'application du règlement n° 211/2011 relatif l'initiative citoyenne européenne, précité, p. 4).
(38) L. Guilloud-Collat, La mise en œuvre de l'Initiative citoyenne européenne : anatomie d'un échec, RDUE 4/2018, p. 175.
(39) Voir CJUE, 12 septembre 2017, Anagnostakis / Commission, aff. C-589/15 P, EU : C : 2017 : 663 ; Trib. UE, 3 février 2017, Minority Safepack, T-646/13, EU : T : 2017 : 59. ; Trib. UE, 10 mai 2017, Michael Efler, aff. T-754/14, EU : T : 2017 : 323 ; Trib. UE, 13 avril 2018, European Citizens' Initiative One of Us, précité.
(40) A. Vauchez, L'apolitisation de l'Europe ? Les « indépendants » dans le gouvernement de l'Union européenne, Les petites affiches 2013, n° 151, p. 18 ; id. , The appeal of independence. Exploring Europe's way of political legitimacy, TARN Working Paper, 7/2016. Voir aussi, G. Majone, La Communauté européenne, un Etat régulateur, Montchrestien 1996.
(41) Les autorités européennes de surveillance (AEMF, ABE et AEAPP), dont les pouvoirs peuvent aller au-delà de ce que la doctrine traditionnelle en matière de délégation de pouvoirs aux agences autorisait (voir CJUE, 18 mars 2014, Commission/Parlement et Conseil (AEMF), aff. C-427/12, EU : C : 2014 : 170).
(42) La Commission est à la fois (théoriquement) politiquement responsable comme on l'a rappelé plus haut, et indépendante (art. 17, § 3 TUE). Et c'est son indépendance qui justifie ses fonctions de gardien des traités, y compris du respect des règles de discipline budgétaire et économique.
(43) Pour un panorama complet, voir F. Allemand et F. Martucci, La nouvelle gouvernance économique européenne, CDE 2012, p. 17.
(44) Voir, parmi beaucoup d'autres, B. Crum, Saving the Euro at the Cost of Democracy, JCMS 2013, p. 614 ; F. W. Scharpf, Monetary Union, Fiscal Crisis and the Preemption of Democracy, LEQS Paper, n° 36, 2011 ; G. Majone, From Regulatory State to a Democratic Default, JCMS 2014, p. 1216.
(45) Voir par exemple, BVG, 12 septembre 2012, ESM et TSCG, 2BvR 1390/12, pt. 194.
(46) BVG, 30 juin 2009, Lisbonne, 2 BvE 2/08, pts. 252 et 256.
(47) J. Habermas, La Constitution de l'Europe, Gallimard, 2012, sp. 76 et s.
(48) Voir P. Rosanvallon, La légitimité démocratique. Impartialité, réflexivité, proximité, Seuil 2008.
(49) Voir G. Majone,La Communauté européenne, un Etat régulateur, précité ; id., Europe's Democratic Deficit : The Question of Standards', ELJ 1998, n°1, p. 5.
(50) Voir CJUE, 16 juin 2015, Gauweiler, aff. C-62/14, EU : C : 2015 : 400 ; CJUE, 11 décembre 2018, Weiss, aff. C-493/17, EU : C : 2018 : 1000.
(51) Voir B. Rittberger, Integration without Representation ? The European Parliament and the Reform of Economic Governance in the EU, JCMS 2014, p. 1174 ; C. Fasone, European Economic Governance and Parliamentary Representation. What Place for the European Parliament ? , ELJ 2014, p. 164 ; M. Dawson, The legal and political accountability structure of 'postcrisis' EU economic governance, JCMS 2015, p. 976.
Citer cet article
Dominique RITLENG. « L'Union européenne : un système démocratique, un vide politique », Titre VII [en ligne], n° 2, De l’intégration des ordres juridiques : droit constitutionnel et droit de l’Union européenne, avril 2019. URL complète : https://www.conseil-constitutionnel.fr/publications/titre-vii/l-union-europeenne-un-systeme-democratique-un-vide-politique
Dans le même dossier
-
Les rapports entre droit constitutionnel et droit de l’Union européenne, de l’art de l’accommodement raisonnable
-
Le Brexit, révélateur de l'alchimie entre Constitution politique et Constitution juridique au Royaume-Uni
-
La mobilisation de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne par les juridictions constitutionnelles
-
Vers une « constitution sociale » européenne ? La constitutionnalisation du droit du travail et le droit de l'Union européenne
-
La protection des données à caractère personnel, domaine emblématique des interactions jurisprudentielles entre cours européennes et Conseil constitutionnel
-
L'application du droit de l'Union européenne en matière fiscale
À lire aussi dans Titre VII
N° 2 - avril 2019
La vie du Conseil constitutionnel