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Le Conseil constitutionnel, la souveraineté et les traités - A propos de la décision du Conseil constitutionnel du 31 décembre 1997 (Traité d'Amsterdam)

Alain PELLET - Professeur à l'Université de Paris X-Nanterre et à l'I.E.P. de Paris ; Membre de la Commission du Droit international des Nations Unies

Cahiers du Conseil constitutionnel n° 4 - avril 1998

Summary

The Constitutional Council, sovereignty and treaties

About the judgement of the Constitutional Council dated December 31st 1997 (Amsterdam Treaty)

The judgement of the Constitutional Council handed down on December 31st 1997, stating that some provisions of the Amsterdam Treaty are repugnant to the Constitution, therefore, making it necessary to review the latter before the treaty could be tabled for ratification in Parliament, does not innovate.

Indeed, it follows the « Maastricht decision » concerning the concept of sovereignty, which brings out the question of the interpretation and the compatibility of some constitutional provisions referring to this concept.

Although some details of the decision can be discussed, it is globally satisfactory, by contrast with other aspects of the Constitutional Council's case law when related to treaties.


1. Le 31 décembre 1997, le Conseil constitutionel, à la suite d'une saisine conjointe du Président de la République et du Premier Ministre, a constaté la contrariété à la Constitution de certaines dispositions des articles 73 J, 73 K et 73 O du Traité d'Amsterdam du 2 octobre 1997 modifiant le Traité sur l'Union européenne, les traités instituant les Communautés européennes et certains actes connexes, et décidé en conséquence que « l]'autorisation de ratifier en vertu d'une loi le traité d'Amsterdam ne peut intervenir qu'après une révision de la Constitution ».

Bien qu'elle puisse n'être pas dépourvue de conséquences pratiques et politiques encore imprévisibles au moment où cette note est écrite, cette décision, qui, pour l'essentiel, se borne à faire application de la jurisprudence inaugurée par la décision du 9 avril 1992 relative au Traité de Maastricht, n'appelle pas, en elle-même, de longs commentaires ; son examen peut cependant être l'occasion de tenter de faire le point sur un aspect de ce que l'on pourrait appeler la « jurisprudence internationale » du Conseil constitutionnel.

2. Au prix d'une simplification que l'on espère point trop abusive, on peut distinguer deux grandes « branches » au sein de celle-ci, l'une « virtuelle » (qui supposerait que le Conseil s'acquitte complètement de sa mission de Juge constitutionnel), l'autre, bien réelle, et à laquelle se rattache la décision « em>Amsterdam

S'agissant de la première, on aurait pu s'attendre à ce que le Conseil constitutionnel apprécie, sur le fondement de l'article 55, la conformité de la loi elle-même aux traités et accords régulièrement ratifiés et approuvés, ce qu'il se refuse de faire, contre toute raison, en vertu de la malheureuse jurisprudence « em>I.V.G.

En revanche, la seconde branche de la jurisprudence internationale du Conseil, n'encourt pas ces critiques : agissant, à titre préventif, en vertu des articles 54 ou 61 de la Constitution, le Conseil constitutionnel se prononce effectivement sur la compatibilité des engagements internationaux de la France avec la Consitution. Pour ce faire, il a esquissé une grille de lecture des engagements internationaux de la France à la lumière de la Constitution qui, pour contestables qu'en puissent être certains détails, ne se heurte certainement pas aux même objections.

3. La décision du 31 décembre 1997 constitue le dernier, et estimable, avatar de l'effort fait par le Conseil pour concilier, autant que faire se peut, des dispositions constitutionnelles enigmatiques avec les exigences de la vie internationale.

Mais elle ne peut être lue isolément et ne présente d'intérêt réel que dans la perspective de la décision rendue il y a cinq ans sur le Traité relatif à l'Union européenne (« em>Maastricht IAmsterdamMaastricht I

I. La recherche d'un critère internationalement acceptable des « limitations de souveraineté »

4. Quoique l'on puisse penser de la jurisprudence « internationale » du Conseil, des contradictions qui la marquent, de ses incohérences et, parfois, de son obscurantisme chauvin, force est de reconnaître que l'ambiguïté des formules constitutionnelles en la matière ne facilitent pas la tâche à la Haute Juridiction.

Ceci est particulièrement frappant s'agissant du concept même de souveraineté tel qu'il transparaît dans les textes de valeur constitutionnelle en vigueur, qui sont le résultat de strates successives, et qu'énumèrent les premiers considérants de la décision du 31 décembre 1997, consacrées aux « normes de référence applicables ». Il s'agit, si l'on remet ces « normes » dans l'ordre chronologique de leur adoption :

  • de l'article 3 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, auquel renvoie le préambule de la Constitution de 1958

  • en même temps qu'au préambule de la Constitution de 1946 ;

  • de l'article 3 de la Constitution actuelle ;

  • de l'article 53 de celle-ci ; et

  • de son article 88-1 « résultant de la loi constitutionnelle du 25 juin 1992 ».

Mais il est loin d'être certain et que ces formules constitutionnelles présentent la cohérence et l'homogénéité que le Conseil semble leur prêter, et que, par voie de conséquence, cet amalgame soit satisfaisant - car il revient à marier la carpe et le lapin.

5. Juge constitutionnel, le Conseil tient pour acquis que la notion « interne » de souveraineté, telle qu'elle apparaît à l'article 3 de la Déclaration de 1789 et à l'article 3 de la Constitution de 1958, et la définition « externe » ou « internationale » de ce même concept, auxquels renvoient le préambule de la Constitution de 1946 et, plus indirectement, les articles 53, 54 et 88-1 de celle de la Cinquième République, sont équivalentes. Rien n'est, cependant, moins évident.

C'est en effet oublier que le droit interne (y compris sa branche constitutionnelle) et le droit international répondent à deux logiques fondamentalement distinctes : dans l'État, la souveraineté, qu'elle réside dans la nation (Déclaration de 1789) ou qu'elle appartienne au peuple (Constitution de 1958) (et en admettant que les deux formules soient compatibles...), est une ; elle est concentrée dans les mains d'un seul organe ou d'un seul corps ; elle apparaît alors comme un pouvoir suprême, un imperium, qui n'est, juridiquement au moins, concurrencé par aucun autre et ne connaît ni supérieur, ni égaux.

Rien de tel dans l'ordre international caractérisé par la juxtaposition de souverainetés égales, détenues non pas par une nation, un peuple ou un État, mais par quelque 190 États. Certes, les États souverains n'y ont pas de « supérieurs », mais ils y sont tous égaux et, sauf à nier l'existence même de la société internationale et de son droit, la souveraineté, quelque définition précise que l'on en donne, ne peut y être conçue que comme un concept dont les conséquences sont limitées du fait, justement, de la souveraineté égale appartenant à tous les autres États. La souveraineté de chacun d'entre eux y est bornée par celle, égale, de tous les autres.

Force est au Conseil constitutionnel de se « faufiler » entre ces deux acceptions, difficilement compatibles, de la souveraineté. Juridiction constitutionnelle, il éprouve, de manière compréhensible, la tentation de privilégier le concept constitutionnel, donc interne, de la souveraineté ; mais, dès lors que la Constitution, qui constitue son unique « norme de référence », renvoie au droit international, il ne peut faire complètement abstraction du concept international désigné par le même vocable : « souveraineté ».

6. Ces difficultés sont aggravées par la rédaction, pour le moins contestable, des dispositions de valeur constitutionnelle qui visent la « souveraineté » dans son sens international et, d'abord, du quinzième alinéa du préambule de la Constitution de 1946, aux termes duquel :

« Sous réserve de réciprocité, la France consent aux limitations de souveraineté nécessaires à l'organisation et à la défense de la paix ».

Cette formule, quand on y songe, véhicule une conception curieuse de la souveraineté.

Critère même de l'État, la souveraineté -dans l'ordre international en tout cas- ne saurait ni se limiter, ni se partager, ni être décomposée. Si l'on peut aventurer une image un peu triviale, on peut la comparer à la virginité ; on l'a ou on ne l'a pas ; mais elle n'est pas susceptible de plus ou de moins. Une entité souveraine est un État, au sens que le droit international contemporain donne à ce terme ; une entité qui est dépourvue de la souveraineté ne l'est pas ; une entité qui en est privée ne l'est plus.

Parler de « limitations à la souveraineté » n'est donc guère rigoureux. Tout ce que l'on peut admettre est que l'État peut limiter ou transférer les compétences qu'il tient du droit international en vertu de sa souveraineté, parce qu'il est souverain.

7. Implicitement, c'est d'ailleurs ainsi que le Conseil constitutionnel interprète le préambule de la Constitution de 1946 : alors que celui-ci parle de « limitations de souveraineté », le Conseil, après quelques flottements, en est venu à exercer son contrôle sur la conformité à la Constitution des « transferts de compétences » consentis par la France en faveur d'organisations internationales et, d'abord, des Communautés européennes.

C'est en cela que réside la grande innovation, très positive, de la décision « em>Maastricht I « qu'il résulte de ces textes de valeur constitutionnelle que le respect de la souveraineté nationale ne fait pas obstacle à ce que, sur le fondement des dispositions précitées du préambule de la Constitution de 1946, la France puisse conclure, sous réserve de réciprocité, des engagements internationaux en vue de participer à la création ou au développement d'une organisation internationale permanente, dotée de la personalité juridique et investie de pouvoirs de décision _par l'effet de transferts de compétences consentis par les États membres_ ».

Au regard du droit international, la formule est infiniment plus satisfaisante que celle figurant dans le préambule de 1946 (« em>limitations de souveraineté

  • « aucune disposition de nature constitutionnelle n'autorise des transferts de tout ou partie de la souveraineté nationale à quelque organisation internationale que ce soit » ;

  • « en raison des modalités de son exercice, la procédure de poursuite transfrontalière ne procède pas à un 'transfert de souveraineté'

  • « l'absence de référence à une clause de retrait ne saurait constituer en elle-même un abandon de souveraineté

Sans formellement remettre en cause la formulation malheureuse du préambule de 1946, la révision constitutionnelle n'en consacre pas moins la relecture faite par le Conseil puisque le nouvel article 88-2 ajouté à la Constitution en cette occasion dispose :

« Sous réserve de réciprocité, et selon les modalités prévues par le Traité sur l'Union européenne signé le 7 février 1992, la France consent _aux transferts de compétences_ nécessaires à l'établissement de l'union européenne et monétaire européenne ainsi qu'à la détermination des règles relatives aux franchissements des frontières extérieures des États membres de la Communauté européenne ».

Dorénavant, et la décision « em>Amsterdamde souveraineté réalisés par les engagements internationaux de la France, ce qui n'a guère de sens au regard du droit international, mais les transferts de compétence qui résultent des traités ou accords conclus par la République.

8. La mesure de ce contrôle n'est pas évidente.

Une première solution aurait pu consister à voir dans le quinzième alinéa du préambule de la Constitution de 1946 une « clause d'habilitation » générale. Après tout, il n'est pas déraisonnable d'interpréter la formule "... la France consent aux limitations de souveraineté...« comme signifiant que ces »limitations de souveraineté", assimilées à des « transferts de compétences », sont ipso facto, et du fait même du préambule, conformes à la Constitution. Dans ce cas, le contrôle exercé par le Conseil se serait limité à déterminer si ces transferts ne revenaient pas à une renonciation pure et simple à la souveraineté de la France qui, du même coup, cesserait d'être un État souverain au sens du droit international public et, dans tous les cas où il n'en irait pas ainsi, à constater que ces transferts sont conformes à la Constitution.

Une lecture isolée du préambule de 1946 aurait dû conduire à une telle solution. Le Conseil constitutionnel ne semble cependant jamais l'avoir envisagée - et à juste titre car l'alinéa précité n'est pas la seule norme de référence par rapport à laquelle il doit se prononcer.

9. Il lui fallait en effet concilier ce premier principe, maladroitement inspiré par la définition de la souveraineté prévalant dans l'ordre international, avec les normes constitutionnelles de référence orientées vers la définition interne de la souveraineté et, plus particulièrement, avec l'article 3 de la Constitution : « La souveraineté nationale appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants et par la voie du référendum ».

C'est pour opérer cette conciliation que le Conseil a, dès 1970, forgé la notion de « conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale », opérant du même coup un glissement de la notion de souveraineté (qui, on ne le répètera jamais assez, ne se « limite » pas plus qu'elle ne se « divise ») à ses modalités d'exercice.

Pour ce faire, la Haute Juridiction doit, ici encore, s'éloigner de la lettre de la Constitution - qui n'envisage nullement que la souveraineté est exercée « essentiellement » par le peuple -, et chercher une voie moyenne entre une conception absolue de la souveraineté (telle qu'elle prévaut dans l'ordre interne) et les exigences de la vie internationale contemporaine et, tout spécialement, de la construction communautaire, qui ne sauraient s'accommoder de « l'exercice » exclusif de la souveraineté par le peuple/nation (comme le Constituant de 1946 en avait eu la forte intuition, maladroitement exprimée).

Encore fallait-il dégager les critères permettant de différencier les « conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale » de celles qui ne sont pas « essentielles ». C'est à quoi s'emploie la jurisprudence du Conseil depuis 1970 ; elle trouve son point d'aboutissement actuel dans la décision du 31 décembre 1997.

II. La recherche d'une définition constitutionnellement efficace des « conditions exercice de la souveraineté nationale »

10. Il existait une solution assez simple permettant au Conseil constitutionnel de concilier la formule de l'article 3 de la Constitution de 1958 avec celle du préambule de 1946 : il lui eût suffi de constater que, dès lors que la ratification d'un traité ou l'approbation d'un accord opérant un transfert de compétence en faveur d'une organisation internationale est autorisée soit par une loi votée par le Parlement, soit par une loi référendaire, le peuple a exercé la souveraineté nationale qui lui appartient, « par ses représentants » ou « par la voie du référendum ».

C'eût été en rester à un critère purement formel et ramener, pour l'essentiel, le contrôle de la compatibilité de l'engagement international en cause à celui du respect de l'article 53, alinéa premier, de la Constitution qui exige dans certains cas une autorisation législative de ratifier le traité ou d'approuver l'accord.

C'eût été surtout (et même si l'on aurait pu s'en féliciter) faire pencher très nettement le fléau de la balance du côté « international » de la définition du concept de souveraineté et c'est, à vrai dire, dans l'autre sens que le Conseil a semblé se prononcer dans un premier temps. Cela ressort des décisions qui donnent le « coup d'envoi » de sa jurisprudence en vertu de l'article 54 de la Constitution, celles du 22 avril 1970 et du 17 juillet 1980 et, surtout, celle du 20 septembre 1976, que la doctrine la plus autorisée a présentées comme marquant la « détermination » du Conseil « de sauvegarder le principe de la souveraineté nationale ».

En délaissant le critère, impraticable et paralysant, de la souveraineté nationale pour celui des « conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale », le Conseil se dote d'un instrument de contrôle souple et adaptable, mais qui présente l'inconvénient de n'être défini nulle part et d'être source d'incertitudes que sa jurisprudence, extrêmement empirique, ne lève que très incomplètement.

11. Sans doute aurait-t-on pu penser, à la lecture de la décision du 22 mai 1985 relative au « em>Protocole additionnel n° 6 à la Convention européenne des droits de l'homme « que cet engagement international n'est pas incompatible avec le devoir pour l'État d'assurer le respect des institutions de la République, la continuité de la vie de la nation et la garantie des droits et libertés des citoyens ».

Et c'est par rapport à ces mêmes éléments que le Conseil a partiellement apprécié en 1991 la conformité à la Constitution de la Convention d'application de l'Accord de Schengen.

Toutefois, alors qu'en 1985, il s'était borné à constater, sans autre explication, que l'engagement international qui lui était déféré n'était pas incompatible avec les trois éléments qu'il avait dégagés, en 1991, il s'en justifie de manière particulièrement méticuleuse et, surtout, il en fait abstraction dans d'autres parties de sa décision, manifestant ainsi qu'il ne s'agit pas de critères exclusifs.

12. Du reste, la jurisprudence n'a pas poursuivi dans cette voie, probablement trop balisée et qui limitait par trop les paramètres à prendre en considération et le pouvoir d'appréciation du Conseil sans nécessairement couvrir toutes les situations susceptibles de se présenter.

Avec la décision « em>Maastricht I « la décision [du Conseil des Communautés] du 21 avril 1970 relative au remplacement des contributions financières des États membres par des ressources propres aux Communautés ne peut porter atteinte, ni par sa nature, ni par son importance, aux conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale ».

« Nature » et « importance » de l'engagement international en cause apparaissent ainsi comme les seuls véritables critères en fonction desquels les atteintes éventuellement essentielles aux conditions d'exercice de la souveraineté peuvent être appréciés. Il s'agit là de critères éminemment subjectifs sur lesquels se fonde implicitement la décision de 1992 et que rationnalise quelque peu celle de 1997.

13. Partant de l'article 88-2, ajouté à la Constitution par la loi constitutionnelle du 25 juin 1992, le Conseil y estime

« qu'il résulte de cette disposition qu'appellent une nouvelle révision constitutionnelle les clauses du traité d'Amsterdam qui opèrent, au profit de la Communauté européenne, des transferts de compétences qui mettent en cause les conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale, soit que ces transferts interviennent dans un domaine autre que l'établissement de l'union économique et monétaire européenne ou que le franchissement des frontières extérieures communes, soit que ces clauses fixent d'autres modalités que celles prévues par le Traité sur l'Union européenne.. ».

Bien que cette distinction fût dictée par le texte même de la nouvelle disposition constitutionnelle, elle n'en recouvre pas moins, en la précisant, le double test « nature/importance » imaginé en 1970 : les transferts de compétences en cause peuvent, par leur nature, concerner un domaine qui touche à l'exercice de compétences souveraines essentielles ; ils peuvent aussi s'effectuer selon des modalités qui portent atteinte de manière plus ou moins importante à l'exercice de la souveraineté.

14. Il n'y a pas de primauté entre l'un et l'autre de ces deux tests qui se complètent mutuellement : il se peut qu'un transfert de compétences porte sur un domaine essentiel mais que les modalités prévues de leur exercice soient suffisamment anodines pour que le transfert ne mette pas en cause les conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale ; à l'inverse, ces conditions peuvent être menacées par les modalités d'exercice d'un transfert de compétences dans un domaine moins directement lié à la souveraineté de l'État.

En revanche, on peut admettre qu'il existe une antériorité logique du test « nature/domaine » sur le test « importance/modalités » et que les raisonnements du Conseil sont sous-tendus par la démarche suivante :

  • en premier lieu, il s'interroge sur le domaine : le transfert porte-t'il sur des compétences qui découlent directement de la souveraineté de l'État ? dans l'affirmative, il y a sans doute une présomption, prima facie, d'inconstitutionnalité ;

  • mais cette présomption n'est irréfragable ni dans un sens ni dans l'autre et peut être renversée par l'examen des modalités d'exercice des compétences transférées : si celles-ci garantissent à la France un droit de regard suffisant, les dispositions conventionnelles qui opèrent le transfert seront déclarées conformes à la Constitution, quel que soit le domaine sur lequel elles portent ; à l'inverse, si la France perd tout pouvoir de contrôle, le Conseil pourra constater l'inconstitutionnalité, même si le domaine dans lequel intervient le transfert des compétences n'est pas essentiel.

Tout est affaire d'esprit de finesse plus que de géométrie et le bon sens, ici, vient au secours du droit. Les solutions arrêtées jusqu'ici par le Conseil constitutionnel en la matière n'en sont pas dépourvues.

15. Dans l'affaire du Traité d'Amsterdam, le Conseil a pu concentrer son examen sur la question des modalités du transfert de compétences effectuées au profit de la Communauté européenne. Pour ce qui est du domaine, la question avait été tranchée par la décision « em>Maastricht I

Laconiquement, le Conseil se borne d'ailleurs à affirmer que « les domaines de l'asile, de l'immigration et du franchissement des frontières intérieures [...] intéressent l'exercice de la souveraineté nationale » et il ne s'était pas montré plus empressé à justifier cette affirmation en 1992. Elle n'en paraît pas moins fondée : la circulation des personnes est, partout, un élément de l'ordre public ; on sait l'importance qu'ont aujourd'hui les problèmes d'immigration dans la vie politique française et l'asile constitue une prérogative régalienne, dont l'exercice est d'ailleurs en partie directement règlementé par la Constitution.

Cette approche intuitive n'est du reste propre ni à la décision « em>Amsterdam

Ainsi, en 1985 et en 1991, ne donne-t'il aucune explication pour justifier l'énumération des trois domaines - « le respect des institutions de la République, la continuité de la vie de la nation et la garantie des droits et libertés des citoyens » - qu'il estime relever des conditions essentielles de l'exercice de la souveraineté nationale. Il en va de même lorsqu'il inclut dans la même catégorie la politique monétaire.

Déjà, dans sa décision du 29 avril 1978, sans utiliser l'expression « atteinte aux conditions essentielles d'exercice de la souveraineté », il avait estimé implicitement que le régime des taux de change relevait en principe du domaine des compétences essentielles liées à la souveraineté. Le Conseil se montre tout aussi catégorique, mais plus explicite, dans sa décision « em>Maastricht I

16. Sans relever de la mathématique, le test « importance/modalités » repose sur des modes de raisonnement moins intuitifs même s'ils demeurent empiriques et pragmatiques. On peut néanmoins tenter de dégager les grandes lignes des directives générales sur lesquelles se fonde le Conseil et dont certaines transparaissent assez bien dans la décision « em>Amsterdam

Le point essentiel à cet égard se traduit sans doute par les considérants 23-24 et 27 dont il ressort, bien qu'ils ne soient pas rédigés exactement dans les mêmes termes, que le passage de la règle de l'unanimité à celle de la majorité qualifiée selon la procédure de la co-décision, pour prendre les mesures relatives à l'asile, à l'immigration et au franchissement des frontières intérieures des États membres d'une part, celles relatives au franchissement des leurs frontières extérieures d'autre part -deux domaines touchant « par nature » à la souveraineté-, « pourrait conduire à ce que se trouvent affectées les conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale ».

Le critère est simple : les conditions essentielles d'exercice de la souveraineté se trouvent affectées par la perte de pouvoir de décision de la France, qui risque de se voir imposer des mesures à l'adoption desquelles elle ne concourrait pas ou auxquelles elle s'opposerait. Il n'est pas sans rappeler le raisonnement du Conseil à propos du second amendement aux Statuts du F.M.I. ou de la Convention d'application de l'Accord de Schengen. Dans le premier cas, il a souligné que l'Accord de Kingston ne modifiait pas « la disposition des Statuts du F.M.I. selon laquelle la parité de la monnaie d'un membre ne peut être modifiée que sur la proposition de l'intéressé ». Dans le second, il a rejeté les arguments relatifs à l'incompatibilité avec la Constitution des dispositions de la Convention réservant les compétences de police de chaque Partie contractante (cons. 20), leur pouvoir d'appréciation en matière d'asile (cons. 31) ou leur droit d'exiger la fin de l'observation transfrontalière menée sur leur territoire par des agents étrangers (cons. 35 ): dans tous ces cas, le pouvoir ultime de décision continue, selon le Conseil, à appartenir aux autorités françaises.

Le Conseil a adopté la même solution à propos du paragraphe 3 de l'article 100 C ajouté par le Traité de Masstricht au Taité C.E. relatif à l'entrée et à la circulation des personnes : « l'abandon de la règle de l'unanimité à compter du 1er janvier 1996, comme le prévoit le paragraphe 3 de l'article 100 C pourrait conduire [...] à ce que se trouvent affectées des conditions essentielles d'exercice de la souveraineté » (cons. 49), et ceci alors même que le paragraphe 4 sauvegardait le droit d'initiative des États membres, et que le paragraphe 5 réservait expressément les « responsabilités qui incombent aux États membres pour le maintien de l'ordre public et la sauvegarde de la sécurité intérieure ».

À l'inverse, n'affectent pas les conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale des dispositions dont le Conseil relève expressément qu'elles préservent la possibilité pour la France de s'opposer à l'adoption des décisions à venir. Tel est le cas, par exemple, des mesures relatives à l'asile, l'immigration ou le franchissement des frontières durant la période transitoire de cinq ans qui suivra l'entrée en vigueur du Traité d'Amsterdam (cons. 22 de la décision du 31 décembre 1997) ou, s'agissant de celui de Maastricht, des mesures relatives à l'entrée et à la cisculation des personnes avant le 1er janvier 1996 (cons. 49 de la décision du 9 avril 1992).

17. Les modalités de la prise de décision ne sont cependant pas seules en cause, et le Conseil peut ne pas déclarer incompatibles avec la Constitution des dispositions écartant la règle de l'unanimité ou, au contraire, s'opposer à certaines autres pour des motifs tout à fait étrangers à ce type de considération.

Ainsi par exemple, dans la décision « em>Maastricht IAmsterdam

Pour autant que l'on puisse en juger -car le nombre de décisions rendues en la matière demeure tout de même très limité-, il y a là d'ailleurs une constante de la jurisprudence du Conseil : des limitations temporaires à l'exercice de compétences souveraines ne portent pas atteinte aux conditions essentielles d'exercice de la souveraineté, et ceci, quelles que soient l'importance et la nature du domaine considéré :

  • l'abolition de la peine de mort (car le Protocole n° 6 à la Convention européenne des droits de l'homme « peut être dénoncé dans les conditions fixées par l'article 65 » de la Convention); ou

  • l'observation transfrontalière prévue à l'article 40 de la Convention d'application de l'Accord de Schengen.

D'autres facteurs peuvent jouer, qui, pour l'instant, défient la synthèse. Par exemples :

  • l'existence de garanties, autres que la possibilité d'un « droit d'empêcher », qui limitent, par elles-mêmes, les atteintes portées à la plénitude et à l'exclusivité des compétences des autorités françaises sur le territoire national ;

  • le contexte de la disposition examinée, qui peut conduire à relativiser des atteintes apparentes aux conditions essentielles d'exercice de la souveraineté

  • l'absence d'effet direct d'une disposition conventionnelle ; ou, probablement,

  • le caractère considéré par le Conseil comme secondaire ou anodin de certaines dispositions, ce qui explique sans doute que, dans la décision « em>Amsterdam

18. Il n'est pas sans intérêt de relever également les éléments que la Haute Juridiction considère comme étant, au contraire, sans influence sur son appréciation de l'atteinte éventuelle portée par un traité ou accord aux conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale.

Ainsi, le Conseil ne s'est jamais arrêté au fait que tous les progrès de la construction communautaire se sont faits au détriment de l'équilibre constitutionnel des pouvoirs publics, les compétences du Parlement se trouvant rognées en faveur de celles de l'Exécutif dont les membres, Président de la République, Chef du Gouvernement ou Ministres, représentent la France au sein des instances européennes. Le Traité d'Amsterdam ne fait pas exception à la règle, en transférant aux Communautés, dans des proportions il est vrai moindres que ne l'avait fait celui de Maastricht, des compétences relevant auparavant du domaine de la loi aux termes de l'article 34 de la Constitution. Or, ni en 1992, ni en 1997, le Conseil n'évoque la question.

On peut tenter de trouver une explication à ce mutisme obstiné dans le fait qu'il entend préserver l'« acquis communautaire ». Cette explication a été expressément avancée par le Conseil à propos de deux règlements communautaires de 1977 instituant des prélèvements sur certaines opérations commerciales qui « court-circuitaient » les compétences du Parlement en matière d'imposition ; mais, par deux décisions du 30 décembre 1977, il a considéré que :

« les répercussions de la répartition des compétences ainsi opérées entre les institutions communautaires et les autorités nationales en ce qui concerne les conditions d'exercice de la souveraineté nationale et le jeu des règles de l'article 34 de la Constitution ne sont que la conséquence d'engagements internationaux souscrits par la France et entrés dans le champ de l'article 55 de la Constitution ».

Mais le raisonnement, qui vaut pour le droit dérivé, n'est nullement transposable s'agissant des traités ou accords signés mais qui ne sont pas encore ratifiés ou approuvés (et ne sont donc pas, par définition, « entrés dans le champ de l'article 55 ») et dont le Conseil est appelé à examiner la conformité à la Constitution à titre préventif.

Il est certain que, lorsqu'il exerce ce contrôle préventif de la compatibilité d'un engagement international avec la Constitution, le Conseil, se montre très soucieux de ne pas remettre en cause les traités ou accords antérieurs. Il considère à juste titre que, lorsqu'il est saisi au titre de la procédure instituée par l'article 54 « d'un traité qui modifie ou complète un ou plusieurs engagements internationaux déjà introduits dans l'ordre juridique interne », il lui appartient

« de déterminer la portée du traité soumis à son examen en fonction des engagements internationaux que ce traité a pour objet de modifier ou compléter ».

Mais, ce respect de la « chose conclue » ne justifie pas non plus les atteintes éventuellement portées au partage des compétences organisé par la Constitution entre l'Exécutif et le Parlement par le nouveau traité et, dans son principe, le raisonnement paraît d'autant plus choquant que la nature de « représentants » du peuple peut être contestée aux Ministres, si bien que l'on peut voir dans de tels transferts de compétences une atteinte aux conditions d'exercice de la souveraineté nationale telle qu'elles sont définies à l'alinéa 1er de l'article 3 de la Constitution.

En tout cas, si le laxisme du Conseil se justifie, les raisons ne peuvent être trouvées qu'à un niveau plus empirique: l'attitude contraire impliquerait des modifications constitutionnelles lors de chaque avancée, même très limitée, de la construction communautaire. Mais plutôt que de s'en remettre à la complicité du silence sur laquelle repose cette fragile tolérance, toujours à la merci d'un brusque scrupule juridique d'une majorité plus « technicienne » au sein de la Haute Juridiction, il serait probablement plus sage de concevoir la future et nécessaire réforme de la Constitution qui découlera de la décision « em>Amsterdam

19. L'indifférence marquée par le gardien de la Constitution à l'égard de la préservation des droits du Parlement contraste avec le soin jaloux (et justifié) qu'il prend pour la sauvegarde de ses propres droits.

Ce soin transparaît avec netteté dans la décision « em>Amsterdama priori aux yeux du Conseil constitutionnel une modalité préservant les conditions essentielles d'exercice de la souveraineté, il ne s'en contente pas en l'espèce ; et cela semble légitime : si la France ne s'oppose pas, alors, au passage de l'unanimité à la co-décision, celui-ci sera irréversible et, pour l'avenir, la République sera liée par des décisions à l'adoption desquelles son accord ne sera plus nécessaire ; en d'autres termes, la décision du Conseil des Communautés s'apparente matériellement à un traité, dont chacun sait qu'il est un « piège à volonté » : une fois le consentement de l'État donné, il ne peut s'en dédire. Il n'existe donc aucune raison valable pour que le Conseil constitutionnel donne son blanc-seing à une telle procédure « équivalente à un traité ».

Plus singulière est la raison qu'il donne à cette prise de position :

« un tel passage de la règle de l'unanimité à celle de la majorité qualifiée et à la procédure de 'codécision' ne nécessitera, le moment venu, aucun acte de ratification ou d'approbation nationale, et ne pourra ainsi pas faire l'objet d'un contrôle de constitutionnalité sur le fondement de l'article 54 ou de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution » (cons. 23).

Ceci est parfaitement exact, mais est aussi remarquablement partiel et partial : le « saut dans l'inconnu » que constituera le passage à la majorité qualifiée n'a pas pour seul effet -ni, peut-être, pour principal effet- de court-circuiter le Conseil constitutionnel, il prive aussi de leurs droits et le Parlement qui, dans ce domaine, autorise la ratification ou l'approbation des engagements internationaux de la France en vertu de l'article 53 de la Constitution, et le Président de la République ou le Gouvernement, qui les ratifie ou les approuve. Uniquement préoccupé de la préservation de ses propres droits, le Conseil n'en a cure. Plaisante justice qu'une motivation borgne...

* * *

20. Il n'est guère étonnant que la jurisprudence « internationale » du Conseil constitutionnel soit d'abord une jurisprudence « communautaire »: la production normative des Communautés est infiniment plus abondante et, dans l'ensemble, plus novatrice que celle du droit international général et les moyens mis par les États à la disposition des Communautés et de l'Union européennes menacent certainement davantage leur « souveraineté » que les solutions mises en oeuvre au plans bilatéraux ou universel. C'est donc, très logiquement, à propos de la construction communautaire que les problèmes les plus graves de compatibilité de normes non nationales avec la Constitution se sont posés et c'est à leur propos que la Conseil a forgé l'essentiel de sa jurisprudence « internationale ». C'est aussi et seulement en matière communautaire qu'il a déclaré des engagements internationaux de la France non conformes à la Constitution, obligeant de ce fait à procéder à sa révision; la décision « em>Amsterdam

Cela ne signifie pas que cette jurisprudence ne soit pas transposable dans d'autres domaines.

On peut se demander, par exemple, si, au vu de la jurisprudence « em>Maastricht/Amsterdam

21. Ceci pose la question des suites qui seront données à la décision « em>Amsterdam

La première consiste à « parer au plus pressé » et à donner, comme on l'a fait à la suite de la décision « em>Maastricht I « Dans les mêmes conditions, la France consent aux transferts de compétences nécessaires à l'adoption et à la mise en oeuvre des mesures relatives à l'asile, à l'immigration et au franchissement des frontières intérieures et extérieures des États membres de la Communauté européenne prévues par le Traité modifiant le Traité sur l'Union européenne, les traités instituant les Communautés européennes et certains actes connexes, signé le 2 octobre 1997 »

Et après ? est-on tenté d'écrire... Le même problème se reposera inévitablement dans quelques mois ou dans quelques années, lorsque la dynamique communautaire aura rendu nécessaires de nouveaux transferts de compétences ou même lorsque, hors du cadre communautaire, la France se décidera enfin à renouer avec l'internationalisme généreux et solidaire dont elle a, dans le passé été le chantre, un passé avec lequel la création d'une Cour criminelle internationale pourrait lui donner bientôt l'occasion de renouer.

Infiniment préférable apparaît alors la seconde attitude possible, qui consisterait à inscrire dans la Constitution, une fois pour toutes que la France « consent aux transferts de compétences nécessaires à l'approfondissement de la construction communautaire, à l'organisation de la société internationale, à la protection internationale et à la défense de la paix », quitte à prévoir des garde-fous procéduraux comme l'exigence d'une majorité renforcée (mais pas irréaliste) pour l'adoption par le Parlement des lois autorisant la ratification des traités effectuant ces transferts de compétence et/ou l'intervention obligatoire d'un avis du Conseil constitutionnel qui serait chargé de préciser, avant la soumission d'un tel projet de loi au Parlement, la portée de ces transferts.

La formule suggérée ci-dessus n'est pas très éloignée de celle figurant dans le préambule de 1946, mais elle opère le pont nécessaire entre celle-ci et celles dont la Constitution est désormais saupoudrée et qui finiront par la surcharger à l'excès si l'on continue à ajouter des dispositions d'exception à un texte dont le caractère fondateur risque ainsi de s'estomper facheusement.

22. Au demeurant, il n'est pas certain que l'on pourra indéfiniment éluder la question posée en 1992 par les sénateurs qui avaient saisi le Conseil constitutionnel de la conformité du Traité de Maastricht à la Constitution et que la Haute Juridiction avait alors écartée d'un revers d'article 54, en s'abritant derrière le caractère limité de son contrôle au seul traité qui lui est soumis en vertu de cette disposition.

Selon les auteurs de cette saisine, « dans la mesure où l'ordre juridique constitutionnel français est construit autour de l'idée centrale de souveraineté nationale [], la question qui se trouve posée [...] est celle de savoir jusqu'où peuvent aller des révisions de la Constitution entérinant des atteintes successives aux 'conditions essentielles d'exercice de la souveraineté ». Ceci est un vrai problème, que l'on peut exprimer autrement : à force de limiter et de transférer, même volontairement, ses compétences, un État ne finit-il pas par perdre sa souveraineté, c'est-à-dire sa qualité même d'État ?

La réponse à cette question est certainement positive : une entité sans compétence internationale ne peut surement plus être qualifiée d'État au sens que le droit international contemporain donne à ce terme ; et la question se pose tout spécialement en ce qui concerne les États membres des Communautés européennes qui ont transféré (et qui continue de transférer) à celles-ci des compétences très nombreuses dans des domaines très importants. Mais tout est affaire de seuil - et donc aussi d'opinion subjective : quand est-il dépassé ? c'est une question d'opinion, impossible à trancher « objectivement ».

De l'avis du signataire de ces lignes, il est, à l'heure actuelle, loin de l'être et, pour étendues qu'elles soient, les compétences communautaires ne portent pas atteinte à l'existence des États membres en tant que tels et ceux-ci demeurent souverains, ne fût-ce que du fait qu'ils conservent le « monopole » presque exclusif, de la contrainte. Mais il n'en ira sans doute pas indéfiniment ainsi et, dans un avenir indéterminé que certains appellent de leurs voeux et que d'autres redoutent, les Quinze, ou les Dix-Huit, ou les Vingt-et-Un auront cessé d'exister en tant qu'États ; faute de compétences, leur « souveraineté » ne sera qu'une coquille vide ; et la construction communautaire aura affirmé, définitivement, sa vocation fédérale. Ce jour-là, lointain sans doute, ce ne sont plus des compétences qu'ils auront transférées à l'Union européenne au sein de laquelle ils se seront fondus, mais leur souveraineté elle-même.

Même si, dans des domaines limités, le Traité d'Amsterdam porte atteinte aux conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale, il ne constitue qu'un pas très timide dans cette direction...