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(Simples) réflexions sur le statut normatif de la jurisprudence constitutionnelle

Joseph PINI - eph Professeur à l'Université Paul Cézanne – Aix-Marseille III, G.E.R.J.C. – Institut Louis Favoreu (CNRS UMR 6201 – Aix-Marseille Université)

Cahiers du Conseil constitutionnel n° 24 (Dossier : Le pouvoir normatif du juge constitutionnel) - juillet 2008

Au-delà de sa banalité, la question du statut normatif de l'« œuvre » des juridictions constitutionnelles(1) recèle plusieurs enjeux d'importance. L'un d'entre eux, même éculé, demeure celui de la réalisation du mythique « gouvernement des juges »(2) dans un domaine depuis l'origine et constamment sensible de l'action de la justice, et d'autant plus évident que leur action normative tendrait vers un véritable pouvoir(3). Un autre est celui de la place de la jurisprudence constitutionnelle dans l'analyse et la synthèse du droit constitutionnel, assumée, dans la doctrine française, comme un critère de distinction d'« écoles » doctrinales(4). En arrière-plan et surtout, se profile une controverse théorique persistante touchant à la définition de la science du droit et de la normativité(5), et dont le terrain privilégié demeure celui des décisions juridictionnelles(6).

Pluridimensionnelle, la problématique de la jurisprudence constitutionnelle(7), de son autorité et de sa portée peut être recentrée sur la normativité de cette dernière. Pouvant apparaître comme synthétique des différents problèmes en ce domaine, une question retiendra plus précisément ici l'attention : quelle(s) est (sont) la (les) norme(s) produite(s) par le juge constitutionnel, spécialement comme juge de la constitutionnalité ? Classique concernant tout juge, la question revêt, pour la justice constitutionnelle, une dimension particulière, nonobstant l'évitement dont elle fait souvent l'objet. La qualité des normes en cause, spécialement la norme de référence du contrôle de constitutionnalité, et du contentieux développé sur la question de leur validité ou conformité, peut expliquer une telle singularité ou, du moins, justifier une interrogation. L'opération fondamentale correspondant à l'exercice de la fonction de juger revêt nécessairement, dans le cadre du contentieux de la constitutionnalité, une forme particulière, et « l'application » d'une norme telle que la Constitution, au sens conjointement formel et matériel qui définit le « cœur » de cette dernière et forme l'extension caractéristique de son concept contemporain(8), appelle une réflexion spécifique. De plus, les caractères de celle, parmi les normes susceptibles d'être déférées, la plus éminente et originale, la norme législative, continuent, selon certaines approches, de motiver une définition du rôle du juge constitutionnel distinguant celui-ci des autres autorités juridictionnelles(9). Bien que de nature juridictionnelle, la fonction de la justice constitutionnelle peut être juridiquement et principalement rapportée à la garantie de la répartition des compétences normatives, en premier lieu entre « législation ordinaire » et « législation constitutionnelle »(10), rôle singulier susceptible de rejaillir sur les caractères de son « œuvre ». À l'originalité de la fonction générale s'ajoute également celle de la position, combinant la qualité de juge et celle d'organe constitutionnel, dans le cadre du modèle européen de justice constitutionnelle, et qui, à ce dernier titre, confère aux cours constitutionnelles un pouvoir -normatif aux formes parfois spécifiques(11). Il convient enfin, pour envisager pleinement les contours de la difficulté, de mentionner également les modalités de la justice constitutionnelle et du contrôle de constitutionnalité, en soulignant la singularité, de prime abord, du contrôle a priori au regard de la question envisagée ici.

Dans cette perspective et vu ces données, la caractérisation du travail jurisprudentiel du juge constitutionnel appelle, plus encore, un effort théo-rique dépassant les réflexions sur la fonction de juger, nombreuses, diverses et talentueuses au point qu'il ne sera pas question d'y revenir dans le présent cadre. Les enjeux évoqués plus haut, et mêlés au débat sur la légitimité de la justice et de la jurisprudence constitutionnelles(12), semblent continuer de jouer comme autant de facteurs d'incertitude relative dans l'analyse juridique de cette dernière, les problématiques « carrefour » qu'elle sous-tend paraissant la vouer à une sorte d'état analytique intermédiaire dominant confrontant variations théoriques et exemples et contre-exemples tirés du droit positif et supposés illustrer son importance, sa valeur ou sa portée relatives. Quelques affirmations générales sur le terrain théorique (tout en privilégiant le cas français), et dont on concèdera d'emblée le caractère peu original, pourraient contribuer à mieux situer la nature et la portée juridiques de l'œuvre du juge constitutionnel, il est vrai à partir d'un parti pris de théorie analytique des normes, pour essayer simplement de poser quelques observations susceptibles de clarifier une interrogation dont on aura perçu la lourde charge. Deux étapes simples peuvent en rythmer la séquence. L'action du juge constitutionnel paraît bien se situer dans le cadre de la normativité juridictionnelle telle que peut la caractériser la théorie (I). Dès lors, l'autorité éventuelle de la jurisprudence constitutionnelle, dépendante du cadre théorique dans lequel elle est envisagée, peut être (re)mise à sa place (II).

I. L'œuvre normative du juge constitutionnel dans la normativité juridictionnelle

De la juridictio latine et ses dérivés à la Rechtssprechung allemande, les termes mêmes utilisés pour désigner l'activité de juger ouvrent sur une ambiguïté très classique et fort connue. Le juge révèle-t-il par son art dialectique la règle de droit telle qu'elle dérive de la nature et s'accorde à la fin de justice(13) ? Découvre-t-il « simplement », en appliquant la loi dont il ne serait que la « bouche », le sens contenu dans la règle supérieure pertinente,
agissant ainsi, selon une autre formule de Montesquieu, comme une « puissance nulle »(14) ? Est-il lui-même producteur d'une norme par une opération juridique propre de concrétisation, qui postule qu'il met par là en application une norme supérieure plus générale et hypothétique, c'est-à-dire proprement juridique(15) ? En réalité, la conception du droit sous-jacente à la deuxième et la troisième hypothèses postule le caractère normatif de la décision rendue pour que cette dernière puisse juridiquement exister et produire des effets contraignants(16). Dès lors, le statut de norme d'application de la décision rendue par un juge apparaît difficilement contestable(17).

La question peut être celle de l'applicabilité d'un tel schéma aux décisions rendues par les juges constitutionnels, spécialement en matière de contrôle de la constitutionnalité des normes. Certes, et en premier lieu, leur caractère normatif n'est pas douteux. Une explication plus précise de ce dernier suppose le rappel préalable de la nature de la justice constitutionnelle comme mécanisme particulier et doté d'une efficacité réelle et spécifique de correction des défauts. Elle consiste, dans le cadre du « calcul des défauts » en une voie plurielle de privation de validité des normes valides et non conformes, voire de renversement de la présomption de validité de normes non valides(18). On ne saurait envisager que se réalise un tel effet sur la validité de normes déférées au juge constitutionnel sans poser que la décision de ce dernier est elle-même une norme. Normative, la décision du juge constitutionnel présente bien et par ailleurs un caractère juridictionnel, en tant que concrétisation de la norme constitutionnelle comme norme générale sur le cas d'une norme inférieure en mettant en œuvre la sanction spécifique attachée à la violation de la norme supérieure(19).

Le possible rattachement à la catégorie des normes juridictionnelles de la décision du juge constitutionnel ne réduit cependant pas l'originalité de cette dernière. En premier lieu, se pose le problème de l'« étendue » de la norme juridictionnelle et de l'autorité qui s'y attache par nature. Certes, la notion d'autorité de chose jugée a été, dès l'origine, considérée comme pertinente et applicable, y compris dans le cas d'un contrôle abstrait et même si la qualification expresse a pu apparaître tardive(20), de sorte que l'on persistera à trouver malheureuses certaines propositions au sujet du contrôle juridictionnel de la constitutionnalité en France en particulier(21). Et dans le champ considéré comme traditionnel d'une telle autorité(22), elle demeure limitée à la norme ayant fait l'objet du contrôle(23), selon l'analyse qui pourrait être conduite de l'ensemble des dispositions et solutions pertinentes dans divers droits positifs, tant au niveau constitutionnel qu'infraconstitutionnel. Toutefois, les traits singuliers de la justice constitutionnelle conduisent à moduler de telles règles générales. Tout d'abord, dans le cadre du modèle européen de justice constitutionnelle et sans qu'une telle solution soit d'ailleurs le monopole de cette dernière, le droit positif dispose que l'autorité assortissant les décisions est absolue ou erga omnes en ce qu'elle s'impose à l'ensemble des autorités publiques(24). Ensuite, la spécificité des « données » de la chose jugée (cause, objet et parties à l'instance) dans le contentieux de constitutionnalité, en particulier abstrait, implique une appréciation adaptée à ce dernier de l'autorité de chose jugée. À cet égard, c'est la situation « la plus abstraite » d'exercice du contrôle de constitutionnalité, la plus problématique en apparence au regard de telles exigences, qu'il convient d'examiner prioritairement. Or, on relève que, d'une part l'identité de parties ne peut s'entendre de manière absolument rigoureuse dans le cadre d'un contentieux objectif et, de surcroît, sur saisine restreinte, d'autre part la cause de la demande doit s'analyser comme celle, générale, de la violation de la norme constitutionnelle, et enfin l'identité d'objet est entendue extensivement, le Conseil constitutionnel renvoyant à une « analogie » au cas où, rédigées de manière différente, des dispositions auraient pourtant la même substance(25). Singulière dans son degré, l'œuvre du juge constitutionnel n'en change pas pour autant de nature, et les caractères particuliers rapidement évoqués ne cessent pas, d'un point de vue juridique, de faire de la norme produite par ce dernier une décision juridictionnelle.

En second lieu, du point de vue de l'objet de ladite norme, la situation du juge constitutionnel présente également une originalité. Intervenant pour empêcher l'achèvement de la norme contrôlée ou la priver de validité, il agit, selon l'expression de Kelsen, comme « législateur négatif », dont le rôle, dans un cadre par hypothèse plus restreint et contraint que celui du législateur parlementaire, aboutit d'ailleurs à ne pas pouvoir finalement le distinguer de celui-ci du point de vue formel le plus strict(26). Toutefois(27), le droit positif semble souvent privilégier des mécanismes d'application des décisions du juge constitutionnel, dans le contexte (le plus fréquent) du contrôle a posteriori, plus ménagers de la sécurité et de la stabilité juridiques et penchant plus vers la correction que vers l'annulation proprement dite, ce qui modifie quelque peu le profil du travail de la justice constitutionnelle(28). Par ailleurs, l'enrichissement de ses techniques comme le choix originel des auteurs de tel système de justice constitutionnelle ont contribué au développement d'instruments juridiques qui, dans ce contexte, prennent une dimension et un relief singuliers. L'usage diversifié des réserves d'interprétation, justifié par le juge lui-même(29), a ainsi conduit à nombre d'interrogations et de débats et à une systématisation suffisamment claire pour ne pas y revenir(30). Le travail supposé avant tout de préservation de la loi par le juge constitutionnel à cette occasion se prolonge en interrogations, voire en objections chez certains, lorsque l'observateur ou, plus encore, l'autorité (spécialement juridictionnelle) d'application de la loi en mesure l'impact sur la norme législative(31). Au-delà d'une telle ligne, déjà extrême à certains yeux(32), le juge constitutionnel va jusqu'à des directives ou même des injonctions au législateur futur, dont une brillante étude, les qualifiant d'« interférences » et les distinguant bien des réserves, a éclairci la nature, le fondement et les modalités(33).

En dernier lieu, on pourrait même s'interroger sur les conséquences des modalités de production de cette norme juridictionnelle spécifique, dont les paramètres, dans la quête de la prévisibilité idéale de la décision de tout juge, confirment la variabilité pour des raisons qui lui sont pour la plupart propres(34).

II. L'œuvre jurisprudentielle du juge constitutionnel au-delà de la norme juridictionnelle

D'aucuns verraient dans ces singularités ajoutées un faisceau d'indices du rôle normateur plus ou moins général d'un organe remplissant une fonction dont seule la forme d'exercice serait finalement juridictionnelle, ou plutôt processuelle. D'un tel point de vue, la jurisprudence constitutionnelle prendrait alors une valeur normative importante, en réalité de rang sinon constitutionnel du moins supralégislatif puisque s'imposant y compris au législateur(35), qui est le niveau auquel la situent implicitement ou explicitement ceux qui entendent lui accorder une place éminente, envisageant même alors une sorte de modélisation(36). Pourtant, il semble difficile -d'adhérer, au regard des remarques qui précèdent, à une telle analyse.

Avant tout, c'est précisément sur le terrain du rang normatif des décisions du juge constitutionnel que l'idée d'une « jurisprudence normative » se trouve battue en brèche. À l'exception rare de systèmes où elle est expressément déterminée par une norme, et de manière non générale(37), la question demeure souvent incertaine dans le débat qu'elle conditionne pourtant. Rendue en application de la norme constitutionnelle formelle qu'elle concrétise, elle ne peut logiquement être considérée comme ayant elle-même, et sauf disposition contraire, valeur constitutionnelle, sa raison d'être comme norme de concrétisation découlant de ce qu'elle ne peut relever de la norme générale qu'est la norme constitutionnelle. Et l'argument tiré de la nécessité de réviser la Constitution pour « neutraliser » une décision du juge constitutionnel, selon une pratique répandue(38), vient précisément non infirmer, mais appuyer une telle dénégation, dans la mesure où la rédaction de la ou des dispositions nouvelles revêt nécessairement un degré de généralité supérieur à celle de la ou des décisions visées. C'est au niveau de la norme déclarée non conforme ou annulée, et plus précisément au niveau législatif, que se situe sans doute la décision du juge constitutionnel, comme ayant un impact sur la validité de la norme contrôlée, et se plaçant donc à un rang au moins égal. L'autorité dont elle est assortie et qui la fait s'imposer même au législateur lui est conférée par la ou les dispositions constitutionnelles pertinentes sans remettre en cause ni déterminer sa nature. La thèse de son caractère supralégislatif apparaît plus incertaine dans la mesure où les conditions permettant d'établir la supériorité d'une norme sur une autre en termes de rapport de production ne semblent pas réunies en ce qui concerne respectivement la décision du juge constitutionnel et la loi ou toute autre norme susceptible d'être contrôlée(39).

De même, l'opération, déjà évoquée, de concrétisation caractéristique de l'activité du juge, y compris constitutionnel, comme de toute hiérarchie normative et organique en réalité, doit être distinguée de celle de l'interprétation, acte de volonté plus que de connaissance, et dont le statut à la fois conditionne finalement la réponse donnée à la valeur de la jurisprudence(40), et dépend de choix théoriques préalables. Si l'interprétation, nonobstant le statut de l'interprète, demeure avant tout une opération linguistique de détermination du sens général ou appliqué d'un énoncé, l'argumentation du juge elle-même relève d'un ordre autre que normatif, même si elle est aussi nécessaire qu'obligatoire le plus souvent, et la concrétisation s'opère avant tout dans le dispositif de la décision. Dans une telle perspective, la valeur de la jurisprudence comme ensemble de solutions convergentes ne saurait être normative au sens juridique. En ce sens, elle dépasse la décision du juge. En revanche, si la détermination du sens, considérée comme la recherche de la signification de l'énoncé particulier présenté au juriste (en clair, la norme), part de l'hypothèse ou d'un sens vide, ou de l'assimilation de la production de ce sens à la production de la norme elle-même, le rôle de l'interprète prend un relief particulier au point de faire de lui un co-auteur, voire l'auteur effectif de la norme applicable, conférant à celui chargé de la concrétisation un véritable pouvoir normatif(41). Et le débat connexe sur le point de savoir si un sens ou plusieurs sont susceptibles d'être dégagés d'un énoncé normatif, d'une part confirme l'importance préalable d'une théorie de l'interprétation et d'un modèle juridictionnel qui en découle partiellement (classiquement celui de la solution formelle unique ou de l'indétermination plus ou moins radicale(42)), d'autre part peut contribuer également à amoindrir la portée reconnue à la jurisprudence. Du premier point de vue évoqué plus haut, la qualité même de l'interprétation ne détermine ni ne remet en cause le caractère normatif de la décision de concrétisation par un organe habilité, même en temps que préalable intellectuel à l'opération proprement dite. Du second point de vue, le contenu variable de l'interprétation de portée normative peut aboutir à en relativiser finalement le poids. En outre, cette autorité peut même être discutée sur le plan intellectuel. Telle quelle, l'argumentation du juge, bien que proche du premier point de vue, ne saurait sans doute être totalement assimilée à un travail doctrinal « plein », notamment en ce que le travail juridictionnel ne « définit » rien au sens exact du terme, et à rebours d'un usage fréquent. Même si le juge constitutionnel apparaît moins concerné que ses collègues, dans la plupart des cas, par l'opération caractéristique de qualification, l'œuvre conceptuelle de définition relève également pour lui de l'extérieur de sa mission proprement dite.

Toutefois, la part d'originalité de la justice constitutionnelle se manifeste ici aussi, dans un sens que l'on pourrait penser également favorable à la reconnaissance de la portée normative de sa jurisprudence. En premier lieu, le caractère souvent général voire indéterminé de nombre de normes constitutionnelles aboutit à renforcer l'importance de l'opération même de concrétisation. En second lieu, l'affirmation d'une part créatrice importante au profit du juge constitutionnel semble encouragée par l'action de ce dernier sur la norme contrôlée, notamment sous les formes évoquées plus haut, et sans qu'elle lui soit d'ailleurs propre. Sur l'un comme l'autre plan, là encore, la structure de l'argumentation aboutissant à la concrétisation et la considération accordée par l'observateur à l'œuvre d'un organe éminent mettant en œuvre la norme suprême de l'ordre juridique étatique, en des occasion plus ou moins nombreuses, peuvent amener à moduler les considérations générales relativement à la justice constitutionnelle, sans modifier pour autant la nature de l'activité de cette dernière. La modestie du propos développé ici se confirme dans celle de la conclusion susceptible d'en être tirée : sans lui retirer son intérêt ni sa qualité doctrinale éventuelle, la jurisprudence, gardant sa part dans la construction de la science du droit constitutionnel, ne bâtit pas ce dernier(43).

(1) Généralisable en plusieurs de ses aspects, la réflexion sommaire qui suit se situe avant tout sur le terrain du « modèle européen » de justice constitutionnelle, au sens devenu classique de cette notion.
(2) Voire plus effrayant : cf. Troper (Michel), « Le bon usage des spectres -- Du gouvernement des juges au gouvernement par les juges », in Le nouveau constitutionnalisme. Mélanges en l'honneur de Gérard Conac, Economica, Paris, 2001, p. 49.
(3) Au-delà de l'essai de référence d'Edouard Lambert (Le gouvernement des juges, 1921 ; reprint Dalloz, 2005), la notion apparaît aussi fluctuante et incertaine que précisément mythique : cf. entre autres les contributions réunies in Brondel (Séverine), Foulquier (Norbert) et Heuschling (Luc) (dir.), Gouvernement des juges et démocratie, Publications de la Sorbonne, Paris, 2001. Quelques comparaisons contribuent également à éclairer cette incertitude et montrent la relativité des appréciations en la matière : par ex., comp. Waline (Jean), « Existe-t-il un gouvernement du juge constitutionnel en France ? », in Renouveau du droit constitutionnel. Mélanges en l'honneur de Louis Favoreu, Dalloz, 2007, pp. 487-510, et Troper (Michel), Gouvernement des juges : mode d'emploi, Presses universitaires Laval, 2007. Pour une très intéressante comparaison entre approches et définitions du phénomène dans la doctrine juridique en France, en RFA et aux États-Unis, cf. Dyevre (Arthur), L'activisme juridictionnel en droit constitutionnel comparé : France, États-Unis, Allemagne, thèse, Paris I -- Panthéon-Sorbonne, 2008, vol. I, pp. 10-20.
(4) Pour une tentative de synthèse sur le courant doctrinal caractérisé par l'importance accordée à l'œuvre de la jurisprudence constitutionnelle, cf. Magnon (Xavier), « Orientation théorique et choix méthodologique de l'école aixoise de droit constitutionnel : réflexions et tentative de reconstruction », in Mélanges en l'honneur de Louis Favoreu, op. cit., pp. 233-254.
(5) Il est impossible de mentionner ici l'ensemble, ou même un aperçu significatif, des travaux impliqués. Pour une synthèse des positions exprimées depuis longtemps et sous des formes désormais multiples, cf. entre autres Pfersmann (Otto), « Contre le néo-réalisme juridique. Pour une théorie de l'interprétation », Revue française de droit constitutionnel, n° 50-2002, pp. 279-334, et Troper (Michel), « Réplique à Otto Pfersmann », eod. loc., pp. 335-353.
(6) Cf. Guastini (Riccardo), « Michel Troper e l'interpretazione della costituzione », in Commanducci (Paolo) et Guastini (Riccardo) (dir.), L'analisi del ragionamento giuridico, vol. 2, G. Giappichelli, Turin, 1989, pp. 249-265.
(7) Entendue ici principalement comme une ou des séries de décisions juridictionnelles aux solutions convergentes.
(8) Cf. Favoreu (Louis) et alii, Droit constitutionnel, 10e éd., Dalloz, Paris, 2007, pp. 77-85.
(9) On pense notamment à la discussion sur la qualité de « représentant » du juge constitutionnel ; pour un rappel et une analyse concernant le Conseil constitutionnel, cf. Blachèr (Philippe), Contrôle de constitutionnalité et volonté générale, P.U.F. -- Les grandes thèses du droit français, Paris, 2001, pp. 175-195.
(10) Cf. notamment Kelsen (Hans), « La garantie juridictionnelle de la Constitution (la justice constitutionnelle) », Revue de droit public, 1928, pp. 185-257 ; Eisenmann (Charles), La justice constitutionnelle et la Haute Cour constitutionnelle d'Autriche, 1928, reprint Economica, Paris, 1986 (spéc. première partie) ; également Droit constitutionnel, op. cit., p. 334.
(11) Particulièrement en ce qui concerne leur pouvoir auto-normatif : pour une étude des modalités de ce dernier, cf. notamment Jacquelot (Fanny), Le pouvoir normatif des cours constitutionnelles. Contribution à l'étude des règlements des cours constitutionnelles européennes, thèse, Toulon, 2004 (le fondement et la justification d'un tel pouvoir avancés par l'auteur apparaissent toutefois plus contestables).
(12) Avant tout en France, du moins pour la première.
(13) On aura reconnu la position jusnaturaliste classique (au sens de la distinction notamment chère à Michel Villey) ici sous-jacente, spécialement aristotélicienne.
(14) Longtemps privilégié tant pour des raisons idéologiques connues que par rattachement à une certaine conception de la séparation des pouvoirs, ce point de vue a été modélisé et distingué d'un schéma plus « activiste » : cf. Dyevre, L'activisme juridictionnel ···, op. cit., notamment pp. 51-55, à propos du juge constitutionnel et par application de la figure générale ; également Champeil-Desplats (Véronique), Les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République, Economica -- P.U.A.M., Paris -- Aix-en-Provence, 2001, pp. 221-270. L'argument n'est pas spécifique à la France : cf. notamment le classique Bickel (Alexander), The Least Dangerous Branch -- The Supreme Court at the Bar of Politics, Yale University Press, New Haven, 1962.
(15) Cf. notamment Kelsen (Hans), Théorie générale des normes, trad. française, P.U.F. -- Léviathan, Paris, 1996, pp. 23-26.
(16) Dans la première hypothèse, l'action du juge est également créatrice de droit, mais, d'une part en un sens différent de celui de la « production d'une norme », d'autre part selon une idée fort différente du droit lui-même.
(17) Cf. notamment Kelsen (Hans), Théorie générale du droit et de l'État, trad. française, Bruylant -- L.G.D.J., Bruxelles -- Paris, 1997, pp. 188-191.
(18) Cf. Kelsen (Hans), Théorie pure du droit, rééd. trad. française 1962, Bruylant -- L.G.D.J., Bruxelles -- Paris, 1999, pp. 267-272.
(19) Ibid., pp. 237-254.
(20) Dans le cas emblématique du Conseil constitutionnel, et pour s'en tenir au contrôle de la constitutionnalité, cf. 88-244 DC du 20 juillet 1988, Rec. p. 119 ; Favoreu (Louis), Recueil de jurisprudence constitutionnelle (RJC), Litec, Paris, 1993, I-334 ; également 89-258 DC du 8 juillet 1989, Rec. p. 48, RJC I-361 ; 92-312 DC du 2 septembre 1992, Rec. p. 76, RJC I-505 ; Favoreu (Louis), Philip (Loïc) et alii, Les grandes décisions du Conseil constitutionnel, 14è éd., Dalloz, Paris, 2007, n° 45. Les incertitudes, plus ou moins intéressées, et les controverses sur ce point se sont éclaircies et pacifiées : pour un rappel des positions et des évolutions, cf. Les grandes décisions···, op. cit., n° 13.
(21) Cf. par exemple Balat (Jean-Christophe), La nature juridique du contrôle de constitutionnalité des lois dans le cadre de l'article 61 de la Constitution de 1958, P.U.F., Paris, 1983 ; ou encore Blachèr, Contrôle de constitutionnalité···, op. cit., pp. 159-171 (l'auteur utilisant le modèle, même adapté, de la sanction législative pour caractériser le rôle du Conseil). À cet égard, la rédaction de la décision 85-197 DC du 23 août 1985 (Rec. p. 70, RJC I-238, Les grandes décisions ···, op. cit., n° 38), quoique soignée, ne lève pas toute ambiguïté sur une éventuelle reconnaissance du contrôle de constitutionnalité comme phase de la procédure législative.
(22) Qui « s'attache non seulement à leur dispositif [des décisions] mais aussi aux motifs qui en sont le soutien nécessaire et en constituent le fondement même » (cf. 62-18 L du 16 janvier 1962, Rec. p. 31, RJC II-9, Les grandes décisions ···, op. cit., n° 13, préc.). En l'absence de disposition expresse en la matière, à la différence de certaines situations étrangères, le juge constitutionnel français a fait application d'une règle générale consacrée depuis longtemps par les juridictions ordinaires.
(23) Pour la France, cf. notamment 244 DC, préc.
(24) Cf. art. 62 de la Constitution du 4 octobre 1958 ; également par ex., § 31 de la loi sur le Tribunal constitutionnel fédéral allemand du 12 mars 1951 modifiée.
(25) Cf. 258 DC, préc.. Cf. également 2001-455 DC du 12 janvier 2002, Rec. p. 49 et Di Manno (Thierry), « Les quotas par sexe dans les jurys de concours et l'autorité de la chose jugée des décisions du Conseil constitutionnel », Actualité juridique droit administratif, 2003 (16), pp. 820-827.
(26) Cf. Notamment Kelsen (Hans), « Wesen und Entwicklung der Staatsgerichtsbarkeit », in aa. vv., Verhandlungen der deutschen Staatsrechtslehrer, 1929, pp. 30-88.
(27) Et alors qu'une telle affirmation ne remet pas en cause le caractère juridictionnel de l'œuvre de justice constitutionnelle, mais contribue plutôt à désarmer la critique de l'illégitimité d'un juge pour contrôler la constitutionnalité de la loi.
(28) Ex. : art. 140 (5) et (6) de la Constitution fédérale autrichienne.
(29) De la part du Conseil constitutionnel, cf. notamment 455 DC, préc.
(30) Cf. notamment Di Manno (Thierry), Le juge constitutionnel et la technique des décisions « interprétatives » en France et en Italie, Economica -- P.U.A.M., Paris -- Aix-en-Provence, 1997 ; Viala (Alexandre), Les réserves d'interprétation dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel, L.G.D.J., Paris, 2000.
(31) Nonobstant un progrès en droit français : cf. Favoreu (Louis) et alii, Droit constitutionnel, op. cit., pp. 323-324 et 328-330.
(32) Cf. débats sur cette question et plus largement au cours de la journée publiée in Drago (Guillaume), François (Bastien) et Molfessis (Nicolas) (dir.), La légitimité de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, Economica, Paris, 1999.
(33) Cf. Behrendt (Christian), Le juge constitutionnel, un législateur-cadre positif. Une analyse comparative en droit français, belge et allemand, Bruylant -- L.G.D.J., Bruxelles -- Paris, 2006.
(34) Cf. sur ce point la réflexion de Genevois (Bruno), « La jurisprudence du Conseil constitutionnel est-elle imprévisible ? », Pouvoirs, n° 59 (1991), pp. 129-142.
(35) Sur ce statut infraconstitutionnel/supralégislatif (elle ne modifie pas formellement la Constitution et demeure soumise au législateur constitutionnel tout en s'imposant au législateur ordinaire) de la jurisprudence constitutionnelle empruntée à la célèbre analyse du Professeur Chapus relative aux principes généraux du droit, cf. Vedel (Georges), « Réflexions finales », in Les règles et principes non écrits en droit public, Éd. Panthéon-Assas, Paris, 2000, p. 254, repris par Avril (Pierre), « La jurisprudence institutionnelle du Conseil constitutionnel est-elle créatrice de droit ? », Archives de philosophie du droit, t. 50 (2006), pp. 33-39.
(36) Cf. par exemple Coutu (Michel), « Légitimité et Constitution : les trois types purs de la jurisprudence constitutionnelle », Droit et société, n° 56-57 (2004), pp. 233-257 (jurisprudence « formelle », « instrumentale » ou « axiologique », confrontée à la question de l'état d'exception et à celle des rapports entre systèmes intégrés lues dans une perspective théorique incertaine).
(37) Ex. : art. 138 (2) de la Constitution fédérale autrichienne et art. 56 § 4 de la loi sur la Cour constitutionnelle, desquels il découle que la décision (Rechtssatz) rendue par la Cour sur la répartition de compétences législatives entre Bund et Länder et dans le silence de la norme constitutionnelle a elle-même rang constitutionnel ; § 31 (2) de la loi sur le Tribunal constitutionnel fédéral allemand, préc., conférant valeur législative fédérale aux décision de la juridiction dans certains domaines de compétence.
(38) Cf. aa. vv., Annuaire international de justice constitutionnelle, 1994, pp. 27-282 (table ronde du G.E.R.J.C. : Justice constitutionnelle et révision de la Constitution) ; dans une analyse plus limitée, cf. Pini (Joseph), « La Cour constitutionnelle autrichienne et les rapports entre juge constitutionnel et pouvoir constituant », ces Cahiers, n° 7 (1999), pp. 47-54.
(39) Il en va de même en ce qui concerne la force dérogatoire ; pour un rappel sur ces questions, cf. une synthèse in Favoreu et alii, Droit constitutionnel, op. cit., pp. 61-66.
(40) Au-delà même du « paradoxe de la concrétisation » qui aboutit à reconnaître une priorité pratique à la norme la plus concrète : cf. Droit constitutionnel, op. cit., p. 66-67.
(41) Sur ces thèses classiques, parmi d'autres, et les débats, cf. notamment Mélin-Soucramanien (Ferdinand) (dir.), L'interprétation constitutionnelle, Dalloz -- Actes, 2005 ; Amselek (Paul), (dir.), Interprétation et droit, Bruylant, 1995 ; également Rosenfeld (Michel), Les interprétations justes, Bruylant -- L.G.D.J., Bruxelles -- Paris, 2000.
(42) Pour une synthèse, cf. notamment Dyevre, L'activisme juridictionnel ···, op. cit., pp. 94-126.
(43) Pour un prolongement, cf. par exemple Pfersmann (Otto), « À quoi bon un « pouvoir judiciaire » ? », in Cayla (Olivier) et Renoux-Zagamé (Marie-France) (dir.), L'office du juge : part de souveraineté ou puissance nulle ?, Bruylant -- L.G.D.J., Bruxelles -- Paris, 2001, pp. 181-193.