Résumé

Qu'est-ce qu'une norme constitutionnelle ? On ne peut pas manquer d'apercevoir, par le truchement d'une analyse « pragmatique » de l'opération interprétative à laquelle le Conseil constitutionnel s'est livré, à l'occasion de sa lecture du texte du préambule et de celui de la loi de 1901 dans sa fameuse décision de 1971, que la norme constitutionnelle n'entretient strictement aucun rapport avec le texte de la Constitution - ni même avec quelque texte que ce soit, d'ailleurs. Car la norme constitutionnelle, qui est une catégorie de signification illocutoire, est par définition même une signification extratextuelle, ressortissant à la sphère du pragmatique et non du sémantique. C'est dire si la normativité constitutionnelle, qu'on appelle aussi la constitutionnalité, n'a rigoureusement rien à voir avec la Constitution, si toutefois on entend, par ce terme, désigner le texte constitutionnel.
Cette observation peut (doit ?) conduire à réapprécier certains concepts-clé du droit constitutionnel, dont, en particulier, celui de « pouvoir constituant », qui ne saurait guère apparaître comme étant l'auteur de la Constitution, mais plutôt comme simple acteur de l'écriture de son texte, participant, à stricte égalité avec les acteurs de sa lecture, à l'actualisation médiate et indéfiniment différée d'une constitutionnalité jamais achevée. De ce point de vue, le rôle du juge en général et du juge constitutionnel en particulier, doit s'apprécier dans des termes « herméneutiques » fort différents de ceux qu'envisagent, dans leur affrontement étroitement binaire, autant les zélotes d'un droit constitutionnel purement jurisprudentiel que les tenants d'un droit constitutionnel comme jus politicum.

Même si cela semble fort rebattu, revenons sur le fameux « coup d'État de droit »(1) de 1971 où le Conseil constitutionnel a interdit au législateur de 1971 de modifier l'essentiel de la loi sur les associations édictée par le législateur de 1901. Pour ce faire, il s'est contenté de brandir le texte législatif de 1901 et de s'appuyer simplement sur ses dispositions pour dénier aux dispositions incompatibles de l'énoncé de 1971 le droit de s'y substituer. Au texte d'une loi de la Ve République entendant altérer le texte d'une loi de la IIIe République, le juge a donc péremptoirement opposé le texte de la loi de la IIIe République.

Pour lui conférer une telle inaltérabilité marmoréenne, il s'est attaché à démontrer au Parlement de 1971 que le texte législatif de 1901, issu de la volonté du Parlement de la IIIe République, devait dorénavant se comprendre comme le texte d'un énoncé constitutionnel de la Ve République. Autrement dit, par une opération typiquement herméneutique relative à la signification normative du texte de 1901, dont l'énoncé avait été écrit par le législateur de la IIIe République, le juge a fait lecture de ce texte au législateur de la Ve République pour lui faire entendre la voix du constituant de la Ve République, et hisser ainsi d'un cran (voire de plusieurs) l'intensité de force normative des dispositions de 1901 (ou de certaines d'entre elles), ainsi dûment constitutionnalisées. Pour être plus précis, par sa lecture actualisante du texte de 1901, le juge a énoncé son énoncé de telle manière que la force « illocutoire » de cette énonciation (dans le vocabulaire de la philosophie pragmatique austinienne des actes de langage(2)) soit comprise comme étant une force constitutionnelle et non pas comme une force seulement législative. Bref, le Conseil constitutionnel, par un acte foncièrement interprétatif relatif à la force illocutoire de l'énonciation (et non pas du sens locutoire de l'énoncé, objet auquel on limite d'ordinaire et de façon incompréhensiblement restrictive le champ de l'interprétation juridique), a permis de comprendre que le texte d'une loi, rédigé sous la IIIe République en 1901, pouvait néanmoins se lire comme ayant une force constitutionnelle, c'est-à-dire comme étant le texte d'une norme constitutionnelle de la Ve République.

Pragmatique de la décision de 1971

Comme les détours de cette opération interprétative n'ont pas été nettement explicités par le Conseil constitutionnel(3), tentons de les retracer pragmatiquement. Deux grandes étapes du raisonnement interprétatif sont décelables.

  1. D'abord, pour parvenir à constitutionnaliser la loi de 1901, il a fallu que le juge fasse entendre au législateur de 1971, dans l'énonciation du texte du Préambule de 1946 qui contient le concept de « PFRLR », la voix non seulement du constituant de la IVe République, mais également celle du constituant de la Ve République, pour lui faire comprendre non seulement que le texte du Préambule de 1946 est bien celui d'une norme constitutionnelle de la Ve République autant que celui de la IVe auquel il renvoie, mais aussi que le texte du Préambule de 1958 est bien lui-même celui d'une norme constitutionnelle, puisque c'est bien entendu de ce dernier point que dépend toute la cascade de conséquences interprétatives susmentionnées.

Quelle est l'exacte teneur de cette subversion herméneutique ? Ce qui principalement bascule, en 1971, dans la compréhension commune de ce qui définit la constitutionnalité, ne semble guère tenir au fait, comme cela est habituellement allégué, que celui-ci aurait donné ou accordé « valeur constitutionnelle » au Préambule, par une mystérieuse opération de cabaret. Le Conseil constitutionnel n'a en effet tiré nul lapin de son chapeau, mais il a plutôt fait comprendre au législateur de 1971, par sa lecture du Préambule de 1958, que le texte de ce dernier était celui d'un commandement juridique impératif, c'est-à-dire, dans le vocabulaire kelsénien, devait s'entendre comme ayant la signification subjective d'un acte de volonté - du constituant - de prescrire un devoir-être obligatoire (et non pas un devoir-être seulement facultatif et donc non sanctionné), ce qui implique la mise en place nécessaire d'un dispositif de sanction immanente et organisée, indiquant une obligatoriété proprement juridique et non pas seulement morale (où la sanction est immanente mais non organisée), ou religieuse (où la sanction est organisée mais transcendante)(4).

Car ce qu'il est convenu d'appeler norme peut s'apercevoir comme étant essentiellement un phénomène de signification, de dimension clairement illocutoire et non pas locutoire(5). En effet, la norme kelsénienne, conçue comme unité conceptuelle censée rendre compte de manière homogène de l'ensemble de l'ordre juridique (comme le gène dans l'ordre biologique ou le signe dans l'ordre linguistique), en ressortissant à la sphère pragmatique où s'analyse la signification des énonciations (leur force), c'est-à-dire de l'actualisation des textes dans leur application aux cas, radicalement distincte de la sphère sémantique où s'établit la signification des énoncés textuels (leur sens), nous conduit à devoir inscrire la théorie du droit en général, et constitutionnel en particulier, dans la dépendance de la théorie générale de la signification.

Le fait que le Conseil constitutionnel ait pris l'initiative de donner « valeur constitutionnelle » au Préambule doit par conséquent être regardé comme un revirement interprétatif consistant à suggérer au législateur, dans la lecture qu'il lui tient de son texte, que celui-ci doit désormais se comprendre comme étant celui d'une norme proprement juridique. C'est dire à quel point la normativité constitutionnelle du Préambule dépend du pouvoir d'interprétation du juge, ainsi que de la finalité même de l'activité juridictionnelle qui est de faire comprendre l'obligatoriété par le fait que, dans son principe, elle sanctionne la non-conformité aux exigences normatives. Autrement dit, ce n'est pas parce que, subitement et magiquement, le Préambule se comprend comme une norme que le juge contrôle et sanctionne la loi non conforme, mais, la sanction juridictionnelle étant l'indice pragmatique permettant d'exprimer la signification subjective de norme, c'est parce qu'il décide de contrôler la loi et de sanctionner sa non-conformité qu'il répute le texte du Préambule être désormais celui d'une norme.

  1. Pour parvenir à « constitutionnaliser » la loi de 1901, c'est-à-dire la sanctuariser en la mettant à l'abri d'une tentative d'altération par la loi de 1971, il fallait encore que le juge fît apercevoir son texte comme n'étant pas seulement issu de la volonté d'une majorité politique passagère (celle du gouvernement Waldeck-Rousseau), mais, afin de se conformer au modèle normatif suggéré par le concept de « principe fondamental reconnu par la loi », comme procédant plutôt de l'enregistrement, de la part de cette majorité parlementaire, d'un principe (la liberté d'association) déjà présent dans la conscience collective, de telle sorte que, en 1901, l'adoption du texte législatif pût apparaître comme procédant d'un acte de (re)connaissance et non de volonté, visant ainsi non pas à commander, mais à simplement constater et officialiser l'existence déjà acquise par l'opinio juris d'un devoir-être républicain. Autrement dit, la constitutionnalisation de la loi de 1901 supposait l'interprétation rétroactive par le juge constitutionnel de 1971 de l'opération d'édiction parlementaire du texte de 1901 comme ayant non pas prescrit une règle nouvelle selon le vœu de la majorité politique du moment, mais comme ayant décrit un devoir-être procédant d'un esprit foncièrement républicain et commun aux IIIe, IVe et Ve Républiques, et pouvant, pour cette raison, se comprendre comme étant une norme constitutionnelle de la Ve République. Par sa lecture interprétative rétro-actualisante, le juge constitutionnel a ainsi permis au Parlement de 1901 de produire, sans le vouloir ni le savoir, de la norme constitutionnelle de la Ve République, dans la forme textuelle d'une loi de la IIIe, rendant alors nécessaire de recourir à la procédure de révision constitutionnelle pour que la volonté de la majorité parlementaire de 1971 puisse espérer l'emporter sur celle de la majorité parlementaire de 1901.

Constitutionnalité sans texte constitutionnel

Ce que la décision de 1971 fait apercevoir saute alors aux yeux : la norme constitutionnelle n'entretient strictement aucun rapport avec le texte de la Constitution, ni même avec quelque texte que ce soit, d'ailleurs. Tout bonnement parce que la norme constitutionnelle, qui est une catégorie de signification illocutoire, est par définition même une signification extratextuelle, ressortissant à la sphère du pragmatique et non du sémantique. C'est dire si la normativité constitutionnelle, qu'on appelle aussi la constitutionnalité, n'a rigoureusement rien à voir avec la Constitution, si toutefois on entend, par ce terme, désigner le texte constitutionnel.

À vrai dire, c'est une évidence, puisque, précisément, c'est ce qui a permis à la décision de 1971 d'opérer son coup d'État de droit : avant elle, le texte du Préambule n'était pas considéré comme étant celui d'une norme constitutionnelle ; après elle, il se met tout à coup à se comprendre comme l'élément majeur du fameux « bloc de constitutionnalité ».

C'est ce qui permet de comprendre qu'une opération comme celle de 1971, qui réalise le prodige d'une acquisition de la constitutionnalité par un texte compris au départ comme n'étant pas tout à fait celui de la constitution, mais comme étant son simple préambule, est bien sûr tout à fait réversible : une partie du texte de la Constitution proprement dite peut parfaitement être comprise comme étant dépourvue de toute normativité constitutionnelle, ce qui permet ainsi de concevoir comment le Conseil constitutionnel peut facilement « débrancher » ou « désactiver » des dispositions de la Constitution, comme celles de l'article 55, par exemple.

Dans sa décision IVG de 1975, le Conseil constitutionnel a en effet expliqué au législateur que, malgré la lettre pourtant claire de l'article 55, l'énoncé de la Constitution a beau affirmer la supériorité du traité sur la loi, il n'exercerait pourtant aucun contrôle du respect par la loi IVG de la CEDH, de telle sorte que, se refusant ainsi à sanctionner une éventuelle contradiction du traité par la loi, il refusait, dans une sorte de Marbury vs Madison à l'envers, de donner effet utile au texte rédigé par le constituant. Autrement dit, le juge a anormativisé l'article 55, il l'a dévitalisé en le laissant proprement lettre morte. Ce qui, sur le plan sémantique, avait pour conséquence de permettre au législateur de comprendre du texte de la Constitution que ses velléités législatives n'étaient nullement subordonnées au traité (ou seulement à titre facultatif, ce qui revient au même que pas du tout). Autrement dit, le juge avait permis au législateur de lire dans le texte de l'article 55 un énoncé affirmant finalement que la loi est l'égale du traité, soit l'exact contraire de ce qu'affiche pourtant « clairement » sa lettre.

Ne perdons pas de vue, au passage, que la prise en charge par les juges administratif et judiciaire de la normativisation de l'article 55 n'a nullement réglé pour autant la question de savoir, en cas de contradiction entre le texte d'un traité et celui d'une loi, lequel devait l'emporter sur l'autre. On sait en effet qu'avec Nicolo, le Conseil d'État a bel et bien interprété l'article 55 comme étant l'énoncé d'une norme constitutionnelle, puisqu'il a décidé que le texte d'un traité devait l'emporter absolument sur celui d'une loi, alors que sa jurisprudence antérieure, dite des semoules, s'accommodait d'un renversement de la hiérarchie en fonction d'un critère de postériorité qui est précisément la marque de l'égalité de force normative dans la relation entre deux énoncés. Mais, comme il l'a démontré dans son arrêt Koné, le Conseil d'État n'en tire pas pour conséquence que, en cas de contrariété entre le texte d'un traité et celui d'une loi, il faille nécessairement que le texte du traité l'emporte sur celui de la loi, puisqu'il a, dans cette affaire, fait justement prévaloir le texte de la loi de 1927 relative à l'extradition des étrangers (qui interdit aussi les extraditions lorsqu'elles sont demandées dans un but politique) sur le texte de l'accord franco-malien de coopération en matière de justice de 1962 (qui interdit l'extradition seulement dans le cas où l'infraction pour laquelle elle est demandée est une infraction politique), en hissant, par la bien commode technique des PFRLR, le texte de la loi de 1927 au rang d'énoncé d'une norme constitutionnelle.

Ce faisant, on comprend mieux, sur le plan sémantique, quel est, in fine, le sens précis de l'article 55 de la Constitution : la différence hiérarchique d'autorité que l'énoncé constitutionnel aménage doit se comprendre comme différence entre normativité conventionnelle et normativité législative, c'est-à-dire entre conventionalité et légalité, ou encore entre force illocutoire d'énonciation conventionnelle et législative. Mais, en aucun cas, l'article 55 de la Constitution ne permet d'établir la moindre différence hiérarchique entre texte de loi et texte de traité.

Car, a priori, c'est-à-dire avant la lecture interprétative du juge - qu'il soit administratif, judiciaire ou constitutionnel - un texte ne dit rien, il est pragmatiquement muet. La lettre de son énoncé, à elle seule, ne permet pas de savoir s'il est normatif ou non, et s'il l'est, quelle est l'intensité de sa force normative. Tout texte, quel qu'il soit, peut se comprendre, au stade de sa lecture, comme étant, ou non, le texte d'une description anormative, ou bien d'une norme molle seulement recommandatoire, ou bien d'une norme dure de commandement, pouvant s'imputer à l'autorité d'un commandant supérieur ou celle d'un commandant en second, ou encore à celle d'un commandant suprême supposé être le « souverain ». C'est ce qui rend compréhensible, notamment, le fait qu'on puisse, indifféremment, faire prévaloir le texte d'une loi sur celui d'un traité ou inversement, sans nullement contrevenir au principe de supériorité du traité sur la loi(6).

Voilà ce que la révolution herméneutique de 1971 a permis d'apercevoir nettement. Cela peut - doit ? - aussi conduire à réapprécier le sens de certaines notions clés du droit constitutionnel.

Brahms n'est pas l'auteur de la « sonate de Brahms »

Suivant l'usage courant, on appelle « constitution », avec ce que cela suppose comporter de force prescriptive, ce qui n'est jamais que le texte d'une constitution, de même qu'on appelle « loi » ce qui n'est que le texte d'une loi, ou « traité », le texte d'un traité. Cette confusion entre texte et norme(7) conduit à considérer que l'instance chargée de l'écriture du texte de constitution (la rédaction du texte proprement dite, ainsi que l'adoption de ce texte, en vue d'en revendiquer la paternité et de se l'approprier) est une instance productrice de la norme constitutionnelle, qu'elle est donc le « pouvoir constituant ». Directement liée à la notion métaphysique de souveraineté populaire ou nationale, la théorie du pouvoir constituant conduit ainsi, depuis Sieyès(8), à un fétichisme du texte, donnant lieu à des apories inextricables, comme, notamment, celle qui découle du vain principe d'assujettissement du « pouvoir constituant constitué » au « pouvoir constituant originaire » (expressions parfaitement obscures qui relèvent plus de la christologie conjecturant sur la nature de la relation entre le Père et le Fils, que de la science du droit constitutionnel) ; ou comme celle, surtout, qui conduit à hiérarchiser les deux opérations d'écriture et de lecture impliquées par l'existence de tout texte, et à fonder l'idée qu'une lecture « abusive » ou exagérément constructiviste du texte devrait être dénoncée comme illégitime gouvernement des juges.

Autrement dit, par la confusion entre texte et norme, entre constitution et norme constitutionnelle, le constitutionnalisme traditionnel ne parvient pas à penser l'État de droit autrement que dans la tension principielle avec la démocratie et n'envisage pas le moyen de la résoudre autrement qu'en exigeant de la lecture qu'elle vienne, avec toute l'humilité d'une fondamentale et nécessaire soumission, conformer la force illocutoire de l'énonciation du texte qu'elle effectue au sens locutoire de son énoncé, qui résulte de l'écriture de ce dernier. Or, du point de vue herméneutique ici adopté, une telle conformation de la lecture à l'écriture, de l'illocutoire au locutoire, de la force au sens, est plus qu'épineuse(9).

Elle conduirait, par exemple, à exiger du pianiste qu'il conforme son jeu de fabrication de sons aux réquisits graphiques du texte de la partition de telle sonate pour piano, au nom du respect dû à l'autorité du compositeur, Johannes Brahms (1833-1897). Certes, bien entendu, il est attendu de tout pianiste qu'il s'astreigne à « respecter » la partition et sache s'y conformer suffisamment pour ne pas substituer sa propre partition à celle de Brahms. Cependant, comment explique-t-on la différence spectaculaire autant que légendaire entre les sons issus du mouvement des doigts sur les touches et des pieds sur les pédales du piano, suivant qu'ils y ont été imprimés par le corps de Gould ou par celui de Rubinstein(10), qui ont été pourtant, l'un comme l'autre, et au même titre, les fabricants d'un ordre phonique quant à lui toujours identique, celui issu du mouvement que les mains de Brahms ont imprimé à la plume rédactrice de la partition ? Mais, surtout, quel rapport entre la réalité phonique de ce qui est produit par les corps de Gould et Rubinstein, et la représentation seulement graphique de ces sons et de leur ordonnancement, tracée par le corps de Brahms ? On comprend bien qu'il ne saurait être question d'une subordination des individus Gould et Rubinstein à l'individu Brahms, car non seulement Gould et Rubinstein n'ont pas du tout fait la même chose, alors qu'il est pourtant admis qu'ils ont l'un et l'autre pareillement joué « du Brahms », mais en outre ni l'autre, qui a fait entendre le son du piano, n'a fait la même chose que Brahms, qui n'a produit aucun son(11).

Dans un registre différent, celui de la parole médiatisée et différée par l'écriture où s'observe une même tension herméneutique entre premier temps de l'écriture et second temps de la lecture, Ricœur, notamment, y a insisté : écrire, c'est se taire(12). C'est renoncer à parler, à émettre le moindre son. Par définition, le texte est muet. Renoncer, par la décision d'écrire, à prendre la parole et à la tentation - illusoire au demeurant - de s'exprimer « soi-même » immédiatement, c'est tirer parti de l'inatteignable présence à soi et de l'inévitable absence à soi, en choisissant, au contraire, de donner carrément, dès le départ, sa parole à d'autres que soi, de les investir alors de la fonction de porte-parole de soi, en leur laissant le soin, par leur lecture du texte, de l'actualiser dans le contexte propre à chaque circonstance de temps et de lieu où chaque lecteur situera sa lecture, adressée à un tiers (ou à soi-même comme un autre). De cette manière, le lecteur, en prenant en charge l'énonciation de l'énoncé textuel, son oralisation, fait passer la signification de celui-ci de la puissance à l'acte et œuvre à la fabrication matérielle de la parole qu'il a pour mission d'articuler par sa propre bouche pour le compte du « soi » portant le nom du rédacteur du texte auquel elle est désormais imputable.

Écrire un texte ne revient donc pas à se poser soi-même comme sujet « souverain » d'un discours, à prétendre en être soi-même l'auteur, mais au contraire à y renoncer d'emblée et à foncièrement s'en absenter, en se contentant d'être seulement l'acteur d'un premier temps d'écriture, auquel devra alors s'ajouter, dans un avenir jamais clos, un second temps indéfiniment réitéré de lectures multiples, diverses, différentes les unes des autres, abandonné par l'acteur de l'écriture à autant d'acteurs de cette oralisation du texte qui voudront bien se présenter pour se saisir de lui et l'actualiser dans le contexte propre à chaque représentation.

Dans cette perspective, l'écriture d'un texte, si elle est une opération bel et bien muette, n'est pas pour autant un refus de discours et de communication, elle est même exactement tout le contraire, car étant le dispositif rusé d'un détour par la médiation d'une représentation et le retard qu'elle implique, elle se met au service de l'instauration du discours imputable à un sujet grâce à la collaboration d'acteurs qui, prenant en charge la fabrication du texte pour l'un et son oralisation pour les autres, œuvrent ensemble à la production de sa parole en son nom. À l'illusoire prétention à être présent à son propre discours en portant soi-même sa propre et immédiate parole, l'écriture apporte le remède d'une médiation fondatrice qui permet, en donnant la parole à une pluralité infinie d'autrui pour la porter à sa place et en son nom, de fonder une communication - juridique, notamment -, toujours audible car toujours appropriée à la diversité des circonstances à venir où elle sera entendue.

C'est ainsi qu'écriture et lecture forment un attelage indissociable. L'écriture seule ne produit pas de signification effective, car si l'énoncé du texte a certes du sens, un sens locutoire, il ne s'agit que d'un énoncé non énoncé, non actualisé, inactuel, n'ayant donc qu'une signification potentielle(13). C'est alors et seulement plus tard, dans le second temps sans cesse à venir qui progressivement, dans l'occurrence de chaque itération, porte le texte à l'énonciation, que le sens de celui-ci, nanti désormais d'une force illocutoire particulière (normative ou non, impérative ou recommandatoire, etc.), peut être enfin saisi par l'adressataire singulier du moment de cette lecture particulière. Il n'y a pas de sens sans force, ni de force sans sens. La force de l'énonciation actualise le sens en puissance de l'énoncé pas encore énoncé. Inversement, la force de l'énonciation est impensable si l'énoncé n'a pas de sens, car dans ce cas il n'y a pas d'énoncé, et donc pas d'énonciation non plus.

L'écriture est ainsi ce qui fonde le discours imputable à un sujet en inscrivant sa parole dans la différance, dans le retard d'une parole éternellement différée aux moments multiples des opérations de lecture indéfiniment réitérées, et dans la différence des interprétations auxquelles ces diverses applications du texte à des circonstances sans cesse renouvelées donnent fatalement lieu, en invitant ces interprétations à s'adapter, s'ajuster, se conformer à leur particularité(14).

Dans ces conditions - et tel est le point qui nous importe le plus à propos du « pouvoir constituant » -, l'auteur d'une telle parole médiatisée et doublement différée par l'écriture, ne peut aucunement apparaître comme s'identifiant au rédacteur du texte. Ce dernier, par définition, a perdu toute chance d'accéder à cette qualité d'auteur, puisque, par définition, il renonce à prendre la parole lui-même. Il doit se contenter d'être seulement l'acteur de l'écriture de son texte qui, en collaboration avec les acteurs à venir de ses lectures, contribue à la fabrication d'une parole sans cesse en différance et en différence d'avec elle-même. Il ne peut ainsi, par le détour de cette médiation dont il se fait l'un des acteurs, qu'être renvoyé à un nominal soi-même comme un autre dont il est, à parité avec les acteurs de la lecture, un simple représentant(15).

L'acteur de l'écriture (Johannes Brahms,1833-1897), au même titre - ni plus ni moins - que les acteurs de la lecture (Arthur Rubinstein, 1887-1982 ; Glenn Gould, 1932-1982) n'est plus qu'un agent commis au service de la production d'une parole imputable à un auteur désormais fictif, qui porte certes son nom (« Johannes Brahms »), mais qui n'est justement que ce nom. L'individu Brahms, acteur de l'écriture de sa partition, participe à la fabrication de la sonate, en collaboration égalitaire avec les individus Rubinstein, Gould, etc., quant à eux acteurs des lectures grâce auxquelles la musique, imputable à l'auteur nominal « Brahms », advient à chaque occasion où elle est effectivement jouée. L'individu Brahms, en tant qu'individu de chair et d'os ayant physiquement produit par un mouvement silencieux de sa main le manuscrit d'une partition, n'est donc pas l'auteur de la musique produite par Gould ou Rubinstein en concert. C'est seulement son nom, « Brahms », qui détient (ou non) cette qualité, à la suite d'une imputation décidée (ou non) par le public qui, en applaudissant (ou non) à la qualité de l'interprétation, accepte (ou non) de reconnaître du « Brahms » dans les sons émis par le piano de Gould, au même titre que ceux ayant été émis, en d'autres temps et d'autres lieux à l'adresse d'un autre public, par Rubinstein, en dépit de toutes les différences, souvent antinomiques, entre ces interprétations. Cette reconnaissance, cette homologation du jeu qui autorise l'imputation de celui-ci à l'auteur au nom duquel il est produit, est donc l'apanage du public adressataire de la représentation(16), qui y consent (ou non) selon l'idée qu'il se fait de la manière dont la partition doit être lue, comprise et jouée, elle-même tributaire de préjugés tenant souvent, d'ailleurs, à la préférence accordée par tel ou tel public, à tel ou tel style interprétatif hérité des représentations passées ayant fait école et ayant donné naissance à des traditions(17).

L'attelage non hiérarchisé des acteurs

On ne voit pas, à vrai dire, pourquoi il devrait en aller différemment s'agissant de l'écriture des textes juridiques en général et des textes constitutionnels en particulier. De la même manière, ce qu'il est - indûment - convenu d'appeler le « pouvoir constituant », et que celui-ci soit « originaire » ou « dérivé » peu importe, n'est nullement, dans cette perspective herméneutique, auteur d'une quelconque « constitution » qui serait, du seul et unique coup de son activité d'écriture, une production achevée de normativité constitutionnelle. Autrement dit, une fois écrit et adopté par le « pouvoir constituant », la constitution comme texte n'est dotée d'aucune impérativité particulière, du fait de son mutisme en tant qu'énoncé pas encore énoncé par une lecture appropriée à chaque cas d'application, et ne saurait donc apparaître comme étant si peu que ce soit un commandement. En revanche, le prétendu « pouvoir constituant » est seulement l'acteur de l'écriture du texte (et de ses altérations par la voie des révisions), au même titre que les acteurs de la lecture, si bien qu'aucune différence hiérarchique n'est à établir entre un interprète comme le Conseil constitutionnel et le rédacteur du texte qu'il actualise, le « pouvoir constituant », que ce dernier soit « originaire » ou « constitué ».

De même que c'est l'attelage non hiérarchisé d'acteurs de l'écriture et de la lecture de la partition, composé des individus Brahms d'un côté, Gould, Rubinstein, etc., de l'autre, qui, associés autour d'un même et unique texte, ont œuvré ensemble à la fabrication de sons qui, en dépit de la diversité des contextes spatio-temporels propres à chaque concert, ont été pourtant tous produits au même nom de « Brahms », c'est-à-dire imputés à cette même entité fictive et nominale (si Gould et Rubinstein jouent au nom de « Brahms », Brahms quant à lui écrit également au nom de « Brahms »), de même c'est l'attelage non hiérarchisé, d'une part, des acteurs de l'écriture de la constitution (le pouvoir constituant dérivé qui a modifié à 24 reprises le texte de 1958, ainsi que le pouvoir constituant originaire de 1946 dont celui de 1958 n'est en réalité qu'une dérivation - plus ou moins régulière selon... les interprétations -, ainsi que le pouvoir constituant originaire de 1789 qui a rédigé le texte de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, sans oublier le pouvoir rétro-constituant qu'a été, sans le savoir, le pouvoir législatif rédacteur des textes de lois désormais compris comme textes constitutionnels en vertu du concept de PFRLR, sans oublier non plus les acteurs internationaux ayant rédigé les textes des traités (Maastricht, Lisbonne) ni les acteurs nationaux ayant rédigé l'accord de Nouméa, auxquels la Constitution renvoie(18), et, d'autre part, des acteurs de la lecture (le Conseil constitutionnel, mais aussi, bien sûr, la Cour de cassation et le Conseil d'État, et même aussi, dans une certaine mesure, toutes les juridictions de quelque degré que ce soit depuis l'instauration de la QPC), œuvrent ensemble, au nom du même « peuple souverain », à la fabrication, jamais achevée, de normativité constitutionnelle, c'est-à-dire toujours en train d'être actualisée, à chaque occasion d'application que procure un procès fait à un acte dont le caractère constitutionnel est discuté. Bref, c'est l'attelage non hiérarchisé d'acteurs d'écriture et de lecture de textes identifiés comme étant constitutionnels, qui accouche d'une normativité constitutionnelle toujours en accroissement, en diversification sémantique, en évolution, en foncière et incessante altération, bien que devant toujours être comprise comme étant imputable au seul et unique nom de son auteur, le « peuple souverain ».

Dans ces conditions, il ne saurait guère être question de « constitution », renvoyant à l'idée d'une œuvre déjà achevée, produite d'un seul coup par un souverain de chair et d'os. Il serait sans doute plus approprié, en vertu de l'analyse concrète et réaliste des mécanismes herméneutiques par lesquels se comprend la normativité constitutionnelle en tant que catégorie de signification illocutoire particulière, de parler de la constitutionnalisation de la Ve République, toujours en cours, toujours en actualisation, toujours en altération.

La claque

Toutefois - et la précision est de taille -, la compréhension de la normativité constitutionnelle ne se limite sans doute pas à celle qui découle de la lecture des textes faite par un juge (constitutionnel ou ordinaire) à un sujet particulier du droit constitutionnel (le législateur, l'administration), dont les actes inconstitutionnels peuvent être juridictionnellement sanctionnés. Elle s'opère, de la même manière, dans d'autres cas de lecture faite par d'autres acteurs de la lecture, soit à d'autres sujets de droit constitutionnels, soit à eux-mêmes pour se prévaloir de la constitutionnalité de leurs propres décisions, comme, par exemple, le président de la République lorsqu'il décide de s'en remettre à l'article 11 du texte de 1958 pour déterminer le cadre procédural d'une révision, ou lorsqu'il refuse de signer une ordonnance en s'appuyant sur sa propre compréhension de l'article 13, etc.

Ce n'est pas, à vrai dire, parce que ces lectures ne sont pas (encore ?) effectuées par des juridictions et donc parce qu'elles portent sur des éléments textuels non justiciables, que le processus de production et de compréhension de la normativité constitutionnelle diffère. Pour cette raison, il ne semble guère nécessaire de revendiquer la spécificité supposée d'un droit constitutionnel défini comme jus politicum dont l'objet et les méthodes devraient profondément différer de ce qui se rattache au droit constitutionnel jurisprudentiel et à l'enthousiasme idéologique un peu niais qu'il suscite chez les zélotes de la « saisie de la politique par le droit ».

Car, dans les cas où la sanction juridictionnelle à une « mauvaise » interprétation du texte fait défaut, cela n'implique nullement l'absence de toute sanction, ni non plus le caractère irréductiblement et purement politique de la sanction existante, comme si la sanction juridictionnelle était, quant à elle, dénuée de toute dimension irréductiblement et essentiellement politique. En effet, on peut sans doute observer que, dans toutes les configurations - justiciables comme injusticiables - où la question se pose de savoir à quoi on est exactement tenu, en vertu d'une obligation constitutionnelle, effectivement issue d'une norme constitutionnelle comprise comme signification illocutoire, il se pose toujours la question de savoir si s'opère ou non la reconnaissance rendant possible l'imputation de la lecture effectuée à l'instance nominale, réputée être « auteur » de la constitution : le « peuple souverain ».

Cette reconnaissance qu'on n'a pas ici la place d'essayer de décrire(19), n'a pas de raison de différer fondamentalement de celle qui s'opère, ou non, dans une salle de concert ou de théâtre, quand le public applaudit (il reconnaît l'auteur dans ce qui a été joué et accepte l'imputation) ou siffle (il ne reconnaît pas l'auteur et refuse l'imputation) les acteurs de la lecture du texte. Il n'est pas exclu que, dans tous les cas, justiciables ou non justiciables, ce soit toujours le public (le peuple ? la population ?) qui détienne un pouvoir de dernier mot interprétatif dont dépend fondamentalement la compréhension de la normativité constitutionnelle (et juridique en général).

Dans cette perspective, au sein du droit constitutionnel tout uniment jus politicum, la partie proprement justiciable de ce droit pourrait apparaître comme jouant un rôle stratégique de nature à favoriser la reconnaissance nécessaire à la compréhension de la normativité constitutionnelle. Il est en effet tentant de voir, dans le rôle de la justice constitutionnelle, un dispositif voisin de celui aménagé au théâtre, appelé « claque », qui consiste à ce que certains membres de la troupe des acteurs de la lecture du texte, au lieu d'œuvrer sur la scène à la représentation par leur jeu interprétatif, soient placés dans le public en vue de simuler l'appartenance à celui-ci et de l'inciter ainsi à se joindre aux applaudissements ratificateurs qu'ils prennent l'initiative de « consentir » à sa place. Le Conseil constitutionnel, notamment - mais les autres juridictions aussi -, ne pourrait-il pas être également regardé comme la pièce centrale d'un tel dispositif de « claque » en tant qu'institution étatique qui, derrière son apparente extériorité par rapport au législateur dont il évalue l'activité de lecture du texte constitutionnel et grâce à laquelle il peut donner au public des citoyens la garantie d'une constitutionnalité des lois en vigueur - et donc de leur sainteté, du point de vue du respect des droits fondamentaux -, pour le porter à y applaudir et donc à y obéir, alors pourtant qu'il fait bel et bien partie de la troupe des acteurs d'un État auquel il s'agit précisément d'obéir ? N'est-ce d'ailleurs pas exactement ce dispositif rusé de double discours mis en place par la troupe étatique, dont le doyen Vedel vantait les mérites dans un article fameux(20), qui permet, à la fois aux acteurs étatiques gouvernants d'être assurés, par des arguments positivistes, qu'il ne saurait y avoir de gouvernement des juges, et au public des citoyens gouvernés d'être rassurés, par des arguments jusnaturalistes relatifs à la transcendance des droits de l'homme, contre toute éventualité de lois liberticides ou discriminatoires, et de résoudre, in fine, la tension fondamentale entre démocratie et État de droit, en sachant conjuguer les aspirations contradictoires des uns à l'exercice de prérogatives exorbitantes du droit commun utiles à leur fonction de gouvernants, et l'appétit des autres à la protection juridique efficace et irréversible de leurs droits de gouvernés contre l'insatiable avidité d'exorbitance de la part des gouvernants ?

(1) On se permet, sur cette expression, de renvoyer à O. Cayla, « Le coup d'État de droit ? », Le Débat, 1998, n°100, p. 108-133.

(2) V. J. L. Austin, How to do things with words, Oxford University Press, 1962, trad. française G. Lane, Quand dire c'est faire, Seuil, coll. « L'ordre philosophique », 1970.

(3) Pour une étude approfondie, passionnante et remarquable de l'histoire de cette décision mythique, v. G. Boudou, « Autopsie de la décision du Conseil constitutionnel du 16 juillet 1971 sur la liberté d'association », RFDC, 2014/1, n° 97, p. 5-120.

(4) Voir H. Kelsen, Théorie pure du droit, 2e édition, trad. C. Eisenmann, Dalloz, 1962, p. 39 et s., not. p. 46, 72-73.

(5) Voir H. Kelsen, Théorie générale des normes, trad. O. Beaud et F. Malkani, PUF, 1996

(6) O. Cayla, « Lire l'article 55 : comment comprendre un texte établissant une hiérarchie des normes comme étant lui-même le texte d'une norme ? », Les Cahiers du Conseil constitutionnel, 1999, n° 7, p. 77-86 : « La chose et son contraire (et son contraire, etc.) », Les Études philosophiques, 1999, n° 3, p. 291-310.

(7) De la cruciale nécessité de se départir de cette confusion majeure, v. M. Troper, Pour une théorie juridique de l'État, PUF, 1994, not. « Kelsen, la théorie de l'interprétation et la structure de l'ordre juridique », p. 85 et s.

(8) E. Sieyès, Qu'est-ce que le Tiers État ?, PUF, « Quadrige », 1982.

(9) On se permet aussi de renvoyer à O. Cayla, « L'obscure théorie du pouvoir constituant originaire, ou l'illusion d'une identité souveraine inaltérable », L'architecture du droit. Mélanges en l'honneur du Professeur Michel Troper, Economica, 2006, p. 249-265.

(10) Sur la radicale opposition des partis interprétatifs de ces deux pianistes légendaires, v. « Rubinstein/Gould, les deux menteurs », Le Monde, 10 décembre 1992, https://www.lemonde.fr/archives/article/1992/12/10/rubinstein-gould-les-deux-menteurs_3925703_1819218.html.

(11) V. H. Gouhier, Le théâtre et les arts à deux temps, Flammarion, 1989.

(12) P. Ricœur, Du texte à l'action. Essais d'herméneutique II, Seuil, 1986, p. 138.

(13) Pour une analyse voisine, distinguant entre la norme et la règle contenant la norme « en attente », seulement en puissance dans la lettre du texte de la constitution considérée en dehors de son application, v. D. Baranger, « Comprendre le »bloc de constitutionnalité" », Jus Politicum, 2018, n° 21, http://juspoliticum.com/article/Comprendre-le-bloc-de-constitutionnalite-1237.html, spécialement le développement « Normes, sources, ressources ».

(14) On ne peut ici que renvoyer au célèbre terme derridien de « différance », mais avec toute la prudence requise concernant une œuvre philosophique majeure dont la complexité et la profondeur assignent à ce concept une portée fondamentale. V. not., J. Derrida, L'écriture et la différence, Seuil, coll. « Points », rééd. 1979 ; également, R. Lamboley, « Derrida et la »différance« aux sources de notre culture », Revue d'éthique et de théologie morale, 2005/2, n° 234, p. 47-62.

(15) P. Ricœur, Soi-même comme un autre, Seuil, coll. « L'ordre philosophique », 1990, 426 p.

(16) H. Gouhier (op. cit.) insiste particulièrement sur cette prérogative du public consistant à opérer, par son jugement, l'imputation de l'œuvre à son auteur, et qui est, à ses yeux, la marque principale de l'art « à deux temps » et de ce qui le distingue foncièrement de l'art « à un temps », où l'imputation de l'œuvre à son auteur est le fait de l'auteur lui-même, comme l'opère la signature du tableau par le peintre.

(17) H. G. Gadamer, Vérité et méthode. Les grandes lignes d'une herméneutique philosophique, Seuil, coll. « L'ordre philosophique », 1976, 347 p.

(18) V. A. Roblot-Troizier, « Le Conseil constitutionnel et les sources du droit constitutionnel », Jus Politicum, 2018, n° 21 [http://juspoliticum.com/article/Le-Conseil-constitutionnel-et-les-sources-du-droit-constitutionnel-1261.html] ; « Réflexions sur la constitutionnalité par renvoi », Cahiers du Conseil constitutionnel, 2007, n° 22, https://www.conseil-constitutionnel.fr/nouveaux-cahiers-du-conseil-constitutionnel/reflexions-sur-la-constitutionnalite-par-renvoi

(19) On s'y est efforcé, à l'occasion de l'analyse du processus sud-africain de Vérité et réconciliation, à partir de la notion d'aveu évoquée par Hobbes dans le fameux chapitre XVII du Léviathan, v. O. Cayla, « Aveu et fondement du droit », in B. Cassin, O. Cayla et P. - J. Salazar (dir.), Vérité, réconciliation, réparation, Seuil, « Le genre humain », 2004, p. 89-110.

(20) G. Vedel, « Le Conseil constitutionnel, gardien du droit positif ou défenseur de la transcendance des droits de l'homme », Pouvoirs, 1988, n° 45, p. 149-159.

Citer cet article

Olivier CAYLA. « Constitution ou norme constitutionnelle ? », Titre VII [en ligne], n° 8, Les catégories de normes constitutionnelles, avril 2022. URL complète : https://www.conseil-constitutionnel.fr/publications/titre-vii/constitution-ou-norme-constitutionnelle