Les délibérations 1980 - 1983 : Grand témoin
Jean-Pierre CHEVÈNEMENT - Sénateur, ancien ministre
Cahiers du Conseil constitutionnel, hors série 2009 (25 ans de délibérations) - 30 janvier 2009
Monsieur le président du Conseil constitutionnel, Messieurs les présidents, Mesdames, Messieurs les conseillers, Mesdames, Messieurs les professeurs, Mesdames, Messieurs, je vais d'emblée troubler ce consensus, mais je ne ferai que poursuivre sur la ligne évoquée par Olivier Le Bot qui souligne l'ambivalence fondamentale de l'attitude du Conseil constitutionnel. Il est très ambivalent et cela se comprend très bien.
Vous me demandez de m'exprimer en tant que témoin. Comme l'a rappelé le président Valéry Giscard d'Estaing tout à l'heure, les dirigeants de la gauche n'étaient pas des partisans enthousiastes du contrôle de constitutionnalité, soit pour des raisons historiques tenant à la philosophie rousseauiste et jacobine qui a longtemps prévalu, soit pour des raisons d'opportunité. En 1974, Valéry Giscard d'Estaing voulait apparaître comme l'apôtre de la modernité et considérait que le droit de saisine offert à soixante députés ou soixante sénateurs, allait y contribuer.
Même si la gauche n'y était pas très favorable, elle s'est emparée de l'outil qu'on lui offrait. J'observe que, de 1974 à 1981, il y a 44 saisines dont l'une vient de la droite (l'IVG). Toutes les autres viennent de la gauche. Elle utilise donc largement l'outil. La droite va l'utiliser davantage encore puisque de 1981 à 1986, j'ai recensé 65 saisines. La loi a été déferrée devant le Conseil constitutionnel 37 fois, dans les deux derniers mois de 1981 jusqu'en 1983, c'est-à-dire en l'espace de deux ans et deux mois. C'est un travail à haute cadence et qui implique une productivité certaine de la part du Conseil constitutionnel.
Ces saisines ont porté sur des textes plus ou moins importants. Je m'étendrai plus particulièrement sur les deux décisions relatives aux lois de nationalisation parce que j'ai très tôt été à l'impulsion de cette politique et que j'ai été ministre de la Recherche et de la Technologie, puis ministre de l'Industrie, dans les années 1981 à 1983. J'ai donc une vue directe de la manière dont les choses se sont passées. D'autres lois ont également été soumises, par exemple les lois sur la décentralisation ou la loi sur la démocratisation du secteur public. D'autres enfin, moins importantes, bien que vitales, ont été soumises, par exemple sur le prix de l'eau.
J'observe que deux lois ont fait exception. La loi d'orientation pour la recherche que j'avais portée devant le Parlement et qui avait été adoptée le 15 juillet 1982 a échappé au courroux de l'opposition, ainsi que la loi portant sur l'abolition de la peine de mort qui n'a pas été déférée. Il n'en reste pas moins que cette ère est une ère de saisine systématique. Le Conseil constitutionnel travaille beaucoup. J'admire, au vu des archives que j'ai pu consulter, le travail considérable accompli, le rôle du doyen Vedel et celui, plus réservé mais efficace, du président Roger Frey. Ces saisines systématiques occasionnent un travail très lourd.
Le doyen Louis Favoreu fera remarquer que le Conseil constitutionnel, à l'époque, n'est pas encore tout à fait l'abri de la critique, ni de la majorité ni de l'opposition. L'opposition lui reproche d'être trop timide et bien entendu, la majorité lui reproche de se comporter comme une troisième chambre, d'instaurer un gouvernement des juges et de faire obstacle à la volonté populaire pourtant clairement affirmée.
Cette période va paradoxalement aboutir à une consolidation du rôle du Conseil constitutionnel dans le contrôle de fond, car il va acquérir les caractéristiques, comme il a été dit par Xavier Philippe, d'une véritable juridiction. On va donc voir sa fonction évoluer par rapport à celle qui lui avait été dévolue par la Constitution de 1958.
Le contrôle des deux lois de nationalisation – il y a un double contrôle, un contrôle à double détente – est particulièrement emblématique. Le travail dure neuf jours ; il y a eu neuf jours de délibération. C'est donc un très gros travail qui se fait sur le rapport du doyen Georges Vedel. La première décision, celle du 16 janvier 1982, va rendre le texte inapplicable, non pas que toutes les dispositions sont considérées comme n'étant pas conformes à la Constitution, mais suffisamment ne le sont pas pour que cela entraîne une inapplicabilité générale du texte. Ainsi, le Gouvernement va être obligé de revoir sa copie et de la soumettre une deuxième fois au Conseil constitutionnel qui déclarera ce texte conforme à la Constitution, le 11 février 1982.
Le contrôle vise quand même l'appréciation du législateur. Il faut dire les choses telles qu'elles sont. Le Conseil constitutionnel s'arroge pour la première fois le rôle de contrôler s'il y a ou non erreur manifeste d'appréciation. Il répond négativement, mais il a franchi le pas. Il s'est approprié une technique qui, jusqu'alors, était pratiquée par le Conseil d'État. Denoix de Saint-Marc m'approuve. De même, le Conseil constitutionnel va utiliser une autre technique utilisée par le Conseil d'État, celle de l'interprétation constructive. Il va définir les conditions qui font qu'un certain nombre de dispositions pourront être définies comme constitutionnelles. Cela va viser particulièrement les conditions d'indemnisation. Il va préciser, dans un très fin détail, la manière dont il faut calculer les indemnisations. Ainsi, le doyen Louis Favoreu était tout à fait légitime à dire : « Nous sommes aux bornes du contrôle de l'opportunité, du contrôle de constitutionnalité ».
Je suis donc moins longanime que l'ont été Xavier Philippe, Aurélie Duffy-Meunier et Olivier Le Bot. Je pense que le Conseil constitutionnel a côtoyé une limite. Il a d'ailleurs adopté la philosophie libérale qui est censée être consacrée par notre système juridique et politique. On peut en discuter puisque le droit de propriété est incontestablement dans la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen, mais le Préambule de 1946 et toute l'évolution historique avaient conduit à relativiser le droit de propriété. Cette question n'était pas réglée à l'intérieur même de la gauche. Puis, les proportions de la nationalisation étaient considérablement exagérées. Je rappelle que, même après les nationalisations de 1982, seulement 15 % des effectifs de l'industrie et 30 % de son chiffre d'affaires passaient sous contrôle public. La proportion restait donc très en faveur du « privé ».
Il n'en reste pas moins que le Conseil constitutionnel a marqué une orientation générale, importante pour l'avenir. Il n'a pas pris de décisions que concernant les nationalisations. Il s'est également prononcé sur la possibilité pour le Gouvernement de supprimer complètement le pouvoir de tutelle des préfets sur des collectivités locales. Ceux-ci doivent pouvoir saisir les tribunaux administratifs, ce qui a été accepté. Il a également pris la décision sur les quotas par sexe dont Robert Badinter a dit qu'elle était la plus importante jamais prise par le Conseil constitutionnel parce qu'elle fonde en quelque sorte la tradition constitutionnelle du principe d'égalité. Elle aura des conséquences sur la censure de la notion de peuple corse, sur la constitutionnalité de la charte européenne des langues régionales et minoritaires. C'est important.
Il faut le dire, aucune décision n'a été plus emblématique que celle concernant les nationalisations. Je vais vous en parler un petit peu, dans le faible temps dont je dispose encore. Je veux rappeler que les nationalisations répondaient à un projet argumenté. J'ai retrouvé tout à l'heure, un peu par hasard, les Cahiers du CERES, d'avril 1968, où de jeunes technocrates frais émoulus de l'ENA et de Polytechnique, qui ont fait de brillantes carrières à gauche et à droite, ont théorisé en quelque sorte les nationalisations comme le moyen de doter la France de grands groupes compétitifs à l'échelle mondiale et de mettre en œuvre des stratégies qui feraient que la France serait présente au premier rang dans la compétition mondiale.
Dans le projet socialiste de 1980, adopté en janvier et publié en février, on retrouve d'ailleurs une expression finalement très voisine. Je vais vous en lire les premières phrases : « Le secteur public élargi aux grands groupes sera le principal moyen d'impulsion et d'orientation de la politique industrielle. Demain, la présence dans les secteurs stratégiques de l'économie d'entreprises puissantes, dynamiques, inscrivant leur activité dans le cadre du plan, exercera sur l'ensemble du tissu industriel des effets d'entraînement décisifs ». Je vous fais grâce de la suite, mais c'est de la même eau.
C'est donc un projet qui a une certaine rationalité et, en même temps, c'est un mythe parce qu'on touche à l'appropriation collective des moyens de production, vieille idée socialiste, en tout cas depuis le programme de la CGT de 1920. Dans l'air, flottait encore le parfum du marxisme, à l'époque où il était encore, selon Jean-Paul Sartre, « l'horizon indépassable de notre temps ». Ça s'est déjà beaucoup dissipé depuis, mais c'était un mythe. La notion de mesure irréversible a eu cours dans un certain cercle du parti socialiste. Elle n'était pas partagée par tous, loin de là. En tout cas, c'était un débat idéologique rationnel et symbolique à la fois. Je crois qu'un député de gauche, André Laignel, dira que la lutte des classes était entrée pour la première fois au Palais Bourbon. À droite, on évoquera le Goulag, le Gosplan, etc. Certains avaient même parlé de chars soviétiques sur les Champs-Élysées, ce qui était sans rapport direct.
À gauche, on a surestimé ce qu'on pouvait attendre rapidement des nationalisations, mais on ne s'est pas trompé sur le moyen et long terme en disant qu'elles ont structuré durablement la modernisation de l'industrie française. La nationalisation de Péchiney, d'Usinor-Sacilor devenu Arcelor s'est malheureusement traduite, beaucoup plus tard, par la vente à l'étranger de ces deux grands groupes, mais les nationalisations de Rhône-Poulenc, Thomson devenu Thalès, Alcatel, ont permis de mettre en place la forme moderne qu'ont prise alors ces sociétés. Je passe rapidement sur Matra, Dassault et ITT qui ont fait l'objet de traitements spécifiques sur lesquels j'aimerais m'étendre – ce serait amusant – mais ce n'est pas le lieu.
À droite, le contexte émotionnel était fort. Un petit commando de parlementaires a multiplié les amendements (plus d'un millier). Autant que je m'en souvienne, il y avait Jacques Toubon, Michel Noir, peut-être Alain Madelin, François d'Aubert. Ils étaient extrêmement actifs. Contre eux, guerroyait Jean Le Garrec, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé de faire passer le projet.
Le Gouvernement s'était mis d'accord sur les grandes lignes du projet début septembre. On en avait parlé un peu en juillet. Début septembre, une réunion a eu lieu à Rambouillet et deux thèses se sont opposées. L'une était soutenue par Jacques Delors, Michel Rocard, Claude Cheysson, Robert Badinter et Pierre Dreyfus, à savoir une nationalisation à 51 %. Il y a eu une discussion sur le niveau auquel il fallait fixer le montant des dépôts pour que les banques fussent nationalisées. Cela n'avait pas grand intérêt parce que les trois grandes banques l'avaient été par le général de Gaulle en 1945. Il n'y avait plus que des banques d'une importance relativement modeste. Elles ne devaient faire que 10 à 15 % du total. La discussion s'est focalisée là-dessus.
De l'autre côté, les communistes, moi-même et un certain nombre d'amis proches de François Mitterrand tenaient sur la ligne d'une nationalisation à 100 %. La raison était simple, c'est que c'était plus pratique. On éteignait les contentieux, il n'y avait pas de minorité de blocage ni de procès. Je vous rappelle qu'on a nationalisé des holdings. Il fallait donc bien avoir le pouvoir dans les filiales. Si on avait 51 % dans la holding, on n'avait pas 51 % partout. On ne s'en serait donc pas sorti. François Mitterrand a très vite arbitré pour les 100 % et l'a fait savoir, ce qui a entraîné une grosse colère de Jacques Delors et de Michel Rocard. Je me suis laissé dire que plusieurs ministres sont venus voir Roger Frey à l'époque. C'est ce que racontent Pierre Favier et Michel Martin-Roland, dans un livre sur le septennat de François Mitterrand. Je ne vais jouer les petits rapporteurs, mais ils sont venus faire valoir qu'il pourrait y avoir beaucoup de procès, etc. Tout cela n'a pas eu beaucoup d'échos, mais disons que le Gouvernement était divisé.
Il y a eu la saisine du Conseil d'État qui a proposé d'utiliser pour l'indemnisation des actionnaires plusieurs critères et non pas un seul. Le Gouvernement était partisan d'utiliser le critère de la valeur en bourse ; le Conseil d'État voulait utiliser aussi le bénéfice net et les actifs nets. C'est ce qui a fini par se faire d'ailleurs. Le Conseil d'État a également introduit quelques réserves, fondées sur le principe d'égalité, concernant les banques étrangères. Le Gouvernement a passé outre pensant qu'il y avait un intérêt national à ne pas nationaliser les banques étrangères, pour éviter les mesures de rétorsion. Il y a eu des consultations juridiques, la bataille parlementaire, le 49-3 et la double saisine du Conseil constitutionnel.
La première décision exclut les banques mutualistes et coopératives. Elle pointe les pouvoirs excessifs accordés aux administrateurs généraux. Elle demande surtout le relèvement des indemnisations. Curieusement, dans les débats, il n'y a pas de chiffres qui soient donnés. Pour ma part, je me souviens – mais comme disait Valéry Giscard d'Estaing, la mémoire nous trompe – qu'en réalité, les corrections effectuées entraînaient quasiment le doublement du montant des indemnisations qui étaient de l'ordre de 31 ou 32 milliards et qui ont dû doubler. Bien que ce n'était pas fait pour cela, il n'en reste pas moins que, lorsque les privatisations sont intervenues, quelques années plus tard, en 1986-87, l'État en a tiré des sommes triples de celles qu'il avait investies. Autrement dit, il a réalisé une confortable plus-value. On peut aussi penser que la correction faite anticipait peut-être aussi sur les recapitalisations effectuées par l'État. J'étais ministre de l'Industrie à l'époque, j'apportais chaque année 15 milliards en recapitalisation à ces entreprises nationales.
Par ailleurs, des restructurations qui se faisaient d'ailleurs souvent dans mon bureau n'étaient pas absurdes, comme celle de la chimie de pointe. On a partagé, entre Elf-Erap, Rhône-Poulenc et l'EMC (Entreprise minière et chimique), les actifs de Péchiney Ugine Kuhlmann. Tout cela s'est passé très gentiment. Le téléphone est allé à Alcatel, l'électronique professionnelle à Thomson. Des éléments sains de rationalisation en ont résulté, sans discussion inutile.
Le Conseil constitutionnel a assez bien manœuvré. Il s'est situé dans un rapport de force politique. Il a voulu apparaître comme le juge de la constitutionnalité, à partir d'un bloc de constitutionnalité que vous connaissez, l'article 17 de la Déclaration des droits de l'Homme, en tenant compte quand même d'une marge de manœuvre étroite. On aurait pu imaginer que le Gouvernement décide de recourir, à un moment, à un référendum, si le Conseil constitutionnel avait été trop rétif à valider les lois de nationalisations. Il me semble que, dans les débats que j'ai lus, cela a été évoqué. Puis, il y a eu le contexte du congrès de Valence, considérablement amplifié par toutes les bulles médiatiques que nous connaissons. François Mitterrand avait indiqué à Paul Quilès qu'il fallait surtout éviter l'erreur de Robespierre qui avait dit que des têtes doivent tomber et qu'il fallait savoir dire lesquelles. Paul Quilès l'a interprété d'une manière qui n'était pas exactement celle que souhaitait François Mitterrand. Il y a eu une petite cacophonie. Je me flatte d'avoir eu un rôle plutôt modérateur en faisant l'éloge du brodequin plutôt que de l'escarpin quand il est chaussé par les socialistes.
En dehors de ces couacs inévitables dans une démocratie très médiatique, surtout à un moment très émotionnel, finalement, tout est rentré dans l'ordre assez vite, comme le notait Valéry Giscard d'Estaing tout à l'heure. Quand le Conseil constitutionnel a rendu sa deuxième décision, la loi a été déclarée conforme à la Constitution et on a payé rubis sur l'ongle.
En même temps, le président de la République a proclamé le principe de l'autonomie de gestion des entreprises nationales, ce qui ne faisait pas l'affaire du ministre de l'Industrie que j'étais. En effet, dans quel cadre allais-je pouvoir agir ? Il était difficile d'agir dans le cadre des contrats de plan. Disons que le débat de 1983 a tourné autour de deux questions qui concernaient l'orientation générale de la politique. Est-ce qu'une politique d'industrialisation et de développement pouvait se faire avec une monnaie trop forte ? Est-ce qu'elle impliquait la sortie du système monétaire européen ? C'était la question majeure qui a occasionné un débat extrêmement vif à l'intérieur du Gouvernement.
François Mitterrand, d'ailleurs, hésitait. Au départ, il était plutôt résolu à sortir du système monétaire européen, avec l'accord de Jean Riboud qui était son correspondant vis-à-vis de la banque Lazard et de certains milieux d'affaires américains. Il était soutenu par les communistes également, par Michel Jobert et par moi-même. Mais il y avait une forte opposition de Jacques Delors et de Pierre Mauroy, de la Commission de Bruxelles et d'Helmut Kohl qui venait d'arriver au pouvoir. Elle consistait à dire qu'il fallait rester dans le système monétaire européen dont Valéry Giscard d'Estaing nous avait fait cadeau en 1979 et que le parti socialiste, à l'époque, avait condamné. Finalement, au bout de quinze jours de tergiversations, la gauche a fini par accepter le système monétaire européen comme étant le cadre dans lequel elle allait désormais pratiquer cette politique de désinflation compétitive qui nous a conduits à l'Union économique et monétaire, sur quinze ans. C'est donc un choix de longue portée.
Je voudrais simplement relever la modernité du débat, avec le recul que donne le temps écoulé entre 1982 et 2009. Des problèmes comme le rôle de l'État dans l'économie, l'intervention de l'État au capital des entreprises, les contreparties que cela comporte : ces questions sont très actuelles, tout comme le rôle des grands programmes dans la relance, la manière dont on doit faire la relance. Quel est le rôle d'un ministre de la Relance ? C'est une question qui, à mon avis, n'est pas encore vraiment tranchée. Le président de la République évoque souvent l'exemple d'Alstom et le bien-fondé des décisions qu'il a prises en prenant une participation temporaire au capital. Il en a prévu une autre dans les Chantiers de l'Atlantique. Il a l'air de considérer que ce sont d'excellentes initiatives et moi aussi d'ailleurs. S'agissant d'Alstom, c'était une initiative de Jacques Chirac au départ, même s'il est revenu ensuite à Nicolas Sarkozy de la négocier avec Mario Monti, qui à l'époque, voulait nous obliger à vendre Alstom à Siemens et à fermer le site de Belfort. Il faut dire les choses telles qu'elles sont.
Tout cela est un débat très actuel parce qu'il pose le problème de l'équilibre entre le public et le privé, entre l'État et le marché, de l'impulsion de l'État, de la manière dont on fait un certain nombre de choix de longue portée d'autant plus nécessaires que nous sommes dans une crise profonde. Dans une crise profonde, on a besoin de voir loin et de fixer des objectifs à long terme.
Je pense que ceux qui ont été fixés à cette époque étaient loin d'être idiots. Je pense par exemple aux choix dans la filière électronique. Si nous n'avions pas arrêté les choix faits à ce moment-là, nous n'aurions pas SMT Microelectronics ni des entreprises importantes dans le domaine du téléphone ou de l'électronique professionnelle et nous n'aurions pas, dans la pharmacie, les positions qui sont aujourd'hui les nôtres. Il faut juger avec beaucoup de recul. On a attendu beaucoup de cette politique. On l'a aussi décriée excessivement. L'impulsion donnée a été incontestablement plus vigoureuse que celle qui existe aujourd'hui.
Le Conseil constitutionnel n'a pas pu empêcher cette impulsion. Il est entré dans un rapport de forces visant plutôt à la freiner. Il a marqué des limites, il a marqué le caractère fondamentalement libéral de la société française, mais en même temps, il n'a pas empêché cette politique. Il faut lui en savoir gré. Il a consolidé incontestablement son pouvoir en faisant en sorte que celui-ci ne soit plus contesté par ceux qui, la veille encore, le critiquaient. Pour lui, ce fut donc tout bénéfice.
L'ouverture des archives du Conseil constitutionnel représente un événement marquant pour la connaissance de l'histoire constitutionnelle et politique des vingt-cinq premières années de la Ve République. C'est le fruit d'une collaboration exemplaire entre le Conseil constitutionnel et l'Association française de droit constitutionnel
D'abord elle n'est possible en France, matériellement et juridiquement, que pour les archives d'une seule juridiction, le Conseil constitutionnel, d'autre part, à ma connaissance, aucune juridiction constitutionnelle n'a fait preuve d'un tel esprit d'ouverture, d'une telle transparence, pour employer une terminologie contemporaine. Le président Debré a initié ce travail et Marc Guillaume, secrétaire général du Conseil, a impulsé les recherches avec l'appui du service juridique.
Cet événement intervient à un moment clef de la vie du Conseil non seulement symboliquement le Conseil fête, comme les autres institutions de la Ve République, son 50e anniversaire, mais encore il est à la veille d'une nouvelle révolution alors que la révision de 2008 a enfin ouvert les portes à la procédure d'exception d'inconstitutionnalité ou question préjudicielle de constitutionnalité.
Durant les 25 années dont les délibérations sont dépouillées, se déroulent au fil des pages les évènements marquants de la vie du Conseil : la mise en place, la révolution de velours de 1971, la réforme de 1974, l'alternance de 1981, tout est en place alors que le rideau se ferme sur les années postérieures à 1983. Il restera à découvrir les évolutions et les novations de la jurisprudence constitutionnelle, à découvrir de nouvelles situations, de nouveaux personnages mais les règles auxquelles la pièce obéit sont écrites. Tout du moins jusqu'aux premières délibérations qui traiteront de questions préjudicielles.