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Remise du prix de thèse 2006 du Conseil constitutionnel

Pierre MAZEAUD - Président du Conseil constitutionnel

Cahier du Conseil constitutionnel n° 22 - juin 2007

Madame la lauréate,

Mesdames, Messieurs, chers amis,

Je suis très heureux de vous accueillir ce soir pour au moins deux raisons. La première est que cette cérémonie constitue une nouvelle occasion d'accueillir les représentants de la doctrine à laquelle nous attachons la plus grande importance. Au-delà de la cordialité bien réelle ainsi que des affinités intellectuelles, nous considérons nos rapports avec l'Université comme dictés par des exigences fonctionnelles. À travers nos multiples contacts, publications et colloques, nous y trouvons une source de réflexion extrêmement stimulante.

Nous avons ainsi accueilli, le 6 octobre dernier, un colloque sur le thème de l'intérêt général dont le professeur Michel Verpeaux, votre directeur de thèse ici présent, était l'un des inspirateurs.

Depuis plusieurs années, nous ouvrons notre bibliothèque et accueillons en stage des étudiants qui se destinent à l'enseignement et à la recherche, leur permettant ainsi de se familiariser avec le Conseil.

Le prix de thèse du Conseil constitutionnel a été institué il y a dix ans avec pour objectif à la fois de distinguer et de soutenir financièrement des travaux répondant à deux critères :

– l'excellence universitaire,
– l'utilité dans le cadre du contrôle de constitutionnalité effectif incombant au Conseil constitutionnel.

Un des plus redoutables problèmes rencontrés en effet par les étudiants au terme de leur travaux est la publication. Le prix de thèse vise à leur donner la résonance qu'ils méritent, c'est pourquoi cette récompense se traduit par la remise d'un chèque dont le lauréat est appelé à s'engager par écrit à l'employer à des fins de publication. Sans attendre l'édition de la thèse, le lauréat doit en rédiger un résumé qui est publié sous forme d'article dans le prochain numéro des Cahiers du Conseil constitutionnel.

Au total 66 thèses ont été examinées depuis dix ans au cours des phases de présélection ou sélection. Et c'est avec beaucoup de plaisir que je salue ici le lauréat du premier prix décerné par le Conseil, le professeur Ferdinand Melin-Soucramanien, prix qui récompensait sa thèse sur « Le principe d'égalité dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel ». C'était en 1996.

Mon deuxième motif de satisfaction est que le jury chargé de décerner le prix de thèse 2006 a couronné cette année – sans la moindre hésitation – un travail remarquable. Votre thèse, de près de 900 pages, soutenue le 8 novembre 2005 à l'Université Paris II, a pour titre : Contrôle de constitutionnalité et normes visées par la Constitution française.

Son sujet est très original. Sans doute l'intitulé ne rend pas totalement justice à la qualité de la recherche. Ce titre est quelque peu ambigu. Peut-être, faudrait-il, lors de la publication, plutôt retenir celui de « Recherches sur la notion de Constitution » ou encore de « Recherches sur les sources externes à la Constitution du contrôle de constitutionnalité ».

En réalité votre thèse porte sur la constitutionnalité par prétérition ou la constitutionnalité par renvoi. C'est un sujet qui conduit à repenser la notion de Constitution en redéfinissant les contours de ce qu'il est convenu d'appeler le bloc de constitutionnalité.

Cette thèse, qui est au niveau des meilleurs travaux soutenus en France ces dernières années sur des sujets de « droit constitutionnel jurisprudentiel », se situe au cœur de nos préoccupations. Elle fait réfléchir le juge constitutionnel sur sa jurisprudence et sur sa politique jurisprudentielle tant les critères de contrôle de constitutionnalité trouvent de plus en plus souvent leur siège en dehors de la Constitution elle-même : principes fondamentaux reconnus par les lois de la République, garanties légales d'exigences constitutionnelles, lois organiques, accords de Nouméa, désormais droit communautaire dérivé···

Vous me permettrez sans doute de ne pas souscrire à certaines de vos conclusions, notamment le bouleversement que vous préconisez consistant à abandonner sa jurisprudence IVG de 1975 – sous-estimant les problèmes théoriques et politiques que poserait cette remise en cause – ou celui qui conduirait le juge ordinaire à contrôler la constitutionalité des lois.

Mais, comme l'a écrit l'un des rapporteurs, l'œuvre de Dieu l'emporte très largement sur la part du Diable dans ce travail de recherche. Votre thèse, conforme aux exigences académiques les plus élevées, est en outre de nature à être directement utilisée par les praticiens du contentieux constitutionnel. Il s'agit d'un outil de travail remarquable, clair, exact, percutant et topique. Il comporte d'ailleurs, sur certains problèmes qui sont au cœur de notre activité, comme les lois organiques, des développements originaux et remarquables. On y trouve aussi de très bonnes pages sur la valeur juridique des accords de Nouméa de 1998 auxquels la Constitution renvoie, conduisant à envisager de manière nouvelle ce texte, ainsi que les conséquences constitutionnelles qui pourraient en être tirées.

Et surtout, vous n'hésitez pas à proposer de nouvelles définitions ou classifications et votre argumentation est convaincante. Votre thèse est en réalité si riche qu'à bien y regarder on pourrait en découvrir plusieurs, enchâssées dans la thèse principale. Vous nous livrez une sorte de bréviaire des sources possibles du contrôle de constitutionnalité.

Vous avez souhaité que soient associés à cette cérémonie vos proches, qui vous ont soutenue, aidée par leurs relectures (votre thèse est d'une grande qualité formelle) et nous sommes donc très heureux de les accueillir ici.

Madame Roblot Troisier, je vous déclare lauréate et j'ai le plaisir de vous remettre le prix de thèse du Conseil constitutionnel 2006.