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Sélection de décisions du Tribunal constitutionnel d'Andorre, de la Cour d'Etat du Liechtenstein et du Tribunal suprême de Monaco

Cahiers du Conseil constitutionnel n° 8 (Dossier : Principautés européennes ) - juillet 2000

Sélection de décisions du Tribunal constitutionnel d'Andorre

Affaire 96-6-RE

(1) Au nom du peuple andorran,

Le Tribunal constitutionnel,

Saisi le 8 juillet 1996 d'un recours en protection constitutionnelle formé par le ministère public contre une décision de la chambre administrative du Tribunal supérieur de Justice du 6 juin 1996, déclarant irrecevable le recours formé par l'association pour la protection des animaux, des plantes et de l'environnement (APAPMA).

Vu la Constitution, spécialement les articles 10, 41, 98 c) et 102 c);

Vu la loi qualifiée du Tribunal constitutionnel, spécialement le titre IV, chapitre sixième ;

Vu la décision en date du 5 décembre 1995 de la section administrative du Tribunal des Batlles(2);

Vu la décision en date du 6 juin 1996 du Tribunal supérieur de Justice,

Vu la décision du 7 septembre 1996 du Tribunal constitutionnel, déclarant recevable le recours en protection constitutionnelle,

Vu les allégations et conclusions présentées par le ministère public, l'APAPMA et la commune d'Encamp,

Ayant entendu le magistrat rapporteur, François Luchaire.

Faits

Premièrement

Le 5 décembre 1995, saisi par l'association pour la protection des animaux, des plantes et de l'environnement (APAPMA) d'une demande tendant à l'annulation des actes administratifs servant de support juridique aux travaux de prolongement de la route secondaire des Cortals d'Encamp, la section administrative de la Batllia a pris la décision suivante : elle a d'abord considéré que l'APAPMA, association reconnue par les pouvoirs publics et ayant pour objet la protection de la nature et de l'environnement avait la capacité juridique d'agir en justice et intérêt à attaquer les actes administratifs précités ; elle a ensuite jugé que ces actes administratifs étaient conformes au droit. L'association pour la protection des animaux, des plantes et de l'environnement (APAPMA) a interjeté appel contre cette décision.

Deuxièmement

Le 6 juin 1996 la chambre administrative du Tribunal supérieur de Justice statuant sur l'appel de l'APAPMA a infirmé le jugement du Batlle en estimant que cette association n'avait pas la capacité juridique pour présenter un recours contentieux administratif contre les actes administratifs précités.

Troisièmement

Le 14 juin 1996, l'APAPMA a demandé au ministère public d'adresser au Tribunal constitutionnel un recours en protection constitutionnelle contre la décision du Tribunal supérieur de Justice qui aurait enfreint le droit à une protection juridictionnelle effective tel qu'elle est affirmée par l'article 10 de la Constitution.

Quatrièmement

Le 8 juillet 1996, le ministère public a fait droit à cette demande et présenté au Tribunal constitutionnel un recours en protection constitutionnelle.

Cinquièmement

Le 8 juillet 1996, l'APAPMA s'est présenté comme codemandeur dans la procédure en protection constitutionnelle en se joignant à la requête du ministère public.

Sixièmement

Le 7 septembre 1996, le Tribunal constitutionnel a admis la recevabilité du recours en protection constitutionnelle ; le ministère public, l'APAPMA, la commune d'Encamp et la société de travaux publics Daniel Armengol (chargée des travaux concernés) ont été invités à produire leurs observations

Septièmement

Les observations ont été enregistrées le 24 septembre 1996 pour le ministère public, le 25 septembre pour l'APAPMA et le 30 septembre pour la commune d'Encamp ; en revanche la société Daniel Armengol n'a pas répondu à cette invitation.

Huitièmement

Les conclusions sont parvenues au Tribunal constitutionnel le 22 octobre 1996 pour le ministère public, le 21 octobre 1996 pour l'APAPMA et le 18 octobre 1996 pour la commune d'Encamp.

Fondements de droit

Quant aux prétentions des parties

Considérant que :

Le Tribunal supérieur de Justice a jugé que toute personne a intérêt à la protection de l'environnement, conformément à l'article 31 de la Constitution, mais qu'il s'agit d'un intérêt « diffus » appartenant de façon égale à toute personne, et qu'une association dont cette protection est la finalité ne peut agir en justice que si une loi de procédure admet une « action populaire » pour la défense de la légalité et notamment de l'environnement.

Le ministère public et l'APAPMA soutiennent que celle-ci n'agit pas dans le seul intérêt de la légalité, n'engage pas une « action populaire » mais défend un intérêt particulier expressément évoqué dans ses statuts.

Ils considèrent que l'article 10 de la Constitution donne le droit de saisir le juge à toute personne justifiant d'un intérêt à agir et que c'est précisément le cas d'une association légalement constituée, ayant pour finalité la défense de l'environnement, qui conteste des actes administratifs dont l'exécution porterait atteinte à l'environnement.

Ils concluent qu'en déclarant irrecevable le recours de l'APAPMA le Tribunal supérieur de Justice a porté atteinte à l'article 10 de la Constitution qui donne à toute personne (physique ou morale) le droit de saisir le juge.

La commune d'Encamp estime en premier lieu que l'article 31 de la Constitution, qui impose à l'État de veiller à la défense de l'environnement, ne peut, en raison de l'article 39.3 de la Constitution, être invoqué en justice que dans les conditions spécialement prévues par l'ordonnancement juridique et qu'aucune disposition de cet ordonnancement juridique ne permet d'agir dans l'intérêt de l'environnement ; elle considère en second lieu que l'APAPMA ne justifie que d'un simple intérêt au respect de la légalité et non d'un droit subjectif et concret sur lequel elle aurait pu fonder la recevabilité de son action.

Quant aux ordonnancements juridiques étrangers

Considérant que :

L'association APAPMA invoque, dans ses conclusions, le droit espagnol comme source d'inspiration de la Constitution andorrane, ce qui impliquerait la recevabilité de son recours contentieux administratif.

Le droit français qui ne reconnaît pas la capacité d'agir en justice à une association pour la défense d'un intérêt général sauf si la loi le prévoit expressément, pourrait être aussi invoqué.

En dépit de toutes ces références, le Tribunal constitutionnel ne peut se prononcer sur la question posée dans ce recours en protection constitutionnelle que conformément au droit andorran.

Quant à la capacité de l'APAPMA d'agir en justice

Considérant que :

D'après l'article 31 de la Constitution, l'État a le devoir de veiller à la protection de l'environnement. Cette disposition se trouve dans le chapitre V du titre II de la Constitution ; or l'article 39.3 placé dans le même titre II de la Constitution dispose que : « Les droits reconnus au chapitre V du présent titre constituent le cadre de la législation et de l'action des pouvoirs publics, mais ils ne peuvent être invoqués que dans les termes fixés par l'ordonnancement juridique. » Le Tribunal supérieur est compétent pour interpréter les lois procédurales et établir s'il appartient au justiciable d'invoquer le droit à la protection de l'environnement selon l'ordonnancement juridique.

Considérant, par contre, que :

D'après l'article 10 de la Constitution « toute personne a droit à une protection juridictionnelle effective » ; en raison de sa généralité l'expression « toute personne » comprend aussi bien les personnes morales que les personnes physiques. Il résulte de cet article 10 que l'article 23 de la loi sur la justice administrative et fiscale doit être interprétée dans le sens le plus favorable à l'application du droit constitutionnel à une protection juridictionnelle effective.

Certes, d'après l'article 86.4 de la Constitution « La protection des intérêts généraux peut être exercée en justice à l'aide de l'action populaire dans les conditions fixées par la loi » ; il en résulte que, sauf exception prévue par une loi, serait irrecevable un recours formé sous forme d'action populaire et dont le seul intérêt serait la défense de la légalité.

Par contre le recours de l'APAPMA n'est pas une action populaire reposant seulement sur la défense de la légalité ; elle tend à défendre un intérêt très précis qui est celui de l'environnement et qui fait partie de ses objectifs statutaires.

En conséquence, la chambre administrative du Tribunal supérieur de Justice était infondée à déclarer irrecevable le recours contentieux administratif interposé par l'APAPMA.

La décision du Tribunal supérieur de Justice est contraire à l'article 10 de la Constitution.

Décision

Compte tenu de tout ce qui précède, le Tribunal constitutionnel, par l'autorité conférée par la Constitution, décide :

1. Les prétentions du ministère public et de l'association APAPMA concernant la violation du droit à une protection juridictionnelle effective sont admises.

2. La décision de la chambre administrative du Tribunal supérieur de Justice du 6 juin 1996 est annulée.

3. Les parties à l'instance ayant donné lieu à la décision du 6 juin 1996 susvisée sont placées dans la situation qui était la leur le 6 juin 1996 avant la décision annulée susvisée.

4. Cette décision sera publiée, conformément aux dispositions de l'article 5 de la loi qualifiée du Tribunal constitutionnel, au Bulletin Officiel de la Principauté d'Andorre.

Ainsi, par cet arrêt qui est le nôtre, qui sera porté à la connaissance du ministère public, du président du Tribunal supérieur de Justice, du représentant de l'APAPMA, du représentant de la commune d'Encamp et du représentant de l'entreprise de travaux publics Daniel Armengol, nous le prononçons, ordonnons et signons à Andorre la Vieille, le cinq novembre mille neuf cent quatre-vingt-seize.

Affaire 99-1-DP

Au nom du peuple andorran,

Le Tribunal constitutionnel,

Attendu que la demande présentée par le représentant personnel du coprince d'Andorre, Jacques Chirac, enregistré au secrétariat général du Tribunal constitutionnel le 25 mars 1999, tend à ce que le Tribunal constitutionnel émette un avis préalable d'inconstitutionnalité sur la loi modifiant la loi des taxes à la consommation du 30 décembre 1985, texte voté par le Conseil général lors de la session du 4 mars 1999,

Vu la Constitution, et spécialement ses articles 37, 59, 60 et 72,

Vu la loi qualifiée du Tribunal constitutionnel,

Vu l'ordonnance du président du Tribunal constitutionnel du 26 mars 1999 constatant que l'enregistrement de la demande du coprince a interrompu le délai de promulgation des lois par les coprinces, en application de l'article 45.2 de la Constitution et de l'article 65 de la loi qualifiée du Tribunal constitutionnel,

Vu l'arrêt du Tribunal constitutionnel du 9 avril 1999 qui a décidé la recevabilité de la demande d'avis préalable formulé par le représentant personnel du coprince d'Andorre, Jacques Chirac,

Vu l'ordonnance du magistrat rapporteur du 14 avril 1999 qui demande au gouvernement la remise au Tribunal constitutionnel de toute la documentation livrée à la Sindicatura, accompagnant le projet de loi modifiant la loi des taxes à la consommation, du 30 décembre 1985, et spécialement la lettre annexée à ce document, dans laquelle est déclaré le caractère d'extrême urgence et nécessité,

Vu les observations sur la demande d'avis préalable enregistrées par le Conseil général le 26 avril 1999,

Vu le mémoire du gouvernement enregistré le 26 avril 1999,

Vu le rapport du ministère public enregistré le 27 avril 1999,

Vu les conclusions du ministère public et des services du coprince, enregistrées le 14 mai 1999 ainsi que celles du Conseil général enregistrées le 17 mai 1999,

Entendu le rapport du magistrat rapporteur, M. Joan Josep López Burniol,

Ce Tribunal émet l'avis suivant :

Sur les trois questions préalables

Avant d'aborder le fond de la question présentée, c'est-à-dire, le contrôle de constitutionnalité de la loi modifiant les taxes à la consommation, il convient de faire référence à trois questions préalables soulevées au cours de la procédure.

Premièrement, celle relative à l'avis préalable de conformité à la Constitution des lois votées par le Conseil général. Il ne s'agit aucunement d'une procédure juridictionnelle contradictoire, mais d'une procédure sui generis, prenant la forme d'une demande motivée sans intervention du Conseil général. Sous cet angle, la demande présentée par le représentant personnel du coprince invite expressément le Tribunal constitutionnel à proposer au Conseil général de modifier la loi qualifiée du Tribunal constitutionnel.

Il n'y a pas lieu, ici et maintenant, de se prononcer sur cette question ; mais il est nécessaire d'affirmer que la loi qualifiée du Tribunal constitutionnel ne comporte pas toutes les précisions requises pour l'application de l'article 45.2 de la Constitution, qui, lui même, ne prévoit aucune procédure. D'autre part, compte tenu de ce que la résolution d'avis préalable concerne directement le Conseil général (en tant qu'auteur de la loi), le Tribunal constitutionnel ne peut se prononcer sans avoir préalablement entendu le Conseil général lui-même. Ce qui implique, d'une certaine façon, la conversion de la démarche en procédure contentieuse.

Deuxièmement, le Conseil général soulève des objections sur l'introduction de la demande par le représentant personnel du coprince. N'aurait en effet pas été produite l'autorisation de délégation exigée par l'article 46.2 de la Constitution.

Le Tribunal constitutionnel s'en remet sur ce point à sa doctrine antérieure qu'il réitère et confirme, la considérant définitivement consolidée, dans le sens contraire aux allégations du Conseil général. Les exigences constitutionnelles sur ce point ont été satisfaites, puisque (en termes juridiques) le mot « expresse » ne doit pas être compris comme « particulier » ; il s'oppose à « tacite », de sorte que « l'autorisation expresse » peut être générale ou « particulière ».

Enfin, il convient de signaler que le représentant du coprince remarque avant de s'interroger sur la constitutionnalité de la loi objet du recours, que le gouvernement a appliqué l'article 60 de la Constitution sans avoir justifié ou motivé l'extrême urgence et la nécessité alléguées, en ajoutant (en termes vagues) que « cette absence aussi bien de justification sur le fond que de motivation sur la forme pourrait constituer un premier motif de censure de la loi de la part du Tribunal ».

Sur ce point il faut, premièrement, rappeler que l'appréciation de l'urgence et de la nécessité appartiendrait, le cas échéant, au Conseil général lui-même, sans préjudice des compétences, en première instance, de la Sindicatura. Ainsi, ce Tribunal ne pourrait absolument pas se prononcer sur cette « opportunité », puisque cela supposerait d'entrer dans une appréciation de caractère politique, étrangère à ses compétences et contraires à sa fonction, sauf dans le cas, exceptionnel, où le Tribunal constaterait, le cas échéant, une erreur matérielle dans l'appréciation de l'urgence. Une telle allégation n'a pas été expressément soulevée par le représentant personnel du coprince, et rien n'indique, qu'en l'espèce, une telle erreur existe.

D'autre part, la portée d'une norme juridique ne peut pas être séparée, conceptuellement, de la forme sous laquelle a été prévue son application dans le temps. De sorte qu'on peut difficilement parler d'urgence lorsque la décision relative à l'application effective est déléguée pour un délai indéterminé.

Sur la délégation législative

Le recours concentre les objections quant à la conformité de la loi à la Constitution sur deux moyens. Le premier est la possible infraction de l'article 59 de la Constitution : celui-ci prévoit exclusivement et expressis verbis le terme de « délégation législative », tandis que la loi utilise le concept « d'autorisation législative ». En outre, la loi ne satisferait pas aux conditions requises pour valider la délégation en ne prévoyant ni « délai », ni modalités de contrôle de la « législation déléguée ».

Face à cette allégation, les observations produites à ce Tribunal par les représentants respectifs du Conseil général et du gouvernement, ainsi que par le ministère public exposent de façon convergente que la loi, loin d'avoir voulu « inventer » une nouvelle catégorie dans le système des sources normatives, a prétendu utiliser une technique diffuse de collaboration loi-règlement, connue en doctrine sous le nom « d'habilitation législative », mécanisme par lequel une loi renvoie au règlement l'application précise et concrète de matières réservées ordinairement à la loi. Autrement dit, la rédaction de l'article unique permettrait de comprendre, sans aucune ambiguïté, que ce qui est prévu par la loi est une « habilitation législative » d'une partie de la réglementation des taux d'imposition des taxes en question. Dans cette perspective, la violation de l'article 59 de la Constitution manquerait en fait.

Si ce raisonnement était retenu, la rédaction fautive du texte de la loi déférée. devrait cependant être signalée.

Sans qu'il soit besoin de trancher la question de la portée d'un exposé des motifs, il reste en effet qu'un minimum de cohérence doit être attendu entre l'exposé des motifs et le libellé de la loi.

Cette exigence n'est aucunement respectée ici puisque l'exposé des motifs emploie le terme, non conforme, d' « autorisation » là où les textes constitutionnels parlent de « délégation » et que la loi, très clairement, « établit une autorisation législative au gouvernement ».

Ceci, ne semble pourtant pas être au fondement du cas d'espèce. Le texte de loi déféré a été, à l'origine, rédigé en fonction des dispositions de l'article 59 de la Constitution, d'où la clarté et le caractère percutant de la formule employée dans l'exposé des motifs « autorisation législative » et les limites imposées au gouvernement, sous réserve cependant d'une fixation de délai. Ont été suivies en réalité les voies ouvertes par deux autres articles de la Constitution : l'article 60 (extrême urgence et nécessité) et l'article 72 (pouvoir réglementaire).

Cependant, en procédant de la sorte, on aboutit à une impasse pour plusieurs raisons :

— Premièrement, parce que, dans la procédure envisagée, les décisions du Gouvernemen ne seraient pas de nature réglementaire, mais de simples actes d'application normative, concrets et singuliers.

— Deuxièmement, pour les considérations de nature plus impérieuses suivantes :

1. Parce qu'il existe dans le système constitutionnel andorran une formule d'autorisation législative pour permettre l'extension du pouvoir réglementaire. C'est-à-dire que ne peut être en aucun cas admise, au-delà des limites constitutionnelles prévues, l'extension du pouvoir réglementaire par décision du législateur ;

2. Parce que, sans entrer dans la question théorique de la possibilité conceptuelle de « règlements autonomes », on ne peut pas oublier que le domaine réglementaire est simplement (et sans exception) un domaine d'exécution.

3. Parce que l'extension de la compétence réglementaire constituerait une sérieuse perturbation du système de la hiérarchie des normes établi par la Constitution.

4. Parce qu'il s'agirait d'un blanc seing accordé au gouvernement, absolument impensable dans le cadre d'une Constitution comme celle d'Andorre, respectueuse des prérogatives parlementaires et garante de la position du Conseil général en tant qu'axe du système démocratique.

Sur la réserve de loi de l'article 37 de la Constitution

Le représentant personnel du coprince soutient également et subsidiairement que la loi objet du recours enfreint l'article 37 de la Constitution qui impose une réserve de loi en matière fiscale. Les autres mémoires objectent qu'il ne faut pas confondre l'existence de cette réserve avec l'exclusion totale et absolue d'une intervention du règlement. Si le règlement ne peut être la norme originaire régissant l'assiette de l'impôt, il peut préciser et concrétiser les prévisions légales relatives aux différents impôts. On entrerait ainsi dans le domaine de la collaboration loi-règlement dans le domaine fiscal.

Toutes ces considérations sont le reflet de la doctrine, confirmée en droit comparé (et notamment italienne), concernant la distinction existante entre réserve de loi absolue et réserve de loi relative. Or, sans préjudice de la raisonnabilité de cette distinction, il est justifié de soutenir avec clarté qu'en matière de libertés, impôts et taxes perçues sous l'autorité de l'État, la réserve de loi opère toujours sous forme absolue. Et, en particulier, on ne peut pas passer outre la réserve de loi, lorsqu'il s'agit en matière fiscale de la fixation du taux d'imposition, puisqu'elle affecte, d'une manière directe, l'élément central de l'impôt.

Sur l'intervention gouvernementale directe en matière normative

La Constitution autorise clairement l'intervention directe du gouvernement en matière normative (art. 59 de la Constitution). Il s'agit, concrètement, de la possibilité (parfaitement admise) de la « délégation législative » à travers un « décret législatif ».

À cet effet, il est essentiel de comprendre que la délégation n'est pas nécessairement épuisée après une unique application. Le décret législatif peut déployer ses effets dans le temps de la même façon que le fait une loi, puisqu'en fait il équivaut à une loi ; la validité d'un décret législatif peut se prolonger dans le temps, chaque fois que la délégation remplit les conditions prévues par l'article 59 de la Constitution.

En effet, comme dans d'autres Constitutions européennes, l'article 59 de la Constitution prévoit la technique de l'autorisation législative. En vertu de celle-ci le Conseil général peut déléguer au gouvernement, moyennant une loi expresse, le pouvoir de dicter des normes avec rang de loi, qui reçoivent la dénomination de « décrets législatifs », soumis aux directives établies par la loi d'habilitation. De cette façon, le gouvernement modifie le titulaire du pouvoir législatif. Ce qui est délégué c'est simplement « l'exercice » du pouvoir législatif dans une hypothèse concrète. Or, qu'il s'agisse d'une hypothèse concrète ne signifie pas que la délégation s'épuise avec le décret législatif édicté en application de la loi, mais qu'il peut déployer dans le futur sa virtualité, à travers des actes concrets d'application, chaque fois que la loi d'habilitation établit une limite dans le temps pour ceux-ci.

Néanmoins, la Constitution n'admet pas la « délégation législative » comme une possibilité générique et illimitée, mais l'assujettit à certaines conditions, afin d'éviter une délégation « en blanc » au gouvernement.

Ainsi, elle exige :

— premièrement, que la loi d'habilitation détermine la matière déléguée et fixe « des principes et des directives » minimaux ;

— en second lieu, que la loi elle-même précise également les délais pendant lesquels devra s'exercer la délégation, à travers (s'il le faut) des actes concrets d'application singulière ;

— enfin, que la loi elle-même prévoie les modalités de contrôle parlementaire de la législation déléguée, ainsi que des éventuels actes postérieurs concrets d'application.

Conclusion

Une fois faite l'analyse de la loi modifiant la loi sur les taxes à la consommation du 30 décembre 1985, votée par le Conseil général lors de la session du 4 mars 1999, ce Tribunal, en vertu des considérations contenues dans le présent avis, considère qu'est frappée de vice d'inconstitutionnalité cette loi, pour violation des articles 59 et 37 de la Constitution.

Pour tout ce qui a été exposé,

Le Tribunal constitutionnel de la Principauté d'Andorre,

Déclare :

Premièrement,

Que la loi modifiant la loi sur les taxes à la consommation du 30 décembre 1985 n'est pas conforme aux articles 59 et 37 de la Constitution, et donc ne peut être promulguée par aucun des deux coprinces.

Deuxièmement,

Que cette décision portée à la connaissance des services de leurs Excellences les coprinces d'Andorre, du Conseil général et du ministère public.

Troisièmement,

Que cette décision sera publiée, conformément à l'article 67.3 de la loi qualifiée du Tribunal constitutionnel, au Bulletin Officiel de la Principauté d'Andorre.

Adoptée en Andorre la Vieille, par le Tribunal constitutionnel, le 4 juin mille neuf cent quatre-vingt-dix-neuf.

Affaire 99-15-RE

Au nom du peuple andorran,

Le Tribunal constitutionnel,

Attendu que le Tribunal constitutionnel a été saisi d'un recours en protection contre un jugement de la section administrative du Tribunal des Batlles et un arrêt de la chambre administrative du Tribunal supérieur de Justice, jugés respectivement le 18 février et le 15 juillet 1999, pour une possible violation du droit au juge garanti dans l'article 10 de la Constitution, présenté et enregistré au Tribunal constitutionnel le 7 septembre 1999, par l'avocat qui agit au nom et en représentation de la société Vallsegur, SA, et demande au Tribunal qu'il rende une décision dans laquelle il déclare « la nullité et la révocation de ces sentences et la violation d'un droit constitutionnel » et qu'il ordonne « que soit reprise la procédure au moment de l'administration des preuves en première instance afin de leur administration et la continuité de la procédure » ;

Vu la Constitution, et en particulier les articles 41, 88, 98 c) et 102 a),

Vu la loi qualifiée du Tribunal constitutionnel, et en particulier les chapitres I et VI du titre IV,

Vu la loi transitoire de procédures judiciaires,

Vu le rapport du ministère public daté le 27 septembre 1999,

Le magistrat rapporteur, M. Pere Vilanova Trias, ayant été écouté,

Antécédents

Premièrement,

Le 6 octobre 1997, les sociétés Vallsegur SA et Master Andorra ont été sollicitées par la Sindicatura à participer à un appel d'offres sur concours prévu pour la réalisation de travaux d'installations électriques et de sécurité dans l'enceinte de la Casa de la Vall. La société Vallsegur SA s'est présentée à l'appel d'offres sur concours en formulant deux offres : une qui suivait strictement les conditions exigées par le dossier de consultation, et une variante qui proposait une alternative plus économique. Finalement, le 26 janvier 1998, la Sindicatura a adjugé les travaux du projet à l'entreprise Master Consultants, s.l.

Deuxièmement,

Le 19 février 1998, la société Vallsegur SA a présenté un recours contre la décision de la Sindicatura dans lequel elle alléguait qu'une violation des règles légales d'adjudication s'était produite. Ce recours fut rejeté le 12 avril 1998.

Troisièmement,

Le 14 mai 1998, la société Vallsegur SA a introduit devant la section administrative de la Batllia une requête concluant à la nullité de l'accord d'adjudication en se fondant sur la fonctionnalité des matériels de la variante et sur l'irrecevabilité de l'entreprise adjudicataire ; elle demandait une expertise démontrant que les matériels présentés dans la variante réunissaient toutes les conditions de fonctionnalité et la production de tout document établissant que l'entreprise adjudicataire réunissait les conditions légales pour se présenter à l'appel d'offres.

Quatrièmement,

Le batlle rapporteur, par ordonnance du 13 juillet 1998, a déclaré que les preuves exigées n'étaient pas pertinentes, car non nécessaires pour résoudre l'affaire. Dans les conclusions présentées au Tribunal de Batlles, la partie demanderesse a contesté le refus des preuves demandées.

Cinquièmement,

Le 18 février 1999, le Tribunal de Batlles a rendu un jugement dans lequel, tout en accueillant la requête, il persistait sur l'irrecevabilité des preuves par document et expertise demandées, et il déboutait la demanderesse. Contre cette décision, la société Vallsegur SA a interjeté appel devant la chambre administrative du Tribunal supérieur en insistant dans son mémoire sur la violation manifeste des droits de la défense en première instance. Et le 15 juillet 1999, la chambre administrative a confirmé le jugement du Tribunal de Batlles.

Sixièmement,

Le 7 septembre 1999, le représentant de la société Vallsegur SA a saisi le Tribunal constitutionnel d'un recours en protection contre les sentences du Tribunal de Batlles et de la chambre administrative du Tribunal supérieur de Justice, pour une éventuelle violation de l'article 10 de la Constitution, concrètement le droit à une protection juridictionnelle effective.

Septièmement,

Le 27 septembre 1999, le ministère public a présenté son rapport, à la demande du Tribunal constitutionnel, dans lequel il considérait que la société Vallsegur SA n'avait pas épuisé les voies de recours ordinaires, puisque la chambre administrative du Tribunal supérieur de Justice n'avait pas été saisie de l'incident de nullité d'actions prévu par l'article 18 bis 3 de la loi modifiant la loi transitoire de procédures judiciaires. Pour cette raison, le ministère public demande que la requête soit déclarée irrecevable.

Fondement juridique unique

Effectivement, comme l'indique le ministère public dans son rapport du 27 septembre 1999, il ne résulte pas des productions du représentant de la société requérante que la demande en nullité d'actions prévue par l'article 18 bis 3 de la loi modifiant la loi transitoire de procédures judiciaires du 22 avril 1999, ait été introduite en cours d'instance. L'article de loi concerné développe sur trois paragraphes les différentes hypothèses prévues par le législateur. Le troisième paragraphe dispose que : « Dans les cas de sentences ou résolutions définitives au cours desquelles s'est produit une violation du droit fondamental au juge, la personne lésée peut demander au juge ou au tribunal qui les a rendues leur annulation lorsque cette violation n'a pas été dénoncée antérieurement, dans le délai de quinze jours francs à compter de la notification, ou de la connaissance de la violation du droit, et avant qu'il ne se soit écoulé une année depuis le jour de la notification du jugement aux parties lorsque le sujet de droit prétendument lésé n'a pas été partie au procès ordinaire. »

Ce Tribunal considère nécessaire d'éclaircir deux aspects du contenu de ce texte

En premier lieu, la volonté du législateur est explicite et elle est encore renforcée par l'argumentation développée dans l'exposé des motifs de la loi modifiant la loi transitoire de procédures judiciaires, lorsqu'il y est écrit : « La demande en nullité d'action doit être introduite incidemment de façon à permettre à l'organe ayant rendu la décision au cours de laquelle le droit au procès équitable n'a pas été respecté d'annuler cet acte et de reprendre la procédure au point qu'elle avait atteint avant la violation du droit. » Il s'agit, par conséquent, d'une procédure nouvelle devant la justice ordinaire dans les cas de sentences ou résolutions définitives. De sorte que, indépendamment du fait que le requérant ait exposé sa prétention devant un des organes juridictionnels ordinaires au cours du procès, ce n'est que lorsque la sentence a acquis le caractère de sentence définitive que peut être formulée la demande d'incident en nullité d'actions devant l'organe qui lui a donné précisément le caractère de sentence définitive. Ainsi, il s'agit d'une procédure assimilable à une troisième instance.

En second lieu, précisément pour préserver le caractère extraordinaire du recours en protection pour violation des droits reconnus dans l'article 10 de la Constitution, et attendu que l'article 94 de la loi qualifiée du Tribunal constitutionnel exige, pour l'introduction du recours en protection, l'épuisement des voies ordinaires par les moyens et recours légaux, l'incident de nullité d'actions prévu par l'article 18 bis 3 doit être compris comme une condition préalable à la saisine du Tribunal constitutionnel.

De ceci résulte que, en application des deux réformes législatives auxquelles le législateur a procédé, relatives à la protection de l'article 10 de la Constitution, c'est-à-dire la loi qualifiée modifiant la loi qualifiée du Tribunal constitutionnel et la loi modifiant la loi transitoire de procédures judiciaires, toutes deux votées le 22 avril 1999 et publiées dans le BOPA, numéro 27, année 11, du 19 mai 1999, les exigences procédurales préalables à la recevabilité de la demande de recours en protection 99-15-RE n'ont pas été remplies dans le cas d'espèce.

En vertu de ce qui précède,

Le Tribunal constitutionnel de la Principauté d'Andorre

Décide :

Premièrement,

Ne pas recevoir la demande de recours en protection 99-15-RE, présentée par le représentant de la société Vallsegur SA.

Deuxièmement,

Notifier la présente décision au représentant procédural de la société Vallsegur SA, au syndic général, au ministère public, au président du Tribunal supérieur de Justice et au président de la Batllia.

Troisièmement,

Publier la présente décision, d'accord avec les dispositions de l'article 5 de la loi qualifiée du Tribunal constitutionnel, au Bulletin officiel de la Principauté d'Andorre.

Adoptée à Andorre-la-Vieille par le Tribunal constitutionnel le 5 novembre 1999.

Sélection de décisions de la Cour d'État du Liechtenstein

Jugement de la Cour d'État de la Principauté du Liechtenstein en tant que Cour constitutionnelle du 3 mai 1999, StGH 1998/60

(3) Rapports entre droit interne et droit de l'EEE (Espace économique européen). La constitutionnalité d'une loi s'appuyant sur le droit de l'EEE peut-elle être vérifiée ?

La Cour d'État en tant que Cour constitutionnelle a partiellement accueilli un recours constitutionnel contre le département de surveillance des banques, mais a, en revanche, rejeté la demande tendant à l'abrogation partielle pour inconstitutionnalité de l'article 9, alinéa 4 de la loi du 22 mai 1996 relative aux devoirs de diligence professionnels lors de l'acceptation de biens (loi sur les devoirs de diligence, LGBl. 1996/116).

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3. La requérante estime contraires à la Constitution l'ordonnance du département de surveillance des banques mais également certaines parties de la loi sur les devoirs de diligence elle-même. En conséquence, la requérante demande à la Cour d'État, outre la cassation de l'ordonnance attaquée, de constater l'inconstitutionnalité du défaut de recours contre les blocages de compte prévus à l'article 9, alinéa 3 de la loi sur les devoirs de diligence, enfin d'abroger, comme contraire à la Constitution, l'interdiction d'information en application de l'article 9, alinéa 4 de cette loi.

Dans sa réplique, le département de surveillance des banques soutient que l'interdiction d'information serait prévue par le droit de l'EEE. En effet, l'article 8 de la directive 91/308/EWG du 10 juin 1991 (annexe IX, 23.01 LGBl. 1995/68) prescrit que le client concerné, ou également des tiers, ne peuvent être informés de l'avis adressé aux autorités quant aux soupçons de blanchiment d'argent, ni même de l'introduction d'investigations correspondantes. Ainsi la réglementation prévue à l'article 9, alinéa 4 de la loi sur les devoirs de diligence, selon laquelle cette information ne peut être transmise avant la réception de l'ordonnance du département de surveillance des banques ou l'expiration du délai de huit jours, non suivi d'effet, ouvert au département pour intervenir, constitue incontestablement une transposition directe de la directive susvisée.

3.1. Se pose la question de savoir si, dans ce contexte, la Cour d'État n'est pas privée de la possibilité de vérifier la constitutionnalité de l'article 9, alinéa 4, de la loi sur les devoirs de diligence. En effet, la constatation de l'inconstitutionnalité d'une disposition légale s'appuyant sur le droit de l'EEE reviendrait en fait à faire prévaloir la Constitution et donc le droit interne sur le droit de l'EEE. Ceci serait pour le moins implicitement en contradiction notamment avec l'article 7 du traité de l'EEE, selon lequel, pour les cocontractants, le droit de l'EEE fait partie intégrante du droit interne ou doit être transposé en tant que tel. Dans le protocole 35 au traité de l'EEE, les États de l'EFTA s'obligent, dans les cas où des conflits pourraient surgir entre les dispositions de l'EEE et le droit interne, à introduire, le cas échéant, une disposition légale prévoyant que les dispositions de l'EEE prévalent dans ces cas. Bien qu'avec le traité de l'EEE, contrairement à l'Union européenne, il n'ait pas été instituée de communauté supranationale, l'objectif d'un espace économique homogène poursuivi par le traité de l'EEE (préambule, al. 4), suppose l'exécution uniforme du droit de l'EEE dans les États contractants (cf. développements détaillés de Daniel Thürer dans « Liechtenstein und die Völkerrechtsordnung », Archiv des Völkerrechts, vol. 36/2, 1998 [112/113]).

D'autre part, la supériorité du droit de l'EEE sur le droit interne s'arrête là où les principes fondamentaux et l'essentiel des droits fondamentaux de la Constitution de l'État sont atteints. Compte tenu, toutefois, de ce que le droit de l'Union européenne et donc ainsi aussi le droit de l'EEE reconnaissent les droits fondamentaux et notamment la Convention européenne des droits de l'homme, ce cas de conflit ne devrait guère se présenter dans la pratique (cf. Daniel Thürer, ouvrage préc., 120/121, ainsi que « Message du Conseil Fédéral suisse relatif au traité EEE », FF 1992, I, 1 [92]).

Par conséquent, la Cour d'État ne vérifie pas, en principe, la constitutionnalité du droit de l'EEE, voire du droit interne qui en découle directement, sauf en cas de doute sur le non-respect manifeste du contenu des droits fondamentaux de la Constitution de l'État, voire de la Convention européenne des droits de l'homme.

Jugement de la Cour d'État de la Principauté du Liechtenstein en tant que Cour constitutionnelle du 22 février 1999, StGH 1998/45

Rapport entre égalité de droits et interdiction de l'arbitraire. Conditions de la reconnaissance de droits fondamentaux non écrits dans la Constitution de l'État de la Principauté du Liechtenstein.

La Cour d'État en tant que Cour constitutionnelle a rejeté le recours constitutionnel interjeté contre un arrêt de la Cour suprême (Oberster Gerichtshof), pour non violation des droits garantis par la Constitution.

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4. Se fondant sur l'article 31, alinéa 1 de la Constitution de l'État (LV), les requérants, outre l'interdiction de l'arbitraire, soulèvent le grief d'inégalité de traitement en alléguant que la Cour suprême aurait dû, comme dans d'autres cas similaires, se prononcer en leur faveur. Il n'y aurait, selon eux, pas lieu de s'appuyer sur l'ancienne loi sur la concurrence déloyale (« UWG »). En conséquence, les frais qu'ils font valoir relèveraient du droit public et pourraient être obtenus par voie judiciaire. Cette argumentation aboutit à mettre complètement sur le même plan le principe d'égalité et l'interdiction de l'arbitraire. Il y a toutefois lieu de différencier.

4.1. Dans sa jurisprudence récente, la Cour d'État a déjà eu à traiter de manière approfondie le rapport entre ces deux droits fondamentaux et a souligné leur proximité, notamment dans l'appréciation de l'activité du législateur. Les domaines de protection de ces deux droits fondamentaux se superposent en effet largement, puisque l'examen d'une violation éventuelle du principe d'égalité se limite en général à vérifier que les faits, voire les groupes de personnes, placés dans la même situation au regard de l'objet de la loi, n'ont pas été traités de manière inégale sans motif valable et donc, précisément, de manière arbitraire (v. à ce sujet StGH 1997/34, consid. 3.2. ainsi que StGH 1997/14, LES 1998, 264 [267, consid. 2] avec renvoi à Arthur Haefliger, Alle Schweizer sind vor dem Gesetze gleich, Berne 1985, p. 62/63.)

Toutefois, les domaines de protection de l'interdiction de l'arbitraire et du principe d'égalité ne se recouvrent que partiellement dans l'élaboration de la loi. Ainsi la Cour d'État a récemment affirmé qu'une mesure sévère, satisfaisant au contrôle de l'arbitraire, doit s'appliquer aux discriminations touchant la dignité humaine, sous réserve cependant des dispositions légales en faveur de l'égalité des sexes en application de l'article 31, alinéa 2 LV (StGH 1998/2, consid. 2.2 avec renvois à ATF 106 I b, 188, ainsi que Walter Kälin, « Ausländerdiskriminierung », dans : Bernhard Ehrenzeller et al. (éd.), Der Verfassungsstaat vor neuen Herausforderungen, Festschrift Yvo Hangartner, St. Gallen/Lachen 1998, 561 [568]).

Dans une plus grande mesure encore, il y a lieu de différencier entre principe d'égalité et interdiction de l'arbitraire lors de l'application de la loi. Ainsi la première application d'une clause d'appréciation, voire d'une notion de droit indéterminée, peut être arbitraire, sans pour autant violer l'interdit de l'arbitraire. Inversement, une décision d'appréciation dénuée d'arbitraire peut s'avérer irrespectueuse du principe d'égalité en relation avec une autre décision concernant des faits comparables (cf. Daniel Thürer, « Das Willkürverbot nach Art. 4 BV », RDS 1987, II, p. 413 [433] ainsi que Jörg Paul Müller, Die Grundrechte der schweizerischen Bundesverfassung, Berne 1991, p. 243/244). En outre, à l'inverse de ce que prétend le requérant, le principe d'égalité, contrairement à l'interdiction de l'arbitraire, n'est en cause que s'il peut être comparé entre (au moins) deux cas concrets. Le requérant n'est cependant pas en mesure de citer un arrêt comparable dans lequel il en aurait été décidé autrement, de sorte que l'examen de la présente espèce n'est possible qu'au regard de l'interdiction de l'arbitraire.

4.2. Ces considérations démontrent dès lors qu'une différenciation entre le principe d'égalité et l'interdiction de l'arbitraire s'impose malgré le recouvrement de leur domaine de protection respectif. En Suisse ceci a conduit à reconnaître l'interdiction de l'arbitraire en tant que droit non écrit indépendant et non plus comme devant être déduit du principe d'égalité inscrit à l'article 4 de la Constitution de la confédération helvétique (ainsi Daniel Thürer, ouvrage préc., p. 434, avec renvoi à Yvo Hangartner, Grundzüge des schweizerischen Staatsrechts, II, Zurich 1982, p. 196 ; ainsi le projet de votation pour une nouvelle Constitution fédérale suisse du 18 décembre 1998 prévoit-elle, à côté du principe d'égalité [art. 8], également une disposition constitutionnelle intitulée : « Protection contre l'arbitraire et sauvegarde de la bonne foi [art. 9] »(4)).

4.3. Alors que depuis une dizaine d'années, la Cour Fédérale suisse reconnaît dans sa jurisprudence des droits fondamentaux non écrits, la Cour d'État ne s'est prononcée explicitement sur cette question que dans sa décision StGH 1970/2. Cependant, s'appuyant sur la jurisprudence autrichienne, elle a opté pour l'exhaustivité (Geschlossenheit) de la Constitution en tant que système de source de droit et donc contre la reconnaissance de droits fondamentaux non écrits (StGH 1970/2, ELG 1967-1972, p. 259 ; dans la décision non publiée StGH 1977/4, p. 10, la Cour d'État ne s'est toutefois pas prononcée sur la question de savoir s'il existe un droit non écrit au mariage). Cependant, la pratique liechtensteinoise ne s'est jamais appropriée de manière conséquente le concept autrichien d'exhaustivité du système de sources du droit étant donné, qu'en tout cas dans le domaine des droits fondamentaux, une modification de la Constitution, telle que la jurisprudence créatrice de droit de la Cour d'État l'aurait notamment rendue nécessaire, n'est jamais intervenue (v. sur l'ensemble Andreas Kley, « Grundriss des liechtensteinischen Verwaltungsrechts », LPS, vol. 23, Vaduz 1998, p. 67/68, ainsi que Wolfram Höfling, Die liechtensteinische Grundrechtsordnung, Vaduz 1994, p. 24/25 avec des renvois de jurisprudence).

Jusqu'à présent, la Cour d'État a toujours déduit les nouveaux droits fondamentaux de droits fondamentaux écrits, notamment le principe d'égalité en droit de l'article 31, alinéa 1 LV (à côté de l'interdiction du déni et du retard de justice, notamment le droit d'être entendu en justice et le droit à un procès équitable ; v. à ce sujet StGH 1996/6, LES 1997, 148 [152 sous 3.1] avec renvoi à Wolfram Höfling, ouvrage préc., p. 247 et suiv.). Aussi, mis à part l'article 31, alinéa 1 LV, la Cour d'État a généralement considéré la définition des droits garantis par la Constitution de manière consciemment si flexibe qu'elle autorise une interprétation satisfaisant tous les besoins de protection constitutionnelle essentiels (v. StGH 1984/14, LES 1987, 36 [38]). La question de la reconnaissance de droits fondamentaux non écrits n'a, pour cette raison, pratiquement pas eu d'importance dans la jurisprudence de la Cour d'État, ainsi que le démontre le peu de jurisprudence existante.

4.4. Étant donné qu'entre-temps le concept d'exhaustivité du système de sources du droit est remis en question en Autriche (v. Andreas Kley, ouvrage préc., p. 68, no 179 avec renvoi à Wolfgang Wieshaider/Maria Gugging, « Gewohnheitsrecht als Rechtsquelle des österreichischen Bundesverfassungsrechts », ÖJZ 1997, p. 481 et suiv.), il apparaît désormais opportun que la Cour d'État reconnaisse pour l'individu les besoins nécessaires de protection fondamentaux non mentionnés dans le texte de la Constitution, directement en tant que droits fondamentaux non écrits, plutôt que de les déduire de droits fondamentaux, thématiquement plus ou moins apparentés et normés dans le droit positif (aussi fermement Andreas Kley, ouvrage préc., p. 68-69 avec renvoi à Yvo Hangartner, ouvrage préc.).

Dans ce contexte, il est justifié de reconnaître à l'interdiction de l'arbitraire le statut d'un tel droit fondamental non écrit. D'une part, l'interdiction d'arbitraire figure indubitablement au nombre des composantes fondamentales de l'État de droit qui ne peuvent être écartées (v. StGH 1995/28, LES 1998, 6 [11, consid. 2.2]); d'autre part, elle couvre, malgré toute superposition avec le domaine de protection du principe d'égalité conformément à l'article 31, alinéa 1 LV, comme cela a été développé, un domaine de protection spécifique. Toutefois, la question du fondement textuel de l'interdiction de l'arbitraire n'a en définitive que peu d'effets pratiques, compte tenu de ce que la Cour d'État n'exige pas que, dans les griefs, soient énoncés de manière strictement exacte et rattachés à une norme de droit positif les droits fondamentaux dont la violation est alléguée (v. StGH 1996/21, LES 1998, 18 [21, consid. 2.]). En conséquent, il ne sera pas non plus préjudiciable à l'avenir, si dans un recours invoquant l'interdiction d'arbitraire, il est fait référence à l'art. 31 LV, à condition seulement que, comme dans le présent recours, la décision attaquée soit bien expressément qualifiée d'arbitraire.

Sélection de décisions du Tribunal suprême de Monaco

Décision du 8 juillet 1981, Union des syndicats de Monaco

En la cause de l'Union des syndicats de Monaco dont le siège est à Monaco, 2 rue Saige, agissant aux poursuites et diligences de son secrétaire général M. Charles Soccal, domicilié audit siège, représentée par Me Hélène Marquilly, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par Me Arnaud Lyon-Caen, avocat associé auprès du Conseil d'État et de la Cour de cassation de France.

Contre Son Excellence le ministre d'État de la Principauté de Monaco, défendeur, ayant pour avocat Me J.-Ch. Marquet, avocat défenseur près la Cour d'appel et plaidant par Me G.-H. George, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation de France,

Le Tribunal suprême,

Siégeant et délibérant en Assemblée plénière,

Vu la requête présentée par l'Union des syndicats de Monaco le 29 août 1980, tendant à l'annulation avec conséquences de droit de la loi n° 1025 du 1er juillet 1980 « réglementant l'exercice du droit de grève et assurant la liberté du travail ».

Ce faire,

Attendu qu'en disposant dans son article 28, alinéa 2 sous son titre III que « le droit de grève est reconnu dans le cadre des lois qui le réglementent », la Constitution monégasque du 17 décembre 1962 donne à ce droit de grève valeur constitutionnelle et qu'il s'ensuit que l'habilitation du législateur à le réglementer s'en trouve limitée ; que son exercice ne peut recevoir d'autres restrictions que « celles qui sont nécessaires à la sauvegarde de l'intérêt général ou à la protection d'un autre droit fondamental reconnu par la Constitution », que ces restrictions « ne doivent jamais aboutir à dénaturer le droit de grève, à le vider de sa substance ou à le priver de son efficacité en tant que moyen de défense des intérêts professionnels » ; qu'enfin, le législateur ne peut déléguer ni en totalité, ni même en partie, son droit de fixer les règles dans le cadre desquelles s'exercera le droit de grève ;

Que l'analyse de la réglementation édictée par la loi attaquée révèle que de nombreuses dispositions ont été prises en violation de la Constitution et qu'en raison du caractère indissociable des dispositions de la loi, celle-ci doit être annulée dans son ensemble ;

Qu'en effet, en prescrivant que « la grève doit avoir pour objet exclusif la défense des intérêts professionnels des salariés qui y ont recours », l'article 2-1er de la loi est contraire à l'article 28, alinéa 1er de la Constitution, qui dispose que « toute personne peut défendre les droits et intérêts de sa profession ou de sa fonction par l'action syndicale », que, la grève étant une des formes les plus importantes de cette action, cette disposition dénature le droit de grève en excluant la licéité de la grève de solidarité ;

Qu'en disposant que la grève « doit trouver son motif dans les rapports sociaux internes de la Principauté », l'article 2-2e sort des limites permises par l'article 28, alinéa 2 de la Constitution, car il aboutit à une suppression partielle du droit de grève pour les salariés d'entreprises multinationales voulant s'élever contre des mesures ayant une incidence sur l'emploi ou les conditions de travail à Monaco, mais dont l'origine se situe en dehors des rapports sociaux internes de la Principauté ;

Que l'article 2-3e qui, par une disposition que ne justifie aucune considération d'intérêt général, exige que la grève « débute et se termine le même jour et à la même heure pour tous les salariés qui y participent » méconnaît le droit individuel de chaque salarié à l'égard du mouvement de grève et est en contradiction soit avec l'article 5 (décision de grève séparée dans chaque établissement ou catégorie) soit avec l'article 7 de la loi (liberté du travail des salariés ne participant pas à la grève) selon que cette simultanéité doive s'entendre de tous les établissements et catégories professionnelles participant à la grève ou bien de tous les salariés de ces établissements et catégories ;

Que l'article 2-4e aux termes duquel la grève « doit être faite hors de l'établissement » a une portée trop large pour être justifiée par la nécessité de protéger la liberté du travail alors que l'article 14 prévoit pour cette protection une possibilité d'expulsion des perturbateurs avec le concours de la force publique, et que le droit de propriété n'est plus si absolu qu'il doive empêcher des réunions de concertation pour la défense des intérêts communs ; qu'en outre cette disposition paraît en contradiction avec celles qui prévoient, au moins implicitement, la présence des grévistes dans l'établissement, soit pour assurer les services de sécurité (art. 9) soit pour participer à un référendum sur la reprise du travail (art. 13);

Que les termes de l'article 3-1er qui refuse d'admettre comme grève « les interruptions du travail affectant, par échelonnement successif ou par roulement concerté, les divers secteurs professionnels ou les différentes catégories de salariés d'un même établissement » se prêtent à une interprétation tellement extensive qu'ils risquent d'aboutir à la disqualification des grèves sectorielles ou catégorielles séparées par un quelconque intervalle de temps dans un même établissement, imposant ainsi au droit de grève une limitation qui dépasse le cadre de la réglementation qui en est prévue par l'article 28 de la Constitution ;

Que tant par leur exigence d'un référendum pour le recours à la grève que par les conditions définies pour le déroulement de ce référendum, les articles 5 et 6 portent atteinte au droit de grève et au droit syndical en privant les salariés de la minorité de la possibilité d'exercer leur droit et en soumettant l'action syndicale à la décision de la majorité, même non syndiquée ; qu'ils ne permettent pas aux salariés de se prononcer en toute indépendance en même temps que, par l'exclusion du vote des salariés ne justifiant pas d'au moins six mois de travail à Monaco, ils instituent une discrimination contraire à la Constitution (art. 32 en ce qui concerne les salariés de nationalité étrangère, art. 17 en ce qui concerne certains salariés monégasques, notamment les plus jeunes);

Que la possibilité offerte à l'employeur par l'article 13 de la loi de faire procéder à un vote sur la reprise du travail à la demande des salariés représentant au moins le dixième de l'effectif de l'établissement n'est en rien justifiée par le respect de la liberté du travail et encourt les mêmes critiques que le référendum prévu par les articles 5 et 6 susvisés avec cette circonstance aggravante qu'il n'existe aucune garantie que tous les salariés puissent être prévenus de ce vote, les grévistes étant interdits de séjour dans l'établissement et ceux qui, parmi eux, sont travailleurs frontaliers ayant leur résidence hors de Monaco ;

Que l'obligation d'un préavis formulée par l'article 8 de la loi n'est pas justifiée par l'intérêt général et constitue une limitation déraisonnable du droit de grève ;

Que l'article 11 de la loi, en disposant qu'il appartient à l'employeur de désigner, sous le contrôle de l'inspecteur du travail, les salariés tenus d'assurer les services de sécurité peut donner lieu à des abus, car il permet audit employeur de maintenir la subordination hiérarchique de salariés durant la cessation concertée du travail et, ainsi, de faire échec au droit de grève ;

Que l'article 10 de la loi qui prévoit l'obligation d'un service minimal dans les entreprises concessionnaires d'un service public ou celles investies d'une mission d'intérêt général, outre qu'il encourt les mêmes critiques que la disposition précitée de l'article 9 en confiant à l'employeur la désignation des salariés indispensables pour l'accomplissement de ce service, est entachée d'inconstitutionnalité, du fait qu'en renvoyant à un arrêté ministériel le soin de déterminer ces entreprises investies d'une mission d'intérêt général et de fixer les conditions dans lesquelles doit être assuré le service minimal, le législateur subdélègue la mission de réglementation de la grève dont l'a chargé le pouvoir constituant ;

Que l'article 14, en permettant au ministre d'État d'ordonner à la force publique, à la demande de l'employeur, l'expulsion de l'établissement des « personnes entravant la liberté du travail » constitue une violation manifeste de l'article 6 de la Constitution monégasque qui prescrit la séparation de la fonction judiciaire à laquelle sont confiés les litiges entre particuliers des fonctions administratives et législatives ;

Que la disposition de l'article 16 selon laquelle « la procédure d'arbitrage sera engagée d'office lorsque le ministre d'État aura interdit une grève » constitue une violation flagrante des articles 28, alinéas 2 et 9 de la Constitution monégasque, ce pouvoir d'interdiction d'une grève étant incompatible avec le droit de grève reconnu par le premier de ces textes et la disposition de l'article 1er de la loi du 7 février 1952 qui prévoyait ce pouvoir n'étant plus applicable du fait de cette incompatibilité en application de l'article 97 de la Constitution ;

Que la rédaction de l'article 17, alinéa 1er de la loi qui dispose que « la participation volontaire soit à un mouvement revendicatif illicite soit à une grève illicite ou devenue illicite est un motif légitime de rupture du contrat du travail » prête à une interprétation abusive, l'adverbe « volontairement » ne signifiant pas nécessairement « en connaissance de cause », que ce texte confond illogiquement grève et mouvement revendicatif illicites et n'est pas conforme à la Constitution du fait qu'il réduit pratiquement à néant la protection du droit de grève ;

Que par les infractions pénales qu'elle édicte, la loi va à l'encontre de l'évolution des conceptions juridiques qui devrait conduire à la disparition d'un droit pénal spécial à la grève ;

Que l'article 18 rétablit, au moins partiellement l'ancien délit de coalition abrogé en 1944 qui est totalement incompatible avec la reconnaissance constitutionnelle du droit de grève ;

Que l'article 19 en sanctionnant pénalement le refus ou l'omission d'accomplir les services de sécurité ou le service minimal requis par la loi accentue la subordination hiérarchique des salariés au moment où leur contrat de travail est suspendu par la grève, résultat contraire au principe même du droit de grève constitutionnel reconnu ;

Que l'article 20, alinéa 1er, qui réprime l'opposition ou la tentative d'opposition à la mise en application des mesures prises pour assurer la liberté du travail porte gravement atteinte au principe de la légalité des peines ainsi qu'à la liberté syndicale en omettant de définir tant les mesures de protection de la liberté du travail concernées que les moyens d'opposition à ces mesures caractéristiques de l'infraction, critique également encourue par l'article 20, alinéa 2, qui réprime l'opposition ou la tentative d'opposition à l'accomplissement des services de sécurité ou du service minimal ;

Qu'enfin l'article 21 qui punit d'une part « ceux qui, par voies de fait, violences ou menaces contre un salarié, l'auront ou auront tenté de le déterminer à s'abstenir de voter ou auront influencé ou tenté d'influencer son vote », d'autre part, « ceux qui, par attroupements, clameurs ou démonstrations menaçantes, auront troublé les opérations de vote ou porté atteinte à la liberté de vote », vise en ce dernier alinéa les manifestations collectives, même pacifiques, qui marquent nécessairement les étapes de l'action collective et syndicale que constitue la grève et porte ainsi gravement atteinte tant au droit syndical qu'au droit de grève, tous deux reconnus par la Constitution ;

Vu la contre requête de M. le ministre d'État en date du 20 octobre 1980 tendant au rejet de la requête avec toutes conséquences de droit et notamment publication de l'arrêt à intervenir au « Journal de Monaco » et condamnation de l'Union des syndicats aux entiers dépens ;

Par les motifs,

Que le Constituant monégasque, en se bornant à énoncer « que le droit de grève est reconnu dans le cadre des lois qui le réglementent » a laissé au législateur le soin de choisir les modalités d'exercice du droit de grève qui lui paraîtraient les plus appropriés à la situation spécifique de la Principauté de Monaco et qu'en l'absence de toute limitation constitutionnelle ou de toute définition juridique soit en droit international, soit en droit européen des conditions d'exercice du droit de grève, les dispositions de la loi attaquée sont hors de portée des critiques de la requête ;

Qu'en effet, et surabondamment loin de contredire l'article 28, alinéa 1 de la Constitution en disposant que « la grève doit avoir pour objet exclusif la défense des intérêts professionnels des salariés qui y ont recours », l'article 2-1er de la loi attaquée lui est rigoureusement conforme car il ne prévoit nullement, comme le soutient la requête, que les salariés ne peuvent défendre par la grève que leurs propres revendications à l'exclusion de celle de la profession tout entière ; que la prohibition qui en résulte des grèves ayant un autre objet, telles que les grèves politiques et les grèves de solidarité, n'est entachée d'aucune inconstitutionnalité ;

Qu'il est inexact de prétendre que la prohibition des grèves qui ne trouveraient pas leur motif dans les rapports sociaux internes de la Principauté (art. 2-2e) aboutirait à la suppression du droit de grève pour les salariés des entreprises étrangères ayant un établissement à Monaco, car, dès que la décision de l'entreprise étrangère est répercutée par l'entreprise monégasque sur la situation de ses salariés et affecte leurs intérêts professionnels, cette prohibition ne s'exerce plus ;

Qu'en prescrivant (art. 2-3e) que tous les salariés qui participent à la grève doivent commencer et cesser simultanément leur mouvement revendicatif, le législateur n'a fait que tirer les conséquences du caractère collectif de l'exercice du droit de grève, sans priver aucun des salariés de la jouissance de ce droit ; que la prétendue contradiction à cette disposition soit avec l'article 5 soit avec l'article 7 de la loi est non seulement inexistante mais insusceptible d'entacher ladite loi d'inconstitutionnalité ;

Que la critique de la requête quant à la prohibition de l'occupation des lieux de travail (art. 2-4e) ne comporte aucun grief d'inconstitutionnalité et qu'au contraire en ses articles 24 et 25 du titre III, la Constitution consacre le droit de propriété et garantit la liberté du travail, droits auxquels l'occupation porte atteinte ;

Que la prétendue interprétation indéfiniment extensive à laquelle se prêterait l'expression « par échelonnement successif » de l'article 3-1er de la loi attaquée qui vise manifestement les grèves tournantes, d'ailleurs condamnées par toutes les législations européennes, est une critique dépourvue de toute pertinence, la constitutionnalité d'un texte s'appréciant en fonction de ses dispositions intrinsèques et non des applications susceptibles d'en être faites qui relèvent elles-mêmes du contrôle juridictionnel de droit commun ;

Que la procédure de référendum prévue à l'article 5 de la loi ne porte atteinte ni au droit de grève ni au droit syndical car en subordonnant l'exercice du droit de grève des salariés minoritaires à la volonté de la majorité, ce texte ne porte pas atteinte à leur droit lui-même et la réglementation édictée laisse subsister le pouvoir syndical, le droit syndical et le droit de grève étant deux droits distincts ;

Que les critiques de la requête relatives aux conditions de cette consultation ne reposent sur aucune violation d'une disposition constitutionnelle ; que l'exclusion du vote des salariés ne justifiant pas d'au moins six mois de travail à Monaco concerne aussi bien les monégasques que les étrangers, quel que soit leur âge, qu'elle ne crée donc pas la discrimination alléguée qui serait contraire aux articles 32 et 17 de la Constitution ; qu'il s'agit là d'une réglementation de l'exercice du droit de grève qui ne porte pas atteinte au droit de grève lui même reconnu à ces salariés ;

Que les griefs formulés contre la consultation des salariés sur la poursuite de la grève prévue par l'article 13 de la loi ne sont pas davantage fondés, que l'argument tiré d'une insuffisance de garantie des salariés qui risquent de ne pas être dûment prévenus de la date et du lieu de scrutin ne peut être accueilli, la disposition n'étant pas entachée d'inconstitutionnalité et l'irrégularité éventuelle du scrutin relevant du contrôle des tribunaux ;

Que la contestation de l'obligation du préavis de grève (art. 8) ne se fonde sur aucune violation de la Constitution ;

Que la désignation par l'employeur des salariés tenus d'assurer les services de sécurité (art. 9) n'est pas une manifestation de son pouvoir hiérarchique sur les salariés en grève, mais une mesure de sauvegarde destinée à préserver l'outil de travail et à empêcher les accidents dont l'employeur demeure responsable, cette double protection ayant pour le Conseil constitutionnel français le caractère d'un principe de valeur constitutionnelle ;

Que l'article 10 imposant l'obligation d'un service minimal dans les entreprises concessionnaires d'un service public ou dans celles investies d'une mission d'intérêt général, c'est au pouvoir exécutif chargé de l'exécution des lois qu'il appartient, hors de toute subdélégation du pouvoir législatif, de déterminer ces entreprises et de fixer ce service minimal, dispositions nécessitées par l'intérêt général pour assurer le fonctionnement des services publics dans les entreprises concernées ;

Que le grief fait à l'article 14 de la loi de méconnaître la séparation des pouvoirs se réfère « au droit jurisprudentiel français relatif à l'exécution forcée des décisions administratives qui n'a pas valeur constitutionnelle en France » et qui est totalement étranger au droit monégasque ; que cet article 14, en permettant au ministre d'État d'ordonner l'expulsion des personnes qui entravent la liberté du travail, se borne à faire assurer cette liberté ;

Que l'argumentation de la requête à l'encontre de l'article 16 de la loi manque en fait, car elle est dirigée contre la possibilité d'interdiction de la grève par le ministre d'État qui ne résulte pas de ce texte mais de la loi n° 553 du 7 février 1952 ; que la disposition de l'article 16 contestée se borne à prévoir la mise en oeuvre d'office d'une procédure d'arbitrage au cas où le ministre d'État userait de ce pouvoir, procédure d'arbitrage qui ne comporte évidemment rien d'inconstitutionnel ;

Que, de même, la possibilité d'une interprétation extensive de l'article 17 qui dispose que la participation à un mouvement revendicatif ou une grève illicite est un motif légitime de rupture du contrat de travail est un grief inopérant, la constitutionnalité d'un texte devant s'apprécier en fonction de ses dispositions et non des applications hypothétiques qui pourraient en être faites ; que d'ailleurs, la définition par la loi des conditions de la licéité permet d'éviter toute équivoque ;

Que l'infraction pénale édictée par l'article 18 de la loi est nettement caractérisée par trois éléments : le fait matériel de participation à la grève, le caractère illicite de la grève (tel que défini par l'art. 2) et l'élément intentionnel résultant de l'exigence d'une « participation volontaire » ; que ces éléments bien définis distinguent cette infraction de l'ancien délit de coalition ;

Que l'article 19 qui réprime le refus d'assurer les services de sécurité ou le service minimal ou le fait de les exécuter avec négligence caractérise nettement cette infraction et sanctionne une obligation qui a pour but la protection de la santé et de la sécurité des personnes et des biens « protection qui, tout comme le droit de grève, a le caractère d'un principe de valeur constitutionnelle » (Conseil constitutionnel français, 22 juillet 1980); :

Qu'il est inexact de prétendre qu'en énonçant que quiconque se sera opposé ou aura tenté de s'opposer « soit à l'application des mesures prises pour assurer la liberté du travail, soit à l'accomplissement des services de sécurité ou du service minimal », les articles 20, alinéas 1er et 2, n'auraient pas défini suffisamment l'élément matériel de l'infraction, violant ainsi le principe de la légalité des infractions ; que les termes du textes visent, en effet, toute action, fût-elle passive, et concernant en particulier les attroupements ou rassemblements de personnes destinés à faire obstacles à l'intervention des force de l'ordre requises sur le fondement de l'article 14 de la loi ;

Qu'enfin, en réprimant les « attroupements, clameurs ou démonstrations menaçantes qui auront troublé les opérations de vote ou porté atteinte à la liberté de vote », l'article 21, alinéa 2, manifestement repris à l'article 109 du code pénal français, assure le libre exercice du droit de grève en donnant plein effet à la libre volonté des salariés titulaires de ce droit et sa constitutionnalité ne fait aucun doute ;

Vu le mémoire présenté le 28 novembre 1980 pour la requérante, tendant aux mêmes fins que la requête par les mêmes moyens et en outre pour les raisons suivantes :

Que la mention du droit de grève dans la Constitution est nécessairement significative et lie l'interprète ; que la notion de ce droit doit être recherchée par référence aux doctrines et aux jurisprudences française et italienne, cessation collective et concertée du travail : « en vue d'aboutir au succès des revendications professionnelles » en France ; « pour l'obtention des réformes » en Italie ; que la mission confiée par le constituant monégasque au pouvoir législatif de tracer le cadre d'un droit de grève n'implique pas pour le législateur la possibilité d'un tracé qui dénature ce droit et en fait l'annule ; que l'appréciation de ce point entre dans le pouvoir du juge constitutionnel ;

Que la spécificité de la situation monégasque invoqué par la contre-requête est sans rapport avec la plupart des « originalités » critiquées de la législation de 1980 et qu'elle ne peut être invoquée sans méconnaissance du droit européen qui exclut les discriminations fondées sur la nationalité en matière de questions de travail ;

Qu'en ce qui concerne les dispositions imposées par l'article 2 pour que la grève soit reconnue licite, le ralliement de la contre-requête à une interprétation extensive de la « défense des intérêts professionnels des salariés qui y ont recours » n'exclut pas le risque d'une interprétation restrictive inconstitutionnelle ; que l'exclusion des grèves politiques sans les définir crée un danger d'arbitraire pour le mouvement syndical, pour les salariés et pour la grève ; qu'une exclusion générale des grèves de solidarité, sans distinguer celles qui ne dépassent pas la défense des intérêts professionnels, aboutit à une amputation du droit de grève ;

Que l'exigence d'une relation étroite de la grève avec « les rapports sociaux internes de la Principauté » constitue une entrave redoutable à l'action syndicale la plus légitime en désarmant les syndiqués de Monaco contre une action de l'employeur, société multinationale, qui, sans s'en prendre directement à eux, les touche et les condamne à terme ; qu'ainsi, la définition du droit de grève qui résulte de ces conditions procède d'une dénaturation de ce droit constitutionnel ;

Que cette dénaturation est aussi manifeste dans la disposition selon laquelle la grève doit débuter et se terminer le même jour et à la même heure pour tous les salariés qui y participent, disposition qui, fixant, ne varietur, le contingent des grévistes dès le premier jour en excluant toute possibilité de rejoindre le mouvement ou de s'en détacher en cours de route, est à l'évidence contraire à la réalité, à la liberté du salarié gréviste ou non gréviste et à la vérité sociologique d'un mouvement qui naît, se développe ou recule ;

Qu'en exigeant que la grève se déroule en dehors du lieu de travail, l'article 2 de la loi va bien au delà de l'illégalité de l'occupation des lieux contre laquelle l'employeur est déjà armé lorsqu'elle est effectivement contraire à la liberté du travail ou au droit de propriété ; qu'il interdit toute présence de gréviste sur le lieu du travail de manière injustifiée ;

Que c'est encore d'une dénaturation du principe constitutionnel de la grève que procède la prohibition de la grève par échelonnements successifs, édictée en des termes trop généraux pour ne pas dépasser la notion de grèves tournantes que prétend défendre la contre-requête et atteindre toute extension du mouvement ;

Que le référendum exigé par l'article 5 de la loi pour la décision de recours à la grève ou de sa poursuite est contraire à l'octroi de ce droit par la Constitution si l'on conçoit la grève comme une décision individuelle et constitue une limitation excessive des possibilités d'action des organisations syndicales si l'on considère la grève comme un acte collectif, syndical, le droit du syndicat de déclencher la grève se trouvant méconnu par l'obligation pour lui d'obtenir la majorité ;

Que la loi institue dans les conséquences du référendum une dissymétrie injustifiée puisque, si celui-ci est défavorable à la grève, celle-ci est illicite et les minoritaires ne peuvent la faire, alors que, s'il est favorable, les minoritaires conservent le droit de travailler et la liberté du travail ;

Que l'exigence de la majorité de la totalité des membres du personnel pour la décision de faire grève ou de la poursuivre porte atteinte à l'indépendance du salarié car de ce fait, l'abstention est assimilable à un vote contre la grève et l'employeur n'est pas dépourvu de possibilités d'action sur le nombre des abstentionnistes ;

Que la possibilité pour l'employeur de désigner les salariés chargés des services de sécurité perpétue l'autorité de l'employeur sur les salariés en grève lui permettant d'en récompenser certains en les soustrayant à la perte de salaire et d'en intimider d'autres en les chargeant d'un travail difficile, ce qui, en dépit des objections de la contre-requête, est contraire à l'essence même du droit constitutionnel de la grève ;

Qu'en ce qui concerne le service minimal, l'arrêt ministériel prévu par l'article 10 pour déterminer les entreprises assujetties constitue bien une délégation contraire à l'exigence du droit public, la formule « entreprises d'intérêt général » se prêtant à toutes les extensions ;

Que la critique du droit d'expulsion de l'employeur pour entrave à la liberté du travail prévu par l'article 14 de la loi attaquée ne se fonde nullement sur l'exécution forcée des décisions administratives en France à laquelle se réfère la contre-requête mais sur le principe de la séparation des pouvoirs et cette critique est d'autant plus sérieuse que la rédaction de cet article 14 est susceptible d'une interprétation extensive quant aux entraves à la liberté du travail ;

Que la procédure d'arbitrage imposée par l'article 16 au cas de grève interdite se situe dans l'hypothèse de l'interdiction par le ministre d'État prévue par une disposition de la loi de 1952 dont la requête a démontré l'incompatibilité avec l'article 28, alinéa 2 de la Constitution de 1962 et méconnaît le fait nouveau de la reconnaissance du droit de grève par celle-ci ;

Que d'autre part, il y a incompatibilité entre cette reconnaissance du droit de grève et l'existence d'un droit pénal spécial ;

Que l'insuffisante précision de la notion de grève illicite rendant celle-ci susceptible d'extension indéfinie, la « participation volontaire » sanctionnée par les articles 17 et 18 de la loi est elle-même insuffisamment définie et l'application de l'article 18 qui sera alors monnaie courante conduit à la restauration de l'ancien délit de coalition ;

Que les termes de l'article 21, alinéa 2, qui réprime la simple « démonstration » qui aura « troublé » les opérations de vote ou porté atteinte à la liberté de vote sont eux-mêmes trop vagues pour caractériser le délit ;

Qu'ainsi le législateur monégasque de 1980 a contrarié le droit de grève au point de le réduire à une tolérance intermittente ; qu'en le réduisant sous couvert de le réglementer, il l'a dénaturé de telle sorte qu'il en a méconnu le principe même ;

Vu la duplique en date du 30 décembre 1980 par laquelle le ministre d'État persiste en ses conclusions par les motifs suivants : que le Tribunal suprême à qui il appartient de vérifier si les modalités d'exercice du droit de grève de la loi attaquée ne portent pas atteinte aux libertés et droits fondamentaux au titre III de la Constitution, y compris le droit de grève lui-même, peut constater qu'il n'en est rien en l'espèce, l'expérience de leur application en ayant été faite sans difficulté en octobre et novembre 1980 à Monaco ;

Que le contrôle de constitutionnalité étant un contrôle juridique qui ne s'étend pas à l'appréciation de l'opportunité des modalités choisies par le législateur pour la réglementation du droit de grève, les auteurs de la loi du 1er juillet 1980 pouvaient en pleine souveraineté, sous la seule réserve de ne pas rendre vain ce droit, fixer les modalités d'exercice qu'ils estimaient les plus appropriés à la situation spécifique de la Principauté ;

Que, contrairement aux dires de la réplique prétendant que l'argumentation de l'exposant quant à cette situation spécifique tendrait à établir une discrimination en matière de travail entre nationaux et étrangers contraire tant au droit européen qu'à l'article 32 de la Constitution, la loi attaquée n'institue aucune discrimination de ce genre, le droit de grève étant reconnu également aux salariés étrangers ou nationaux ;

Que la prétendue différence entre la défense des intérêts de la profession visée par l'article 28 paragraphe 1er de la Constitution relatif à l'action syndicale et celle des intérêts professionnels mentionnée à l'article 2-1er de la loi attaquée est une affirmation inexacte et qu'en tout état de cause cette dernière disposition qui ne délimite que l'objet de la grève dont l'exercice n'est pas l'apanage exclusif de l'action syndicale n'est pas en contradiction avec celle de la Constitution qui reconnaît le droit à cette action, faute d'avoir le même objet ;

Que le risque d'arbitraire qu'entraînerait, selon la requérante, le recours à la notion de grève politique prohibée relève du contrôle juridique de droit commun et non de celui de la constitutionnalité, celle-ci s'appréciant d'après la disposition qui lui est soumise et non d'après des abus possibles d'application ;

Que les grèves de solidarité prohibées par l'article 2 sont seulement celles qui ne concernent pas, même indirectement, « la défense des intérêts professionnels des salariés qui y ont recours », question qui, en cas de difficulté, serait appréciée par les tribunaux de droit commun ;

Que si la disposition de l'article 2-2e qui exige que la grève trouve « son motif dans les rapports sociaux internes de la Principauté » peut gêner la stratégie syndicale qui cherche à dépasser les frontières, elle n'en saurait pour cela être inconstitutionnelle : elle est élémentaire conséquence, de la souveraineté de l'État monégasque ;

Que l'obligation faite aux salariés grévistes sur l'article 2-3e que la grève débute et se termine pour tous « le même jour et à la même heure » est une conséquence du caractère concerté de la cessation du travail, une simple modalité pratique de l'exercice du droit de grève, destinée à éviter qu'il en soit fait un usage désordonné nuisible à l'intérêt général ; qu'elle ne porte atteinte ni au droit de grève lui-même, ni à aucun autre droit ou principe consacré par le titre III de la Constitution ;

Que l'article 2-4e se borne à interdire l'occupation des lieux de travail par les grévistes qui est contraire au droit de propriété et à la liberté du travail ; que l'affirmation par la requérante que cette disposition irait « bien au-delà » ne constitue pas un grief d'inconstitutionnalité ;

Que le risque articulé aussi par la requérante de l'application abusive possible de la prohibition de la grève « par échelonnements successifs » de l'article 3-1er est du ressort des tribunaux de droit commun et non de la juridiction constitutionnelle ;

Qu'aucune disposition de la Constitution monégasque ne réservant aux syndicats le monopole du déclenchement de la grève, le système démocratique du vote choisi par le législateur du 1er juillet 1980 est une modalité d'exercice du droit de grève qui est de sa seule compétence en vertu de l'habilitation expresse qu'il tient de l'article 28, § 2, de la Constitution pour le réglementer ;

Qu'il en est de même de l'obligation de préavis de l'article 8 de la loi que l'État souverain et indépendant de Monaco peut imposer à l'instar de divers pays européens, même s'il est ainsi plus contraignant que le droit français ;

Que la désignation par l'employeur des salariés chargés du service de sécurité a pour objet d'assurer la sécurité des personnes et des biens, principes de valeur constitutionnelle ; elle est le fait de la conciliation qu'il appartient au législateur de réaliser entre l'exercice du droit de grève et la sauvegarde de l'intérêt général ;

Que les arrêtés ministériels prévus par l'article 10 de la loi ne constituent pas une subdélégation prohibée car d'une part il appartient de plein droit au gouvernement d'assurer l'exécution des dispositions législatives prises en vertu de la Constitution ; d'autre part, ces arrêtés relèvent du contrôle du Tribunal suprême, juge de l'excès de pouvoir ; que d'ailleurs, la requérante qui a saisi ce tribunal de recours contre les arrêtés n° 80-392 et 80-393 du 28 août 1980 pris en application dudit article 10 se sont bornés à conclure à leur annulation par voie de conséquence de l'inconstitutionnalité de la loi, en s'abstenant de toute critique spécifique contre les arrêtés eux-mêmes ;

Que le moyen articulé contre l'article 14 étant fondé sur le principe de la séparation des pouvoirs n'est pas recevable car ce principe est mentionné à l'article 6 du titre I de la Constitution et le Tribunal suprême, juge constitutionnel, n'est compétent que pour apprécier si les lois déférées à son contrôle ne portent pas atteinte « aux libertés et droits consacrés par le titre III » ; qu'en tout état de cause, le moyen n'est pas fondé, le législateur pouvant ou non exiger une intervention des situations et intérêts en cause (litiges purement privés ou ordre public en jeu); qu'en l'espèce, l'expulsion des grévistes tendant à protéger une liberté essentielle, la liberté du travail, le législateur n'a pas violé le principe de la séparation des pouvoirs ;

Que, l'interdiction formelle de la grève à laquelle se réfère l'article 16 ne résulte pas de ce texte mais de la loi n° 553 du 7 février 1952 antérieure à la Constitution et nullement inconciliable avec elle ; que cette loi est étrangère à la présente requête en annulation et que donc la contestation de ce pouvoir d'interdiction manque en fait ; qu'il n'est d'ailleurs qu'une application de portée limitée du pouvoir reconnu au législateur de tracer les limites du droit de grève ;

Qu'enfin, en ce qui concerne les conséquences pénales et civiles de la grève, il n'y a, contrairement à ce qu'affirme la réplique, aucune incompatibilité en droit français entre la reconnaissance du droit de grève et l'existence d'un droit pénal spécial de la grève qui est consacrée par l'article 414 du code pénal ; qu'en outre, si la réplique fait grief à l'article 21 de la loi attaquée d'englober dans le délit de menace une simple démonstration, elle omet de préciser que le texte ne vise que les démonstrations menaçantes ;

Vu la loi attaquée ;

Vu les autres pièces produites et jointes au dossier ;

Vu l'ordonnance constitutionnelle du 19 décembre 1962, notamment ses articles 6, son titre III, ses articles 89 à 97 et 97 ;

Vu l'ordonnance souveraine n° 2984 du 16 avril 1963 modifiée par l'ordonnance souveraine n° 6820 du 14 avril 1980 ;

Vu l'ordonnance de M. le président du Tribunal suprême en date du 11 mai 1981 par laquelle il a ordonné le renvoi de la cause ;

Ouï M. Félix Boucly,

Tribunal suprême en son rapport ;

Ouï Me Arnaud Lyon-Caen et Me G.-H. George en leurs observations ;

Ouï M. le procureur général en ses conclusions ;

Siégeant et délibérant en matière constitutionnelle ;

Considérant que les conclusions de l'Union des syndicats de Monaco tendent à l'annulation des articles 2, 3-1 ° ; 5, 8, 10, 11, 13, 14, 16, 17, 18, 19, 20 (al. 1 et 2) et 21 de la loi n° 1025 du 1er juillet 1980 au motif qu'ils seraient contraires à la Constitution et soutiennent qu'en raison du caractère indissociable des dispositions de la loi, celle-ci doit être annulée dans son ensemble ;

Considérant qu'en disposant dans l'article 28, alinéa 2, de la Constitution du 19 décembre 1962 que « le droit de grève est reconnu, dans le cadre des lois qui le réglementent », le constituant a entendu marquer que le droit de grève a valeur constitutionnelle, mais qu'il a des limites et a habilité le législateur à tracer celles-ci en opérant la conciliation nécessaire entre la défense des intérêts professionnels dont la grève est un moyen et la sauvegarde de l'intérêt général auquel la grève peut être de nature à porter atteinte ; que la reconnaissance du droit de grève ne saurait avoir pour effet de faire obstacle au pouvoir du législateur d'apporter à ce droit des limitations justifiées au regard des principes de valeur constitutionnelle ;

Sur l'article 2 (1 ° et 2 °)

Considérant, d'une part, que, la défense des intérêts professionnels des salariés étant par essence l'objet du droit de grève constitutionnel, il ne peut être fait grief aux dispositions de l'article 2 (1 ° et 2 °) de la loi attaquée de porter atteinte à l'exercice de ce droit en exigeant, pour la licéité de la grève, qu'elle ait cette défense pour objet et que les critiques fondées sur l'éventualité d'une interprétation restrictive du texte, laquelle ressortit aux juridictions de droit commun, ne sauraient être accueillies devant le juge constitutionnel ;

Considérant que, d'autre part, la condition que la grève ait son motif « dans les rapports sociaux internes de la Principauté » ne porte pas davantage atteinte au droit de grève constitutionnel, car, contrairement à ce que soutiennent les requérants, cette exigence ne met aucun obstacle à la grève des salariés de Monaco employés dans des entreprises ayant leur siège hors de la Principauté et désirant agir contre les décisions prises hors du territoire monégasque, dès lors que celles-ci ont une incidence sur leur emploi ou leurs conditions de travail, lesquels sont inclus dans ces « rapports sociaux internes de la Principauté » ;

Considérant enfin que, si le droit reconnu aux salariés par l'article 28, alinéa 1 de la Constitution, de recourir à l'action syndicale pour la défense de la profession permet aux organisations syndicales d'utiliser entre autres moyens de cette action le droit de grève, c'est, en l'absence de disposition constitutionnelle ou législative relative aux droits syndicaux, dans le respect des lois qui le réglementent ; qu'il ne peut dont être soutenu que ces lois, et donc la loi attaquée, portent atteinte au droit syndical ;

Sur l'article 2 (3 °)

Considérant, d'une part que cette disposition aux termes de laquelle la grève « doit débuter et se terminer avant le jour et à la même heures que tous les salariés qui y participent » ne porte pas par elle-même et réserve faite éventuellement de ses conditions de mise en oeuvre, atteinte au principe constitutionnel du droit reconnu à chaque salarié de participer individuellement à une grève ;

Considérant, d'autre part, que la contradiction de texte alléguée, au cas où elle existerait, n'est pas constitutive d'une violation de la Constitution ;

Sur l'article 2 (4 °)

Considérant d'une part que la disposition contestée aux termes de laquelle la grève « doit être faite hors de l'établissement » ne porte atteinte à aucun principe constitutionnel ;

Considérant d'autre part, que la contradiction de texte alléguée par les requérants entre cette disposition et les articles 9 et 13 de la dite loi, au cas où elle existerait, n'est pas constitutive d'une violation de la Constitution ;

Sur l'article 3 (1 °)

Considérant qu'en utilisant les termes « mouvement revendicatif concerté··· par échelonnements successifs ou par roulement concerté », le législateur a entendu interdire ces modalités d'exercice du droit de grève et que, ce faisant, il n'a violé aucun principe constitutionnel ; que, d'autre part, les éventuelles applications abusives du texte ressortiraient au contrôle des juridictions de droit commun ;

Sur l'article 5

Considérant que le droit de grève reconnu par la Constitution est le droit, même pour une minorité des salariés d'une entreprise ou d'une catégorie dans l'entreprise, de recourir à une cessation collective du travail qui ait concertée ;

Considérant qu'en subordonnant dans l'article 5 de la loi le recours à la grève ou la poursuite de celle-ci dans les entreprises au vote favorable de la majorité de la totalité des salariés appartenant au même établissement, si le conflit affecte l'ensemble des salariés de cet établissement, soit à chaque catégorie intéressée si le conflit affecte seulement une ou plusieurs catégories de salariés du même établissement, le législateur écarte d'une manière générale la licéité de toute cessation du travail concertée entre tout ou partie des salaires de la minorité favorable à la grève ; que la reconnaissance constitutionnelle du droit de grève ne s'oppose certes pas à la conclusion d'accords qui, dans les entreprises prévoiraient la consultation préalable du personnel ; mais que l'article 5 tel qu'il est rédigé fait obstacle à l'exercice du droit de grève dans des cas où son interdiction n'apparaît justifiée au regard d'aucun principe de valeur constitutionnelle ; que, dès lors, l'article 5 de la loi n° 1025 du 1er juillet 1980 doit être regardé comme non conforme à la Constitution et annulé ;

Considérant que cette annulation doit entraîner celle de l'article 6 qui fixe les conditions du déroulement des opérations de vote, de l'article 8 qui lie l'obligation de mentionner les motifs de la grève et le délai de préavis à la décision prise en vertu de l'article 5, de l'article 13 (2e al.) qui prévoit un scrutin sur la reprise du travail dans les conditions des articles 5 et 6, de l'article 21 qui réprime les agissements de nature à influer sur le vote des salariés et à trouver les opérations de vote ainsi que de l'article 22 en tant qu'il dispose que « notamment les règles complémentaires devant régir les opérations de vote seront déterminées par ordonnance souveraine », ces dispositions constituant entre elles un ensemble indissociable ;

Sur l'article 10

Considérant que la disposition constitutionnelle qui réserve une matière à la loi n'a ni pour objet ni pour effet d'exclure le pouvoir général que le législateur exerce, conformément à la Constitution, d'inviter le gouvernement à prendre par la voie réglementaire les mesures nécessaires pour l'application des dispositions législatives ;

Considérant que, contrairement à ce que soutiennent les requérants, en visant en même temps que les entreprises concessionnaires d'un service public « celles investies d'une mission d'intérêt général », le législateur a entendu viser par là des entreprises qui, bien que non concessionnaires d'un service public, ont dans certaines circonstances la charge de missions de même nature exigeant la même continuité et donc le service minimal : qu'ayant ainsi précisé le cadre des mesures confiées au gouvernement, il n'a fait qu'user de son pouvoir constitutionnel et que le grief d'une subdélégation contraire à la Constitution ne peut être accueilli ;

Sur l'article 11

Considérant que ce sont les services de sécurité et le service minimal eux-mêmes dont le principe n'est pas contesté par la requête qui imposent le maintien d'une subordination hiérarchique des salariés désignés et que les critiques des requérants contre le mode de leur désignation prévu par cet article ne se fondent que sur les abus possibles de l'employeur qui en est chargé ; que ces abus, s'ils étaient commis malgré le contrôle de l'inspecteur du travail, ressortiraient à la juridiction des tribunaux compétents et que leur seule éventualité ne saurait constituer un grief d'inconstitutionnalité ;

Sur l'article 14

Considérant qu'aux termes de l'article 90 de la Constitution, le Tribunal suprême ne statue en matière constitutionnelle sur les recours en annulation que s'ils ont pour objet une atteinte aux libertés et droits consacrés par le titre III de la Constitution ; que les conclusions de la requête contre cet article fondées sur la violation des articles 5 et 6 inclus dans le titre I sont irrecevables ;

Sur l'article 16

Considérant que la possibilité d'interdiction de la grève par le ministre d'État résulte de la loi n° 553 du 7 février 1952 dont l'article 1 dispose : « toute grève de nature à compromettre l'ordre public ou les intérêts de l'économie nationale est prohibée. Le ministre d'État, après délibération du Conseil du gouvernement, en prononcera l'interdiction··· » ;

Que cette disposition, conçue dans des termes qui par leur généralité énoncent une prohibition indéterminée, confère au ministre d'État un pouvoir général d'interdiction de la grève alors que l'article 28, 2e alinéa de la Constitution, en reconnaissant aux salariés le droit de grève « dans le cadre des lois qui le réglementent », ne permet qu'au législateur de limiter l'exercice de ce droit ; qu'il s'ensuit une incompatibilité entre ces deux textes dont les conséquences sont réglées par l'article 97 de la Constitution selon lequel « les lois et règlements actuellement en vigueur demeurent applicables dans la mesure où ils ne sont pas incompatibles avec la présente Constitution. Ils doivent, le cas échéant, être mis en harmonie aussitôt que possible avec cette dernière » ;

Considérant qu'en prescrivant par l'article 16 de la loi attaquée une procédure d'arbitrage d'office au cas d'interdiction de la grève par le ministre d'État, le législateur, loin de mettre en harmonie avec la Constitution la loi de 1952 en définissant lui-même les grèves prohibées et en retirant au ministre d'État le pouvoir d'en décider, édicte une réglementation, qui, confirmant en la complétant la disposition de cette loi incompatible avec la Constitution, porte à l'exercice légal du droit de grève une atteinte que ne justifie aucun principe de valeur constitutionnelle ; que l'article 16 est donc contraire à la Constitution.

Sur l'article 17, alinéa 1

Considérant que, l'article 2 de la loi ayant précisé les conditions de la grève licite dont l'article 4 fait une cause de suspension du contrat de travail, la disposition attaquée qui se borne à prévoir que, dans les autres cas de cessation du travail, la participation volontaire sera un motif légitime de rupture, ne porte aucune atteinte au droit constitutionnel de grève ; que l'éventuelle interprétation abusive du texte articulée à l'appui de la requête ne saurait constituer un grief d'inconstitutionnalité ;

Sur les infractions pénales prévues par les articles 18, 19 et 20 ;

Sur l'article 18

Considérant que la présente décision a rejeté les griefs d'inconstitutionnalité formulés par les requérants à l'encontre des critères de licéité de la grève précisés par la loi attaquée ; qu'il s'ensuit que l'article 18 en visant exclusivement les mouvements illicites et en ne réprimant expressément que la participation volontaire à de tels mouvements n'apporte aucune entrave à l'exercice légal du droit de grève ;

Sur l'article 19

Considérant qu'en se bornant à réprimer le manquement à des obligations fixées par des dispositions législatives dont l'inconstitutionnalité est écartée par la présente décision, l'article 19 ne porte pas atteinte à l'exercice légal du droit de grève ;

Sur l'article 20, alinéas et 2

Considérant d'une part qu'aux termes de l'article 20 de la Constitution « nulle peine ne peut être établie ni appliquée qu'en vertu de la loi » ; qu'il en résulte la nécessité pour le législateur de définir les infractions en termes suffisamment clairs et précis pour exclure l'arbitraire ;

Considérant que l'article 20 de la loi attaquée réprime l'opposition ou la tentative d'opposition « à la mise en application des mesures prises pour assurer la liberté du travail » (al. 1) et « à l'accomplissement des services de sécurité ou du service minimal requis par application de la loi » (al. 2) que si l'alinéa 1 n'énumère pas, comme le relèvent les requérants, une liste des « mesures prises pour assurer la liberté du travail », il les précise sans ambiguïté en se référant à cette finalité et que, si l'un et l'autre alinéas se bornent à réprimer « l'opposition ou la tentative d'opposition » sans autre précision, ces termes ne sont nullement obscurs et englobent sans discrimination tous agissements tendant à mettre obstacle aux mesures de protection de la liberté du travail et à l'accomplissement des obligations légales des services de sécurité et du service minimal, quels qu'ils soient, que le grief d'atteinte au principe constitutionnel de la légalité des peines ne peut qu'être rejeté ;

Considérant, d'autre part, que les salariés n'échappant pas à la réglementation du droit de grève dans l'exercice de leur droit à l'action syndicale, les requérants ne peuvent davantage soutenir valablement que l'interdiction de s'opposer aux mesures de protection de la liberté du travail et à l'accomplissement des obligations légales des services de sécurité et du service minimal porte atteinte à la liberté syndicale ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que les articles 5 et 16 de la loi du 1er juillet 1980 doivent être annulés comme contraires à la Constitution et que l'annulation de l'article 5 doit entraîner par voie de conséquence celle des articles 6, 8, 13 alinéa 2 et 21 ainsi que de l'article 22 en tant qu'il dispose « notamment les règles complémentaires devant régir les opérations de vote seront déterminées par ordonnance souveraine » qui constituent un ensemble indissociable ; qu'il n'en est pas de même, contrairement aux prétentions des requérants, des autres dispositions de la loi qui, détachables de celles qui sont reconnues contraires à la Constitution, sont déclarées conformes à la Constitution.

Décide :

Article 1er

Sont annulées les dispositions des articles 5, 6, 8, 13, alinéas 2, 16 et 21 de la loi n° 1025 du 1er juillet 1980 ainsi que l'article 22 en tant qu'il dispose que « notamment les règles complémentaires devant régir les opérations de vote seront déterminées par ordonnance souveraine ».

Article 2

Les autres conclusions de la requérante sont rejetées.

Article 3

Les dépens sont partagés par moitié entre l'Union des syndicats de Monaco et l'État.

Article 4

Expédition de la présente décision sera transmise au ministre d'État.

Ainsi délibéré par le Tribunal suprême de la Principauté de Monaco, le 1er juillet 1981 par MM. P. Reuter, président, commandeur de l'Ordre de Saint-Charles, L. Pichat, vice-président, commandeur de l'Ordre de Saint-Charles, I. Potier, membre, F. Boucly, membre, rapporteur, R. Drago, membre, en présence de J.-P. Gilbert, procureur général, assistés de J. Armita, greffier en chef, officier de l'Ordre de Saint-Charles,

et prononcé par M. L. Pichat, le 8 juillet 1981.

Décision du 1er février 1994, Association des propriétaires de Monaco

Le Tribunal suprême

Siégeant et délibérant en Assemblée plénière et en matière constitutionnelle,

Vu la requête présentée par l'association des propriétaires de la Principauté de Monaco le 26 février 1993 et tendant à l'annulation de la loi n° 1159 du 29 décembre 1992 modifiant certaines dispositions de la loi n° 1118 du 18 juillet 1988 relative aux conditions de location de certains locaux à usage d'habitation ;

Ce faire,

Attendu que la loi attaquée porte atteinte au droit de propriété reconnu par l'article 24 de la Constitution en ce qu'elle institue des mesures nouvelles par rapport à la loi du 18 juillet 1988 sans que les difficultés exceptionnelles, qui, selon la décision du Tribunal suprême du 20 juin 1989, justifiaient les restrictions à ce droit soient ni modifiées, ni aggravées ; que notamment la loi revient sur la mesure de libération des loyers en instituant des plafonds et en restreignant la liste des locataires protégés ;

Attendu, au surplus, que la loi contient des dispositions pénales rétroactives en violation de l'article 20, alinéa 4, de la Constitution puisque celles-ci s'appliquent aux locaux loués sur la base de la loi du 18 juillet 1988 avant sa modification ;

Attendu, enfin, que la loi, portant une atteinte directe et indirecte au droit de propriété, elle doit entraîner une indemnisation par l'État des propriétaires justifiant un préjudice spécial ;

Vu la contre-requête de Monsieur le ministre d'État déposée le 30 avril 1993 et tendant au rejet de la requête avec condamnation aux dépens pour les motifs que, l'atteinte au droit de propriété ne peut être reconnue dès lors que la loi nouvelle, au regard de la jurisprudence du Tribunal suprême, ne comporte pas privation du droit de propriété en raison des caractères géographiques de territoire de l'État et est justifiée par la hausse importante des loyers provoquée par l'application de la loi du 18 juillet 1988 ;

Qu'il ne peut être prétendu que la loi revient à un blocage des loyers puisque le régime de limitation des taux ne concerne que les locaux vacants à la date de son entrée en vigueur ;

Que le droit de reprise des propriétaires ne pourra s'exercer que dans le respect de la procédure instituée par la loi du 18 juillet 1988 et que le régime est plus libéral que le précédent ;

Que la loi n'institue pas une reconduction automatique du bail, que cette reconduction ne constitue qu'une possibilité et qu'il y a lieu à l'application d'une procédure permettant de négocier le renouvellement du bail dans le cadre de la loi ;

Que le droit à réparation du préjudice auquel pourraient prétendre les propriétaires ne peut être reconnu puisque ce préjudice n'est ni certain ni spécial ;

Que l'affirmation selon laquelle la loi serait rétroactive dans ses dispositions pénales est inexacte et que l'association confond rétroactivité et application immédiate de la loi ;

Vu La réplique déposée le 28 mai 1993 par l'association requérante et tendant aux mêmes fins que la requête initiale ;

Attendu que le Tribunal suprême, qui a compétence pour interpréter les dispositions législatives attaquées, peut adopter à leur sujet le procédé des réserves d'interprétation ;

Que la spécialité du préjudice ne concernera que la moitié environ des propriétaires appartenant au secteur réglementé ;

Que la contre-requête contient des inexactitudes concernant la baisse excessive des loyers selon les informations qu'elle fournit dans sa réplique ;

Qu'il est inexact de prétendre que la loi ne comporte aucun retour au blocage des loyers dès lors que, pendant les deux périodes de six ans pendant lesquelles elle s'appliquera, les loyers ne pourront être augmentés au-delà des seuils fixés ;

Vu la duplique déposée par le ministre d'État le 5 juillet 1993 et tendant à nouveau au rejet de la requête en ce que :

La simple lecture de la loi permet de montrer que les atteintes au droit de propriété n'existent pas ; que ses dispositions visent simplement à concilier les intérêts des propriétaires et des locataires ;

Que le préjudice spécial invoqué concernerait 25 % des propriétaires et qu'une telle affirmation viderait de tout sens le concept même de rupture qui fonde cette condition du préjudice ;

Vu la loi attaquée ;

Vu les autres pièces produites et jointes au dossier ;

Vu la Constitution et notamment ses articles 20 alinéa 4, 24 et 90-A-2 ;

Vu l'ordonnance du 16 avril 1963 modifiée, sur le Tribunal suprême ;

Vu l'ordonnance de M. le président du Tribunal suprême, en date du 27 décembre 1993, par laquelle il a ordonné le renvoi de la cause ;

Ouï M. Roland Drogo, vice-président du Tribunal suprême, en son rapport ;

Ouï Me Balat, avocat à la Cour d'appel de Paris, assisté de Me Blot, avocat-défenseur ;

Ouï Me Piwnica, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, assisté de Me Sanita, avocat-défenseur ;

Ouï M. le procureur général en ses conclusions ;

Statuant et délibérant en matière constitutionnelle,

Considérant que l'association requérante a déféré au Tribunal suprême la loi n° 1159 du 29 décembre 1992 modifiant certaines dispositions de la loi n° 1118 du 18 juillet 1988, sur la base de l'article 90-A-2 de la Constitution ;

Sur le moyen tiré de la violation de l'article 24 de la Constitution,

Considérant que cet article dispose :

« la propriété est inviolable. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique légalement constatée et moyennant une juste indemnité établie et versée dans les conditions prévues par la loi » ;

Considérant que le libre exercice du droit de propriété consacré par ce texte doit être concilié avec les autres règles et principes de valeur constitutionnelle applicables dans l'État Monégasque ; qu'il en est ainsi des exigences résultant des caractères géographiques particuliers du territoire de l'État ainsi que du principe accordant une priorité aux citoyens monégasques, consacré notamment par l'article 32 de la Constitution ;

Considérant que l'article 3 de la loi déférée au Tribunal suprême modifiant l'article 5 de la loi du 18 juillet 1988 réduit la liste des attributaires prioritaires qui figurait dans ce texte ;

Considérant que l'article 4 de la loi attaquée modifiant l'article 8 de la loi du 18 juillet 1988 décide que le prix de location, pendant la première période de six ans, ne pourra être supérieur de plus de 50 % à celui qui aurait été pratiqué en application de l'article 14 de l'ordonnance-loi n° 669 du 17 septembre 1959 ; que le même texte décide que le prix de location, pendant la seconde période de six ans, ne pourra être supérieur de plus de 155 % à celui qui aurait été pratiqué en application de l'article 14 de l'ordonnance-loi n° 669 du 17 septembre 1959 ;

Considérant que l'article 9 de la loi attaquée dispose :

« Les locaux ayant fait l'objet d'une location en vertu de la loi n° 1118 du 18 juillet 1988 préalablement à la promulgation de la présente loi sont soumis aux dispositions de cette dernière. Toutefois, la location de ces locaux, lorsqu'ils deviennent vacants ou lorsque le bail est reconduit, n'est pas soumise aux dispositions du premier alinéa du chiffre II de l'article 8 de la loi n° 1118 du 18 juillet 1988 modifiée. En toute hypothèse, le montant du loyer en cours de bail ne peut être augmenté qu'en application d'une clause d'indexation usuelle insérée dans le bail. Nonobstant les dispositions de l'article 5 de la loi n° 1118 du 18 juillet 1988 modifiée, les locataires, entrés dans les lieux préalablement à la promulgation de la présente loi peuvent bénéficier, avec l'accord de leurs propriétaires, de la reconduction de leurs baux » ;

Considérant qu'il ressort de ce texte ainsi que des travaux préparatoires que les articles 3 et 4 de la loi ne concernent pas les locaux ayant fait l'objet d'une location avant sa promulgation, même lorsque ces locaux deviennent vacants ou lorsque le bail est reconduit ; que les locataires entrés dans les lieux préalablement à la promulgation de la loi peuvent bénéficier, avec l'accord de leurs propriétaires, de la reconduction des baux dans les conditions antérieures à cette promulgation ;

Considérant qu'il ne peut être fait application des dispositions des articles 3 et 4 de la loi que dans le cadre tracé par l'article 9 ; que, dans ces conditions, ces dispositions ne portent pas à l'exercice du droit de propriété une atteinte excédant celles qui peuvent lui être apportées au regard des règles et principes ci-dessus rappelés ;

Sur le caractère rétroactif des dispositions pénales contenues dans l'article 7 de la loi,

Considérant que l'article 7 de la loi dispose :

« L'article 16 de la loi n° 1118 du 18 juillet 1988 est abrogé et remplacé par les dispositions suivantes : le propriétaire qui n'aura pas fait la déclaration prescrite par les articles 2 ou 8 sera puni de l'amende prévue au chiffre 3 de l'article 29 du code pénal. Si la déclaration n'est pas effectuée dans les huit jours suivant le prononcé de la condamnation, le contrevenant sera puni de l'amende prévue au chiffre 1 de l'article 26 de ce code et le tribunal ordonnera, sous astreinte civile définitive au profit du Trésor, que la formalité soit accomplie dans les huit jours de la décision ».

Considérant que ce texte se contente d'affirmer le caractère d'application immédiate de la loi ; que le moyen tiré de son effet rétroactif manque en fait ;

Sur la responsabilité éventuelle de l'État du fait de l'application de la loi,

Considérant qu'il est loisible aux propriétaires des locaux auxquels la loi s'appliquera dans les conditions précédemment définies, au cas où cette application leur occasionnerait un préjudice anormal et spécial, d'en demander, s'ils s'y croient fondés, réparation sur le fondement du principe constitutionnel d'égalité de tous devant les charges publiques.

Décide :

Article 1er : la loi n° 1159 du 29 décembre 1992 modifiant certaines dispositions de la loi n° 1118 du 18 juillet 1988 est déclarée conforme à la Constitution.

Article 2 : l'association requérante supportera les dépens.

Article 3 : expédition de la présente décision sera transmise au ministre d'État.

1. NDLR : traduction non officielle rédigée en collaboration avec le Tribunal en vue de la publication dans les Cahiers.

2. Tribunal de première instance dont le nom provient, étymologiquement, de celui de « Bailli ».

3. NDLR : traduction non officielle rédigée en collaboration avec la Cour d'État en vue de la publication dans les Cahiers.

4. NDLR : ce projet a été adopté par référendum le 18 avril 1999 et est entré en vigueur le 1er janvier 2000. Aux termes de l'article 9 : « Toute personne a le droit d'être traitée par les organes de l'État sans arbitraire et conformément aux règles de la bonne foi. »

(1) NDLR : traduction non officielle rédigée en collaboration avec le Tribunal en vue de la publication dans les Cahiers.
(2) Tribunal de première instance dont le nom provient, étymologiquement, de celui de « Bailli ».
(3) NDLR : traduction non officielle rédigée en collaboration avec la Cour d'État en vue de la publication dans les Cahiers.
(4) NDLR : ce projet a été adopté par référendum le 18 avril 1999 et est entré en vigueur le 1er janvier 2000. Aux termes de l'article 9 : « Toute personne a le droit d'être traitée par les organes de l'État sans arbitraire et conformément aux règles de la bonne foi »