Titre VII

N° 12 - avril 2024

Chronique de droit constitutionnel comparé (juillet 2023 à décembre 2023)

I. Cour suprême des États-Unis, arrêt du 8 juin 2023, Allen v. Milligan (redécoupage électoral et discrimination raciale), et arrêt du 27 juin 2023, Moore v. Harper (justiciabilité des règles électorales ; rejet de la théorie de l'indépendance des parlements des États), par E. Bottini

En contraste avec la grande majorité des démocraties mondiales, la démocratie américaine souffre de l'absence flagrante de reconnaissance constitutionnelle du droit de vote. En dépit des protections instaurées par des amendements à la Constitution de 1787 visant à encadrer les restrictions au droit de vote basées sur la race, la couleur de peau, le sexe, l'âge et le paiement des impôts(1), la demande d'un « véritable droit de vote »(2) se fait de plus en plus insistante. Toutefois, la difficulté quasi insurmontable de réviser actuellement la Constitution des États-Unis(3), en raison de la complexité de la procédure de son article V (exigeant une double majorité qualifiée des parlements des États et du Congrès fédéral pour proposer des révisions et la majorité qualifiée des États ou des conventions constitutionnelles étatiques pour les ratifier), conjuguée à la polarisation politique du pays, rend l'hypothèse d'une constitutionnalisation du droit de vote hautement improbable.

Par conséquent, c'est principalement à travers la législation fédérale, bien que limitée par la compétence restreinte du Congrès en la matière, que certaines garanties ont été apportées au suffrage. Ces garanties se trouvent notamment dans le Voting Rights Act (dorénavant VRA) de 1965, qui protège les minorités dans l'accès au vote et limite les discriminations, notamment raciales, dans le processus électoral. Avec le législateur fédéral, les cours de justice sont appelées à garantir la légalité des élections(4) ; cependant, l'actuelle Cour suprême, de majorité conservatrice, a été largement hostile aux requêtes liées à cette loi, invalidant son mécanisme le plus efficace en 2013 par l'arrêt Shelby County(5), et en général au recours constitutionnel sur les droits liés au vote.

Malgré une réduction significative de son champ d'application par la jurisprudence récente(6), le VRA demeure une référence incontournable en matière de protection du droit de vote. Il s'applique notamment au découpage électoral, processus fortement politisé aux États-Unis du fait de la compétence en la matière des partis politiques au niveau des États et en l'absence de commissions indépendantes (à l'exception d'une petite minorité d'États) pour les contrôler, comme c'est désormais le cas en France(7).

Il ne revient pas uniquement au législateur fédéral de pallier l'absence de droit de vote constitutionnel : les cours de justice jouent également un rôle crucial. En effet, le droit de vote aux États-Unis s'est largement construit par la voie des recours en justice contre les États tentant de restreindre l'accès au suffrage à certaines catégories de la population, notamment les minorités raciales, obligeant ainsi les électeurs à contester ces restrictions au cas par cas devant les tribunaux, étatiques et surtout fédéraux. L'incertitude quant à l'issue de ces litiges, dont la multiplication amène les juristes à parler de véritables « guerres du vote »(8), est d'autant plus grande en l'absence de garantie positive de ce droit dans la Constitution. C'est par l'activisme de la Cour présidée par Earl Warren qu'ont été reconnus les grands principes liés au droit de vote tel que celui d'égalité devant le suffrage : « un homme, une voix ». Les événements de 2020 ont porté l'attention du monde entier sur l'éventualité que les élections de la plus grande puissance mondiale puissent être décidées lors de recours en justice plutôt que dans les urnes(9), comme cela avait été le cas en 2000 à l'occasion de l'élection de George W. Bush.

Aux États-Unis comme dans d'autres fédérations(10), la question sous-jacente et récurrente concerne l'étendue du contrôle fédéral sur des élections dont les règles relèvent largement de la compétence des États. De plus, il s'agit de se demander quelle est l'étendue du contrôle des cours sur une matière politique très sensible, celle du découpage électoral, entre pleine justiciabilité et « doctrine des questions politiques »(11) prônant la déférence envers les organes politiques des États.

Ces problématiques ont récemment suscité à nouveau l'attention de la Cour suprême des États-Unis, confrontée à une série de recours en matière électorale, dont les implications politiques sont particulièrement actuelles en raison des élections présidentielles à venir à l'automne 2024.

Au cours de deux affaires rendues en juin 2023, Allen v. Milligan(12) et Moore v. Harper(13), la Cour suprême a pris position en affirmant du moins partiellement son rôle de garant du processus électoral fédéral, ce qui a surpris les observateurs étant donné sa majorité conservatrice. Il s'agissait d'affaires relatives respectivement au découpage électoral déloyal sur fondement racial (« racial gerrymandering ») et partisan (« partisan gerrymandering »), deux cas de figure qui ne sont pas régis par les mêmes règles ni par la même interprétation du rôle des cours fédérales et étatiques. Dans un premier arrêt, la Cour a examiné la délimitation des circonscriptions électorales de l'Alabama par rapport au VRA, concluant à leur caractère injustement discriminatoire sur le fondement de la race (A). Quelques jours plus tard, la Cour suprême s'est penchée sur le contrôle du découpage électoral par les tribunaux des États membres de la fédération, rejetant la doctrine de « l'indépendance des parlements des États » avancée par l'État de Caroline du Nord et confirmant ainsi la possibilité pour les juges étatiques d'exercer un contrôle de légalité sur les élections (B).

A. Une carte électorale ayant pour effet une discrimination raciale : l'arrêt Allen v. Milligan

Dans cet arrêt, la délimitation des circonscriptions électorales adoptée par l'Alabama en vue des élections législatives de 2022 était contestée car elle aboutissait à une dilution illégale du vote des minorités raciales. Des électeurs demandaient son annulation en raison de son incompatibilité avec le VRA. La Cour suprême leur a donné raison. Cette décision peut sembler surprenante venant de la Cour suprême dans sa composition actuelle, puisque depuis les trois dernières nominations par Donald Trump, une majorité de six juges sur neuf appartient au camp conservateur, qui n'est pas réputé pour son attention envers les droits des minorités. Elle a été néanmoins rendue à une courte majorité de cinq voix contre quatre, avec deux juges conservateurs (Roberts et Kavanaugh) rejoignant les trois juges libéraux (Jackson, Sotomayor et Kagan) sur les aspects principaux de la motivation.

En l'absence de protection explicite du droit de vote dans la Constitution des États-Unis, le VRA a été adopté en 1965, peu de temps après la ratification du Civil Rights Act de 1964. Sa section 2 interdit spécifiquement les pratiques visant à restreindre ou à priver les citoyens de leur droit de vote en raison de leur race ou de leur couleur de peau(14). Cette loi, rapidement validée par la Cour suprême comme étant conforme aux dispositions constitutionnelles relatives à la répartition des compétences entre la fédération et les États, représentait « une véritable tutelle fédérale imposée aux États ayant eu des pratiques discriminatoires »(15). Bénéficiant d'un large soutien bipartisan, le VRA visait à mettre en œuvre le 15e amendement de la Constitution(16), qui interdit les discriminations fondées sur la race dans l'accès au vote, consécutivement aux 13e et 14e amendements qui ont respectivement aboli l'esclavage et assuré la citoyenneté des anciens esclaves.

En réaction à un arrêt(17) ayant restreint l'application du VRA, la section 2 a été amendée en 1982 pour préciser que les législateurs n'avaient pas besoin d'avoir l'intention de discriminer pour que des règles, pratiques et processus relatifs aux élections soient considérés comme discriminatoires sur la base du critère de la race. En ce sens, la nouvelle version du VRA va plus loin que les 14e et 15e amendements qui ne font qu'interdire les lois adoptées avec une intention discriminatoire, d'après l'interprétation qu'en donne la Cour suprême. Il suffit désormais que les effets de telles règles et pratiques, et donc de la délimitation des circonscriptions électorales, soient discriminatoires pour qu'elles soient illégales. Néanmoins, cela n'implique pas qu'il existe un droit des groupes à être représentés proportionnellement à leur taille dans les instances démocratiques(18). En revanche, les cours peuvent considérer la sous-représentation de certains groupes raciaux dans les instances démocratiques, ainsi que sa persistance dans le temps, comme des circonstances factuelles pertinentes, justifiant d'invalider des législations étatiques ayant un effet discriminatoire. Pour comprendre l'arrêt Allen, il est nécessaire d'expliquer à quel point il est complexe de prouver en justice une violation de la loi de 1965 et comment cela a été fait dans le cas d'espèce (1). Ensuite, il sera intéressant d'examiner l'utilisation de l'histoire par la Cour suprême, controversée et décisive pour cette affaire (2).

1. La complexité du test mis en œuvre par la Cour suprême pour les violations du Voting Rights Act

La section 2 du VRA dispose qu'aucun groupe, même minoritaire, ne doit être désavantagé dans son droit d'élire des représentants de son choix en raison de pratiques de découpage électoral basées sur des critères raciaux. Cependant, prouver devant un tribunal que le découpage des circonscriptions électorales viole cette disposition n'est pas une tâche aisée. Les plaignants de l'Alabama doivent remplir plusieurs conditions préalables(19). Tout d'abord, le groupe minoritaire doit être suffisamment large et homogène pour pouvoir constituer une majorité dans une certaine zone géographique, pouvant ainsi former une circonscription où le groupe minoritaire devient majoritaire. Ensuite, le groupe minoritaire doit démontrer sa cohérence politique dans ses intentions de vote. Enfin, il est nécessaire de prouver que le groupe majoritaire vote de manière suffisamment homogène pour garantir systématiquement la victoire du candidat majoritaire face au candidat minoritaire. Une fois ces conditions remplies, ce qui reste assez rare(20), le tribunal doit prendre en compte les circonstances factuelles passées et présentes pour déterminer si la compétition électorale n'était en effet pas ouverte de manière égale pour les électeurs majoritaires et minoritaires.

En Alabama, la disparité entre la population noire et la composition des circonscriptions était manifeste : seules 14 % des circonscriptions étaient majoritairement peuplées par des électeurs de couleur, alors que ces derniers représentent 27 % de la population de l'État(21). En plus du caractère discriminatoire de l'accès au vote, le découpage déloyal des circonscriptions provoque également un fort taux d'abstention car les électeurs n'ont que peu d'espoir d'influencer les résultats électoraux. Bien qu'un recours d'urgence ait été déposé auprès de la Cour suprême pour modifier la carte électorale avant les élections de novembre 2022, celle-ci a considéré le 7 février 2022(22) que le délai était trop court pour accéder à cette demande. Les élections législatives de 2022 ont donc eu lieu telles quelles, mais le recours principal a suivi son cours. C'est à cette occasion que la majorité de la Cour a surpris les observateurs, et les plaignants eux-mêmes, en décidant que les effets discriminatoires des pratiques de l'État suffisaient à déclarer l'illégalité de la carte électorale.

L'Alabama cherchait en effet à infléchir la jurisprudence de la Cour sur ce point, affirmant dans sa défense que seule l'intention de discriminer sur la base de la race devrait être prise en considération. Plus précisément, l'État défendeur souhaitait que la Cour entérine une nouvelle interprétation de la section 2, qui implique de confronter la carte électorale en vigueur à une carte générée par ordinateur sans inclure le critère racial et en créant donc par l'intelligence artificielle un standard aveugle à toute considération raciale (« colorblind »). Selon l'Alabama, si le découpage électoral en vigueur dans l'État se révélait similaire au standard ainsi créé, toute accusation de violation de la section 2 devait être écartée. En s'opposant à cette nouvelle interprétation du VRA, la majorité de la Cour a affirmé avoir utilisé le test établi dans son arrêt Gingles(23) et avoir la ferme intention de maintenir ce précédent en vigueur depuis quarante ans. Ce choix n'était pas évident à la lumière de l'argument contraire, contenu dans les opinions dissidentes des juges Thomas et Alito(24), selon lequel toute utilisation du critère racial, y compris pour élaborer une carte électorale alternative, reviendrait à violer le principe de non-discrimination contenu dans le 14e amendement(25). De plus, selon un autre argument, l'interprétation choisie par la Cour reviendrait à faire droit à une demande de proportionnalité de la représentation des communautés noires de l'État. Cependant, l'opinion majoritaire réfute par de nombreux exemples une telle accusation : elle cite en effet un nombre d'affaires où des circonscriptions qui s'approchaient de la proportionnalité des électeurs ont été invalidées par la Cour suprême en ce qu'elles dessinaient une carte électorale incohérente contrevenant aux critères du découpage électoral examinés par la Cour(26), contredisant le principe constitutionnel d'égale protection. Parmi les critères « traditionnels » du découpage électoral pris en considération par la Cour, on compte « la compacité, la contiguïté, les subdivisions politiques, les frontières géographiques naturelles, les limites des comtés, le jumelage des candidats sortants, les communautés d'intérêt et l'égalité de la population »(27). En réponse à ces différents arguments, le juge Roberts, président de la Cour et auteur de l'opinion majoritaire, insiste sur la fine « ligne de démarcation que nous avons longtemps tracée » et qui « se situe entre la conscience et la prédominance »(28) du critère racial. La première est permise, la seconde interdite par la Constitution.

Cependant, la question de savoir si l'utilisation du critère racial pour élaborer des cartes électorales qui évitent tout effet discriminatoire violerait le principe d'égale protection contenu dans le 14e amendement reste ouverte, étant donné que la décision majoritaire ne s'est pas exprimée sur ce point précis. C'est l'argument qui avait justifié d'invalider une partie du VRA en 2013 dans l'arrêt Shelby County. De plus, l'un des juges (Kavanaugh), qui a rejoint l'opinion majoritaire pour ce qui concerne la solution de l'affaire Allen, a laissé entendre dans son opinion concordante que l'importance accordée au critère racial dans l'application de la section 2 du VRA aurait une date de péremption et ne pourrait pas avoir d'effet indéfiniment(29). Tout cela reflète le malaise des juges et donc la coexistence inconfortable entre la section 2 du VRA et le principe d'égalité contenu dans le 14e amendement. La Cour s'est limitée cette fois-ci au contrôle de la légalité du découpage électoral de l'Alabama, sans procéder à un nouvel examen de la constitutionnalité de la section 2(30) ; un examen que cette loi des années 1960 ne serait pas certaine de réussir aujourd'hui, d'autant moins avec la majorité actuelle de la Cour suprême. L'interdiction du découpage déloyal pour critères raciaux des circonscriptions électorales est donc en sursis, mais elle a néanmoins été appliquée au cas d'espèce.

Dans un recours fondé sur la section 2 du VRA, les requérants peuvent présenter des cartes électorales alternatives démontrant qu'il est possible de délimiter les circonscriptions d'une manière plus conforme aux règles découlant de la loi de 1965. Même s'il y a un désaccord sur la nécessité ou non de présenter de telles cartes, dans ce cas précis les plaignants en ont présenté onze, dont une a été jugée par la Cour comme présentant des caractéristiques supérieures à celles de la carte préexistante, notamment parce qu'elle rassemblait une « communauté d'intérêt » appelée la « ceinture noire » (black belt). Cette communauté est liée par des origines communes remontant à l'histoire de l'esclavage avant la guerre de Sécession. Pour évaluer les circonstances factuelles, et notamment pour identifier une telle communauté, la Cour s'est penchée sur l'histoire des États-Unis et plus précisément sur l'histoire de l'esclavage, remettant au centre de cet arrêt l'usage de l'histoire, l'un des éléments les plus controversés de la jurisprudence récente de la Cour suprême.

2. Les trois usages de l'histoire dans le jugement : au-delà de l'originalisme ?

Au vu de l'ancienneté de la Constitution des États-Unis, en vigueur depuis plus de deux siècles, la Cour suprême doit souvent s'atteler à un travail interprétatif qui trouve ses racines dans l'histoire parfois lointaine de ce document. L'usage de la méthode historique dans l'interprétation juridique ne va pas de soi et suscite d'importants débats à la fois chez les juristes et chez les historiens(31). Ces débats se sont faits d'autant plus fréquents dans les dernières années, en raison du caractère majoritaire de la doctrine originaliste en matière d'interprétation constitutionnelle à l'intérieur de la Cour(32). En effet, depuis la nomination par Donald Trump d'Amy Coney Barrett, cette méthode interprétative, associée principalement (même si non exclusivement) à des positions politiques conservatrices, trouve la faveur de cinq voire six juges sur les neuf qui composent la Cour. Spécifiquement, les critiques de la méthode originaliste visent deux aspects problématiques de l'usage de l'histoire : d'une part, le mauvais usage qui en est fait par les juges et notamment le caractère sélectif et déformant des éléments historiques mobilisés dans les décisions de justice ; d'autre part, le caractère injuste – voire anti-démocratique – d'une utilisation de l'histoire afin de limiter l'action du législateur d'aujourd'hui sur la base de règles adoptées par le législateur d'hier (voire d'avant-hier). Ainsi, plusieurs historiens états-uniens ont mis en avant les nombreuses erreurs dans l'utilisation des méthodes historiques par les juges de la Cour suprême(33), notamment l'absence de prise en considération du contexte de l'époque lorsqu'il s'agit par exemple d'évaluer les restrictions dans l'usage des armes à feu(34) (dont la létalité aujourd'hui est incommensurable par rapport à celle de l'époque d'adoption de la Constitution) ou lorsqu'il s'agit de l'absence dans la Constitution d'un droit à l'avortement(35) (impensable au XVIIIe siècle). Le propre de la méthode originaliste est d'individuer la signification d'un concept juridique à l'aune de l'intention de ses auteurs, à l'époque de son adoption. Dans de nombreuses critiques adressées à cette méthode, la complexité d'une analyse de l'histoire rend illusoire la possibilité d'individuer une seule intention du constituant ou du législateur pouvant livrer la signification originelle des dispositions interprétées. En somme, les critiques insistent sur le caractère vicié d'une méthode consistant à évaluer les droits d'aujourd'hui sur la base d'une tradition historique de leur protection (ou de l'absence de celle-ci).

L'histoire est présente dans l'arrêt Allen v. Milligan sous au moins trois variations distinctes : premièrement, l'histoire de l'esclavage aux États-Unis est invoquée pour identifier une communauté que le redécoupage électoral ne devrait pas séparer ; deuxièmement, le contexte historique est utilisé pour contester l'utilisation d'ordinateurs dans la création de cartes électorales qui ignorent le critère racial ; enfin, l'histoire récente permet de reconnaître dans l'intention du législateur de 1982 l'importance du redécoupage des circonscriptions pour prévenir les discriminations raciales dans le droit de vote.

Pour le premier usage, il ne s'agit pas d'identifier la signification originale ou originelle d'une disposition législative ou constitutionnelle, mais de retracer l'histoire des « nbsp ;communautés d'intérêts » de l'Alabama et de la façon dont celles-ci sont réunies ou au contraire séparées par les circonscriptions électorales. Dans une affaire de droit de vote, il faut également montrer une histoire de discrimination qui a comme objectif d'influencer la politique. Il faut montrer qu'il est possible de dessiner des circonscriptions alternatives afin de reconnecter les communautés noires et c'est ce que les avocats des plaignants ont fait dans cette affaire. En effet, le législateur de l'Alabama soutenait ne pas pouvoir séparer la région dite « Gulf Coast » en deux circonscriptions ; les requérants, pour leur part, s'intéressent à une autre communauté d'intérêts, indûment séparée en plusieurs circonscriptions par la précédente carte électorale, à des fins politiques et afin de diluer le vote des minorités : la « black belt » (ceinture noire). Dans tout le pays, il s'agit de la région où les personnes noires ont été amenées à travailler comme esclaves. La majorité de la Cour s'intéresse plutôt à cette deuxième communauté, considérant que l'existence de la première n'est pas suffisamment démontrée par l'État défendeur : « Nommée en raison de son sol fertile, la Black Belt contient une forte proportion d'électeurs noirs qui »partagent une géographie rurale, une pauvreté concentrée, un accès inégal aux services gouvernementaux, (...) un manque de soins de santé adéquats" et sont des descendants « des nombreux esclaves amenés là pour travailler pendant la période d'avant-guerre [avant la guerre de Sécession » »(36). Les cartes électorales existantes fragmentent la « black belt » de l'Alabama en plusieurs circonscriptions et cela était fait exprès : l'action du législateur étatique traduit une volonté de diviser la communauté noire afin de préserver les intérêts de la communauté blanche majoritaire. Cette intention est ce que la Cour sanctionne dans cette affaire.

De plus, l'arrêt introduit une référence à l'histoire en tant que paramètre interprétatif de type originaliste, en réponse à l'argument avancé par l'État défendeur en faveur de l'utilisation d'ordinateurs pour créer des cartes électorales sans prendre en compte le critère racial : « En 1982, le logiciel de cartographie informatisé que l'Alabama prétend que les plaignants doivent utiliser pour démontrer un niveau (non spécifié) de déviation n'existait même pas »(37). Toutefois, la raison principale du rejet de la demande de l'Alabama de confronter la carte électorale aux deux millions de configurations possibles générées par l'ordinateur (aucune ne créant de circonscription supplémentaire où les électeurs noirs sont majoritaires) n'est pas liée à cette référence historique. En réalité, la Cour se réfère plutôt à des articles scientifiques affirmant que le nombre de configurations possibles produites informatiquement est dans les « trillions de trillions » ou dans les « gogols ». À de telles échelles, « la section 2 ne peut exiger des tribunaux qu'ils jugent un concours d'ordinateurs lorsqu'il n'existe aucun moyen fiable de déterminer qui gagne, ni même où se trouve la ligne d'arrivée »(38).

Enfin, la dernière mobilisation de l'histoire dans l'arrêt apparaît dans un appel à l'intention du législateur lors du compromis de 1982 au sujet du VRA. La nouvelle section 2, selon l'Alabama, ne s'appliquerait pas au découpage électoral, mais uniquement à d'autres restrictions du droit de vote potentiellement discriminatoires pour les électeurs issus des minorités (modalités d'inscription sur les listes électorales, horaires d'ouverture des bureaux de vote, utilisation de bulletins en papier ou de machines, etc.). Sur ce point, l'opinion majoritaire s'oppose frontalement à l'opinion dissidente du juge Thomas, qui considère lui aussi que le découpage électoral n'est pas un « standard, pratique ou procédure » aux termes de la section 2 du VRA. Pour le juge Roberts et les quatre autres juges qui le rejoignent dans l'opinion majoritaire, non seulement cela paraît improbable logiquement, mais ce n'est pas ce que le législateur semble vouloir. Les juges majoritaires affirment donc que « le Congrès est sans aucun doute conscient du fait que nous interprétons l'article 2 comme s'appliquant aux contestations de la délimitation des circonscriptions. Il peut changer cela s'il le souhaite. Mais jusqu'à ce qu'il le fasse, et à moins qu'il ne le fasse, le stare decisis statutaire nous conseille de maintenir le cap »(39). Ainsi, deux usages opposés de l'histoire apparaissent ici : d'un côté, l'histoire mobilisée par l'opinion dissidente, qui affirme se concentrer exclusivement sur les luttes de l'accès au vote des années 1960 qui ont donné lieu à l'adoption du VRA (et où les discriminations raciales venaient principalement du refus d'inscription des électeurs de couleur sur les listes électorales), et de l'autre, l'opinion majoritaire qui affirme que « l'histoire ne s'est pas arrêtée en 1960 »(40). De quoi vacciner les juges de la Cour suprême de toute velléité d'objectivité de l'Histoire ?

Depuis cet arrêt de juin 2023, l'Alabama a approuvé un premier redécoupage de circonscriptions, en réaction à la censure de la Cour suprême et à la suite d'un nouveau jugement de la Cour fédérale du district de l'Alabama du Nord(41). Au moment de mettre en œuvre ces décisions, la seule conséquence que le parlement de l'État – à forte majorité républicaine – en avait initialement tiré avait été d'augmenter de 30 % à 40 % le nombre d'électeurs noirs dans une circonscription(42), au lieu d'en créer une deuxième où les électeurs des minorités raciales étaient majoritaires. L'Alabama, en la personne de son ministre de la Justice (Attorney General), affirmait que cela avait « guéri » la violation du VRA par l'État et était retourné à la Cour suprême des États-Unis en septembre 2023 pour contester un nouvel arrêt de censure de la cour de district(43). Dans l'appel, l'État affirmait qu'il n'y avait pas de violation ultérieure et que dans tous les cas, la décision de la cour inférieure aurait dû être suspendue pour donner plus de temps à l'État de réagir. Dans une courte décision non signée et non motivée du 26 septembre 2023, la Cour suprême rejette l'appel tout comme la demande de délai et impose l'exécution des précédentes décisions à temps pour les élections de novembre 2024. Un nouveau redécoupage a donc eu lieu en octobre 2023 ; il comporte désormais deux circonscriptions à majorité d'électeurs de couleur. Cette saga judiciaire montre donc que la section 2 et son interdiction de « racial gerrymandering » s'applique à tous les États, sous le contrôle des juges fédéraux.

Ce contrôle en revanche n'est pas évident pour ce qui concerne le « partisan gerrymandering », pour lequel la Cour suprême a largement limité le rôle des juges fédéraux en 2019(44). Néanmoins, la Cour suprême dans le même mois de juin 2023 a imposé un certain contrôle de la légalité des décisions électorales, du moins au niveau étatique.

B. Pas de démocratie sans un minimum d'État de droit : l'importance du contrôle de légalité des décisions électorales des États dans l'arrêt Moore v. Harper

Le deuxième litige tranché en juin 2023 par la Cour suprême concernant le découpage électoral a pris son origine dans la contestation d'une carte électorale adoptée par le Parlement de Caroline du Nord, contrôlé par les Républicains, au début de novembre 2021. Cette carte a été établie à la suite d'un recensement de la population en 2020 qui a accordé à l'État un siège supplémentaire à la Chambre des représentants. Les électeurs démocrates, soutenus par des associations, ont argumenté que cette nouvelle carte représentait un découpage partisan, c'est-à-dire qu'elle favorisait un parti politique au détriment d'un autre, ce qui la rendait contraire à la Constitution de Caroline du Nord. En effet, bien que l'État soit politiquement grossièrement divisé entre les Démocrates, les Républicains et les électeurs sans affiliation politique, la nouvelle carte aurait conduit à attribuer aux Républicains 10 sièges sur 14 à la Chambre des représentants.

En 2019, dans l'affaire Rucho v. Common Cause, la Cour suprême des États-Unis a statué que les tribunaux fédéraux ne pouvaient pas examiner les allégations de « partisan gerrymandering » car celles-ci relevaient du domaine politique, échappant ainsi au contrôle de légalité fédéral. Dans le même temps, cette décision avait souligné que les États pouvaient toujours réguler le découpage partisan dans leurs propres lois et constitutions, comme l'avait initialement confirmé la Cour suprême de Caroline du Nord dans l'affaire Harper v. Hall de 2022 (appelée Harper I)(45). Néanmoins, dans un nouvel arrêt, Harper II, rendu en 2023(46) après un changement de majorité en son sein (passant à une majorité républicaine de 5-2 à la suite des élections de novembre 2022), la Cour suprême de Caroline du Nord s'est rétractée, entraînant ainsi un désaccord au sein des tribunaux inférieurs concernant l'étendue de la doctrine des questions politiques(47). La Cour suprême fédérale a alors accepté de trancher cette question. Il s'agissait de savoir si la doctrine des questions politiques s'applique à toute la matière électorale et tant au niveau fédéral qu'étatique, protégeant ainsi les législateurs des États de tout contrôle judiciaire, sur la base notamment de la Constitution des États-Unis qui confère aux législateurs étatiques une compétence pleine et entière pour l'organisation des élections fédérales.

Dans son opinion majoritaire, la Cour a d'abord débattu de sa compétence à trancher la question après le revirement de la Cour suprême de Caroline du Nord. Elle a conclu que la Cour avait toujours la compétence pour statuer sur le litige car la solution initiale de la Cour suprême de Caroline du Nord dans Harper I demeurait exécutoire et que les requérants républicains n'avaient pas sollicité (en raison du délai) son annulation. Par conséquent, selon l'opinion majoritaire, les requérants avaient toujours un intérêt dans l'issue de la procédure, permettant ainsi à la Cour suprême d'exercer pleinement sa juridiction sur cette question. Si la Cour rejette la théorie de l'indépendance des parlements des États en raison d'une jurisprudence bien établie au sujet du contrôle de constitutionnalité et du contrôle de légalité au niveau des États (1), cette solution demeure en demi-teinte en raison des limites incertaines qui pèsent sur le pouvoir judiciaire (2).

1. Le rejet de la théorie de l'indépendance des parlements des États en matière électorale

Le contrôle de constitutionnalité et le contrôle de légalité exercés par le pouvoir judiciaire sont au fondement de la théorie états-unienne de la séparation des pouvoirs, conçue comme théorie des « checks and balances ». Avec l'arrêt Moore, la Cour suprême a l'occasion de rappeler les fondements théoriques de ces contrôles : le pouvoir législatif étant une créature de la Constitution(48), il est nécessairement encadré par celle-ci. Le pouvoir judiciaire se doit de mettre en œuvre ces limites, une thèse déjà largement acceptée par les « pères fondateurs » que la Cour cite longuement dans cet arrêt(49).

En février 2022, la Cour suprême de Caroline du Nord (alors composée d'une majorité venant du Parti démocrate de 4 contre 3) avait jugé dans l'affaire Harper I que la nouvelle carte électorale violait une disposition de la Constitution de l'État garantissant des élections libres. L'arrêt avait interdit à l'État d'utiliser la nouvelle carte lors des élections de 2022, et un tribunal de première instance avait par la suite approuvé une nouvelle carte, établie par des Républicains et des Démocrates, divisant les sièges au Congrès de l'État 7-7 entre les deux principaux partis politiques.

Des membres républicains du Parlement de l'État ont contesté cette décision devant la Cour suprême des États-Unis. Ils ont affirmé que l'annulation par la Cour suprême de Caroline du Nord de la carte électorale produite par le Parlement de l'État violait la théorie de l'« nbsp ;indépendance des parlements des États »(50). Cette théorie, bien que jamais approuvée par la Cour suprême dans une opinion majoritaire, existe dans des opinions dissidentes et en doctrine, et repose sur deux dispositions de la Constitution des États-Unis appelées « Clause électorale ». Dans l'affaire Moore, les requérants font référence à l'une de ces dispositions, l'article I, section 4 de la Constitution qui dispose que les « temps, lieux et manières » des élections au Congrès « seront prescrits dans chaque État par le parlement de celui-ci ». Selon les partisans de cette théorie, ces dispositions signifient que les tribunaux d'État (pas plus que les tribunaux fédéraux) n'ont pas le pouvoir de contrôler la manière dont les parlements des États organisent les élections législatives fédérales ou les élections présidentielles – y compris, donc, le découpage électoral. La théorie de l'indépendance des parlements des États a été évoquée pour la première fois par la Cour suprême dans une opinion concordante de l'ancien président de la Cour William Rehnquist dans l'affaire Bush v. Gore(51) de 2000. Dans cette opinion séparée, signée également par les juges Scalia et Thomas, Rehnquist a affirmé que le recomptage ordonné par une cour étatique violait l'autorité du parlement de l'État en vertu de la clause électorale car il était en conflit avec les délais fixés par ce même parlement.

La théorie, bien qu'ayant été quelque peu négligée, est réapparue il y a trois ans lors d'un recours des Républicains de Pennsylvanie contre une décision de la Cour suprême de l'État, qui avait étendu le délai de dépôt des bulletins de vote par correspondance lors des élections de novembre 2020, tenues en pleine pandémie de Covid-19, en se fondant sur la Constitution de l'État. Bien que les juges de la Cour suprême aient rejeté la demande en référé d'urgence, trois juges (Alito, Thomas et Gorsuch) ont suggéré que la prolongation du délai de dépôt des bulletins de vote violait probablement la clause électorale en imposant des contraintes au législateur de l'État, en dépit de son pouvoir discrétionnaire en matière électorale.

Dans l'arrêt commenté, la majorité des juges (composée de Roberts, Sotomayor, Kagan, Kavanaugh, Barrett et Jackson) a rejeté l'idée que la théorie de l'indépendance des parlements des États octroie à ceux-ci un pouvoir discrétionnaire sur les élections fédérales aussi étendu qu'il ne laisse aucune place au contrôle de constitutionnalité des cours étatiques. En abordant cette théorie, l'auteur de la décision, à nouveau le juge Roberts, a mis l'accent sur une longue tradition de l'histoire des États-Unis selon laquelle les tribunaux d'État invalident les lois qui violent les constitutions étatiques. Comme le montrent clairement les affaires passées de la Cour suprême, à commencer par l'arrêt Marbury v. Madison de 1803 ayant initié le contrôle de constitutionnalité au niveau fédéral, il n'y a pas d'exception à cette tradition. Les cours des États avaient pratiqué ce contrôle même avant, dès le 18e siècle, et les discussions à ce sujet lors de la Convention constitutionnelle de 1787 en sont la preuve. La Cour, dans ses précédents, a rejeté « l'argument selon lequel la Clause électorale oblige les constitutions étatiques à se désinvestir du pouvoir d'effectuer un contrôle sur l'exercice du pouvoir législatif »(52) et ce même raisonnement est appliqué au cas d'espèce.

Les requérants avaient même avancé l'argument selon lequel seule la Constitution fédérale permet d'imposer des contraintes sur les parlements étatiques au sujet des élections fédérales, régulées par la norme fondamentale de la fédération. Cependant, cet argument aurait conduit à une absence totale de contrôle, étant donné l'auto-limitation que la Cour suprême s'est imposée dans l'arrêt Rucho. L'opinion majoritaire a refusé de suivre ce raisonnement, en affirmant que « l'argument proposé par les requérants ne rend pas compte de la position des constituants selon laquelle lorsque les parlements font la loi, ils sont liés par les dispositions des documents auxquels ils doivent leur existence » et par conséquent « les deux constitutions peuvent restreindre l'exercice du pouvoir législatif »(53), et non seulement la Constitution fédérale.

2. Une solution en demi-teinte : les limites du pouvoir de contrôle des juges étatiques

En résumé, la question qui s'est posée à la Cour suprême est donc de savoir si la clause électorale crée une exception au principe général du contrôle de constitutionnalité et de légalité au niveau étatique, et la réponse est clairement négative. En même temps, la Cour relativise quelque peu son propos en affirmant vers la fin de l'opinion majoritaire que les « tribunaux des États n'ont pas carte blanche »(54) pour annuler les lois régissant les élections. Parce que la clause électorale confère aux législateurs étatiques le pouvoir de réglementer les élections fédérales, les tribunaux fédéraux « ont l'obligation de veiller à ce que les interprétations des tribunaux des États de cette loi ne contreviennent pas à la loi fédérale »(55). La Clause électorale fait malgré tout un choix délibéré qui doit être respecté selon la Cour suprême : le choix de donner la compétence aux parlements étatiques sur les élections fédérales.

La Cour suprême s'est toutefois abstenue de définir une norme que les tribunaux fédéraux devraient utiliser dans de tels cas. Au lieu de cela, elle a « simplement jugé que les tribunaux étatiques ne peuvent pas outrepasser les limites ordinaires du contrôle de légalité de sorte qu'ils s'arrogent le pouvoir conféré aux législatures d'État de réglementer les élections fédérales »(56).

Et parce que les requérants dans ce cas n'avaient pas demandé aux juges de décider si la décision originale de la Cour suprême de Caroline du Nord allait trop loin, l'opinion majoritaire a noté que la Cour ne se prononcerait pas sur ce point. Dans cette relativisation de l'étendue du contrôle de constitutionnalité et du contrôle de légalité par les juges étatiques, il est possible d'entrevoir le « traumatisme »(57) de l'affaire Bush v. Gore, qui est évoquée à plusieurs reprises dans cette décision et qui fonde sans doute la réticence de la Cour envers une décision trop tranchée qui pourrait donner l'impression que les élections soient in fine décidées par les juges.

Le juge Kavanaugh, qui a rejoint l'avis majoritaire, a également rédigé sa propre opinion concordante dans laquelle il propose une norme que les cours fédérales devraient utiliser pour examiner les interprétations des tribunaux étatiques dans les affaires électorales. Kavanaugh a indiqué qu'il adopterait le test « nbsp ;direct Bush v. Gore, qui implique de se demander si un « tribunal a 'déformé de manière inadmissible' la loi de l'État 'au-delà de ce qu'une lecture équitable exigeait' »(58).

Dans son opinion dissidente, le juge Thomas a soutenu que parce que la récente décision de la Cour suprême de Caroline du Nord a entraîné un « nbsp ;cas simple de caducité », il n'aurait pas fallu aborder du tout la théorie de l'indépendance des parlements des États : pour lui, l'affaire est close, et les requérants ont gagné(59). « Pour autant que cette affaire soit concernée », a-t-il écrit, « il n'y a tout simplement rien que cette Cour puisse décider qui puisse faire une différence pour savoir qui gagne ou ce qui se passe ensuite dans n'importe quel tribunal inférieur »(60). Du point de vue du droit français, ce qui se révèle particulièrement intéressant dans cette opinion dissidente est la critique du caractère potentiellement abstrait du contrôle exercé ici par la Cour : l'affaire étant terminée pour ce qui concerne les requérants, les juges de la majorité ont en réalité effectué un contrôle de constitutionnalité qui n'est pas fondé sur une affaire concrète. Cela, selon le juge Thomas, ne rentre pas dans les compétences données à la Cour suprême fondées sur l'article III de la Constitution : « Les tribunaux ne rendent tout simplement pas de »jugements" qui font basculer les lois de « opérationnelles » à « inopérantes » et vice-versa, comme si le contrôle judiciaire était une sorte de compétence in rem sur les actes législatifs »(61).

Cette affaire est donc particulièrement significative car, au-delà de son application au cas d'espèce (le redécoupage électoral et son contrôle), elle montre des positions divergentes à l'intérieur de la Cour suprême sur la fonction du contrôle de constitutionnalité qu'elle exerce. Comme on sait, les bases de ce contrôle sont essentiellement jurisprudentielles aux États-Unis, ce qui rend l'interprétation que les juges en font décisive pour l'avenir de cette institution. Thomas décide néanmoins d'entrer dans le mérite de la décision de la majorité dont il critique la solution en suggérant que celle-ci « annonce de sérieux problèmes à venir pour le pouvoir judiciaire » en raison de la perspective que « la victoire des élections fédérales pourrait être décidée par un jugement expéditif d'un tribunal fédéral selon lequel un tribunal d'État a dépassé 'les limites de l'examen judiciaire ordinaire' en interprétant la constitution de l'État ». Cette perspective ouvre la porte, selon les juges dissidents, à de nombreux (et incertains) recours « Bush-style »(62). On voit bien ici à nouveau apparaître la crainte que le pouvoir judiciaire se retrouve immiscé dans les résultats des élections, créant un certain embarras et une volonté de s'autolimiter afin d'éviter d'être accusé d'interventionnisme politique.

Malgré ces nuances, les réactions à l'arrêt du côté des démocrates sont globalement positives. L'arrêt est considéré comme une victoire contre les abus des législateurs républicains en vue des élections à venir(63).


En conclusion, le découpage électoral, processus mené de concert avec le recensement de la population, revêt une importance cruciale dans le cadre des élections législatives aux États-Unis, déterminant le nombre de circonscriptions de chaque État pour l'élection des membres du Congrès. Dans le cas de l'Alabama, on observait une configuration où une seule circonscription était majoritairement contrôlée par les électeurs de couleur, tandis que dans d'autres zones où ces électeurs étaient majoritaires, ils ne pouvaient exercer d'influence sur les résultats des élections. Cette situation est particulièrement frappante dans un contexte politique où le bipartisme est étroitement lié à l'ethnicité et à la couleur de peau, avec une tradition historique où les électeurs issus des minorités raciales ont tendance à voter pour le Parti démocrate. Cela s'inscrit dans le contexte plus large de l'histoire de la discrimination raciale dans les États du Sud des États-Unis, en particulier en Alabama, où, malgré le fait qu'un habitant sur quatre soit noir, la majorité des sièges de la Chambre des représentants au Congrès fédéral sont occupés par des blancs républicains depuis des décennies. Dans le cas de la Caroline du Nord, on remarque une évolution non seulement des cartes électorales, mais aussi du contrôle qu'en font les cours étatiques, entièrement lié aux alternances politiques dans le Parlement de l'État.

La question centrale soulevée par les deux affaires concerne l'équité et la représentativité dans les opérations électorales, principes qui visent à garantir qu'une partie de la population ne soit pas rendue muette par une répartition artificielle des circonscriptions. Avec ces deux décisions, la Cour suprême ouvre la voie à d'autres affaires similaires, notamment en vue des prochaines élections, dont au moins une concernant la Louisiane sera probablement jugée au printemps 2024. Il est important de noter que dans le système judiciaire états-unien, les litiges d'intérêt public sont souvent utilisés pour défendre des droits fondamentaux, avec des requérants sélectionnés par des associations et par la société civile pour porter des affaires de principe devant la Cour suprême. La prochaine saison judiciaire s'annonce donc dense de possibles rebondissements pour ce qui concerne le droit électoral.

II. Cour constitutionnelle fédérale allemande, décision 2 BvE 4/23 du 5 juillet 2023 (loi portant modification de la loi sur l'énergie dans les bâtiments), par A. Corre-Basset

Les cours constitutionnelles allemandes, la Cour fédérale comme certaines cours fédérées, ont rendu au deuxième semestre 2023 plusieurs décisions qui abordent, de plus ou moins près, la faiblesse la plus connue des démocraties : l'instrumentalisation de leurs procédures par la majorité, afin de « fermer la porte derrière elle ». C'est peut-être la tâche la plus essentielle des cours constitutionnelles que de parer ce danger, tâche d'autant plus complexe que les droits procéduraux qu'elles protègent alors peuvent à première vue parfois peser bien peu face à la légitimité démocratique que donne l'élection.

On signalera ainsi en passant la décision par laquelle le Tribunal constitutionnel du Brandebourg a refusé au groupe Alternative pour l'Allemagne (AfD) au parlement régional du Land tout droit à siéger dans la commission parlementaire de contrôle, qui exerce notamment le contrôle de l'organe législatif sur les activités de renseignement(64). Le problème qui se posait était en effet que l'AfD fait dans plusieurs Länder et au niveau fédéral l'objet de la surveillance des organes de protection de la Constitution, c'est-à-dire précisément des services que la commission en question a pour charge de contrôler. Il n'y avait donc pas seulement ici le risque général que l'AfD use de son siège pour nourrir son action hostile à la démocratie parlementaire, mais un risque tout particulier : que les conditions techniques des enquêtes soient mises à la disposition de celui sur qui on enquête, rendant l'enquête vaine. Les autres groupes ont voulu parer ce danger en utilisant la procédure de constitution de cette commission. Ses membres, qui doivent représenter l'opposition de manière convenable (§ 24 de la loi sur la protection brandebourgeoise de la Constitution), sont en effet élus individuellement par le parlement : l'AfD a beau représenter le deuxième groupe parlementaire, et constituer le principal groupe d'opposition, tous les candidats qu'elle a présentés ont été successivement refusés. Se fondant notamment sur le fait que les deux autres groupes minoritaires (à peine plus de 5 % et 10 % des députés, contre plus de 25 % pour l'AfD) occupaient chacun un des cinq sièges pourvus, donc 40 % de la commission, le Tribunal a considéré qu'il ne pouvait y avoir d'abus de majorité. L'AfD aurait de toutes manières été d'autant moins fondée à se fonder sur les droits de l'opposition qu'elle mène justement une stratégie visant à refuser la participation au jeu parlementaire (§ 83).

C'est également de surveillance de l'AfD par les services de renseignements fédérés qu'il s'agissait dans une décision rendue par la Cour constitutionnelle bavaroise(65). Celle-ci a en effet rejeté la requête par laquelle la branche locale du parti contestait sa mise sous surveillance, en considérant, comme d'autres tribunaux avant elle, que ce parti milite contre l'ordre démocratique et libéral de la RFA. Quelle qu'ambivalente que puisse être une telle décision en ce qu'elle permet à l'AfD de se donner en martyr d'un ordre faussement démocratique, il n'en reste pas moins qu'elle fournit la base légale permettant la surveillance de ce parti, élément tout de même essentiel à la défense du régime démocratique(66).

Une décision légèrement moins dramatique, enfin, mais qui montre le délicat équilibre qui doit être maintenu entre les prétentions à une démocratie totale (les mêmes prétentions qui sont utilisées, souvent, contre la démocratie elle-même par les partis cherchant à la renverser) et un certain bon sens qui risque toujours d'entraver aussi le renouvellement du débat démocratique : la Cour constitutionnelle fédérale a rejeté un recours introduit par le Parti de protection des animaux, et tendant à ce que soient détaillés, lors de la présentation télévisée des résultats électoraux, même les scores des plus petits partis. Celui-ci considérait en effet que n'étant pas nommé individuellement, mais rangé dans la catégorie des partis divers, il ne pouvait pas bénéficier de la même exposition que les autres partis, et était de ce fait désavantagé dans la compétition politique. La Cour constitutionnelle, par une simple décision en formation restreinte, a rejeté sa requête comme irrecevable, considérant l'argumentation relative au préjudice subi bien trop légère(67).

C'est à une autre décision de la Cour de Karlsruhe que nous souhaitons nous intéresser plus particulièrement : celle-ci concerne en effet la question de la liberté qui revient à la majorité lorsqu'il s'agit d'organiser le travail parlementaire, et des limites qu'elle peut trouver dans les droits individuels des députés.

La révision de la loi relative aux économies d'énergie et à l'utilisation d'énergies renouvelables pour la production de chaleur et de froid dans les bâtiments (généralement abrégée en « Loi sur l'énergie dans les bâtiments ») a donné lieu, au sein de la coalition formant le Gouvernement, aux sérieux débats que pouvait laisser augurer, pour des textes de cette nature, la participation conjointe des écologistes et des libéraux. Ces discussions internes ont conduit à ce que le projet de loi rendu public en avril 2023 et déposé au Bundestag le mois suivant ne soit en réalité qu'une ébauche (le ministère des Finances, ainsi, n'avait donné son accord au dépôt du texte que sous réserve de discussions et modifications lors de la procédure législative), pendant que le travail sur ce que devait être le véritable texte se poursuivait en parallèle et en dehors de la Chambre entre les partis formant la coalition.

De ce fait, le calendrier d'adoption du texte réel a été considérablement resserré : alors que le travail entre le 17 mai (date du dépôt) et le 29 juin (y compris la première lecture du texte en séance plénière, le 15 juin, pour un renvoi à la commission de la protection du climat et de l'énergie) a porté sur le texte d'origine – dont on savait dès la publication par la coalition le 13 juin de lignes directrices sur le texte qu'il serait si profondément modifié que, pour reprendre l'expression d'un député, il ne valait déjà plus le papier sur lequel on l'avait imprimé –, le projet définitif, présenté en détail par un document du ministère de l'Économie et de la Protection du Climat le 30 juin, ne fut transmis aux membres de la commission que le 4 juillet en fin de journée, pour être discuté le 5 à 8h30. Le règlement du Bundestag prévoyant qu'un texte peut passer en deuxième et troisième lectures(68) le deuxième jour après communication du rapport et des recommandations de la commission saisie au fond, le vote définitif était prévu le 7 juillet. Les députés n'auraient donc pu travailler sur le texte soumis au vote que pendant un peu plus de quarante-huit heures, ou une semaine si l'on prend en considération la communication du document ministériel présentant assez complètement le nouvel état de la loi – le tout sans réel avis d'experts, puisque nombre de ceux entendus par la commission pour éclairer ses débats avaient prévenu que le délai trop court qui leur avait été laissé les avait empêchés d'évaluer assez sérieusement les modifications introduites.

Un député d'opposition introduisit pendant cette procédure une requête en litige d'organe (prévue par l'art. 93, al. 1 LF et les § 13, al. 5, puis 63 à 67 de la loi sur la Cour constitutionnelle fédérale (BVerfGG) du 12 mars 1951), accompagnée d'une requête en référé (§ 32 de la loi sur la Cour constitutionnelle fédérale – BVerfGG) visant à ce que soit interdit au Bundestag d'inscrire le texte à l'ordre du jour tant qu'un délai d'au moins quatorze jours ne se serait pas écoulé à compter du dépôt du projet définitif (dont la date était encore inconnue au moment de la requête). Pour trancher ce cas, complexe en ce qui regardait tant la recevabilité que le fond, la Cour a louvoyé entre appréhension matérielle et appréhension formelle des questions posées ; elle a ainsi abouti à une solution qui, sans donner entièrement raison au requérant (la Cour a seulement interdit au Bundestag de mettre le texte à l'ordre du jour à la date prévue), a tout de même fait prévaloir le droit individuel du député à la participation à la formation de la volonté parlementaire sur l'autonomie procédurale du Bundestag.

A. Une recevabilité fondée sur des arguments pratiques

La requête posait plusieurs problèmes de recevabilité, tant au principal que dans sa dimension de référé.

Il fallait d'abord établir, ce qui n'allait pas de soi, que la requête au fond pouvait être accompagnée d'une requête en référé. Deux conditions à cela : que la décision demandée ne rende pas oiseux le recours au fond, et qu'elle entre dans le cadre des pouvoirs reconnus à la Cour dans ce même type de recours(69).

En l'espèce, ces deux critères n'étaient pas sans poser problème : d'une part, la finalité de la demande au fond et celle de la requête en référé paraissaient très proches, puisqu'il s'agissait d'empêcher le Bundestag d'adopter la loi en cause de manière précipitée ; d'autre part, la procédure de litige d'organes n'a pas pour objet de conduire à une injonction contraignante, mais seulement de constater le respect ou non par un organe constitutionnel des droits de ses homologues en établissant l'interprétation de la Loi fondamentale qui prévaut sur ce point(70) : le requérant entendait pourtant obtenir une interdiction à l'encontre du Bundestag. Ces deux critères supportent une exception lorsque l'ordonnance de référé constitue le seul moyen d'empêcher dans les faits une atteinte définitive portée aux droits du requérant. C'est sur ce fondement que la Cour accepte ici le principe d'une ordonnance injonctive (§ 75-77) : on peut y voir une manière de considérer que, parfois, les faits s'imposent au droit de telle manière qu'on doit faire prévaloir l'esprit du texte (l'objectif de préservation de l'équilibre institutionnel et des procédures démocratiques) sur sa lettre. Il n'est jamais tout à fait confortable pour un juge de se fonder sur les exceptions, et la Cour, de manière étonnante, préfère avoir recours pour étudier la première condition à une argumentation fragile, mais qui a l'intérêt de montrer que les requêtes au fond et en référé ne se recouvrent pas(71), plutôt que d'avoir là aussi recours à l'exception qu'elle signale pourtant.

Il n'est pas que la recevabilité du référé lui-même qui doive être examinée. Son succès dépend d'abord de la recevabilité du recours au fond, ou plutôt du fait qu'il ne soit pas manifestement irrecevable. Là encore, la solution n'allait pas de soi : le défenseur pouvait en effet faire valoir que la décision déterminant la date des deuxième et troisième lectures, d'après la jurisprudence de la Cour elle-même, ne constituait pas un acte faisant grief, mais un simple acte préparatoire(72). Sans avoir besoin d'effectuer un revirement de jurisprudence, le juge constitutionnel allemand se fonde sur le fait que le requérant ne conteste pas cette décision en particulier, mais l'organisation générale de cette procédure législative, qui dans son ensemble l'aurait privé de son droit de participation à la formation de la volonté parlementaire, pour reconnaître la recevabilité de la requête au fond. Le contraste avec la jurisprudence citée, dans laquelle la décision fixant la date des lectures était contestée afin d'attaquer, en réalité, la loi elle-même en empêchant son vote, permet de bien comprendre le raisonnement du juge dans la décision commentée. C'est une appréciation globale, et concrète, de la manière dont l'organisation de la procédure législative porte atteinte au droit du député à la participation à la formation de la volonté parlementaire qui justifie la décision rendue ici.

Qu'il s'agisse de la recevabilité au fond ou en référé, on voit que les objections, plus ou moins fortes, qui auraient pu être apportées à la requête sont écartées sur le fondement d'une appréciation concrète de la situation : l'atteinte au droit à une égale participation à la formation de la volonté parlementaire étant constituée, le cas échéant, par l'organisation du vote au jour prévu par le Bundestag, seule une ordonnance de référé pourrait l'empêcher. Un refus de statuer, au contraire, sur le fondement de l'irrecevabilité conduirait à ce que l'atteinte, si elle est reconnue a posteriori, soit irréversible (§ 102). La Cour ne daigne pas d'ailleurs répondre à l'argument, qu'on pourra trouver osé, qu'avance le défendeur : quoique bien postérieure aux faits, une décision au fond serait suffisante à protéger le droit du député en ce qu'elle lui accorderait une forme de réparation morale (§ 48 ; § 103).

Lorsqu'il s'agit cependant de vérifier le bien-fondé de la requête, on doit remarquer que la Cour constitutionnelle fédérale prend bien garde de ne pas se laisser guider par le même genre de considérations relatives à la situation de fait.

B. La protection formelle du droit à l'égale participation à la formation de la volonté parlementaire

Quoique très abondamment commentée en Allemagne, et au-delà des seules revues juridiques(73), il faut rappeler que la décision en cause ici, n'étant qu'une décision de référé, ne se prononce pas sur le fond. Même l'injonction faite au Bundestag restait d'assez faible portée, puisque celui-ci aurait pu convoquer une session extraordinaire (la semaine de session pour laquelle valait l'injonction était la dernière de la session ordinaire) s'il avait voulu adopter rapidement le texte. Son effet pourtant est frappant puisqu'elle peut être lue comme un signal à l'adresse de la majorité : les procédures démocratiques, afin de garantir le bon fonctionnement du régime, doivent faire l'objet d'une interprétation loyale. Les droits reconnus individuellement aux députés doivent être compris dans ce contexte, et par conséquent strictement protégés, alors même que le fonctionnement d'un système majoritaire pourrait inciter à les considérer au regard de leur effectivité en contexte majoritaire.

Certes, la présente décision ne préjuge en rien de celle qui sera rendue au fond, et qui devra déterminer précisément la manière dont peuvent être pondérés l'autonomie organisationnelle, c'est-à-dire à travers elle les pouvoirs de la majorité parlementaire, et les droits des députés d'opposition, alors même qu'il est entendu que leur voix ne pourrait pas empêcher l'adoption du texte. Il est cependant remarquable que la Cour n'ait pas choisi, ce qui aurait pu être une solution de facilité, de rejeter la requête en constatant justement que l'atteinte, en pratique, était sans incidence sur l'adoption de la loi.

On peut au moins supposer ce dernier point acquis. Ce qui a retardé la communication du texte véritablement voué à être discuté et adopté, en effet, était précisément la difficulté qu'ont eue les membres de la coalition à s'entendre sur celui-ci. On peut donc raisonnablement penser, et d'autant plus raisonnablement lorsque l'on sait la force qu'a dans la vie parlementaire allemande la discipline de coalition(74), que le compromis une fois trouvé entre les partis formant la coalition n'avait plus vocation à être modifié par eux. Une vision un peu brutale du fonctionnement du parlementarisme majoritaire conduirait alors à considérer que l'accélération considérable de la procédure législative était en pratique de peu de conséquences, puisque le texte aurait de toutes manières été adopté par la majorité. Dans une perspective assumant que le propre du régime parlementaire est de déplacer la lutte politique de l'opposition entre les pouvoirs (législatif et exécutif) vers la lutte entre les partis, ce qui se traduit par la définition du régime parlementaire comme régime de fusion des pouvoirs, on pourrait soutenir qu'une appréciation concrète des circonstances conduirait plutôt à considérer que l'atteinte est à la mesure de l'influence réelle du député concerné sur la formation de la volonté parlementaire : une influence à peu près nulle, en l'espèce.

Reste que pour réaliste que soit une telle manière de se représenter les choses, elle entrerait en contradiction avec la « magna carta » du député qu'on trouve, selon la doctrine allemande et la Cour de Karlsruhe, dans la deuxième phrase de l'art. 38, al. 1 LF(75). Sous la simple description des députés comme représentants du peuple allemand, on doit en effet découvrir un véritable statut du député qui lui garantit notamment droit d'information et de délibération. Le droit à disposer d'un temps suffisant pour étudier les projets de loi établi par la Cour dans cette décision relève également de ce statut(76). On peut remarquer ici que ce droit paraît d'une importance assez grande au juge constitutionnel pour non seulement être protégé malgré son peu de conséquences pratiques en l'espèce, mais aussi pouvoir être utilisé même dans les cas où les règles procédurales écrites ont été respectées. Cela ne va pourtant pas de soi : ni les droits des députés ni la procédure législative ne sont détaillés dans la Loi fondamentale, mais le règlement du Bundestag énonce tout de même les quelques règles qui régissent l'élaboration de la loi. Celles-ci pourtant ne peuvent pas, selon la Cour constitutionnelle fédérale, conférer un brevet de constitutionnalité à la procédure : leur respect formel n'empêche pas des abus qui seraient, eux, contraires aux droits des autres organes, y compris des autres députés(77).

Le cadre particulier de la décision commentée aurait pourtant pu plutôt faire pencher la balance en faveur du défenseur. Comme le rappelle la Cour, en effet, une ordonnance de référé exige, parce que pour faire provisoirement droit elle risque toujours de se révéler après coup contraire au droit, des arguments d'un poids tel « qu'ils [la] rendent absolument nécessaire ». Cette exigence est redoublée dans le cadre d'un litige d'organes, puisqu'une ordonnance rendue en cette procédure « signifie une atteinte portée par la Cour constitutionnelle fédérale à l'autonomie d'un autre organe constitutionnel »(78). Les arguments ne manquaient donc pas pour dénier la requête, et de manière manifeste comme l'exige la procédure en référé, tout bien-fondé à la requête.

Que le but essentiel de la Cour soit de protéger la démocratie par la protection de l'élément structurant qu'en est le député, on peut sans doute s'en convaincre en observant le raisonnement qu'elle oppose au défendeur pour déterminer si l'accélération du temps législatif peut porter atteinte au droit du député d'opposition. La question était d'autant plus intéressante qu'elle était nouvelle (§ 89). Pour le Bundestag, le silence du texte constitutionnel sur la question doit conduire à lui reconnaître une large autonomie dans l'organisation des procédures législatives, autonomie renforcée par sa légitimation démocratique ; seuls des abus de droit, visant volontairement à empêcher les députés d'exercer leurs fonctions, pourraient limiter cette autonomie (§ 41-43). La CCF au contraire oppose, au niveau des principes, l'autonomie procédurale du Bundestag et le statut du député. La simple existence de cette opposition de principe implique que la requête n'est pas manifestement dénuée de bien-fondé.

On le voit, la Cour ici adopte une perspective beaucoup plus abstraite que celle que nous avons pu observer à propos de la recevabilité. La cohérence argumentative ne tient donc pas tant au style de raisonnement qu'au but poursuivi : la protection du statut de député en tant qu'élément de protection du système démocratique. Il est même remarquable, d'ailleurs, qu'elle construise pour ce faire une opposition entre deux institutions, l'autonomie du Bundestag en matière de procédure législative et le statut du député, qui ne peuvent trouver dans le texte constitutionnel qu'un écho tout à fait lointain, si tant est qu'on puisse l'y reconnaître. L'art. 38 LF ne fait mention que des garanties externes apportées au député (exercice libre et selon sa seule conscience de son mandat), et on pourrait d'ailleurs considérer, a contrario, que ce silence exclut tout droit individuel spécifique reconnu au député. Quant au silence du texte sur la procédure législative, il pourrait être interprété simplement comme une liberté entière laissée au législateur, plutôt que comme une institution qui, comme telle, peut être pondérée par une autre. Il nous semble en effet que construire ainsi une garantie (celle de l'autonomie procédurale), hors de tout texte et hors de toute menace, se justifie particulièrement lorsqu'on souhaite pouvoir la limiter : pour limiter une liberté, encore faut-il la nommer comme telle. C'est ainsi en établissant les éléments de cette garantie, notamment la maîtrise du calendrier d'examen de la loi, que la Cour peut opportunément découvrir une sorte de lacune dans la Loi fondamentale : il serait impossible d'établir dans celle-ci des dispositions relatives à cette question, qui ne peut être appréciée que concrètement. Ainsi, le silence constitutionnel n'est pas une habilitation faite au Bundestag, mais la part d'un statut qui ne pouvait techniquement pas être précisée. On retrouve ici l'art consommé qu'a la Cour constitutionnelle fédérale de déplier à partir du texte constitutionnel tout un monde de papier qu'on n'y aurait pas soupçonné.

Le reste de la démonstration peut être présenté plus rapidement : une fois admis que la requête n'est pas manifestement dépourvue de fondement, il reste à établir la pondération entre l'atteinte portée aux droits du requérant en cas de rejet du référé alors qu'il lui serait donné, trop tard, raison sur le fond et celle portée aux droits du défenseur au cas où le référé prospérerait, quand la requête serait après coup rejetée au fond. Quoiqu'un commentateur ait pu reprocher à la Cour une forme de paralogisme, qui lui a permis de ne pas se préoccuper de la question des chances de succès au fond pour décider sur le référé(79), la réponse n'est pas pour surprendre au vu de la tonalité de l'ensemble de la décision : l'atteinte aux droits du requérant serait bien plus grave, car irréversible (§ 102), alors que le Bundestag et le Gouvernement disposeraient des moyens permettant, même en interdisant une lecture immédiate du texte, son adoption rapide.

Cette conclusion même n'est pas sans laisser une impression curieuse, lorsqu'on la compare aux développements relatifs à la recevabilité. Alors qu'on a vu comme c'étaient les conséquences concrètes qui justifiaient les entorses faites aux règles encadrant habituellement les ordonnances provisoires rendues sur le fondement du § 32, al. 1 BVerfGG (leur application stricte aurait en effet rendu cette voie de droit sans effet en l'espèce), on doit constater que, lorsqu'on en vient au litige lui-même, la Cour semble abandonner cette perspective empirique. Affirmer que le député d'opposition perdrait de manière irréversible son droit de coproduction de la loi en cause revient sans doute à surestimer l'influence qu'il aurait pu effectivement exercer, au moins dans le fonctionnement normal des systèmes parlementaires majoritaires.

On pourrait presque trouver qu'il en revient à une conception un peu archaïsante, pré-20e siècle, de la figure du député, saisi dans son individualité et non par son inscription dans un système de partis conçus comme les véritables lieux de formation de la volonté politique(80). Ou bien l'on pourrait aussi faire crédit à la Cour d'une douce espérance, celle que la protection des conditions du débat parlementaire permettrait des tempéraments à la pratique habituelle du régime parlementaire et à la discipline de parti qui s'y exprime parfois si fortement qu'elle participe à le saper.

(1): Respectivement dans les amendements 15, 19, 24 et 26. Pour une analyse, voir M. Bouaziz, « La démocratie en Amérique : restrictions et privations de l'exercice du droit de vote des minorités raciales aux États-Unis », RFDC, n° 131, 2022/3, p. 549-550.

(2): Voir notamment le récent ouvrage de R. L. Hasen, A real right to vote, Princeton University Press, 2024.

(3): R. Albert, Constitutional Amendments. Making, breaking, and changing constitutions, OUP, 2019.

(4): R. L. Hasen, op. cit., note 2, p. 8.

(5): Shelby County v. Holder, 570 US 529 (2013). V. M. Bouaziz, op. cit., note 1, p. 558-562.

(6): En plus de l'arrêt Shelby précité, l'arrêt Brnovich v. Democratic National Committee, 594 U.S. ___ (2021) a également réduit les possibilités d'activer le VRA pour contrer les politiques de vote discriminatoires.

(7): Depuis la révision de l'article 25 de la Constitution par la loi du constitutionnelle du 23 juillet 2008. Néanmoins, la commission reste aujourd'hui un objet mystérieux du droit constitutionnel français : elle n'a jamais siégé depuis 2009, aucun redécoupage n'est en vue, et ses membres n'ont pas été renouvelés depuis 2015 alors qu'ils ont tous achevé leur mandat à ce jour.

(8): R. L. Hasen, op. cit., note 2, p. 8.

(9): Voir E. Bottini, « Le juge et le poulailler. Présidentielles américaines et contrôle des élections démocratiques », Grief, vol. 8/2, no. 2, 2021, p. 39-52.

(10): La question s'est récemment posée également devant la Cour constitutionnelle fédérale allemande, voir A. Corre-Basset, « Chronique de droit constitutionnel comparé (janvier 2023 à juin 2023) », Titre VII [en ligne], n° 11, Santé et bioéthique, octobre 2023, https://www.conseil-constitutionnel.fr/publications/titre-vii/chronique-de-droit-constitutionnel-compare-janvier-2023-a-juin-2023.

(11): C. Saunier, La doctrine des « questions politiques ». Étude comparée : Angleterre, États-Unis, France, LGDJ, Collection : Thèses, 2023. Voir également, pour le cas des États-Unis, E. Bottini, « Le juge et le poulailler », op. cit., note 9.

(12): Allen v. Milligan, 599 U. S. 1 (2023), du 8 juin 2023, disponible en anglais à la page suivante : https://www.oyez.org/cases/2022/21-1086. Toutes les citations sont indiquées avec les numéros de page de la version « slip opinion » qui précède la publication au recueil officiel de la Cour suprême, qui intervient plusieurs années après les décisions. Pour chaque citation, il sera indiqué dans quelle opinion elle est insérée (majoritaire, concordante, dissidente) ainsi que le numéro de page.

(13): Moore v. Harper, 600 U.S. 1 (2023), du 27 juin 2023, disponible en anglais à la page suivante : https://www.supremecourt.gov/opinions/22pdf/21-1271_3f14.pdf. Pour le mode de citation, v. supra, note 12.

(14): « Aucune qualification ou condition préalable au vote, ni aucune norme, pratique ou procédure ne sera imposée ou appliquée par un État ou une subdivision politique pour refuser ou restreindre le droit de vote d'un citoyen des États-Unis en raison de sa race ou de sa couleur », Voting Rights Act (1965), section 2.

(15): M. Bouaziz, op. cit., note 1, p. 556.

(16): « Le droit de vote des citoyens des États-Unis ne sera pas refusé ou restreint par les États-Unis ou par tout État en raison de la race, de la couleur ou d'une condition antérieure de servitude (...) ».

(17): Mobile v. Bolden, 446 U.S. 55 (1980). Dans cet arrêt, une majorité des juges de la Cour suprême a affirmé que seule l'intention de discriminer comptait pour appliquer le VRA, indépendamment des résultats discriminatoires.

(18): Ce droit est explicitement nié par la nouvelle rédaction de la section 2 du VRA adoptée en 1982 ; ce rejet est le résultat du compromis qui a conduit à l'adoption de la révision de la loi par une très grande majorité bipartisane.

(19): Ce test a été établi par la Cour suprême dans Thornburg v. Gingles, 478 U.S. 30 (1986). Il est rappelé dans l'arrêt commenté à la p. 10 et s. de l'opinion majoritaire.

(20): L'arrêt fait mention de moins de dix affaires qui ont été gagnées sur la base de la section 2 du VRA depuis 2010 dans tous les États-Unis ; v. p. 21 de l'opinion majoritaire.

(21): « Leading Cases : Allen v. Milligan », Harvard Law Review, novembre 2023, vol. 137, n° 1, p. 480-489.

(22): Merril v. Milligan, 595 U.S. _ (2022).

(23): V. supra, note 17.

(24): P. 39 et s. de l'opinion dissidente.

(25): « Ce type de proportionnalité, poursuit l'Alabama, est incompatible avec le compromis trouvé par le Congrès, avec le texte de l'article 2 et avec l'interdiction de la discrimination raciale en matière de vote prévue par la Constitution », p. 16 de l'opinion majoritaire qui reporte la position de l'État défendeur.

(26): Et en particulier du point de vue géographique et de l'unité territoriale. La Cour fait l'exemple des affaires Miller v. Johnson, 515 U.S. 900 (1995) et Bush v. Vera, 517 U.S. 592 (1996) ; v. p. 19 et s. de l'opinion majoritaire.

(27): Ibid., p. 27.

(28): Ibid., p. 25.

(29): Voir commentaire dans la Harvard Law Review, op. cit., note 21 ; Kavanaugh laisse entendre dans l'opinion concurrente que la constitutionnalité du VRA pourrait être revue si jamais il n'y a plus de discrimination : « Le juge Thomas note cependant que même si le Congrès de 1982 pouvait constitutionnellement autoriser un redécoupage basé sur la race en vertu du § 2 pour une certaine période de temps, l'autorité de procéder à un redécoupage basé sur la race ne peut pas s'étendre indéfiniment dans l'avenir. (...). Mais l'Alabama n'a pas soulevé cet argument temporel devant cette Cour, et je ne l'examinerai donc pas pour l'instant » (p. 4 de l'opinion concurrente).

(30): « La crainte que l'article 2 n'accorde une place inadmissible à la race dans la répartition du pouvoir politique au sein des États n'est, bien entendu, pas nouvelle. Notre opinion d'aujourd'hui ne diminue ni ne néglige ces préoccupations. Elle affirme simplement qu'une application fidèle de nos précédents et une lecture équitable du dossier dont nous disposons ne les confirment pas dans le cas présent », p. 34 de l'opinion majoritaire.

(31): ## E. Chemerinsky, « History, Tradition, the Supreme Court, and the First Amendment », Hastings Law Journal, n° 44, 1993, p. 901-920 ; J. M. Balkin, « The New Originalism and the Uses of History », Fordham Law Review, n° 82, 2013, p. 641-719.

(32): W. R. P. Kaufman, « The Supreme Court's originalists have taken over − here's how they interpret the Constitution », The Conversation, 25 septembre 2023, disponible sur : https://theconversation.com/the-supreme-courts-originalists-have-taken-over-heres-how-they-interpret-the-constitution-212241. Pour une analyse de cette doctrine, v. M. Carpentier, « Variations autour de l'originalisme », Revue française de droit constitutionnel, vol. 107, n° 3, 2016, p. 739-744.

(33): A. Keyssar, T. Wolf, « This Supreme Court's 'Originalism' Doesn't Have Much to Do With History », Newsweek, 3 octobre 2023, disponible sur : https://www.brennancenter.org/our-work/analysis-opinion/supreme-courts-originalism-doesnt-have-much-do-history.

(34): A. O. Larsen, « The Supreme Court Decisions on Guns and Abortion Relied Heavily on History. But Whose History », Politico, disponible sur : https://www.politico.com/news/magazine/2022/07/26/scotus-history-is-from-motivated-advocacy-groups-00047249.

(35): Voir un communiqué de presse de l'American Historical Association et de l'Organization of American Historians contre le mauvais usage de l'histoire dans l'arrêt Dobbs v. Jackson de 2022, qui est revenu sur le droit constitutionnel à l'avortement aux États-Unis : https://www.historians.org/news-and-advocacy/aha-advocacy/history-the-supreme-court-and-dobbs-v-jackson-joint-statement-from-the-aha-and-the-oah-(july-2022) : « L'OAH et l'AHA considèrent qu'il est impératif que les preuves et les arguments historiques soient présentés conformément aux normes élevées de l'érudition historique. L'opinion majoritaire de la Cour dans l'affaire Dobbs v. Jackson ne répond pas à ces normes et a donc établi un précédent erroné et inquiétant ».

(36): P. 13 de l'opinion majoritaire.

(37): Ibid., p. 28.

(38): Ibid., p. 29.

(39): Ibid., p. 31.

(40): Ibid., p. 32.

(41): E. Cochrane, « Alabama is Ordered to Use Map with Two Districts that Empower Black Voters », New York Times, 5 octobre 2023, disponible sur : https://www.nytimes.com/2023/10/05/us/politics/alabama-congressional-map-democrat-seat.html.

(42): La création de la première circonscription de l'histoire de l'Alabama à majorité noire avait eu lieu en 1992 à la suite d'affaires portées en justice : Camp v. Wesch, 504 U.S. 902 (1992) et Figures v. Hunt, 507 U.S. 901 (1993).

(43): Cet arrêt est particulièrement dur envers les tactiques de délai du législateur étatique et affirme que les juges sont « nbsp ;dérangés par les preuves que l'État a décalé les remèdes mais in fine n'entretient même pas l'ambition de fournir le remède exigé. (...) Nous n'avons pas connaissance d'un autre cas où le Parlement d'un État – face à une décision de la cour fédérale qui déclare que sa carte électorale dilue illégalement les votes des minorités et demande une carte qui ajoute un district supplémentaire – répond avec un plan dont l'État admet qu'il ne prévoit pas cette circonscription. La loi exige la création d'une circonscription supplémentaire qui donne aux habitants noirs de l'Alabama comme tout le monde une opportunité juste et raisonnable d'élire des candidats de leur choix » (United States District Court Northern District of Alabama, Southern Division,Singleton v. Allen, Milligan v. Allen, 5 octobre 2023, disponible sur : https://s3.documentcloud.org/documents/23936075/milligan-2023-09-05-order.pdf).

(44): Rucho v. Common Cause, No. 18-422, 588 U.S. (2019). V. infra.

(45): Harper v. Hall, 868 S.E.2d 499, 551 (N.C. 2022) du 14 février 2022.

(46): Harper v. Hall, 886 S.E.2d 393, 416 (N.C. 2023) du 28 avril 2023.

(47): Sur cette doctrine aux États-Unis, v. C. Saunier, op. cit., note 11.

(48): P. 13 de l'opinion majoritaire de l'arrêt commenté.

(49): Ibid., p. 11-14.

(50): Pour une explication détaillée, voir M. T. Morley, « The Independent State Legislature Doctrine », Fordham Law Review, n° 90/2, 2021, p. 501-560, disponible sur : https://ir.lawnet.fordham.edu/flr/vol90/iss2/6.

(51): Bush v. Gore, 531 U.S. 98 (2000) du 12 décembre 2000.

(52): P. 18 de l'opinion majoritaire.

(53): Ibid., p. 19.

(54): Ibid., p. 26.

(55): Ibid., p. 27.

(56): Ibid., p. 29.

(57): Sur ce « nbsp ; non-précédent », voir parmi les nombreuses références : S. Issacharoff, « Political Judgments », The University of Chicago Law Review, n° 68, 2001, p. 637-656 ; C. Flanders, « Please Don't Cite This Case ! The Precedential Value of Bush v. Gore The Yale Law Journal, Forum, 7 novembre 2006, https://www.yalelcwjournal.org/forum/please-dona8217t-cite-this-case-the-precedential-value-of-bush-v-gore; E. Bottini, « Le juge et le poulailler »,op. cit., note 9.

(58): P. 3 de l'opinion concordante de Kavanaugh.

(59): P. 5 de l'opinion dissidente de Thomas.

(60): Idem.

(61): Ibid., p. 12. Et Thomas de renchérir : « Le pouvoir judiciaire s'exerce sur les parties et les affaires, et non sur les lois »,ibid., p. 13.

(62): Ibid., p. 25.

(63): Dans un communiqué de presse publié peu après l'annonce de la décision, Bob Phillips, le directeur exécutif de Common Cause North Carolina, a qualifié la décision de « nbsp ;victoire historique pour le peuple de Caroline du Nord et pour la démocratie américaine. Aujourd'hui, la Cour suprême a clairement indiqué que les tribunaux d'État et les constitutions d'État devraient servir de contrepoids essentiel contre les abus de pouvoir par les législateurs. Maintenant, nous devons nous assurer que les tribunaux de nos États remplissent leur devoir de protéger nos libertés contre les attaques des politiciens extrémistes Moore ont été répertoriées ici : https://ross.house.gov/2023/6/reaction-round-up-to-u-s-supreme-court-s-decision-in-moore-v-harper.

(64): Décision VfgBbg 78/21 du 6 septembre 2023.

(65): Décision BayVGH 10 CE 23.796 du 14 septembre 2023.

(66): Voir le commentaire de T. Renner sur le Verfassungsblog : https://verfassungsblog.de/verloren-und-doch-gewonnen/, DOI : 10.59704/4696094796001383.

(67): Décision CCF 2 BvQ 189/23 du 8 octobre 2023.

(68): Ces deux lectures étant généralement de pure forme, car c'est le travail en commission qui est déterminant, elles peuvent avoir lieu le même jour (sauf en cas de modifications introduites en deuxième lecture) ; le droit d'amendement peut s'exercer à chacune des lectures, mais de manière plus restrictive pour la troisième (§ 81-85 du règlement du Bundestag – Geschäftsordnung des Deutschen Bundestages (BT-GO)).

(69): Ce en vertu de jurisprudences constantes et anciennes (voir ainsi BVerfGE 34, 160, 162 pour le premier point ; BVerfGE 8, 42, 46 pour le deuxième).

(70): Voir sur ce point S. Korioth, K. Schlaich, Das Bundesverfassungsgericht, Munich, C. H. Beck, 12e éd., 2021, § 83-84 : certes, les organes constitutionnels ont l'obligation de remédier à l'inconstitutionnalité éventuellement constatée, mais aucune sanction n'appuie ce devoir. Pour un exemple tout à fait parlant, nous nous permettons de renvoyer au commentaire de la décision 2 BvE 4/20 du 15 juin 2022, rendue dans le même cadre, que nous avons donné dans cette même revue (n° 9, 2022/2).

(71): Argumentation d'ailleurs critiquée par C. Hillgruber dans son commentaire de la décision (Juristenzeitung, 2023, p. 927-931, p. 929) : au fond comme en référé, le requérant cherche la protection de ses droits, et lui donner raison en référé rend, selon C. Hillgruber, oiseuse la requête au fond.

(72): § 85, faisant référence à la décision BVerfGE 112, 363, 365 sq.

(73): H. Kahl, Zeitschrift für das gesamte Recht der Energiewirtschaft, 2023, p. 321-325, p. 325 ; voir ainsi la discussion de la décision par U. Volkmann dans la Frankfurter Allgemeine Zeitung du 9 août 2023.

(74): On a ainsi pu voir récemment, lors du débat sur une motion relative à la politique ukrainienne du Gouvernement déposée par l'opposition, les groupes écologiste et libéral au Bundestag critiquer avec des mots très durs le Chancelier, puis voter comme un seul homme le rejet de la motion (T. Wieder, « Guerre en Ukraine : la coalition au pouvoir en Allemagne se déchire sur l'envoi de missiles Taurus à l'Ukraine », Le Monde, 16 mars 2024).

(75): K.-H. Friauf, W. Höfling, (dir.), Berliner Kommentar zum Grundgesetz, Erich Schmidt Verlag, 2023, art. 38, no 170 ; V. Epping, C. Hillgruber, Beck'scher Online-Kommentar Grundgesetz, art. 38, no 115.

(76): Ibid., no 141a.

(77): La jurisprudence est très ancienne, puisqu'elle date de la première année de fonctionnement de la CCF : BVerfGE, 1, 144.

(78): « Die Gründe müssen so schwer wiegen, dass sie den Erlass einer einstweiligen Anordnung unabdingbar machen. Im Organstreitverfahren ist dabei zu berücksichtigen, dass der Erlass einer einstweiligen Anordnung einen Eingriff des Bundesverfassungsgerichts in die Autonomie eines anderen Verfassungsorgans bedeutet », § 67 (renvoyant à une jurisprudence constante ; voir notamment BVerfGE 151, 152, 161 ; BVerfGE 160, 177, 184).

(79): C. Hillgruber, Juristenzeitung, 2023, p. 927-931, p. 930.

(80): Pour cette présentation des partis, voir H. Kelsen, La démocratie, sa nature, sa valeur, Liège, 1932.

Citer cet article

Éleonora BOTTINI ; Antoine CORRE-BASSET. « Chronique de droit constitutionnel comparé (juillet 2023 à décembre 2023) », Titre VII [en ligne], n° 12, L'enseignement, avril 2024. URL complète : https://www.conseil-constitutionnel.fr/publications/titre-vii/chronique-de-droit-constitutionnel-compare-juillet-2023-a-decembre-2023