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Présentation de la Cour constitutionnelle de Hongrie

Docteur Tamás BÁN - Conseiller auprès du Président de la Cour constitutionnelle

Cahiers du Conseil constitutionnel n° 13 (Dossier : Hongrie) - janvier 2003

La Cour constitutionnelle de Hongrie est heureuse de présenter aux lecteurs des Cahiers du Conseil constitutionnel ses activités, présentation suivie d'extraits de quelques décisions.

Création de la Cour constitutionnelle

La Cour constitutionnelle a été instituée par l'Assemblée nationale en janvier 1989 mais son organisation et ses compétences avaient été déjà définies au cours des négociations politiques tripartites préparant le changement de régime politique en Hongrie. Conformément à l'accord intervenu à l'issue de ces négociations, la Constitution est amendée par l'Assemblée nationale en octobre 1989 et les dispositions fondamentales au sujet de la Cour constitutionnelle sont adoptées (art. 32/A).

Ces dispositions nouvelles de la Constitution reflètent les exigences du changement de régime. Le but de la création de la nouvelle institution est de faciliter la mise en place de l'État de droit, la protection de l'ordre constitutionnel et des droits fondamentaux. La loi XXXII de 1989 sur la Cour constitutionnelle est adoptée par l'Assemblée nationale le 19 octobre 1989. La Cour constitutionnelle entre en fonction le 1er janvier 1990.

Organisation et procédure

La Cour constitutionnelle est l'organe suprême de protection de la constitutionnalité. Elle exerce un contrôle de constitutionnalité sur les textes, elle protège l'ordre constitutionnel et les droits fondamentaux garantis par la Constitution.

La Constitution se limite à définir quelques règles fondamentales relatives à la Cour constitutionnelle en confiant à une loi spécifique le soin de statuer sur son organisation. La Constitution dispose que l'adoption de la loi sur l'organisation et le fonctionnement de la Cour constitutionnelle se fait à la majorité des deux tiers des députés présents.

La Cour constitutionnelle fonctionne de manière autonome. Elle ne fait pas partie de l'ordre judiciaire, elle a son propre budget et les juges constitutionnels sont élus par l'Assemblée nationale. La Cour constitutionnelle élabore elle-même son projet de budget et le soumet à l'Assemblée nationale pour adoption et intégration au budget de l'État.

La Cour constitutionnelle est composée de onze membres. Les juges constitutionnels élisent parmi eux, pour un mandat de trois ans, le président et le vice-président de la Cour qui sont chargés de missions de coordination et de représentation mais dont l'activité ne porte nullement atteinte à l'indépendance des juges.

Aux termes de la loi sur la Cour constitutionnelle, Esztergom est le siège de la Cour constitutionnelle mais dans cette ville les conditions de fonctionnement de la Cour sont dès l'origine totalement inadaptées. Voilà pourquoi la Cour constitutionnelle fonctionne depuis sa mise en place à Budapest.

Les décisions de la Cour constitutionnelle sont obligatoires pour tous et ne sont susceptibles d'aucun recours. Au sujet de la constitutionnalité des lois, la Cour statue en formation plénière comprenant tous les juges tandis que l'examen de la conformité à la Constitution des ordonnances gouvernementales et des textes de niveau inférieur aux ordonnances fait l'objet de décisions prises en formations réunissant en général trois juges. Les décisions sont prises à la majorité des voix.

Les décisions de la Cour constitutionnelle annulant une norme, ou interprétant une disposition de la Constitution paraissent au Journal officiel (Magyar Közlöny). Toutes ses décisions et arrêts sont publiés par le bulletin officiel Décisions de la Cour constitutionnelle. Outre la décision adoptée à la majorité des voix, est publiée également la position des juges constitutionnels mis en minorité (opinion dissidente, exposé parallèle des motifs).

Aux termes de la loi, les règles détaillées de l'organisation et de la procédure de la Cour constitutionnelle sont régies par le règlement de la Cour faisant l'objet d'une loi adoptée par l'Assemblée nationale sur proposition de la Cour constitutionnelle.

Les membres de la Cour constitutionnelle

Aux termes de la Constitution les membres de la Cour constitutionnelle sont élus par l'Assemblée nationale qui a prévu les règles de leur élection. L'impartialité est garantie par la règle qui veut que les candidatures à la Cour constitutionnelle soient proposées par un comité des candidatures auquel chacun des groupes de députés des partis représentés à l'Assemblée nationale délègue un membre, et que les juges constitutionnels soient élus à la majorité des deux tiers des députés de l'Assemblée nationale.

Quant aux exigences professionnelles imposées aux juges constitutionnels, selon les dispositions en vigueur, peuvent être élus membres de la Cour constitutionnelle des juristes faisant preuve d'une connaissance particulièrement approfondie de la doctrine ou disposant d'au moins 20 années d'exercice professionnel. Leur mandat est de neuf ans et renouvelable une fois. La fonction de juge constitutionnel prend fin à l'âge de 70 ans.

En vue de garantir l'autonomie et l'indépendance de la Cour constitutionnelle, des incompatibilités sont prévues par la loi. Les membres de la Cour constitutionnelle ne peuvent être parlementaires, élus locaux, responsables d'organismes de représentation d'intérêts, membres de partis politiques ; ils ne peuvent mener aucune activité rémunérée autre que scientifique, d'enseignement, littéraire ou artistique. Autre garantie d'indépendance : les juges bénéficient de la même immunité que les députés à l'Assemblée nationale. Leur immunité ne peut être retirée que par la formation plénière de la Cour constitutionnelle. Les juges constitutionnels ne peuvent être révoqués par l'Assemblée nationale, ils ne peuvent être démis de leur fonction que par la formation plénière, dans les cas définis par la loi.

Les dispositions initiales avaient prévu l'élection successive de trois fois cinq, soit au total quinze juges constitutionnels, mais la Constitution amendée en 1994 a ramené à onze le nombre total des juges constitutionnels. Les cinq premiers juges constitutionnels ont été élus fin 1989, puis cinq autres après les élections législatives de mai 1990. Depuis 1990, l'Assemblée nationale a procédé, à plusieurs reprises, à l'élection de juges constitutionnels en remplacement de ceux dont le mandat avait pris fin ; jusqu'ici tous les mandats ont été renouvelés.

Compétence et jurisprudence de la Cour constitutionnelle

Conformément à la Constitution et à la loi adoptée parallèlement, la Cour constitutionnelle hongroise a des compétences larges au regard de ses homologues. Depuis sa création, elle est saisie annuellement de plus d'un millier de requêtes.

I. Contrôle a posteriori de la constitutionnalité des normes

Le contrôle a posteriori de constitutionnalité des normes se trouve au centre de l'activité de la Cour constitutionnelle. La plupart des requêtes visent le « contrôle a posteriori ».

Le plus grand nombre des requêtes pour contrôle a posteriori sont introduites par des particuliers. Selon la règle en vigueur, chacun peut attaquer tout texte faisant partie du droit hongrois (la seule exception à la règle est la Constitution) et même tout acte juridique de l'administration publique (toute instruction ministérielle par exemple) indépendamment de la question de savoir si l'acte en question le concerne ou non, porte préjudice ou non à ses intérêts. C'est à la suite d'une actio popularis de cette nature que la Cour constitutionnelle annula, par exemple, en 1990, la peine capitale (déc. 23/1990).

La compétence de contrôle a posteriori des normes fait l'objet d'interprétations réitérées, de divers aspects, de la part de la Cour constitutionnelle. Dans une décision prise en 1993, elle se déclara compétente pour définir, lorsqu'elle examine la constitutionnalité d'un texte, les critères de constitutionnalité auxquels l'interprétation de la norme doit répondre (déc. 38/1993). La jurisprudence de la Cour montre qu'elle utilise cette méthode dans les cas où l'annulation ne pourrait remédier directement au grief (car l'annulation créerait, par exemple, un vide juridique) et l'inconstitutionnalité peut être éliminée par une définition du contenu constitutionnel de la norme.

Les critères de constitutionnalité s'appliquent aussi bien à la législation qu'à l'application du droit. En définissant des critères de constitutionnalité relatifs à la législation, la Cour constitutionnelle détermine, au fond, l'obligation de réglementer un sujet déterminé par une norme juridique, formule les exigences essentielles à l'égard d'une telle réglementation, enfin elle définit ses cadres constitutionnels (par ex. déc. 1/1995). Cependant, les critères de constitutionnalité définis par la Cour constitutionnelle concernent plus souvent l'application des normes.

La Cour constitutionnelle étend parfois son contrôle à l'examen de la constitutionnalité de la jurisprudence. Dans une affaire relative au droit de l'enfant à connaître son origine naturelle, elle a examiné la conformité non pas du texte de la norme elle-même avec la Constitution, mais de son application, c'est à dire de sa mise en adéquation avec « le droit vivant » (déc. 57/1991).

Quant à leur contenu, les critères de constitutionnalité peuvent être soit positifs soit négatifs. Dans le premier cas, la Cour constitutionnelle définit la marge dans laquelle l'interprétation d'une norme reste dans le cadre de la Constitution (par ex. déc. 36/1994), ou l'unique interprétation constitutionnelle possible (par ex. déc. 57/1995). En arrêtant des critères négatifs, la Cour constitutionnelle définit l'interprétation non-conforme à la Constitution d'une norme. Dans ce cas, la norme en question ne peut être appliquée que de la manière indiquée par la Cour constitutionnelle (par ex. déc. 46/1997).

Quant à sa compétence pour exercer un contrôle a posteriori des normes, la Cour constitutionnelle précise qu'elle doit apprécier le droit national, les traités internationaux et la Constitution dans son ensemble et dans leur interdépendance c'est-à-dire qu'elle doit répondre également à la question de savoir si les engagements internationaux sont conformes à la Constitution. À l'occasion d'une requête, la Cour constitutionnelle a déclaré qu'un acte de promulgation d'un traité pouvait faire l'objet du contrôle de constitutionnalité, c'est-à-dire que le contrôle pouvait s'étendre à l'examen de l'inconstitutionnalité des traités internationaux intégrés dans un texte de promulgation (déc. 4/1997).

La compétence de la Cour constitutionnelle ne s'étend pas au contrôle des dispositions de la Constitution. Voilà pourquoi elle constate son incompétence chaque fois qu'une demande de contrôle de norme a posteriori vise en réalité la modification des dispositions de la Constitution ou l'élimination d'une contradiction interne réelle ou présumée de la Constitution (par ex. l'arrêt 1125/I/1996). La Cour constitutionnelle a également procédé à l'interprétation du contrôle a posteriori des normes pour répondre à la question de savoir si sa compétence s'étendait au contrôle des lois portant modification de la Constitution. Liée par la Constitution, elle a déclaré son incompétence pour exercer un contrôle a posteriori de constitutionnalité d'un texte amendé devenu partie intégrante de la Constitution, c'est-à-dire de la loi portant modification de la Constitution (déc. 1260/B/1997).

Le juge, en ordonnant la suspension de l'instance, peut lui-même prendre l'initiative du contrôle a posteriori des normes si dans une affaire pendante devant lui il doit appliquer un texte qu'il estime inconstitutionnel (renvoi préjudiciel). La Cour constitutionnelle (dans l'esprit d'une décision qu'elle a prise de son propre chef) examine « hors tour » les renvois préjudiciels. Mais la proportion de ce type de requêtes ne dépasse pas pour le moment 2 % de l'ensemble des requêtes.

II. Contrôle a priori de la constitutionnalité des normes

Ce qu'il est convenu d'appeler le contrôle préliminaire - ou a priori - des normes est une forme assez rarement utilisée du contrôle de constitutionnalité des textes.

Le contrôle a priori des normes auquel peut recourir le président de la République est prévu par la Constitution. Ce pouvoir du président de la République peut-être conçu comme un « veto constitutionnel » ; il concerne l'examen de constitutionnalité des lois déjà adoptées par le législateur mais encore non promulguées. Le « veto » empêche la mise en vigueur de la loi avant le contrôle de la constitutionnalité. En cas de déclaration d'inconstitutionnalité par la Cour constitutionnelle, la loi est renvoyée à l'Assemblée nationale et le législateur doit en éliminer l'inconstitutionnalité.

Jusque-là il n'y a eu que peu de contrôles préalables de normes effectués à l'initiative du président de la République, mais certains d'entre eux ont été d'une grande importance comme, par exemple, le contrôle de la constitutionnalité des lois sur la possibilité de poursuivre les crimes non réprimés pour des raisons politiques (par ex. déc. 11/1992) ou la compensation partielle des dommages injustement causés aux biens des citoyens (par ex. déc. 28/1991). Ces décisions ont été fondamentales pour une transition pacifique vers l'État de droit.

Le président de la République a pris également l'initiative du contrôle a priori de constitutionnalité de la loi limitant l'acquisition des terres agricoles (déc. 35/1994) et de l'examen de la loi sur les règles de la lutte contre le crime organisé (déc. 1/1999). Cette dernière initiative ne visait pas un examen de fond mais uniquement de procédure législative, c'est-à-dire l'interprétation de la Constitution concernant les cas où le vote doit intervenir à la majorité simple ou qualifiée. Dans sa décision, la Cour constitutionnelle a dit que dans le cas des lois dont l'adoption est prévue par la Constitution à la majorité qualifiée, cette majorité qualifiée n'est pas simplement un critère de forme de la procédure législative mais une garantie constitutionnelle dont l'objectif essentiel est d'assurer que seuls soient adoptés les textes lorsqu'ils recueillent un large consensus parmi les députés.

Le contrôle a priori des normes avait à l'origine une autre forme qui permettait à au moins cinquante parlementaires de demander le contrôle a priori de constitutionnalité des projets de loi avant le vote final. Cette procédure est également à l'origine de nombre de décisions importantes. Cette forme d'initiative de contrôle a priori des normes, prévue non pas par la Constitution mais par une loi, a cependant été abrogée par l'Assemblée nationale en 1998, à l'occasion de la modification de la loi sur la Cour constitutionnelle. Des débats parlementaires qui ont précédé l'adoption de cette loi, il ressort que le projet de modification avait été inspiré par le souci d'éviter que par la saisine des députés exercée a priori, la Cour ne limite la compétence législative de l'Assemblée ; en ce cas, en effet, les parlementaires ont estimé qu'inévitablement elle participait à la législation et partageait la responsabilité du législateur.

La loi sur la Cour constitutionnelle rend possible l'examen de la constitutionnalité des dispositions des traités internationaux avant leur ratification. Une telle initiative peut être prise par l'Assemblée nationale, le président de la République ou le Conseil des ministres. Aucune requête de ce genre n'a encore été introduite par une personne habilitée à le faire.

III. Examen du conflit d'un texte avec un traité international

La loi sur la Cour constitutionnelle permet de saisir la Cour également dans le cas où un texte attaqué est contraire à un traité international. À l'origine de cette possibilité la disposition constitutionnelle prévoit que l'État hongrois accepte les règles généralement reconnues du droit international et garantit l'harmonie des engagements juridiques internationaux et du droit national. Cette procédure peut être engagée à l'initiative d'organismes bien définis ou d'office par la Cour constitutionnelle. La Cour n'a été saisie que de peu de requêtes de ce genre jusqu'à présent.

Le conflit entre une norme et un traité international est, pour ce qui est de son utilisation, de caractère plutôt complémentaire ; elle permet d'examiner non seulement la conformité à la Constitution mais encore le conflit avec un traité international. Cette procédure pouvant être engagée d'office, la Cour constitutionnelle utilise cette possibilité pour comparer le droit national aux instruments internationaux des droits de l'homme et à la jurisprudence y relative. Depuis la promulgation en Hongrie, en 1993, de la Convention européenne des droits de l'homme, la Cour constitutionnelle suit de près l'activité des organes de Strasbourg et se réfère, de temps en temps, dans ces décisions, à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme (par ex. déc. 5/1999).

IV. Constatation de l'inconstitutionnalité en manquement

La Cour constitutionnelle peut constater qu'une situation inconstitutionnelle est créée du fait du manquement du législateur à légiférer. L'initiative d'une telle procédure peut être prise par n'importe qui et la Cour constitutionnelle peut également y procéder d'office. En cas de constatation de manquement, l'organe législatif est tenu de satisfaire à l'invitation de la Cour constitutionnelle à légiférer.

La Cour constitutionnelle a interprété dans plusieurs décisions la constatation de l'inconstitutionnalité en manquement. Ainsi, l'inconstitutionnalité en manquement peut-elle être constatée par la Cour constitutionnelle non seulement au cas où malgré l'invitation expresse de la Constitution, une certaine loi n'est pas adoptée, mais même en l'absence d'une telle obligation si toutes les garanties ne sont pas données pour le respect des droits fondamentaux, ou encore si la réglementation défectueuse met en danger la mise en oeuvre constitutionnelle du droit (déc. 37/1992, déc. 22/1995). Dans une autre décision, la Cour constitutionnelle indique qu'un manquement en violation de la Constitution peut être constaté non seulement au cas où il n'existe aucune règle sur le sujet donné mais encore en l'absence, dans le contenu d'une réglementation de dispositions déductibles de la Constitution (déc. 29/1997). En interprétant cette compétence, la Cour constitutionnelle conclut, dans une décision ultérieure, qu'une réglementation portant atteinte à la sécurité juridique peut également être à la base d'une constatation d'inconstitutionnalité en manquement (déc. 4/1999).

Dans ce domaine de compétences, la Cour constitutionnelle a pris plusieurs décisions importantes : elle a par exemple, en raison de l'absence de règles précises, constaté l'inconstitutionnalité de la loi sur le référendum national (déc. 2/1993); elle a constaté, à plusieurs reprises, des manquements relatifs au règlement de l'Assemblée nationale en ce qu'il méconnaissait les garanties d'une procédure législative conforme à la Constitution (par ex. déc. 29/1997).

Quand elle constate l'inconstitutionnalité en manquement, la Cour constitutionnelle invite le législateur à remplir son obligation de légiférer.

V. Examen de l'exception d'inconstitutionnalité

Après avoir épuisé toutes les autres voies de recours, toute personne ayant subi un préjudice du fait de l'application d'un texte inconstitutionnel en violation de ses droits garantis par la Constitution peut invoquer devant la Cour constitutionnelle l'exception d'inconstitutionnalité. Un tel recours peut être introduit dans un délai de soixante jours à compter de la réception de la décision définitive. Dans le cas de l'exception d'inconstitutionnalité, il s'agit, une fois de plus, d'un contrôle a posteriori de normes, au sujet d'une affaire individuelle ; en effet, la Cour constitutionnelle contrôle là aussi la constitutionnalité du texte appliqué en l'espèce et non pas la question de savoir si un jugement de tribunal ou une décision administrative porte atteinte ou non à un droit constitutionnel du requérant. La Cour constitutionnelle hongroise ne peut remédier au préjudice subi par le requérant que dans la mesure où elle interdit dans le cas d'espèce l'application du texte jugé inconstitutionnel.

La constatation de l'inconstitutionnalité d'un texte examiné n'entraîne pas pour autant, automatiquement, l'interdiction de l'appliquer (par ex. déc. 59/1993). La Cour constitutionnelle apprécie l'ensemble des aspects d'une affaire : et notamment la question de savoir si la non application de la norme à l'espèce constitue « un intérêt particulièrement important » pour le requérant.

L'amendement en 1999 de la loi III de 1952 sur la procédure civile permet au requérant de demander la réouverture du procès, le réexamen de son affaire par les tribunaux au cas où sur la base de sa requête, l'inconstitutionnalité du texte attaqué est constatée par la Cour constitutionnelle avec effet rétroactif pour l'affaire concrète. L'exception d'inconstitutionnalité est devenue ainsi, malgré la rareté des requêtes introduites sur ce fondement, une véritable voie de recours.

Dans le cadre de l'exception d'inconstitutionnalité, la Cour constitutionnelle peut examiner également la constitutionnalité des normes abrogées (déc. 51/1998).

Si les exceptions d'inconstitutionnalité ne représentent qu'environ 1 % de l'ensemble des requêtes introduites cela s'explique par le fait que les conditions d'introduction en sont particulièrement strictes.

VI. Règlement de certains conflits de compétence

La Cour constitutionnelle est compétente pour régler les conflits d'attribution qui s'élèvent entre autorités d'État, entre collectivités locales, aussi bien qu'entre autorités d'État et collectivités locales. Le nombre des requêtes de cette espèce est cependant négligeable.

Cette compétence de la Cour constitutionnelle pour régler les conflits d'attribution ne s'applique pas au règlement des conflits constitutionnels entre les différentes branches du pouvoir (conflits constitutionnels par exemple entre le gouvernement et le président de la République) et, de ce fait, les affaires de ce genre sont examinées dans le cadre des autres compétences (contrôle a posteriori des normes, interprétation abstraite de la Constitution) de la Cour constitutionnelle (déc. 36/1992).

Par la nature même de cette compétence, le règlement de conflits d'attribution s'applique à des affaires de moindre importance ; il est revenu, par exemple à la Cour constitutionnelle de désigner quelle était l'autorité compétente dans des conflits entre le secrétaire général de mairie de la commune et le service d'hygiène publique (déc. 911/F/1998) ou le secrétaire général de mairie de la commune et l'inspection pour la protection de l'environnement (déc. 503/F/1997).

VII. Interprétation des dispositions de la Constitution

Chacune des décisions de la Cour constitutionnelle aboutit nécessairement à l'interprétation de telle ou telle disposition de la Constitution. Cependant la loi investit la Cour constitutionnelle de l'interprétation, de façon abstraite, et indépendamment de tout cas concret, de certaines dispositions constitutionnelles à la demande d'organismes bien définis. Peu de cours constitutionnelles ont cette compétence. Même si les initiatives de ce genre sont plutôt rares (leur nombre n'atteignant même pas 1 % de l'ensemble des requêtes), elles jouent un rôle important du point de vue du droit constitutionnel. En 1991 et 1992, la Cour constitutionnelle consacre, par exemple, deux de ses décisions à l'interprétation des compétences constitutionnelles du président de la République (déc. 48/1991 et 36/1992). Une interprétation abstraite du droit de propriété et de l'interdiction de la discrimination définit les cadres constitutionnels de la législation relative à la compensation (déc. 21/1990). Pour l'interprétation abstraite de la Constitution, la Cour constitutionnelle pose une condition restrictive : toute requête doit concerner un problème concret de droit constitutionnel ; la Cour écarte ainsi le risque d'assumer la responsabilité du législateur ou du gouvernement.

L'une des décisions d'interprétation de la Constitution a été prise, ces dernières années, à l'initiative du président de la Cour suprême. Le président de la Cour suprême cherchait à répondre à la question de savoir si des enfants mineurs pouvaient être membres d'associations de protection juridique de personnes homosexuelles. Dans sa décision, la Cour constitutionnelle a procédé à l'interprétation des dispositions constitutionnelles relatives à la protection de l'enfant et au droit d'association (déc. 21/1997). D'une grande importance a été également la décision prise à l'initiative du commissaire parlementaire des droits civiques (ombudsman) et interprétant, du point de vue du droit au logement, la disposition constitutionnelle proclamant le droit à la sécurité sociale. La Cour constitutionnelle a déclaré, que le droit à la sécurité sociale stipulé par la Constitution prévoit la garantie par l'État d'un niveau minimal de conditions de vie assuré par les prestations sociales. Bien que l'on ne puisse déduire de cette garantie aucun droit concret (par ex. le « droit au logement »), la Cour constitutionnelle a constaté, que la protection constitutionnelle de la vie et de la dignité humaines implique de la part du législateur la mise en place de prestations garantissant ces exigences. Ainsi l'État doit assurer les conditions fondamentales de l'existence humaine et notamment, en cas d'absence de domicile, un hébergement pour écarter le danger menaçant directement la vie humaine (déc. 42/2000).

Dans le cadre de sa compétence d'interprétation de la Constitution, la Cour constitutionnelle a rendu vingt et une décisions en dix ans.

VIII. Autres procédures

La Constitution investit la Cour constitutionnelle de la compétence d'instruire tout procès intenté contre le président de la République, de juger les actes commis par ce dernier. La Cour constitutionnelle est également compétente pour émettre un avis sur les propositions gouvernementales faites à l'Assemblée nationale visant à dissoudre des conseils de collectivités locales pour fonctionnement contraire à la Constitution. La loi sur la Cour constitutionnelle stipule que d'autres lois peuvent également attribuer certaines procédures à la Cour constitutionnelle. Ainsi, la loi C de 1997 sur la procédure électorale précise et étend la compétence de la Cour constitutionnelle en matière de référendum national. En cette matière, la Cour constitutionnelle devient une voie de recours, la loi ordonne une procédure en amont. Il revient à la Cour constitutionnelle investie de cette compétence d'apporter une réponse définitive à la question de savoir si telle ou telle question peut faire l'objet d'un référendum (la Constitution définit les domaines qui ne peuvent faire l'objet de référendum) ou encore si une décision parlementaire ordonnant ou refusant d'ordonner un référendum est conforme à la Constitution. C'est dans ce cadre que la Cour constitutionnelle a qualifié d'inconstitutionnelles les initiatives de référendum visant à rétablir la peine de mort (déc. 11/1999) ou à modifier la forme du régime de l'État (déc. 28/1999). Ces décisions rejoignent la position de la Cour constitutionnelle exposée précédemment, dans un autre domaine de ses compétences, et selon laquelle aucun référendum ne peut viser l'amendement de la Constitution (déc. 2/1993).