Page

Rapport français

Cahiers du Conseil constitutionnel n° 4 (Dossier : Droit communautaire - droit constitutionnel) - Avril 1998

Question n° 1

1-1 : A quel titre votre institution est-elle chargée d'un contrôle de constitutionnalité ?

1 ° Contrôle a priori :

L'article 61, deuxième alinéa, de la Constitution donne compétence au Conseil constitutionnel pour connaître de la conformité des lois ordinaires à la Constitution. Ce contrôle ne s'exerce pas systématiquement : la saisine est laissée à la discrétion du Président de la République, du Premier ministre, du Président de l'Assemblée nationale, du Président du Sénat, de soixante députés ou soixante sénateurs.

C'est un contrôle « a priori » et « abstrait » puisqu'il s'exerce après l'adoption de la loi par le Parlement et avant sa promulgation, indépendamment de tout litige concret.

La Constitution de 1958 a également investi le Conseil constitutionnel de compétences spécifiques quant au contrôle des traités et accords internationaux. En vertu de l'article 54 de la Constitution, le Conseil constitutionnel peut, sur saisine directe des mêmes autorités ou, depuis la loi constitutionnelle du 25 juin 1992, de soixante députés ou soixante sénateurs, déclarer qu'un engagement international comporte une clause contraire à la Constitution. Dans ce cas, l'autorisation de ratifier ou d'approuver l'engagement international en cause ne peut intervenir qu'après révision de la Constitution. C'est ainsi que le Conseil constitutionnel s'est prononcé en 1970 sur certaines modifications des traités institutifs des Communautés européennes (décision n° 70-39 DC, 19 juin 1970), en 1976 sur l'élection du Parlement européen au suffrage universel direct (décision n° 76-71 DC du 30 décembre 1976) ou encore, en 1992, à l'occasion de la ratification du traité sur l'Union européenne (décision n° 92-308 DC du 9 avril 1992, et décision n° 92-312 DC du 2 septembre 1992).

Le Conseil constitutionnel se prononce par ailleurs depuis 1976 (décision n° 76-71 DC du 30 décembre 1976) sur la conformité à la Constitution d'un engagement international lorsqu'il est saisi, sur la base de l'article 61, deuxième alinéa, de la Constitution, de la loi portant autorisation de ratifier cet engagement. Il exerce à cette occasion le même contrôle au fond que lorsqu'il est saisi sur la base de l'article 54 (cf. par exemple, décision n° 91-294 DC du 25 juillet 1991 relative à la convention d'application de l'accord de Schengen).

La caractéristique commune à ces deux procédures est de faire intervenir le contrôle de constitutionnalité antérieurement à la ratification ou à l'approbation de l'engagement.

2 ° Contrôle a posteriori :

La Constitution de 1958 n'a prévu aucun contrôle a posteriori par le Conseil constitutionnel de la constitutionnalité des lois promulguées. La conformité à la Constitution des lois promulguées ne peut être mise en cause, même par voie d'exception, devant le Conseil constitutionnel dont la compétence est limitée par l'article 61 de la Constitution à l'examen des lois avant leur promulgation.

Ce principe est cependant tempéré par la possibilité pour le Conseil constitutionnel (Décision n° 85-187 DC, 25 janvier 1985) de « contrôler la régularité d'une loi promulguée au regard de la Constitution à l'occasion de l'examen de dispositions législatives qui la modifient, la complètent ou affectent son domaine » (pour une application récente de ce principe : cf. décisions n° 96-377 DC, 16 juillet 1996 et n° 97-388 DC, 20 mars 1997). Dans le cadre d'un tel contrôle, le Conseil constitutionnel n'a pas eu à ce jour à relever l'inconstitutionnalité d'une loi antérieure.

En revanche, le Conseil constitutionnel n'a pas étendu cette jurisprudence aux traités puisqu'il s'est refusé à procéder, à l'occasion de l'examen avant sa ratification du traité sur l'Union européenne, lequel modifiait des engagements internationaux antérieurement souscrits par la France, au contrôle par voie d'exception, de la conformité de ces derniers à la Constitution (décision précitée du 9 avril 1992).

1-2 : Le contrôle de constitutionnalité peut-il relever également d'autres juridictions ?

1 °) contrôle effectué par les juridictions ordinaires :

a) contrôle de constitutionnalité de la loi :

Une fois la loi promulguée -qu'elle ait été déclarée conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel ou que celui-ci n'ait pas été saisi- les juridictions ordinaires, administratives et judiciaires, ne peuvent être utilement saisies de moyens mettant en cause sa constitutionnalité. Tout au plus peuvent-elles s'efforcer de donner une interprétation du texte conforme à la Constitution. La loi promulguée fait « écran » entre le juge ordinaire et la Constitution (cf. Cour de cassation, jurisprudence constante depuis 1974, Crim., 26 février 1974, D. 1974, p. 273, où la Cour a indiqué à propos des articles du code pénal déterminant les pénalités applicables aux contraventions que ces « textes ayant valeur législative, s'imposent aux juridictions de l'ordre judiciaire qui ne sont pas juges de leur constitutionnalité » ; Bull. crim. 1990, n° 96 ; Conseil d'Etat, 21 décembre 1990, Confédération nationale des associations familiales ......, Rec. p. 369 où le juge s'est refusé à connaître de la conformité de la loi sur l'interruption volontaire de grossesse au Préambule de la Constitution de 1946).

Toutefois, la suprématie, sur la loi ordinaire ou organique, d'instruments internationaux tels la Convention européenne des droits de l'homme, lorsqu'ils sont invoqués devant le juge ordinaire, produit, dans certains cas, des effets analogues à ceux d'une exception d'inconstitutionnalité. On pense à l'application fréquente par les juridictions administratives, dans le domaine du droit des étrangers, de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, qui garantit le droit à une vie familiale normale, ou encore, dans celui des sanctions administratives, de l'article 6 de la même Convention, relatif aux règles du procès équitable. Le juge ordinaire pratique ainsi un « contrôle de conventionnalité » (cf point 2-1).

En l'absence de « loi écran », en revanche, le juge administratif et le juge judiciaire peuvent être conduits à censurer un acte administratif -acte réglementaire ou décision individuelle- pris en méconnaissance d'une norme constitutionnelle.

b) contrôle de constitutionnalité des engagements internationaux :

Le Conseil constitutionnel a le monopole du contrôle de constitutionnalité, par voie d'action contentieuse, des engagements internationaux.

Jusqu'à ce jour, le juge ordinaire s'est abstenu d'exercer un tel contrôle. Certains auteurs estiment que le Conseil constitutionnel tire de la Constitution, en ce qui concerne l'appréciation de la constitutionnalité des traités, une compétence générale d'attribution, exclusive de toute autre (cf. R. Abraham, droit international, droit communautaire et droit français, p. 41). En particulier, lorsque le traité a été, en application de l'article 53 de la Constitution, ratifié ou approuvé en vertu d'une loi, le juge ordinaire, s'il se livrait à un tel contrôle, pourrait être considéré comme se substituant purement et simplement au Conseil constitutionnel. Enfin, pour le juge ordinaire, écarter le traité au profit d'une norme constitutionnelle à l'occasion d'une application de celui-ci pourrait être regardé comme contraire à l'article 27 de la Convention de Vienne sur le droit des traités qui veut qu'« une partie ne peut invoquer les dispositions de son droit interne comme justifiant la non-exécution d'un traité ». Le traité s'impose en effet au juge ordinaire.

Toutefois, dans un arrêt d'assemblée Moussa Koné du 3 juillet 1996, le Conseil d'Etat a estimé qu'un accord d'extradition franco-malien devait être interprété conformément au principe fondamental à valeur constitutionnelle selon lequel l'Etat doit refuser une extradition demandée dans un but politique. Cette décision a été interprétée par certains auteurs comme présageant un contrôle futur par le juge ordinaire de la constitutionnalité des traités à l'occasion de leur application. Au Conseil constitutionnel reviendrait le contrôle a priori de la « validité constitutionnelle » du traité et aux juridictions ordinaires l'appréciation a posteriori de leur applicabilité (cf. Patrick Gaïa, Normes constitutionnelles et normes internationales- R.F.D.A., septembre-octobre 1996, p. 885). Cette interprétation paraît aventurée puisqu'elle donne à penser qu'une exception d'inconstitutionnalité pourrait s'exercer à l'encontre du traité, alors qu'elle ne s'exerce pas à l'encontre de la loi pourtant située, en vertu de l'article 55 de la Constitution, à une place inférieure dans la hiérarchie des normes.

2 °) contrôle effectué par les formations administratives du Conseil d'Etat :

a) contrôle de constitutionnalité de la loi

En vertu de l'article 39 de la Constitution, le Conseil d'Etat est obligatoirement consulté sur les projets de loi. Son avis, rendu par les formations administratives, comprend, le cas échéant, des observations sur la conformité de la loi à la Constitution dont le gouvernement tient le plus grand compte.

b) contrôle de constitutionnalité des engagements internationaux :

Les formations administratives du Conseil d'Etat sont également amenées à rendre des avis sur les questions de droit posées par les engagements internationaux :

  • En application de l'article 23 de l'ordonnance du 31 juillet 1945, le gouvernement peut tout d'abord solliciter l'avis du Conseil d'Etat sur les problèmes de droit posés par un traité avant la signature de celui-ci. Dans le cadre de cette procédure, il s'interroge notamment sur la compatibilité de l'engagement en cause avec la Constitution : il lui arrive à cette occasion de rendre des avis négatifs, motif pris de la contrariété de certaines dispositions du traité en cause avec des règles ou principes de valeur constitutionnelle (exemples : avis du 5 décembre 1991 sur la charte européenne de l'autonomie locale ; avis du 6 juillet 1995 sur la convention cadre du Conseil de l'Europe relative à la protection des minorités nationales ; avis du 24 septembre 1996 sur la charte européenne des langues régionales ou minoritaires) ou, à l'inverse, de reconnaître la conformité du texte à la Constitution (exemple : avis du 24 novembre 1994 rendu sur une convention d'extradition dans lequel le Conseil d'Etat s'est refusé à reconnaître valeur constitutionnelle au principe de non extradition des nationaux).

  • En application de l'article 39 de la Constitution, le Conseil d'Etat est également consulté sur tous les projets de loi autorisant la ratification ou l'approbation des traités ou accords énumérés à l'article 53. A cette occasion, il se prononce également sur leur compatibilité avec la Constitution.

Question n° 2

2-1 : Quelles sont les places respectives des traités et des lois au regard de la Constitution dans la hiérarchie des normes de votre pays ?

Aux termes de l'article 55 de la Constitution, « les traités et accords régulièrement ratifiés et approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois ».

1 ° La primauté des normes internationales en général -et des normes communautaires en particulier- sur la loi, même postérieure, et plus généralement sur les normes internes autres que constitutionnelles est aujourd'hui pleinement admise par les juridictions françaises tant judiciaires qu'administratives.

a) S'agissant des juridictions de l'ordre judiciaire, jusqu'en 1975 le juge faisait prévaloir la loi postérieure sur le traité car « suivant le principe même sur lequel reposent nos institutions », il ne pouvait « connaître d'autre volonté que celle de la loi ».

Cette jurisprudence fut abandonnée par la Cour de cassation dans un arrêt du 24 mai 1975 (Chambre mixte, Jacques Vabre, Bull civ I p.6) : la Cour se réfère à l'article 55 de la Constitution pour affirmer que le traité C.E.E. « en vertu de l'article susvisé de la Constitution, a une autorité supérieure à celle des lois », mais ajoute qu'il « institue un ordre juridique propre intégré à celui des Etats membres » et qu'en raison de cette spécificité, l'ordre juridique qu'il a créé « s'impose à toutes les juridictions ». Cette jurisprudence a été confirmée depuis à diverses reprises ( notamment Cass.Com 5 mai 1987 Bull IV n°109 p.84, Cass. Crim. 3 juin 1988 Bull n°246 p.637). Le juge judiciaire opère ainsi un contrôle de « conventionnalité », qui s'exerce conformément à l'article 55 de la Constitution, sur les dispositions législatives incompatibles avec une convention internationale ratifiée par la France et publiée.

b) Les juridictions administratives, quant à elles, sont restées longtemps plus réservées quant à l'application des conventions internationales, s'en tenant à la décision dite « des semoules » (C.E., Section, 1er mars 1968, Syndicat général des fabricants de semoules de France, Leb. p. 149) par laquelle le Conseil d'Etat s'était refusé à faire prévaloir la norme communautaire sur la loi postérieure. Quelques semaines plus tard il tenait le même raisonnement à propos d'un conflit entre une convention internationale (les accords dits « d'Evian » sur l'Algérie) et une loi postérieure (C.E., 18 avril 1968, Heid, Leb. p. 243).

Cette jurisprudence a été abandonnée par le Conseil d'Etat dans un arrêt Nicolo (C.E., Ass. 20 octobre 1989, Leb. p. 190) dans lequel, en se fondant sur l'article 55 de la Constitution, il a admis la primauté du traité sur la loi nationale contraire, fût-elle postérieure : le moyen invoqué à l'appui d'un recours en annulation des élections au Parlement européen, tiré de ce que la participation au scrutin des citoyens français des départements et territoires d'outre-mer violait le traité de Rome, est rejeté au motif que la loi française organisant ces élections n'était pas incompatible avec le traité. En motivant ainsi sa décision sur le fond, le Conseil d'Etat acceptait l'éventualité d'écarter l'application d'une loi qui serait incompatible avec un traité, quand bien même cette loi lui serait postérieure.

Cette jurisprudence a ensuite été appliquée aux engagements internationaux autres que communautaires. Tout se passe comme si le juge administratif se livrait à un contrôle « de conventionnalité » de la loi, c'est-à-dire de compatibilité de la loi avec la norme internationale (C.E., Ass. 21 décembre 1990, Confédération nationale des associations familiales catholiques, Leb. p. 369 : absence d'incompatibilité entre la législation française relative à l'interruption volontaire de grossesse et la Convention européenne des droits de l'homme). Cela ne le conduit certes pas à censurer la loi, mais à faire prévaloir, en tant que de besoin, la norme internationale sur la norme nationale.

La jurisprudence Nicolo a ensuite conduit le Conseil d'Etat à écarter une loi, même plus récente, contraire à un règlement communautaire (C.E., 24 septembre 1990, Boisdet, Leb. p. 250). La solution vaut même, sous certaines conditions, pour les lois méconnaissant les orientations d'une directive (C.E., Ass. 28 février 1992, S.A. Rothmans International France, Leb. p. 80 : affaire dite « des tabacs »).

Il importe de faire observer que cette jurisprudence, qui fait application de l'article 55 de la Constitution, ne fait guère de différence entre les conventions internationales ordinaires, les traités communautaires et le droit dérivé de ces derniers.

2 ° En revanche la place respective des normes constitutionnelles et des normes internationales fait, en France, l'objet d'une controverse déjà ancienne qui connaît aujourd'hui un regain d'actualité.

Si la Constitution française ne comporte aucune disposition reconnaissant la primauté de la règle internationale sur la Constitution elle-même, elle ne consacre pas pour autant expressément la suprématie de la norme constitutionnelle sur la norme internationale.

Certains auteurs s'appuient sur le Préambule de la Constitution de 1946, incorporé dans celle de 1958, qui dispose en son alinéa 14 que « la République française, fidèle à ses traditions, se conforme aux règles du droit public international » et sur l'article 55 qui dispose que « les traités ont une autorité supérieure aux lois », qu'ils interprètent de façon extensive comme incluant la loi constitutionnelle, pour soutenir la primauté des normes internationales sur les normes internes, y compris constitutionnelles. Une telle construction apparaît audacieuse.

A l'inverse, on peut penser que, dans l'ordre juridique interne, « la Constitution est par nature supérieure à toutes les autres normes juridiques dont elle détermine elle-même la valeur » (cf. B. Stirn, Les sources constitutionnelles du droit administratif, L.G.D.J., p. 26). La supériorité de la Constitution sur ces conventions internationales découlerait implicitement mais nécessairement de l'article 54 de la Constitution aux termes duquel : « lorsque le Conseil constitutionnel... a déclaré qu'un engagement international comporte une clause contraire à la Constitution, l'autorisation de ratifier ou d'approuver l'engagement international en cause ne peut intervenir qu'après révision de la Constitution ». Cette disposition marque la primauté en droit interne de la Constitution, puisque la Constitution -que rien n'oblige à modifier- peut faire obstacle à l'entrée en vigueur de la convention internationale qui lui est contraire (cf. R. Abraham précité, p. 34). Le rapprochement des articles 54 et 55 de la Constitution impliquerait donc la valeur infra-constitutionnelle et supra-législative du traité dans l'ordre juridique interne.

Il convient de bien mesurer à cet égard la portée de la règle « pacta sunt servanda » dont le Conseil constitutionnel, dans sa décision n° 92-308 DC du 9 avril 1992, a affirmé qu'elle était au nombre des règles du droit public international auxquelles se conforme la République française en application du 14ème alinéa du préambule de 1946. Comme l'explique un auteur : « Si [cette règle]... fait peser sur l'Etat, pris en sa qualité de sujet du droit international, une obligation d'exécuter de bonne foi les engagements qu'il souscrit, de nature à engager, à défaut, sa responsabilité internationale, elle ne saurait par elle-même avoir d'effet sur la hiérarchie des normes internationales et internes au regard de l'ordre juridique de l'Etat non plus que sur la mise en oeuvre dans le temps des procédures destinées à en assurer la sanction, celle-ci demeurant d'ailleurs sans effet, quant à elles, sur l'étendue des obligations internationales pesant sur l'Etat ainsi que l'a jugé abondamment, dans le cadre communautaire, la Cour de justice de Luxembourg (cf., par ex., C.J.C.E., 11 juin 1991, Commission c/République française, aff. n° C.307/89, R.J.S., 8-9/91, n° 1041)... Le principe posé par les dispositions du quatorzième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 ne peut être détaché du contexte constitutionnel : dès lors que les dispositions de l'article 54 de la Constitution de 1958 subordonnent on ne peut plus clairement la norme internationale à la norme constitutionnelle, fût-ce au bénéfice d'une formule qui réserve explicitement la faculté ouverte aux pouvoirs publics de modifier la Constitution pour permettre la ratification ou l'approbation d'un engagement international déclaré en tout ou en partie contraire à celle-ci, la transformation par le canal du renvoi aux règles du droit public international opéré par le Préambule de 1946 de la règle Pacta sunt Servanda en règle faisant obstacle au libre-jeu des principes de hiérarchie des normes édictées à l'article 54 de la Constitution, autrement dit en règle supra-constitutionnelle, paraît pour le moins aventurée » (Xavier Pretot, La non-conformité à la Constitution du Traité sur l'Union européenne, La Constitution et l'Europe, 1992, p. 327).

Si, dans l'ordre juridique international, et dans l'ordre communautaire en particulier, un Etat ne peut utilement se prévaloir de sa propre Constitution pour s'exonérer de ses engagements, la Constitution conserve sa primauté.

Telle a été également, jusqu'à ce jour, la position des autorités gouvernementales. Répondant à une question écrite d'un parlementaire, le Premier ministre a, en 1990, affirmé que « les traités occupent dans la hiérarchie des normes juridiques françaises un rang inférieur à celui de la Constitution. Cette règle s'applique au droit communautaire, et notamment au droit communautaire dérivé. Dès lors, si une contradiction apparaissait entre l'évolution de ce droit et nos prescriptions constitutionnelles, cette contradiction devrait être soit invoquée par la France pour refuser la transcription dans son droit interne des nouvelles normes communautaires, soit résorbée par une révision de la Constitution » (cité par J. Rideau, Constitution et droit international dans les Etats membres des communautés européennes, R.F.D.C., 1990, n° 2, p. 263).

Pas davantage que la convention internationale, le droit communautaire n'appartient à ce qu'il est convenu d'appeler le « bloc de constitutionnalité » au regard duquel s'exerce le contrôle du Conseil constitutionnel. En effet, celui-ci se refuse à rechercher, dans le cadre du contrôle qu'il exerce tant sur la loi ordinaire que sur le traité, si cette loi ou ce traité ne sont pas contraires à un engagement international antérieurement souscrit par la France (pour la loi ordinaire : décision n° 74-54 DC du 15 janvier 1975 et n° 97-389 DC du 22 avril 1997 ; pour le traité : décision n° 80-116 DC du 17 juillet 1980 et n° 91-294 DC du 25 juillet 1991).

On pourrait objecter ici que la décision n° 92-312 DC du 2 septembre 1992, relative au traité sur l'Union européenne, affirme que la loi organique destinée à déterminer les règles relatives au droit de vote et d'éligibilité aux élections municipales des citoyens de l'Union résidant en France « devra respecter les prescriptions édictées à l'échelon de la Communauté européenne pour la mise en oeuvre du droit reconnu par l'article 8 B § 1 ». Sans doute cette décision conduira-t-elle le Conseil constitutionnel à vérifier, le moment venu, la compatibilité de cette loi organique -dont se trouve saisi le Parlement français- avec la directive prise par le Conseil de l'Union. Mais ce n'est que parce que l'article 88-3 de la Constitution prévoit expressément que le droit de vote et d'éligibilité aux élections municipales sera accordé selon les modalités prévues par le droit communautaire. On ne s'éloigne donc pas ici du contrôle de constitutionnalité ordinaire.

En revanche, lorsqu'il statue non pas en tant que juge de la constitutionnalité des lois mais en tant que juge de l'élection, le Conseil constitutionnel accepte de faire prévaloir les stipulations d'une convention internationale sur la loi contraire (cf. décision n° 88-1082/1117 du 21 octobre 1988). Il se comporte en effet alors comme un juge ordinaire.

Les raisons de cette jurisprudence sont à la fois juridiques (il revient au juge ordinaire de veiller au respect « au coup par coup » de l'article 55, le Conseil ne pouvant, quant à lui, sanctionner que des violations « génériques » du principe de primauté posé par l'article 55 de la Constitution, par exemple une disposition écartant de manière générale l'application des conventions internationales dans un domaine déterminé) et pratiques (grand nombre de conventions internationales auxquelles la France est partie et difficulté de leur interprétation dans les délais brefs qu'implique le contrôle a priori et abstrait de l'article 61 de la Constitution). Le Conseil constitutionnel n'a donc pas eu à se prononcer explicitement sur la question épineuse de la place respective de la Constitution et des traités dans l'ordre juridique interne.

Quant aux juridictions ordinaires, elles sont assez rarement confrontées à une exception d'inconstitutionnalité d'un traité soulevée à l'occasion de l'application de celui-ci. La nécessité de concilier respect de la norme constitutionnelle et respect des règles du droit public international devrait, dans ce cas, les inciter à user de toutes les ressources de l'« interprétation neutralisante » pour faire du traité une lecture conforme aux règles constitutionnelles.

Ainsi, lorsque l'application d'une convention internationale est susceptible de heurter un principe constitutionnel français, la Cour de cassation paraît elle tentée d'appliquer la norme internationale dans un sens conforme à la Constitution. C'est l'interprétation qui peut être donnée de décisions faisant suite à l'arrêt Poitrimol de la Cour européenne des Droits de l'Homme en date du 23 novembre 1993 (Bull n° 27 du 19 janvier 1994, n° 93 du 7 février 1994, n° 66 du 15 février 1994).

A supposer -cas heureusement fort rare- que l'incompatibilité avec la Constitution ne fasse pas de doute, le respect du traité semble devoir s'imposer comme s'impose le respect de la loi promulguée, sans qu'il soit besoin de s'interroger sur sa constitutionnalité.

Ainsi la Cour de cassation a-t-elle été amenée à rendre plusieurs décisions en matière de crimes contre l'humanité, dans lesquelles elle a refusé d'apprécier la constitutionnalité des conventions internationales ou des lois s'y référant. On relèvera, en ce sens, la décision du 27 février 1990 (Touvier, Bull. Crim. 1990 n° 96, p. 251) qui rejette un moyen tendant à mettre en cause, sous le couvert d'une violation alléguée du principe de légalité des délits et des peines, la conformité aux textes constitutionnels de l'Accord de Londres du 8 août 1945 et de son annexe définissant les crimes contre l'humanité, ainsi que de la loi du 26 décembre 1964 qui constate l'imprescriptibilité de ces crimes en se référant audit accord et à la résolution des Nations Unies du 13 février 1946. La Cour de cassation a ainsi indiqué « qu'il n'appartient pas aux juridictions de l'ordre judiciaire de se prononcer sur la constitutionnalité des traités non plus que de la loi ».

Pour sa part, le Conseil d'Etat, depuis l'arrêt d'assemblée Gisti du 29 juin 1990 (Lebon p. 171), se reconnaît compétent pour interpréter lui-même les conventions internationales, alors qu'auparavant il s'estimait lié par l'interprétation donnée par le ministre des affaires étrangères. L'arrêt Koné précité s'inscrit dans le droit fil de cette décision puisque le Conseil d'Etat a interprété l'article 44 de la Convention franco-malienne comme prohibant, conformément à un principe de valeur constitutionnelle dégagé le même jour par la haute juridiction, l'extradition demandée dans un but politique. Le Conseil d'Etat a ainsi donné de la convention internationale, jugée trop réductrice au regard des normes constitutionnelles, une interprétation neutralisante destinée à la « vider de son venin », au risque, ce faisant, de faire produire à l'accord des effets différents de ceux initialement voulus par la partie malienne.

En résumé, les juridictions administrative et judiciaire inclinent à appliquer, dans toute la mesure du possible, la norme internationale dans un sens conforme à la Constitution sans admettre pour autant d'exception d'inconstitutionnalité à son encontre.

2-2 : Comment s'apprécient à cet égard les actes de droit communautaire dérivé ?

1 ° En ce qui concerne la place respective de la loi et du droit communautaire, les juridictions nationales de l'ordre administratif ne font pas de différence entre le droit communautaire originaire et dérivé et font clairement prévaloir ce dernier y compris sur la loi postérieure (cf. : pour les règlements : C.E., 24 septembre 1990, Boisdet, précité, et, pour les directives, C.E. Ass., 28 février 1992, SA Rothmans International France, précité). Il convient cependant de noter le statut particulier du droit communautaire dérivé au sein des normes juridiques externes, ne serait-ce que parce qu'il n'est pas incorporé dans le droit interne de la même manière (effet direct des règlements ; nécessité d'un acte de transposition pour les directives).

S'agissant des juridictions de l'ordre judiciaire, la primauté du droit communautaire dérivé est apparue dans un premier temps comme un prolongement de l'autorité supérieure des traités ; ainsi dans une décision du 22 octobre 1970 (Ch. crim., Dalloz 1971 p.221), la Cour de cassation se fondait sur l'article 55 de la Constitution pour constater qu'une décision et un règlement sont des instruments régulièrement publiés « ayant acquis la valeur de traités internationaux ».

Dans un second temps, si figurait encore un discret rappel des conditions de l'article 55, le caractère obligatoire des règlements était toutefois expliqué par une référence expresse à l'article 189 du traité de la CEE (notamment Ch. crim., 7 janvier 1972, Dalloz 1972 p.497).

Actuellement, la nécessité de justifications formelles semble avoir disparu des jugements et arrêts, la primauté du droit communautaire dérivé apparaissant comme allant de soi.

2 ° En ce qui concerne la place respective de la Constitution et du droit communautaire dérivé, la réponse est encore ici incertaine et ne saurait en tout état de cause être recherchée dans la Constitution, muette sur ce point. Si l'on ajoute que par ailleurs le droit communautaire dérivé bénéficie à ce jour en France d'une immunité contentieuse devant les juridictions nationales (cf. réponse à la question n°3) on comprendra qu'il n'existe aucune jurisprudence susceptible de servir d'appui à la réflexion.

Si l'on admet le caractère supra-législatif mais infra-constitutionnel des traités communautaires, le droit communautaire dérivé devrait en principe connaître le même sort. C'est, on l'a vu, le point de vue jusqu'à ce jour des autorités gouvernementales françaises, pour lesquelles une éventuelle contrariété entre le droit communautaire, y compris le droit communautaire dérivé, ne saurait être surmontée que par une révision de la Constitution.

Question n° 3

3-1 : Votre institution est-elle conduite à connaître d'affaires mettant en cause des actes de droit communautaire dérivé ? Selon quelles voies et quelles procédures ? En cas de difficulté d'interprétation, existe-t-il une pratique de renvoi devant la CJCE ?

Seul un contrôle de constitutionnalité « a priori », à caractère préventif, est susceptible d'être exercé par le Conseil constitutionnel à l'endroit du droit communautaire dérivé.

- Un recours direct introduit contre un acte de droit communautaire dérivé par le fondement de l'article 54 de la Constitution est-il envisageable ?

Certains auteurs ont cru pouvoir le soutenir. C'est ainsi que, selon Messieurs L. Favoreu et L. Philip, les parlementaires pourraient, depuis l'intervention de la loi constitutionnelle du 25 juin 1992, saisir le Conseil constitutionnel, au titre de l'article 54, des actes des organes communautaires comme les directives et peut-être même les règlements. Cette interprétation de l'article 54 leur paraît possible compte tenu de la définition extensive donnée par le Conseil constitutionnel lui-même de la notion d'« engagements internationaux ». (Cf. L. Favoreu et L. Philip - Les grandes décisions du Conseil constitutionnel p. 800).

N'est-ce pas oublier que l'article 54 ne concerne, selon ses termes mêmes, que les engagements internationaux soumis à ratification ou à approbation, ce qui n'est à l'évidence le cas ni des règlements ni des directives ? C'est d'ailleurs pourquoi Monsieur J. Larché, rapporteur du projet de réforme de la Constitution au Sénat en 1992, avait souhaité présenter un amendement élargissant le champ d'application de l'article 54 aux directives communautaires, amendement qui n'a pas été discuté.

Il convient, en revanche, d'observer que le Conseil constitutionnel s'est estimé compétent, dans ses décisions n° 70-39 DC du 19 juin 1970 et n° 76-71 DC du 30 décembre 1976, pour connaître de recours fondés sur l'article 54 de la Constitution, dirigés contre deux « décisions » du Conseil des communautés européennes concernant, respectivement, l'adoption d'un système de ressources propres et l'élection du Parlement européen au scrutin universel direct. Mais un tel contrôle s'explique par le fait que ces actes, bien que formellement qualifiés de décisions, ont été analysés par le Conseil constitutionnel comme des engagements internationaux et que leur entrée en vigueur était subordonnée, en vertu du traité lui-même, à leur adoption par les Etats membres selon leurs règles constitutionnelles propres.

- Restent les possibilités de contrôle indirect du droit communautaire dérivé ouvertes par l'article 61 de la Constitution.

Rien ne s'oppose en principe à ce que le Conseil constitutionnel soit saisi sur le fondement de cette disposition, de lois qui constituent soit une mesure d'application d'un règlement ou d'une décision communautaires, soit une transposition d'une directive, motif pris de la contrariété entre l'acte de droit communautaire dérivé et la Constitution française.

Rien ne permet aujourd'hui d'affirmer que le Conseil constitutionnel se reconnaîtrait compétent ou incompétent pour connaître d'une telle question d'inconstitutionnalité -dont la résolution serait susceptible d'enfreindre la primauté du droit communautaire- et pour s'opposer, le cas échéant, à l'introduction de l'acte contraire dans l'ordre juridique interne (cf. question n° 4).

Il est en revanche douteux, ne serait-ce que du fait des contraintes de délais qui s'imposent à lui, que le Conseil constitutionnel pose, par voie préjudicielle, une question d'interprétation à la CJCE, en cas de difficulté sérieuse d'interprétation de l'acte communautaire.

3-2 : Quelles autres institutions exercent une telle fonction ?

Les formations administratives du Conseil d'Etat ont à connaître, à titre consultatif, des actes de droit communautaire dérivé dans le cadre de la procédure prévue à l'article 88-4 de la Constitution.

Cette disposition, introduite dans la Constitution en 1992 à l'occasion de la révision préalable à la ratification du Traité sur l'Union européenne, prévoit que le Gouvernement soumet à l'Assemblée nationale et au Sénat des propositions d'actes communautaires comportant des dispositions de nature législative et que le Parlement peut voter des résolutions à leur propos. En 1993, le Premier ministre a décidé de saisir le Conseil d'Etat de l'ensemble de ces projets -au nombre desquels figurent les propositions d'actes de droit dérivé - pour que celui-ci se prononce sur leur nature législative ou réglementaire et soulève toutes questions de droit utiles, notamment quant à leur compatibilité avec la Constitution.

La mise en oeuvre de cette procédure, élargie depuis aux deuxième et troisième piliers ainsi qu'aux actes du comité exécutif Schengen, est d'une grande efficacité préventive puisqu'elle permet d'alerter le gouvernement sur les problèmes constitutionnels susceptibles de se poser.

Toutefois, malgré le nombre élevé de transmissions ainsi réalisées, un problème de constitutionnalité n'a surgi qu'une fois. Par avis en date du 10 juin 1993, le Conseil d'Etat a indiqué que, sur certains points, le projet de directive sur la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel comportait des garanties moindres pour la liberté individuelle que celles résultant de la législation française existante, ce qui n'était pas sans poser des problèmes au regard de la jurisprudence du Conseil constitutionnel (cf. sur ce point : réponse à la question n° 5). Le gouvernement français s'est par la suite prévalu de cet avis auprès de ses partenaires pour solliciter la modification du projet de directive.

Question n° 4

4-1 : " Le contrôle de constitutionnalité s'est-il exercé ou est-il susceptible de s'exercer à l'égard :

  • des actes de droit communautaire dérivé eux-mêmes ;

  • des modalités de leur application ou de leur transposition ;

  • de l'exécution des arrêts de la Cour de justice des Communautés européennes ?

Indiquer le cas échéant les affaires concernées."

Le contrôle direct par le Conseil constitutionnel de la constitutionnalité des actes de droit communautaire dérivé eux-mêmes n'est guère envisageable (cf. question n° 3).

En revanche, comme on l'a dit, le Conseil constitutionnel, saisi sur le fondement de l'article 61 alinéa 2 de la Constitution, peut être conduit à exercer un contrôle indirect de l'acte de droit communautaire dérivé à l'occasion de l'examen de la loi de mise en oeuvre ou de transposition de cet acte.

Trois degrés de contrôle de la conformité constitutionnelle d'une loi d'application ou de transposition sont théoriquement envisageables :

1 ° le simple contrôle de la régularité de la procédure législative nationale, qui relève manifestement de la compétence du Conseil ;

2 ° le contrôle de constitutionnalité des dispositions non directement imposées par la mise en oeuvre de l'acte de droit dérivé, contrôle qu'il appartient également au Conseil d'exercer ;

3 ° enfin le contrôle de constitutionnalité des dispositions procédant nécessairement de l'acte de droit dérivé, contrôle qui aurait des effets équivalents à ceux d'un contrôle direct, par une juridiction nationale, de la norme communautaire.

Il convient d'observer que la distinction entre les deux derniers degrés de contrôle doit être relativisée en pratique, la loi nationale de transposition se bornant souvent à reproduire le contenu, généralement détaillé, de l'acte communautaire à transposer.

Les décisions dans lesquelles le Conseil constitutionnel a eu à connaître de règlements ou de directives communautaires sont, à ce jour, relativement peu nombreuses :

1 ° deux décisions anciennes du Conseil constitutionnel ont trait à des lois portant application d'un règlement communautaire. Il s'agit des décisions n° 77-89 DC (Rec. p. 46) et 77-90 DC du 30 décembre 1977 (Rec. p. 44) relatives, respectivement, aux articles de la loi de finances pour 1978 et de la loi de finances rectificative pour 1977 fixant les modalités de recouvrement d'une cotisation nationale destinée à régulariser le marché de l'isoglucose, cotisation créée par un règlement du Conseil des communautés européennes.

Les parlementaires requérants critiquaient ces dispositions législatives en tant qu'elles se bornaient à prévoir les modalités de perception d'une imposition dont le taux et l'assiette avaient été préalablement fixés par un règlement communautaire, selon eux en méconnaissance à la fois du principe de souveraineté nationale (article 3 de la Constitution) et du principe de consentement du peuple à l'impôt (article 34).

Après avoir précisé que la cotisation en cause constituait une ressource propre de la Communauté échappant aux règles applicables en matière d'impositions nationales et rappelé que les règlements communautaires sont obligatoires et d'application directe en vertu de l'article 189, alinéa 2, du Traité de Rome, le Conseil constitutionnel affirme dans ces décisions que la répartition des compétences opérée par le règlement entre les institutions communautaires et les autorités nationales, au regard tant des conditions d'exercice de la souveraineté nationale que du jeu des règles de l'article 34 de la Constitution relatives au domaine de la loi, ne sont que « la conséquence d'engagements internationaux souscrits par la France qui sont entrés dans le champ de l'article 55 de la Constitution ». Il écarte ainsi la critique de constitutionnalité.

Ces deux décisions ont été interprétées par la doctrine comme l'expression du refus par le Conseil constitutionnel de contrôler la constitutionnalité des normes communautaires d'effet direct, lesquelles bénéficieraient ainsi au plan interne d'une totale immunité (cf. par exemple, Louis Dubouis, Le juge français et le conflit entre norme constitutionnelle et norme européenne, p. 208). Cette analyse se trouve confortée par la révision constitutionnelle du 25 juin 1992 qui a consacré « les transferts de compétences nécessaires à l'établissement de l'union économique et monétaire européenne ainsi qu'à la détermination des règles relatives au franchissement des frontières extérieures des Etats membres de la Communauté européenne » (art. 88-2 de la Constitution).

2 ° Les décisions relatives aux lois de transposition de directives communautaires sont aussi peu nombreuses. Il s'agit des décisions précitées n° 78-100 DC du 29 décembre 1978 relative à l'adaptation de la législation nationale sur la T.V.A. à la 6ème directive du Conseil des communautés européennes, n° 94-348 DC du 3 août 1994 relative à la loi sur la protection sociale complémentaire des salariés qui avait pour objet, notamment, de transposer en droit interne les directives communautaires sur les assurances, et n° 96-383 DC du 6 novembre 1996 portant sur la loi relative à l'information et à la consultation des salariés dans les entreprises et des groupes d'entreprise de dimension communautaire, ainsi qu'au développement de la négociation collective qui, dans ses premiers articles, transposait en droit interne une directive communautaire relative notamment à la mise en place de comités d'entreprise européens.

Le seul grief soulevé par les requérants dans la première affaire (décision du 29 décembre 1978) avait trait à la régularité de la procédure législative suivie au regard des règles constitutionnelles de procédure applicables à l'examen des lois de finances, grief que le Conseil constitutionnel a rejeté. Dans la deuxième affaire (décision du 3 août 1994), les requérants n'avaient opposé aucun argument d'inconstitutionnalité aux dispositions de la loi qui opéraient la transposition des directives communautaires sur les assurances en faisant entrer dans leur champ d'application les institutions de prévoyance nouvellement instituées. Enfin dans les saisines ayant donné lieu à la décision du 6 novembre 1996, les articles transposant la directive communautaire n'étaient pas davantage argués d'inconstitutionnalité.

On ne peut donc guère tirer d'enseignements de ces trois espèces quant à la portée du contrôle de constitutionnalité qu'est susceptible d'exercer le Conseil constitutionnel sur les lois de transposition des directives. Tout au plus peut-on dire qu'à partir du moment où il ne s'interdit pas, comme le montrent les exemples précités, de contrôler la conformité à la Constitution de la loi de transposition d'une directive communautaire, il pourrait, par ce biais, être invité à se prononcer indirectement sur la constitutionnalité de la directive elle-même.

3 ° Reste à examiner la position du Conseil constitutionnel sur les lois tirant les conséquences de décisions de la C.J.C.E.

En théorie, il peut s'agir soit d'arrêts en constatation de manquement, soit d'arrêts d'interprétation des traités ou des actes pris en application de ces derniers et entrés en vigueur dans l'ordre juridique interne.

A une seule occasion le Conseil constitutionnel a eu à connaître d'une disposition législative présentant un lien avec une décision de la C.J.C.E. (décision n° 80-126 DC du 30 décembre 1980, Rec. p. 53) : il s'agissait de l'article 13 de la loi de finances pour l'année 1981 relatif à la taxation des vins et alcools. Cette disposition avait pour objet d'harmoniser la législation nationale avec les dispositions adoptées en la matière par la Communauté économique européenne telles qu'elles ont été interprétées par un arrêt de la C.J.C.E. Les auteurs de la saisine faisaient valoir qu'il était notoire que les autres pays membres de la Communauté ne respectaient pas ces prescriptions, notamment en ce qui concerne les productions agricoles de vins et d'alcools : selon eux, le Gouvernement n'aurait pas dû, sauf à méconnaître l'article 55 de la Constitution, accepter une telle « limitation de souveraineté » laquelle ne pouvait être consentie que « sous réserve de réciprocité ». A cette argumentation, le Conseil constitutionnel répond que la règle de réciprocité énoncée à l'article 55 ne trouve à s'appliquer que dans les cas où il existe une discordance entre un texte de loi et les stipulations d'un traité, mais ne fait pas obstacle à ce que la loi édicte, comme en l'espèce, des dispositions découlant d'un traité, et ce alors même que celles-ci ne seraient pas appliquées par l'ensemble des parties signataires (dans le même sens : 91-294 Dcdu 25 juillet 1991).

4-2 : « Certaines de ces affaires ont-elles conduit à constater une incompatibilité ou une contradiction de normes ? Quelles en ont été les conséquences ? Dans l'hypothèse du refus d'un tel contrôle, votre institution a-t-elle été conduite à opposer une décision d'irrecevabilité ou bien de rejet au fond ? ».

Questions sans objet compte tenu des réponses apportées à la 1ère sous-question.

Question n° 5

Quels vous paraissent être les risques de contrarieté entre les normes de valeur constitutionnelle de votre pays et le droit communautaire dérivé ? Le cas échéant, dans quels domaines particuliers ?

Chacun des deux types de normes, constitutionnelles et communautaires, ont vocation à prévaloir, on l'a dit, les premières dans l'ordre juridique interne, les secondes dans l'ordre juridique communautaire. Dès lors que ces normes s'appliquent aux mêmes sujets de droit, le risque de contrariété ou d'incompatibilité ne doit pas être négligé, même s'il paraît limité en pratique, ne serait-ce qu'en raison de la communauté de valeurs inspirant le droit communautaire et les systèmes juridiques des Etats membres de l'Union européenne.

Deux séries de remarques doivent être formulées pour mesurer ce risque : les premières relatives au respect des droits fondamentaux, les secondes à celui des autres règles et principes de valeur constitutionnelle.

1 ° S'agissant en premier lieu des droits fondamentaux, les risques d'occurrence d'un conflit de normes apparaissent minimes dès lors qu'il revient à la Cour de justice des Communautés elle-même d'en contrôler le respect dans l'ordre juridique communautaire : le 2 de l'article F du Traité sur l'Union européenne prévoit que l'Union doit respecter les droits fondamentaux tels qu'ils sont garantis par la Convention européenne des droits de l'homme et tels qu'ils résultent des traditions constitutionnelles communes des Etats-membres en tant que principes généraux de droit communautaire. Ainsi, si la Cour de Justice des communautés ne peut appliquer directement les principes constitutionnels communs aux Etats membres, elle en contrôle indirectement le respect sous l'angle des principes généraux de droit communautaire, tels que ci-dessus définis.

Toutefois le Conseil constitutionnel n'a pas eu l'occasion à l'instar des cours constitutionnelles allemande et italienne par exemple, de se prononcer sur ce qui serait son attitude dans l'hypothèse, heureusement improbable, d'une défaillance des organes communautaires dans le domaine du respect des droits fondamentaux.

Par ailleurs, s'il est vrai que les droits garantis par la Convention européenne des droits de l'homme sont proches des principes de valeur constitutionnelle français, des différences demeurent en dépit des évolutions jurisprudentielles souvent convergentes de la Cour européenne des droits de l'homme et du Conseil constitutionnel.

Enfin, une difficulté pourrait surgir à raison d'une jurisprudence exigeante du Conseil constitutionnel relative à certains droits fondamentaux bénéficiant d'une protection renforcée, dite de « l'effet cliquet », qui veut que le législateur ne peut abroger une loi ancienne que sous réserve que la loi nouvelle offre des garanties équivalentes pour la protection de ces droits (cf : décision n° 84-181 DC des 10 et 11 octobre 1984 relative à la liberté de la presse ; cf également : décision n° 93-325 DC du 13 août 1993 relative au droit d'asile dont le législateur ne peut réglementer les conditions d'exercice « qu'en vue de le rendre plus effectif ou de le concilier avec d'autres règles ou principes de valeur constitutionnelle »).Ainsi de la question de savoir si la loi française de transposition de la directive n° 95/46/CE du 24 octobre 1995, relative à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel, présente des garanties équivalentes à celles de la loi de 1978 actuellement en vigueur sur l'informatique et les libertés, dans laquelle plusieurs décisions récentes du Conseil constitutionnel (n° 92-316 DC du 20 janvier 1993, n° 93-325 DC du 13 août 1993 et n° 97-389 DC du 22 avril 1997) ont vu un dispositif protecteur de la liberté individuelle, dont la sauvegarde est une exigence constitutionnelle.

2 ° Mais la matière des droits fondamentaux n'épuise pas la question posée. Des contrariétés sont en effet susceptibles d'apparaître entre la norme communautaire et d'autres règles ou principes de valeur constitutionnelle.

a) Ce n'est pas tant à la question de la compatibilité entre les engagements communautaires de la France et « les conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale » que l'on songe ici : les difficultés de cet ordre surviennent à l'occasion de la modification des traités institutifs plutôt que lors de l'adoption de normes dérivées. Elles peuvent alors être résolues par la procédure prévue à l'article 54 de la Constitution. On ne saurait cependant exclure, surtout avec la communautarisation du troisième pilier, que les actes de droit dérivé posent des questions de souveraineté.

b) On pense davantage à certains principes particuliers, inhérents à la tradition constitutionnelle française. On citera, à titre d'exemples :

  • le principe d'indivisibilité de la République posé par l'article premier de la Constitution dont on peut penser qu'il s'opposerait, par exemple, à une décision communautaire imposant une coopération directe entre les organes communautaires et les collectivités territoriales françaises ;

  • le droit d'asile, garanti par le 4ème alinéa du préambule du 27 octobre 1946, dont la décision du Conseil constitutionnel du 13 août 1993 relative à la loi relative à la maîtrise de l'immigration a rappelé qu'il s'agissait d'un droit fondamental (on pense en particulier aux difficultés que suscite, au regard de la Constitution française, le projet de protocole supprimant l'examen des demandes d'asile formulées par les ressortissants communautaires)

  • le principe de l'indépendance de l'autorité judiciaire, affirmé par l'article 64 de la Constitution, principe directement concerné par la « communautarisation » du troisième pilier ;

  • les règles constitutionnelles qui régissent les « entreprises dont l'exploitation a ou acquiert les caractères d'un service public », qui ne peuvent être privatisées (alinéa 9 du Préambule de 1946) et sont régies par des principes dont la valeur constitutionnelle a été consacrée par le Conseil constitutionnel : le principe de continuité, celui d'égalité et son corollaire le principe de neutralité (cf en tout dernier lieu : décision du 23 juillet 1996 relative à l'entreprise nationale France-Télécom).

Question n° 6

« em>Pour le cas où serait retenue une contradiction entre une norme de droit communautaire dérivé et la norme constitutionnelle, paralysant l'application de la première, existe-t-il des voies de droit internes relatives à l'engagement de la responsabilité de l'Etat ? Peut-on également user de telles voies dans d'autres cas de défaut d'application d'une norme de droit communautaire dérivé ? »

1 ° Existe-t-il des voies de droit interne relatives à l'engagement de la responsabilité de l'Etat en cas de défaut d'application d'une norme de droit communautaire dérivé ?

La possibilité de mettre en cause la responsabilité de l'Etat en cas de violation du droit communautaire est aujourd'hui pleinement admise par les juridictions nationales.

Conformément aux prescriptions de l'arrêt FRANCOVITCH c/République italienne (CJCE 19 novembre 1991), c'est dans le cadre du droit national de la responsabilité de la puissance publique qu'il incombe à l'Etat de réparer les conséquences dommageables d'une telle violation.

En droit français, deux régimes de responsabilité sont susceptibles de s'appliquer en la matière :

  • la responsabilité de l'Etat peut tout d'abord être engagée sur le terrain de la faute, étant entendu que toute illégalité est, par nature, fautive (CE, Section 26 janvier 1973 ; Ville de Paris, cf. Sieur Driancourt, Leb. p. 77) et que la notion de légalité inclut le respect des traités et des actes qui en dérivent. Dans ce cas il suffit, pour que le préjudice allégué soit indemnisé, qu'il soit avéré et qu'il se trouve dans un lien suffisant de cause à effet avec l'illégalité fautive ;

  • par ailleurs, la responsabilité de l'Etat est, même en l'absence de faute, susceptible d'être engagée sur le terrain du risque, le fondement du droit à réparation se trouvant alors dans la rupture du principe d'égalité devant les charges publiques. Dans ce cas les conditions d'indemnisation sont plus restrictives : le dommage doit être à la fois anormal -n'atteignant qu'un nombre limité de personnes -et spécial- d'une gravité suffisante, c'est-à-dire excédant les gênes et inconvénients que doit supporter tout citoyen au nom de l'intérêt général. La jurisprudence a appliqué ce régime à la responsabilité de l'Etat du fait des lois (CE Ass., 14 janvier 1938, Société des produits laitiers la Fleurette) et des conventions internationales (CE Ass., 30 mars 1966 Compagnie générale d'énergie radio-électrique, Leb. p. 257).

Quelques mois après l'intervention de l'arrêt de principe Francovitch précité, le Conseil d'Etat, dans l'arrêt ROTHMANS précité, a admis que la responsabilité de l'Etat était engagée, sur le terrain de la faute, en raison de l'illégalité de décisions ministérielles de fixation des prix des tabacs manufacturés prises en méconnaissance du droit communautaire. Plus précisément, la CJCE avait jugé à plusieurs reprises que la législation française en la matière (qui remontait à 1976), était contraire à l'article 37 du traité, ainsi qu'à la directive du Conseil du 19 décembre 1972 relative aux tabacs manufacturés. Les dispositions réglementaires prises sur le fondement de cette législation, dont il convenait d'écarter l'application, étaient donc dépourvues de base légale et les décisions ministérielles prises en application de ces dispositions réglementaires elles-mêmes illégales. Une telle illégalité fautive engageait la responsabilité de l'Etat, lequel a été condamné à verser de substantielles indemnités aux sociétés requérantes.

Notons qu'en l'espèce la méconnaissance du droit communautaire était imputable, initialement, au législateur qui n'avait pas transposé correctement la directive. Il aurait donc pu en résulter l'application du régime de responsabilité de l'Etat du fait des lois, en vertu du principe selon lequel les Etats membres sont tenus de réparer les dommages causés aux particuliers par les violations du droit communautaire qui leur sont imputables, y compris lorsque ces violations sont le fait du législateur national (CJCE Brasserie du pêcheur SA - 5 mars 1996). Or, on a vu que ce régime de responsabilité est moins favorable que celui de la responsabilité pour faute.

Le Conseil d'Etat a cependant estimé, en l'espèce, que l'acte réglementaire du ministre s'interposait entre la loi et l'administré, constituant ainsi le fait générateur direct du préjudice. C'est donc l'illégalité fautive de l'arrêté ministériel, et non le fait du législateur, qui a été regardée comme engageant la responsabilité de l'Etat. L'obligation d'écarter la loi non conforme à la directive s'impose, a précisé le Commissaire du Gouvernement dans ses conclusions, non seulement au juge, mais également à l'administration (cf. conclusions de Martine Laroque - AJDA 20 mars 1992, p. 210).

Dans la décision Société Jacques DANGEVILLE du 1er juillet 1992, la Cour administrative d'appel de Paris n'a pu adopter une solution analogue puisqu'était en cause le défaut de transposition par le législateur, dans le délai fixé, des dispositions de la sixième directive TVA, lesquelles imposaient d'exonérer les activités des courtiers et intermédiaires d'assurances. Aucun acte réglementaire ne faisait écran entre la directive et les décisions de l'administration fiscale contestées par les requérants. La Cour a jugé que ces décisions n'étaient pas compatibles avec les objectifs de la directive et condamné l'Etat à réparer le préjudice résultant, pour la société requérante de la « situation illicite » ainsi créée. Pour certains commentateurs la Cour doit être regardée comme ayant admis la responsabilité de l'Etat pour faute, dans l'exercice du pouvoir législatif, rompant ainsi avec la tradition jurisprudentielle qui voyait dans la loi un acte « irréprochable et incontestable » (cf. Xavier Prétot, AJDA, 20 novembre 1992, p. 768). Mais la Cour ne s'est-elle pas bornée à constater que la décision administrative prise en application de dispositions législatives incompatibles avec une directive est constitutive d'une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat ? L'existence d'une décision individuelle d'imposition permettait, ici encore, d'imputer la faute à l'administration (cf. Conclusions de J. Guillaume GOULARD, CE Assemblée, Ministre du Budget c/SA Jacques DANGEVILLE, 30 octobre 1996).

Reste à savoir ce que ferait le juge national dans l'hypothèse -à vrai dire improbable- où il serait saisi d'une demande de réparation d'un préjudice résultant directement de l'application d'une loi non conforme au droit communautaire, aucune mesure réglementaire ou individuelle ne s'interposant entre la loi et le préjudice. Retiendrait-il la responsabilité de l'Etat sur le terrain de la rupture de l'égalité devant les charges publiques comme il l'a fait dans l'arrêt Société ALIVAR du 23 mars 1984 (Leb. p. 128) ? Ou infléchirait-il la théorie de la responsabilité de l'Etat du fait des lois pour donner sa pleine portée au principe de réparation intégrale des violations du droit communautaire par le législateur national posé par l'arrêt précité de la C.J.C.E. Brasserie du pêcheur ?

Il convient enfin de relever que la Cour de cassation, dans un arrêt du 21 février 1995 (ch. crim, Bull. IV, p. 50), après avoir indiqué « que l'effet du droit communautaire implique, pour les autorités nationales compétentes, prohibition de plein droit d'appliquer une prescription nationale reconnue incompatible avec le traité » a considéré que constitue une faute lourde engageant la responsabilité de l'Etat, en application de l'article L. 781-1 du code de l'organisation judiciaire, l'adoption par le ministère de la justice d'une circulaire enjoignant aux procureurs de la République d'engager des poursuites pénales en application d'articles déclarés contraires au traité de la C.E.E. par arrêt de la Cour de justice des communautés européennes.

2 ° Pour le cas où serait retenue une contradiction entre une norme de droit communautaire dérivé et la norme constitutionnelle, paralysant l'application de la première, existe-t-il des voies de droit interne relatives à l'engagement de la responsabilité de l'Etat ?

Dans une telle hypothèse, qui demeure un cas d'école, les requérants pourraient, à l'instar des exemples précédents, introduire devant les juridictions compétentes des recours mettant en cause la responsabilité de l'Etat, sur le fondement de la faute ou, plus vraisemblablement, sur celui de la rupture de l'égalité devant les charges publiques.

Sauf à se perdre en conjectures hasardeuses, il est particulièrement difficile de dire aujourd'hui quel serait le sort réservé à ces requêtes. Des litiges de cette nature semblent bien davantage devoir se nouer au plan communautaire et trouver leur solution dans une révision constitutionnelle.

Quelques observations méritent cependant, sous toutes réserves, d'être présentées.

Dans une décision n° 96-386 DC du 30 décembre 1996, le Conseil constitutionnel a estimé que l'effet de la saisine par les membres du Parlement est de « mettre en oeuvre, avant la clôture de la procédure législative, la vérification par le Conseil constitutionnel de toutes les dispositions de la loi déférée y compris de celles qui n'ont fait l'objet d'aucune critique de la part des auteurs de la saisine », soulignant ainsi la spécificité de l'intervention du Conseil constitutionnel lorsqu'il exerce un contrôle « a priori » sur la loi adoptée et non encore promulguée.

Comme l'a analysé le doyen VEDEL (cf. les cahiers du Conseil constitutionnel n° 1, « excès du pouvoir administratif et excès du pouvoir législatif », p. 57), l'examen de la loi par le Conseil, lorsque celui-ci est saisi, s'incorpore à la procédure législative laquelle n'est close que par la promulgation de la loi.

Si l'invalidation par le Conseil constitutionnel d'une loi d'application ou de transposition d'une norme de droit communautaire dérivé venait à paralyser l'application de cette dernière, on pourrait concevoir que la responsabilité de l'Etat législateur, ou, plus précisément, « producteur de normes », se trouve engagée, le contrôle exercé par le Conseil constitutionnel étant, dans cette hypothèse, regardé comme participant de l'élaboration de la norme.

Il semble en tout état de cause peu probable que les juridictions françaises retiennent la responsabilité de l'Etat fondée sur la faute dans le cas d'école évoqué par la question n°6-2. D'une part en effet il résulte de l'article 62, alinéa 2, de la Constitution que « les décisions du Conseil constitutionnel... s'imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités juridictionnelles et administratives. ». D'autre part et surtout, dans les décisions précitées ROTHMANS et DANGEVILLE, le juge a entendu sanctionner les autorités administratives qui, en ne faisant pas prévaloir sur la loi le droit communautaire, avaient méconnu la hiérarchie des normes inscrite dans l'article 55 de la Constitution. En tenant compte de la décision du Conseil constitutionnel et en appliquant la loi dans sa rédaction résultant du contrôle de constitutionnalité, l'administration se bornerait au contraire à tirer les conséquences de la primauté de la norme constitutionnelle sur la norme internationale affirmée par le Conseil constitutionnel.

Il n'est donc pas exclu, au regard de ces considérations, que la situation suggérée par la question n° 6 donne l'occasion aux juridictions d'imaginer un nouveau régime de responsabilité sans faute de l' Etat. Si tel était le cas, il conviendrait probablement que le juge assouplisse les conditions d'application de la jurisprudence dite LA FLEURETTE notamment quant à l'appréciation de la spécialité et de l'anormalité du préjudice susceptible d'ouvrir droit à indemnisation, de façon à répondre aux exigences de l'arrêt de la CJCE Brasserie du pêcheur SA précité relatives aux conditions de réparation du préjudice qui, notamment, « ne sauraient aboutir à rendre, en pratique, impossible ou excessivement difficile l'obtention d'une telle réparation ».

Question n° 7

7-1 : « Des réflexions sont-elles engagées dans votre pays, compte tenu de tels risques de contrariété, sur les voies et moyens d'un renforcement du contrôle des actes de droit communautaire dérivé au regard des normes constitutionnelles »

Certains parlementaires se sont émus de l'« immunité constitutionnelle » dont bénéficient les actes du droit communautaire dérivé : l'augmentation constante du nombre de ces actes serait de nature à faire échapper un nombre de plus en plus élevé de normes aux exigences constitutionnelles.

Cette inquiétude a suscité des propositions de réforme de la Constitution dont aucune n'a abouti à ce jour :

1 ° Lors du débat à l'Assemblée nationale sur la réforme constitutionnelle de 1992, Madame Nicole CATALA avait présenté en séance un amendement prévoyant la saisine du Conseil constitutionnel, par voie préjudicielle, par toute juridiction de l'ordre administratif ou judiciaire, au cas où celle-ci aurait un doute sur la conformité à la Constitution d'un acte pris en application d'un traité ou d'un accord international. Au cas où le Conseil constitutionnel aurait déclaré cet acte contraire à la Constitution, son application dans l'ordre juridique interne n'aurait été possible qu'après révision de la Constitution.

2 ° le sénateur OUDIN a proposé, lors de la seconde session ordinaire de 1992-1993, de compléter l'article 88-4 de la Constitution qui, depuis la réforme constitutionnelle de 1992, prévoit que sont soumises à l'Assemblée nationale et au Sénat les propositions d'actes communautaires comportant des dispositions de nature législative, par un nouvel alinéa disposant que ces propositions pourraient être déférées au Conseil constitutionnel, lequel rendrait un avis sur leur conformité à la Constitution. Cet avis aurait été dépourvu d'effet juridique contraignant, mais il aurait appartenu au Gouvernement de tout faire pour qu'il en soit tenu compte.

3 ° Enfin, après la publication d'un rapport parlementaire intitulé « Droit communautaire et constitutions nationales », fruit du travail de la Délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne, Monsieur Pierre MAZEAUD, alors président de la Commission des lois de l'Assemblée nationale, a présenté avec Monsieur Robert PANDRAUD, le 13 mai 1996, une proposition de loi constitutionnelle introduisant un nouvel article 88-5 dans la Constitution aux termes duquel :

- " Art. 88-5 - Si le Conseil constitutionnel, saisi par le Président de la République, par le Premier ministre, par le Président de l'une ou l'autre Assemblée ou par soixante députés ou soixante sénateurs, a constaté qu'un projet ou une proposition d'acte des Communautés européennes ou de l'Union européenne comporte une disposition contraire à la Constitution, le Gouvernement ne peut l'approuver qu'après révision de la Constitution ".

Il s'agissait d'ouvrir la possibilité d'un contrôle a priori de la conformité à la Constitution des projets d'actes de droit communautaire dérivé, un éventuel constat de contrariété avec la Constitution se traduisant, soit par le refus opposé par le Gouvernement à l'adoption de l'acte en question, soit par une réforme de la Constitution. Au cas où la Constitution ne pouvait être révisée et si la négociation ne permettait pas d'écarter l'acte contesté, Monsieur MAZEAUD préconisait le recours au « compromis de Luxembourg » dès lors que l'on se trouvait dans le cas où « des intérêts très importants [d'un État membre] sont en jeu ».