Page

Les systèmes électoraux dans les Constitutions des pays de l'Union européenne

Jean-Claude COLLIARD - Membre du Conseil constitutionnel, Professeur à l'Université Paris I

Cahiers du Conseil constitutionnel n° 13 (Dossier : La sincérité du scrutin) - janvier 2003

Si la définition de la démocratie, au sens où nous l'entendons aujourd'hui, est plus difficile à établir qu'il n'y paraît, et peut-être même impossible à écrire de façon concise, il y a au moins un point sur lequel tous s'accordent : l'attribution du pouvoir par le jeu d'élections libres et disputées. Ce n'est sans doute pas suffisant, car reste le problème de savoir si la volonté de l'électeur se traduit effectivement ou se perd dans les arcanes du jeu évoqué, mais c'est essentiel.

Et si la Constitution fixe le statut du pouvoir dans l'État, suivant la formule classique de Georges Burdeau, elle devrait déterminer de façon aussi précise que possible les conditions mêmes de l'attribution de ce pouvoir, autrement dit les modalités d'organisation de ces élections qui vont en être le fait générateur.

On se propose donc de regarder ici comment et dans quelle mesure les constitutions déterminent les règles électorales, en limitant l'exercice aux pays de l'Union européenne. Remarquons tout de suite que ces quinze pays ont tous adopté le régime parlementaire, défini par le critère juridique de la responsabilité du gouvernement devant le Parlement, laquelle oblige, on le sait bien, à ce que le gouvernement reflète avec exactitude, généralement dans sa composition même, une majorité parlementaire constituée par un ou si nécessaire plusieurs partis. Si ce caractère a pu être discuté pour la Ve République, trois cohabitations successives, pour ne prendre que cette référence, ont montré que oui, décidément, la composition de l'Assemblée nationale était l'élément déterminant dans l'attribution du pouvoir gouvernemental. Et donc, pour répondre à la question posée on peut se contenter de retenir ce qui concerne les élections parlementaires en laissant de côté les dispositions relatives à l'élection présidentielle là où elle existe(1), celles concernant les pouvoirs locaux et même celles qui s'appliquent aux Chambres dites hautes par tradition puisque n'existe plus devant elles, sauf en Italie, la mise en cause de l'existence du gouvernement.

Si l'on regarde ainsi les textes constitutionnels stricto sensu on peut relever une grande parenté dans les caractéristiques du suffrage mais aussi une grande variété dans la détermination du mode de scrutin, ce qui explique pour une bonne partie la diversité des effets que l'on peut constater.

I. Les caractéristiques du suffrage

On peut ranger là d'une part les principes fondamentaux relatifs à l'exercice du droit de vote et d'autre part la question de la périodicité avec laquelle il est exercé.

Les principes fondamentaux sont parfaitement et totalement communs. Dans un article faisant le bilan de dix ans d'expérience de la Commission de Venise dans le domaine électoral, Pierre Garrone a recensé ce qui dans le « patrimoine électoral européen » (2) relève des principes constitutionnels du droit électoral : le suffrage universel, égal, libre, secret et direct. Les constitutions européennes contiennent pour la plupart ces principes, sans que l'on puisse garantir que ce dépouillement (3) soit exhaustif car ces principes sont parfois dispersés dans des articles différents. L'Allemagne (art. 38), l'Autriche (art. 26), l'Espagne (art. 68), la Suède (art. 1 et ch. III-1) proclament effectivement ces cinq principes, d'autres se contentent de quatre (le Portugal où l'article 10 ne mentionne pas le caractère libre, même si celui-ci peut bien entendu se déduire d'autres dispositions), voire trois seulement, ainsi la Belgique (art. 61 et 62) ou le Danemark (art. 31) qui mentionnent universel, secret et direct, même si les autres caractéristiques existent évidemment aussi.

Si l'on essaye de faire le dépouillement dans l'autre sens, on constatera que c'est le principe du secret qui est le plus fréquemment mentionné (quatorze cas en admettant qu'il figure dans la Constitution coutumière du Royaume-Uni, la seule exception étant le Luxembourg) puis le caractère direct (treize cas), universel (douze), égal (neuf), libre n'apparaissant que dans cinq cas. Mais précisons que bien entendu, même s'ils ne sont pas formellement proclamés dans l'article qui traite du droit de vote, tous ces principes sont évidemment reconnus avec une valeur constitutionnelle égale.

On remarquera que la Constitution française semble être la seule à considérer que, si le suffrage « est toujours universel, égal et secret », il « peut être direct ou indirect » (art. 3), l'article 24 précisant que l'Assemblée nationale est bien élue au suffrage direct. Et on ajoutera qu'un caractère supplémentaire est parfois affirmé, celui de l'obligation que l'on trouve en Belgique (art. 62) et en Grèce (art. 51-5), tandis que la Constitution italienne se contente de souligner que l'exercice du vote « est un devoir civique ». L'obligation signalée aussi au Danemark et au Luxembourg (4) ne semble pas être posée dans le texte même de la Constitution.

En ce qui concerne les principes c'est donc ce seul ajout de l'obligation qui peut distinguer certains États européens des autres ; pour le reste il y bien patrimoine commun, même si les formulations nationales sont plus ou moins précises.

La périodicité des élections, autrement dit la question de la durée du mandat de la Chambre, est également fixée, en règle générale, par la Constitution, la Constitution du Portugal ajoutant aux principes ci-dessus que le vote doit être périodique (art. 10 et 116).

La durée retenue par la plupart est de quatre ans, ce pour dix pays : Allemagne (art. 39), Autriche (art. 27), Belgique (art. 65), Danemark (art. 32), Espagne (art. 68), Finlande (art. 24), Grèce (art. 53), Pays-Bas (art. 52), Portugal (art. 174) et Suède (ch. III-3).

Trois autres textes constitutionnels prévoient quant à eux un mandat de cinq ans : la Grande-Bretagne (Parliament Act de 1911 modifiant l'Act de 1715 qui prévoyait sept ans), l'Italie (art. 60) et le Luxembourg (art. 56) qui a pu ainsi prendre l'habitude de tenir le même jour élections nationales et élections européennes. Quant à l'Irlande si l'article 16-5 prévoit que la même assemblée « ne continuera pas à siéger plus de sept ans à partir de la date de sa première séance », c'est pour préciser aussitôt que « la loi peut fixer une période de législature plus courte » ; de fait la durée est maintenant établie à cinq ans. C'est aussi la solution française mais qui n'est pas contenue dans la Constitution puisque l'article 25 se contente de renvoyer à une loi organique pour fixer « la durée des pouvoirs de chaque Assemblée », et le principe des cinq ans sera fixé par l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique relative à la composition et à la durée des pouvoirs de l'Assemblée nationale.

Au total donc cinq mandats de cinq ans et dix mandats de quatre ans qui semblent pouvoir être considérés comme une limite difficile à franchir puisque la Suède, qui avait choisi un mandat très court de trois ans dans la refonte constitutionnelle de 1970, y a renoncé pour revenir à partir de 1994 à quatre ans. Naturellement cette durée peut être abrégée par l'exercice du droit de dissolution qui existe partout, même si les conditions de son exercice sont différentes et plus ou moins exigeantes, sujet que l'on n'abordera pas davantage ici (5).

Mais si jusque là les ressemblances sont très fortes, les divergences se font jour lorsqu'il s'agit de passer au stade suivant, c'est-à-dire à la détermination des règles qui font passer de l'expression du suffrage au choix des représentants.

II. La détermination du mode de scrutin

La première question est naturellement celle de la logique utilisée, majoritaire ou proportionnelle ; le choix de la seconde amène à poser le problème du mode de calcul car il y a presque autant de proportionnelles différentes que de pays concernés. Enfin, dans l'un et l'autre cas, le découpage d'éventuelles circonscriptions est une variable qui peut être déterminante.

Pour ce qui est de la logique, la grande division reste celle qui existe entre une logique proportionnelle et une logique majoritaire. La première l'emporte très largement dans les pays de l'Union puisque le principe de la représentation proportionnelle est posé dans la Constitution de dix États : l'Autriche (art. 26), la Belgique (art. 62), le Danemark (art. 31), l'Espagne (art. 68), la Finlande (art. 25), l'Irlande (art. 16), le Luxembourg (art. 51), les Pays-Bas (art. 53), la Suède (ch. III-8) et enfin le Portugal (art. 116 et 155). Dans ce dernier cas la proportionnelle est même sacralisée puisqu'elle ne peut être mise en cause par une révision constitutionnelle (art. 288, limites matérielles de la révision, point h). En revanche les autres constitutions sont muettes sauf à considérer, ce qui est tout à fait possible, que la Constitution coutumière du Royaume-Uni donne valeur constitutionnelle au scrutin uninominal à un tour, le fameux FPTP (First past the post), mais sous cette réserve, aucune constitution ne consacre le principe majoritaire et elles renvoient à la loi la détermination du mode de scrutin. Ainsi, en Allemagne, l'article 38-3 prévoit que les modalités de l'élection seront réglées par une loi fédérale, comme en Grèce l'article 54, même si l'indication du « nombre de députés par circonscription » et de la possibilité d'instituer pour une partie de la Chambre une circonscription nationale sont autant d'indications pour la proportionnelle. De fait la loi électorale grecque, souvent modifiée, sera toujours principalement proportionnelle, la loi allemande l'étant toujours même si la technique du double vote permet une proportionnelle personnalisée.

En Italie, l'article 56 est muet même s'il laisse entendre que les circonscriptions seront plurinominales et penche ainsi vers la proportionnelle : de fait la règle sera proportionnelle jusqu'à ce qu'un référendum abrogatif amène à adopter à partir des élections de 1994 un système mixte, cas unique dans l'Union (6), dans lequel 475 députés sont élus au scrutin majoritaire uninominal à un tour et 155 à la proportionnelle sur des listes régionales ; le simple énoncé de ces chiffres montre que c'est la logique majoritaire qui est désormais dominante et il a d'ailleurs été proposé d'abolir la part proportionnelle, mais les référendums abrogatifs qui tentent de le faire échouent les 18 avril 1999 et 21 mai 2000 puisque, si la réponse est très largement favorable à l'abrogation, la participation n'atteint pas les 50 % des électeurs nécessaires pour que la décision soit valide.

Le cas de la France est assez curieux du point de vue de la technique juridique puisque, si l'article 25 de la Constitution renvoie à une loi organique la détermination du nombre des membres de l'Assemblée, il ne dit rien du régime électoral que l'article 34 attribue à la loi ordinaire, alors que cet élément a certainement plus d'importance que le précédent. Pour cette raison, lorsqu'il rétablit en 1986 le scrutin majoritaire (7), le gouvernement de Jacques Chirac, qui n'était pas sûr de trouver la majorité nécessaire pour une loi organique, conserve les 577 sièges prévus par la loi proportionnelle de 1985.

Le bilan total, outre qu'il fait ressortir le curieux silence des constitutions sur la logique majoritaire, montre que le principe proportionnel est proclamé ou pratiqué par douze États de l'Union alors que deux seulement ont un système majoritaire, à un tour en Grande-Bretagne, à deux tours en France, l'Italie connaissant donc un système mixte qui à dire vrai est à forte dominante majoritaire.

La question des modes de calcul, importante dans la représentation proportionnelle, se pose donc dans douze pays et elle est réglée de façon différente. À vrai dire il est rare que la question soit résolue au niveau de la Constitution qui renvoie là généralement à la loi électorale sauf au Luxembourg (art. 51.5 : le principe du plus petit quotient électoral), en Suède (ch. III-8-3 la méthode des nombres impairs avec ajustement à 1,4) et surtout au Portugal où l'article 155 prévoit expressément « la méthode de la plus forte moyenne de Hondt » avant de proscrire l'instauration d'un seuil minimal.

Sans entrer dans des détails compliqués (8) on signalera qu'est principalement retenue la classique méthode d'Hondt (division des suffrages obtenus par chaque liste par 1... 2... 3... 4..., etc. et attribution dans l'ordre décroissant des quotients jusqu'à concurrence du nombre de sièges à pourvoir), soit expressément, soit par un mode de calcul qui donne exactement les mêmes résultats. Il en va ainsi en Autriche, en Belgique, en Espagne, en Finlande, au Luxembourg, aux Pays-Bas et au Portugal.

Les pays scandinaves, très attachés à une proportionnalité aussi exacte que possible préfèrent une autre méthode par diviseur, celle dite de Sainte-Lagüe ajustée, où les diviseurs sont les nombres impairs, l'ajustement étant dans le choix du premier diviseur à 1,4 suivi donc de 3... 5... 7..., etc. ce qui avantage évidemment les partis moyens, puisque leur premier quotient a plus de chances de l'emporter sur les quotients concurrents des grands partis, divisés par 3... 5... 7... au lieu de l'être par 2... 3... 4, etc. (9).

Restent quelques cas particuliers et fort complexes : l'Irlande avec le système de Hare (vote unique transférable dit single transferable vote ou SVT), la Grèce avec une proportionnelle dite ajustée qui favorise les grands partis à tel point qu'il a fallu ajouter en 1993 une clause de « normalisation » qui garantit aux petits partis une proportion en sièges égale à au moins 70 % de leur proportion en voix. On n'en dira pas plus car il faudrait plusieurs pages pour exposer avec une précision qui resterait relative les subtilités de l'un et de l'autre. En revanche on insistera sur le dernier cas, celui de l'Allemagne, car le système est souvent présenté, à tort, comme mixte, alors qu'il est en réalité totalement proportionnel. Certes il y a deux votes et la moitié des membres du Bundestag est élue au scrutin uninominal à un tour mais l'autre moitié est attribuée non pas à la proportionnelle mais de manière à ce que l'ensemble soit proportionnel. Le résultat final de ce système dit de Hare-Niemeyer est que chaque parti a une proportion de sièges aussi proche que possible de la proportion des voix qu'il a recueillies sur le territoire fédéral. Il s'agit des secondes voix, celles exprimées sur les listes servant à la compensation proportionnelle. En fait la proportionnalité est légèrement atténuée par deux éléments, d'abord l'existence d'une barre minimale de 5 % calculée au niveau fédéral (elle sera fatale au PDS en 2002) qui permet aux partis qualifiés de se partager les dépouilles de ceux qui ne le sont pas, et ensuite celle des Überhangmandate qui a pris ces dernières années une importance particulière. On peut traduire le terme par mandats de surreprésentation ou de surattribution et ils se rencontrent lorsqu'un parti a obtenu dans un Land, par le jeu des premières voix, plus de mandats directs que le nombre qui aurait dû être le sien en raison de la proportion de ses secondes voix qui détermine comme on l'a dit la répartition finale. En ce cas il garde ces mandats supplémentaires et le nombre de membres du Bundestag s'en trouve légèrement augmenté : 13, tous SPD en 1998, ce qui permet à la coalition gouvernementale avec 341 sièges de dépasser la majorité absolue de 335, et 5, 4 SPD et 1 CDU en 2002 où la coalition a 306 sièges pour une majorité absolue de 302, on voit l'importance du phénomène. La cour constitutionnelle de Karlsruhe, saisie du problème, n'a pas déclaré l'existence de ces mandats contraire à la Constitution et a refusé par un vote partagé, quatre contre quatre, que leur soient obligatoirement adjoints des mandats de compensation (Ausgleichmandate) ce qui se pratique pour les élections locales dans certains Länder (10).

Cette diversité dans les modes de calcul se retrouve dans la question plus importante encore du découpage des circonscriptions.

Le nombre de sièges à répartir par circonscription est, comme l'a prouvé Douglas W. Rae (11), le facteur essentiel de la proportionnalité d'un système. On peut montrer sans peine que dans une circonscription ou 100 sièges sont à répartir un parti est certain d'être représenté lorsqu'il obtient 1 % des voix (s'il n'y a pas de barre minimale) alors que s'il y a quatre sièges à pourvoir il faudra sans doute qu'il dépasse les 20 %; d'une manière générale la limite théorique de non-représentation est donnée par la formule L = [100 % / (n + 1)] - 1 où n est le nombre de sièges à pourvoir.

Ce que l'on peut appeler amplitude ou magnitude (terme de Douglas W. Rae) est donc déterminant. Si les constitutions n'en parlent pas avec précision il est fréquent qu'elles posent le principe d'égalité démographique pour les circonscriptions en prévoyant que le nombre des sièges doit être proportionnel aux chiffres des populations concernées et en ajoutant souvent quelques précisions pour des régions et qui du fait de leur faible peuplement pourraient se trouver écartées de la représentation. Ces principes du découpage se trouvent ainsi dans les constitutions d'Autriche (art. 26), de Belgique (art. 63), du Danemark (art. 31), d'Espagne (art. 68), de Finlande (art. 25), de Grèce (art. 54), d'Irlande (art. 16), d'Italie (art. 56), du Luxembourg (art. 51-6), du Portugal (art. 152) et de la Suède (ch. III-6). Les cours constitutionnelles ont été amenées à veiller au respect de ce principe, ainsi la Cour constitutionnelle allemande (décision du 22 mai 1963), voire à le poser, ainsi le Conseil constitutionnel dans ses décisions 8 et 23 août 1985, Nouvelle-Calédonie et 1-2 juillet 1986, Loi sur le rétablissement du scrutin majoritaire.

Sans entrer dans le détail complexe de l'allocation territoriale des sièges (12), on signalera quelques traits saillants pour les pays concernés. La circonscription nationale (une seule pour les 150 sièges à pourvoir) n'existe qu'aux Pays-Bas, mais il faut ajouter qu'arrivent pratiquement au même résultat la méthode de calcul des sièges au niveau national utilisée en Allemagne et la circonscription nationale de compensation utilisée en Suède (39 sièges ajoutés aux 310 répartis) et au Danemark (40 sièges ajoutés aux 139 répartis). Pour les autres pays, l'amplitude est extrêmement variable : si l'on retient le critère de l'amplitude moyenne proposée par Douglas W. Rae, soit le nombre total de sièges divisé par le nombre total de circonscriptions, critère qui n'est pas très satisfaisant mais on n'a pas encore trouvé mieux, il peut être relativement élevé (15,2 au Luxembourg, 13,3 en Finlande, 10,7 au Portugal) ou plus faible (6,7 en Espagne, 4,0 en Irlande), pour ne citer que les cas où le calcul est simple. La proportionnalité s'en trouve évidemment affectée comme on le verra plus loin.

Pour terminer sur ce point il faudrait ajouter que le principe d'égalité démographique suppose, pour être maintenu, qu'une refonte périodique soit effectuée et pour ce qui est du découpage, notamment pour le scrutin majoritaire, qu'il soit réalisé dans des conditions qui garantissent son caractère objectif, par exemple en le confiant à une commission indépendante (ainsi les Independant Boundary Commissions au Royaume-Uni). On n'en dira pas plus sur cette question qui mériterait une étude à elle toute seule, préférant pour finir montrer quel est l'effet des dispositions électorales relatées.

III. La diversité des effets

Puisqu'on sort ici des dispositions constitutionnelles, on ne traitera ce point que rapidement, même s'il est évident que tout ce qui vient d'être dit n'a d'intérêt que par rapport aux conséquences produites sur la représentation.

Toute représentation, parce qu'elle consiste par essence à réduire la diversité qui caractérise plusieurs millions d'électeurs à celle, forcément moins élevée, qui sera incarnée par quelques centaines de représentants, emporte une déformation de l'opinion. L'éternelle question, qui ne sera sans doute jamais résolue, est de savoir s'il faut tendre à respecter au mieux cette diversité, quitte à avoir un Parlement très fractionné et des difficultés pour y faire apparaître clairement une majorité, ou s'il faut accepter, voire renforcer la déformation, pour créer une majorité et favoriser ainsi la gouvernabilité. Et c'est là que, par delà les principes communs, les philosophies divergent entre les États de l'Union. Si tous les systèmes électoraux aboutissent à la surreprésentation du premier parti, ils résolvent dans des termes différents le problème central de la majorité.

La surreprésentation du premier parti aux dernières élections

PaysDate des électionsSR 1SIT 2
France9-16 juin 2002UMP + 31,9PS + 2,6
Royaume-Uni7 juin 2001Trav. + 19,5Conserv. - 7,5
Italie13 mai 2001M. Lib. + 8,9Oliv. + 4,2
Grèce9 avril 2000PASOK + 8,9ND - 1,0
Espagne12 mars 2000PP + 7,7PSOE + 1,6
Irlande17 mai 2002FF + 7,6FG - 3,7
Portugal17 mars 2002PSD + 5,6PS + 3,8
Allemagne22 septembre 2002SPD + 3,1CDU/CSU + 2,6
Belgique13 juin 1999Lib. + 3,0CS + 1,3
Luxembourg13 juin 1999CS + 2,7Soc. - 2,4
Finlande21 mars 1999SD + 2,6Centre + 1,6
Autriche3 octobre 1999SPÖ + 2,3FPÖ +1,5
Suède15 septembre 2002SD + 1,4Conserv. + 0,7
Danemark20 novembre 2001Lib. + 0,7Soc. + 0,6
Pays-Bas15 mai 2002CDA + 0,7Pop. + 0,4
Moyenne+ 7,1+ 0,4

Le tableau que l'on a dressé selon un procédé très simple montre cette surreprésentation du premier parti en calculant, pour chaque pays et pour sa dernière élection, la différence en points de pourcentage entre sa proportion de voix et sa proportion de sièges (colonne SR 1 ou surreprésentation du premier parti); on y a ajouté la situation du 2e parti (SIT 2) qui est généralement le principal parti d'opposition pour apprécier si c'est lui qui fait les frais de l'opération.

On voit clairement que les effets supposés se vérifient : la surreprésentation du premier parti est générale, elle s'établit en moyenne à 7,1 points, en étant beaucoup plus forte pour les scrutins majoritaires (+ 20,1 en y comptant l'Italie) que pour les scrutins proportionnels (+ 3,9). Ce sont en effet, sans surprise, les scrutins majoritaires qui arrivent en tête : d'abord le système à deux tours puisque le parti gagnant se nourrit d'une part de sa victoire absolue sur l'autre coalition, d'autre part de sa victoire relative sur ses alliés (le même phénomène aurait existé pour le PS si on avait pris en compte les élections de 1997), ensuite le système britannique à un tour, enfin l'Italie où la prime majoritaire est réduite par le fait qu'un quart des sièges est réparti à la proportionnelle. Quant aux scrutins proportionnels, les différences s'expliquent par le caractère « majoritarisant » de certains d'entre eux (proportionnelle renforcée en Grèce, faible amplitude des circonscriptions en Espagne et en Irlande, etc.) ou, au contraire, la volonté de donner autant que faire se peut sa juste part à chacun (circonscription nationale aux Pays-Bas, compensation nationale en Suède et au Danemark, diviseurs de Sainte-Lagüe ajustés dans ces deux derniers cas, etc.).

Jusqu'à la moitié du tableau (Portugal) on peut considérer que le mode de scrutin aide grandement le premier parti à obtenir une majorité : c'est d'ailleurs dans ces pays, et ceux-là seulement, qu'il est en mesure de gouverner seul ou pratiquement seul. Pour autant, sauf dans le cas du Royaume-Uni en raison de l'écart important qui existe actuellement entre conservateurs et travaillistes, ce n'est pas le second parti, principal parti de l'opposition qui paye la surreprésentation du premier, ce sont les autres, les petits qui sont éventuellement réduits. Mais après tout favoriser à la fois la majorité, renforcée, et l'opposition, confirmée, ce n'est pas si mauvais pour la démocratie !

La question de la gouvernabilité n'est cependant que partiellement résolue. Elle l'est bien, par l'obtention d'une majorité pour les sept premiers pays du tableau. Elle l'est encore, moins automatiquement, pour l'Allemagne où le système à deux voix favorise les accords électoraux (par un splitting vote entre les deux parties du bulletin) rapprochant un grand et un petit parti ayant l'intention de gouverner ensemble, ainsi ces dernières années les deux coalitions SPD-Verts et CDU/CSU-FDP dont l'une a, sauf succès d'un tiers (qui aurait pu être le PDS en 2002), la majorité.

Mais, en deçà, les proportionnelles, quelle que soit la méthode utilisée, n'incitent pas à l'alliance électorale et la formation du gouvernement, souvent longue et complexe (notamment aux Pays-Bas), relève alors de simples alliances parlementaires, évidemment plus fragiles. Cela conduit d'ailleurs à tempérer le sentiment que l'on peut avoir sur « l'exemplarité démocratique » de ces représentations très exactes car, revers de la médaille, cette précision même fait que la désignation du gouvernement procède moins de la volonté de l'électeur, renforcée certes par la loi électorale, que des combinaisons, le terme qui aurait pu rester arithmétique est devenu péjoratif, des partis et de leurs groupes parlementaires. Nous avons pu ainsi montrer (13) que dans trois cas certains pour ce qui concerne les récentes élections (Luxembourg, Belgique, Autriche qui figurent bien dans la deuxième partie du tableau), le corps électoral n'était pas clairement averti des résultats potentiels de son vote pour ce qui est du choix du gouvernement. On peut y ajouter d'ailleurs, à la lumière d'élections postérieures, les cas du Danemark et des Pays-Bas, ce qui amène à la quasi-totalité du bas du tableau, sous réserve de la Suède et de la Finlande, où existe une forte bipolarisation entre deux coalitions assez nettement circonscrites.

Cela conduit à ajouter, au risque d'affaiblir la démonstration, que le système électoral n'explique pas tout et qu'il peut se combiner avec d'autres éléments, notamment la polarisation du système politique, phénomène qui tend à se généraliser dans les conditions contemporaines du combat politique. Mais c'est à nouveau là une autre question que l'on n'abordera pas davantage.

Communauté des principes, variété des méthodes, diversité des effets, tels sont les traits que l'on a pu constater à l'occasion de ce rapide examen. On aura pu remarquer que les textes constitutionnels sont volontiers diserts sur le premier point mais moins sur le second en renvoyant à la loi beaucoup des modalités d'application.

Toutes ces règles cherchent, de manière différente, à assurer l'effectivité et la sincérité d'un scrutin qui va déterminer non seulement qui seront les représentants mais, par voie de conséquence, qui seront les gouvernants. Reste cependant à vérifier que la pratique électorale aura respecté les règles posées et ce rôle échoit parfois aux Cours constitutionnelles, que ce soit en première ou en dernière instance(14). Cet aspect, parmi d'autres, de la judiciarisation de la vie politique est présenté dans plusieurs contributions rassemblées dans ces Cahiers.

(1) Ce qui est plus fréquent qu'on ne le croit généralement en France : sur les huit Républiques de l'Union cinq élisent leur président au suffrage universel direct (Autriche, Finlande, France, Irlande, Portugal) et trois seulement par une assemblée parlementaire ou de type parlementaire (Allemagne, Grèce, Italie).
(2) Pierre Garrone, « Le patrimoine électoral européen, une décennie d'expérience de la Commission de Venise dans le domaine électoral », RD publ. 2001, n° 5, pp. 1417-1454.
(3) Établi à partir du précieux recueil de Constance Grewe et Henri Oberdoff, Les Constitutions des États de l'Union européenne, La Documentation française, 2e éd., 1999, 511 p. Et pour la Finlande d'après le texte de la nouvelle Constitution entrée en vigueur le 1er mars 2000.
(4) V. Christian Bidégaray, « Vote obligatoire » pp. 700-701, in Pascal Perrineau et Dominique Reynié, éd., Dictionnaire du vote, PUF, 2001, 997 p.
(5) Mais que l'on trouvera largement traité in Philippe Lauvaux, La dissolution des Assemblées parlementaires, Economica, 1983, 519 p (6) Mais qui s'est beaucoup développé ces dernières années, ainsi, par exemple au Japon, en Russie, en Andorre, etc.
(7) Loi déclarée non contraire à la Constitution, sous quelques réserves d'interprétation, par le Conseil constitutionnel dans sa décision des 1er et 2 juillet 1986.
(8) Que l'on pourra trouver, pour l'essentiel, dans l'ouvrage d'Antoine Pantélis et Stéphanos Koutsoubinas, Les régimes électoraux des pays de l'Union européenne, Londres, Esperia publications, 1998, 555 p.
(9) Sur ces méthodes (pp. 81-83) et d'une manière générale sur les aspects techniques des scrutins, v. le précieux livre de Pierre Martin, Les systèmes électoraux et les modes de scrutin, Montchrestien, « Points-politique », 2e éd., 1997, 160 p.
(10) Décision du 10 avril 1997, in Entscheidungen des BVG; 95 Band, vol. 1-3, pp. 335-407.
(11) V. Douglas W. Rae, The political consequences of electoral laws, New Haven and London, Yale University Press, 1967, 173 p.
(12) Et des procédés qui permettent de parvenir à une répartition équitable, sur lesquels on pourra consulter l'article très stimulant de Michel Balinski, « Répartitions des sièges », pp. 52-57, in Pour la science, avr. 2002.
(13) V. notre article : « L'élection du Premier ministre et la théorie du régime parlementaire », pp. 517-531, in « La République », Mélanges Pierre Avril, Montchrestien, 2001, 632 p.
(14) Pour un aperçu d'ensemble des divers modes de règlement des litiges électoraux ; v. Francis Delpérée, Le contentieux électoral, PUF, « Que sais-je ? » n° 3334, 1998, 128 p.