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Le contrôle de constitutionnalité des lois constitutionnelles - Avant-propos

ARMEL LE DIVELLEC - Professeur de droit public à l'Université Paris II (Panthéon-Assas)

ANNE LEVADE - Professeure de droit public à l'Université Paris 12 (Université Paris-Est)

CARLOS MIGUEL PIMENTEL - Professeur de droit public à l'Université de Versailles – Saint-Quentin-en-Yvelines

Cahiers du Conseil constitutionnel n° 27 (Dossier : Le contrôle de constitutionnalité des lois constitutionnelles) - janvier 2010

De prime abord, il peut surprendre de consacrer un numéro des Cahiers du Conseil constitutionnel à un thème qui, en droit constitutionnel français, a toutes les allures d'un non-sujet.

En effet, la question du contrôle de constitutionnalité des lois constitutionnelles peut, au seul prisme franco-français, sembler ne pas devoir être posée puisque, à trois reprises sollicité, le Conseil constitutionnel a, par deux fois, conclu à son incompétence pour statuer(1) et, dans le troisième cas, rappelé que « le pouvoir constituant est souverain »(2).

Bien connues et abondamment commentées, les décisions n'en méritent pas moins d'être évoquées dans la mesure où, relatives à des textes de nature différente, elles ont, en trois temps, contribué à l'affirmation de l'idée selon laquelle, en France, les lois constitutionnelles échapperaient à tout contrôle de constitutionnalité.

C'est, tout d'abord, la loi relative à l'élection du président de la République au suffrage universel direct qui, adoptée par le référendum du 28 octobre 1962, fut soumise au Conseil constitutionnel par le président du Sénat. Non exclusivement constitutionnelle par son objet, la loi voyait sa constitutionnalité contestée « tant en raison de son contenu que des irrégularités flagrantes de la procédure qui a abouti à son adoption »(3). Celles des dispositions de la loi qui révisaient la Constitution étaient explicitement visées, conduisant l'auteur de la saisine à considérer que « intrinsèquement, le référendum du 28 octobre 1962 était irrégulier, car la seule procédure instituée par la Constitution pour sa propre révision est celle définie par l'article 89 »(4). Pressentant que la nature référendaire de la loi pourrait être un obstacle au contrôle, il ajoutait que « l'exercice de la souveraineté nationale (···) n'est en effet légitime que dans le respect des règles et des procédures instituées par la Constitution. Admettre qu'il puisse en être autrement en cas de référendum conduirait nécessairement à admettre que les représentants du peuple ne sont également soumis à aucune règle constitutionnelle dans l'exercice de la souveraineté qui leur est déléguée. Ce serait donc ruiner, non seulement la base même du Droit, mais celle de toute stabilité des institutions »(5). L'argument n'a guère porté puisque, en appelant à la lettre autant qu'à « l'esprit de la Constitution »(6), le Conseil constitutionnel a décidé qu'il « n'a[vait] pas compétence pour se prononcer sur la demande susvisée du président du Sénat »(7). Certes lié par les termes de la Constitution qui ne lui confère qu'une compétence d'attribution, le Conseil considérait aussi que les lois « adoptées par le Peuple à la suite d'un référendum, constituent l'expression directe de la souveraineté nationale »(8) et bénéficient, à ce titre, d'une immunité. Sans prendre explicitement position sur le contrôle de constitutionnalité des lois constitutionnelles -- puisque telle n'était pas la loi à lui soumise -- le Conseil constitutionnel identifiait ainsi une première limite à sa compétence ; découlant de la procédure référendaire, la dite limite fut, dans les mêmes termes, réitérée relativement à une loi ordinaire(9). Appliqué au cas particulier de dispositions dont l'objet est de modifier la Constitution, le raisonnement trouvait un terrain d'élection ; l'expression directe de la souveraineté nationale justifiait que la Constitution pût être ainsi révisée.

Ensuite, deuxième étape, c'est à l'occasion du contrôle de compatibilité d'un traité avec la Constitution que le Conseil constitutionnel trouva matière à livrer son analyse quant à la nature des révisions constitutionnelles. Saisi pour la seconde fois, sur le fondement de l'article 54 de la Constitution, de la compatibilité du traité sur l'Union européenne avec la Constitution après que celle-ci avait été révisée afin de prendre en considération les incompatibilités qu'il avait, par sa première décision, révélées, le Conseil constitutionnel estima nécessaire de préciser les conditions dans lesquelles il considérait devoir statuer. En premier lieu, le Conseil constitutionnel indique que, saisi d'un traité déjà examiné après que les obstacles constitutionnels ont, par une révision, été levés, il limite son contrôle, dans le respect de l'article 62 de la Constitution, aux hypothèses dans lesquelles, d'une part, la Constitution révisée demeurerait contraire à une ou plusieurs stipulations du traité et, d'autre part, une disposition insérée dans la Constitution aurait pour effet de créer une incompatibilité nouvelle avec le traité(10). En second lieu, conscient que sa décision pouvait être perçue comme contrôlant la pertinence de la révision réalisée(11), le Conseil expose, en préalable, les conditions constitutionnelles d'exercice du pouvoir de révision. Ainsi considère-t-il que « sous réserve, d'une part, des limitations touchant aux périodes au cours desquelles une révision de la Constitution ne peut pas être engagée ou poursuivie, qui résultent des articles 7, 16 et 89, alinéa 4, du texte constitutionnel et, d'autre part, du respect des prescriptions du cinquième alinéa de l'article 89 en vertu desquelles »la forme républicaine du gouvernement ne peut faire l'objet d'une révision", le pouvoir constituant est souverain ; qu'il lui est loisible d'abroger, de modifier ou de compléter des dispositions de valeur constitutionnelle dans la forme qu'il estime appropriée ; qu'ainsi rien ne s'oppose à ce qu'il introduise dans le texte de la Constitution des dispositions nouvelles qui, dans le cas qu'elles visent, dérogent à une règle ou à un principe de valeur constitutionnelle ; que cette dérogation peut être aussi bien expresse qu'implicite »(12).

Apparemment clair et précis, le raisonnement n'en soulevait pas moins une interrogation. On pouvait, en effet, légitimement se demander si le Conseil s'autoriserait, le cas échéant, à déclarer que les limites constitutionnelles au pouvoir de révision avaient été violées ; l'interrogation était d'autant plus pertinente que si les limitations temporelles ne sont, par nature, guère sujettes à interprétation, il en va différemment de la limite substantielle de l'article 89, alinéa 5(13). Certains commentateurs soutinrent que le Conseil avait « choisi la thèse du contrôle »(14), mais la plupart se rallièrent à l'idée que « le fait que le juge constitutionnel ait énuméré les limitations tant circonstancielles que substantielles aux pouvoirs du constituant n'implique pas qu'il entende exercer un contrôle sur les lois constitutionnelles »(15). L'analyse semblait confortée par la circonstance que le Conseil constitutionnel avait, au motif qu'elle ne « vis[ait] nullement le point de savoir si le traité sur l'Union européenne comporte ou non une clause contraire à la Constitution »(16), refusé de répondre à une question que les requérants qualifiaient d'« essentielle (···) celle de savoir jusqu'où peuvent aller des révisions constitutionnelles entérinant des atteintes successives aux »conditions essentielles d'exercice de la souveraineté" »(17). Si certains le regrettèrent(18), on ne voit guère comment le Conseil aurait pu considérer le moyen autrement que comme inopérant.

À l'aune de la problématique du contrôle de constitutionnalité des lois constitutionnelles, la question semblait donc, au moins provisoirement, tranchée. Souverain, le pouvoir constituant ne saurait être contrôlé ; souverain sous réserve de limitations temporelles et matérielles que la Constitution a prévues, le pouvoir de révision n'en est pas moins constitutionnellement encadré. La souveraineté l'emportant sur l'encadrement, il était peu probable que les lois constitutionnelles puissent être examinées et, a fortiori, censurées.

Ultime étape, enfin, une décision de 2003 donnait, pour la première fois, au juge constitutionnel l'occasion de statuer sur une loi de révision. Saisi par soixante et un sénateurs de la révision de la Constitution relative à l'organisation décentralisée de la République approuvée par le Congrès le 17 mars 2003, le Conseil constitutionnel considère, lapidaire, qu'il « ne tient ni de l'article 61, ni de l'article 89, ni d'aucune autre disposition de la Constitution le pouvoir de statuer sur une révision constitutionnelle »(19), concluant, fort logiquement, à son incompétence.

Abondamment commentée, la décision fut jugée prévisible(20), mais la prévisibilité n'emporta pas, loin s'en faut, l'assentiment. La double circonstance d'une décision laconique et d'une démonstration -- convaincante autant qu'autorisée -- prouvant qu'une autre solution aurait pu être envisagée(21) contribua à ce que la doctrine analyse le raisonnement comme rigide à l'excès(22). Si, jurisprudentiellement, le principe de l'incompétence du Conseil constitutionnel pour contrôler les lois de révision était, ainsi et à la première occasion, affirmé, le « verrou » qu'il comportait sembla, un temps, de nature à relancer une dispute que l'on aurait pu croire apaisée.

Toutefois, aucune des huit lois constitutionnelles ultérieures ne donna lieu à saisine du Conseil constitutionnel, preuve peut-être que la décision de mars 2003 avait porté ou, plus simplement, que les révisions elles-mêmes n'étaient pas contestées. Fort logiquement, le débat doctrinal s'éteignit presque aussi vite qu'il s'était enflammé, laissant penser que la question du contrôle de constitutionnalité des lois constitutionnelles était, en France, définitivement réglée.

Parce que l'étude du droit enseigne qu'il n'est point de débat irrévocablement périmé, on ne peut demeurer insensible aux arguments susceptibles de le renouveler. Trois séries d'éléments méritent, à ce titre, d'être mentionnés.

Tout d'abord, il n'est pas inutile de rappeler que, en France, loin d'être contemporaine de la Ve République, la discussion relative à la justiciabilité des lois constitutionnelles apparaît même classique ; ses termes ont, au gré des textes constitutionnels, significativement évolué.

Jusqu'en 1958, l'absence de contrôle de constitutionnalité conduisait à l'envisager sous l'angle du caractère illimité du pouvoir de révision et, plus généralement, de la séparation du pouvoir constituant et des pouvoirs constitués(23). Succédant au modèle des Constitutions de l'époque révolutionnaire dont la rigidité excluait quasiment toute révision, vint le temps de celles qui admettaient que le texte constitutionnel pût être révisé « en tout ou en partie »(24). S'inscrit dans cette ligne la loi constitutionnelle du 25 février 1875 relative à l'organisation des pouvoirs publics, dont l'article 8 ne faisait « pas obstacle à ce qu'il soit entrepris une révision intégrale »(25) ; aisément explicable, « l'insertion dans l'article 8 d'une clause de révision indéfinie a été une concession faite à la fraction monarchiste de l'Assemblée constituante d'alors ; elle avait pour but de ménager pour l'avenir la possibilité d'une révision portant sur la forme même du gouvernement »(26). On comprend dès lors que le complément à l'article 8 apporté par la révision constitutionnelle du 14 août 1884, aux termes duquel « La forme républicaine du gouvernement ne peut faire l'objet d'une proposition de révision », ait été abondamment commenté. Complexes en ce qu'ils lient la limitation substantielle aux conditions procédurales dans lesquelles une révision peut être engagée, les arguments échangés n'en laissent pas moins percevoir une opposition entre ceux qui, d'une part, considèrent que la révision de 1884 apporte une restriction notable au système des révisions illimitées prévu en 1875(27), voyant même parfois dans l'article 2 de la loi du 14 août 1884 une disposition au caractère impératif(28), et ceux qui, d'autre part et à l'inverse, estiment que « cette disposition a été votée par une Assemblée nationale de révision et (···), par conséquent, elle peut être modifiée ou abrogée par une autre assemblée de révision (···), par conséquent, si tant que ce texte existe, l'Assemblée nationale ne peut pas changer la forme du gouvernement, elle n'a qu'à l'abroger, et la chose faite, elle pourra très constitutionnellement changer la forme républicaine du gouvernement »(29).

C'est dans cette ligne que s'inscrivirent durablement les débats, avant comme après que le Conseil constitutionnel eut été institué et le contrôle de constitutionnalité développé. Ainsi, par exemple, le doyen Vedel considérait-il que si une Constitution peut interdire la révision pendant un certain délai ou sur tel ou tel point, « cette interdiction a une valeur politique non juridique. En effet, du point de vue juridique, une déclaration d'immutabilité constitutionnelle absolue n'est pas concevable. Le pouvoir constituant étant le pouvoir suprême de l'État ne peut être lié, même par lui-même »(30). Paradoxalement, évoquant l'abrogation de la Constitution de 1946, il indiquait qu'elle « ne pourrait cesser d'être en vigueur que par une révision totale » et concédait que cette dernière « serait juridiquement possible pourvu qu'elle ne touche pas à la forme républicaine du gouvernement et ne soit pas élaborée durant le temps où le territoire métropolitain est militairement occupé par des forces étrangères »(31). Fort de l'expérience de 1958, le même enseignait, quelque douze ans plus tard, que « le pouvoir de révision est limité quant à ses formes (···) encore que, bien entendu une révision de la Constitution puisse, comme ce fut le cas en 1958, avoir pour objet les modalités de la procédure de révision (···). Le pouvoir de révision est, d'autre part, illimité quant à sa matière »(32).

Largement partagée par la doctrine, la « thèse de la double révision successive »(33) ne fait pourtant pas l'unanimité et le prétexte du commentaire de la jurisprudence du Conseil constitutionnel a contribué à ce que le débat -- évolutif -- fût porté sur le terrain de la supraconstitutionnalité. En témoigne tout particulièrement le débat célèbre autant qu'argumenté entre le doyen Favoreu et le doyen Vedel(34) à l'occasion duquel la question était posée « de savoir si les lois constitutionnelles adoptées par le pouvoir constituant dérivé peuvent se voir imposer le respect de normes supraconstitutionnelles nationales, c'est-à-dire issues de la Constitution elle-même ou déduites de celle-ci, et protégeant notamment la souveraineté nationale »(35).

Largement décriée, au motif que, « dangereuse pour l'ordre juridique démocratique »(36), elle ouvrirait « une alternative entre l'oligarchie et le gouvernement des juges »(37), la notion même de supraconstitutionnalité a contribué à accréditer l'idée que contrôler la constitutionnalité des lois constitutionnelles confinerait au crime de lèse-souveraineté. L'argumentation semble relever de l'évidence : si les normes infraconstitutionnelles peuvent faire l'objet d'un contrôle de constitutionnalité, les normes constitutionnelles ne pourraient, par nature, être l'objet que d'un contrôle de supraconstitutionnalité, posant alors le problème de l'existence, de la source, de la nature et du contenu des normes de référence. Compréhensible autant que probante, la démonstration n'emporte toutefois pas l'entière conviction, en ce qu'elle dénote sans doute aussi la révérence à l'égard d'un modèle de contrôle qui, tardivement introduit en droit français, n'a été accepté que conçu dans sa forme épurée, sinon restreinte à l'excès.

C'est pour cette raison que, ensuite, certains exemples étrangers méritent d'être évoqués. L'argument est connu qui consiste à invoquer le droit comparé et les partisans du contrôle de constitutionnalité des lois constitutionnelles s'y sont essayé, l'Allemagne et l'Italie étant le plus souvent citées. On ne peut évidemment nier les limites de l'exercice, sauf à faire fi de la diversité des hypothèses et de la spécificité de chacun des ordres juridiques concernés ; l'une et l'autre seront d'ailleurs confirmées par les cas présentés ci-après(38). Toutefois, trois observations semblent pouvoir en résulter. En premier lieu, sans faire de la France un cas isolé, les exemples montrent que la position du Conseil constitutionnel n'est pas davantage la généralité. En deuxième lieu, rares sont les constitutions par lesquelles, dans des hypothèses généralement précises autant que circonscrites, le contrôle de constitutionnalité des lois constitutionnelles est expressément organisé. En revanche, et en troisième lieu, l'analyse des décisions des juges constitutionnels permet de mettre en évidence une tendance constante et largement partagée à reconnaître l'intangibilité ou l'indérogeabilité de certains principes et règles constitutionnels, le plus souvent dans un souci de protection des droits fondamentaux. Dès lors, et sans céder entièrement à l'attrait d'un « fonds commun de principes objectivement identifiables et reconnus dont s'inspire[raie]nt déjà les juges constitutionnels européens »(39), on est tenté de mesurer l'influence et l'incidence que pourraient avoir la Convention européenne des droits de l'homme et le droit de l'Union européenne dans le débat sur la pertinence d'un contrôle de constitutionnalité des lois de révision.

On ajoutera, enfin, revenant au cas français, que certains éléments récents incitent à ce que la piste du contrôle des lois constitutionnelles soit de nouveau explorée.

D'une part, s'inscrivant à sa manière dans le mouvement d'identification d'un socle -- quasiment -- indérogeable, le Conseil constitutionnel a posé comme limite au contrôle spécifique qu'il pratique, depuis 2004, à l'égard des lois de transposition de directives communautaires, le respect « d'une règle ou d'un principe inhérent à l'identité constitutionnelle de la France »(40). Que le juge constitutionnel français ait jugé bon de préciser que la limite ne pouvait être transgressée « sauf à ce que le constituant y ait consenti »(41) démontre, à n'en pas douter, que n'a pas été franchi le pas de l'indérogeabilité. Toutefois, parce que l'on est tenté de rechercher ce que, à terme, la reconnaissance de l'identité pourrait impliquer, on ne peut s'empêcher de penser que la mention du constituant, loin de résoudre par anticipation la question, est de nature à renforcer encore le lien avec un possible contrôle des lois de révision.

D'autre part, il n'est pas interdit de penser que le constituant a peut-être, sans le savoir, en 2008, lui-même inventé la voie d'un contrôle potentiellement acceptable. En effet, dans le cadre du référendum d'initiative minoritaire désormais prévu par l'article 11 de la Constitution, le constituant a imposé que le Conseil constitutionnel vérifie a priori la constitutionnalité de la proposition(42). Ce faisant, et sans nullement remettre en cause la solution dégagée en 1962 et confirmée en 1992, il admet, implicitement mais nécessairement, qu'une loi référendaire pût être contraire à la Constitution ; l'immunité dont elle bénéficie a posteriori en tant qu'expression directe de la souveraineté nationale justifie, « afin d'éviter que s'engagent des débats indignes ou oiseux »(43), le contrôle a priori. Si l'on s'essaie à transposer le raisonnement aux lois constitutionnelles, rien n'interdit d'imaginer que, saisi a priori des projets et propositions de révision, le Conseil constitutionnel pût alerter sur la mise en cause d'une règle ou d'un principe inhérent à l'identité constitutionnelle de la France dont on voudrait s'assurer que le pouvoir constituant y consent en conscience, ainsi que sur les contradictions éventuelles avec des engagements internationaux souscrits, a fortiori s'ils sont de ceux dont résulte une exigence constitutionnelle. Conscient que l'idée peut paraître audacieuse, on ajoutera qu'il ne fait aucun doute que, mise à part celle de 1962 dont le Conseil n'aurait, en toute hypothèse, pu connaître, aucune des lois de révision adoptées depuis 1958 n'aurait, a priori, été censurée.

En définitive, le débat, sans être nouveau, serait une fois encore significativement renouvelé. Et, que le plaidoyer soit modéré (O. Beaud) ou résolu en faveur d'un contrôle sagement circonscrit (G. Carcassonne), on ne peut que constater que le contrôle de constitutionnalité des lois constitutionnelles, plus que jamais, prend les allures d'une probabilité raisonnable à condition d'être raisonné.

(1) On rappellera, pour mémoire, que, depuis 1958, le Conseil constitutionnel n'a rendu que quatre décisions d'incompétence pour statuer. Deux sont en lien avec la problématique du contrôle de constitutionnalité des lois constitutionnelles (Cons. const., déc. no 62-20 DC du 6 novembre 1962, Loi relative à l'élection du président de la République au suffrage universel direct, adoptée par le référendum du 28 octobre 1962, JORF 7 novembre 1962, p. 10778 ; déc. no 2003-469 DC du 26 mars 2003, Révision constitutionnelle relative à l'organisation décentralisée de la République, JORF 29 mars 2003, p. 5570), les deux autres résultant, pour l'une de ce que la loi déférée, bien qu'ordinaire, était, comme en 1962, référendaire (Cons. const., déc. no 92-313 DC du 23 septembre 1992, Loi autorisant la ratification du traité sur l'Union européenne, JORF 25 septembre 1992, p. 13337) et, pour l'autre, du constat de ce que la loi déférée au Conseil constitutionnel avait été, dès avant, promulguée (Cons. const., déc. no 97-392 DC du 7 novembre 1997, Loi portant réforme du service national, JORF 8 novembre 1997, p. 16255).
(2) Cons. const., déc. no 92-312 DC du 2 septembre 1992, Traité sur l'Union européenne, JORF 3 septembre 1992, p. 12095.
(3) Lettre de transmission du président du Sénat, disponible sur le site du Conseil constitutionnel (www.conseil-constitutionnel.fr).
(4) Ibid.
(5) Ibid.
(6) Cons. const., déc. no 62-20 DC, op. cit., cons. 2.

(7) Ibid., art. 1er du dispositif.
(8) Ibid., cons. 2 in fine.
(9) Modifiant quelque peu sa motivation, le Conseil constitutionnel considère, en 1992 comme en 1962, que, en l'absence de précisions de l'art. 61 sur ce point, « au regard de l'équilibre des pouvoirs établi par la Constitution, les lois que celle-ci a entendu viser dans son article 61 sont uniquement les lois votées par le Parlement et non point celles qui, adoptées par le Peuple français à la suite d'un référendum contrôlé par le Conseil constitutionnel au titre de l'article 60, constituent l'expression directe de la souveraineté nationale » (Cons. const., déc. no 92-313 DC, op. cit., cons. 2).
(10) Cons. const., déc. no 92-312 DC, op. cit., cons. 5.
(11) En ce sens, voir Genevois (B.), « Le traité sur l'Union européenne et la Constitution révisée », RFDA 1992, p. 937.
(12) Ibid., cons. 19.
(13) Voir, par exemple, Luchaire (F.), « L'Union européenne et la Constitution », RDP 1992, p. 1592.
(14) Par exemple, Rousseau (D.), « Chronique de jurisprudence constitutionnelle », RDP 1993, p. 30.
(15) Genevois (B.), op. cit. et, dans le même sens, Luchaire (F.), op. cit., p. 1593.
(16) Cons. const., déc. no 92-312 DC, op. cit., cons. 45.

(17) Saisine par soixante sénateurs, disponible sur le site du Conseil constitutionnel (www.conseil-constitutionnel.fr).
(18) Favoreu (L.), « Le contrôle de constitutionnalité du traité de Maastricht et le développement du «droit constitutionnel international » », RGDIP 1993, t. 97, p. 49.
(19) Cons. const., déc. no 2003-469 DC, op. cit., cons. 2.
(20) Par exemple, Moutouh (H.), « Décision prévisible », AJDA 2003, p. 753.
(21) Schoettl (J.-E.), « Le Conseil constitutionnel peut-il contrôler une loi constitutionnelle ? », LPA 8 avril 2003 (70), p. 793.
(22) Par exemple, Favoreu (L.), « L'injusticiabilité des lois constitutionnelles », RFDA 2003, p. 792 ; Verpeaux (M.), LPA 19 septembre 2003 (188), p. 7 ; Fatin-Rouge Stéfanini (M.), RFDC 2003, p. 374.
(23) Carré de Malberg (R.), Contribution à la théorie générale de l'État, t. II, Paris, Sirey, 1922, réed. Paris, Dalloz, 2004, p. 505.
(24) La formule fut, pour la première fois utilisée, à l'article 111 de la Constitution de 1848.

(25) Carré de Malberg (R.), op. cit., p. 584.
(26) Ibid.
(27) Esmein (A.), Éléments de droit constitutionnel français et comparé, vol. II, Paris, Sirey, 1928, 8e éd., Paris, réed° Panthéon-Assas, « Les introuvables », 2001, p. 503.
(28) M. Hauriou, Précis de droit constitutionnel, Paris, Sirey, 1929, 2e éd., Paris, réed. CNRS 1965, p. 247.
(29) Duguit (L.), Traité de droit constitutionnel, vol. V, Paris, de Boccard, 3e éd., 1929, Paris, rééd. CNRS, 1972, p. 540. Dans le même sens, voir notamment, Barthelemy (J.) et Duez (P.), Traité de droit constitutionnel, Paris, Dalloz, 1933, rééd. 2004, p. 231.
(30) Vedel (G.), Manuel élémentaire de droit constitutionnel, Paris, Sirey, 1949, rééd. Dalloz, 2002, p. 117.
(31) Ibid., p. 332.
(32) Vedel (G.), Cours de droit constitutionnel et d'institutions politiques, Paris, Les Cours du droit, 1960-1961, p. 1051.
(33) La formule est empruntée à Genevois (B.), « Les limites d'ordre juridique à l'intervention du pouvoir constituant », RFDA 1998, p. 916.
(34) Favoreu (L.), « Souveraineté et supraconstitutionnalité », Pouvoirs no 67, 1993, p. 71 et Vedel (G.), « Souveraineté et supraconstitutionnalité », Pouvoirs no 67, 1993, p. 71.
(35) L. Favoreu, op. cit., p. 74.
(36)
(37) Vedel (G.), op. cit., p. 94.
(38) On lira également avec intérêt la présentation du cas indien, dans la partie « coopération internationale et juridictions constitutionnelles étrangères » de ce numéro des Cahiers (Halpérin (J.-L.), « La doctrine indienne de la structure basique de la constitution. Un socle indérogeable et flexible ? »).
(39) L. Favoreu, Supraconstitutionnalité et jurisprudence de la juridiction constitutionnelle en droit privé et en droit public français, Journées de la Société de la législation comparée, Paris, 1993, p. 466.
(40) Cons. const., déc. no 2006-540 DC du 27 juillet 2006, Loi relative au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information, JORF 3 août 2006, p. 11541, cons. 19.
(41) Ibid.
(42) L'art. 11 de la Constitution dispose, dans ses al. 3 et 4 :
« Un référendum portant sur un objet mentionné au premier alinéa peut être organisé à l'initiative d'un cinquième des membres du Parlement, soutenue par un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales. Cette initiative prend la forme d'une proposition de loi et ne peut avoir pour objet l'abrogation d'une disposition législative promulguée depuis moins d'un an.
« Les conditions de sa présentation et celles dans lesquelles le Conseil constitutionnel contrôle le respect des dispositions de l'alinéa précédent sont déterminées par une loi organique ».
(43) Carcassonne (G.), La Constitution introduite et commentée, Paris, Seuil, 9e éd, 2009, p. 99.