Chronique de droit privé (janvier 2024 à juin 2024)

Titre VII

N° 13 - novembre 2024

1. Période dans l'ensemble assez calme, sinon maussade, que celle de ce premier semestre 2024 pour le droit privé mijoté à la sauce constitutionnelle, entre décisions de contrôle a priori mettant principalement en œuvre des exigences relevant de la procédure parlementaire (trois seront rapidement exposées) et décisions QPC très variées (une petite dizaine), mais aux solutions assez prévisibles.

Deux affaires sortent toutefois de ce lot de manière assez nette : la première en raison de sa portée politique, surtout dans une période électorale tendue à l'extrême de chaque côté de l'échiquier, et la seconde pour l'originalité de la question posée, qui consiste en un singulier brouillage entre le monde de l'être et celui de l'avoir, lesquels ont souvent constitué la trame de cette chronique.

Dans cette dernière décision n° 2023-1075 QPC du 18 janvier 2024, Société Europe métal concept, le Conseil constitutionnel était amené à se prononcer sur la conformité aux droits et libertés fondamentaux de l'article L. 2223-18-1-1 du code général des collectivités territoriales (CGCT), dont le I dispose : « Sans considération de leur origine, les métaux issus de la crémation ne sont pas assimilés aux cendres du défunt. Ces métaux font l'objet d'une récupération par le gestionnaire du crématorium pour cession, à titre gratuit ou onéreux, en vue du traitement approprié pour chacun d'eux ».

Selon les travaux préparatoires de la récente loi n° 2022-217 du 21 février 2022(1), dont ces règles sont issues, l'objectif était de combler un vide juridique. Comme l'explique le commentaire du service juridique du Conseil(2), « à la suite de la crémation, des métaux peuvent en effet ne pas avoir été détruits par la combustion. Il peut s'agir des éléments métalliques du cercueil, des effets personnels du défunt qui y sont déposés, ou bien d'éléments intégrés à son corps de son vivant, telles que les prothèses. Or, avant la loi du 21 février 2022, ces métaux, séparés des cendres restituées à la famille, étaient considérés comme des déchets. Ils étaient donc récupérés puis cédés par les gestionnaires de crématorium à des entreprises spécialisées dans leur recyclage, sans encadrement légal ou réglementaire particulier. Selon les travaux préparatoires, ce commerce, qui s'est développé dans les années 2010, représentait environ deux millions d'euros annuels en 2021, soit 5 à 15 euros par crémation ». L'entreprise requérante, spécialisée dans la revalorisation des métaux précieux issus de la crémation et des établissements de santé (selon son site Internet), reprochait à ces dispositions de porter atteinte, d'une part, à la sauvegarde de la dignité de la personne humaine et, d'autre part, au droit de propriété des ayants droit du défunt (paragr. 2 et 3)(3). En soi, il y a évidemment plus qu'un soupçon de contradiction entre ces deux griefs, comme un douteux mélange des genres entre l'être et l'avoir : si la dignité de la personne humaine est en jeu, il ne saurait être question, en effet, d'un quelconque droit de propriété sur les effets concernés. Mais on comprend bien que ces griefs sont en vérité alternatifs : si les métaux issus de la crémation ne sont pas assimilables au corps humain lui-même (plus précisément à la dépouille mortelle), alors ils constituent des biens appropriables qui peuvent faire l'objet d'un droit de propriété – car il ne semble pas y avoir de demi-qualification entre les êtres et les choses en l'état de notre droit civil (et si certaines choses sont bien placées en dehors du commerce juridique, il ne semble pas que les métaux soient en général concernés !). Cette binarité se retrouve dans la décision du Conseil, qui examine successivement – et alternativement – les deux arguments.

S'agissant, en premier lieu, de la sauvegarde de la dignité de la personne humaine – consacrée dans la jurisprudence constitutionnelle par la décision relative aux « lois bioéthiques » de 1994(4), fondée sur le Préambule de la Constitution de 1946 et presque toujours stérile(5) (comp. infra, n° 2) –, les sages décident pour la première fois, et à titre de principe, que le respect qui lui est dû « ne cesse pas avec la mort »(6) (paragr. 5 in fine). Cette solution et sa rédaction s'inspirent manifestement de l'article 16-1-1 du code civil (d'ailleurs mentionné par les sages dans leur décision, paragr. 8) qui trouve lui-même son origine dans la « loi Sueur » du 19 décembre 2008 relative à la législation funéraire : « Le respect dû au corps humain ne cesse pas avec la mort » (al. 1er)(7). Dans son second alinéa, le même article ajoute que « les restes des personnes décédées, y compris les cendres de celles dont le corps a donné lieu à crémation, doivent être traités avec respect, dignité et décence ». Voilà ainsi ces belles et heureuses règles dotées d'une force constitutionnelle, ce dont on peut se réjouir – même s'il paraît assez improbable que le législateur, en Créon des temps modernes, vienne à s'en prendre un jour ou l'autre aux cadavres humains, auxquels les cendres se trouvent donc assimilées par la loi depuis plus de quinze ans. Pour le Conseil, tel n'est pas le cas de la loi du 21 février 2022, car « les métaux issus de la crémation, quand bien même ils proviendraient d'objets intégrés au corps du défunt, sont distincts des cendres de ce dernier ». On peut sans doute comprendre que le Conseil constitutionnel, par pragmatisme, ne distingue pas entre une prothèse de hanche en cobalt-chrome ou en titane et une dent en or, ou encore entre un pacemaker et un implant de « body art » sous-cutané (les lecteurs curieux pourront facilement dénicher sur la toile d'édifiantes photographies – âmes sensibles s'abstenir !). On pourrait néanmoins soutenir que farfouiller dans les cendres avec un aimant (ou les passer au tamis ?) pour récupérer des métaux n'est guère une façon de les traiter avec dignité et respect... Quoiqu'il en soit, le Conseil glisse discrètement, au creux de sa décision, un motif qui revêt un certain poids à l'heure où le recyclage est conçu comme l'une des toutes premières vertus civiques : « Il résulte des dispositions contestées que les métaux issus de la crémation sont récupérés par le gestionnaire du crématorium et cédés en vue d'en assurer le traitement approprié ». Soit : les métaux nichés dans les cendres du défunt ne sont pas le corps humain ; il s'agit donc de choses qui échappent à la protection due à la dépouille humaine, en droit civil aussi bien désormais qu'en droit constitutionnel, et qui peuvent ou doivent être traitées comme des déchets à trier et à recycler. Mais les héritiers du défunt n'ont-ils point quelques droits à faire valoir sur ces choses, qui peuvent ne pas être dépourvues de valeur vénale, à défaut de revêtir une valeur morale ? La réponse est évidemment positive, ce qui ouvrait la porte au second grief de la société requérante, fondé sur le droit de propriété.

S'agissant ainsi, en second lieu, de la protection du droit de propriété, le Conseil rappelle la distinction de principe qu'il opère entre le contrôle des privations de propriété (art. 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen - DDHC) et le contrôle des atteintes aux conditions d'exercice de ce droit (art. 2 et 17 DDHC). Or, au regard de cette dichotomie classique, les dispositions contestées recelaient à notre sens une certaine ambiguïté : sans qu'il y ait à proprement parler une expropriation (au profit de personnes privées, les crematoriums), les héritiers du défunt, devenus propriétaires des biens en cause au moment même du décès de leur auteur, se trouvent bel et bien privés de leurs droits sans que les exigences qu'impose l'article 17 de la Déclaration de 1789 soient à l'évidence respectées(8). Sans surprise, le Conseil écarte toutefois cette référence, par la grâce d'un tour de passe-passe temporel : « Si les dispositions contestées font obstacle à ce que les ayants droit puissent se voir remettre les métaux issus de la crémation ou le produit de leur cession, quand bien même ils proviendraient de biens ayant appartenu au défunt, elles n'ont ni pour objet ni pour effet de les priver des droits qu'ils peuvent faire valoir en temps utile sur ces biens en vertu de la loi successorale » (paragr. 13). Ainsi passe-t-on subrepticement d'une exigence rigide de non-privation du droit de propriété (en principe imprescriptible, au surplus) à un contrôle beaucoup plus souple de la possibilité de faire valoir ses droits de propriétaire « en temps utile », sauf à les perdre par une sorte de prescription acquisitive sans délai au profit des crématoriums... Cette singulière réduction des exigences permet de sauver les dispositions contestées. C'est donc sur le fondement de la protection des conditions d'exercice du droit de propriété que le Conseil examine l'article L. 2223-18-1-1 du CGCT et conclut à sa conformité à la Constitution. Outre l'intérêt général attaché au « traitement approprié » des effets recueillis (le recyclage), un seul argument suffit à emporter sa conviction : « Ces dispositions prévoient par ailleurs que les conditions de récupération des métaux issus de la crémation et les règles d'affectation du produit éventuel de leur cession doivent figurer sur tout document de nature contractuelle prévoyant la crémation, et sont affichées dans la partie du crématorium ouverte au public »(9) (paragr. 14). Les héritiers étant informés de leurs droits, à eux de les faire valoir « en temps utile », c'est-à-dire, semble-t-il, sans délai. Dans son commentaire, le service juridique du Conseil suggère plus précisément que les héritiers doivent faire valoir « leurs droits sur les biens susceptibles d'être placés dans le cercueil du défunt avant la crémation »(10), mais nous ignorons d'où il a bien pu tirer cette exigence. En tout état de cause, convenons que l'on a déjà croisé des règles plus protectrices du droit de propriété... Ainsi pourrait-on imaginer, par exemple, que les crématoriums soient au moins tenus d'informer les héritiers des métaux récupérés après la crémation, la molaire en or du grand-père ayant pu échapper à la sagacité de ses ayants droit, pour peu que leur auteur ne fût point d'un naturel souriant. Dans le régime applicable aux métaux ainsi récupérés, un autre élément, incidemment évoqué par le Conseil au sujet de l'information « standard » due aux héritiers, a cependant pu l'inciter à trancher en ce sens : selon le II de l'article L. 2223-18-1-1 du CGCT, le pécule récupéré dans les cendres du défunt « ne peut être destiné » qu'à « financer la prise en charge des obsèques des personnes dépourvues de ressources suffisantes » ou bien « faire l'objet d'un don à une association d'intérêt général ou à une fondation reconnue d'utilité publique ». Ces nobles affectations, si tant est qu'elles soient en pratique respectées, ont pu plaider en faveur de la conformité à la Constitution – mais leur rapport avec l'atteinte portée au droit de propriété des héritiers n'a rien d'évident, ce qui explique que le Conseil ne s'y réfère pas expressément dans sa motivation. Au fond, on comprend que la loi du 21 février 2022 a voulu règlementer, tant bien que mal, des pratiques difficiles à canaliser, quitte à s'éloigner des canons du droit civil. Car il est tout de même étrange que les crématoriums soient tenus de céder une chose dont ils n'ont pas la propriété, au mépris, quoi qu'en dise le Conseil, des droits des héritiers(11). À cet égard, il est tout aussi étonnant de voir le service juridique du Conseil relever, dans son commentaire de la présente décision et par référence à un précédent n'ayant pas grand-chose à voir avec l'espèce(12), que « les héritiers ne deviennent propriétaires des biens du défunt que parce que la loi successorale, ou le legs dont la loi successorale reconnaît la validité, les désigne comme tel. Le droit de propriété ne peut donc être invoqué par un héritier pour contester les dispositions de la loi successorale relatives aux droits d'une autre personne appelée à la succession » (p. 19). La loi de 2021 n'est pourtant pas (ou pas ouvertement ?) une loi successorale ; c'est une loi d'opportunité qui prive les héritiers – qui sont pourtant censés continuer juridiquement la personne du défunt – des droits que leur reconnaissent les lois successorales, au nom d'un intérêt général ténu. Au sujet du régime très libéral des prélèvements d'organes après la mort, Jean Carbonnier avait jadis parlé d'une « nationalisation » des cadavres(13) ; voici venu le temps de l'expropriation des pièces de rechange et implants métalliques au nom de leur « traitement approprié » (et rémunéré...), avec la bénédiction des sages. Comme disent nos enfants, et désormais le dictionnaire Le Robert puisqu'il faut être moderne, il y a dans tout cela comme un parfum de « gênance ».

2. La seconde affaire remarquable du semestre, amplement médiatisée car politiquement « clivante », comme le disent nos amis journalistes, concerne la condition de séjour régulier des personnes de nationalité étrangère afin qu'elles puissent bénéficier de l'aide juridictionnelle. Elle peut être rapprochée d'une autre décision, moins polémique on l'espère, rendue le même jour et relative au droit de s'alimenter d'un étranger retenu aux fins de vérification de son droit de circulation ou de séjour(14). Relevons rapidement que dans cette dernière décision n° 2024-1090 QPC du 28 mai 2024, M. Mohamed K., le Conseil constitutionnel a censuré – sans effet rétroactif (paragr. 17), mais en faisant obligation aux officiers et agents de police judiciaire de mettre immédiatement en œuvre les exigences qu'il pose (paragr. 18) – certaines dispositions de l'article L. 813-13 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA) en ce qu'elles n'imposaient pas « de faire figurer au procès-verbal [de fin de retenue] de mention relative aux conditions dans lesquelles l'étranger a pu s'alimenter pendant cette mesure », laquelle « peut atteindre une durée de vingt-quatre heures » (paragr. 12). Le Conseil décide qu'« à défaut de prévoir une telle mention, les dispositions contestées ne permettent pas aux autorités judiciaires de s'assurer que la privation de liberté de l'étranger retenu s'est déroulée dans des conditions respectueuses de la dignité de la personne humaine(15). Elles méconnaissent ainsi ce principe constitutionnel » (paragr. 13) que la mise en œuvre de « toute mesure privative de liberté » se doit de respecter(16) (paragr. 5), comme le soulignait aussi la Cour de cassation dans son arrêt de renvoi(17). À titre de comparaison, l'article 64 du code de procédure pénale (CPP) impose d'ailleurs cette mention relative aux « heures auxquelles [la personne gardée à vue] a pu s'alimenter » dans le procès-verbal dressé à l'issue de cette mesure, ce qui permet un contrôle effectif du juge. Comme le souligne le service juridique du Conseil, c'est la première fois que le principe de dignité conduit à une censure – du moins de manière autonome, car le juge constitutionnel avait déjà condamné, récemment, plusieurs dispositions pénales sur ce fondement, mais celui-ci était alors joint aux articles 9 (pas de rigueur non nécessaire) et 16 (recours juridictionnel effectif) de la Déclaration de 1789(18). S'agissant des êtres vivants privés de liberté, la sauvegarde de la dignité de la personne humaine peut ainsi s'avérer constitutionnellement efficiente, ce dont on se félicitera.

Relative à l'octroi de l'aide juridictionnelle aux étrangers, la décision n° 2024-1091/1092/1093 QPC du 28 mai 2024, M. Diabe S. et autres, concerne davantage le champ de notre étude. Depuis l'importante réforme opérée par la loi du 10 juillet 1991, l'aide juridictionnelle qui peut être accordée aux étrangers (non-ressortissants des États membres de l'Union européenne) ayant leur résidence habituelle en France(19) est expressément subordonnée au caractère régulier de leur séjour (art. 3). Parmi tous les griefs invoqués par les requérants (paragr. 3 à 5), celui qui retient l'attention des sages et conduit à la censure est tiré du principe d'égalité devant la justice, né de la combinaison des articles 6 (égalité) et 16 (garantie des droits) de la Déclaration de 1789 et qui doit être bien distingué de celui d'égalité (tout court), car plus exigeant. Ainsi, même lorsqu'une différence de situation est caractérisée entre les groupes de personnes intéressées (ce qui suffit à écarter une atteinte à l'égalité tout court), l'égalité devant la justice impose, au surplus, « que soient assurées aux justiciables des garanties égales, notamment quant au respect du droit d'agir en justice et des droits de la défense » (paragr. 7 in fine). En l'espèce, le Conseil constitutionnel ne remet pas en cause la possibilité de réserver un sort spécifique aux étrangers, « en tenant compte notamment de la régularité de leur séjour »(20) ; mais il ajoute que « c'est à la condition de respecter les droits et libertés garantis par la Constitution reconnus à tous ceux qui résident sur le territoire de la République et, en particulier, pour se conformer au principe d'égalité devant la justice, d'assurer des garanties égales à tous les justiciables » (paragr. 12). Or, si certaines exceptions à l'exigence de régularité de la résidence en France sont prévues par la loi de 1991 (mineurs, procédure pénale, étrangers faisant l'objet d'une procédure prévue par le CESEDA, etc.(21)), le Conseil relève qu'« en privant dans tous les autres cas les étrangers ne résidant pas régulièrement en France du bénéfice de l'aide juridictionnelle pour faire valoir en justice les droits que la loi leur reconnaît, les dispositions contestées n'assurent pas à ces derniers des garanties égales à celles dont disposent les autres justiciables » (paragr. 14), d'où la violation du principe d'égalité devant la justice (d'égalité « des armes », serait-on tenté de dire). Dans le même sens, le service juridique du Conseil précise que les dérogations prévues par la loi de 1991 « n'étaient pas suffisantes pour assurer aux étrangers en situation irrégulière des garanties égales à celles dont bénéficient les autres justiciables pour défendre devant un juge les droits qui leur sont reconnus par la loi »(22). Cette censure est d'application immédiate à la date de la décision du Conseil (paragr. 18), si bien que les bureaux d'aide juridictionnelle (BAJ) doivent en tenir compte pour l'instruction des demandes en cours.

La décision du Conseil apparaît particulièrement heureuse quand on sait que les trois requérants, dans ces affaires, étaient des ressortissants maliens « sans-papiers » détachés par une entreprise de travail temporaire auprès d'une société de collecte de déchets qui demandaient au conseil de prud'hommes la requalification de leurs contrats en contrats à durée indéterminé (CDI) ; il serait en effet inadmissible qu'une entrave financière à l'exercice de leurs droits, simplement fondée sur le caractère irrégulier de leur séjour, profite à des employeurs potentiellement malhonnêtes (comme l'avaient pourtant décidé les BAJ)(23). Est-ce à dire que les étrangers (hors Union européenne) sont purement et simplement assimilés aux Français pour le bénéfice de l'aide juridictionnelle ? En censurant la condition de régularité du séjour posée par l'article 3 de la loi de 1991, la décision n° 2024-1091/1092/1093 QPC s'avère parfaitement générale et pourrait donc le laisser penser. Mais le service juridique du Conseil s'attache à restreindre la portée de cette censure en considérant, de manière un brin subtile, que « sans dénier au législateur la possibilité de prévoir des dispositions spécifiques aux étrangers pour le bénéfice de l'aide juridictionnelle, le Conseil a ainsi considéré qu'il ne pouvait, en revanche, prévoir pour ces derniers une protection variable en fonction notamment du type de contentieux, eu égard à la nécessité dans laquelle tout justiciable étranger peut se trouver de faire valoir ses droits en justice. Il en va ainsi notamment en droit du travail, comme l'illustraient les affaires à l'origine des QPC ayant donné lieu à la décision commentée, le salarié étranger employé irrégulièrement étant assimilé à un salarié régulièrement engagé pour le bénéfice de certains droits [art. L. 8252-1 et s. du code du travail, relatifs aux « droits du salarié étranger »]. Or, dans ce cas, quand bien même lui seraient reconnus les mêmes droits qu'à tout autre salarié, ce salarié étranger ne dispos[ait] pas des mêmes garanties pour agir en justice »(24). Si l'on comprend bien ce raisonnement, cela signifie que l'octroi des mêmes garanties juridictionnelles aux étrangers en situation irrégulière supposerait qu'ils soient titulaires, d'un point de vue substantiel, de droits identiques à ceux dont le séjour est régulier : mêmes droits substantiels, mêmes garanties pour les défendre en justice. Les BAJ pourraient donc refuser l'aide juridictionnelle quand le droit fait défaut au fond. Reste à savoir quel serait le fondement textuel d'un tel refus. Peut-être pourrait-il s'agir de l'article 7 de la loi de 1991, selon lequel l'aide juridictionnelle « est accordée à la personne dont l'action n'apparaît pas, manifestement, irrecevable, dénuée de fondement ou abusive en raison notamment du nombre des demandes, de leur caractère répétitif ou systématique ».

Sur le plan du contentieux constitutionnel, la présente décision présente enfin deux intérêts particuliers : d'une part, elle prononce une censure sur le fondement de l'égalité devant la justice pour la première fois en dehors de la matière pénale, qui constituait jusqu'à présent son unique terre d'élection(25), et, d'autre part, elle précise qu'au titre des garanties dues à tous les justiciables, quelle que soit leur situation, figurent non seulement les droits de la défense, mais encore le droit d'agir en justice.

3. De manière cette fois séparée, les principes constitutionnels en matière processuelle, d'une part, et au titre de l'égalité devant la loi, d'autre part, sont au cœur de plusieurs autres décisions rendues par le Conseil constitutionnel au cours de ce premier semestre 2024.

S'agissant d'abord des exigences procédurales, la décision n° 2023-1076 QPC du 18 janvier 2024, M. Moussa H.(26), qui concerne avant tout le droit pénal, prononce la censure de certaines dispositions de l'article L. 706-113 du CPP qui « prévoient l'information du curateur ou du tuteur d'un majeur protégé lorsqu'il fait l'objet de poursuites pénales, ainsi que l'information du juge des tutelles », mais qui « ne s'appliquent pas en cas de défèrement de ce majeur, à l'issue de sa garde à vue ou de sa retenue, devant un magistrat » (paragr. 5). Ainsi le Conseil constitutionnel poursuit-il sa vaste entreprise d'adaptation forcée de notre procédure pénale aux exigences de la protection des majeurs incapables : après les décisions relatives au placement en garde à vue en 2018(27) et aux perquisitions(28) et aux aménagements de peines en 2021(29) – autant de censures prononcées, comme dans cette nouvelle espèce, sur le fondement des droits de la défense (art. 16 DDHC) –, c'est au tour de la phase des poursuites, plus précisément du défèrement qui peut être prononcé à l'issue de la garde à vue(30), de connaître le même sort(31). Le Conseil décide en effet que, « lorsqu'il apparaît au cours de la procédure que la personne déférée est un majeur protégé, ni les dispositions contestées ni aucune autre disposition législative n'imposent aux autorités judiciaires d'informer son tuteur ou son curateur. Ainsi, le majeur protégé peut être dans l'incapacité d'exercer ses droits, faute de discernement suffisant ou de possibilité d'exprimer sa volonté en raison de l'altération de ses facultés mentales ou corporelles. Il est alors susceptible d'opérer des choix contraires à ses intérêts, au regard notamment de l'exercice de son droit de s'entretenir avec un avocat et d'être assisté par lui » (paragr. 9). La logique est exactement la même que dans les précédents mentionnés, et la sentence est identique : « Dès lors, en ne prévoyant pas, lorsque les éléments recueillis au cours de la procédure font apparaître que la personne déférée fait l'objet d'une mesure de protection juridique, que le magistrat compétent soit, en principe, tenu d'avertir son curateur ou son tuteur afin de lui permettre d'être assistée dans l'exercice de ses droits, les dispositions contestées méconnaissent les droits de la défense » (paragr. 10). Cette solution était si prévisible, et les atermoiements du Parlement à réformer en détail la procédure pénale pour tenir compte de ces exigences constitutionnelles sont si blâmables depuis 2018, que l'on en vient à regretter que le Conseil décide que « les mesures prises avant la publication de la présente décision ne [puissent] être contestées sur le fondement de cette inconstitutionnalité » (paragr. 14) ; légiférant à titre transitoire, les sages ajoutent cependant que l'obligation d'aviser le curateur ou le tuteur en cas de défèrement s'applique à partir de la publication de sa décision, jusqu'à ce que le législateur revoie lui-même sa copie pour en tenir compte, au plus tard le 31 janvier 2025 (paragr. 15).

De manière plus originale, les exigences processuelles ont fait l'objet d'une autre décision du Conseil rendue dans le champ du droit social. Dans cette décision n° 2023-1077 QPC du 24 janvier 2024, Comité social et économique Procter & Gamble Amiens et autres, c'est sous l'angle du droit à un recours juridictionnel effectif, lui aussi déduit de l'article 16 de la Déclaration de 1789, qu'étaient contestées certaines règles relatives au calcul de la participation des salariés aux résultats de l'entreprise. Il est de notoriété publique que cette vieille lune gaullienne n'a jamais véritablement fait recette en France, et les dispositions contestées, tout comme leur interprétation judiciaire et la décision du Conseil, en témoignent fort bien. L'article L. 3322-1 du code du travail fixe les modalités de calcul de la « réserve spéciale de participation » qui doit être constituée au profit des salariés, notamment en fonction du bénéfice net et des capitaux propres de l'entreprise concernée ; en complément, l'article L. 3326-1 du même code, ici contesté, prévoit, d'une part, que ces montants « sont établis par une attestation de l'inspecteur des impôts ou du commissaire aux comptes » et, d'autre part, qu'« ils ne peuvent être remis en cause à l'occasion des litiges nés de l'application du présent titre ». Le Comité social et économique (CSE) requérant contestait cette dernière règle, qui a pour objet d'écarter toute contestation sur ce point, au nom du droit au recours. Cet argument paraissait d'autant mieux fondé que le Conseil prend soin de se référer à la « jurisprudence constante de la Cour de cassation » qui décide que « les montants certifiés par l'attestation ne peuvent être remis en cause dans un litige relatif à la participation quand bien même l'action du demandeur est fondée sur la fraude ou l'abus de droit invoqués à l'encontre des actes de gestion de l'entreprise »(32) (paragr. 7). Fraus omnia corrumpit ? Que nenni ! pas en matière de participation des travailleurs ! Pour fêter cette étrange solution, un improbable concept a même été inventé par les juges judiciaires, peut-être inspirés par les juristes farceurs du Medef, celui d'ordre public « absolu »(33). Mais le Conseil constitutionnel n'allait-il pas mettre un bon coup de pied dans cet entre-soi économico-judiciaire, au nom du droit au recours effectif devant une juridiction ? Que nenni de nouveau ! Sagesse ou timidité, le Conseil décide, « en premier lieu, [que] cette attestation [de l'inspecteur des impôts ou du commissaire aux comptes] a pour seul objet de garantir la concordance entre le montant du bénéfice net et des capitaux propres déclarés à l'administration fiscale et celui utilisé par l'entreprise pour le calcul de la réserve spéciale de participation. Ainsi, en adoptant les dispositions contestées, le législateur a entendu éviter que les montants déclarés par l'entreprise et vérifiés par l'administration fiscale, sous le contrôle du juge de l'impôt, puissent être remis en cause, devant le juge de la participation, par des tiers à la procédure d'établissement de l'impôt. Ce faisant, il a poursuivi un objectif d'intérêt général » (paragr. 8). Mise à part la volonté d'assurer la sécurité (ou la tranquillité) de l'entreprise (comme le reconnaît d'ailleurs, de manière plus claire et moins hypocrite, le service juridique du Conseil(34)), on peine à bien distinguer cet intérêt général : en quoi la possibilité de contester les montants retenus pour le calcul de la participation, spécialement lorsqu'une fraude ayant échappé à l'administration fiscale est soupçonnée, poserait une quelconque difficulté ? Les deux points sont bien distincts et leur objet est tout à fait différent. Notre opinion est que la sécurité juridique est abusivement invoquée lorsqu'elle permet de valider des actes frauduleux ; le droit doit toujours rechercher un équilibre des valeurs, de sorte que la volonté de sécuriser les situations juridiques ne saurait l'emporter sur le strict respect des règles dès lors que celles-ci sont regardées comme véritablement importantes (comme l'est par exemple le « saint droit fiscal » !). Ce qui ne semble donc pas être le cas de la participation des travailleurs, ni pour la Cour de cassation ni pour le Conseil constitutionnel.

En second lieu, le Conseil relève que « l'administration fiscale, qui contrôle les déclarations effectuées pour l'établissement des impôts, peut, le cas échéant sur la base de renseignements portés à sa connaissance par un tiers [on pense évidemment au CSE...], contester et faire rectifier les montants déclarés par l'entreprise au titre du bénéfice net ou des capitaux propres, notamment en cas de fraude ou d'abus de droit liés à des actes de gestion. Dans ce cas, une attestation rectificative est établie aux fins de procéder à un nouveau calcul du montant de la réserve spéciale de participation [art. L. 3326-1-1 C. trav., applicable seulement depuis le 1er décembre 2023.] » (paragr. 9). Le fiscal tient donc le social en l'état. Voilà qui est en tout cas plus technique et convaincant : le Conseil aurait pu se contenter de cette motivation au lieu de bénir symboliquement la fraude au nom de la sécurité des entreprises et au mépris affiché de la participation des salariés, laquelle conserve en France l'image d'une aumône patronale (et paternaliste !) destinée à assurer (ou à acheter !) la paix sociale.

On signalera, pour conclure, que ni les griefs des requérants ni la décision du Conseil ni son commentaire « officiel » ne font état du principe constitutionnel de participation des travailleurs – et pour cause, puisque le 8e alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 ne vise que la participation « à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu'à la gestion des entreprises ». Tout cela est tellement français : cachez cet argent que je ne saurais voir, surtout aux yeux avides de ces odieux salariés !

4. S'agissant ensuite du principe d'égalité, deux décisions seront également rapportées.

Dans la première (décision n° 2024-1086 QPC du 25 avril 2024, Mme Mercedes D.), le Conseil a censuré, selon un schéma déjà éprouvé, certaines dispositions anciennes de l'ordonnance n° 45-2441 du 19 octobre 1945 portant code de la nationalité (art. 84, 1 °). Ces règles, qui n'étaient plus en vigueur depuis 1973(35), instituaient une différence entre les hommes et les femmes (ou plutôt entre le père et la mère) en matière d'effet collectif d'acquisition de la nationalité française : tandis que les enfants mineurs légitimes ou légitimés devenaient de plein droit Français en cas d'acquisition de la nationalité française par leur père, l'acquisition de la nationalité française par leur mère ne produisait un tel effet que si celle-ci était veuve. Le but de maintien d'une « unité familiale » (paragr. 7) ne pouvait évidemment permettre à ces règles d'une autre époque (celle de la « puissance paternelle ») de surmonter le principe d'égalité devant la loi de l'article 6 de la Déclaration de 1789 joint, comme il est désormais de coutume en matière de nationalité, au 3e alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 selon lequel « la loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l'homme »(36). La censure s'imposait donc et le Conseil s'est attaché à fixer avec précisions ses conditions d'application dans le temps (paragr. 12 et 13), comme il avait déjà pu le faire dans le passé, au sein d'une décision du même type(37).

La seconde affaire mettant en œuvre le principe d'égalité a donné lieu à la décision n° 2024-1095 QPC du 6 juin 2024, M. Anthony M. Celle-ci concerne l'appréciation des ressources en tant que condition du versement d'une allocation supplémentaire d'invalidité (ASI). Selon les dispositions contestées de l'article L. 815-24-1 du code de la sécurité sociale, la situation de concubinage est prise en compte, au même titre que le mariage et la conclusion d'un Pacs, pour le calcul des droits : « L'allocation supplémentaire d'invalidité n'est due que si le total de cette allocation et des ressources personnelles de l'intéressé et du conjoint, du concubin ou du partenaire lié par un pacte civil de solidarité n'excède pas des plafonds fixés par décret ». Alors que les concubins réclament habituellement d'être assimilés aux époux et aux partenaires (car tel est généralement leur intérêt, en particulier financier), il en allait ici à l'inverse (car tel était en l'espèce leur intérêt financier). Tous axés sur le principe d'égalité, les arguments développés par le requérant étaient plus ou moins sérieux (paragr. 3). Du côté peu sérieux, on rangera d'abord le dernier point, selon lequel le code de la sécurité sociale instaurerait une différence de traitement critiquable « entre les personnes vivant en concubinage selon qu'elles sont invalides ou non ». Peu sérieux était également le premier argument, du moins à première vue, qui dénonçait « une différence de traitement injustifiée entre les personnes invalides qui vivent en concubinage et sont tenues, à ce titre, de déclarer les revenus de leur concubin pour le calcul de l'[ASI] et celles vivant en colocation ou chez des parents, qui ne sont pas tenues de déclarer les ressources des personnes avec lesquelles elles vivent ». Le concubinage, défini par l'article 515-8 du code civil depuis 1999, place en effet les intéressés dans une situation bien différente de celle des colocataires au sens large. Le troisième argument avait en revanche plus de poids, le requérant soutenant que les dispositions contestées « traitent de la même façon les personnes invalides vivant en concubinage, qui ne sont pas soumises à une obligation de solidarité financière, et celles mariées ou liées par un pacte civil de solidarité qui y sont soumises ». On touche ici à la ratio legis, la raison d'être des règles posées par le code de la sécurité sociale : si le fait de vivre en couple (quelle que soit la forme juridique de celui-ci) est une cause éventuelle de non attribution de l'ASI (en fonction des revenus cumulés des deux membres du couple), c'est bien parce que les intéressés ont vocation à se soutenir financièrement. Or, tandis que ce soutien est imposé par la loi en cas de mariage (contribution aux charges du mariage, art. 214 C. civ.) et en matière de Pacs (aide matérielle, art. 515-4 C. civ.), rien de tel en matière de concubinage, la Cour de cassation décidant même que, sauf convention contraire, chacun des concubins supporte seul et à titre définitif les charges de la vie courante qu'il a exposées(38). Il n'existe donc pas d'obligation légale d'entraide financière entre concubins(39), le concubinage demeure une situation de fait quand bien même la loi le définit depuis bientôt vingt-cinq ans. Une atteinte au principe constitutionnel d'égalité pouvait-elle par conséquent être caractérisée, vu la différence de situation ? Rappelant la formulation habituelle – et intégrale (cf. infra) – de ce principe (paragr. 7), le Conseil constitutionnel écarte en quelques mots les deux griefs qui ont été signalés plus haut comme peu sérieux : il y a bien une différence de situation, d'une part et à l'évidence, entre les concubins invalides et ceux qui ne le sont pas (paragr. 12)(40) et, d'autre part, entre les concubins et ceux qui vivent en colocation ou chez des proches (paragr. 11), le Conseil se référant ici à la définition du concubinage figurant à l'article 515-8 du code civil : « Une union de fait, caractérisée par une vie commune présentant un caractère de stabilité et de continuité, entre deux personnes (...) qui vivent en couple ». Le Conseil affirme, plus qu'il ne démontre, que cette dernière différence de situation est en « rapport direct avec l'objet de la loi », qui est semble-t-il de tenir compte des ressources globales du « foyer » en fonction des « conditions de vie » concrètes des personnes invalides (paragr. 10). Pourtant, c'est en pratique la communauté de vie qui réduit le coût de celle-ci, et non la vie de couple en soi : l'ampoule brille au salon pour les deux concubins comme elle brille à la fois pour le vieux garçon et pour sa mère chez qui il vit, de manière parfaitement stable et continue. De ce point de vue, peu importe que ceux qui vivent ensemble entretiennent ou non, par ailleurs, des relations sexuelles. À une autre époque, sans doute pouvait-on soutenir que cette assimilation du concubinage au mariage avait pour but de ne pas détourner les couples de ce dernier, car seul le mariage leur aurait alors fait perdre certains avantages sociaux (des traces de cet ancestral raisonnement peuvent au reste être dénichées jusque dans de poussiéreuses décisions du Conseil constitutionnel(41)). Mais il y a beau temps que le mariage ne fait plus figure de modèle de stabilité familiale. Quoiqu'il en soit de la cuisine constitutionnelle, on comprend assez bien cette assimilation du concubinage au mariage (et au Pacs) de manière intuitive, et l'on comprend tout aussi bien que seule la vie de couple, c'est-à-dire la vie commune conjugale (au sens large) soit ici prise en compte par la loi, à l'exclusion des autres formes de vie en commun. Restait l'argument le plus pertinent développé par le requérant, à savoir l'absence d'obligation légale d'entraide entre concubins, contrairement à la situation des époux et des partenaires. Sur ce point, la motivation du Conseil est purement théorique et résulte d'une formule de principe qui complète souvent l'énonciation du principe d'égalité : « Si, en règle générale, ce principe impose de traiter de la même façon des personnes qui se trouvent dans la même situation, il n'en résulte pas pour autant qu'il oblige à traiter différemment des personnes se trouvant dans des situations différentes » (paragr. 7 in fine). Appliquant cette règle bien assise à l'espèce, le Conseil en déduit, de manière très désincarnée et passablement frustrante, qu'« il était loisible au législateur de soumettre à la même condition de ressources, pour l'octroi de l'allocation supplémentaire d'invalidité, les personnes invalides vivant en concubinage et celles mariées ou liées par un pacte civil de solidarité, qui constituent les trois formes d'union sous lesquelles peut s'organiser, juridiquement, la vie commune d'un couple » (paragr. 14). Qu'on ne s'y trompe pas : la formule finale ne sert qu'à masquer une absence de contrôle de la part du Conseil qui ne nie pas – comment le pourrait-il ? – la différence de situation entre les concubins d'une part, et les époux ou partenaires d'autre part – différence de situation qui a d'ailleurs souvent servi à justifier une différence de traitement entre les trois formes de couples dans la jurisprudence du Conseil(42). Mais le raisonnement n'est pas réversible, si bien que cette différence indiscutable, à l'instar de toute autre, n'impose tout simplement pas, en droit constitutionnel, un traitement différent, ainsi que le Conseil a déjà eu l'occasion de le juger à maintes reprises, par exemple au sujet de la « loi Taubira » en 2013 à propos du mariage entre personnes de même sexe(43). Outre le principe d'égalité, notons que le requérant invoquait (entre autres griefs encore...) une atteinte aux 10e et 11e alinéas du Préambule de 1946 (paragr. 5) qui disposent : « La Nation assure à l'individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement. – Elle garantit à tous, notamment à l'enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs. Tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l'incapacité de travailler a le droit d'obtenir de la collectivité des moyens convenables d'existence ». De manière inédite(44), et à titre de principe, les sages déduisent de ces dispositions qu'elles « impliquent la mise en œuvre d'une politique de solidarité nationale en faveur des personnes invalides » (paragr. 17). Cela rappelle la récente constitutionnalisation de l'indemnisation du chômage et de l'aide en faveur des personnes défavorisées, également consacrées sur le fondement du Préambule de la Constitution de 1946(45). Dans toutes ces hypothèses, la portée de la création doit néanmoins être relativisée ; en l'espèce, le Conseil ajoute en effet qu'« il est cependant possible au législateur, pour satisfaire à ces exigences, de choisir les modalités concrètes qui lui paraissent appropriées » (paragr. 17 in fine). En quelques mots, il rappelle ainsi que le Parlement a voulu prendre en compte les « conditions de vie » concrètes (mais seulement conjugales) des personnes invalides qui vivent en couple (paragr. 18) et que, « dans ce cadre, il a pu [contrôle »léger", dirait un privatiste] prévoir que les ressources du concubin de l'allocataire doivent être prises en compte pour le calcul du montant de l'allocation supplémentaire d'invalidité ». Conforme au principe d'égalité devant la loi, l'article L 815-24-1 du code de la sécurité sociale l'est donc aussi aux 10e et 11e alinéas du Préambule de 1946.

5. Le droit social, cette fois sous l'angle travailliste, a fait l'objet d'une autre décision récente d'apparence assez anodine, mais en vérité très intéressante quand la question posée est replacée dans son contexte, qui est européen. Par cette décision n° 2023-1079 QPC du 8 février 2024, Mme Léopoldina P., le Conseil constitutionnel a jugé conforme à la Constitution le 5 ° de l'article L. 3141-5 du code du travail qui, pour faire bref, refuse au salarié l'ouverture de droits à congés payés pendant ses périodes d'absence pour maladie, sauf en cas d'accident du travail ou de maladie professionnelle, dans la limite d'une année. Ces dispositions, qui trouvent leur origine dans une loi du 18 avril 1946, étaient critiquées par la requérante au nom du principe d'égalité (différence de traitement injustifiée entre les salariés selon l'origine de leurs maux) et sur le fondement du droit à la santé et du droit au repos protégés par le 11e alinéa du Préambule de 1946 (paragr. 4 et 5), lequel est donc particulièrement en vogue ces temps-ci ! Disons-le tout net : habitué à la lecture des décisions du Conseil, on voit mal comment de tels griefs auraient pu prospérer et l'on pourrait donc s'étonner des nombreuses interventions et plaidoiries, et même de la note en délibéré, que l'affaire a suscitées, des deux côtés du champ de guerre social (CGT à ma gauche, Medef, CGPME et UEP dans le coin droit). Au reste, l'affaire est vite pliée par les sages au terme de quelques paragraphes brefs et nerveux. Balayé le principe d'égalité, tant il paraît évident, au regard de l'objet des textes en cause (paragr. 16), que « la maladie professionnelle et l'accident du travail, qui trouvent leur origine dans l'exécution même du contrat de travail, se distinguent des autres maladies ou accidents pouvant affecter le salarié » (paragr. 15), de sorte que seuls les premiers permettent d'ouvrir droit à congé. S'agissant du droit au repos, expressément protégé par la jurisprudence constitutionnelle depuis 1999(46), le Conseil, qui ne craint décidément pas d'innover ces temps-ci, décide pour la première fois que « le principe d'un congé annuel payé est l'une des garanties du droit au repos (...) reconnu aux salariés » (paragr. 7). Mais c'est immédiatement pour mieux limiter la portée du contrôle opéré sur ce point, au motif qu'il ne dispose pas d'« un pouvoir général d'appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement. Il ne saurait rechercher si les objectifs que s'est assignés le législateur auraient pu être atteints par d'autres voies, dès lors que les modalités retenues par la loi ne sont pas manifestement inappropriées à l'objectif visé » (paragr. 10) ; à l'issue de ce contrôle restreint, voire évanescent (classique en matière de protection des droits sociaux), et au motif que le législateur a seulement voulu éviter une sorte de « double peine »(47) à l'encontre des salariés dont le mal trouve son origine dans l'exécution de leur travail (paragr. 11), il décide qu'« au regard de cet objectif, il était loisible au législateur d'assimiler à des périodes de travail effectif les seules périodes d'absence du salarié pour cause d'accident du travail ou de maladie professionnelle, sans étendre le bénéfice d'une telle assimilation aux périodes d'absence pour cause de maladie non professionnelle. Il lui était également loisible de limiter cette mesure à une durée ininterrompue d'un an » (paragr. 12).

Si cette solution était fort prévisible, le droit au repos n'ayant jamais conduit à la moindre censure dans la jurisprudence du Conseil(48), elle n'est pourtant pas si quelconque qu'on pourrait le croire, parce que la règle posée par le droit français n'apparaît manifestement pas conforme au droit de l'Union européenne, tel que fixé par la jurisprudence de la CJUE(49) en interprétation de la directive du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail(50), lue à la lumière de la Charte des droits fondamentaux de l'Union, dont l'article 31, § 2, dispose : « Tout travailleur a droit à une limitation de la durée maximale du travail et à des périodes de repos journalier et hebdomadaire, ainsi qu'à une période annuelle de congés payés ». Au nom de la supériorité du droit de l'Union, la Cour de cassation a donc accepté, voilà un an, la mise à l'écart par les juges du fond des dispositions qui nous occupent(51)... et qui persistent donc, de manière fantomatique, dans notre législation, puisqu'un texte ne saurait évidemment être abrogé par les juges ordinaires au motif de sa contrariété au droit européen. Bien sûr, ce type de divergence entre le contrôle de conventionnalité et celui de constitutionnalité des lois est le fruit logique d'une absence de coordination délibérée et d'une différence de fond entre les normes supérieures applicables ; mais il n'en demeure pas moins un profond sentiment d'insatisfaction intellectuelle – et une sorte de pitié envers la complexité de nos sources du droit...

6. La dernière décision QPC du semestre intéressant le droit privé porte sur une matière ayant déjà suscité un vaste contentieux devant le Conseil, à savoir le droit de la concurrence. Dans cette décision n° 2024-1087 QPC du 30 avril 2024, Groupement d'achat Édouard Leclerc, était en cause l'article L. 441-17, I, du code de commerce qui, dans le domaine de la distribution, règlemente le montant des pénalités contractuelles qui peuvent être infligées à un fournisseur en cas d'inexécution de ses engagements. Plus précisément, la « loi EGalim 2 » du 18 octobre 2021 dispose que le contrat fixant de telles pénalités « prévoit une marge d'erreur suffisante au regard du volume de livraisons prévues par le contrat ». La volonté des distributeurs de garantir leur approvisionnement trouve ainsi une limite destinée à protéger les agriculteurs. Le requérant, bien connu des studios de télévision et des prétoires en tout genre, rejoint en intervention par la Fédération du commerce et de la distribution, dénonçait le flou entourant, d'après lui, la notion de « marge d'erreur suffisante », au mépris du principe de légalité des délits et des peines qui impose, selon la jurisprudence du Conseil, que « le législateur ou, dans son domaine de compétence, le pouvoir réglementaire, [fixe] les sanctions ayant le caractère d'une punition en des termes suffisamment clairs et précis » (paragr. 5).

La première difficulté à résoudre consistait dans l'applicabilité à cette affaire de l'article 8 de la Déclaration de 1789 dont sont issues ces exigences. En soi, il est certain qu'une clause pénale au sens du droit civil ne constitue pas une « sanction ayant le caractère d'une punition » au sens du droit constitutionnel. Mais le Conseil relève que le code de commerce (art. L. 442-1 et L. 442-4) prévoit par ailleurs que « le fait, dans le cadre de la négociation commerciale, de la conclusion ou de l'exécution d'un contrat, d'imposer des pénalités logistiques ne respectant pas les prescriptions de l'article L. 441-17 [...] est sanctionné par une amende civile »(52) (paragr. 6), laquelle constitue bien, pour sa part, une sanction justiciable du principe de légalité des délits et des peines(53). Par conséquent opérant (quand bien même la sanction ne résulte pas des dispositions contestées, mais se trouve fulminée par d'autres textes du code de commerce(54)), le grief n'en est pas moins écarté, au terme d'une très brève motivation : « Il résulte des termes mêmes de ces dispositions que le caractère suffisant de la marge d'erreur doit s'apprécier au cas par cas au regard du volume de livraisons prévues par le contrat. Dès lors, la notion de « marge d'erreur suffisante » ne présente pas de caractère imprécis ou équivoque » (paragr. 8). On pourrait trouver ce raisonnement un brin tautologique : la formule légale n'est pas imprécise précisément parce que son imprécision est délibérée et assumée ! Mais comment faire autrement ? Lors des travaux préparatoires de la « loi EGalim 2 », il avait été proposé de fixer un plafond précis ou encore d'interdire les pénalités logistiques disproportionnées ; or, la première solution fut écartée, non sans raison : « La pertinence d'un taux de service fixé à 95 % ou à 98 % ne s'apprécie pas de manière absolue, mais plutôt au regard du volume à livrer. Si un industriel doit livrer 100 000 bouteilles, il serait exagéré de fixer un taux de 99 % ; s'il doit livrer 2 000 produits, un taux de 98 % n'est pas disproportionné. Par conséquent, la rédaction issue des travaux de la commission précise que la marge d'erreur doit être suffisante au regard du volume de livraisons qui est prévu. Le juge disposera ainsi [d']un outil d'appréciation »(55). De même, selon la DGCCRF, « la marge d'erreur doit être déterminée entre les parties au contrat au cas par cas, au regard des caractéristiques des produits concernés, des modalités d'approvisionnement, des caractéristiques de l'entreprise qui fournit le distributeur et des volumes de livraison prévus au contrat ou, à défaut de volumes de livraison prévus au contrat, au regard des volumes effectivement livrés »(56). De tout ceci, il résulte indéniablement une certaine insécurité, puisque le juge pourra remettre en cause a posteriori les prévisions contractuelles des parties (concrètement celles des distributeurs) ; mais la matière économique semble bien rétive à une prévision chiffrée qui ne saurait être adaptée à toutes les situations. L'alternative serait de renoncer à légiférer (ou à surlégiférer...) en ce domaine, en faisant confiance à la liberté et à la sagacité des acteurs. Tel n'est évidemment pas le sens du vent, comme en témoigne la « loi EGalim 3 » promulguée le 30 mars 2023, en attendant les Saisons 4, 5, 6, etc. ! Quoiqu'il en soit, le Conseil sait se satisfaire des standards et autres notions à contenu variable qu'affectionne particulièrement le droit de la concurrence. Comme le constate son service juridique, « il ressort de la jurisprudence du Conseil que des incriminations fondées sur des notions qu'il appartient au juge d'interpréter pour apprécier les situations de fait en relevant n'en sont pas pour autant des incriminations arbitraires »(57). Aussi les sages valident-ils aujourd'hui la « marge d'erreur suffisante » de l'article L. 441-17 comme ils validèrent jadis la sanction du « déséquilibre significatif »(58) ou naguère celle de l'avantage « manifestement disproportionné » de l'article L. 442-1 du code de commerce(59). Seul le devoir de vigilance avait succombé, en 2017, à l'exigence de clarté et de précision des lois punitives(60). La véritable question, dans ce type de situation, est de savoir si la loi peut atteindre son but protecteur de la partie faible lorsqu'elle s'exprime en termes lâches, lesquels font peut-être, avant tout, le bonheur des avocats ?

7. Trois décisions de contrôle a priori seront pour finir signalées.

La première, relative à la « loi immigration » (décision n° 2023-863 DC du 25 janvier 2024, Loi pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration – la conjonction de coordination a été étrangement oubliée, comme si le dernier élément avait été ajouté à la hâte...) le sera de manière très brève, car la quasi-totalité des nombreuses censures prononcées, dont certaines intéressent le droit privé, le sont pour des raisons procédurales, le Conseil ayant mené une véritable chasse, extrêmement fructueuse, aux cavaliers législatifs(61). Les griefs de fond qui étaient invoqués, en particulier le respect dû à la vie privée et le droit de mener une vie familiale normale, n'ont donc pas eu l'occasion d'être examinés – ce qui n'aurait pourtant pas manqué d'intérêt au vu de l'orientation politique assez marquée des dispositions en cause, par exemple sur le séjour des étudiants étrangers en France (paragr. 47 et s.), sur l'exclusion des étrangers en situation irrégulière des réductions tarifaires en matière de transport (paragr. 73 et s.), sur l'aggravation des peines encourues en cas de mariage « blanc » (paragr. 87 et s.), sur le durcissement des conditions pour bénéficier des aides sociales (paragr. 91 et s.), etc. On relèvera que d'autres censures procédurales ont frappé les modifications que cette loi prétendait apporter à certaines dispositions du code civil relatives à la nationalité (paragr. 97 à 100) : articles 25 (déchéance de la nationalité française), 21-7 (acquisition de la nationalité française à raison de la naissance et de la résidence en France) et 21-27 (modes d'acquisition de la nationalité française)(62). Il en va de même pour les modifications apportées à l'article 175-2 à propos des mariages frauduleux (prérogatives du procureur de la République ; paragr. 101 à 106). Ainsi, pour le Conseil, la nationalité « ne présent[e] pas de lien, même indirect, » avec l'immigration – ce qui pourrait certainement être discuté ! Au nom de la liberté personnelle (art. 2, 4 et 9 de la DDHC), le Conseil constitutionnel a tout de même censuré sur le fond les dispositions relatives au relevé d'empreintes digitales et à la prise de photographies d'un étranger sous la contrainte (paragr. 135 et s.)(63) ; sur le fondement du respect dû à la vie privée, il a également construit une réserve d'interprétation relative aux assignations à résidence dont peuvent faire l'objet certains étrangers soumis à une mesure d'éloignement (paragr. 149 et s.)(64). On pourra encore retenir de cette interminable décision que la notion de « violation délibérée (...) des principes de la République » n'est pas inintelligible (paragr. 124) et que l'expulsion du territoire français qu'elle peut justifier n'est pas une sanction ayant le caractère d'une punition au sens de l'article 8 de la Déclaration de 1789, mais une (simple) mesure de « police administrative » (paragr. 125). De manière amusante, au moins à première vue, le Conseil a également décidé que le fait de recourir à la notion de « contrat » pour qualifier l'engagement unilatéral pris par un étranger de « respecter les principes de la République » (encore eux) n'est pas inintelligible, même si ce « contrat » n'en a certes que le nom du point de vue du droit privé (paragr. 166 et s.). Quant à l'étrange opinion des députés requérants selon laquelle un tel engagement serait contraire à la liberté d'opinion (paragr. 167), le Conseil la balaye fort heureusement : si la passion est peu propice à l'écriture de bonnes lois, on voit qu'elle peut également conduire à rédiger d'inquiétantes saisines constitutionnelles...

Déjà maintes fois invoqué au sujet de la « loi immigration », le respect dû à la vie privée constitue aussi la pièce centrale de la décision n° 2024-866 DC du 17 mai 2024, Loi visant à sécuriser et à réguler l'espace numérique. Le Conseil y rejette les critiques dirigées par les élus de la Nation, au nom de la vie privée, contre le rôle confié à une autorité administrative en vue de définir les conditions de vérification d'âge pour l'accès aux contenus pornographiques (paragr. 2 et s.) ainsi que celles fulminées, au nom de la liberté d'expression, contre le rôle confié à la même autorité de prononcer des mesures de blocage ou de déréférencement de ces mêmes sites (paragr. 16 et s.). Se référant notamment à « l'exigence constitutionnelle de protection de l'intérêt supérieur de l'enfant » (paragr. 23), le Conseil décide que les modalités ainsi choisies en vue de faire cesser ces abus ne sont pas contraires à la Constitution. Reprenons une formule célèbre : quand la liberté opprime, il convient que la loi affranchisse, fût-ce au prix, somme toute raisonnable, qui consiste à rendre l'accès aux contenus pornographiques plus compliqué aux adultes. Sont pareillement rejetés les griefs soulevés contre l'injonction de retirer des contenus à caractère pédopornographique (le droit au recours, le droit à un procès équitable et la liberté d'expression étaient avancés au regard de la brièveté du délai de recours : 48 ou 72 heures ; paragr. 32 et s.) ainsi que ceux, identiques, qui concernaient les dispositions expérimentales de la loi sur le retrait des images de tortures ou d'actes de barbarie (paragr. 42 et s.). Pour le Conseil, le fait que le juge doive statuer rapidement en cas de recours protège précisément la liberté d'expression et de communication (paragr. 37 et 47). Si la création d'une « réserve citoyenne du numérique »(65) est encore validée (pas d'atteinte au respect de la vie privée ; paragr. 84), il en va en revanche différemment pour la généralisation de l'« identité numérique pour les Français » (paragr. 53 et s.), non sur le fondement de la vie privée invoqué dans la saisine, mais une nouvelle fois pour des raisons de procédure (cavalier législatif). Laissant à l'analyse des pénalistes la censure de l'incrimination d'« outrage en ligne » que la loi déférée entendait créer (paragr. 69 et s.), on signalera en revanche deux réserves d'interprétation. La première, fondée sur le droit au respect de la vie privée, concerne la collecte automatique de données en ligne dans le but de réguler l'activité des plateformes (paragr. 98 et s.) et elle vise à proscrire l'usage de la reconnaissance faciale des contenus (paragr. 107)(66). La seconde réserve est fondée sur le principe de non-rétroactivité des lois pénales (ou plus généralement punitives) qui, contrairement à la solution posée en droit civil, revêt bien une valeur constitutionnelle, mais qui ne donne pas souvent au Conseil l'occasion de prononcer des censures ou d'imposer des réserves d'interprétation. En l'espèce, la loi du 21 mai 2024 ne craignait pas de faire rétroagir au 1er janvier de la même année la possibilité offerte à l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (ARCAN) de prononcer des sanctions pécuniaires à l'encontre des personnes qui, notamment, « ne se conforment pas à une mise en demeure de prendre toute mesure de nature à empêcher l'accès des mineurs à des contenus pornographiques ». Considérant qu'il s'agissait bien là d'une sanction ayant le caractère d'une punition (art. 8 DDHC), le Conseil constitutionnel décide que « ces sanctions [...] ne sauraient être prononcées à raison d'agissements antérieurs à l'entrée en vigueur des dispositions nouvelles » (paragr. 120 et s., spéc. paragr. 124). Sauf le cas particulier de la rétroactivité in mitius (qui a elle-même valeur constitutionnelle(67)), cette automaticité du principe de non-rétroactivité des lois pénales qui permet de garantir objectivement la sécurité juridique, indépendante en particulier de la noblesse des objectifs poursuivis par le législateur, doit être saluée,(68).

Enfin, dans sa décision n° 2024-869 DC du 20 juin 2024, Loi améliorant l'efficacité des dispositifs de saisie et de confiscation des avoirs criminels, le Conseil devait se prononcer sur la conformité à la Constitution des modifications apportées à l'article 131-21 du code pénal, selon lequel « la décision définitive de confiscation d'un bien immobilier prononcée à titre de peine vaut titre d'expulsion à l'encontre de la personne condamnée et de tout occupant de son chef » (paragr. 2) ; aux termes du texte voté par le Parlement, était toutefois à l'abri de cette expulsion, prévue à titre de peine complémentaire, « la personne de bonne foi titulaire d'une convention d'occupation ou de louage d'ouvrage à titre onéreux portant sur tout ou partie du bien confisqué si cette convention a été conclue avant la décision de saisie et a été régulièrement exécutée par les deux parties ». Les députés requérants reprochaient à ces dispositions, destinées à renforcer l'efficacité des saisies (concrètement, aller plus vite tout en ménageant les deniers de l'État)(69), « d'autoriser l'expulsion automatique des occupants d'un bien immobilier confisqué, alors même que ces derniers seraient étrangers à l'infraction commise par la personne condamnée », d'où la violation prétendue de nombreuses normes constitutionnelles (paragr. 3). Sur le fondement du droit au respect de la vie privée et de l'inviolabilité du domicile (art. 2 DDHC), les sages ont prononcé la censure partielle de ces règles (de sorte que l'article 131-21 du code pénal se trouve une nouvelle fois amputé par le Conseil constitutionnel...(70)) et, en y adjoignant celui du droit à un recours effectif devant une juridiction, ils ont imposé une réserve d'interprétation – en dépit de « l'objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l'ordre public » poursuivi par le législateur (paragr. 8). La réserve concerne ceux qui occupent le logement confisqué, sans titre d'occupation, « du chef » de la personne condamnée, soit principalement, en pratique, les membres de sa famille. Conformément à sa récente jurisprudence en matière d'expulsion(71), le Conseil décide qu'« il appartiendra au juge qui prononce la peine de confiscation de prendre en compte, au regard des éléments dont il dispose, la situation personnelle et familiale de la personne condamnée » (paragr. 9)(72). Il rappelle également que les dispositions du code des procédures civiles d'exécution (CPCE, art. L. 412-1 et L. 412-3) permettant d'obtenir des délais sont applicables. La censure, quant à elle, porte sur la situation des personnes disposant d'un titre d'occupation à titre onéreux, par exemple un contrat de bail. Le Conseil décide que les dispositions querellées « prévoient (...) que cette convention doit avoir été conclue avant la décision de saisie et régulièrement exécutée par les deux parties. Ce faisant, elles peuvent conduire à l'expulsion de l'occupant de bonne foi au motif que la convention a été conclue après une saisie alors que celle-ci n'est pas systématique et qu'il n'en a pas nécessairement connaissance, ainsi que dans le cas où l'inexécution est imputable à la personne condamnée. Elles méconnaissent ainsi les exigences de l'article 2 de la Déclaration de 1789 » (paragr. 12). Voilà qui est fort intéressant, car cela conduit à protéger la sécurité juridique sous son angle subjectif : la condition de bonne foi de l'occupant permet à elle seule d'assurer sa protection, quand bien même la convention aurait été conclue après la décision de saisie. La croyance ou la confiance légitime – la sécurité dynamique, aurait dit Demogue(73) ! – se trouve ainsi opportunément protégée, la peine complémentaire ne rejaillissant pas sur le locataire innocent. Et la condition de bonne foi, sous la férule du juge, devrait suffire à lutter contre les manœuvres dilatoires qui consistent pour la personne condamnée à louer son bien pour retarder la mise en œuvre de la saisie (autrement dit le bail au profit « des amis d'un voyou » ), ce qui constituait le but louable de cette réforme.

(1):   Loi relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale.

(2):   Cons. const., déc. n° 2023-1075 QPC, site Internet du Conseil constitutionnel, p. 7-8.

(3):   La présente QPC a été posée à l'occasion d'un recours en excès de pouvoir formé contre les dispositions réglementaires d'application du texte législatif (D. n° 2022-1127 du 5 août 2022).

(4):   Cons. const., déc. n° 94-343/344 DC du 27 juillet 1994, Loi relative au respect du corps humain et loi relative au don et à l'utilisation des éléments et produits du corps humain, à l'assistance médicale à la procréation et au diagnostic prénatal, spéc. cons. 2.

(5):   En particulier lorsqu'il s'agit de protéger la personne humaine au commencement de la vie, c'est-à-dire au stade embryonnaire (voir, au sujet de l'IVG, déc. n° 2001-446 DC du 27 juin 2001, Loi relative à l'interruption volontaire de grossesse et à la contraception, cons. 5 ; déc. n° 2015-727 DC du 21 janvier 2016, Loi de modernisation de notre système de santé, cons. 43) ou en fin de vie (voir, au sujet du refus de l'obstination déraisonnable maintenant artificiellement la vie, déc. n° 2017-632 QPC du 2 juin 2017, Union nationale des associations de familles de traumatisés crâniens et de cérébro-lésés, paragr. 6 et s., et au sujet de la mise à l'écart par le corps médical des directives anticipées du patient, déc. n° 2022-1022 QPC du 10 novembre 2022, Mme Zohra M. et autres, paragr. 6 et s.). Le grief tiré de la sauvegarde de la dignité humaine ne connaît pas un plus grand succès quand sont en cause la recherche sur les embryons humains (voir déc. n° 2013-674 DC du 1er août 2013, Loi tendant à modifier la loi n° 2011-814 du 7 juillet 2011 relative à la bioéthique en autorisant sous certaines conditions la recherche sur l'embryon et les cellules souches embryonnaires, cons. 14 et s. ; déc. n° 2021-821 DC du 29 juillet 2021, Loi relative à la bioéthique, paragr. 25 et s.) ou les divers fichiers de police (voir par ex. déc. n° 2010-25 QPC du 16 septembre 2010, M. Jean-Victor C., au sujet du fichier national automatisé des empreintes génétiques).

(6):   Le Conseil constitutionnel avait déjà eu l'occasion, toutefois, de se fonder sur le « respect dû aux morts » à propos des restrictions posées par la loi en matière d'exhumation en vue d'identification par empreintes génétiques à l'occasion des actions en matière de filiation ; voir déc. n° 2011-173 QPC du 30 septembre 2011, M. Louis C. et autres, cons. 6.

(7):   Dans une affaire célèbre, la Cour de cassation a décidé que ce principe « préexistait » à la loi de 2008 ; voir Cass. 1re civ., 29 octobre 2014, n° 13-19.729, « affaire Our body » (v. déjà Cass. 1re civ., 16 septembre 2010, n° 09-67.456).

(8):   « La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité ».

(9):   Le Conseil recopie ici les dispositions du III de l'article L. 2223-18-1-1 du CGCT.

(10):  Commentaire préc., p. 21, nous soulignons.

(11):  À cet égard, l'amendement parlementaire dont sont issues les dispositions qui font l'objet de la présente QPC était initialement plus protecteur des droits des héritiers, qui prévoyait que la récupération des métaux supposait l'absence de « volonté contraire et non équivoque exprimée dans le contrat prévoyant des prestations d'obsèques à l'avance ou dans un écrit adressé à l'opérateur funéraire avant la crémation et visant à ce que les métaux éventuellement issus de la crémation soient remis à l'issue de celle‑ci à la personne ayant qualité pour pourvoir aux funérailles » (commentaire préc. du service juridique du Conseil, p. 9). C'est la preuve qu'une meilleure protection des droits des héritiers serait tout à fait possible.

(12):  Cons. const., déc. n° 2012-274 QPC du 28 septembre 2012, Consorts G., décision qui se prononce, selon le service juridique du Conseil, sur « l'invocabilité du droit de propriété en matière successorale » (commentaire préc., p. 19), ce qui semble justifier la référence qui lui est faite.

(13):  Droit civil. Les personnes, PUF, coll. Thémis droit privé, 2000, p. 45.

(14):  Sur cette mesure instituée par une loi du 31 décembre 2012 pour satisfaire aux exigences européennes, et qui est juridiquement bien distincte de la garde à vue, voir CESEDA, art. L. 813-1 et s.

(15):  Il en était résulté des divergences entre les juges du fond sur les conséquences à tirer de cette absence de mention dans le procès-verbal de retenue ; voir commentaire du service juridique du Conseil, déc. n° 2024-1090 QPC, site Internet du Conseil, p. 8 et s.

(16):  Le Conseil avait déjà eu l'occasion, tout récemment, de poser cette exigence dans un « considérant » de principe (donc à titre de « norme de concrétisation », dit de manière très obscure son service juridique) ; voir déc. n° 2023-1064 QPC du 6 octobre 2023, Association des avocats pénalistes, paragr. 12 in fine.

(17):  Cass. 1re civ., 28 février 2024, n° 23-40.017 : « Il résulte de l'[alinéa 1er] du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 et de la jurisprudence du Conseil constitutionnel que le droit de s'alimenter, pour une personne privée de liberté, constitue un droit fondamental garanti par la Constitution dont le non-respect caractérise une atteinte à la dignité humaine » (paragr. 8). La solution de cette QPC était donc donnée à l'avance par le juge judiciaire !

(18):  Voir Cons. const., déc. n° 2020-858/859 QPC du 2 octobre 2020, M. Geoffrey F. et autre [Conditions d'incarcération des détenus] ; déc. n° 2021-898 QPC du 16 avril 2021,Section française de l'observatoire international des prisons [Conditions d'incarcération des détenus II] ; voir aussi, pour une réserve d'interprétation, déc. n° 2023-1064 QPC, préc. Auparavant, le Conseil avait simplement fait référence au respect de la dignité de la personne en matière de garde à vue (déc. n° 2010-14/22 QPC du 30 juillet 2010, M. Daniel W. et autres, cons. 19 et s.) ou d'hospitalisation sans consentement (déc. n° 2010-71 QPC du 26 novembre 2010, Mlle Danielle S., cons. 28 et s.).

(19):  Outre bien sûr les autres conditions, notamment de ressources (L. 10 juillet 1991, art. 4), applicables en principe à tous les demandeurs.

(20):  Voir Cons. const., déc. n° 93-325 DC du 13 août 1993, Loi relative à la maîtrise de l'immigration et aux conditions d'entrée, d'accueil et de séjour des étrangers en France (la fameuse « loi Pasqua », pour les anciens !), notamment cons. 118.

(21):  Dans son arrêt de renvoi, la Cour de cassation a jugé « vagues et imprécises » les dispositions « balai » de la loi de 1991 qui prévoient par ailleurs que « l'aide juridictionnelle peut être accordée, à titre exceptionnel, à un étranger en situation irrégulière lorsque sa situation apparaît particulièrement digne d'intérêt au regard de l'objet du litige ou des charges prévisibles du procès » (Cass. 2e civ., 29 février 2024, n° 23-40.021, spéc. § 14).

(22):  Commentaire du service juridique du Conseil, déc. n° 2024-1091/1092/1093 QPC, site Internet du Conseil, p. 16.

(23):  Commentaire préc. du service juridique du Conseil, p. 8-9.

(24):  Commentaire préc., p. 16-17.

(25):  Voir Cons. const., déc. n° 2011-112 QPC du 1er avril 2011, Mme Marielle D. [Frais irrépétibles devant la Cour de cassation], et déc. n° 2016-566 QPC du 16 septembre 2016, Mme Marie-Lou B. et autre [Communication des réquisitions du ministère public devant la chambre de l'instruction].

(26):  D., 2024, p. 452, note V. Tellier-Cayrol.

(27):  Cons. const., déc. n° 2018-730 QPC du 14 septembre 2018, M. Mehdi K.

(28):  Cons. const., déc. n° 2020-873 QPC du 15 janvier 2021, M. Mickaël M.

(29):  Cons. const., déc. n° 2020-884 QPC du 12 février 2021, M. Jacques G.

(30):  Selon l'article 393, al. 1er, du CPP, « en matière correctionnelle, lorsqu'il envisage de poursuivre une personne en application des articles 394,395 et 397-1-1, le procureur de la République ordonne qu'elle soit déférée devant lui ».

(31):  Comp., en matière d'audition libre du majeur protégé, Cons. const., déc. n° 2021-975 QPC du 25 février 2022, M. Roger C., mais l'obligation d'aviser le tuteur ou le curateur était bien prévue par la loi dans ce cas ; le Conseil a simplement précisé le contenu de cette information, qui implique « nécessairement » que le tuteur ou le curateur soit « informé par les enquêteurs de la possibilité qu'il a de désigner ou faire désigner un avocat pour assister [le majeur protégé] » (paragr. 16 et 17).

(32):  Voir Cass. soc., 28 février 2018, n° 16-50.015. Cette solution a été ultérieurement confirmée, y compris par l'arrêt de renvoi de la présente QPC (Cass. soc., 25 octobre 2023, n° 23-14.147) qui s'attache par ailleurs à la justifier, en relevant que la règle contestée « a pour seul objet de garantir la concordance entre le montant du bénéfice net et des capitaux propres déclarés à l'administration et celui utilisé par l'entreprise pour le calcul de la réserve spéciale de participation des salariés aux résultats de l'entreprise, en sorte que l'inspecteur des impôts ou le commissaire aux comptes qui établit cette attestation n'exerce pas, dans le cadre de cette mission, un pouvoir de contrôle de la situation de l'entreprise » (paragr. 7).

(33):  Cass. soc., 23 mai 2007, n° 05-10.244 ; Cass. Soc., 18 février 2016, n° 14-12.614. On aimerait demander à la chambre sociale en quoi peut bien consister un ordre public relatif...

(34):  Commentaire de la déc. n° 2023-1077 QPC, site Internet du Conseil, p. 20 : « En ne permettant pas aux salariés et aux organisations syndicales de contester les montants figurant sur l'attestation de l'inspecteur des impôts ou du commissaire aux comptes, le législateur a en effet entendu assurer la sécurité juridique des entreprises dont les déclarations sont vérifiées par l'administration fiscale sous le contrôle du juge de l'impôt et préserver la compétence de l'administration fiscale et du juge compétent en matière de fiscalité afin de limiter les divergences d'appréciation susceptibles de résulter d'un partage de compétence entre les deux ordres de juridiction ». On ne voit toutefois pas, ici, en quoi une telle divergence serait en elle-même nuisible.

(35):  L. n° 73-42 du 9 janvier 1973 ; sur l'effet collectif de l'acquisition de la nationalité française, voir désormais art. 22-1 du code civil.

(36):  Voir Cons. const., déc. n° 2013-360 QPC du 9 janvier 2014, Mme Jalila K. ; déc. n° 2018-737 QPC du 5 octobre 2018, M. Jaime Rodrigo F. ; déc. n° 2021-954 QPC du 10 décembre 2021, Mme Fatma M. (autant de censures).

(37):  Cons. const., déc. n° 2021-954 QPC, préc., paragr. 11 et s.

(38):  Cass. 1re civ., 19 mars 1991, n° 88-19.400.

(39):  Ce que soulignait expressément, par ailleurs, le grief du requérant, sur la base d'un raisonnement assez alambiqué, voire contradictoire : « Ces dispositions auraient pour effet de placer l'allocataire dans une situation de dépendance financière vis-à-vis de son concubin alors que ce dernier n'a aucune obligation de solidarité financière à son égard. Elles méconnaîtraient ainsi le principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine et le droit de mener une vie familiale normale » (paragr. 4).

(40):  Sur la prise en compte de la spécificité du handicap dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel, voir commentaire du service juridique, déc. n° 2024-1095 QPC, site Internet du Conseil, p. 11-12.

(41):  Voir Cons. const., déc. n° 97-393 DC du 18 décembre 1997, Loi de financement de la sécurité sociale pour 1998, spéc. cons. 41, au sujet des ressources à prendre en compte pour déterminer le droit au bénéfice de certaines prestations sociales.

(42):   Voir, en particulier, Cons. const., déc. n° 99-419 DC du 9 novembre 1999, Loi relative au pacte civil de solidarité, spéc. cons. 43, en matière d'imposition ; déc. n° 2011-155 QPC du 29 juillet 2011, Mme Laurence L., spéc. cons. 8, au sujet de l'absence de pension de réversion pour les personnes qui ne sont pas mariées. Comp., pour une censure, déc. n° 2019-828/829 QPC du 28 février 2020, M. Raphaël S. et autre, à propos de l'absence de prestation de serment en cas de déposition du seul conjoint de l'accusé.

(43):  Cons. const., déc. n° 2013-669 DC du 17 mai 2013, Loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe, cons. 15 : ce n'est pas parce que le mariage est possible entre personnes de sexe différent qu'il doit être interdit, au nom du principe d'égalité, entre des personnes de même sexe !

(44):  Voir commentaire préc. du service juridique du Conseil, p. 14 et s., spéc. p. 18.

(45):  Voir Cons. const., déc. n° 2022-844 DC du 15 décembre 2022, Loi portant mesures d'urgence relatives au fonctionnement du marché du travail en vue du plein emploi, paragr. 16 ; déc. n° 2023-858 DC du 14 décembre 2023, Loi pour le plein emploi, paragr. 28 : « Les exigences constitutionnelles résultant des cinquième et onzième alinéas du Préambule de la Constitution de 1946 impliquent l'existence d'un régime d'indemnisation des travailleurs privés d'emploi. Celles résultant de ses dixième et onzième alinéas impliquent la mise en œuvre d'une politique de solidarité nationale en faveur des personnes défavorisées ».

(46):  Cons. const., déc. n° 99-423 DC du 13 janvier 2000, Loi relative à la réduction négociée du temps de travail, cons. 27.

(47):  Utilisée lors des travaux préparatoires de la loi de 1946, cette expression est aussi reprise à son compte par le service juridique du Conseil (commentaire de la déc. n° 2023-1079 QPC, site Internet du Conseil, p. 3 et 21).

(48):  Dans le champ du droit du travail, la décision n° 2015-523 QPC du 2 mars 2016, M. Michel O., a bien conduit à une censure, au sujet de l'absence d'indemnité compensatrice de congé payé en cas de rupture du contrat de travail provoquée par la faute lourde du salarié ; mais alors que le requérant se fondait sur le droit au repos, le Conseil a censuré les règles en cause sur le fondement du principe d'égalité, relevé d'office par ses soins (cons. 3).

(49):  Voir, en dernier lieu, CJUE, 6 novembre 2018, Stadt Wuppertal, C-569-16 ; Max-Planck-Gesellschaft zur Förderung der Wissenschaften, C-684-16.

(50):  Directive n° 2003/88/CE, spéc. art. 7.

(51):  Cass. soc., 13 septembre 2023, n° 22-17.340, spéc. § 14 et s.

(52):  « Les pénalités logistiques ne respectant pas l'article L. 441-17 » sont en effet qualifiées de pratique restrictive de concurrence prohibée (art. L. 442-1 C. com.).

(53):  La jurisprudence du Conseil constitutionnel est désormais abondante sur ce point, en droit de la concurrence. Voir, en premier lieu, déc. n° 2010-85 QPC du 13 janvier 2011, Établissements Darty et Fils (déséquilibre significatif dans les relations commerciales). Voir aussi déc. n° 2018-749 QPC du 30 novembre 2018, Société Interdis et autres (« Saison 2 » du déséquilibre significatif dans les relations commerciales !).

(54):  Sur cette question touchant à la « cuisine » du contentieux constitutionnel, et par conséquent étrangère à cette chronique, voir commentaire du service juridique du Conseil, déc. n° 2024-1087 QPC, site Internet du Conseil, p. 15.

(55):  Avis de Mme Anne-Catherine Loisier, cité par le commentaire préc. du service juridique du Conseil, p. 7-8.

(56):  Lignes directrices en matière de pénalités logistiques, 3 novembre 2003, p. 3.

(57):  Commentaire préc., p. 13.

(58):  Cons. const., déc. n° 2010-85 QPC, préc. ; déc. n° 2018-749 QPC, préc.

(59):  Cons. const., déc. n° 2022-1011 QPC du 6 octobre 2022, Société Amazon EU.

(60):  Cons. const., déc. n° 2017-750 DC du 23 mars 2017, Loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d'ordre.

(61):  Chasse sur laquelle la doctrine spécialisée se montre critique ; voir P. Esplugas-Labatut, « Une jurisprudence constitutionnelle trop « à cheval » sur les « cavaliers législatifs » ? », D., 2024, p. 219 ; J. Roux, « Loi immigration : la décision du Conseil constitutionnel illustre les vices de sa jurisprudence sur les « cavaliers législatifs » », JCP éd. G, 2024, 361 ; F. Chaltiel, « La décision du Conseil constitutionnel relative à la loi sur l'immigration », LPA, avril 2024, n° 4, p. 5.

(62):  Censure procédurale, également, s'agissant des modifications apportées au code civil en matière d'acquisition de la nationalité française par les mineurs nés de parents étrangers à Mayotte (paragr. 266 et s.).

(63):  Ses motifs sont les suivants : « D'une part, ces dispositions se bornent à prévoir que l'officier de police judiciaire qui décide de procéder à la prise d'empreintes ou de photographie sans le consentement de l'intéressé en informe préalablement le procureur de la République. Ces opérations ne sont ainsi ni soumises à l'autorisation de ce magistrat, saisi d'une demande motivée en ce sens, ni subordonnées à la démonstration qu'elles constituent l'unique moyen d'identifier la personne qui refuse de s'y soumettre » (paragr. 141) ; « d'autre part, ni les dispositions contestées ni aucune autre disposition ne prévoient que, lorsque la personne contrôlée ou retenue a demandé l'assistance d'un avocat, la prise d'empreintes digitales ou de photographie sans son consentement doit être effectuée en la présence de ce dernier » (paragr. 142).

(64):  « Le renouvellement de la mesure d'assignation à résidence au-delà d'une durée d'un an en accroît la rigueur. Dès lors, il appartient à l'autorité administrative de retenir, lors de chaque renouvellement, des conditions et des lieux d'assignation à résidence tenant compte, dans la contrainte qu'ils imposent à l'intéressé, du temps passé sous ce régime et des liens familiaux et personnels noués par ce dernier » (paragr. 155).

(65):  Art. L. 136 du code des postes et des communications électroniques (CPCE) : « Il est institué une réserve citoyenne du numérique ayant pour objet de concourir à la transmission des valeurs de la République, au respect de l'ordre public, à la lutte contre la haine dans l'espace numérique et à des missions d'éducation, d'inclusion et d'amélioration de l'information en ligne ». Le troisième alinéa du texte prévoit que « tout membre de la réserve citoyenne du numérique qui acquiert, dans l'exercice de sa mission, la connaissance d'un délit ou qui constate l'existence d'un contenu illicite (...) est tenu d'en aviser sans délai le procureur de la République et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements qui y sont relatifs ». Le Conseil décide que ces dispositions « n'ont ainsi ni pour objet ni pour effet de leur confier des prérogatives ou des moyens particuliers de collecte de données à caractère personnel, ni de déroger aux garanties prévues en la matière par le règlement du 27 avril 2016 [RGPD] et la loi du 6 janvier 1978 (...) » (paragr. 84).

(66):  Rappr., pour une réserve similaire au sujet de la reconnaissance faciale, mais dans un autre domaine (usage de drones par les services de l'État), Cons. const., déc. n° 2021-834 DC du 20 janvier 2022, Loi relative à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure, spéc. paragr. 30.

(67):  Voir Cons. const., déc. n° 80-127 DC du 20 janvier 1981, Loi renforçant la sécurité et protégeant la liberté des personnes, cons. 75.

(68):  Voir Th. Piazzon, « Le principe de non-rétroactivité de la loi pénale », in Livre du Bicentenaire du Code pénal et du Code d'instruction criminelle, Université Panthéon-Assas, Dalloz, 2010, p. 127.

(69):  Puisqu'il n'est plus désormais nécessaire de demander au juge civil un titre d'expulsion à la suite de la décision prononçant la confiscation à titre de peine complémentaire.

(70):  Voir déjà, en effet, Cons. const., déc. n° 2021-932 QPC du 23 septembre 2021, Société SIMS Holding agency corp et autres ; déc. n° 2021-949/950 QPC du 24 novembre 2021, Mme Samia T. et autre.

(71):  Voir notamment Cons. const., déc. n° 2023-1038 QPC du 24 mars 2023, Mme Nacéra Z., spéc. paragr. 12 (réserve d'interprétation) ; déc. n° 2023-853 DC du 26 juillet 2023, Loi visant à protéger les logements contre l'occupation illicite, spéc. paragr. 61 (renvoi à la réserve forgée dans la précédente décision citée).

(72):  La jurisprudence de la chambre criminelle de la Cour de cassation est déjà en ce sens ; voir Cass. crim., 19 avril 2023, n° 22-82.994.

(73):  Les notions fondamentales du droit privé. Essai critique, éd. A. Rousseau, Paris, 1911, spéc. n° 65.

(74):  Selon les mots employés par M. Warsmann lors des travaux préparatoires de la loi, cités par le service juridique du Conseil (commentaire de la déc. n° 2024-869 DC, site Internet du Conseil, p. 6).

Citer cet article

Thomas PIAZZON. « Chronique de droit privé (janvier 2024 à juin 2024) », Titre VII [en ligne], n° 13, L'environnement, novembre 2024. URL complète : https://www.conseil-constitutionnel.fr/publications/titre-vii/chronique-de-droit-prive-janvier-2024-a-juin-2024