I. DROIT PÉNAL

Loi visant à protéger les logements contre l'occupation illicite. Cons. const., déc. n° 2023-853 DC du 26 juill. 2023 (V. P.)

1 - Législation anti-squat. La loi n° 2023-668 du 27 juillet 2023 visant à protéger les logements contre l'occupation illicite(1) se propose, en une douzaine d'articles, de lutter contre le « squat », situation qui a pu être définie comme l'occupation d'un logement sans droit ni titre (Rapport Sénat, par J.-P. Vial, sur la proposition de loi de Mme Natacha Bouchart visant à faciliter l'expulsion des squatteurs de domicile, 2014, p. 7). Votée en écho à plusieurs faits divers, elle reste encore très décriée, notamment par certaines associations de défense du droit au logement craignant que, au prétexte de lutter contre l'occupation illicite de certains locaux, la loi fragilise la situation des locataires défaillants, au seul avantage des propriétaires bailleurs. Le domaine d'intervention de la loi est, il est vrai, relativement large puisque le texte entend mieux réprimer le « squat » (sic !) (articles 1 à 8 de la loi), sécuriser les rapports locatifs (articles 9 à 11) et renforcer l'accompagnement des locataires en difficulté (articles 12 et 13). D'un point de vue pénal, la loi crée un délit de « squat » ou, plutôt, d'occupation frauduleuse d'un local à usage d'habitation ou à usage commercial, agricole ou professionnel (C. pén., art. 315-1) mais aussi de maintien sans droit ni titre dans un local à usage d'habitation en violation d'une décision de justice définitive et exécutoire ayant donné lieu à un commandement régulier de quitter les lieux (C. pén., art. 315-2). Elle complète également la qualification pénale de violation de domicile, en précisant ce qu'il faut entendre par ce dernier terme (C. pén., art. 226-4, al. 3), en aggrave les peines (C. pén., art. 226-4, al. 1) et incrimine la publicité en faveur du squat et de la violation de domicile (C. pén., art. 226-4-2-1).

2 - Conformité constitutionnelle des dispositions pénales « anti-squat ». Dans sa décision n° 2023-853 DC du 26 juillet 2023, le Conseil constitutionnel était sollicité pour apprécier la conformité du volet pénal de la loi, en plus de dispositions de procédure civile (comme, par exemple, l'exclusion de la possibilité pour les occupants de certains locaux dont l'expulsion a été ordonnée judiciairement de bénéficier de délais renouvelables), administrative (ainsi de l'extension de la procédure administrative d'expulsion d'un domicile à tous les locaux à usage d'habitation) ou de droit civil (comme la réduction du délai de prise d'effet de la clause de résiliation de plein droit du contrat de location pour défaut de paiement du loyer ou des charges ou le non-versement du dépôt de garantie).

Il a, de façon générale, validé la totalité de la loi et, sur le plan pénal, assorti sa motivation d'une réserve d'interprétation.

3 - Délits de « squat » : conformité sans réserve. Les articles 315-1 et 315-2 du code pénal introduits par la loi incriminent « le fait de s'introduire dans un local à usage d'habitation ou à usage commercial, agricole ou professionnel à l'aide de manœuvres, menaces, voies de fait ou contrainte ainsi que le fait de se maintenir dans le local après s'y être introduit dans de telles circonstances » (C. pén., art. 315-1) et « le maintien sans droit ni titre dans un local à usage d'habitation en violation d'une décision de justice définitive et exécutoire ayant donné lieu à un commandement régulier de quitter les lieux depuis plus de deux mois » (C. pén., art. 315-2). Placées dans le livre III du code pénal incriminant les crimes et les délits contre les biens et plus spécialement dans le titre Ier consacré aux appropriations frauduleuses, ces nouvelles qualifications pénales ont donc vocation à protéger la propriété, à l'inverse de la qualification de violation de domicile qui vise uniquement à protéger la vie privée des personnes.

La nouvelle qualification était accusée de manquer de clarté et de prévisibilité mais encore de contrevenir à l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen garantissant la nécessité et la proportionnalité des peines. Le Conseil se montre plutôt succinct puisqu'après avoir rappelé, d'une part, les principes découlant aussi bien de l'article 8 de la Déclaration que de l'article 34 de la Constitution – d'où il appert que le législateur tient de ce texte l'obligation de fixer lui-même le champ d'application de la loi pénale et de définir les crimes et délits en termes suffisamment clairs et précis pour exclure l'arbitraire – et, d'autre part, le libellé du texte attaqué, il exclut toute imprécision ou équivoque des notions de local à usage d'habitation et de local à usage commercial, agricole ou professionnel. Il précise en outre qu'avec cette qualification, le législateur a souhaité réprimer certains comportements portant atteinte aux biens si bien qu'il n'y décèle aucune atteinte ni au principe de légalité des délits et des peines, ni aux principes de nécessité et de proportionnalité des délits et des peines.

4 - Notion de local d'habitation. Cela dit, il reste néanmoins nécessaire, pour comprendre l'expression « local d'habitation », de se référer à la jurisprudence de la Cour de cassation définissant le domicile pour, en définitive, en déduire ce qui ne relève pas de cette catégorie mais de celle de local d'habitation. En effet, l'article 315-1 du code pénal a vocation à compléter la qualification de violation de domicile de sorte qu'elle vise à englober les locaux que cette dernière ne protègerait pas, à savoir les locaux susceptibles d'être qualifiés de domicile sans l'être effectivement car ils sont vides, dépourvus de meubles (Cass. crim., 15 févr. 1955 : Bull. crim. n° 106 ; Rev. sc. crim. 1955, p. 521, obs. L. Hugueney), jurisprudence constante et renouvelée (Cass. crim., 13 déc. 1890 : DP 1891, 1, p. 286 pour une maison n'ayant jamais été habitée ; Cass. crim., 19 juin 1957 : Bull. crim., n° 513 pour une dépendance ; Cass. crim., 22 janv. 1997 : Bull. crim. n° 31 pour un appartement vide de meubles entre deux locations ; Cass. crim., 1er avril 1992, n° 91-85.279 pour une maison en construction ; rappr., pour une perquisition, Cass. crim., 6 mai 2002 : JurisData n° 2002-015343 ; Dr. pén. 2002, comm. 130 , note A. Maron pour une hutte de chasse dépourvue de raccordement à l'eau et à l'électricité).

Il s'agit donc, pour le législateur, avec cette nouvelle qualification pénale de l'article 315-1 du code pénal, de protéger tous les locaux, y compris ceux servant à l'habitation, dans lesquels des personnes se seraient introduites sans droit.

5 - Violation de domicile : conformité avec réserve de la définition de domicile. Pour compléter le dispositif de lutte contre les « nbsp ; squatteurs », le législateur, prenant acte de la jurisprudence de la Cour de cassation afférente au domicile (voir supra n° 4), ajoute un troisième alinéa à l'article 226-4 du code pénal pour préciser que « constitue notamment le domicile d'une personne, au sens du présent article, tout local d'habitation contenant des biens meubles lui appartenant, que cette personne y habite ou non et qu'il s'agisse de sa résidence principale ou non ». L'objectif était donc de la compléter : si le domicile doit toujours contenir des meubles, la présence de ceux-ci déclenche automatiquement l'application de la qualification de domicile puisqu'un local d'habitation meublé en est un, que la personne y habite ou pas et qu'il s'agisse de sa résidence principale ou pas. Les députés requérants considéraient que cette disposition était à la fois trop imprécise, en raison, en particulier, de l'utilisation de l'adverbe « notamment » (« constitue notamment un domicile ») et source de confusion puisqu'en définissant le domicile comme un local d'habitation contenant des biens meubles, la loi étendrait l'application de la qualification de violation de domicile à des locaux qui ne devraient pas en relever. C'était effectivement l'objectif affiché du législateur puisque les travaux parlementaires voulaient avant tout protéger des locaux qui ne correspondaient pas totalement à la définition du domicile, citant l'exemple des locaux loués meublés qui constituent le domicile du locataire, bien que les meubles ne lui appartiennent pas (Rapp. Sénat n° 278, Proposition de loi visant à protéger les logements contre l'occupation illicite, 25 janv. 2023, disponible sur : https://www.senat.fr/rap/l22-278/l22-2786.html#toc55). Pour autant, l'objectif n'a pas reçu l'entier aval du Conseil constitutionnel qui introduit une réserve d'interprétation en renvoyant au juge la faculté d'apprécier « si la présence de ces meubles permet de considérer que cette personne a le droit de s'y dire chez elle ». C'est à cette condition que la disposition litigieuse obtient son brevet de constitutionnalité au regard de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen garantissant le principe de nécessité des délits et des peines.

6 - Propagande en faveur de la violation de domicile. Les travaux législatifs ayant mis en exergue l'existence, sur Internet, de véritables « guides du squat » (Rapp. Sénat n° 278, préc.), le texte vient incriminer « la propagande ou la publicité, quel qu'en soit le mode, en faveur de méthodes visant à faciliter ou à inciter à la commission des délits prévus aux articles 226-4 et 315-1 ». Pour les contestataires, l'utilisation des mots « propagande » et « publicité » était de nature à criminaliser les messages des associations humanitaires. Ils dénonçaient donc une atteinte au principe de la liberté d'expression, garanti par l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, et souhaitaient en conséquence que soit prévue une exception à leur bénéfice. Le Conseil, après avoir rappelé la définition de ces termes, exclut qu'ils soient ambigus ou équivoques et puissent avoir pour effet de réprimer les messages qui ne feraient pas la promotion des méthodes de « squat », ce qui, en principe, ne peut constituer le message porté par les associations de lutte pour le droit au logement.

Pour autant, dans la mesure où le texte est accusé de méconnaître la liberté d'expression (un des droits les plus précieux de l'homme : DDHC, art. 11), il était utile, pour le Conseil, de se livrer à une analyse plus poussée des griefs soulevés. De fait, si le législateur a le droit d'apporter des limites à cette liberté fondamentale, celles-ci doivent être nécessaires, adaptées et proportionnées à l'objectif poursuivi par la loi, à savoir « protéger le principe de l'inviolabilité du domicile, le droit au respect de la vie privée et le droit de propriété ». Se livrant ensuite à sa traditionnelle balance des intérêts en présence, le Conseil conclut que les dispositions qui visent à incriminer un certain nombre de comportements précisément définis ne portent donc pas une atteinte disproportionnée à la liberté d'expression et de communication. Pas d'atteinte, donc, les requérants pensaient le contraire : c'est donc le « juge » constitutionnel qui décide sans que les motifs utilisés ne soient aptes à convaincre le camp qui n'obtient pas satisfaction.

7 - Articulation des délits. Si l'examen du texte paraît en définitive porter des solutions plutôt convenues, c'est que les questions essentielles posées par l'introduction des nouvelles qualifications sont passées sous silence ou à peine effleurées. Il en va ainsi de l'articulation entre les délits de violation de domicile (dont les peines sont, en outre, aggravées mais le grief ne porte pas car le Conseil remarque que l'aggravation résulte non des dispositions contestées – l'article 6 – mais de l'article 3 de la loi déférée) et d'introduction dans un local à usage d'habitation (C. pén., art. 315-1). En effet, comment choisir le texte qui servira de fondement aux poursuites et à l'éventuelle condamnation lorsque les deux visent à réprimer l'introduction dans un lieu qui sert d'habitation puisque celle-ci peut très bien aussi être qualifiée de domicile, surtout après la modification de l'article 226-4 du code pénal ? C'était là une question posée par les députés requérants soulevant une confusion entre l'incrimination ainsi édictée et celle prévue par l'article 226-4 du code pénal, en méconnaissance des exigences de « clarté et de prévisibilité de la loi » et de l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de celle-ci. Le Conseil situe le débat sur le terrain de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen garantissant le principe d'égalité devant la loi pénale, qui n'empêche pas, en toute logique, « nbsp ;qu'une différenciation soit opérée par le législateur entre agissements de nature différente » (paragr. 10). Selon lui, la combinaison entre les deux textes ne soulève pas de difficultés dans la mesure où, d'une part, « un local à usage d'habitation ou à usage commercial, agricole ou professionnel visé à l'article 315-1 du code pénal ne constitue pas nécessairement un domicile au sens de l'article 226-4  le délit d'occupation frauduleuse de certains locaux, qui réprime une atteinte aux biens, et le délit de violation de domicile, qui réprime une atteinte aux personnes, punissent des agissements de nature différente ».

8 - Inutilité de la référence aux intérêts protégés. La solution n'est peut-être pas si simple si l'on prend le temps d'étudier la jurisprudence, certes elliptique, de la chambre criminelle au sujet des concours idéaux de qualifications (à savoir la situation dans laquelle un même fait est à même de recevoir deux qualifications pénales distinctes).

En effet, le Conseil fait référence, pour conclure que les qualifications sont incompatibles, à l'intérêt protégé par chacune d'elles : la vie privée pour réprimer la violation de domicile (ce qui exclut que soient protégés sur le fondement de cette qualification des logements vides), la propriété pour le délit d'introduction dans un local d'habitation. Or, la jurisprudence de la Cour de cassation a notablement évolué sur la question depuis plusieurs années, notamment en 2021, qui raisonne désormais sur le caractère alternatif ou absorbant des qualifications en présence (Cass. crim., 15 déc. 2021, n° 21-81.864 : JurisData n° 2021-020330 ; publié au Bull. ; JCP G 2022, 132, note N. Catelan ; Dr. pén. 2022, comm. 23, obs. P. Conte. – Cass. crim., 15 févr. 2022, n° 20-86.019 : Dr. pén. 2022, comm. 62, obs. P. Conte. – v. Dr. pén. 2022, dossier, études 1 à 4) et n'a plus égard, depuis 2016, à la notion de valeur protégée pour régler les conflits de qualifications (Cass. crim., 26 octobre 2016, n° 15-84.552 : « des faits qui procèdent de manière indissociable d'une action unique caractérisée par une seule intention coupable ne peuvent donner lieu, contre le même prévenu, à deux déclarations de culpabilité de nature pénale, fussent-elles concomitantes »). Or, il a été démontré que le cumul de ces deux qualifications semble inévitable puisqu'elles ne sont pas exclusives l'une de l'autre (au rebours de ce que considère le Conseil), et que l'une d'elles ne peut englober l'autre sans risque pour la cohérence de la législation (sur la question, voir les développements de P. Conte, « Ceci n'est pas une violation de domicile – et réciproquement » – Le droit pénal lu à la lumière des leçons de René Magritte et de Pierre Dac, préc., n° 7).

9 - « Dialogue des juges », dialogue de sourds ? Si le Conseil constitutionnel statue sur la conformité de dispositions pénales au bloc de constitutionnalité, ses décisions s'inscrivant par conséquent dans un système spécifique – la Constitution –, il n'en demeure pas moins que ses positions ne peuvent, sans risquer de déséquilibrer les ensembles législatifs dans lesquels s'insèrent ses décisions (ici la législation répressive), faire l'économie de l'étude des principes régissant l'application des mécanismes utilisés pour rendre des décisions (ici, l'étude des règles relatives aux concours de qualifications). Or, la tâche n'est pas simple car chaque juridiction ou organe appelé à intervenir se fonde sur ses propres règles, partant différentes : en effet, en la matière, la Cour de cassation se fonde sur le jeu des qualifications alternatives ou absorbantes (Cass. crim., 15 déc. 2021, préc. et la jurisprudence afférente), la Cour européenne des droits de l'homme sur l'existence de « faits en substance les mêmes » (CEDH, 4 mars 2014,Grande Stevens et autres, nos 18640/10, 18647/10, 18663/10, 18668/10 et 18698/10 ; CEDH, 10 févr. 2009, Zolotoukhine c. Russie, no 14939/03) et le Conseil constitutionnel sur les valeurs protégées. On touche alors ici à une autre limite du « dialogue des juges », au-delà des risques d'insécurité juridique liés à l'imprévisibilité de la loi, faite et défaite par les diverses autorités prétoriennes. Demander au Conseil constitutionnel de se prononcer au regard de l'interprétation des textes portée par les juridictions internes et/ou supra-nationales serait source de nouvelles difficultés : d'une part, cela figerait la position constitutionnelle dans le temps en la rendant dépendante de la solution jurisprudentielle retenue en un instant T – or, force est de constater que la position de la chambre criminelle en matière de concours est loin d'être elle-même prévisible et constante – ce qui, d'autre part, fragiliserait sa jurisprudence. La décision du Conseil fournit donc l'illustration presque caricaturale de la gageure constitutionnelle que constitue l'étude de la conformité des lois, lorsque celles-ci dépendent en grande partie des interprétations prétoriennes des notions légales.

De fait, la difficulté à résoudre le concours entre la violation de domicile et l'introduction frauduleuse dans un local d'habitation vient, en grande partie, de la volonté du législateur de compléter la définition du domicile de la Cour de cassation. Or, celle-ci, en prévoyant qu'un domicile peut être désormais un lieu où l'on n'habite pas (C. pén., art. 226-4, al. 3), brouille les domaines d'application des deux qualifications de sorte qu'au lieu d'introduire une réserve d'interprétation qui renforce encore l'imprévisibilité des solutions à venir (« Il appartiendra dès lors au juge d'apprécier si la présence de ces meubles permet de considérer que cette personne a le droit de s'y dire chez elle » : sur quels critères ?), le Conseil aurait certainement dû invalider la disposition pour réintroduire un peu de cohérence dans le projet législatif. Un peu seulement.

II. PROCÉDURE PÉNALE

A. Loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023‑2027. Cons. const., déc. n° 2023-855 DC du 16 nov. 2023 (V. P.)

10 - « Fourre-tout illisible ». La tentaculaire loi n° 2023-1059 du 20 novembre 2023 d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023‑2027, qualifiée de « fourre-tout illisible » (C. Ribeyre, « Loi de programmation du 20 novembre 2023 : une loi d'avenir » – l'avenir étant « du passé en préparation » selon Pierre Dac : Droit pénal n° 1, janvier 2024, étude 1), a été examinée par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2023-855 DC du 16 novembre 2023. Elle comprend de nombreuses dispositions, pour procéder par voie d'ordonnance à la réécriture de la partie législative du code de procédure pénale (art. 2), pour compléter ledit code (et permettre la réalisation de perquisitions de nuit dans le cadre d'une enquête de flagrance relative à certains crimes (art. 6 I 2 °), rendre possible, sous certaines conditions, l'examen médical d'une personne placée en garde à vue par un moyen de télécommunication audiovisuelle (art. 6 I 5 °) ou autoriser, sous certaines conditions, l'incarcération provisoire d'une personne mise en examen faisant l'objet d'un placement conditionnel sous assignation à résidence avec surveillance électronique afin de vérifier la faisabilité de cette mesure (art. 6 I 19 °), sans que cette énumération soit limitative), étendre, à titre expérimental, la compétence du tribunal des activités économiques en matière de procédures collectives à tous les débiteurs, à l'exception de certaines professions libérales réglementées (art. 26 et 27) ou encore nommer au sein des juridictions judiciaires des attachés de justice et des assistants spécialisés qui participent au traitement des procédures civiles et pénales (art. 37). La liste n'est, là encore et loin s'en faut, pas exhaustive. D'ailleurs, certaines dispositions étaient si éloignées de l'objet initial de la loi que le Conseil constitutionnel n'a eu d'autre choix que de les censurer puisqu'adoptées selon une procédure contraire à la Constitution (il s'agissait de la modification de plusieurs articles du code de procédure pénale pour remplacer le terme « race » par ceux de « prétendue race », autoriser la transmission des rapports éducatifs et des documents individuels de prise en charge entre les personnels des services et établissements de la protection judiciaire de la jeunesse et du secteur associatif habilité, pour rendre obligatoire l'assistance des personnes morales par un avocat pour la conclusion d'une convention judiciaire d'intérêt public ou prévoir le suivi des obligations susceptibles d'être imposées au titre d'une convention judiciaire d'intérêt public en matière environnementale sous la direction du procureur de la République).

11 – Validation du recours au procédé de télécommunication. C'est l'un des points que l'on peut retenir de la loi du 20 novembre 2023 puisque, dans plusieurs de ses dispositions, sans véritable point commun entre elles, elle favorise le recours à un procédé de télécommunication lors de différents actes (voir déjà C. pr. pén., art. 706-71 qui prévoit la possibilité de recourir à des moyens de télécommunications au cours de la procédure depuis 2001, constamment étoffé au fil des réformes) : l'examen médical d'une personne en cas de prolongation de sa garde à vue sur autorisation du procureur de la République (C. pr. pén., art. 63-3), la tenue de certains interrogatoires et débats lorsque la compétence de certaines juridictions pénales spécialisées s'exerce sur le ressort de juridictions situées en outre-mer (C. pr. pén., art. 706-79-2), l'intervention de l'interprète au cours de l'audition libre ou de la garde à vue (C. pr. pén., art. 803-5). À chaque fois, les dispositions sont déclarées conformes, car elles s'entourent d'un grand nombre de garanties permettant d'assurer les droits des personnes. Ainsi, l'examen médical à distance est régulier, car quelle que soit la personne qui sollicite l'intervention du médecin, la personne gardée à vue dispose toujours de la faculté de s'opposer à ce qu'elle soit réalisée à distance, le médecin pouvant aussi se prononcer sur la nécessité de procéder à une auscultation physique.

En revanche, les autres dispositions sont validées sous certaines réserves. En premier lieu, les débats peuvent se tenir à distance mais à condition que cette solution ne s'applique que dans « des circonstances exceptionnelles » (paragr. 78), expression par laquelle il faut comprendre que doit être « dûment caractérisée l'impossibilité de présenter physiquement la personne devant la juridiction spécialisée » (paragr. 78). Bien évidemment, le recours au moyen de télécommunication doit garantir la qualité, la confidentialité et la sécurité des échanges, condition classique mais néanmoins indispensable à la bonne administration de la justice. C'est d'ailleurs, en second lieu, à cette même condition qu'est déclarée conforme l'intervention à distance de l'interprète et sous la réserve que le recours à la télécommunication ne soit possible qu'au cours des quarante-huit premières heures de la garde à vue d'une personne majeure, sauf dans le cas où cette personne fait l'objet d'une mesure de protection juridique, les dispositions ne pouvant en outre trouver à s'appliquer lors de l'audition libre d'une personne majeure faisant l'objet d'une mesure de protection juridique. De même, en cas de prolongation de la garde à vue au-delà de quarante-huit heures, l'interprète ne peut recourir à de tels moyens qu'en cas de nécessité résultant de l'impossibilité pour lui de se déplacer et sur autorisation du magistrat chargé de la procédure.

12 - Activation à distance d'appareils électroniques. C'est la disposition qui a suscité le plus d'émoi dans l'opinion publique et les médias : la possibilité pour les enquêteurs, lors de l'enquête ou de l'instruction, de déclencher à distance certains appareils à l'insu de leur propriétaire ou de leur possesseur. Décriée comme beaucoup trop intrusive pour la vie privée des personnes, menaçant leur liberté d'aller et venir et portant potentiellement atteinte au secret des correspondances entre la personne soupçonnée et son avocat, l'examen de sa constitutionnalité était évidemment très attendu. Le Conseil se livre ici à une distinction qui va lui permettre de valider une partie du dispositif. En effet, si celui-ci ne permet que de géolocaliser la personne, alors l'immixtion dans la vie privée est jugée tolérable (d'autant qu'elle s'entoure de multiples conditions : paragr. 64 à 66), alors que s'il vise aussi à capter des sons et des images à distance, sans que les enquêteurs aient à procéder « physiquement » à la sonorisation des lieux, l'atteinte est considérée comme disproportionnée car, d'une part, elle est susceptible de toucher, non seulement les personnes objets de la procédure, mais aussi des tiers et, d'autre part, elle n'est pas réservée aux infractions les plus graves mais peut être mise en œuvre pour l'ensemble des infractions relevant de la délinquance ou de la criminalité organisées.

13 - Perquisitions de nuit en enquête de flagrance. Lors d'une enquête sur un crime ou un délit flagrant (c'est-à-dire qui se commet actuellement ou qui vient de se commettre selon l'article 53 du code de procédure pénale), la situation justifie que les autorités publiques puissent recourir à un certain nombre de mesures coercitives. Ainsi, des perquisitions et saisies sont autorisées par l'article 56 et ne peuvent se dérouler qu'entre 6h et 21h, sauf réclamation faite de l'intérieur de la maison ou exceptions prévues par la loi (C. pr. pén., art. 59). Précisément, l'article 6 I 2 ° de la loi déférée introduit un nouvel article 59-1 dans le code pour autoriser les perquisitions de nuit, d'abord, lorsque leur réalisation est nécessaire pour prévenir un risque imminent d'atteinte à la vie ou à l'intégrité physique, ensuite quand il existe un risque immédiat de disparition des preuves et des indices du crime qui vient d'être commis ou, enfin, pour permettre l'interpellation de la personne soupçonnée s'il est nécessaire de procéder à cette interpellation en dehors des heures prévues au même article 59 afin d'empêcher cette personne de porter atteinte à sa vie ou à celle des enquêteurs (un article 97-2 du même code, qui, comme l'article 59-1, entrera en vigueur en septembre 2024, les autorisera au stade de l'instruction).

14 – Validation des perquisitions de nuit sous réserve. Dans la mesure où ces opérations sont entourées de garanties rappelées par le Conseil (autorisées par le juge des libertés et de la détention, à la requête du procureur de la République, par décision spécialement motivée au regard des cas d'urgence limitativement énumérés et par référence aux éléments de fait et de droit justifiant de la nécessité de ces opérations insusceptibles d'être réalisées pendant la journée, puis réalisées sous le contrôle du magistrat les ayant autorisées, tenu informé du déroulement de ces opérations et pouvant se déplacer sur les lieux), celui-ci les valide sous une réserve. Il faut, d'abord, que l'enquête de flagrance porte sur un crime contre les personnes, et qu'ensuite, il soit nécessaire de prévenir un risque imminent d'atteinte à la vie ou à l'intégrité physique, d'éviter un risque immédiat de disparition des preuves et des indices du crime qui vient d'être commis ou de procéder à l'interpellation de la personne soupçonnée, afin de l'empêcher de porter atteinte à sa vie ou à celle des enquêteurs. Le Conseil insiste en particulier sur la notion de « nbsp ;risque immédiat de disparition des preuves et des indices du crime qui vient d'être commis », qui « doit s'entendre comme ne permettant d'autoriser une perquisition de nuit que si celle-ci ne peut être réalisée dans d'autres circonstances de temps  » (paragr. 28).

15 - Incarcération provisoire d'une personne mise en examen faisant l'objet d'un placement conditionnel sous assignation à résidence avec surveillance électronique afin de permettre la vérification de la faisabilité de cette mesure. La loi du 20 novembre 2023 se propose, par le biais d'un nouvel article 142-6-1 du code de procédure pénale, d'autoriser l'incarcération provisoire d'une personne mise en examen faisant l'objet d'un placement conditionnel sous assignation à résidence avec surveillance électronique, afin de permettre la vérification de la faisabilité de cette mesure. Décriée comme renfermant une potentielle atteinte à la présomption d'innocence, la disposition est néanmoins validée par le Conseil qui y voit au contraire un moyen d'éviter des placements en détention provisoire, prononcés en raison de l'absence d'étude de la faisabilité de la mesure. Pour autant, là encore, le Conseil réécrit la règle telle qu'il en souhaite l'application : dans la mesure où, aux termes de l'article 66 de la Constitution, la liberté individuelle ne saurait être entravée par une rigueur non nécessaire, le juge ne peut décider de l'incarcération provisoire de la personne mise en examen que si cette mesure constitue l'unique moyen de parvenir à l'un des objectifs énumérés à l'article 144 du code de procédure pénale.

16 – Travail d'intérêt général. La loi valide l'extension du domaine d'application de cette peine au profit des personnes morales de droit privé, faisant fi du grief, somme toute assez peu réaliste, d'une délégation à des personnes privées des compétences de police administrative inhérentes à l'exercice de la « force publique » en violation de l'article 12 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen selon lequel « La garantie des droits de l'homme et du citoyen nécessite une force publique : cette force est donc instituée pour l'avantage de tous, et non pour l'utilité particulière de ceux auxquels elle est confiée ». Mais ainsi que le précise fort justement le Conseil constitutionnel, l'exécution de la peine de travail d'intérêt général (TIG) telle que prévue par l'article 24 de la loi du 20 novembre 2023 n'a absolument pas pour objet (ou pour effet) de conduire à une telle délégation. En effet, il s'agit plutôt, en confiant aux entreprises intervenant dans l'économie sociale et solidaire la possibilité d'accueillir des « TIGistes » (des personnes condamnées à la peine de TIG), d'augmenter les postes offerts aux magistrats et de permettre le développement de cette alternative à l'emprisonnement, conformément à l'objectif poursuivi par la loi du 23 mars 2019.

B. Enquête (E. B.)

17 - Garde à vue (E. B.)

Conditions d'exécution des mesures de garde à vue. Cons. const., déc. n° 2023-1064 QPC du 6 octobre 2023.

Depuis la loi du 14 avril 2011 relative à la garde à vue, l'article 63-5 du code de procédure pénale dispose que la mesure de contrainte décidée par un officier de police judiciaire à l'endroit d'une personne à l'encontre de laquelle il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu'elle a commis ou tenté de commettre un crime ou un délit puni d'une peine d'emprisonnement doit s'exécuter dans des conditions assurant le respect de la dignité de la personne. Dans un avis rendu le 6 janvier 2011, la Commission nationale consultative des droits de l'homme se réjouissait de l'inscription de la dignité dans cet article mais soulignait la nécessité de procéder à une amélioration des conditions matérielles pour que le principe soit effectif (CNCDH, avis du 6 janv. 2011 sur le projet de loi relatif à la garde à vue). Quelque dix ans plus tard, cette effectivité ne semble pas au rendez-vous. Le 19 juillet 2021, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) formulait des recommandations relatives aux conditions matérielles de garde à vue dans les services de police et s'indignait de la situation en raison de conditions particulièrement spartiates : étroitesse des cellules, mauvaises odeurs, saleté et vétusté des équipements... (CGLPL, Recommandations du 19 juillet 2021 relatives aux conditions matérielles de garde à vue dans les services de police : JORF n° 0220 du 21 septembre 2021, texte n° 32). Plus récemment, la Défenseuse des droits faisait le même constat (Défenseur des droits, 8 nov. 2022, déc. n° 2022-209). Des progrès ont certes été faits telle la mise à disposition de kits d'hygiène mais ils s'avèrent trop souvent modestes à telle enseigne que le Conseil d'État, par une ordonnance du 22 novembre 2021 à l'occasion d'une procédure de référé, reconnaissait l'existence de dysfonctionnements systémiques en matière de salubrité des lieux de garde à vue (CE, 22 nov. 2021, n° 456924, spéc. motif n° 5). C'est dans le prolongement de cette analyse que peut se situer la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par l'Association des avocats pénalistes à l'occasion d'un recours pour excès de pouvoir formé contre des décisions rejetant une demande faite par cette association au ministre de la Justice et au ministre de l'Intérieur de prendre toutes mesures utiles permettant de mettre fin aux atteintes à la dignité, à la vie privée et aux droits de la défense, causées par les conditions matérielles d'accueil dans les locaux de garde à vue et de dégrisement. Portée devant le Conseil d'État, cette question qui remettait en cause la conformité des articles 62-3, 63, 63-5, 154 et 706-88 du code de procédure pénale à la Constitution a été jugé sérieuse par lui (CE, 13 juillet 2023, n° 461605). Le Conseil constitutionnel devait ainsi statuer sur le point de savoir si le législateur n'avait pas, d'une part, méconnu sa propre compétence en ne prévoyant pas plus précisément les conditions de placement ou de maintien en garde à vue au regard des capacités des locaux et conditions matérielles et d'autre part, mis ainsi en péril le principe de sauvegarde de dignité de la personne humaine. Après avoir rappelé le fondement du principe de dignité, le Conseil constitutionnel énonce que le législateur a entouré la mise en œuvre de la garde à vue de différentes garanties propres à assurer le respect de l'exigence de dignité. Pour asseoir cette affirmation, il se fonde sur deux séries d'arguments. D'une part, il relève que seules les mesures de sécurité strictement nécessaires peuvent être imposées à la personne gardée à vue en tenant compte notamment de son état de santé et de son état de fatigue. D'autre part, il rappelle que la garde à vue est une mesure certes décidée par un officier de police judiciaire mais qui se trouve toujours placée sous le contrôle d'un magistrat qu'il s'agisse, au stade de l'enquête, du procureur de la République, ou au stade de l'instruction, lorsque la mesure est ordonnée dans le cadre d'une commission rogatoire, du juge d'instruction. L'ensemble de ces dispositions permettent selon la décision de se prémunir contre d'éventuelles atteintes à la dignité de la personne privée de liberté, ce qui conduit le Conseil constitutionnel à déclarer l'article 63-5 du code de procédure pénale conforme à la Constitution. Il assortit toutefois sa décision d'une réserve d'interprétation en indiquant qu'en cas d'atteinte à la dignité de la personne, les dispositions contestées imposent au magistrat compétent de prendre immédiatement toute mesure permettant de mettre fin à cette atteinte ou, si aucune mesure ne le permet, d'ordonner sa remise en liberté. À défaut, la personne en garde à vue dans des conditions indignes peut engager la responsabilité de l'État afin d'obtenir réparation du préjudice en résultant.

Cette décision est ainsi et pour le moins originale au regard du raisonnement que livre le Conseil mais aussi de sa portée. S'agissant de la démonstration, les arguments mobilisés par le Conseil surprennent car les garanties prévues par le texte ont un objet assez différent de la question des conditions matérielles de garde à vue. Sont envisagés, d'une part, les conditions du placement ou du maintien en garde à vue compte tenu des nécessités de la procédure (C. pr. pén., art. 62-2) et d'autre part, les droits de la personne gardée à vue (droit au repos entre deux auditions, droit de s'alimenter, droit de solliciter un examen médical afin d'apprécier son aptitude au maintien en garde à vue, droit de formuler les observations lorsqu'une prolongation de garde à vue est envisagée : C. pr. pén., art. 63 et s.). En aucun cas, les textes n'envisagent, pour elles-mêmes, les conditions matérielles de la privation de liberté. Or, cette situation n'est pas sans rappeler le contentieux relatif aux conditions de la privation de liberté des personnes placées en détention provisoire ou exécutant une peine. De façon assez comparable, et au visa du même principe de sauvegarde de la dignité de la personne, le Conseil constitutionnel avait alors reconnu l'incompétence négative du législateur parce que les personnes en détention provisoire ou purgeant une peine ne disposaient pas d'un recours contre leurs conditions de détention indignes (Cons. const., déc. n° 2020-858/859 du 2 octobre 2020). Alors que dans la décision de renvoi du 13 juillet 2023, le Conseil d'État effectuait un parallèle entre garde à vue et privation de liberté en exécution d'une mesure de sûreté ou d'une peine, le Conseil constitutionnel se garde de toute comparaison et conclut, en l'espèce, au contraire que les dispositions contestées ne sont pas entachées d'incompétence négative et ne méconnaissent ni le principe de dignité de la personne humaine ni le droit à un recours juridictionnel effectif et les droits de la défense ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit. S'agissant de la portée de la décision, il faut bien admettre que la réserve d'interprétation a pour conséquence de confier aux autorités judiciaires le soin, non seulement de contrôler les conditions de placement ou de maintien en garde à vue, mais aussi de mettre fin aux situations contraires à la dignité. La décision vient ainsi faire peser sur les magistrats la charge de mettre fin aux conditions de privation de liberté indignes. Toutefois, disposent-ils de réels moyens de mettre fin à la surpopulation d'une cellule de garde à vue ? Peuvent-ils exiger et surtout obtenir la fourniture de couvertures propres pour une personne ? Seront-ils assez rapidement informés de l'atteinte pour qu'elle puisse cesser avant la fin de la mesure laquelle est relativement brève : 24h en principe, renouvelable une à plusieurs fois pour la même durée selon la qualification pénale de faits ? On regrettera cette analyse purement judiciaire de la lutte contre les conditions de garde à vue indignes. On pouvait s'attendre à une autre lecture de la situation et à un appel à une réforme comme cela a été fait au sujet des conditions indignes, non pas de garde à vue, mais de détention en exécution d'une détention provisoire ou d'une peine (Cons. const., déc. n° 2020-858/859 du 2 octobre 2020 et n°2021-898 du 16 avril 2021). En garde à vue comme en détention, l'indignité est tout aussi intolérable même si, dans sa durée, l'atteinte est nécessairement plus réduite. La possibilité d'obtenir une réparation du préjudice né de cette atteinte par l'exercice d'un recours en responsabilité contre l'État ne saurait suffire comme l'a clairement affirmé la Cour européenne des droits de l'homme au sujet de détenus en soulignant la nécessité de faire coexister, de façon complémentaire les remèdes préventifs et compensatoires (CEDH, JMB contre France, 30 janv. 2020, req. n°  9671/15, D. 2020 p. 753, note J.-F. Renucci, p. 1195, obs. J.-P. Céré, J. Falxa et M. Herzog-Evans, p. 1643, obs. J. Pradel ; p. 432, chron. M. Afroukh et J.-P. Marguénaud).

C. Instruction (E. B.)

18 - Purge des nullités en matière correctionnelle. Cons. const., déc. n° 2023-1062 QPC du 28 septembre 2023.

Le système dit de la purge des nullités est bien connu du pénaliste. Inscrit à l'article 179 du code de procédure pénale, il conduit à considérer la procédure comme purgée de l'ensemble de ses irrégularités éventuelles à compter de l'ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel que prend le juge d'instruction lorsqu'il estime, à la fin de l'information judiciaire, que les faits dont il est saisi constituent un délit. Cette ordonnance couvre, s'il en existe, les vices de la procédure. Il en résulte qu'à compter de cet instant, les parties ne sont plus recevables, en principe, à soulever devant le tribunal les nullités de la procédure antérieure (C. pr. pén., art. 385). Par dérogation à ce mécanisme, les parties demeurent toutefois recevables à soulever devant le tribunal correctionnel les nullités de la procédure lorsque l'ordonnance de renvoi n'a pas été rendue conformément aux exigences de l'article 175 du code de procédure pénale, par exemple sans respect des règles du contradictoire. Cette précaution est assurément bienvenue puisqu'elle permet de s'assurer que le prévenu a été en mesure de soulever utilement les moyens de nullité dont il a pu avoir connaissance avant la clôture de l'instruction. Toutefois, préserve-t-elle ses droits dans toutes les situations ? Tel est le sens de la question prioritaire de constitutionnalité transmise par la chambre criminelle de la Cour de cassation au Conseil et sur laquelle il statua le 28 septembre 2023 (Cass. crim., 28 juin 2023, 22-83.466). En l'occurrence, le requérant – ancien Premier ministre – faisait observer qu'aucune disposition ne prévoit d'exception à la purge des nullités dans le cas où le prévenu n'aurait pu avoir connaissance de l'irrégularité éventuelle d'un acte ou d'un élément de la procédure que postérieurement à la clôture de l'instruction (pour un rappel du contexte de cette question : L. Saenko, « Inconstitutionnalité du régime de la purge des nullités en matière correctionnelle : de nouvelles perspectives pour le droit pénal des affaires ? », RTD com. 2023, p. 973). Il demandait ainsi un contrôle de la conformité de l'article 385 du code de procédure pénale en raison d'une probable méconnaissance du droit à un recours juridictionnel effectif et des droits de la défense.

Le Conseil constitutionnel commence par rappeler, au visa de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, qu'il ne doit pas être porté d'atteinte substantielle au droit des personnes intéressées d'exercer un recours effectif devant une juridiction et que doit être assuré le respect des droits de la défense. Il conclut que les mots « sauf lorsqu'il est saisi par le renvoi ordonné par le juge d'instruction ou la chambre de l'instruction » figurant au premier alinéa de l'article 385 du code de procédure pénale méconnaissent le droit à un recours juridictionnel effectif et les droits de la défense. Une abrogation immédiate des dispositions contestées entraînant des conséquences manifestement excessives, il reporta au 1er octobre 2024 la date de leur abrogation et jusqu'à l'entrée en vigueur d'une nouvelle loi ou, au plus tard, au 1er octobre 2024, il déclara que l'inconstitutionnalité peut être invoquée dans les instances en cours ou à venir lorsque la purge des nullités a été ou est opposée à un moyen de nullité qui n'a pu être connu avant la clôture de l'instruction (Cons. const., déc. n° 2023-1062 QPC du 28 septembre 2023).

Cette décision n'est pas sans rappeler une prise de position très semblable retenue par le Conseil au sujet de la purge des nullités en matière criminelle (Cons. const., déc. n° 2021-900 QPC du 23 avril 2021). En effet, à la question posée par un requérant qui considérait que le quatrième alinéa de l'article 181 du code de procédure pénale méconnaissait le droit à un recours juridictionnel effectif et les droits de la défense, faute de prévoir des exceptions lorsque l'accusé n'a pas été régulièrement mis en examen, a été privé de sa qualité de partie à la procédure et n'a pas reçu notification de l'ordonnance de mise en accusation, il déclarait l'article non conforme à la Constitution.

Depuis la loi du 22 décembre 2021 entrée en vigueur le 1er janvier 2023, une mention a été ajoutée à cet alinéa 4 de l'article 181 qui dispose désormais : « Lorsqu'elle est devenue définitive, l'ordonnance de mise en accusation couvre, s'il en existe, les vices de la procédure, sous réserve de l'article 269-1 ». Selon ce dernier article : « Lorsque l'accusé n'a pas été régulièrement informé, selon le cas, de sa mise en examen ou de sa qualité de partie à la procédure, de l'avis de fin d'information judiciaire ou de l'ordonnance de mise en accusation et que cette défaillance ne procède pas d'une manœuvre de sa part ou de sa négligence, il peut saisir le président de la chambre de l'instruction, alors même que l'ordonnance de mise en accusation est devenue définitive et au plus tard trois mois avant la date de sa comparution devant la cour d'assises, d'une requête contestant les éventuelles irrégularités de la procédure d'information ». Il faut ainsi s'attendre dans les mois à venir à une réécriture du dernier alinéa de l'article 179 du code de procédure pénale. Toutefois, la réécriture de l'article 385 ne pourra se faire à l'identique de celle opérée en matière criminelle car les situations sont différentes. En effet, le nouvel article 269-1 traite, comme le faisait déjà avant lui l'article 385, le cas de l'accusé non informé. Il n'envisage en revanche pas l'hypothèse du vice que l'accusé ne pouvait connaître au moment de sa mise en accusation, cas ayant conduit le Conseil à censurer le système correctionnel de purge des nullités. Pour corriger l'inconstitutionnalité déclarée en matière correctionnelle, la solution pourrait consister dans l'ajout d'une phrase à l'article 385 alinéa 3 ainsi rédigée : « Elles disposent de la même possibilité si elles n'ont pu avoir connaissance de l'irrégularité éventuelle d'un acte ou d'un élément de la procédure que postérieurement à la clôture de l'instruction dès lors que cette défaillance ne procède pas d'une manœuvre de leur part ou de leur négligence ».

Si peu à peu, le Conseil vient donc corriger les excès du mécanisme de la purge des nullités, du chemin reste encore à parcourir (v. en ce sens, A. Botton, « Dégradé(s) de droit à un recours juridictionnel effectif », Rev. sc. crim. 2023, p. 839). La comparaison des deux décisions rendues à quelques mois d'intervalle au sujet de la purge des nullités en matière criminelle puis en matière correctionnelle met en effet en exergue un nouveau manque des dispositions en matière criminelle. On peut dès lors s'attendre à ce que la déclaration d'inconstitutionnalité rendue par le Conseil le 28 septembre 2023 ne soit pas la dernière en matière de purge des nullités car l'inconstitutionnalité relevée à propos de l'article 179 pourrait tout aussi bien se présenter en matière criminelle et le nouvel article 269-1 n'y apporte pas de réponse. Si la force de la QPC lui permet d'aller au-delà des initiatives bienvenues de la chambre criminelle qui juge périodiquement inefficace la purge des nullités à propos de moyens ignorés par la partie concernée (Cass. crim., 6 mai 2009, n° 08-88.467, D. 2009, 1699 ; AJ pénal 2009, 455 ; 3 mars 1998, n° 97-84.553 ; 17 sept. 1996, n° 96-82.232 ; 21 juin 1995, n° 95-81.173), il faut bien admettre que les corrections n'interviennent que pas à pas, au gré des questions.

D. Jugement (E. B.)

19 - Cours criminelles départementales. Cons. const., déc. n° 2023-1069/1070 QPC du 24 novembre 2023.

Par deux décisions rendues le 20 septembre 2023, la chambre criminelle de la Cour de cassation renvoyait au Conseil constitutionnel des questions prioritaires de constitutionnalité portant sur la conformité à la Constitution des dispositions nouvelles du code de procédure pénale relatives aux cours criminelles départementales (Cass. crim., 20 sept. 2023, n° 23-84.320 et 23-90.010). Alors que ces cours sans jurés, compétentes pour le jugement des crimes punis de quinze ans ou vingt ans de réclusion criminelle lorsque la personne accusée est majeure et que les faits n'ont pas été commis en état de récidive légale, n'étaient pas encore entrées en phase opérationnelle sur l'ensemble du territoire national (C. pr. pén., art. 380-16 et s. – sur l'application expérimentale de la cour criminelle, loi n° 2019-222 du 23 mars 2019, art. 63 et s.), leurs règles de fonctionnement faisaient donc déjà l'objet de contestations juridiques s'agissant d'une part de leur composition et d'autre part des modalités de vote en leur sein.

D'une part, au sujet de leur composition, les requérants prétendaient que la présence d'un jury pour juger les crimes constitue un principe fondamental reconnu par les lois de la République, de sorte que confier à des cours sans jurés le jugement de crimes violerait ce principe. Par une décision rendue le 24 novembre 2023, le Conseil constitutionnel refuse de procéder à la reconnaissance d'un tel principe fondamental reconnu par les lois de la République. Il énonce qu'une tradition républicaine ne saurait être utilement invoquée pour soutenir qu'un texte législatif qui la contredit serait contraire à la Constitution qu'autant qu'elle aurait donné naissance à un principe fondamental reconnu par les lois de la République au sens du premier alinéa du Préambule de la Constitution de 1946. Si dans leur très grande majorité, les textes pris en matière de procédure pénale dans la législation républicaine intervenue avant l'entrée en vigueur de la Constitution de 1946 comportent des dispositions prévoyant que le jugement des crimes relève de la compétence d'une juridiction composée de magistrats et d'un jury, il observe que le principe de l'intervention du jury en matière criminelle a été écarté à certaines périodes. Le raisonnement est on ne peut plus classique. Si depuis la décision du 16 juillet 1971 (Cons. const., déc. n° 71-44 DC du 16 juill. 1971, Liberté d'association), les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République consacrés au fil de sa jurisprudence par le Conseil constitutionnel sont érigés en normes de référence du contrôle de constitutionnalité, leur édiction suppose, de façon constante, la réunion de trois critères. Il faut, d'abord, que le principe énonce une règle suffisamment importante, ait un degré suffisant de généralité et intéresse des domaines essentiels pour la vie de la Nation, comme les droits et libertés fondamentaux, la souveraineté nationale ou l'organisation des pouvoirs publics. Il faut, ensuite, que le principe trouve un ancrage textuel dans une ou plusieurs lois adoptées sous un régime républicain antérieur à 1946. Il faut, enfin, qu'il n'ait jamais été dérogé à ce principe par une loi républicaine antérieure à l'entrée en vigueur de la Constitution de 1946. L'absence d'un seul de ces critères conduit à renier l'existence d'un principe. Au sujet du jury comme composante des juridictions criminelles, le dernier critère a eu raison de la consécration d'un nouveau principe. Le Conseil relève en effet que la présence du jury a été écartée par trois lois au cours de la période pour certains crimes (lois des 24 février 1875, 9 mars 1928 et 13 janvier 1938). Il en déduit que le principe invoqué ne saurait être regardé comme répondant à l'ensemble des critères requis pour la reconnaissance d'un principe fondamental reconnu par les lois de la République. Il conclut ainsi à la conformité des cours dans leur composition. La présence d'un jury au sein des juridictions criminelles n'est pas et ne pourra jamais être un principe fondamental reconnu par les lois de la République (C.-É. Sénac, « Y a-t-il encore place pour la découverte de nouveaux principes fondamentaux reconnus par les lois de la République ? », Titre VII, n° 8, avril 2022). Il a vocation à demeurer un simple principe en matière de crimes comme cela avait pu être dit par le Conseil lui-même à l'occasion du contrôle a priori de la loi relative à la lutte contre le terrorisme et aux atteintes à la sûreté de l'État (Cons. const., déc. n° 86-213 DC du 3 sept. 1986, cons. 10). Les cours criminelles départementales ne font en effet pas, en matière criminelle, figure d'unique dérogation. On rappellera que pour le jugement des infractions en matière militaire commises en temps de paix ainsi que, par renvoi, pour le jugement des crimes de terrorisme (C. pr. pén., art. 706-25), l'article 698-6 du code de procédure pénale prévoit déjà que la cour d'assises est composée d'un président et, lorsqu'elle statue en premier ressort, de quatre assesseurs, ou lorsqu'elle statue en appel, de six assesseurs (M. Pereira, « Juger le terrorisme, avec ou sans jury », Rev. sc. crim.  2017, p. 215 et s.).

D'autre part, au sujet des règles relatives au scrutin, les requérants invoquaient une non-conformité à l'aune du principe d'égalité devant la loi en observant que l'adoption des décisions défavorables à l'accusé en cour d'assises suppose une majorité qualifiée (C. pr. pén., art. 359) alors qu'une majorité simple suffit pour l'adoption d'une décision similaire par les cours criminelles départementales. C'est en effet une des différences entre les procédures devant les cours criminelles départementales et celle en vigueur devant les cours d'assises, le principe étant par ailleurs celui d'une transposition des règles prévues pour les cours d'assises au titre Ier du livre II du code aux cours criminelles départementales (C. pr. pén., art. 698-6). Pour les cours d'assises, l'article 359 du code de procédure pénale prévoit que toute décision défavorable à l'accusé se forme à la majorité de sept voix au moins sur les neuf membres (six jurés et trois magistrats) qui composent la cour d'assises du premier degré et à la majorité de huit voix au moins sur douze (neuf jurés et trois magistrats) lorsque la cour d'assises statue en appel. En revanche, pour les cours criminelles départementales, l'article 380-19, 4 ° dispose que les décisions des cours criminelles départementales sont prises à la majorité, entendons par là à trois voix pour la condamnation sur les cinq voix des magistrats qui composent cette formation. Après avoir rappelé cette disparité des règles, le Conseil écarte le grief tenant à la violation du principe d'égalité. Il retient d'une part que les personnes jugées devant une cour criminelle départementale sont, eu égard à la nature des faits qui leur sont reprochés et aux circonstances exigées pour leur renvoi devant cette juridiction, dans une situation différente de celle des personnes jugées devant une cour d'assises. D'autre part, il relève que si les accusés ne sont pas soumis aux mêmes règles de majorité selon qu'ils comparaissent devant une cour d'assises ou devant une cour criminelle départementale, cette différence de traitement est justifiée par une différence de situation tenant à la composition respective de ces deux juridictions. Là encore, le raisonnement suivi est cohérent par rapport aux critères classiques d'analyse de la conformité d'une règle au principe d'égalité. Les arguments avancés à l'appui de la décision sont plus contestables en raison de leur fragilité. Est-il en effet exact de dire que les personnes jugées devant une cour criminelle départementale sont, eu égard à la nature des faits qui leur sont reprochés et aux circonstances exigées pour leur renvoi devant cette juridiction, dans une situation différente de celle des personnes jugées devant une cour d'assises ? Les faits sont, eu égard aux classifications des pénalistes, de même nature, à savoir de nature criminelle et non de nature correctionnelle ou contraventionnelle. Seules les peines encourues divergent. Peut-on raisonnablement considérer que la nature de ces faits est différente dès lors que des faits commis pour les uns par un non-récidiviste relèvent de la cour criminelle départementale alors que des faits strictement identiques commis par un récidiviste seraient, eux, passibles de la cour d'assises ? La différence ici tient moins à la nature des faits qu'à la personne renvoyée devant la juridiction. La différence de nature est à ce point inexistante d'ailleurs qu'en cas d'appel de la décision du premier degré, qu'elle ait été rendue par une cour d'assises ou par une cour criminelle départementale, une même juridiction est compétente : la cour d'assises du second degré. Il ne semble pas davantage raisonnable de justifier la différence de modalités de vote par une différence des « nbsp ;circonstances exigées pour le renvoi » puisque là encore, les circonstances sont identiques : l'exigence de charges suffisantes à l'encontre d'une personne mise en examen d'avoir commis une infraction criminelle.

On aurait aimé des arguments plus convaincants pour asseoir cette solution, d'autant plus que le Conseil n'avait jamais eu réellement l'occasion de statuer à ce sujet. En effet, pour les cours d'assises spéciales, la décision qu'il a rendue le 3 septembre 1986 demeure très implicite au sujet des modalités de vote, même si la chambre criminelle de la Cour de cassation a pu assez récemment se fonder sur elle pour refuser de transmettre une QPC qui soutenait que l'article 698-6, selon lequel l'accusé d'un acte de terrorisme, à la différence d'un accusé d'un crime de droit commun, se voit refuser le droit que les réponses défavorables données aux questions soient acquises à une majorité qualifiée, portait atteinte aux droits et libertés, spécialement aux articles 6 et 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen qui garantissent respectivement l'égalité devant la loi et le respect de la présomption d'innocence (Cass. crim., 19 mai 2010, n° 09-82.582). Le Conseil constitutionnel, interrogé sur la conformité des règles dérogatoires relatives à la procédure devant ces cours d'assises spéciales, s'est en effet borné, de façon fort générale, à relever l'absence de méconnaissance du principe d'égalité devant la justice au motif que « la différence de traitement établie par l'article 706-25 nouveau du code de procédure pénale entre les auteurs des infractions visées par l'article 706-16 nouveau selon que ces infractions sont ou non en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l'ordre public par l'intimidation ou la terreur tend, selon l'intention du législateur, à déjouer l'effet des pressions ou des menaces pouvant altérer la sérénité de la juridiction de jugement ; que cette différence de traitement ne procède donc pas d'une discrimination injustifiée » avant de conclure, plus globalement que « par sa composition, la cour d'assises instituée par l'article 698-6 du code de procédure pénale présente les garanties requises d'indépendance et d'impartialité » et que « devant cette juridiction les droits de la défense sont sauvegardés ». Il ne statue donc pas véritablement sur la question des modalités de vote. La question, il est vrai, ne lui avait pas été posée explicitement. Une explication plus nourrie n'aurait donc pas été superflue à propos des modalités de vote devant les cours criminelles départementales. Elle aurait permis de s'interroger sur les raisons qui sous-tendent la présence d'une majorité qualifiée en cour d'assises qui, à notre sens, peuvent être de deux ordres. D'une part, peut être avancé l'argument de la sévérité de la peine prononcée qui justifierait qu'une majorité simple ne suffise pas à la condamnation. Cette raison n'est pourtant pas celle généralement avancée. Il faut en effet et d'autre part, replacer la question dans son contexte historique et se souvenir que l'instauration de la règle de la majorité qualifiée répond à la volonté de venir compenser « l'influence des magistrats (réelle : brutale baisse des acquittements depuis 1941) » (P. Conte et P. Maistre Du Chambon, Procédure pénale, A. Colin, coll. U, 3ème éd., 2001, n° 100).

En arrière-plan de la question de la conformité des modalités de vote au principe d'égalité devant la loi, se pose ainsi davantage la question de la sévérité des peines qui pourront être prononcées par ces cours criminelles départementales en comparaison de celles qu'auraient pu prononcer, avant leur création, les cours d'assises. La pratique dira si ces nouvelles modalités de vote vont conduire à une gravité accrue des peines ! Une analyse à moyen terme des décisions rendues sera utile pour le mesurer. Un autre indicateur sera l'analyse des durées de périodes de sûreté prononcées, les magistrats composant les cours criminelles départementales étant assurément plus au fait des règles techniques régissant la période de sûreté et sans doute plus enclins à prolonger les délibérations sur la peine que ne le sont les présidents de la cour d'assises avec des jurés moins aptes à manier ces règles quand bien même depuis quelques années, à la suite d'une décision du Conseil constitutionnel, l'article 362 du code de procédure pénale a été modifié pour faire obligation au président de la cour d'assises, de les informer des conséquences de la peine prononcée sur la période de sûreté selon les dispositions de l'article 132-23 du code pénal et de la possibilité de la moduler (Cons. const., n° 2019-770 QPC du 29 mars 2019 : Dr. pénal 2019, n° 99, obs. V. Peltier).

III. PEINE (E. B.)

20 - Double degré de juridiction pour l'examen d'une demande de relèvement d'une interdiction, d'une déchéance, d'une incapacité ou d'une mesure de publicité. Cons. const., déc. n° 2023-1057 QPC du 7 juillet 2023.

Le principe d'égalité devant la justice n'est pas seulement mobilisé au titre des questions prioritaires de constitutionnalité soulevées au sujet de la phase de jugement. Il l'est désormais souvent s'agissant de la phase de l'application des peines. Assez récemment, il l'a par exemple été s'agissant de la procédure de confusion de peine (Cons. const., déc. n° 2021-925 QPC du 21 juillet 2021 : Dr. pén. 2021, com. 153, V. Peltier ; JCP G. n° 38, 20 septembre 2021, 953, note V. Peltier ; Titre VII 2022, n° 8, p. 89, note V. Peltier). Il l'a encore été au cours de la période analysée afin de procéder à un examen de la conformité des règles de compétence en matière de relèvement de peine. En l'espèce, une personne condamnée à une peine d'interdiction du territoire français, avait présenté devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris une requête en relèvement de cette peine, conformément aux règles procédurales énoncées par le code de procédure pénale à l'article 702-1. À l'occasion d'un pourvoi en cassation formé contre cet arrêt, elle souleva une question prioritaire de constitutionnalité estimant que les dispositions des articles 702-1, alinéa 1er et 703, alinéa 4 du code de procédure pénale dans sa rédaction résultant de la loi du 4 janvier 1993 ne permettent pas au condamné de bénéficier d'un second degré de juridiction pour l'examen de la demande de relèvement de la peine complémentaire d'interdiction du territoire français lorsque cette peine a été prononcée par une cour d'assises ou par une juridiction correctionnelle d'appel ou en cas de pluralité de condamnations. Il est vrai que si ce double degré de juridiction est garanti dans le cas où la peine a été prononcée par un tribunal correctionnel car la juridiction compétente pour connaître de la requête en relèvement est cette même juridiction, de sorte qu'il sera toujours possible d'interjeter appel de la décision, tel n'est pas le cas dans nombre d'autres hypothèses. Tout d'abord, lorsque la juridiction ayant prononcé la peine est une cour d'assises – du premier ou du second degré –, la requête ne pouvant être portée devant cette juridiction en raison de son caractère non permanent, le législateur a prévu une juridiction de remplacement en désignant, à l'article 702-1 du code la chambre de l'instruction comme juridiction compétente. La décision rendue par cette juridiction n'est dès lors pas susceptible d'appel, seule la voie du pourvoi en cassation étant offerte au requérant insatisfait. Ensuite, et de façon similaire, lorsque la peine a été prononcée en appel par la chambre des appels correctionnels, la requête en relèvement est portée à la connaissance de cette même chambre en tant que dernière juridiction à avoir statué, si bien que là encore, aucun appel n'est possible contre la décision statuant sur le relèvement. Enfin, en cas de pluralité de condamnations, c'est aussi la dernière juridiction qui a statué qui est compétente pour connaître des requêtes, si bien qu'après une première décision rendue par un tribunal correctionnel, une autre peine prononcée, dans une autre procédure, par une cour d'assises, privera la personne du second degré de juridiction puisque la requête en relèvement sera portée à la connaissance de la chambre de l'instruction. Par un arrêt rendu le 11 mai 2023, la Cour de cassation jugeait cette question sérieuse et en ordonnait la transmission au Conseil car ces différences de traitement peuvent, du point de vue de l'accès aux voies de recours, ne pas être pleinement justifiées par la différence des situations (Cass. crim., 11 mai 2023, n° 22-83.579 : Dr. pénal 2023, comm. 132, note E. Bonis). Pour étayer sa décision, la Cour de cassation exposait les différences de situations selon la nature et le degré de la dernière juridiction ayant statué en soulignant que cette règle est définie sans que soient prises en considération « la nature et la gravité de l'ensemble des infractions ayant donné lieu à ces condamnations ». Elle ajoutait même une hypothèse : celle d'une personne condamnée pour au moins un crime et un délit qui pourra, ou non, bénéficier du double degré de juridiction selon que le délit aura été jugé par la cour d'assises, au titre de la connexité, ou, postérieurement, par un tribunal correctionnel.

Ainsi saisi, le Conseil constitutionnel considéra que le fait de prévoir, selon les cas, un examen par une juridiction du premier degré – avec possibilité d'appel de la décision – ou par une juridiction du second degré – sans possibilité d'appel – constitue une distinction, qui n'est ni fondée sur la nature criminelle ou correctionnelle de la peine, ni en lien avec l'objet des dispositions contestées, qui est de permettre à une personne condamnée de demander le relèvement d'une mesure d'interdiction, de déchéance, d'incapacité ou de publicité prononcée à son encontre (Cons. const., déc. n° 2023-1057 QPC du 7 juillet 2023 : Dr. pénal 2023, comm. 169, note E. Bonis). On retrouve dans le considérant n° 10, à l'identique, un motif déjà présent dans la décision rendue au sujet du régime de la confusion de peine (Cons. const., déc. n° 2021-925 QPC du 21 juillet 2021 (paragr. 8) : Dr. pén. 2021, comm. 153, V. Peltier). Comme le lui permet l'article 62 de la Constitution, il reportait au 31 mars 2024 la date de l'abrogation des dispositions contestées, une abrogation immédiate étant de nature à entraîner des conséquences manifestement excessives pour les justiciables ainsi privés de la possibilité de demander le relèvement d'une mesure d'interdiction, de déchéance, d'interdiction ou de publicité. Sans attendre la date butoir, le législateur a réécrit les règles par la loi du 20 novembre 2023. À compter du 1er mars 2024, la procédure applicable sera modifiée avec attribution de compétence au seul tribunal correctionnel (celui ayant prononcé la condamnation ou la dernière condamnation visée par la requête, celui se trouvant au siège de la juridiction ayant prononcé la condamnation ou celui du lieu de détention du condamné), quelle que soit la juridiction de jugement ayant prononcé la ou les condamnations concernées (C. pr. pén., art. 702-1 et 703 modifiés par L. du 20 nov. 2023).

Au gré de ces décisions, le Conseil constitutionnel veille ainsi, par le prisme du principe d'égalité devant la loi, au respect du double degré de juridiction quand bien même ce dernier principe n'a pas valeur constitutionnelle (Cons. const., déc. n° 2013-338/339 QPC du 13 sept. 2013 : JurisData n° 2013-019677 ; JCP 2013, 1114, note M. Amilhat).

(1): P. Conte, « Ceci n'est pas une violation de domicile – et réciproquement » - Le droit pénal lu à la lumière des leçons de René Magritte et de Pierre Dac,Dr. pénal 2023, étude 19 ; H. Matsopoulou, « Loi anti-squat : la protection pénale de la propriété immobilière contre les occupations illicites » - Commentaire des dispositions pénales de la loi n° 2023-668 du 27 juillet 2023 visant à protéger les logements contre l'occupation illicite, Dr. pénal 2023, étude 18

Citer cet article

Virginie PELTIER ; Evelyne BONIS. « Chronique de droit pénal et procédure pénale (juillet 2023 à décembre 2023) », Titre VII [en ligne], n° 12, L'enseignement, avril 2024. URL complète : https://www.conseil-constitutionnel.fr/publications/titre-vii/chronique-de-droit-penal-et-procedure-penale-juillet-2023-a-decembre-2023