Le premier semestre de l'année 2019 a été marqué par l'adoption de la loi n°2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, laquelle intéresse particulièrement la procédure pénale et le droit de la peine. Soumise au Conseil constitutionnel dans le cadre d'un contrôle a priori de ses dispositions, cette loi a, pour une large part, été déclarée conforme à la Constitution en ce qui concerne les textes qui relèvent du droit de la peine et en partie censurée pour son volet de pure procédure pénale. Cette décision du 21 mars 2019 ayant déjà donné lieu à de multiples développements en doctrine, le choix a été fait de ne pas en commenter dans cette chronique l'apport et de nous focaliser uniquement sur l'abondante jurisprudence du Conseil au cours de cette période en réponse à des questions prioritaires de constitutionnalité transmises par la chambre criminelle de la Cour de cassation ou le Conseil d'Etat. Nous prions ainsi les lecteurs de bien vouloir se reporter aux écrits déjà parus à propos de la décision n°2018-778 DC du 21 mars 2019 (V. à ce sujet : E. Vergès, Réforme de la procédure pénale : une loi fleuve, pour une justice au gré des courants - A propos de la loi n°2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la Justice : Dr. pénal 2019, étude 12. - J. Leblois-Happe, La réforme de l'enquête par la loi de programmation 2018-2022 revue par le Conseil constitutionnel - Une simplification inégale et partielle : AJ pénal 2019, p. 180 - A. Botton, Contrôle de la loi de programmation Justice : le Conseil constitutionnel entre « Moustiques et chameaux » de procédure pénale : JCP éd. G, p. 359 - J. Buisson, Aspects essentiels de procédure pénale relatifs à la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice : Procédures 2019, étude n°6. - A.-S. Chavent-Leclère, Loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice du 23 mars 2019 : principales dispositions relatives au jugement et au droit de la peine : Procédures 2019, étude n°20. - J.-B. Perrier, Les (r)évolutions de la procédure pénale. A propos de la loi du 23 mars 2019 de programmation et de réforme pour la justice : D. 2019, p. 1061. - J. Pradel, Notre procédure pénale à la recherche d'une efficacité à toute vapeur - Loi n°2019-222 du 23 mars 2019 : JCP éd. G 2019, doctr. 406).

I. PROCEDURE PÉNALE

A. Les poursuites

Cons. const. 24 mai 2019, n°2019-785 QPC - Point de départ du délai de prescription de l'action publique en matière d'infraction continue (E. B.)

« Les mots « à compter du jour où le crime a été commis » figurant au premier alinéa de l'article 7 du code de procédure pénale, dans sa rédaction résultant de la loi n°2006-399 du 4 avril 2006 renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple ou commises contre les mineurs, sont conformes à la Constitution ». Voilà, in extenso, la réponse du Conseil constitutionnel à la question prioritaire de constitutionnalité qui lui fut transmise le 28 février 2019 par Conseil d'Etat (CE, 28 fév. 2019, déc. n°424993).

Le contexte procédural qui l'a motivée est relatif à une demande d'extradition adressée par l'Argentine à la France et dirigée contre une personne en raison de poursuites engagées contre elle pour des faits qualifiés en droit argentin d'imposition de tortures, privation illégale de liberté aggravée et crimes contre l'humanité commis en 1976, et ayant acquis plus récemment la nationalité française. Par un décret du 21 août 2018, le Premier ministre a accordé aux autorités argentines l'extradition de l'intéressé. Ce dernier a demandé l'annulation pour excès de pouvoir de ce décret devant le Conseil d'État. À l'appui de ce recours, il a formulé une QPC portant sur l'article 7 et le 5 ° de l'article 696-4 du code de procédure pénale « en tant que ces dispositions, telles qu'interprétées par la jurisprudence, conduisent à l'imprescriptibilité de l'action publique concernant les infractions continues dont la partie poursuivie a échoué à démontrer qu'elle n'a pas été commise ou qu'elle a pris fin ».

Par une décision du 28 février 2019, le Conseil d'État, après avoir considéré que, eu égard à la portée respective des articles 7 et 696-4 du code de procédure pénale, les moyens soulevés à l'appui de la QPC ne sont opérants qu'à l'endroit du premier de ces deux textes, l'a renvoyée au Conseil constitutionnel. Plus précisément, le requérant, mettait en doute la conformité de l'article 7 du Code de procédure pénale, énonçant les règles relatives au délai de prescription de l'action publique en matière criminelle. En raison de la jurisprudence constante de la Cour de cassation, pour ces infractions, le point de départ du délai n'est pas le jour de commission de l'infraction comme le prévoit expressément le texte mais le jour où elles ont pris fin dans leurs actes constitutifs et dans leurs effets. Or, selon le requérant, cette mise en œuvre des règes contreviendrait à pas moins de six principes : un principe fondamental reconnu par les lois de la République imposant au législateur de prévoir un délai de prescription de l'action publique pour les infractions dont la nature n'est pas d'être imprescriptible, le principe d'égalité devant la loi en ce que cet article instituerait une différence de traitement entre les règles de prescription applicables aux infractions instantanées et celles applicables aux infractions continues, aux exigences de nécessité et de proportionnalité des peines, au principe de la présomption d'innocence, aux droits de la défense et enfin au principe de sécurité juridique.

Dans la mesure où le requérant arguait d'un principe fondamental reconnu par les lois de la République qui voudrait que toute infraction soit prescriptible, encore fallait-il, en premier lieu, déterminer si un tel principe existe bien dans notre droit, donc s'interroger, tout d'abord, sur son existence avant de procéder, dans en second lieu, à un potentiel contrôle de conformité de l'article à ce principe. C'est sur ce point que l'attention se portera pour l'essentiel car, avant cette affaire, le Conseil n'avait jamais eu à connaitre d'une potentielle exigence constitutionnelle spécifique relative à la prescription de l'action publique en matière pénale. Tout au plus, s'était-il prononcé, en matière disciplinaire, pour affirmer qu'aucune loi de la République antérieure à la Constitution de 1946 n'a fixé de principe selon lequel les poursuites disciplinaires sont nécessairement soumises à une règle de prescription (Cons. const., déc. n° 2011-199 QPC du 25 novembre 2011 ; Cons. const. déc. n° 2018-738 QPC du 11 octobre 2018 à propos de poursuites disciplines contre les avocats). C'est donc avec intérêt que l'on constatera avec cet arrêt rendu en matière pénale, que le Conseil vient également nier l'existence d'un principe fondamental. Au moyen d'une argumentation développée, il relève en effet que si, dans la législation républicaine intervenue avant l'entrée en vigueur de la Constitution de 1946, la très grande majorité des textes comportent des dispositions relatives à la prescription de l'action publique en matière criminelle, il n'en a pas toujours été ainsi. Spécialement, le Conseil constitutionnel fait mention de deux lois des 9 mars 1928, portant révision du code de justice militaire pour l'armée de terre et 13 janvier 1938 portant révision du code de justice miliaire pour l'armée de mer, qui prévoyaient l'imprescriptibilité des infractions. Dès lors, il concluait fort logiquement, une fois encore, à l'inexistence d'un principe fondamental reconnu par les lois de la République de prescription de l'action publique (cons. n°6).

Cependant et en ce sens la décision est plus novatrice, le Conseil constitutionnel n'en reste pas là. En se fondant sur deux autres textes à savoir les articles 8 de la Déclaration des droits de l'homme - dont il résulte un principe de nécessité des peines - et 16 relatif à la garantie des droits, il énonce « un principe selon lequel, en matière pénale, il appartient au législateur, afin de tenir compte des conséquences attachées à l'écoulement du temps, de fixer des règles relatives à la prescription de l'action publique qui ne soient pas manifestement inadaptées à la nature ou à la gravité des infractions » (cons. n°7). Il vient ainsi, de manière inédite, énoncer un nouveau fondement à partir duquel un contrôle de conformité à la Constitution des règles relatives à la prescription peut s'exercer. Avant de s'intéresser à l'application de cette nouvelle exigence, il faut donc déduire de cette décision que rien n'interdit donc au législateur d'édicter une règle d'imprescriptibilité d'une infraction dès lors que cette règle se trouve justifiée soit par la nature de l'infraction soit par la gravité de l'infraction. On remarquera toutefois que, par extension, cette autorisation semble aussi valoir pour des règles, non pas d'origine législative, mais nées de la jurisprudence. La règle qui veut qu'en matière d'infractions criminelles continues le point de départ du délai de prescription soit fixé, non pas au jour de commission des infractions mais, « au jour où elles ont pris fin dans leurs actes constitutifs ou dans leurs effets » comme le rappelle le Conseil, résulte en effet de la jurisprudence constante de la Cour de cassation (Cass. crim., 16 oct. 1979 : pourvoi n°79-90762 pour une infraction d'association de malfaiteur - Cass. crim. 4 mars 1997 : pourvoi n°96-84773, Bull. crim. n°83, Procédures 1997, comm. 188, obs. J. Buisson pour l'infraction de conservation d'un enregistrement de paroles prononcées à titre privé ou confidentiel et la conservation de données informatisées des articles 226-2 et 226-9 du code pénal - Cass. crim., 10 déc. 1985, pourvoi n°84-92105, Bull. crim. n°395 et 20 mai 1992, pourvoi n°90-87350, Bull. crim. n°202 pour le délit de construction sans permis réprimé par les articles L. 421-1 et L. 480-4 du code de l'urbanisme - Cass. crim. 16 juill. 1964, pourvoi n°63-91919, Bull. crim. n°241 et 28 mars 1996, pourvoi n°95-80395, Bull. crim. n°142 pour l'infraction de recel de choses - Cass. crim., 13 déc. 2017 : pourvoi n°17-83330, JCP G 2018, 177, note J. - Y. Maréchal, JCP G 2018, act. 46, obs. J. - M. Brigant, pour le délit de recel de cadavre). Cette jurisprudence qui reporte ainsi le point de départ du délai de prescription de l'action publique, laquelle d'ailleurs n'a pas pour unique champ d'application les infractions de nature criminelle comme dans le cas d'espèce mais, bien plus souvent en pratique, des infraction de nature délictuelle, concerne d'une part les infractions continues successives à savoir celles, comme le recel de chose, qui ont pour conséquence de durer dans leur constitution, à chaque instant l'agent ayant la volonté de commettre l'acte constitutif de l'infraction et d'en atteindre le résultat et d'autre part, les infractions qualifiées parfois en doctrine d'infractions continues permanentes dont les actes constitutifs ont pu s'étaler dans le temps ou se réaliser en un court laps de temps mais qui présentent la particularité de voir leurs effets durer par la force des choses (sur cette dichotomie entre infractions continues successives et permanentes, v. Merle et Vitu, Traité de droit criminel, Problèmes généraux de la science criminelle, Droit pénal général, 7ème éd., Cujas, 1997, n°264).

Une fois cette exigence de proportionnalité énoncée, le Conseil procède audit contrôle de conformité par référence à la nature des infractions. De manière fort rapide, il retient qu'en prévoyant que les crimes continus ne peuvent commencer à se prescrire tant que les infractions se commettent, les dispositions contestées fixent des règles qui ne sont pas manifestement inadaptées à la nature de ces infractions.

Le Conseil constitutionnel vient ainsi donner une assise constitutionnelle à une règle pour laquelle la Cour de cassation n'avait jusque alors retenu qu'une valeur légale. Considérant que la prescription de l'action publique ne revêt pas le caractère d'un principe fondamental reconnu par les lois de la République ni d'aucune autre disposition, règle ou principe de valeur constitutionnelle, elle avait refusé de renvoyer au Conseil des questions prioritaires portant sur la conformité des textes du code de procédure pénale aux articles 7 et 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen (Cass. ass. plén., 20 mai 2011, (4 arrêts) n°11-90.042, 11-90.025, 11-90.032 et 11-90.033 n°11-90.032 : Rev. sc. crim. 2011, p. 611, obs. H. Matsopoulou, p. 656, obs. J. Danet ; Dr. pénal 2011, comm. 95, note J.-H. Robert). Cette jurisprudence se trouve désormais démentie puisque la prescription peut poser question eu égard aux articles 8 et 6 de la Déclaration des droits de l'homme.

Le Conseil constitutionnel ouvre surtout la perspective de multiples autres occasions de contrôle car l'exigence constitutionnelle de proportionnalité ainsi posée est générale. Elle a donc vocation à s'appliquer à toutes règles relatives à la prescription de l'action publique et à toute infraction quelle que soit la nature (contraventions, délits ou crimes) ou la gravité. Il est donc envisageable que demain d'autres questions prioritaires soient transmises au Conseil portant par exemple sur les règles également dégagées par la jurisprudence de la Cour de cassation relatives, non plus aux infractions continues mais par exemple aux infractions s'exécutant sous forme d'actes réitérés ou de remises successives comme l'usage de faux (Cass. crim. 30 janv. 2002 : pourvoi n°00-86605), la prise illégale d'intérêts (Cass. crim., 4 oct. 2000, n°99-85404, Bull. crim. n°287, D. 2001, p. 1654, note M. Segonds - Cass. crim. 10 avril 2002, pourvoi n°01-84286, Bull. crim. n°84, D. 2003, p. 246, note M. Segonds - Cass. crim., 29 juin 2005 : pourvoi n°04-87294, Bull. crim. n°198), la corruption (Cass. crim., 27 oct. 1997, pourvoi n°96-83698, Bull. crim. n°352 - Cass. crim. 6 mai 2009, pourvoi n°08-84107), l'abus de faiblesse (Cass. crim. 27 mai 2004, pourvoi n°03-82738, Bull. crim. n°141 - Cass. crim. 5 oct. 2004, pourvoi n°02-86522, Bull. crim °233) ou l'escroquerie (Cass. crim. 26 sept. 1995, pourvoi n°94-84008, Bull. crim. n°288) pour lesquelles la Cour de cassation retient que le point de départ du délai est le jour du dernier acte car l'infraction se renouvelle à chacun.

Cons. const. 15 fév. 2019, no 2018-765 QPC - Accès à l'intégralité du rapport d'expertise pénale et droit des parties non assistés par un avocat (E. B.)

Peu à peu, au fil des décisions, le Conseil vient abroger toutes les dispositions du code de procédure pénale qui instituaient une différence de traitement entre les parties assistées d'un avocat et les autres au nom du principe d'égalité devant la justice, consacré à l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 et de l'article 16 de cette même déclaration, relatif à la garantie des droits. Ses décisions en matière de communication de pièces de procédure aux parties sont déjà foisonnantes tout comme les déclarations de non-conformité à la Constitution des textes n'instaurant un droit de communication qu'au bénéfice des seuls avocats des parties (V. en ce sens, C. cons. déc. n° 2011-160 QPC du 9 septembre 2011, relative à la seconde phrase du deuxième alinéa de l'article 175 du CPP, qui prévoyait que la copie des réquisitions définitives du procureur de la République n'était adressée qu'aux avocats des parties, de sorte que les parties non assistées ne pouvaient en disposer - dans le même sens, V. déc. n° 2012-284 QPC du 23 novembre 2012, à propos de l'alinéa 1er de l'article 161-1 du CPP - V. encore, déc. n° 2016-566 QPC du 16 septembre 2016 à propos des al. 3 et 4 de l'article 197 du CPP). La décision rendue le 15 février 2019 est en ce sens, qui déclare contraires à la Constitution les mots « avocats des » figurant à la deuxième phrase du deuxième alinéa de l'article 167 du code de procédure pénale relatif à la possibilité de demander au juge d'instruction la notification par lettre recommandée de l'intégralité du rapport d'expertise afin que puisse être appréciée l'opportunité, pendant le délai imparti, de présenter des observations ou de formuler des demandes.

Afin de garantir l'effectivité du choix des parties qui ont la liberté d'être assistées d'un avocat ou de se défendre seules, le Conseil juge que la différence dans l'accès à ce rapport entre les parties assistées d'un avocat qui peuvent y prétendre car le texte prévoit que l'intégralité du rapport peut être notifié aux avocats des parties par lettre recommandée s'ils en font la demande au juge et celles qui ne seraient pas assistées d'un avocat qui seraient privées de ce droit et ne recevraient qu'une communication des conclusions du rapport (CPP, art. 167, al. 1 er) est contraire au principe d'égalité dès lors qu'elle ne se trouve pas limitée aux cas où elle serait justifiée par la protection du respect de la vie privée, la sauvegarde de l'ordre public ou l'objectif de recherche des auteurs d'infractions.

Le Conseil constitutionnel vient ici pousser plus loin l'alignement du sort des personnes assistées ou non d'un avocat puisqu'il exige cette égalité de traitement dans une autre direction à savoir l'information des parties quant aux termes mêmes au rapport d'expertise en matière pénale et plus seulement aux conclusions de l'expert. L'égalité entre les parties assistées ou non d'un avocat était déjà organisée par le texte pour ce qui est d'une part, de la communication orale des conclusions des rapports d'expertise faite par le juge d'instruction lorsqu'il les convoque devant lui (CPP, art. 167, al. 1er) et d'autre part, de la possibilité pour toutes les parties d'obtenir notification, par lettre recommandée, de ces conclusions (CPP, art. 167, al.2). Restait donc à envisager la différence de traitement dans l'accès, non plus aux conclusions du rapport, mais au rapport lui-même ce que fait le Conseil, dans la décision du 15 février 2019 mais au moyen d'une analyse qui n'emporte pas pleinement la conviction.

On remarquera en effet que le Conseil était saisi de la conformité des deux premiers alinéas de l'article 167, ce qui est d'ailleurs rappelé au considérant n° 1 de la décision, lesquels comportent, l'un et l'autre, une disposition relative à l'accès au rapport dans son intégralité. L'alinéa 1 er prévoit en effet la possibilité d'obtenir une remise de la copie de l'intégralité du rapport, à leur demande, aux avocats des parties - aux avocat seulement, nous tenons à le souligner et non aux parties directement -, au moment de la convocation devant le juge d'instruction des parties et de leurs avocats. L'alinéa 2 quant à lui, prévoit une autre modalité de transmission de l'intégralité du rapport mais là encore aux seuls avocats des parties puisqu'ils peuvent en demander notification par lettre recommandée au juge d'instruction.

Or, le Conseil réduit, sans davantage s'en expliquer, la question aux mots « avocat des » figurant à la seule deuxième phrase du deuxième alinéa de l'article 167 du code de procédure pénale et donc à la seule question de la notification par lettre recommandée de l'intégralité du rapport. Avec cette décision du 15 février 2019, la boucle n'était donc manifestement pas bouclée et l'équilibre de droits des parties qu'imparfaitement assuré. Toutes ces règles d'accès aux rapports d'expertise ne faisaient pas l'objet d'un parfait alignement selon que la partie est ou non assistée d'un avocat, la remise d'une copie du rapport lors de la convocation demeurant un droit réservé aux seuls avocats des parties.

On ne peut dès lors que se réjouir du correctif apporté par le législateur depuis cette décision dont l'entrée en vigueur avait été différée. En effet, le 15 février 2019, le Conseil reportait au 1er septembre 2019 la date de l'abrogation considérant qu'une abrogation immédiate des dispositions contestées aurait pour effet d'accorder aux parties sans avocat le droit d'obtenir la notification de l'intégralité des rapports d'expertise, y compris lorsque cette communication est susceptible de porter atteinte à la protection du respect de la vie privée, à la sauvegarde de l'ordre public ou à l'objectif de recherche des auteurs d'infractions (cons. n°12). Il invitait donc le législateur à assurer la conciliation de ces intérêts comme le souhaitait également la chambre criminelle de la Cour de cassation qui, dans la décision de renvoi de la question prioritaire de constitutionnalité, jugeait la question sérieuse dès lors qu'en l'état du texte, les parties qui ont fait le choix de se défendre elles-mêmes ne peuvent bénéficier de la remise d'une copie de cette pièce, sans que le juge puisse apprécier, par une décision motivée et susceptible de recours, que ladite remise serait de nature à porter atteinte aux principes de la protection de l'intimité de la vie privée et de la sauvegarde de l'ordre public ou à l'objectif de recherche des auteurs d'infraction (Cass. crim., 11 déc. 2018, pourvoi n° 18-90024, non publié au Bull. crim).

C'est désormais chose faite avec la loi n°2019-222 du 23 mars 2019 qui est venue récrire non seulement, l'alinéa 2 de l'article mais aussi l'alinéa 1 er, allant ainsi au-delà de la stricte lettre de la décision du Conseil et parachevant le travail d'alignement du sort des personnes assistées ou non d'un avocat au regard des règles d'accès à l'expertise pénale. L'alinéa 1er dispose désormais : « Une copie de l'intégralité du rapport est alors remise, à leur demande, aux avocats des parties ou aux parties si celles-ci ne sont pas assistées par un avocat ». L'alinéa 2 quant à lui prévoit : « L'intégralité du rapport peut aussi être notifiée par lettre recommandée, à leur demande, aux avocats des parties ou aux parties si celles-ci ne sont pas assistées par un avocat ». Les parties qui se verraient opposer un refus à cette communication ne seraient pas démunies puisque l'article 167, alinéa 4 dispose que lorsqu'il rejette une demande, le juge d'instruction rend une décision motivée qui doit intervenir dans un délai d'un mois à compter de la réception de la demande, décision susceptible d'appel devant la chambre de l'instruction. Ces nouvelles dispositions sont entrées en vigueur le 25 mars 2019.

Cons. const., 15 fév. 2019, n° 2018-764 QPC - Droit de communication aux agents des douanes des données de connexion. Sur le sujet : Dr. pén. 2019, comm. 71, obs. J.-H. Robert ; JCP G 2019, doctr. 787, n° 19, obs. B. Mathieu et A-L Cassard-Valembois. (V. P)

Dans cette décision, le Conseil constitutionnel était saisi de la conformité du i du 1 ° de l'article 65 du code des douanes, modifié par la loi n° 2016-1918 du 29 décembre 2016 de finances rectificative pour 2016, selon lequel les agents des douanes ayant au moins le grade de contrôleur pouvaient exiger la communication des papiers et documents de toute nature relatifs aux opérations intéressant leur service, quel qu'en soit le support, chez les opérateurs de télécommunications et les prestataires mentionnés aux 1 et 2 du I de l'article 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique, pour les données conservées et traitées par ces derniers, dans le cadre de l'article L. 34-1 du code des postes et télécommunications. En d'autres termes, il conférait à certains agents des douanes un droit de communication qui leur permettait d'enjoindre aux opérateurs de télécommunications, fournisseurs d'accès et hébergeurs, de leur transmettre, notamment, les données de connexion, par exception aux dispositions de l'article L. 34-1 du code des postes et des communications électroniques qui fait obligation aux opérateurs de communications électroniques, et notamment aux personnes dont l'activité est d'offrir un accès à des services de communication au public en ligne, d'effacer ou de rendre anonyme toute donnée relative au trafic. Plus précisément, il s'agit ici des données qui permettent, soit d'identifier un appel ou une connexion (numéro de l'appelant ou du destinataire, jour, heure et durée de l'appel ou de la connexion, par exemple) ou les personnes utilisatrices des services fournis par les opérateurs, soit de localiser les équipements terminaux.

Les prévenus, poursuivis des chefs de travail dissimulé et blanchiment en bande organisée, s'interrogeaient, par le biais d'une question prioritaire de constitutionnalité, sur la conformité de cette situation aux droits et libertés que la Constitution garantit et, plus précisément, au droit au respect de la vie privée, protégé par l'article 2 de la déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789, dans la mesure où ils considéraient que le législateur n'avait pas apporté de garanties suffisantes pour que soit respecté ce droit au regard de l'article 34 de la Constitution. Le renvoi fut opéré par la chambre criminelle de la Cour de cassation le 5 décembre 2018 (Cass. crim., 5 déc. 2018, n° 18-90028 : Dr. pén. 2019, comm. 35, obs. J.-H. Robert).

La réponse du conseil s'opère en deux temps. En premier lieu, il se voit contraint d'examiner la recevabilité de la question puisque, dans une décision précédente du 27 janvier 2012 (Cons. const., 27 janv. 2012, n° 2011-214 QPC), il avait validé ces mêmes dispositions, examinées, certes sur des fondements différents - les articles 66 de la Constitution (respect de la liberté individuelle) et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen (respect des droits de la défense) - sans toutefois déceler d'atteintes à aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit. Cependant, dans la mesure où, dans une décision portant sur des dispositions identiques (Cons. const., 5 août 2015, n° 2015-715 DC), il s'était prononcé, à l'inverse, pour leur non-conformité, abrogeant le 2 ° de l'article 216 de la future loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques, le conseil y voit un changement de circonstances propice à un réexamen du texte. Cela confirme qu'un revirement de jurisprudence constitutionnelle constitue, par conséquent, après appréciation de l'autorité qui y procède, un motif de réexamen entraînant la recevabilité de la question (Voir encore Cons. const., Cons. const., 17 mai 2019, n° 2019-783 QPC ; voir infra).

Le reste de la décision se révèle, en second lieu, des plus classiques puisque le conseil ne fait ici que réitérer une solution déjà rendue en 2015, mais également dans deux autres affaires (Cons. const., 21 juill. 2017, n° 2017-646/647 QPC relatif à l'article L. 621-10 du code monétaire et financier, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2013-672 du 26 juillet 2013 de séparation et de régulation des activités bancaires ; Cons. const., 8 sept. 2017, n° 2017-752 DC, à propos de l'article 9 de la future loi pour la confiance dans la vie politique). Il s'agit pour le conseil de procéder à une balance des intérêts en présence entre, d'une part, le droit au respect de la vie privée et, d'autre part, la prévention des atteintes à l'ordre public et la prévention des infractions. Il est vrai que les informations susceptibles d'être collectées par le biais des données dites de trafic ou de connexion sont d'une redoutable précision. Identifier les lieu, heure, durée des communications d'une personne déterminée, constater qu'elle appelle souvent le même numéro, aux mêmes heures de la journée, savoir à quels sites elle se connecte, localiser et identifier les appareils utilisés, sont des pratiques susceptibles d'en dire long sur ses habitudes, même si le contenu même de ses communications - téléphoniques ou électroniques - n'est pas contrôlé. C'est la raison pour laquelle le conseil, qui rattache le respect du droit à la vie privée aux articles 2 (proclamation des droits imprescriptibles de l'homme, dont la liberté) et 4 (liberté) de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, estime que le droit de communication des agents des douances porte atteinte à la vie privée de ceux qui en font l'objet. Mais cette atteinte se justifie-t-elle ?

Il est alors ici question de s'interroger sur la légitimité de l'atteinte, eu égard aux objectifs poursuivis par la loi : protection de l'ordre public et recherche des infractions. C'est uniquement l'existence de garanties suffisantes qui permet de justifier l'atteinte à l'intimité des requérants. De ce fait, le conseil étudie les moyens de préservation à disposition, relevant, comme dans ses précédentes décisions, que les agents sont soumis au secret professionnel et qu'en cas de refus, ils ne disposent pas de l'exécution forcée (Cons. const., 5 août 2015, préc. ; Cons. const., 21 juill. 2017, préc.). Mais, à l'image de ce qui avait déjà été précédemment jugé, l'absence d'autres garanties rend le droit de communication contraire à la Constitution car cette carence rend disproportionnée l'atteinte au nécessaire respect de la vie privée de chacun, fût-ce l'auteur d'une infraction.

Le conseil, certes tenu de statuer sur la question qui lui était transmise, rend malgré tout une décision doublement inutile. Inutile, tout d'abord, du point de vue de l'ordonnancement juridique car l'article 65 1 ° i du code des douanes a déjà été abrogé par la loi n° 2018-898 du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude (pour un autre décision dans laquelle le conseil statue - et abroge - une disposition déjà abrogée : Cons. const., 16 nov. 2018, n° 2018-744 QPC, relative à la garde à vue des mineurs). Il a d'ailleurs été remplacé par un article 65 quiquies qui institue pléthore de garanties : tout d'abord, la mise en œuvre du droit de communication doit être préalablement autorisée par le procureur de la République, qui peut la donner par tous moyens. Elle doit être mentionnée ou versée au dossier de la procédure. Ensuite, la communication des données doit faire l'objet d'un procès-verbal de constat, lui aussi versé au dossier dont une copie est transmise au procureur qui a autorisé la mise en œuvre du droit de communication ainsi qu'aux opérateurs et prestataires concernés, au plus tard dans les cinq jours suivant son établissement. Enfin, les données communiquées sont détruites à l'extinction de l'action pour l'application des sanctions fiscales.

Inutile, ensuite, d'un point de vue procédural, car, même si les requérants ont obtenu gain de cause, la solution n'a pas vocation à remettre en question les procédures prises avant la décision car les conséquences en seraient manifestement excessives par rapport aux objectifs de sauvegarde de l'ordre public et de recherche des infractions. En clair, toute mesure prise sur le fondement de l'article 65 du code des douanes (dans sa version contestée et abrogée) ne peut être attaquée sur le fondement de la déclaration d'inconstitutionnalité du 15 février 2019.

Personne ne gagne donc avec cette décision, sauf le conseil qui « actualise » sa jurisprudence pour rendre une solution en cohérence avec ses décisions précédentes, se plaçant par là-même en conformité avec le droit européen. En effet, tout d'abord, dans deux arrêts, la Cour de justice de l'Union européenne a développé une série d'exigences pour qu'une règlementation nationale prévoyant la communication et le stockage de données de trafic et de localisation soit conforme ; en particulier que le recueil des données n'ait lieu qu'à l'occasion d'investigations portant sur des infractions « graves » et qu'il ne s'effectue pas de façon généralisée et indifférenciée (CJUE, Tele2 Sverige AB, 21 déc. 2016, C-203/15 : F. Gazin, Protection des données personnelles : Europe 2017, comm. 48 ; C. Grossholz, L'avenir incertain d'un instrument de lutte contre le terrorisme : l'exploitation des données de connexion : JCP A 2017, 2177 ; CJUE, 2 oct. 2018, Ministerio Fiscal, aff. n° C-207/16). Ensuite, la Cour européenne des droits de l'homme, quoiqu'elle elle n'a pas eu directement à connaître du droit de communication des données de connexion, reconnaît aux Etats une marge d'appréciation dans le choix des moyens pour satisfaire l'objectif de défense de la sécurité nationale, même si elle vérifie l'existence de garanties contre les abus : nature, portée et durée des mesures éventuelles, raisons requises pour les ordonner, autorités compétentes pour les permettre, les exécuter et les contrôler, et type de recours fourni par le droit interne (CEDH, 4 déc. 2015, Roman Zakharov c. Russie, n° 47143/06 et la jurisprudence citée, en matière de surveillance secrète des communications). Le conseil confirme donc qu'il entend se placer dans la lignée des jurisprudences européennes, en procédant à une balance des intérêts entre respect dû à la vie privée et protection de l'ordre public.

Cons. const., 8 fév. 2019, n° 2018-762 QPC - Régime de l'audition libre des mineurs. Dr. famille, comm. 90, obs. P. Bonfils. (V. P)

A l'origine de cette décision, le conseil d'un mineur entendu dans le cadre d'une audition libre souleva une question prioritaire de constitutionnalité pour remettre en question la conformité de l'article 61-1 du code de procédure pénale, dans sa rédaction issue de la loi n° 2014-535 du 27 mai 2014, organisant cette procédure, arguant de l'instauration, par le texte, d'une discrimination injustifiée entre, d'une part, un mineur auditionné librement et, d'autre part, un mineur auditionné en garde à vue (en application de l'article 4 de l'ordonnance du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante), en n'assurant pas aux mineurs des garanties égales, notamment quant au respect du principe des droits de la défense. Il incombait par conséquent au Conseil constitutionnel, après renvoi de la question par la chambre criminelle (Cass. crim., 27 nov. 2018, n° 18-90026), de dire si le texte portait effectivement atteinte au principe d'égalité garanti par l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

Pour conclure à la non-conformité totale du texte, le conseil va procéder en deux temps.

Tout d'abord, il commence par rappeler l'objectif poursuivi par le droit pénal des mineurs, exprimé par l'ordonnance du 2 février 1945, à savoir « rechercher le relèvement éducatif et moral des enfants délinquants par des mesures adaptées à leur âge et à leur personnalité, prononcées par une juridiction spécialisée ou selon des procédures appropriées ». Cet objectif constitue ainsi un principe fondamental reconnus par les lois de la République, depuis une décision du 29 août 2002 (Cons. const., 29 août 2002, n° 2002-461 DC). Néanmoins, même si la loi pénale recherche la rééducation du mineur par préférence à sa sanction, toute idée de coercition n'est pas à exclure, même si des garanties spécifiques doivent entourer la mise en œuvre des mesures dont il peut faire l'objet. Or, précisément, en l'espèce, la question déplorait que le régime de l'audition libre n'instaure aucune garantie spécifique lorsque celle-ci est applicable aux mineurs de treize ans et plus. En effet, lors de création par la loi n° 2014- du 27 mai 2014, cette mesure - qui permet à une personne, à l'égard de laquelle il existe des raisons plausibles de soupçonner qu'elle a commis ou tenté de commettre une infraction, de se présenter librement devant les enquêteurs, sans devoir être placée en garde à vue - n'établit qu'une liste générale de garanties applicables indifféremment aux majeurs comme aux mineurs (L'audition libre, De la pratique à la réforme, dir. J-B Perrier, LGDJ, 2017). Ainsi, toute personne doit être informée de la qualification, de la date et du lieu présumés de l'infraction qu'elle est soupçonnée d'avoir commise ou tenté de commettre, de son droit de quitter à tout moment les locaux où elle est entendue, le cas échéant, de son droit d'être assistée par un interprète, de faire des déclarations, de répondre aux questions qui lui sont posées ou de se taire, de bénéficier de conseils juridiques au sein de structures d'accès au droit ou, dans certains cas précisés par l'article 61-1, de son droit d'être assisté par un avocat. Mais rien n'est ensuite spécialement prévu pour les mineurs, l'ordonnance du 2 février 1945 n'apportant aucune précision en ce sens.

En résumé, si le régime de l'audition libre se rapproche de celui de la garde à vue s'agissant des garanties offertes à celui qui en fait l'objet (l'existence d'une contrainte mise à part), ils se séparent nettement lorsque les deux ont vocation à s'appliquer à un mineur. De fait, l'article 4 de l'ordonnance de 1945 entoure le placement en garde à vue du mineur de treize ans et plus de garanties protectrices de sa personne comme de l'intégrité de ses déclarations : information des parents, du tuteur, de la personne ou du service auquel est confié le mineur, assistance d'un avocat (choisi par le mineur ou ses représentants légaux ou commis d'office) et, pour le mineur de seize ans, désignation d'un médecin, les représentants légaux ou l'avocat ayant également la possibilité de demander un examen médical. Enfin, les interrogatoires menés pendant la garde à vue font l'objet d'un enregistrement audiovisuel. Rien de tel pour l'audition libre : c'est d'ailleurs le motif relevé par la Cour de cassation pour conclure au caractère sérieux de la question posée et renvoyer au conseil ( Cass. crim., 27 nov. 2018, préc.).

C'est donc fort logiquement, ensuite, que ce dernier invalide l'article 61-1 du code de procédure pénale, sans toutefois étayer son argumentation - ce que l'on peut déplorer - puisqu'il se contente d'indiquer que le régime de l'audition libre ne suffit pas « à assurer que le mineur consente de façon éclairée à l'audition libre ni à éviter qu'il opère des choix contraires à ses intérêts ». En d'autres termes, le législateur aurait dû entourer l'audition libre du mineur de garanties supplémentaires ; en leur absence, le texte contrevient au principe fondamental reconnus par les lois de la République en matière de justice des mineurs. Le conseil prononce donc son abrogation, mais en reporte les effets au 1er janvier 2020 pour éviter de désorganiser les procédures : en effet, la disparition immédiate du texte aurait eu pour effet de supprimer les garanties qu'il prévoit.

Mais les justiciables n'ont pas eu longtemps à attendre puisque la loi de programmation et de réforme pour la justice a réécrit l'article 61-1 du code de procédure pénale (L. n° 2019-222, 23 mars 2019, art. 55 : le texte fait réserve des « garanties spécifiques applicables aux mineurs ») et introduit un article 3-1 dans l'ordonnance du 2 février 1945 afin de tenir compte de la décision constitutionnelle (L. n° 2019-222, 23 mars 2019, art. 94). Toutefois, le résultat peut laisser dubitatif sur certains points. Si l'information des représentants légaux, du tuteur ou de la personne ou du service auquel le mineur est confié est prévue, l'examen par un médecin est passé sous silence (et l'article 61-1 réécrit n'en fait pas non plus mention, au titre des garanties de droit commun). De même, l'assistance par un avocat se révèle, en réalité, facultative puisque si les représentants légaux (et autres responsables précités) n'ont pas demandé la désignation d'un avocat, le procureur de la République, le juge des enfants, le juge d'instruction ou l'officier ou l'agent de police judiciaire doit informer par tout moyen et sans délai le bâtonnier afin qu'il en commette un d'office, « sauf si le magistrat compétent estime que l'assistance d'un avocat n'apparaît pas proportionnée au regard des circonstances de l'espèce, de la gravité de l'infraction, de la complexité de l'affaire et des mesures susceptibles d'être adoptées en rapport avec celle-ci ». Or, comme cela pu être relevé, le « magistrat », terme générique, peut donc être un membre du parquet, partie poursuivante, qui décidera ou non du bien-fondé de la présence de l'avocat sur le fondement d'un critère - la proportionnalité - auquel on peut tout faire dire en fonction du but recherché (En ce sens, P. Bonfils, Synthèse J.-Cl., Mineur délinquant, n° 56 ; P. Bonfils, Droit pénal des mineurs et de la famille : Dr. famille 2019, dossier 17). Il n'est pas sûr que le garde-fou inséré à la fin du texte (« l'intérêt supérieur de l'enfant demeure toujours une considération primordiale ») soit suffisant pour assurer la conformité lors d'une prochaine question prioritaire de constitutionnalité.

B. Jugement

Cons. const. 31 janv. 2019, n°2018-758/759/760 QPC- Placement sous contrôle judiciaire dans le cadre de la procédure de convocation par procès-verbal et droit à un recours juridictionnel effectif. (E. B.)

Face à des mesures privatives ou restrictives de liberté, un prévenu doit avoir des moyens de faire vérifier la régularité de la décision prise à son encontre. Toutefois, ce droit ne va pas jusqu'à exiger du législateur qu'il prévoit, de façon systématique, à son profit la possibilité de faire appel d'une décision judiciaire restrictive ou privative de liberté. C'est ce que rappelle le Conseil constitutionnel le 31 janvier 2019 à propos de la décision par laquelle le juge des libertés et de la détention peut, à la demande du procureur de la République, ordonner le placement d'un prévenu renvoyé devant un tribunal correctionnel selon la procédure de comparution par procès-verbal, sous contrôle judiciaire ou assignation à résidence sous surveillance électronique jusqu'à sa comparution devant le tribunal.

L'article 394 du code de procédure pénale, qui énonce les conditions et la procédure d'adoption de cette ordonnance de placement, ne prévoit en effet pas expressément la possibilité pour le prévenu de faire appel de cette décision. C'est ce que contestait le requérant qui faisait grief à cette disposition telle qu'interprétée par la Cour de cassation de méconnaitre tant le droit à un recours juridictionnel effectif tel que consacré à partir de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, faute de prévoir la possibilité pour le prévenu de faire appel de la décision de placement d'une part, et le principe d'égalité devant la justice d'autre part, le ministère public pouvant lui faire appel de la décision de refus de placement. Le Conseil refuse de faire droit à ces deux arguments. S'agissant du droit à un recours juridictionnel effectif, il souligne que si effectivement la personne convoquée par procès-verbal ne peut pas faire appel de la décision de placement, elle dispose d'autres moyens de procédure lui permettant de contester la décision. En ce sens, la solution rejoint celle retenue par la chambre criminelle de la Cour de cassation qui, de manière en tout point comparable, juge qu'en l'absence d'appel, le prévenu peut toujours saisir le tribunal correctionnel d'une demande de mainlevée ou de modification des mesures imposées au titre du contrôle judiciaire sur le fondement des articles 141-1 et 148-2 du code de procédure pénale de telle sorte qu'il n'est pas privé de recours (Cass. crim., 12 avr. 2016 : pourvoi n°16-80738). S'agissant de l'équilibre des droits entre le prévenu et le ministère public qui lui dispose de la possibilité d'interjeter appel de la décision qui refuserait de faire droit à ses réquisitions de placement, le Conseil tente de mettre en balance les moyens d'action des deux parties. Il relève ainsi que « à la différence du prévenu, le ministère public ne peut saisir le tribunal correctionnel lorsque le juge des libertés et de la détention n'a pas fait droit à sa demande » (cons. n°12). Il déduit de ces éléments que la différence de traitement contestée ne procède pas de discriminations injustifiées ce qui le conduit plus globalement à déclarer l'article conforme à la Constitution.

Si ce raisonnement est cohérent, les arguments avancés pour mettre en balance les prérogatives des parties demeurent assez peu convaincants. Le Conseil constitutionnel semble implicitement rejeter l'argument de l'inégalité en relevant que les deux parties ont un moyen de recours : le prévenu ne peut certes pas faire appel de la décision de placement mais il peut demander au tribunal correctionnel la mainlevée ou la modification de la décision de placement. Le ministère public quant à lui, « ne peut saisir le tribunal correctionnel lorsque le JLD n'a pas fait droit à sa demande » mais peut faire appel de la décision de refus. Mais, quel intérêt aurait-il à saisir le tribunal correctionnel pour obtenir ce que la voie de l'appel devant la chambre de l'instruction lui permet en vertu de son droit d'appel général des décisions prises au stade de l'instruction (V. en ce sens, le motif des arrêts ayant renvoyé la QPC devant le Conseil constitutionnel en raison de son caractère sérieux : Cass. crim., 24 oct. 2018 (4 arrêts), pourvois n°18-84727 (2 arrêts), 18-84726 et 18-84730) ? Le prévenu en revanche, aurait intérêt à pouvoir faire appel de la décision afin d'éviter purement et simplement le placement au lieu d'avoir à le subir avant de pouvoir en demander la mainlevée.

Cons. const. 29 mars 2019, n°2019-770 QPC-- Période de sureté et bonne information des jurés devant la cour d'assises. (E. B.)

Depuis quelques mois, la période de sûreté donne lieu à un abondant contentieux. On se souvient, qu'interrogé sur la conformité de l'article 132-23 du code pénal à la Constitution, le Conseil constitutionnel, par une décision du 26 octobre 2018, avait déclaré l'article conforme à la Constitution (Cons. const., 26 oct. 2018, n° 2018-742 QPC : JurisData n° 2018-019137 ; Dr. pén. 2018, comm. 219, note V. Peltier). Le Conseil fondait son raisonnement sur la nature de la période de sûreté qui est, non pas une peine s'ajoutant à la peine mais une modalité d'exécution de la peine présentant un lien étroit avec la peine. Il résultait ainsi implicitement de la décision que l'individualisation de la peine permet en quelque sorte ipso facto d'opérer une individualisation de la période de sûreté puisque d'une part, l'existence de la période de sûreté dépend de la durée de la peine prononcée et d'autre part, la durée de la période de sûreté est également fonction de la durée de la peine puisque, par principe et sauf décision particulière des juges, elle est égale à la moitié de la durée de la peine. Saisie cette fois d'une question portant, non plus sur l'article 132-23 du code pénal, mais sur l'article 362 du code de procédure pénale, la chambre criminelle de la Cour de cassation s'engageait en quelque sorte dans la « brèche » ouverte par le Conseil constitutionnel en inversant quelque peu la perspective (Cass. crim., 9 janv. 2019, n° 1890.030 : JurisData n° 2019-000076 ; Dr. pén. 2019, comm. 57, obs. E. Bonis). Puisque la période de sûreté est dépendante du choix de la peine, elle invitait le Conseil à se demander s'il ne fallait pas, pour bien choisir la peine et donc la période de sûreté, que les jurés soient informés de l'existence d'une période de sûreté de plein droit, bref des dispositions de l'article 132-23 du code pénal. Or, si l'article 362 du code de procédure pénale dresse une liste étoffée au fil des réformes des articles dont le président de la cour d'assises doit donner lecture aux jurés en cas de réponse affirmative sur la culpabilité, ne figure pas dans celle-ci, l'article 132-23 du code pénal relatif à la période de sûreté de plein droit. L'argument est retenu par le Conseil constitutionnel eu égard à la composition de la cour d'assises. En effet, la cour étant composée majoritairement de jurés qui ne sont pas des magistrats professionnels et qui, partant ne connaissent pas les règles relatives à la période de sûreté de plein droit, et donc les effets qui sont attachés au prononcé de la peine, il y a lieu de garantir leur information. Aussi, le Conseil conclut à la non-conformité de la première phrase du premier alinéa de l'article 362 aux exigences constitutionnelles (v. au sujet de cette déc., Dr. pén. 2019, comm. 99, note V. Peltier). Il invite ainsi le législateur à venir compléter cette phrase pour y ajouter la mention de l'article 132-23 du code pénal obligeant ainsi le président de la cour d'assises à donner également lecture de ce texte aux jurés comme il leur donne lecture des articles relatifs à l'individualisation de la peine et aux fonctions de la peine des articles 130-1, 132-1 et 132-18 du code pénal. Pour permettre de remédier à cette inconstitutionnalité tout en maintenant l'information existante, le Conseil n'opéra pas une abrogation immédiate du texte. Il reporte les effets de sa décision au 31 mars 2020.

Cons. const., 5 avril 2019, n° 2019-773 QPC - Frais irrépétibles devant les juridictions pénales II. Dr. pén. 2019, comm. 115, obs. M. Haas et A. Maron. (V. P)

Selon l'article 800-2, alinéa 1er du code de procédure pénale, « à la demande de l'intéressé, toute juridiction prononçant un non-lieu, une relaxe, un acquittement ou toute décision autre qu'une condamnation ou une déclaration d'irresponsabilité pénale peut accorder à la personne poursuivie pénalement ou civilement responsable une indemnité qu'elle détermine au titre des frais non payés par l'État et exposés par celle-ci ». Cette version résultait d'une modification législative, apportée au texte par la loi n° 2012-1509 du 22 décembre 2012 afin de tenir compte d'une décision de censure constitutionnelle. De fait, par une décision du 21 octobre 2011, le Conseil constitutionnel avait déjà abrogé le texte car il ne réservait qu'à la personne poursuivie mais finalement acquittée, relaxée ou ayant fait l'objet d'un non-lieu la possibilité de demander une indemnité au titre des frais exposés pour sa défense, lorsque les poursuites avaient été engagées par la partie civile (Cons. const., 21 oct. 2011, n° 2011-190 QPC). En clair, toutes les autres personnes appelées à l'instance pénale se trouvaient privées de cette faculté, alors même qu'elles avaient engagé des frais pour s'y présenter. En 2012, le législateur avait remis l'ouvrage sur le métier pour aboutir à la version précitée, qui faisait donc l'objet d'une nouvelle question prioritaire de constitutionnalité.

En l'espèce, un salarié était poursuivi devant le tribunal correctionnel pour abus de confiance. La victime de l'infraction avait fait comparaître, par citation directe, son employeur, les sociétés Uber B. V et Uber France SAS. En même temps qu'elles développaient des conclusions tendant à leur mise hors de cause, celles-ci posaient une question par laquelle elles faisaient grief au texte de porter atteinte au droit à une procédure juste et équitable garantissant l'équilibre des droits des parties, fondé sur les articles 6 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. En effet, si celui-ci autorisait le tribunal à octroyer à la personne civilement responsable (ce qu'étaient les sociétés en tant qu'employeur du prévenu) le remboursement des frais irrépétibles en cas de relaxe, d'acquittement ou de non-lieu de leur salarié, il ne permettait pas une telle restitution en cas de condamnation, faisant expressément mention, au titre de ses conditions d'application, du prononcé d'un non-lieu, d'une relaxe, d'un acquittement ou de toute décision autre qu'une condamnation ou une déclaration d'irresponsabilité pénale.

Tout comme la Cour de cassation qui avait estimé la question sérieuse, ce qui avait justifié son renvoi (Cass. crim., 15 janv. 2019, n° 18-90.031 qui, en réalité, n'a soumis à l'examen du conseil que l'alinéa 1 er de l'article 800-2, excluant de sa saisine les articles 470 et 472 du code de procédure pénale eux aussi visés par la question, le premier n'étant pas, pour elle, applicable à la procédure et le second ne portant pas atteinte à l'équilibre des droits des parties), le conseil va être sensible à l'argument et obliger le législateur à revoir une nouvelle fois sa copie, en invalidant totalement l'article 800-2 du code de procédure pénale. Ce faisant, le conseil entend faire respecter le principe d'égalité et d'équilibre des droits des parties. Si en 2011, il censurait l'article 800-2 du code de procédure pénale car celui-ci traitait différemment le civilement responsable et les autres parties au procès pénal, il l'invalide de nouveau aujourd'hui car sa version modifiée traite différemment la même personne (le civilement responsable) en faisant dépendre son droit à indemnisation du sort d'un tiers (le prévenu) : remboursement des frais en cas d'absence de condamnation, absence de remboursement dans le cas contraire. On sort ici du cadre du principe d'égalité selon lequel le législateur peut traiter différemment des situations différentes, tant que ces différences ne procèdent pas de distinctions injustifiées et que soient assurées aux justiciables des garanties égales (Cons. const., 27 janv. 2012, n° 2011-213 QPC).

Il ne restait plus au conseil qu'à régler les effets dans le temps de son abrogation. Dans la mesure où une abrogation immédiate aurait eu des conséquences manifestement excessives puisque personnes poursuivies et personnes civilement responsables auraient été privées du droit de se voir accorder le remboursement des frais irrépétibles, le conseil reporte au 31 mars 2020 la disparition du texte. Toutefois, pour ne pas laisser les secondes dans une situation contraire à l'équilibre des droits des parties, il procède par réserve d'interprétation : l'alinéa 1er de l'article 800-2 du code de procédure pénale doit être interprété comme permettant à une juridiction pénale prononçant une condamnation ou une décision de renvoi devant une juridiction de jugement de prononcer le remboursement des frais à la personne civilement responsable, même en cas de condamnation du prévenu, lorsqu'elle a été mise hors de cause.

II. PEINES / DÉTENTION

Cons. const., 17 mai 2019, n° 2019-783 QPC - Cumul de poursuites et de sanctions en cas de dépassement du plafond de dépenses par un candidat à l'élection présidentielle. (V. P)

Un ancien président de la République, qui s'était représenté à l'élection en 2012 et avait atteint le second tour, se vit notifier le rejet de ses comptes de campagnes par la Commission nationale des comptes de campagnes et des financements politiques (CNCCFP) pour avoir dépassé le plafond des dépenses autorisé. Il fut donc sommé de verser au Trésor public une somme équivalente au montant du dépassement, en application de l'article 3 de la loi n° 62-1292 du 6 novembre 1962 relative à l'élection du Président de la République au suffrage universel ( résultant de la loi organique du 28 février 2012), décision confirmée par le Conseil constitutionnel après recours de l'infortuné candidat. Puis, après ouverture d'une instruction pour faux, usage de faux, abus de confiance et tentative d'escroquerie, étendue, par un réquisitoire supplétif, au chef de financement illégal de campagne électorale, sur le fondement de l'article L. 113-1 du code électoral l'homme politique fut renvoyé devant le tribunal correctionnel et déposa une question prioritaire de constitutionnalité portant à la fois sur l'article 3 de la loi de 1962 et sur l'article L. 113-1 I 3 ° du code électoral dans laquelle il arguait que ces textes contrevenaient au principe non bis in idem, aux exigences de nécessité et de proportionnalité des peines, en qu'ils permettraient des poursuites et des sanctions pénales à l'égard de candidats à l'élection présidentielle ayant déjà été sanctionnés financièrement pour des faits identiques de dépassement du plafond des dépenses électorales par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques et, en cas de recours, par le Conseil constitutionnel. La chambre criminelle transmit la question au conseil y voyant effectivement une atteinte potentielle aux principes garantis par l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen (Cass. crim., 19 fév. 2019, n° 18-86428).

Le Conseil constitutionnel se retrouva par conséquent dans la position pour le moins inconfortable d'examiner la situation de l'un de ses membres actuels - puisque les anciens présidents de la République en sont membres de droit - afin d'examiner la régularité d'une situation à laquelle il avait pris part puisqu'il avait validé la décision de la CNCCFP et ses conséquences pécuniaires... Mais il faut croire qu'il n'en pas moins été impartial.

Pour conclure à la conformité des dispositions attaquées, il procède en deux temps, étudiant d'abord la recevabilité de la question puis le fond.

En premier lieu, il conclut à la recevabilité en dépit du fait qu'il avait, dans une précédente décision, déjà examiné le premier alinéa et la première phrase du sixième alinéa du paragraphe II de l'article 3 de la loi du 6 novembre 1962 pour les déclarer conformes à la Constitution (Cons. const., 5 avr. 2006, n° 2006-536 DC). Toutefois, il voit un changement de circonstances dans ses décisions du 24 juin 2016 au motif qu'il y a jugé, que, « dans certaines hypothèses, le principe de nécessité des délits et des peines pouvait faire obstacle à des cumuls de poursuites » (Cons. const., 24 juin 2016, n° 2016-545 QPC ; n° 2016-546 QPC : Dr. pén. 2016, comm. 135 ; Nouveaux cahiers 2016, n° 53, p. 132). On remarquera tout d'abord que le conseil confirme, là encore, qu'un revirement de sa « jurisprudence » constitue un changement de circonstances autorisant un nouvel examen des dispositions contestées, ce qui lui permet de faire évoluer ses solutions aussi librement qu'il le souhaite. Ensuite, le motif employé dans l'espèce laisse le lecteur dubitatif dans la mesure où, en juin 2016, le conseil a plutôt jugé le contraire de ce qui est affirmé en 2019. En effet, en 2016, il a conclu à la validité du cumul de sanctions institué par les articles 1729 et 1741 du code général des impôts, en considérant que « la combinaison des exigences constitutionnelles découlant de l'article 8 de la Déclaration de 1789 et de celles découlant de son article 13 permet que (...) les contribuables auteurs des manquements les plus graves (sic) puissent faire l'objet de procédures complémentaires et de sanctions proportionnées en application de l'article 1729 et des dispositions contestées de l'article 1741 ». N'aurait-il pas été plus pertinent d'invoquer la décision du 18 mars 2015 dans laquelle il a mis en place les critères de prohibition des cumuls, inspirés de la jurisprudence européenne, notamment l'affaire Grande Stevens et autres c. Italie du 4 mars 2014 (Cons. const., 18 mars 2015, n° 2014-453/454 QPC et 2015-462 QPC : Dr. pén. 2015, comm. 79, JCP G 2015, 368, obs. F. Sudre et 369, obs. J.-H. Robert) ?

D'ailleurs, en second lieu, ce sont ces critères que le conseil va utiliser pour vérifier si la situation invoquée par l'ancien président contrevenait aux principes de nécessité et de proportionnalité des peines, à savoir une identité de faits, d'intérêts protégés et de nature de sanctions (le critère de l'identité d'ordre de juridictions ayant été abandonné dans les décisions du 24 juin 2016). Si la question de savoir si les faits reprochés à l'ancien président sur le fondement de la loi du 6 novembre 1962 et de l'article L. 113-1 I 3 ° du code électoral n'a guère posé de difficultés, les deux autres critères, d'après le conseil, ne sont pas remplis par la dualité de textes. Tout d'abord, il estime que les intérêts protégés sont différents, la loi de 1962 visant à préserver « le bon déroulement de l'élection du Président de la République et, en particulier, l'égalité entre les candidats au cours de la campagne électorale » tandis que l'article L. 113-1, qui institue une répression pénale, entend « sanctionner les éventuels manquements à la probité des candidats et des élus ». Si l'argument peut s'entendre, il n'est pas non plus des plus solides car, définir la valeur sociale protégée par un texte est une entreprise complexe en l'absence de règles précises (V. O. Décima, L'identité des faits en matière pénale, nouvelle Biblio. thèses, vol. 74, Dalloz).

Mais là ou le bât blesse encore davantage, c'est lors de l'évaluation de la nature des sanctions. Procéder par une « pesée » des sanctions en présence pour évaluer leur nature n'est guère pertinent car, même en admettant que l'on puisse déterminer, par ce procédé hasardeux, si les blocs de sanctions fulminées par les dispositions en concurrence sont ou non de gravité équivalente, on voit mal comment une telle équivalence peut conduire à considérer qu'elles sont de nature identique... Pour preuve, le 14 janvier 2016, le conseil a conclu à la différence de nature de l'amende prononcée par l'autorité des marchés financiers (AMF), d'une part, et de l'amende pénale, de l'emprisonnement et de la dissolution d'une personne morale, d'autre part, alors que dans sa décision du 18 mars 2015, il avait jugé ... exactement le contraire : il avait changé d'avis parce qu'en 2016, le quantum de l'amende susceptible d'être prononcée par l'AMF avait évolué. On mélange donc, lors de cette évaluation « au poids », des torchons et des serviettes, faisant fi des catégories pénales, selon lesquelles la privation de liberté n'est jamais de même nature qu'une amende. Pour autant, c'est à cette appréciation que devait se livrer le conseil afin de déterminer si les sanctions pénales encourues par l'ancien candidat étaient ou non de nature identique au remboursement infligé à titre de sanction par la CNCCFP. Curieusement, pour ce faire, il ne procède pas, ici, par bloc (est également encourue une amende de 3750 euros), mais s'en tient précisément à une appréciation de la nature juridique des sanctions : dans un cas, une sanction pécuniaire, dans l'autre une peine privative de liberté (un an d'emprisonnement), en sorte qu'il conclut à leur nature différente. On soulignera qu'il aurait été tout aussi facile de conclure au contraire à l'identité de nature en relevant, d'une côté, l'importance de l'amende et, de l'autre, le faible quantum de la privation de liberté puisque, on l'a vu, il est déjà arrivé au conseil de conclure à l'identité de nature d'une peine pécuniaire et d'une privation de liberté (Cons. const., 18 mars 2015, préc., cons. 26). La solution se révèle donc juridiquement fondée sans que l'on puisse en inférer un changement de méthode du conseil, dans la mesure où seules deux principales sanctions se trouvaient en conflit et ce, même si une évaluation des sanctions ne s'imposait pas puisque le critère de l'identité d'intérêts protégés n'était pas rempli, laissant donc, d'ores et déjà, la porte ouverte à un cumul.

Mais reste en suspens une ultime question. L'ancien président pourra en conséquence se voir infliger une sanction pénale puisque le cumul est permis alors même que les deux procédures (celle initiée par la CNCCFP et la procédure répressive) sont concurrentes. On notera d'ailleurs que si les procédures avaient été jugées complémentaires, un cumul aurait également pu être possible à condition que le manquement relevé soit « grave » (mais l'aurait-il été pour le conseil ?). La question qui se pose est alors la suivante : comment décide-t-on que des procédures sont concurrentes ou complémentaires ? Rien n'est jamais dit et cela s'infère de l'examen ou pas par le conseil des critères précités dégagés en 2015. Voilà une imprécision de plus qui jette la suspicion sur cette construction aux contours si flous.

Cons. const., 8 fév. 2019, n° 2018-763 QPC - Rapprochement familial des détenus prévenus attendant leur comparution devant la juridiction de jugement. (V. P)

AJ pénal 2019, p. 222, obs. L. Grégoire.

Saisi par la section française de l'Observatoire international des prisons (SFOIP), le Conseil constitutionnel a eu à examiner la validité de l'article 40 de la loi du 24 novembre 2009, dite loi pénitentiaire. Selon ce texte, les prévenus dont l'instruction est achevée et qui attendent leur comparution devant la juridiction de jugement peuvent bénéficier d'un rapprochement familial jusqu'à leur comparution devant la juridiction de jugement. Si le sens de cette disposition est incontestablement progressiste, le législateur n'a fait, pour la SFOIP, que la moitié du travail puisqu'il lui est fait grief de méconnaître l'article 34 de la Constitution, en étant entachée d'incompétence négative, de porter atteinte au droit à un recours effectif, tel que garanti par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, et au droit à mener une vie familiale normale protégé par l'alinéa 10 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, en n'étant assortie d'aucune voie de recours effectif permettant de contester le refus opposé à la demande d'une personne détenue provisoirement de bénéficier d'un rapprochement familial. En clair, et c'est ce que va retenir le conseil, il était reproché à l'article 34 de la loi pénitentiaire de méconnaître le droit à un recours juridictionnel effectif en ne prévoyant pas la faculté pour le prévenu en attente de jugement de contester la décision qui lui refuserait un rapprochement familial. Sensible à l'argument, le Conseil d'Etat, dans une décision du 5 décembre 2018, renvoya la question prioritaire de constitutionnalité au conseil (CE, 5 déc. 2018, n° 424970).

Ce dernier va se prononcer, dans une décision très courte et très claire, pour l'absence de conformité du texte à l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, selon lequel toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution, et dont il infère classiquement le droit à un recours juridictionnel effectif. Il faut savoir que, selon l'article R. 57-8-7 du code de procédure pénale, le directeur interrégional des services pénitentiaires, après avis conforme du magistrat saisi du dossier de la procédure, peut faire droit à la demande de rapprochement familial de la personne détenue prévenue dont l'instruction est achevée et qui attend sa comparution devant la juridiction de jugement. De fait, si la procédure de rapprochement familial instauré à l'article 34 comprend une possibilité de recours, il ne s'agit que d'un recours pour excès de pouvoir devant le juge administratif qui n'en vérifiera par conséquent que la légalité, sans pouvoir discuter de son bien-fondé. Mais l'avis du magistrat judiciaire refusant un tel rapprochement est insusceptible d'être remis en cause en l'absence de toute voie de recours. C'est donc fort logiquement que le conseil conclut à l'absence de conformité de l'article 34.

Sous l'impulsion du Conseil d'Etat, le Conseil constitutionnel étoffe encore la protection des prévenus placés en détention provisoire. Après l'invalidation de l'article 39 de la loi du 24 novembre 2009, sur le fondement de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, parce qu'il ne prévoyait aucune voie de recours à l'encontre des décisions refusant l'accès au téléphone à une personne placée en détention provisoire, ce fut ensuite à son article 40 d'être abrogé - toujours pour violation du droit à un recours juridictionnel effectif - parce qu'il ne prévoyait pas la possibilité, pour un prévenu placé en détention provisoire, de contester la décision de l'autorité judiciaire lui refusant le droit de correspondre par écrit avec toute personne de son choix (Cons. const., 22 juin 2018, n° 2018-715 QPC). On rapprochera également de ces solutions l'arrêt du Conseil d'Etat du 12 décembre 2018 par lequel celui-ci a enjoint le premier ministre d'abroger le premier alinéa de l'article D. 57 du code de procédure pénale, relatif aux mesures d'extraction ou de translation des personnes prévenues, à défaut pour le législateur d'avoir créé une voie de recours à leur profit (CE, 12 déc. 2018, n° 417244). En effet, ce texte renvoie aux dispositions de l'article D. 297 aux termes duquel les personnes détenues en prévention sont transférées sur la réquisition de l'autorité judiciaire compétente, mais sans que l'une de ces dispositions ne prévoie la possibilité pour le prévenu de contester sa translation ou son extraction judiciaire. Le conseil suivit alors les arguments de l'observatoire international des prisons qui soutenait que la situation méconnaissait l'article 13 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales proclamant le droit à un recours juridictionnel effectif.

Dans le droit fil de ces décisions, il était donc naturel que le Conseil constitutionnel, le 8 février 2019, procède à l'abrogation de l'article 34 de la loi pénitentiaire. Il choisit ensuite d'en différer l'effet pour éviter de priver les prévenus du bénéfice des dispositions organisant leur rapprochement familial, la date d'entrée en vigueur de sa décision étant fixée au 1er septembre 2019. Toutefois, la carence législative fut rapidement comblée puisque la loi du 23 mars 2019 de programmation et de réforme pour la justice créa un article 145-4-2 au sein du code de procédure pénale, dont l'alinéa 5 institue désormais un recours devant le président de la chambre de l'instruction « contre les (...) décisions ou avis conformes émanant de l'autorité judiciaire (...) relatifs aux modalités d'exécution d'une détention provisoire ou à l'exercice de ses droits par une personne placée en détention provisoire » (L. n° 2019-222, 23 mars 2019, art. 55, d'application immédiate). L'article 34 est également réécrit et fait désormais mention d'un recours, en renvoyant aux dispositions de l'article 145-4-2 du code de procédure pénale.

Cons. const. 21 juin 2019, n°2019-791 QPC - Voies de recours en cas de refus d'autorisation de sortie sous escorte. (E. B.)

A l'occasion d'une requête tendant à l'annulation pour excès de pouvoir d'une décision implicite par laquelle le Premier ministre rejetait une demande d'abrogation de l'article D 147 du code de procédure pénale selon lequel « à titre exceptionnel, l'autorisation de sortie sous escorte prévue par les articles 148 et 723-6 du code de procédure pénale peut être accordée pour un temps déterminé à toute personne détenue », la section française de l'Observatoire international des prisons soulevait une question prioritaire de constitutionnalité devant le Conseil d'Etat (CE, déc. n°427252 du 5 avril 2019). D'une manière globale, cette question avait trait aux conditions de contestation du refus opposé par le juge à une demande d'autorisation de sortie sous escorte. Plus précisément, s'agissant d'une part des personnes détenues à titre provisoire qui peuvent solliciter une autorisation de sortie sous escorte sur le fondement de l'article 148-5 du Code de procédure pénale, le requérant soutenait que ces textes étaient contraires à la Constitution en raison de l'absence de voie de droit permettant la remise en cause de la décision de la juridiction d'instruction ou de jugement qui refuse de faire droit à la demande. S'agissant d'autre part des personnes condamnées et exécutant leur peine, les griefs étaient plus précis puisqu'il existe bien un appel possible sur le fondement de l'article 712-5 du code de procédure pénale mais cet appel suppose nécessairement que le juge de l'application des peines ait statué sur la demande afin que le condamné puisse interjeter appel de l'ordonnance. Or, selon le requérant, il y aurait aussi une violation du droit à un recours juridictionnel effectif protégé par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen si le juge garde le silence. Le requérant prétendait que l'article 723-6 qui ne prévoit ce cas, pas plus qu'aucune autre disposition législative, serait en contradiction avec ce droit constitutionnellement garanti. En outre, dans le cas où le juge aurait, au premier degré, refusé d'accorder l'autorisation de sortie, s'il existe bien une possibilité d'interjeter appel de cette ordonnance devant le président de la chambre de l'application des peines (CPP, art. 712-5), le requérant faisait valoir que la juridiction du second degré n'a aucune obligation de répondre dans un délai déterminé ce qui priverait là encore le condamné d'un droit à un recours effectif. Ensuite, le requérant faisait valoir que les dispositions contestées ne précisent pas les motifs de refus. Enfin, le requérant considérait que ces lacunes textuelles traduisent une méconnaissance du droit de mener une vie familiale normale.

Le Conseil constitutionnel prend le soin de répondre distinctement à la conformité de ces deux textes.

S'agissant de la phase de l'exécution de la peine, et s'il répond aux différents griefs formulés, le Conseil constitutionnel s'attarde surtout sur celui relatif au droit à un recours effectif. Il déclare l'article 723-6 du code de procédure pénale conforme à la Constitution sur le fondement du nouvel article 802-1 du code de procédure pénale issu de la loi du 3 juin 2016 et entré en vigueur dès le 5 juin 2016, permettant d'exercer un recours contre la décision implicite de rejet de la demande qui nait à l'issue d'un délai de deux mois. La voie de l'appel offerte par l'article 712-5 n'est donc pas seulement ouverte au condamné qui a reçu du juge de l'application des peines une ordonnance de refus de sa demande. Elle est aussi possible en cas de silence gardé par le juge pendant deux mois. Sur ce dernier point, la décision est du plus grand intérêt car elle permet de ne pas oublier que les dispositions générales du code de procédure pénale s'appliquent à toutes les instances pénales y compris, donc, en phase d'application des peines sauf dispositions particulières contraires. Elle peut être ainsi rapprochée de décisions antérieures de la Cour de cassation qui ont, par exemple, appliquées à cette phase procédurale, les règles de computation des délais prévues à l'article 801 du code (Cass. crim., 21 févr. 2007 : n°06-85078 ; 3 sept. 2014 : n°14-81605 ; 21 janv. 2015 : n° 14-86391 ; 24 janv. 2018 : n° 16-86637). Elle est aussi un moyen de rappeler ce cas d'ouverture de l'appel d'une décision implicite de rejet qui a vocation à s'appliquer, au-delà de la seule autorisation de sortie sous escorte, à toute demande faite par le condamné au juge de l'application des peines ou au tribunal de l'application des peines. Cet article aura assurément de beaux jours devant lui-même si jusqu'à présent, aucun arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation n'a été rendu sur son fondement (v. tout au plus, un arrêt s'y référant au titre des moyens : Cass. crim., 29 nov. 2017 : pourvoi n°17-85269).

S'agissant de la phase de l'instruction en revanche, le Conseil déclare l'article 148-5 du code de procédure pénale non conforme à la Constitution. L'absence de voie de droit permettant de contrôler la décision de la juridiction d'instruction ou de jugement refusant la sortie est contraire aux exigences qui découlent de l'article 16 de la Déclaration. Les dispositions contestées sont en conséquence, abrogées de manière immédiate. La portée de cette déclaration de non-conformité à la Constitution est toutefois toute relative puisque l'article 148-5 a été réformé par la loi du 23 mars 2019. Entré en vigueur dès le 25 mars 2019, cet article prévoit désormais que les décisions, accordant ou refusant ces autorisations, peuvent faire l'objet d'un recours sur le fondement de l'article 145-4-2 du code de procédure pénale. Ce dernier article créé par la même loi instaure la possibilité de contester la décision du juge d'instruction devant le président de la chambre de l'instruction qui statue dans un délai d'un mois par une décision écrite et motivée, non susceptible de recours.

Citer cet article

Evelyne BONIS ; Virginie PELTIER. « Chronique de droit pénal et de procédure pénale », Titre VII [en ligne], n° 3, La séparation des pouvoirs, octobre 2019. URL complète : https://www.conseil-constitutionnel.fr/publications/titre-vii/chronique-de-droit-penal-et-de-procedure-penale-1