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Réalisme et contrôle des lois en Italie

Jean-Jacques PARDINI - Professeur de droit public, Directeur adjoint du CDPC Jean-Claude Escarras (CNRS-UMR 6201 – GDR de droit comparé n° 1199), Doyen de la Faculté de droit de Toulon

Cahier du Conseil constitutionnel n° 22 (Dossier : Le réalisme en droit constitutionnel) - juin 2007

Réalisme ! Le vocable serait-il à la mode ? Le simple fait que la présente livraison des Cahiers du Conseil constitutionnel consacre un dossier au réalisme en droit constitutionnel peut en témoigner. Comme peut en témoigner aussi la circonstance que, dans ses vœux adressés au président de la République pour l'année 2006 et pour l'année 2007, le président Mazeaud emploie à trois reprises ce terme à propos de sa conception de l'intérêt général d'abord(1), des droits sociaux des femmes ensuite(2). Mais ne cédons pas aux phénomènes de mode, et demandons-nous ce qu'est exactement le « réalisme ».

Dans le langage courant, « réalisme » s'oppose à « idéalisme » et renvoie à l'« attitude d'une personne qui tient compte de la réalité, l'apprécie avec justesse »(3). On peut dire, par exemple, si l'on s'en tient à ces faits, que Lamartine a été réaliste en choisissant la République en février 1848 et que le Conseil d'État ne l'a pas été moins, en 1950, lorsqu'il a rendu l'arrêt Dehaene(4). Le réalisme a donc affaire avec le pragmatisme, en tant qu'il est adapté à l'action sur le réel, et peut même, dans une vision pessimiste, confiner à l'apostasie lorsque l'idéal est renié. Sur un registre particulier, on parlera de realpolitik lorsque l'action internationale se base sur des possibilités concrètes éloignées de toute considération idéologique.

Le sens juridique du terme réalisme, s'il n'est pas très éloigné du sens courant(5), est cependant plus subtil, lié à certaines conceptions philosophiques dites elles-mêmes réalistes. À vrai dire, toutefois, l'imprécision du terme dans le domaine de la philosophie(6) peut faire craindre pour la clarté du présent exposé. Néanmoins, et pour faire court, on dira, en première analyse, que le réalisme juridique se nourrit essentiellement d'approches sociologiques du droit(7). Les deux grandes théories réalistes – américaine et scandinave(8) – insistent, en effet, sur le contexte social en tant qu'élément essentiel de la production et de l'application du droit. Les énoncés normatifs, dans cette conception, sont largement déterminés par un ensemble complexe de faits sociaux comprenant des éléments externes au système juridique(9). Partant, selon la doctrine réaliste – si l'on ose ce singulier – l'autorité en charge de l'application du droit – en premier lieu le juge – ne peut, dans son office, se déprendre de différents facteurs d'ordre social, économique ou encore psychanalytique et psychologique.

Le cœur d'une telle attitude est de défendre un « droit vivant », de distinguer the law in the book et the law in action(10), de marier harmonieusement le droit et le fait auquel il s'applique et, pourquoi pas, de tenir compte de l'humeur du juge. Il implique de dépasser le droit dans les livres et de l'appréhender dans la réalité, dans l'action.

Le juge constitutionnel, parce qu'il est juge, est assurément concerné par cette doctrine. Et que l'on ne vienne plus objecter que sa mission consistant à confronter le texte législatif au texte constitutionnel, il se désintéresse des « faits »(11). Il est, comme tout autre acteur de la vie juridique (ou de la vie tout court), immergé dans une réalité dont il ne peut s'abstraire et que, forcément – fût-ce inconsciemment – il prend en compte pour remplir son office. Que le juge constitutionnel – même dans le cadre d'un contrôle incident de constitutionnalité des lois – n'ait pas à se mêler des adjucative facts (faits judiciaires) est une affaire entendue, encore que le constat puisse être nuancé ; qu'il soit insensible aux legislative facts (faits législatifs) ne peut être aussi facilement admis(12).

Le présent article vise, en s'appuyant sur l'étude significative de l'expérience italienne(13), à éprouver les thèses réalistes dans le cadre du contrôle de constitutionnalité des lois(14) ; partant, à démontrer l'influence du contexte social sur le « rapport de constitutionnalité »(15), sans omettre – ce qui est plus délicat – la part de psychologie du juge constitutionnel. Et l'on doit reconnaître que cette influence et cette part de psychologie concernent tant la disposition législative soumise à examen pour présomption d'inconstitutionnalité que la disposition constitutionnelle à l'aune de laquelle cette présomption est confirmée ou infirmée par le juge des lois. À cet égard, et pour le démontrer, il semble pertinent de procéder à un découpage permettant d'offrir un ralenti du raisonnement du juge constitutionnel. En ce sens, la relation fait social/disposition législative doit d'abord être analysée avant que le soit la relation fait social/disposition constitutionnelle. Ce choix se justifie par la pure logique du contrôle de constitutionnalité des lois : en effet, dans le cadre d'un tel contrôle, la détermination de la signification – employons ce mot pour l'instant – de l'acte législatif au regard de la réalité des faits doit précéder sa qualification du point de vue constitutionnel. Car c'est la manière dont la loi s'insère dans cette réalité qui peut être déterminante pour la constatation de sa constitutionnalité ou de son inconstitutionnalité. La disposition constitutionnelle, on le verra, peut, elle aussi, être éclairée par le fait ; mais elle ne pourra l'être utilement qu'après que la loi l'ait préalablement été. Néanmoins, indiquons qu'un tel découpage est purement fonctionnel. En effet, l'appréhension des rapports fait social/loi, fait social/ Constitution, loi/Constitution est marquée par la complexité et peut impliquer des « va-et-vient » successifs entre les différents termes qui se combineront alors entre eux(16).

On ajoutera que la Cour constitutionnelle italienne est particulièrement bien outillée pour connaître le « fait », dotée qu'elle est de pouvoirs d'instruction auxquels elle peut recourir lorsque, à l'occasion, le besoin se fait sentir(17).

Ces précisions apportées, on dira que le juge constitutionnel italien fait preuve de « réalisme » dans son appréhension de la norme législative (I) et de la norme constitutionnelle (II).

I. Réalisme et norme législative : le « droit vivant »

Le système italien présente l'intérêt évident, dans le cadre de cette étude, d'offrir une traduction éclatante des théories réalistes à travers la doctrine du « droit vivant »(18) , formule, on le sait, chère aux réalistes américains. En faisant, en effet, de la « norme vivante » l'objet même du jugement de constitutionnalité des lois, la Cour constitutionnelle italienne fait entrer le contexte social dans l'interprétation de la loi. Mais là n'est pas tout, loin s'en faut ! Car elle n'hésite pas à étendre son contrôle sur les effets de l'acte législatif dans la réalité sociale(19) . C'est dire, inversant en cela une proposition autorisée, que doit être admis un droit vivant d'origine sociologique résultant de l'impact de la société sur la loi (A) et de celui de la loi sur la société (B)(20) .

A. L'impact de la société sur la loi

La détermination de l'objet du jugement de constitutionnalité des lois a donné lieu, en Italie, à de vives discussions doctrinales et des juges (ordinaires et constitutionnels) eux-mêmes. Aujourd'hui, les querelles sont apaisées ; il est acquis que la Cour constitutionnelle italienne examine la constitutionnalité de la norme en tant que résultat de l'interprétation de la disposition de loi(21) . Or, dans le cadre d'un contrôle a posteriori, le juge des lois italien examine des lois en vigueur et donc déjà interprétées, parce que appliquées concrètement. En sorte que la Cour constitutionnelle, saisie dans le cadre du contrôle incident de constitutionnalité des lois, se trouve parfois confrontée à des interprétations consolidées – au sens d'interprétations dominantes – de dispositions législatives et donc à ce qu'on appelle des normes vivantes. La « doctrine du droit vivant », en Italie, renvoie ainsi à la situation dans laquelle la Cour constitutionnelle fait de la norme vivante – lorsqu'elle existe – l'objet même du jugement de constitutionnalité des lois. Dit autrement, c'est la question de la conformité de la norme vivante – l'interprétation consolidée de la disposition de loi – à la Constitution qui est au cœur du contrôle opéré par la Cour.

Pour nécessaires qu'elles soient, ces explications ne suffisent pas à rendre compte de manière précise de l'influence du contexte social sur l'acte législatif. Il faut encore indiquer que la norme vivante se « fait » au gré d'orientations interprétatives qui ne sont pas exclusivement d'origine jurisprudentielle. De fait, la Cour, lorsqu'elle doit juger de la constitutionnalité d'une loi, « [...] vérifie la constitutionnalité du “sens appliqué” de la disposition, c'est-à-dire du sens construit au fil de l'application faite par la jurisprudence d'abord, mais également par l'administration publique et les groupes sociaux »(22) . C'est dire que, loin d'être un énoncé abstrait, l'objet du jugement de constitutionnalité des lois, dans cette logique, est en quelque sorte une relation entre une disposition législative et le contexte social qui l'alimente en lui donnant un sens(23).

La formation d'un droit vivant d'origine administrative traduit clairement cette démarche du juge constitutionnel italien. Dans ce cadre, les sources formalisées – règlements d'exécution des lois, circulaires interprétatives – sont naturellement précieuses en tant qu'elles orientent le travail d'interprétation de la Cour italienne. Mais c'est surtout la pratique administrative, source non formalisée, qui doit être retenue ici, en tant qu'elle constitue une donnée de fait qui traduit le rapport entre l'énoncé de la loi et la réalité sociale dans laquelle cet énoncé s'insère. La manière dont l'énoncé législatif est appliqué par l'administration publique dans la réalité quotidienne est, en effet, prise en compte par la Cour constitutionnelle afin donner un sens à cet énoncé, c'est-à-dire l'interpréter(24) . Ainsi, au vu de la jurisprudence constitutionnelle, la doctrine italienne reconnaît « le rôle herméneutique de la pratique administrative » en relevant que celle-ci est une « source possible du droit vivant »(25) . Certes, l'interprétation judiciaire, dotée de l'autorité de la chose jugée, reste, en Italie, la source privilégiée du droit vivant. Mais ce constat ne suffit pas à mettre en doute l'importance occasionnelle de la pratique administrative : d'une part, en effet, il existe de larges domaines normatifs de l'activité administrative qui, parce qu'ils ne donnent pas lieu à litige, ne sont pas « filtrés » par la jurisprudence ; d'autre part, parce que même si le juge ordinaire intervient, il ne peut pas ne pas prendre en compte, le cas échéant, une pratique administrative consolidée pour rendre son jugement(26).

Il faut néanmoins préciser que l'application de la loi par l'administration ne devient pas l'objet même du jugement de constitutionnalité ; elle contribue seulement – sous certaines conditions toutefois – à appréhender le sens de celle-ci(27). C'est ainsi que la Cour constitutionnelle a pu indiquer que « la référence à [...] la pratique [administrative] pourrait être admise en tant que critère et instrument d'interprétation si – et dans la mesure où – elle se maintient à l'intérieur des limites abstraites de la pure application et de la mise en œuvre (permise) des normes, ne révèle pas un non-respect ou une violation évidents de celles-ci et, en tout état de cause, seulement si cette pratique est constante et extrêmement fréquente »(28) . Sous réserve de constance et de fréquence, la pratique administrative peut donc servir de critère à l'examen de constitutionnalité et justifier, le cas échéant, une censure de la loi. Ainsi, dans l'arrêt n° 167 de 1972, la Cour constitutionnelle a-t-elle précisé que « les éventuels dysfonctionnements de l'appareil administratif ne peuvent former l'objet d'un jugement constitutionnel, à moins que, directement ou indirectement, ils aient pour origine une formulation ambiguë de la loi qui se prête à une interprétation contraire aux normes constitutionnelles »(29) .

L'impact de la société sur la lettre de la loi se manifeste d'ailleurs par les éléments de fait que récolte la Cour constitutionnelle grâce, on l'a dit, aux pouvoirs d'instruction dont elle dispose. En 1978, déjà, A. Cerri constatait en effet que « la majeure partie des ordonnances d'instruction de la Cour tend à acquérir des éléments de connaissance relatifs à la manière dont la loi a été appliquée, aux critères retenus par l'autorité administrative relatifs [...] à la vie de la norme dans la réalité concrète »(30).
En résumé, on dira donc que la doctrine réaliste se vérifie clairement dans l'hypothèse considérée. Car l'application pratique de la loi par l'administration publique, élément du contexte social, contribue, en se conjuguant avec les éléments linguistiques du texte législatif, à produire du sens et, partant, oriente le travail d'interprétation du juge constitutionnel. Par ce canal, l'impact de la société sur la loi est patent. L'inverse – l'impact de la loi sur la société – quoique théoriquement problématique, car révélant un droit vivant d'origine sociologique, n'est pas moins avéré.

B. L'impact de la loi sur la société

Évoquant la communicabilité entre systèmes italien et français de justice constitutionnelle, le doyen Escarras, faussement naïf, se demandait si le contrôle de constitutionnalité des lois devait « être effectué seulement par référence à l'acte législatif in se » ou s'il devait « être étendu jusqu'à la prise en compte des effets qu'il produit dans sa signification réelle, c'est-à-dire dans la réalité sociale »(31) . Formulée autrement, la question se pose de savoir si l'examen de constitutionnalité doit se satisfaire d'une conformité abstraite de la norme législative à la norme constitutionnelle ou s'il doit aller jusqu'à « traquer » une non-conformité concrète de la première à la seconde.

C'est toute la question d'une acception sociologique du droit vivant et de ses possibles implications sur l'objet du jugement de constitutionnalité des lois, qui est ici posée. Cette question se situe au cœur des doctrines réalistes en tant que l'« élargissement de la norme vivante » – certains auteurs ont même pu parler de « dilatation »(32) – s'intéresse à l'impact social de la loi, c'est-à-dire à ses effets socio-économiques, à ses conséquences passées et à celles à venir. Dans cette logique, l'appréciation de la constitutionnalité des lois est fondée, en tout ou partie, sur les legislative facts.

Il a été lucidement observé qu'il s'agissait là « de l'une des zones les plus obscures et les plus complexes du raisonnement décisoire du juge »(33) . On verra, en effet, qu'au-delà des aspects sociologiques – question déjà controversée lorsque le droit est en cause(34) – la psychologie même du juge peut se trouver impliquée dans l'extension de la norme vivante. Les objections faites à cette conception ont d'ailleurs été nombreuses, la principale critique portant sur le manque de rigueur scientifique d'une thèse qui tend à substituer la norme sociale à la norme juridique, le droit ex parte societatis au droit ex parte potestatis.

La doctrine italienne la plus autorisée n'a pourtant pas manqué de relever, dans des temps déjà anciens, que la fonction créatrice de l'interprétation avait pour mission de résoudre l'éventuel contraste entre norme juridique et réalité sociale, allant même jusqu'à accepter la distinction entre un « droit législatif en vigueur » et un « droit socialement vivant », distinction révélant l'inévitable interaction entre les énoncés juridiques et le contexte socio-économique dans lequel ils viennent s'insérer(35) . En outre, il ne faut point négliger que l'intentio legis peut être différente de l'intentio legislatoris(36) , en sorte qu'« on pourrait presque dire que le législateur propose, mais que la société dispose »(37) , la législation étant sans doute expérimentation quotidienne.

Quoi qu'il en soit de ce débat théorique grossièrement rapporté, force est de constater que la Cour constitutionnelle italienne n'hésite pas à prendre en compte, dans le contrôle qu'elle opère, les conséquences des lois contestées adoptant, en cela, les thèses du consequentialism(38) . Dans l'arrêt n° 406 de 1989, elle tient d'ailleurs à le dire clairement en indiquant que le contrôle incident « est porteur, d'un côté, d'une faveur particulière pour le caractère opératoire des lois et, de l'autre, du postulat selon lequel leur conformité à la Constitution est vérifiée dans leur impact social, c'est-à-dire dans leur incidence concrète sur les intérêts réels »(39) . À une autre occasion, elle précise que l'examen de constitutionnalité auquel elle procède ne peut s'abstraire des « effets pratiques produits ou pouvant être produits au sein des rapports concrets de la vie »(40) .

Ainsi, suivant cette logique, la Cour constitutionnelle a-t-elle jugé non fondées les questions de constitutionnalité concernant deux lois ayant supprimé, avec effet rétroactif, le réajustement des traitements des magistrats en considérant que cette mesure de réajustement, adoptée à l'origine pour éliminer des disparités de traitement, s'était révélée dans son application pratique être source
« d'inconvénients et de distorsions plus importants que ceux auxquels on entendait initialement
obvier »(41). Dans une autre décision, elle juge inconstitutionnel l'article 670, alinéa 1 du code pénal Rocco qui faisait de la mendicité non invasiva (non agressive) un délit. Elle observe, à ce propos, que cette forme de mendicité est « rarement poursuivie » et qu'« au quotidien, notamment dans les villes les plus riches, il n'est pas rare de rencontrer des personnes qui – sans causer aucun trouble – demandent convenablement, sinon avec gêne, une aide aux passants » ; de plus, constate-t-elle, « la conscience a évolué face à des comportements autrefois considérés comme constituant un danger propre à menacer une société ordonnée »(42) . Enfin, elle est tout à fait explicite, dans son arrêt n° 108 de 1986(43) , dans lequel elle conclut à « l'existence d'une irrationalité manifeste de la loi en raison de l'éventualité fréquente où le loyer convenu initialement par elle ne correspond plus [...] à la nouvelle réalité économique et sociale » ; elle précise, en outre, que « c'est un fait démontré par l'expérience que, dans les années qui ont suivi l'entrée en vigueur de la loi, il s'est produit une augmentation particulièrement notable de l'activité des entreprises de fourniture de services en raison du développement continu du secteu tertiaire »(44) . Dans ces deux derniers cas, les dispositions législatives sont jugées « anachroniques », car elles sont devenues inadaptées au contexte social qui, depuis leur entrée en vigueur, a évolué de manière significative(45).

Dans d'autres hypothèses, ce sont des ruptures du principe d'égalité qui sont censurées par la Cour constitutionnelle alors même que la loi, dans sa lettre, ne prévoit aucune différence de traitement arbitraire. En ce cas, aussi, c'est l'application de la loi dans la réalité sociale qui révèle ces ruptures, le principe d'égalité étant mis en cause par les effets concrets de la loi. Dit autrement, la ratio distinguendi se détache de la ratio legis entendue comme « cause efficiente » et objective de la loi, en ce qu'elle est porteuse de distorsions qui se produisent dans la réalité. De nombreuses décisions de la Cour constitutionnelle montrent en effet que la discrimination ne dérive pas de la lettre de la norme, mais des conditions économiques et sociales de ses destinataires, en sorte que c'est davantage l'égalité substantielle dans ses rapports avec l'égalité formelle qui est en cause(46) . Ainsi, par exemple, estime-elle inconstitutionnel le procédé de la cautio pro expansis prévu par l'article 98 du code de procédure pénale, car la soumission de l'action en justice au paiement d'une caution « aurait pour effet d'exclure les indigents de la jouissance d'un droit reconnu à tous »(47) . Le même sort, pour les mêmes raisons, a été réservé à la procédure du solve et repete en matière fiscale, qui faisait obligation au citoyen de présenter un certificat attestant du paiement de l'impôt avant de pouvoir en contester le caractère injustifié en justice(48) . On est proche ici de l'hypothèse dans laquelle la non-conformité de la loi à la Constitution provient de sa nature exagérément rigide, de son hiératisme au regard des faits qu'elle ne peut ainsi embrasser ou saisir correctement. Certes, on sait qu'il y a nécessairement et inévitablement un espace entre la ratio legis et la ratio facti. Toutefois, les schémas législatifs sont parfois trop rigides et tendent à négliger les nuances et subtilités de la réalité des faits(49) .

La « propension réaliste » de la Cour constitutionnelle se manifeste également dans l'activation occasionnelle de ses pouvoirs d'instruction(50). Sur ce point, cependant, la Cour ne fait pas montre d'une totale cohérence dans l'emploi des informations que, par ce canal, elle obtient sur la « vie » de la loi.

Parfois, en effet, elle estime ne pas devoir faire mention, dans sa décision, des résultats de l'instruction sollicitée. En sorte qu'on pourrait la croire indifférente aux informations ainsi recueillies. Toutefois, si l'influence de ces informations sur la conviction du juge se prête difficilement à vérification, on ne peut cependant exclure qu'elle existe. Il est possible, en effet, qu'elle se niche dans la « précompréhension »(51) du juge, c'est-à-dire – et l'on touche là à un aspect cher aux réalistes – qu'elle se rattache à la psychologie judiciaire. Si l'on admet cette thèse, les convictions sociales et politiques dont est animé le juge – y compris le juge constitutionnel – conditionnent nécessairement son activité interprétative, de sorte que l'interprétation se fonde sur la compréhension et non l'inverse. Dans cette logique, les règles de droit et les principes seraient compris par le juge avant qu'il ne procède à leur interprétation(52) . On est proche ici des thèses de certains réalistes – scandinaves en l'espèce – qui pensent que le jugement traduit la réaction propre de son auteur au regard d'un ensemble complexe de faits sociaux et qui nient l'existence de normes préexistantes à la décision judiciaire, en estimant que le juge fonde sa décision uniquement sur des règles générales qu'il élabore en fonction de sa conception du bien public(53) .

D'autres fois, en revanche, le résultat des mesures d'instruction joue le rôle d'argument ad adjuvandum au sein de la motivation de la décision du juge. Il faut comprendre, alors, qu'il est un intéressant soutien rhétorique dont la fonction est de convaincre du bien-fondé de la décision. Sa valeur « persuasive » sera tirée du constat d'une réalité de fait qui viendra conforter le choix du juge, mais aussi la conviction des destinataires de la décision. Ainsi, par exemple, la Cour constitutionnelle s'appuie-t-elle sur des éléments fournis par le ministère de l'Agriculture pour juger conforme à la Constitution une loi fixant le montant de certains loyers, cette loi, dans son application concrète, n'ayant révélé aucun motif qui puisse justifier sa censure(54) . À une autre occasion, ce sont des informations fournies par le gouvernement sur l'impact d'une loi relative à l'institution du Service sanitaire national et à son financement qui lui permettent de conclure à sa constitutionnalité(55).

On n'oubliera pas de mentionner que la Cour constitutionnelle peut aussi faire des « pronostics » sur l'impact que la loi – pas nécessairement récente – pourrait avoir sur la société dans l'avenir. Dans ce cas, elle se livre à une sorte de jugement de prescience, comme, par exemple, lorsqu'elle évoque « les risques de régression pour le développement de la personnalité des handicapés »(56) que pourrait comporter l'interruption de leur fréquentation de l'école après la période d'instruction obligatoire.
On voit donc, à travers ce bref aperçu, que les thèses réalistes trouvent une confirmation claire dans le contrôle opéré par le juge constitutionnel italien sur les lois dont il est saisi pour examen. Les dispositions législatives contestées, qu'elles soient anciennes ou plus récentes, sont appréciées au regard du contexte social dans lequel elles viennent s'insérer, soit qu'il s'agisse de leur donner du sens, soit qu'il convienne d'en évaluer l'impact sur la société. Mais la démarche réaliste du juge constitutionnel ne s'arrête pas là. Elle concerne aussi la norme constitutionnelle impliquée par le rapport de constitutionnalité.

II. Réalisme et norme constitutionnelle : la « Constitution vivante »

L'énoncé constitutionnel est, lui aussi, soumis à une lecture vivante de la part du juge constitutionnel italien. Là encore, la réalité sociale n'est pas indifférente dans la perception des normes constitutionnelles car celles-ci, avant d'être sources des mesures législatives qui les mettent en œuvre, ont pour vocation première d'être la mesure de rapports humains, d'inspirer ces rapports(57) . Certes, « la Constitution impose rarement au législateur de statuer dans un sens déterminé »(58). Certes, généralement, les normes constitutionnelles ne sont pas, à proprement parler, des normes régulatrices de comportement car elles ne prévoient aucune conséquence juridique précise qui pourrait être attachée à telle ou telle situation de fait. Toutefois, le contexte social ne doit pas être sacrifié au profit de l'elegentia juris, quand bien même l'on se situe au niveau constitutionnel. Le réalisme impose aussi une mise en contact entre les orientations constitutionnelles et la réalité des faits. L'analyse de la jurisprudence constitutionnelle italienne permet ainsi d'affirmer que la mise en œuvre de la norme constitutionnelle est parfois adaptée au contexte social (A) parfois conditionnée par celui-ci (B).

A. La mise en œuvre adaptée de la norme constitutionnelle

Le réalisme, américain notamment, renvoie à une théorie de l'interprétation qui a partie liée avec un contexte changeant au gré d'événements de toute nature, favorables ou pas, brusques ou moins brusques, révélant parfois des évolutions de la conscience sociale, parfois des évolutions d'ordre économique, technique ou scientifique. Pour les réalistes, le juge a l'aptitude d'adapter le droit aux changements incessants, aux évolutions des situations de fait. L'énoncé de la règle doit entrer en contact avec le contexte qui lui donnera tout son sens.

1) Ce contexte peut être de crise, de situation extraordinaire, d'état de nécessité ou d'urgence, venant rompre avec la « logique » des temps ordinaires. Dans ce cas, la règle de droit prévue pour les temps normaux devient sans doute inadaptée à la situation, inefficace qu'elle est à réglementer des temps exceptionnels(59) . En effet, dans ce type de situation, on constate une rupture entre la réglementation juridique ordinaire et le contexte social, par hypothèse extraordinaire ; en sorte que certains cas d'espèce concrets, dignes de protection, ne trouvent plus dans l'ordonnancement juridique une réglementation propre à assurer cette protection. En conséquence, des mesures extraordinaires vont être adoptées, venant combler les insuffisances du droit ordinaire en prévoyant un jus singulare. Les moyens du droit ordinaire étant devenus inadaptés, une législation extraordinaire prendra le relais.

Sans doute cette analyse exerce-t-elle une influence sur la lecture que fait le juge constitutionnel de la norme constitutionnelle lorsqu'il est amené à se prononcer sur la constitutionnalité d'une législation de ce type ; soit qu'il altère la portée de cette norme, soit, même, qu'il en réduise la sphère de protection, bref qu'il en adapte les contours aux situations de fait(60). En témoigne, la jurisprudence adoptée par la Cour constitutionnelle italienne dans la première moitié des années quatre-vingt, l'Italie ayant été confrontée, à cette époque, à une situation dite d'emergenza (urgence) généralisée(61). De fait, durant cette période, ont été « absous des choix législatifs “utiles” mais en contraste criant avec la Constitution »(62).

L'arrêt n° 15 de 1982 traduit clairement cette démarche(63) et constitue une sorte de « mode d'emploi » devant guider les interprètes de la Constitution. À cette occasion, la Cour devait se prononcer sur la constitutionnalité d'une mesure (art. 10 du décret-loi n° 625 du 15 déc. 1979) qui prolongeait d'un tiers, du fait d'une menace terroriste, la durée maximale de la détention ante judicium pour certains délits. Le juge a quo estimait qu'une telle mesure portait atteinte aux articles 13, alinéas 1, 2 et 5 et 27 de la Constitution consacrant la liberté personnelle et la présomption d'innocence.

Le juge des lois va très clairement se référer au contexte de l'époque pour conclure à la conformité de cette mesure à la Constitution. Il constate, d'abord, l'existence d'une situation de fait exceptionnelle et extraordinaire eu égard aux « menaces concrètes qui pesaient sur les institutions démocratiques, à la violence utilisée comme méthode de lutte politique, au degré des opérations entreprises, à la capacité de recrutement dans les milieux sociaux les plus divers »(64). Il identifie, ensuite, un lien de causalité entre la situation de fait constatée et la législation d'emergenza, en considérant que « face à une situation d'emergenza [...], le Parlement et le Gouvernement ont non seulement le droit et le pouvoir, mais également le devoir précis et absolu d'intervenir en adoptant une législation d'emergenza appropriée »(65) . Ce lien de causalité étant reconnu en l'espèce, la Cour juge la mesure conforme à la Constitution, tout en prenant soin d'ajouter que « [...] l'emergenza, dans son acception première, est une condition certainement anormale et grave, mais également essentiellement temporaire. Il s'ensuit que si elle justifie des mesures inhabituelles, celles-ci perdent leur légitimité si elles sont indûment prorogées dans le temps »(66).

Au-delà du problème de la détermination des sources – formelles ou informelles – sur le fondement desquelles cette législation extraordinaire peut être adoptée, la question est donc posée de la restriction temporaire de la portée des normes constitutionnelles au vu du « sens de la situation » pour parler comme certains réalistes(67) . À cet égard, en effet, et sans entrer dans le débat théorique – sans doute vain d'ailleurs(68) – portant sur la nature exacte de la rétraction de la norme constitutionnelle, on peut penser que la décision à prendre est moins affaire de raison que d'intuition de la solution juste. Le déplacement du « seuil de constitutionnalité » est directement imposé par le contexte qu'on qualifiera de pathologique. Que les circonstances redeviennent « normales » et – la Cour le dit clairement – ce seuil sera rétabli. Car un des mérites du contrôle a posteriori est de permettre un nouvel examen d'une loi reconnue, initialement, provisoirement constitutionnelle, mais qui sera invalidée si les circonstances qui la justifiaient ont disparu.

2) Le contexte peut aussi révéler des évolutions de la réalité sociale, économique, scientifique ou technique qui conduisent le juge constitutionnel italien à adapter les normes constitutionnelles. La Cour constitutionnelle, là encore, fait montre de sa sensibilité à l'évolution des faits dans son appréhension de la norme de constitutionnalité. On comprend bien que l'énoncé constitutionnel doit, lui-même, être adapté au temps qui passe et, au besoin, être modernisé, remodelé lorsqu'il ne s'insère plus harmonieusement dans la réalité des faits.

On doit, en effet, considérer que les normes constitutionnelles, comme les normes législatives, ne sont pas à l'abri d'un certain « vieillissement » des dispositions qu'elles contiennent et qu'elles peuvent donc être considérées anachroniques(69) . Ainsi, par exemple, la Cour constitutionnelle a-t-elle implicitement jugé suranné l'article 29, alinéa 2 de la Constitution(70) lorsqu'elle a déclaré inconstitutionnel l'article 781 du code civil interdisant les libéralités entre conjoints(71) . Le fait, en effet, que le constituant ait autorisé le législateur à prévoir des limites à l'égalité entre époux au nom de l'unité de la famille est jugé, par la Cour, comme n'étant plus en phase avec la structure familiale du moment. En sorte que, dans ce cas, c'est l'inconstitutionnalité législative qui révèle l'anachronisme constitutionnel.

Dans d'autres hypothèses, le juge constitutionnel italien se livre à une interprétation historico-évolutive, adaptée au temps(72) des normes constitutionnelles. Certes, l'intention subjective du constituant doit être au centre de l'examen de constitutionnalité. Mais si tel est le cas, c'est dans l'objectif bien précis de mettre en perspective cette intention initiale avec la réalité du moment. Cette logique est particulièrement à l'œuvre lorsque la norme constitutionnelle est porteuse de concepts juridiques indéterminés (intérêt général, utilité sociale, bonnes mœurs) ou de programmes à mettre en œuvre, qui sont naturellement ouverts au changement. Dans ce cas, la norme « est formulée en des termes génériques afin, précisément, de la rendre adaptable à des situations nouvelles en laissant l'accès libre à des significations non prévues et ne pouvant l'être au moment de son édiction »(73) .

Mais toute norme constitutionnelle – pas seulement les normes à texture ouverte – peut être concernée par une interprétation actualisée comme le montre le rejet, par la Cour constitutionnelle, de la Versteinerungstheorie(74) . Pour ce faire, le juge constitutionnel s'appuie parfois sur les innovations législatives qui, réglementant des situations nouvelles, vont lui permettre de faire évoluer le sens de la norme constitutionnelle. Dans ce cas, la Cour constitutionnelle « excipe » du caractère novateur de la source inférieure pour en faire bénéficier la source supérieure(75). En tout état de cause, elle n'hésite pas à dire, à l'occasion, que les normes constitutionnelles « [...] ont besoin d'une interprétation toujours plus moderne »(76) ou que tel ou tel terme contenu dans la Constitution « ne peut être entendu selon une acception fixe et immuable, mais doit l'être d'après des critères évolutifs, ce qui, du reste, vaut pour toutes dispositions constitutionnelles [...] »(77) . Plus encore, elle admet qu'émergent, de la conscience sociale, des « droits nouveaux » qui peuvent être reconnus grâce à la « force d'attraction » dont dispose l'article 2 de la Constitution en tant que « norme ouverte »(78) pouvant faire l'objet d'une interprétation systémique. Ainsi, les exigences du système juridique et celles de l'adaptation nécessaire du droit au fait sont-elles conciliées(79) , ce qui démontre encore le caractère « réaliste » de la jurisprudence constitutionnelle.

Mais le réalisme de la Cour constitutionnelle ne se résume pas seulement à une mise en œuvre adaptée des normes constitutionnelles des deux points de vue évoqués (contextes de crise, évolution des faits). Un certain nombre de contraintes « réelles » auxquelles elle – comme les autres acteurs du système – est confrontée, sont autant d'obstacles à la réalisation du projet social dont est porteuse la Constitution italienne. Dans cette perspective, la mise en œuvre des normes constitutionnelles est conditionnée par le principe de réalité.

B. La mise en œuvre conditionnée de la norme constitutionnelle

(80) Le réalisme juridique implique, en effet, que les normes constitutionnelles consacrant des droits à prestations positives donnent lieu à une sorte de contrôle « quantitatif » de la part du juge constitutionnel. En effet, la mise en œuvre de tels droits – les droits sociaux principalement(81) – semble imposer, en première analyse, une mesure minimale que le législateur est chargé de déterminer sous le contrôle du juge des lois(82) . Là est cependant le problème car, principe de réalité (économique) oblige, la Cour constitutionnelle, dans l'examen de constitutionnalité auquel elle se livre, se doit de respecter les grands équilibres financiers de l'État.

De fait, elle use de divers moyens par lesquels elle tente d'obvier aux problèmes nés de ses « arrêts constitutionnels producteurs de dépenses »(83) . Ce souci de contenir les dépenses a été très clairement exprimé à l'occasion du riche Séminaire d'études tenu au Palais de la Consulta les 8 et 9 novembre 1991 : le juge ne peut se déprendre du problème des disponibilités financières et, partant, de l'impact de ses décisions sur l'ordonnancement(84).

Certes, la Cour constitutionnelle – et la doctrine italienne, dans sa grande majorité, est d'accord sur ce point – ne reconnaît pas l'application, à ses décisions, de l'article 81, alinéa 4 de la Constitution(85). Ceci dit, la Cour ne vit pas en vase clos et doit prendre en compte l'environnement dans lequel elle situe son office. Dans cette logique, elle épouse l'« éthique wéberienne de la responsabilité »(86) en s'efforçant d'éviter que ses arrêts ne génèrent des conséquences incontrôlables sur l'équilibre du système économique. Si, en effet, l'article 81 de la Constitution ne fixe pas « un principe général d'équilibre financier qui opère à 360 degrés [...] »(87) , il se réclame néanmoins d'une valeur qui ne vit pas dans la « stratosphère »(88) .

Ce souci dont fait preuve la Cour constitutionnelle se répercute notamment sur la typologie de ses décisions lorsque, par exemple, elle en module les effets dans le temps (passé – avec les arrêts d'« inconstitutionnalité survenue » – ou futur – avec les arrêts d'inconstitutionnalité reconnue mais non déclarée(89)) afin de réduire au minimum l'impact financier(90) ; ou encore, lorsqu'elle renonce aux anciens arrêts additifs de prestation(91) en les remplaçant par une nouvelle forme d'arrêts dits additifs de principe(92) ou de mécanisme(93) . L'autolimitation de la Cour constitutionnelle se manifeste également par le fait qu'elle recourt, plus souvent que par le passé, à des arrêts d'inadmissibilité en raison de l'existence d'un pouvoir d'appréciation discrétionnaire du législateur(94).

Mais, au-delà des techniques employées(95) , ce sont surtout certaines orientations de la jurisprudence récente qui tendent à démontrer le réalisme du juge constitutionnel lorsqu'il tient compte de ces limites de fait que sont les disponibilités financières. Ces orientations se manifestent à travers l'adoption d'un principe – le principe de gradualità (progressivité) – qui avait été évoqué par Mauro Ferri, ancien président de la Cour constitutionnelle, dans son discours commémoratif du 4 juin 1996, tenu à l'occasion du quarantième anniversaire de la Haute Instance(96) . L'ancien président indiquait, en effet, qu'« une mention spéciale [devait] être faite du principe de gradualité dans la mise en œuvre des droits aux prestations positives et en particulier des droits sociaux. Ces droits sont nécessairement conditionnés, dans leur mise en œuvre, par la mise en balance avec d'autres intérêts protégés par la Constitution, compte tenu des limites objectives provenant des ressources financières disponibles »(97) . Le législateur, dans la réalisation des normes constitutionnelles consacrant des droits sociaux, se heurte donc inévitablement à la « réserve du possible ». En bref, il fait ce qu'il peut en fonction de ce dont il dispose et s'il ne peut pas tout faire aujourd'hui, il lui faut attendre des jours meilleurs (en espérant qu'ils le soient). La mise en œuvre de la norme constitutionnelle consacrant tel ou tel droit-prestation doit respecter, comme le dit la Cour dans sa décision n° 33 de 1975, une « gradualité exigée par les disponibilités financières »(98), de sorte qu'elle (cette mise en œuvre) ne peut qu'évoluer dans le temps en fonction des ressources disponibles. Les droits sociaux, réalisme oblige, sont ainsi « conditionnés » comme le dit d'ailleurs la Cour constitutionnelle dans la décision n° 455 de 1990(99) à propos du droit à la santé.

La Haute Instance opère donc ici un contrôle du rapport moyen-fin au regard du contexte économique ; la fin étant la satisfaction des droits sociaux de la personne, les moyens étant les ressources disponibles pour, le cas échéant, atteindre cette satisfaction. L'exigence de proportionnalité se situe dans le cadre de ce rapport. La Cour procède ainsi à une conciliation entre deux types d'intérêts qui sont le droit aux prestations sociales d'une part, la prise en compte des ressources disponibles (ou de l'état des finances publiques) de l'autre. Dans sa décision n° 101 de 1987, elle va jusqu'à estimer qu'il s'agit « d'exigences également appréciables »(100).

Ce réalisme dont fait preuve la Cour la conduit à être « indulgente » à l'égard des choix législatifs qui mettent en œuvre les droits sociaux. Son contrôle se limite en effet à l'irrationalité manifeste de la loi, la Cour considérant que le législateur dispose, en la matière, d'un large pouvoir d'appréciation discrétionnaire, mieux informé qu'il serait du contexte économique. Certains membres de la doctrine italienne parlent même, à ce propos, de présomption de conformité à la Constitution dont bénéficie l'appréciation législative – qui ne sera renversée que par des erreurs grossières commises par le législateur(101) . De fait, rares sont les remises en cause des choix législatifs dans la jurisprudence constitutionnelle. On devine nettement cette « confiance » dans la formule qu'utilise la Cour constitutionnelle dans l'arrêt n° 31 de 1986 lorsqu'elle juge que le législateur a « probablement tenu compte des disponibilités financières [...] et de l'exigence d'un développement progressif du système de prévoyance dont la couverture financière serait ainsi garantie »(102).

En outre, et c'est dans la logique de cette démarche, on doit observer que le principe de gradualité ne se traduit pas toujours par un progrès. Le temps n'est plus à la fuite en avant, à l'élévation systématique ; la Cour constitutionnelle admet le retour en arrière. La règle du cliquet anti-retour ne s'applique pas en la matière. Parmi les nombreuses décisions rendues en ce sens, la décision n° 240 de 1994 est éloquente ; la Cour estime que « l'article 38 de la Constitution n'exclut pas la possibilité d'une intervention législative qui, dans l'exigence irréductible de maîtrise des dépenses publiques, réduise de manière définitive le montant des pensions de retraite existant »(103) . Il en est de même, d'ailleurs, lorsque les droits sociaux sont liés au principe d'égalité. Car la Cour constitutionnelle admet aujourd'hui une « égalisation vers le bas » ; elle est claire dans sa décision n° 421 de 1995 où elle dit que « le principe d'égalité n'est pas exclusivement ni nécessairement destiné à étendre la portée d'une législation plus favorable érigée au rang de tertium comparationis ; il peut également s'appliquer pour supprimer le privilège injustifié d'une législation plus favorable par rapport à celle évoquée en comparaison »(104). Autrement dit, elle n'étend plus systématiquement la norme de faveur aux catégories exclues, elle conçoit, le cas échéant, de l'éliminer pour tous afin de rétablir l'égalité(105).

Le principe de réalité est donc à l'œuvre et vient nuancer (conditionner) la norme constitutionnelle. Reste à mettre l'accent sur les difficultés, pour la Cour constitutionnelle, d'accéder à une information précise en ce domaine. Car il faut bien voir que la Cour « ne doit pas confondre bilaciamento (conciliation) et bilancio (budget) »(106) . Elle doit donc obtenir des informations chiffrées précises, permettant d'approcher l'objectivité dans l'opération de conciliation. D'où le recours aux pouvoirs d'instruction dont elle dispose. Mais l'accès à ces faits « têtus » que sont les faits chiffrés n'est pas toujours d'une simplicité évidente. D'autant que la doctrine italienne, à juste titre, considère que se fier au seul instrument de l'ordonnance d'instruction signifie, en somme, s'en remettre à la quantification opérée par l'une des parties en cause – l'Administration d'État – qui pourrait être amenée à fournir des éléments qui ne correspondent pas exactement à la réalité.

*

Le réalisme imprègne donc le contrôle de constitutionnalité des lois en Italie. Mais le Conseil constitutionnel n'est pas en reste, si l'on considère que, même intervenant avant la promulgation de la loi, il ne peut s'abstraire d'un certain nombre de faits sociaux, économiques, techniques, faisant partie de l'environnement dans lequel la loi a vocation a s'insérer. On a déjà donné de nombreux exemples dans le passé, dans un des numéros de ces Cahiers(107), et l'on connaît, dans un autre registre, les incertitudes (ou les certitudes ?) des contextes dans lesquels certaines décisions essentielles du Conseil constitutionnel ont été rendues(108) . On sait aussi que, malgré certaines formulations en sens contraire(109), le Conseil constitutionnel s'intéresse à l'impact social des lois, de manière forcément anticipée, lorsqu'il imagine la manière dont la loi pourrait s'appliquer aux différentes situations de fait(110). D'ailleurs, ne pouvant pas, à l'avance, déceler toutes les inconstitutionnalités(111) , et n'ayant pas les moyens d'assurer le suivi de ses décisions, le Conseil constitutionnel sera enclin à user de réserves d'interprétation pour baliser harmonieusement l'acte législatif et, ainsi, assurer une application de la loi dans la réalité conforme à la Constitution(112) . Et s'il lui apparaît que la réalité est trop nuancée, il choisira alors de déléguer aux juges ordinaires le soin de vérifier, au cas par cas, l'application de la loi : c'est dire que, par une réserve d'interprétation, il chargera ces juges de la mission de qualifier eux-mêmes juridiquement les faits eu égard, sans doute, aux limites auxquelles il se heurte dans l'anticipation des effets d'une loi jugée trop « fuyante » dans son application(113). Enfin, il a été lucidement observé, assez récemment, que le réalisme du Conseil constitutionnel passait aussi par la prise en compte du fait social pour opérer, à l'occasion, des revirements de jurisprudence(114).

La norme constitutionnelle est également lue avec réalisme par le Conseil constitutionnel.

Lui non plus n'hésite pas à desserrer la contrainte de constitutionnalité lorsque les circonstances l'imposent. C'est le cas, par exemple, lorsqu'il tire les leçons d'une situation économique qui empêche une politique de plein emploi(115) – nuançant ainsi la portée de l'alinéa 5 du Préambule de la Constitution de 1946 –, qu'il estime bien fondé, pour de pures raisons techniques (la rareté de l'espace hertzien disponible), un régime d'autorisation préalable dans le domaine des activités de télécommunication, réduisant ainsi la sphère de protection de l'article 11 de la Déclaration de 1789(116). C'est encore le cas lorsqu'il accepte timidement, dans des circonstances dramatiques et exceptionnelles, certaines limites apportées aux libertés(117) ou qu'il indique, au regard d'exigences financières « qu'aucune règle ni aucun principe constitutionnel ne garantit l'intangibilité des droits à retraite liquidés »(118) .

Lui aussi prend en compte, pour les censurer, les « automatismes législatifs », schémas indifférenciés qui mettent à mal, dans les faits, l'exigence de proportionnalité ou le principe d'égalité(119). Lui non plus n'hésite pas à « rénover » les normes de constitutionnalité et à adapter les dispositions de la Déclaration de 1789 ou du Préambule de la Constitution de 1946 aux conditions de la vie moderne(120). Lui aussi, enfin, se heurte aux réalités techniques et scientifiques et à l'état actuel des connaissances sur ces réalités(121) .

Alors, soyons réaliste, à défaut d'être idéaliste – car qu'est-ce que l'idéal sinon une chimère ? – et admettons, au vu de ce qui précède, que le juge constitutionnel fait manifestement preuve de réalisme dans son contrôle de la loi. Qui, d'ailleurs, pourrait le lui reprocher ?

(1) Vœux du président du Conseil constitutionnel au président de la République, 3 janv. 2006 : « Dans le domaine des libertés publiques, l'intérêt général consiste à concilier avec réalisme les droits potentiellement en conflit, sans oublier que la défense trop intransigeante d'un droit peut compromettre la protection des autres [...]. Il [l'intérêt général] est, au minimum, dans une volonté de rapprochement des paroles et des actes entre responsables politiques de tous bords, sur la base de la bonne foi et du réalisme », Les Cahiers du Conseil constitutionnel, n° 20, 2006, p. 4 et s.
(2) Vœux du président du Conseil constitutionnel au président de la République, 3 janv. 2007, p. 2 du présent numéro : « S'agissant des droits sociaux des femmes, le Conseil applique sa jurisprudence générale relative aux discriminations positives en matière sociale. C'est dire qu'il fait toute leur place au bon sens, au réalisme et à l'équité » (www.conseil-constitutionnel.fr).
(3) Définition donnée par Le petit Robert.
(4) CE Ass. 7 juill. 1950, Dehaene, Rec. p. 426.
(5) Ainsi, en effet, les réalistes rejettent-ils toute conception idéaliste du droit, au point qu'on a pu les taxer, dans le passé, de nihilisme du fait de la liberté prise, par eux, avec la règle de droit, envisagée seulement comme être et non comme « devoir-être ».
(6) Le dictionnaire Lalande, Vocabulaire technique et critique de la philosophie, donne pas moins de huit sens au terme « réalisme », ajoutant que le mot reste si vague que les philosophes y ont ajouté les épithètes les plus variées pour rappeler conventionnellement le sens spécial qu'ils lui donnaient, ou pour marquer celui qu'ils lui attribuaient en parlant d'un adversaire, Paris, PUF, p. 891 et s.
(7) Le pluriel est de mise. Mais la « sociologie du droit » doit beaucoup à E. Ehrlich, juriste autrichien lié au mouvement du « Libre droit » (freies Recht), qui l'analyse pour la première fois dans son ouvrage Grundlegung des Soziologie des Rechts paru en 1913 et traduit notamment en italien, I fondamenti della sociologia del diritto, Milan, Giuffrè, 1976. Dans l'avant-propos de cet ouvrage, il est écrit que « le centre de gravité du développement du droit, à notre époque, comme à toutes les époques, ne réside ni dans la législation ni dans la science juridique ou dans la jurisprudence, mais dans la société elle-même ». L'objet d'étude de la sociologie du droit réside donc dans les interactions ou interrelations entre droit et société et, partant, envisage l'influence du juridique sur la société et celle de la société sur le juridique. Quant au débat sur les intitulés « sociologie du droit » ou « sociologie juridique » et aux deux grands types de sociologie juridique, v. Commaille (J.), v° « Sociologie juridique », Dictionnaire de la culture juridique, D. Alland, S. Rials (dir.), Paris, Quadrige/Lamy-PUF, 2003, p. 1423 et s.
(8) Le réalisme juridique américain et le réalisme juridique scandinave se sont développés à peu près à la même période. Sans être totalement homogènes, ils partagent, selon E. Millard, certains points communs : « volonté de partir d'une description empirique des faits juridiques observables (le droit existant réellement) qui les conduit à privilégier la décision de justice et le contexte social de sa production, prise en compte de la psychologie, critique du langage, scepticisme à l'égard des règles (réalisme américain) ou déconstruction de la conception idéaliste des normes (réalisme scandinave) ». L'auteur insiste cependant sur la nécessaire distinction à établir entre les deux réalismes : « le réalisme américain se teinte parfois d'un jusnaturalisme pragmatique que rejette le réalisme scandinave, et son orientation behavioriste le rapproche de la sociologie juridique, alors que le réalisme scandinave travaille de manière originale à la construction théorique d'une science juridique », in v° « Réalisme », Dictionnaire de la culture juridique, op. cit. p. 1297. Notons également que le réalisme juridique américain s'est construit sur les bases de la sociological jurisprudence dont les principaux représentants [Holmes (O.-W.), Pound (R.), Brandeis (L.-D.), Cardozo (B.-N.), Frankfurter (F.)] mettaient l'accent sur un droit vivant devant répondre aux réalités sociales en perpétuelle évolution. V., sur le réalisme juridique américain, F. Michaut, v° « États-Unis (Grands courants de la pensée juridique américaine »), Dictionnaire de la culture juridique, op. cit. p. 661 et s.
(9) En France, les travaux de M. Troper mettent l'accent, à côté de ces facteurs externes, sur des facteurs internes résultant uniquement de la configuration du système juridique. Selon cette logique, dans les systèmes juridiques comme dans le monde social, l'existence de contraintes est liée à celle d'une pluralité d'acteurs qui disposent de moyens d'agir les uns contre les autres et ont la volonté que leurs décisions soient respectées. En sorte que chaque acteur doit (au sens de contrainte) tenir compte des moyens que le système attribue aux autres et anticiper la façon dont ceux-ci peuvent s'en servir ; v. dernièrement Troper (M.), Théorie des contraintes juridiques, Troper (M.), Champeil-Desplats (V.), Grzegorczyk (C.), Paris, LGDJ, 2005.
(10) Cf. Pound (R.), « Law in Books and Law in Action », Amer Law., Rev. 44, 1910, p. 12 et s. Cité par Mengoni (L.), Ermeneutica e dogmatica giuridica. Saggi, Milan, Giuffrè, 1996, p. 151, note n° 32 (l'auteur précise que l'expression law in action est plus ou moins équivalente à celle de droit vivant tout en relevant certaines subtilités de langage chez quelques auteurs).
(11) Que l'on nous permette de renvoyer à notre ouvrage, Le juge constitutionnel et le « fait » en Italie et en France, Paris-Aix-en-Provence, Economica-PUAM, 2001.
(12) La distinction legislative facts/adjudicative facts est due à Davis (K.-C.), Administrative Law Text, Sec. 7, 03, third, 1972. Selon le Legal Thesaurus Dictionnary, les adjucative facts sont définis comme suit : « Facts (in a dispute before an administrative agency) about the parties, their activities, business, and property. Adjudicative facts answer the questions of who did what, where, when, how, why, and with what motive and intent ». Les legislative facts, quant à eux, « do not usually concern the immediate parties but are general facts that help the tribunal decide questions of law, policy and discretion », Statsky (W.) (dir.), Saint-Paul, New York, Los Angeles, San Francisco, West Publishing Company, 1985, p. 25. Pour résumer, les legislative facts sont des faits généraux ou généralisables de la réalité, des faits pouvant être modélisés (des faits sociaux, économiques, scientifiques···) alors que les adjudicative facts, événements concrets et individuels, renvoient aux parties au procès, ce qu'elles sont, ce qu'elles firent, le « qui a fait quoi, quand et pourquoi ». En ce sens, Bin (R.), Atti normativi e norme programmatiche, Milan, Giuffrè, 1988, p. 333-334.
(13) La jurisprudence du Conseil constitutionnel français, bien qu'en des termes différents, eu égard au caractère préventif du contrôle, n'échappe pas au réalisme même si c'est de manière plus discrète. On en dira quelques mots en conclusion du présent article.
(14) Il faut, en effet, indiquer que la Cour constitutionnelle italienne a, très tôt, épousé les thèses réalistes. Dans son arrêt n° 3 du 15 avr. 1956, elle précisait clairement que « les normes ne sont pas telles qu'elles apparaissent fixées dans l'abstrait, mais telles qu'elles sont appliquées dans l'œuvre quotidienne du juge qui s'attache à les rendre concrètes et efficaces », Giur. cost. 1956, p. 568 (cons. en droit n° 6). Occhiocupo (N.) a pu écrire que, ainsi, la Cour « a cherché à réduire la fracture entre Constitution formelle et société civile, entre norme juridique et réalité sociale, en devenant le “pont nécessaire entre le corpus iuris et la réalité évolutive” », « La Corte costituzionale come giudice di “opportunità” delle leggi », Giur. cost., I, 1977, p. 1700.
(15) Selon la formule que le doyen Favoreu avait coutume d'utiliser et qui désigne « [...] la relation de subordination entre les deux règles constitutionnelle et législative [...] », in « Le principe de constitutionnalité. Essai de définition d'après la jurisprudence du Conseil constitutionnel », Mélanges Eisenmann, Paris, Cujas, 1975, p. 41.
(16) En ce sens, Goesel-Le Bihan (V.), « Le contrôle exercé par le Conseil constitutionnel : défense et illustration d'une théorie générale », RFD const., 45, 2001, p. 79 et s.
(17) En vertu de l'article 13 de la loi n° 87 du 11 mars 1953 portant normes sur la Constitution et le fonctionnement de la Cour constitutionnelle, « la Cour peut décider de l'audition de témoins et, en dérogation aux interdictions prescrites par d'autres lois, du recueil d'actes ou de documents ». En outre, l'article 12 des normes complémentaires pour les jugements portés devant la Cour constitutionnelle précise que « la Cour décide par ordonnance des moyens de preuve qu'elle juge opportuns et établit les délais et les modalités à observer en vue de leur exécution ». Sur les pouvoirs d'instruction de la Cour constitutionnelle italienne, Groppi (T.), I poteri istruttori della Corte costituzionale nel giudizio sulle leggi, Milan, Giuffrè, 1997.
(18) Sur la doctrine du droit vivant, voir notamment, Severino (C.), La doctrine du droit vivant, Paris-Aix-en-Provence, Economica-PUAM, 2003. Zagrebelsky (G.), « La doctrine du droit vivant », AIJC, II, 1986, p. 55 et s. Pugiotto (A.), Sindacato di costituzionalità e « diritto vivente ». Genesi, uso, implicazioni, Milan, Giuffrè, 1994. Cf. aussi article de Zagrebelsky (G.), p. 153.
(19) En sorte que l'on est proche, avec cette attitude, d'une sociologie juridique au sens kelsénien de l'expression, c'est-à-dire « instrumentale, technicienne [...] consacrée à l'analyse des causes sociales susceptibles de peser sur l'élaboration des normes juridiques et des effets sociaux de celles-ci. La sociologie juridique est ici auxiliaire du droit, de la science du droit, sollicitée pour étudier les faits sociaux en amont et en aval du droit », Commaille (J.), v° « Sociologie juridique », op. cit. p. 1424.
(20) Zagrebelksy (G.), évoquant la question de l'élargissement de la norme vivante, a pu mettre l'accent sur ce droit vivant d'origine sociologique qui, selon lui, résulterait de « l'impact de la loi sur la société et de celui de la société sur la loi » et qui puiserait ses sources dans la « jurisprudence, l'administration, les groupes sociaux ou les individus isolés » qui, « par leurs actes produisant des effets juridiques [...] contribuent à le déterminer », « La doctrine du droit vivant », op. cit. p. 69.
(21) Pour des précisions substantielles sur ce point, v. Di Manno (Th.), Le juge constitutionnel et la technique des décisions interprétatives en France et en Italie, Paris-Aix-en-Provence, Economica-PUAM, 1997, p. 47 et s.
(22) Comba (A.), « La Corte costituzionale tra diritto vivente e diritto in embrione », note sous Cour const., arrêt n° 402 du 4 nov. 1991, Giur. it., I, 1992, p. 396.
(23) L'application de la loi dans la réalité sociale est ainsi déterminante ; au point qu'on n'hésitait pas à écrire, en 1984, que la Cour constitutionnelle admet que son jugement porte sur « “la compatibilité entre le système applicatif” [...] et la Constitution » ; partant, « non seulement la distinction entre law in the book et law in the making tend à s'estomper, mais aussi la distance entre la prévision normative abstraite et son application concrète, emportant ainsi l'annulation de la distance entre le jugement abstrait sur la première [...] et le jugement concret sur la seconde », Luciani (M.), Le decisioni processuali e la logica del giudizio costituzionale incidentale, Padoue, Cedam, 1984, p. 252.
(24) Sur cette question, Carullo (A.), La prassi amministrativa, Padoue, Cedam, 1979. Allegretti (V.), « Le rôle de la pratique dans la formation du droit public en Italie », Jus, 1983, p. 380 et s.
(25) Pugiotto (A.), Sindacato··· op. cit., p. 478.
(26) En sorte que l'on peut dire, à bon droit, que l'interprétation de la loi est parfois le produit d'influences réciproques entre le juge et l'Administration. Exprimant cet avis, Pugiotto (A.), Sindacato··· op. cit. p. 481.
(27) En ce sens, Luciani (M.) lorsqu'il avertit que « l'application pratique d'un énoncé normatif ne peut jamais constituer l'objet du contrôle de la Cour en matière de jugement des lois ; néanmoins, elle peut être la clé de lecture de cet énoncé, au moins si certaines conditions sont réunies (clarté et caractère non équivoque de la pratique) », in « I fatti e la Corte : sugli accertamenti istruttori del giudice costituzionale nei giudizi sulle leggi », Giur. cost. I, 1987, p. 1054.
(28) Cour const., arrêt n° 177 du 6 déc. 1973, Giur. cost. 1973, p. 2348 et s. (cons. en droit n° 4).
(29) Cour const., arrêt n° 167 du 21 nov. 1972, Giur. cost. 1972, p. 2070 et s. (cons. en droit n° 2).
(30) Cerri (A.), « I poteri istruttori della Corte costituzionale nei giudizi sulle leggi e sui conflitti », Giur. cost. I, 1978, p. 1356.
(31) Escarras (J.-C.), « Sur deux études italiennes : de la communicabilité entre systèmes italien et français de justice constitutionnelle », AIJC, II, 1986, p. 21.
(32) Pugiotto (A.), Sindacato···, op. cit. p. 503.
(33) Ponthoreau (M.-C.), La reconnaissance des droits non écrits par les Cours constitutionnelles italienne et française. Essai sur le pouvoir créateur du juge constitutionnel, Paris, Economica, 1994, p. 279.
(34) G. Zagrebelsky indique ainsi que « partout, on admet avec difficulté qu'un juge, même un juge constitutionnel, puisse plonger son regard dans les aspects sociologiques du droit », in « La supraconstitutionnalité en tant que présupposition historico-culturelle de la Constitution », Intervention lors des séances de travail sur la supraconstitutionnalité tenues à la Faculté de droit de Rennes I les 7 et 8 oct. 1993, RIDC, I, 1994, p. 457.
(35) Ainsi, Ascarelli (T.), Studi di diritto comparato e in tema di interpretazione, Milan, Giuffrè, 1952, p. 78. Selon l'auteur, « la distinction, indispensable d'un point de vue méthodologique, entre le droit législatif en vigueur et le droit socialement vivant peut [...] être dépassée par une vision complète du système juridique. Ce dépassement a lieu quotidiennement dans l'interprétation qui, dans sa mission d'application d'un système préétabli, le modifie cependant toujours en visant, de manière naturellement différente selon les cas, à traduire le premier dans le second et à concilier le second avec le premier, à travers une adaptation continue du corpus iuris préétabli aux exigences et aux sensibilités de l'environnement ».
(36) Sur cette distinction, v. Crisafulli (V.), « v° Atto normativo », Enc. dir., Milan, vol. IV, Giuffrè, 1959, p. 258 et s. qui estime, en substance, que la volonté du législateur ne peut influer en aucune manière sur la direction que prendra la norme ultérieurement.
(37) Zagrebelsky (G.), « La doctrine du droit vivant », op. cit., p. 70.
(38) Sur cette doctrine, Anscombe (G.-E.-M.), Modern Moral Philosophy, 33, 1, 19, 1958.
(39) Cour const., arrêt n° 406 du 6 juill. 1989, Giur. cost., I, 1989, p. 1831 et s. (cons. en droit n° 3).
(40) Cour const., arrêt n° 163 du 2 avr. 1993, Giur. cost. 1993, p. 1189 et s. (cons. en droit n° 4).
(41) Cour const., arrêt n° 6 du 14 janv. 1994, Giur. cost. 1994, p. 54 et s. (cons. en droit n° 9).
(42) Cour const., arrêt n° 519 du 15 déc. 1995, Giur. cost. 1995, p. 4354 et s. (cons. en droit n° 3).
(43) Cour const., arrêt n° 108 du 22 avr. 1986, Giur. cost., I, 1986, p. 582 et s.
(44) Cons. en droit n° 8.
(45) Sur la question des anachronismes législatifs, voir notre ouvrage, Le juge constitutionnel et le « fait »..., op. cit., p. 148 et s.
(46) Sur les connexions possibles entre égalité formelle et égalité substantielle, Cerri (A.), L'eguaglianza nella giurisprudenza della Corte costituzionale italiana. Esame analitico e ipotesi ricostruttive, Milan, Giuffrè, 1976, p. 36 et s.
(47) Cour const., arrêt n° 67 du 23 nov. 1960, Giur. cost., p. 1195 et s. (cons. en droit unique).
(48) Cour const., arrêt n° 21 du 24 mars 1961, Giur. cost., 1961, p. 138 et s. (cons. en droit unique).
(49) Pour des précisions sur ce point, voir notre ouvrage, Le juge constitutionnel et le « fait »···, op. cit., p. 245 et s.
(50) A. Cerri estime, en substance, que le recours à ces mesures d'instruction est totalement justifié en ce sens qu'il est des hypothèses dans lesquelles il ne serait pas possible d'apprécier la constitutionnalité de la loi sans confronter à la norme constitutionnelle non seulement les effets logiques de celle-ci, mais également ses effets concrets. Ainsi, l'instruction décidée par la Cour est-elle utile car « les effets réels [de la loi] ne peuvent être déduits par la logique purement “définitoire” du juriste mais dérivent de facteurs externes qui agissent selon une logique différente (non pas selon la logique de la causalité formelle mais selon la logique de la causalité efficiente) », in « I poteri istruttori··· », op. cit., p. 241.
(51) Sur le concept de précompréhension (Vorverstanedis), v. Gadamer (H.-G.), Vérité et méthode. Les grandes lignes d'une herméneutique philosophique (traduction de Warheit und methode. Grundzuge einer philosophischen Hermeneutik, Tübingen, 1965, 2e éd.), éd. intégrale revue et complétée par Fruchon (P.), Grondin (J.) et Merlio (G.), Paris, Seuil, 1995. L'auteur écrit (pp. 287-288) que « quiconque veut comprendre un texte réalise toujours une ébauche. Dès que se montre un premier sens dans le texte, l'interprète se donne en ébauche un sens pour le tout. À son tour, ce premier sens ne se dessine que parce qu'on lit déjà le texte guidé par l'attente du sens déterminé ; c'est dans l'accomplissement d'une telle pré-esquisse, constamment révisée, il est vrai, à partir de ce que livre le progrès dans la pénétration du sens, que constitue la compréhension de ce qui est donné ». Ainsi l'interprète ne se livrerait pas à une activité purement cognitive (Rechtsfindung) mais sélectionnerait, parmi les multiples interprétations possibles d'un acte juridique, celle qui correspond à sa sensibilité personnelle, à ses préférences sociales et politiques.
(52) Pour une illustration de cette attitude, v. l'arrêt n° 160 du 28 mai 1974, Giur. cost. 1974, p. 960, rapporté et commenté dans notre ouvrage Le juge constitutionnel et le « fait »···, op. cit., p. 83 et s.
(53) Ainsi, Lundstedt (A.-V.), Legal Thinking Revised (My Views on Law), Stockholm, Almqvist & Wiksell, 1956.
(54) Cour const., arrêt n° 37 du 13 mars 1969, Giur. cost. 1969, p. 461 et s. (cons. en droit n° 9).
(55) Cour const., arrêt n° 167 du 25 juin 1986, Giur. cost., I, 1986, p. 1249 et s. (point n° 7 de la « partie en fait »).
(56) Cour const., arrêt n° 215 du 3 juin 1987, Giur. cost., I, 1987, p. 1615 (cons. en droit n° 5). Sur les pronostics législatifs, Bin (R.), Atti normativi···, op. cit., p. 328.
(57) En ce sens, Cerri (A.), « I poteri istruttori··· », op. cit., p. 1357.
(58) Vedel (G.), « Excès de pouvoir législatif et excès de pouvoir administratif », II, Les Cahiers du Conseil constitutionnel, n° 2, 1997, p. 87.
(59) En ce sens, Bobbio (N.), « v° Fatto normativo », Milan, Enc. dir., vol. XVI, Giuffrè, 1967, p. 993 qui explique que « puisque les règles juridiques [...] se réfèrent toujours et seulement aux comportements possibles de l'homme (la sphère des choix), la survenance, à l'intérieur d'une situation juridiquement réglementée et donc caractérisée par un choix orienté et guidé, d'une nécessité de fait ou d'une impossibilité de fait modifie de manière non négligeable la situation elle-même en rendant la règle inopérante ».
(60) Sur ce point, Terneyre (P.), « Les adaptations aux circonstances du principe de constitutionnalité : contribution du Conseil constitutionnel à un droit constitutionnel de la nécessité », RDPSP, 1987, p. 1488 et s.
(61) Par le terme emergenza, « on désigne, en Italie, la mise à jour [...] d'un état de crise révélant tous les dysfonctionnements des systèmes institutionnel, partisan, économique et social qu'avait jusqu'alors dissimulé l'application des principes selon lesquels il n'y a rien de plus définitif que le provisoire, et rien de plus normal que l'exception », ndlr, Cahiers du CDPC, 3, 1988, p. 75.
(62) Luciani (M.), « Commentaires sur la jurisprudence constitutionnelle », Cahiers du CDPC, 5, 1989, p. 53.
(63) Cour const., arrêt n° 15 du 14 janv. 1982, Giur. cost., I, 1982, p. 85 et s.
(64) Cons. en droit n° 4.
(65) Cons. en droit n° 5.
(66) Cons. en droit n° 7.
(67) Ainsi, Llewellyn (K.-N.), cité par F. Michaut, art. précité, p. 663.
(68) La doctrine italienne hésite, sur ce point, entre la thèse de la suspension des normes constitutionnelles, celle de leur interprétation « élastique » et celle de l'altération du contrôle de ragionevolezza exercé par la Cour.
(69) En ce sens, Spagna Musso (E.), « Norma anacronistica e norma costituzionalmente illegitima », Foro it. I, 1973, p. 2714.
(70) Art. 29, al. 2 de la Constitution italienne : « Le mariage est fondé sur l'égalité morale et juridique des époux dans les limites établies par la loi pour assurer l'unité de la famille ».
(71) Cour const., arrêt n° 91 du 14 juin 1973, Giur. cost. 1973, p. 932 et s.
(72) Sur la distinction entre interprétation historico-évolutive et interprétation adaptée au temps, Häberle (P.), Zeit und Verfassung. Prolegomena zu einem « zeit-gerechten » Verfassungsverständis, Probleme der Verfassungsinterpretation, Baden-Baden, 1976, p. 293 et s. Luciani (M.), La produzione economica privata nel sistema costituzionale, Padoue, Cedam, 1983, p. 118, note n° 124.
(73) Mortati (C.), « v° Costituzione (Dottrine generali) », Enc. dir., Milan, vol. XI, Giuffrè, 1962, p. 180. Sur la problématique d'un droit « à texture ouverte », Hart (H.-L.-A.), The concept of law, Oxford, 1961, trad. française de Van de Kerchove (M.), Le concept de droit, Bruxelles, Publications des Facultés Universitaires de Saint-Louis, 1976, 2e éd., Augm., 1994.
(74) Littéralement, « théorie de la pétrification », développée en Autriche, qui implique une « cristallisation » des significations des normes constitutionnelles par la référence faite au contexte existant au moment de leur édiction.
(75) V., par ex., l'arrêt n° 211 du 11 févr. 1988, Giur cost., I, 1988, p. 795 et s. relatif aux mesures prises en matière de maladies mentales qui ne relèvent plus du domaine de la sécurité publique mais des contrôles sanitaires en vue de la réinsertion sociale des patients.
(76) Cour const., arrêt n° 210 du 22 mai 1987, Giur. cost., I, 1987, p. 1577 et s. (cons. en droit n° 4-5) à propos des articles 9 et 32 de la Constitution en relation avec le dommage écologique (danno ambientale).
(77) Cour const., arrêt n° 63 du 18 janv. 1990, Giur. cost. 1990, p. 247 (cons. en droit n° 6) à propos, en l'espèce, du terme « chasse ».
(78) Sur cette question délicate, Ponthoreau (M.-C.), La reconnaissance des droits non-écrits···, op. cit., p. 88. F. Modugno, I « nuovi diritti » nella giurisprudenza italiana, Turin, Giapichelli, 1995.
(79) V., par ex., l'arrêt n° 161 du 6 mai 1985, Giur. cost., I, 1985, p. 1173 et s. reconnaissant, par un revirement de jurisprudence, le droit à l'identité sexuelle sur la base des articles 2 et 32 de la Constitution.
(80) V., sur ce point, notre article, « Principe de gradualità et droits sociaux de prestation (ou l'effectivité partielle de la norme constitutionnelle en Italie) », in Les droits sociaux fondamentaux, Bruxelles, Bruylant, coll. « À la croisée des droits », 2006, p. 57 et s.
(81) Sur le problème de la mise en œuvre des droits sociaux, voir, notamment, Modugno (F.), I « nuovi diritti »···, op. cit., p. 72 et s.
(82) Sur cette problématique renouvelée après la révision constitutionnelle du titre V de la Constitution italienne, Cour const., arrêt, n° 282 du 26 juin 2002, Giur. cost., p. 2012 et s. Pesaresi (E.), « La “determinazione dei livelli essenziali delle prestazioni” e la matiera “tutela della salute” : la proiezione indivisibile di un concetto unitario di cittadinanza nell'era del decentramento istituzionale », Giur. cost., 2006, p. 1733 et s.
(83) Selon l'expression de Di Manno (Th.), Le juge constitutionnel···, op. cit., p. 417.
(84) Le sentenze della Corte costituzionale e l'art. 81, u.c., della Costituzione, Actes du Séminaire d'études tenu au Palais de la Consulta à Rome les 8 et 9 nov. 1991, Milan, Giuffrè, 1993. V., également, Groppi (T.), « La quantificazione degli oneri finanziari derivanti delle decisioni della Corte costituzionale ; profili organizzativi e conseguenze sul processo costituzionale », in L'organizzazione e il funzionamento della Corte costituzionale, Actes du Congrès d'Imperia des 12 et 13 mai 1995, P. Costanzo (sous la dir. de), Turin, Giappichelli, 1996, p. 269 et s.
(85) Article 81, alinéa 4 de la Constitution italienne : « Toute autre loi portant création ou aggravation des charges doit préciser les moyens d'y pourvoir ».
(86) Sur ce point, Zagrebelsky (G.), La giustizia costituzionale, 2e éd., Bologne, Il Mulino, 1988, p. 60 et s. Schématiquement, chez Max Weber, l'éthique de responsabilité (Verantwortungsethik), à côté de l'éthique de conviction, révèle une attitude qui tend à réagir face à l'antagonisme et la relativité des valeurs et à réduire ce qu'il appelle le « paradoxe des conséquences ». Alors que l'éthique de conviction consiste à se mettre inconditionnellement au service d'une fin, indépendamment des conséquences qui peuvent en résulter, l'éthique de responsabilité révèle une évaluation des conséquences qui, si elles devaient compromettre le but à atteindre, pourraient aboutir à une renonciation à l'action. Certaines voix, au vu de décisions passées, n'avaient pas hésité à parler d'« irresponsabilité financière » de la part de la Cour : en ce sens, Zorzi Giustiniani (A.-G.), « Una nuova sentenza “additive di prestazione” », Giur. it. 1988, p. 23.
(87) Ibid., p. 54.
(88) Selon l'expression imagée employée par Carbone (G.), « Intervention », in Le sentenze della Corte costituzionale e l'art. 81, u.c., della Costituzione, op. cit., p. 175.
(89) Pisaneschi (A.), « Le sentenze di “costituzionalità provvisoria” e di “inconstituzionalità non dichiarata” », Giur. cost. 1989, p. 601 et s. De manière générale, v. Politi (F.), Gli effetti nel tempo delle sentenze di accoglimento della Corte costituzionale. Contributo ad una teoria dell'invalidità costituzionale della legge, Padoue, Cedam, 1997, p. 344 et s.
(90) Sur ce point, R. Romboli explique en substance qu'« en considération des conséquences que peut générer la déclaration d'inconstitutionnalité sur l'ordonnancement, on a parlé, ces dernières années, de doter la Cour constitutionnelle, sur la base des expériences allemande et autrichienne, d'instruments décisoires qui lui permettent de limiter ou de retarder l'efficacité de ses décisions d'inconstitutionnalité afin d'éviter ce que A. Pace a appelé des “obstacles politiques” qui pourraient l'empêcher de parvenir à une déclaration d'inconstitutionnalité, alors même qu'elle est pleinement convaincue de l'inconstitutionnalité de la loi contestée ». Parmi ces « obstacles », l'auteur fait référence aux « graves conséquences économico-sociales » qui pourraient résulter de l'élimination d'une loi, « Il giudizio di costituzionalità delle leggi in via incidentale », in Aggiornamenti in tema di processo costituzionale (1993-1995), Turin, Giappichelli, 1996, p. 183. V. également D'amico (M.), Giudizio sulle leggi éd efficacia temporale delle decisioni di incostituzionalità, Milan, Giuffrè, 1993, p. 135 et s. Donati (F.), « Le repercussioni delle pronunce giurisdizionali sull' equilibro di bilancio », in Crisi fiscale e indirizzo politico, Bassanini (F.) et Merlini (S.) (sous la dir. de), Bologne, Il Mulino, 1995, p. 585 et s. Colapietro (C.), « Garanzia e promozione dei diritti sociali nella più recente giurisprudenza costituzionale », Giur. it. 1995, p. 113 et s.
(91) Sur ce point, Elia (L.) « Le sentenze additive e la più recente giurisprudenza della Corte costituzionale (ottobre 1981-luglio 1985) », in Scritti in onore di V. Crisafulli, vol. I, Padoue, Cedam, 1985, p. 299 et s., notamment, p. 313-314.
(92) En effet, l'utilisation des arrêts additifs de prestation de type classique avait suscité dans le passé de vives polémiques, dans la mesure où ils généraient de nouveaux coûts financiers à la charge des caisses publiques : le fait même d'introduire une nouvelle règle qui étend le nombre des bénéficiaires de tel ou tel droit-prestation et, partant, rétablit l'égalité (par hypothèse rompue), conduisait à contraindre l'État à accorder des prestations financières nouvelles et non prévues. Consciente de ces inconvénients, la Cour, après avoir réduit ses « additives de prestation », a donc revu et corrigé ce mécanisme en adoptant des « arrêts additifs de principe » par lesquels elle se borne à fixer le principe constitutionnel de référence, sans établir une nouvelle règle juridique qui emporterait des effets erga omnes. Dès lors, lorsque le législateur introduira la nouvelle règle adaptée au principe, il lui faudra décider s'il convient d'opérer une coupe dans les dépenses publiques ou de trouver les ressources pour d'éventuelles nouvelles dépenses. En attendant, les juges ordinaires devront s'efforcer d'appliquer le nouveau principe. Cette technique a été inaugurée avec l'arrêt n° 215 du 3 juin 1987, Giur. cost. 1987, p. 1615 et s.
(93) Selon l'expression utilisée par Anzon (A.), « Questioni sulla misura di trattamenti pensionistici e varietà di tecniche di decisione », note sous Cour const. arrêt n° 42 du 19 mai 1993, Giur. cost. 1993, p. 322.
(94) Sur ce thème, Pesole (L.), « Inammissibilità per discrezionalità legislativa di una questione fondata », Giur. cost. 1994, p. 406 et s.
(95) Sur un examen complet des techniques utilisées par la Cour constitutionnelle, qui vont des décisions de rejet avec constatation de l'inconstitutionnalité à celles d'inconstitutionnalité survenue, en passant par la technique du double prononcé, les décisions additives de principe et l'auto-saisine, v. Colapietro (C.), La giurisprudenza costituzionale nella crisi dello Stato sociale, Padoue, Cedam, 1996.
(96) Cahiers du CDPC, 7, 1996, p. 31. Sur le problème selon lequel « les générations futures ne peuvent être soumises à des charges excessives leur faisant supporter à leurs frais celles du présent », v. Häberle (P.), Le libertà fondamentali nello Stato costituzionale (1983), P. Ridola (sous la dir. de), Rome, La nuova Italia scientifica, 1993, p. 204 et s.; Luciani (M.), « Sui diritti sociali », Democrazia e diritto, I, 1995, p. 569-570.
(97) Cahiers du CDPC, 7, 1997, p. 31.
(98) Cour const., arrêt n° 33 du 25 févr. 1975, Giur. cost. 1975, p. 143 et s. (cons. en droit n° 3).
(99) Cour const., arrêt n° 455 du 16 oct. 1990, Giur. cost. 1990, p. 2732 et s. (cons. en droit n° 3).
(100) Cour const., arrêt n° 101 du 3 avr. 1987, Giur. cost. 1987, p. 772 et s. (cons. en droit n° 2).
(101) Sur ce point, v. Bin (R.), Diritti e argomenti···, op. cit., p. 111.
(102) Cour const., arrêt n° 31 du 23 janv. 1986, Giur cost. 1986, p. 164 et s. (cons. en droit n° 5).
(103) Cour const., arrêt n° 240 du 10 juin 1994, Giur. cost. 1994, p. 1970 et s. (cons. en droit n° 6). L'article 38 de la Constitution italienne prévoit que : « Tout citoyen incapable de travailler et dépourvu de moyens de subsistance a droit à l'entretien et à l'assistance sociale. Les travailleurs ont droit à ce que l'on prévoie et l'on assure des moyens proportionnés à leurs besoins de vie en cas d'accident, de maladie, d'invalidité et de vieillesse, de chômage involontaire. Les infirmes et les handicapés ont droit à la réinsertion professionnelle [...] ».
(104) Cour const., arrêt n° 421 du 6 sept. 1995, Giur. cost. 1995, p. 3237 et s. (cons. en droit n° 4).
(105) Sur les limites que la Cour pose elle-même à cette orientation pour garantir les droits sociaux, v. notre article « Principe de gradualità··· », op. cit., p. 57 et s.
(106) Silvestri (G.), « Relazione di sintesi », in La motivazione delle decisioni della Corte costituzionale, Actes du séminaire tenu à Messine les 7 et 8 mai 1993, A. Ruggeri (sous la dir. de), Turin, Giappichelli, 1994, p. 573.
(107) Pardini (J.-J.), « La jurisprudence constitutionnelle et les “faits” », Cahiers du Conseil constitutionnel, n° 8, 2000, p. 122 et s. On peut aussi rapporter la décision n° 2006-539 DC du 20 juill. 2006, Loi relative à l'immigration et à l'intégration, JO du 20 juill. 2006, p. 11066, dans laquelle le Conseil se réfère « aux disparités du marché immobilier sur le territoire national » pour admettre la substitution de critères locaux à des critères nationaux afin d'apprécier les conditions de logement mises au regroupement familial (cons. 15).
(108) On se réfère notamment au contexte dans lequel a été rendue la déc. n° 71-44 DC du 16 juill. 1971, Liberté d'association, Rec. p. 29, RJC I-24, ou à celui qui prévalait au moment de la déc. n° 76-75 DC du 12 janv. 1977, Fouille des véhicules, Rec. p. 33, RJC I-45 ou encore à celui dans lequel a été adoptée la déc. n° 99-419 DC du 9 nov. 1999, Loi relative au pacte civil de solidarité, Rec. p. 116 ou la déc. n° 2006-535 DC du 30 mars 2006, Loi pour l'égalité des chances, JO du 2 avr. 2006, p. 4964.
(109) V. notamment la déc. n° 99-416 DC du 23 juill. 1999, Loi portant création d'une couverture maladie universelle, Rec. p. 100 dans laquelle le Conseil exclut pouvoir se prononcer sur d'éventuelles inconstitutionnalités qui pourraient être vérifiées dans l'application de la loi (cons. 24, 25, 30).
(110) De ce point de vue, la déc. n° 93-329 DC du 13 janv. 1994, Révision de la loi Falloux (Rec. p. 9, RJC I-562) est un parfait exemple.
(111) En ce sens, Rials (S.), « Entre artificialisme et idolâtrie. Sur l'hésitation du constitutionnalisme », Le débat, n° 64, 1991, p. 174.
(112) Sur ce point, Di Manno (Th.), Le juge constitutionnel et la technique···, op. cit., 230. L'auteur observe que le juge constitutionnel préfère formuler une réserve d'interprétation neutralisante positive qui lui permette de « mieux verrouiller » l'application de la loi en posant la seule norme conforme à la Constitution. V. aussi, sur les réserves d'interprétation émises par le Conseil constitutionnel, Viala (A.), Les réserves d'interprétation dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel français, Paris, LGDJ, 1999.
(113) Ainsi, dans la décision Prestation dépendance du 21 janv. 1997, le Conseil constitutionnel, ayant rappelé le contenu du 11e alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, estime que « le principe ainsi posé ne fait pas par lui-même obstacle à l'institution par le législateur d'un mécanisme de solidarité mis en œuvre par le département » mais que « toutefois, les décisions réglementaires et les décisions individuelles prévues par la loi doivent être prises sous le contrôle du juge de la légalité de façon à ne pas aboutir à mettre en cause les dispositions précitées du Préambule compte tenu de la diversité des situations de nature à se présenter », Cons. const., déc. n° 96-387 DC du 21 janv. 1997, Prestation dépendance, Rec. p. 23, RJC I-698 (cons. n° 9).
(114) V. sur ce point, Di Manno (Th.), « Les revirements de jurisprudence du Conseil constitutionnel français », Les Cahiers du Conseil constitutionnel, n° 20, 2006, pp. 140-141.
(115) V. par ex., Cons. const., déc. n° 96-380 DC du 23 juill. 1996, Loi relative à l'entreprise nationale France Télécom, Rec. p. 107, RJC I-681.
(116) Cons. const., déc. n° 88-248 DC du 17 janv. 1989, CSA, Rec. p. 18, RJC I-339.
(117) Cons. const., déc. n° 85-185 DC du 25 janv. 1985, État d'urgence en Nouvelle-Calédonie, Rec. p. 43, RJC I-223.
(118) Cons. const., déc. n° 94-348 DC du 27 juill. 1994, Transposition de directives communautaires, Rec. p. 117, RJC I-602, cons. n° 14.
(119) Ce souci le conduit à censurer le législateur lorsqu'il n'« affine » pas assez les mesures qu'il adopte. Ainsi, au-delà de la jurisprudence sur l'interdiction des « peines automatiques », la potentialité d'une disproportion manifeste dans nombre de situations de fait a-t-elle été prise en compte dans la déc. n° 87-237 DC du 30 déc. 1987, Loi de finances pour 1988, s'agissant de la loi qui prévoyait que les journalistes qui divulgueraient la situation fiscale de certains particuliers se verraient infliger une sanction proportionnelle au montant de la fortune dont ils auraient révélé le revenu (Rec. p. 63, RJC I-324). Les atteintes potentielles au principe d'égalité répondent également à cette logique comme lorsque, par exemple, le Conseil constitutionnel critique le législateur quand il impose à toutes les personnes morales l'usage d'une terminologie officielle (Cons. const., déc. n° 94-345 DC du 29 juill. 1994, Loi relative à l'emploi de la langue française, Rec. p. 106, RJC I-595).
(120) Pour des exemples de décisions se situant dans cette logique, Luchaire (F.), Le Conseil constitutionnel, t. I, 2e éd., Economica, p. 60-63.
(121) V., notamment, les déc. n° 94-343-344 DC du 27 juill. 1994, Bioéthique, Rec. p. 100, RJC I-592, cons. n° 10 ; n° 2001-446 DC du 27 juin 2001, Loi relative à l'interruption volontaire de grossesse et à la contraception, Rec. p. 74 (cons. n° 4).