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Le Conseil constitutionnel et la transformation de la République1

Alec STONE SWEET - Professeur, Yale Law School, États-Unis

Cahiers du Conseil constitutionnel n° 25 (Dossier : 50ème anniversaire) - août 2009

La Constitution de 1958 est la quinzième qu'ait connue la France depuis la Grande Révolution. Pendant deux siècles de tourmente et de changement, une caractéristique du constitutionnalisme français est demeurée remarquablement stable : la souveraineté de la Loi dans l'ordre juridique. Dans la tradition républicaine, les lois du Parlement étaient considérées comme incarnant la Volonté générale, et la Volonté générale elle-même comportait sa propre idéologie de la supériorité de la loi. La doctrine de la séparation des pouvoirs avait pour effet de soumettre les tribunaux à l'autorité législative en prohibant le contrôle juridictionnel des lois parlementaires. Sous la Ve épublique, le Parlement a perdu sa position centrale mais la souveraineté du Parlement est restée intacte sur le plan formel, qui n'est pas sans importance. Les lois ne pouvaient entrer en vigueur qu'avec le consentement du Parlement et, une fois promulguée, la loi ne pouvait en aucun cas être contestée devant un juge. Le 21 juillet 2008, la souveraineté législative est morte de sa belle mort lorsque les députés et les sénateurs ont conféré au Conseil constitutionnel le pouvoir, exercé en collaboration avec la Cour de cassation et le Conseil d'État, de contrôler la conformité à la Constitution des lois déjà publiées. Le Conseil est désormais un membre à part entière de la famille des Cours constitutionnelles européennes.

La révision constitutionnelle de 2008 apporte une nouvelle pierre au processus de « transformation »2 de la Ve République qu'avait initié le Conseil dans sa décision de 1971 relative à la liberté d'association3. Les partis politiques ont ainsi ratifié le « coup d'État juridique »4, résultant du succès de l'incorporation par le Conseil de la Déclaration des droits de l'homme dans la Constitution. Dans cette brève étude, j'examine les effets de cette transformation sur l'exercice du pouvoir législatif et du pouvoir judiciaire, en insistant sur l'autorité du Conseil au sein de l'ordre constitutionnel. Considérée d'un point de vue prospectif, la révision de 2008 ouvre une nouvelle phase de l'évolution de la Ve République, celle d'un pluralisme et d'une fragmentation de l'autorité dans la procédure de protection et de promotion des droits fondamentaux.

I. Le Conseil et le pouvoir législatif

Les pères fondateurs de la Ve République ont donné au Conseil un droit de veto, exercé dans le cadre de la procédure législative, et qui assure la domination du pouvoir exécutif sur le Parlement et sur le processus d'élaboration de la loi. Le rôle du Conseil a fondamentalement changé lorsque, par leurs effets combinés, sa jurisprudence sur les droits et libertés et la révision constitutionnelle de 1974 (accordant le droit de saisine à l'opposition) ont accru la capacité du système politique à générer des litiges d'ordre constitutionnel. La cible du contrôle n'était plus le Parlement per se mais le programme législatif du Gouvernement et de sa majorité. Pendant la période essentielle qui alla de 1974 à 1988, les oppositions qui se sont succédées ont saisi le Conseil avec davantage d'ardeur, et le Conseil y a réagi en développant une jurisprudence toujours plus sophistiquée.

La thèse qui soutient mon approche de l'étude du Conseil constitutionnel5 -- comme de toutes les Cours constitutionnelles en Europe6 -- tient simplement en deux points. En premier lieu, dans l'exercice des pouvoirs de contrôle in abstracto qui sont les siens, le Conseil agit en tant que chambre législative spécialisée. En second lieu, chaque fois que le Parlement débat de la constitutionnalité de projets de loi et prend des décisions formelles à ce sujet, il se comporte comme une sorte de juge constitutionnel.

A. Le Conseil en tant que chambre législative spécialisée

Les pouvoirs législatifs du Conseil se sont à ce jour cantonnés à un contrôle abstrait, avant leur promulgation, de lois adoptées par le Parlement, sur la saisine d'hommes politiques. C'est classiquement l'opposition qui saisit le Conseil. Les minorités parlementaires sont attirées par le Conseil parce qu'elles voient en lui la seule possibilité de veto dans le processus législatif. Les saisines ralentissent ce processus en ajoutant une nouvelle étape : une ultime « lecture constitutionnelle » de la loi par le Conseil. Il nous semble dès lors justifié de catégoriser le Conseil comme une chambre législative spécialisée (« spécialisée », parce que son travail est précisément cantonné à des décisions portant sur la constitutionnalité).

Dans mes recherches, j'ai suivi chaque loi adoptée pendant la période 1974-1988 tout au long des différentes phases du processus législatif avec pour objectif de mesurer l'influence du Conseil et de sa jurisprudence sur le travail du Gouvernement et du Parlement7. Cet impact s'est avéré profond et multidimensionnel. En annulant des dispositions législatives (il en est ainsi dans plus de la moitié des décisions rendues durant la période considérée), le Conseil fait fonction, en termes kelséniens, de « législateur négatif »8. Le pouvoir de s'opposer à des lois du Parlement et de les amender ne constitue que l'une des dimensions -- immédiate et négative -- de l'influence du Conseil. Le pouvoir législatif du Conseil porte en lui une seconde dimension, prospective et créatrice. Lorsque le Conseil pose des réserves d'interprétation strictes, il réécrit ou modifie la législation, dans la mesure où sa propre interprétation diffère significativement de celle du Gouvernement et de la majorité. Lorsque les ministres et les parlementaires rédigent, modifient et abrogent des lois en vue (1) de se conformer à la jurisprudence du Conseil ou (2) d'anticiper l'orientation qui sera celle des futures décisions du Conseil, ils entérinent le pouvoir de nature pédagogique qui est celui du Conseil dans le processus législatif. Dans les années quatre-vingt, le Conseil est apparu comme un « législateur positif » puissant, et une nouvelle « politique constitutionnelle »9 s'est institutionnalisée, dans laquelle le législateur prend ses décisions à la lumière de la jurisprudence du Conseil tandis que plane l'ombre de la saisine. De sorte qu'à la fin de la période, nul observateur ne pouvait plus comprendre la manière dont la loi était élaborée sans attacher une importance particulière à l'interaction entre le Conseil et le législateur.

B. Le Parlement en tant que juge constitutionnel

À partir de la décision de 1971, la doctrine a progressivement abandonné son hostilité à l'égard du Conseil. Un consensus s'est formé autour de l'idée que le Conseil était une juridiction digne de susciter le respect et l'attention de la doctrine parce qu'il générait une jurisprudence qui faisait autorité quant à la conformité au droit des lois parlementaires10. L'on a aujourd'hui oublié que, tout au long de la IIIe République, les juristes usaient d'arguments pratiquement identiques pour soutenir que le Parlement faisait fonction de juge constitutionnel chaque fois qu'il débattait, dans le cadre de la procédure de la question préalable11, de la conformité au droit de ses propres activités. Aux termes des Règlements de l'Assemblée et du Sénat, les députés et sénateurs ont la possibilité de soulever une motion d'irrecevabilité qui les conduit à débattre et à se prononcer par un vote sur la constitutionnalité du texte en discussion. Au cours de ces débats, ils citent les textes constitutionnels, évoquent les prises de position de la doctrine juridique et font état de la jurisprudence pertinente du Conseil. En cas d'adoption de la motion, le texte est rejeté pour inconstitutionnalité. De 1981 à 1987, l'Assemblée nationale, à elle seule, a débattu et s'est prononcée sur 94 de ces motions, un chiffre à comparer aux 93 décisions du Conseil. Les critères habituellement retenus par la doctrine française nous obligent à conclure que c'était l'Assemblée, et non le Conseil qui était le juge constitutionnel le plus actif.

Les parlementaires eux-mêmes se sont considérés comme des juges constitutionnels et ont vu dans le Conseil une chambre législative. À l'occasion des débats sur une motion d'irrecevabilité dirigée contre le projet de loi de nationalisation des socialistes, en 1981, le vice-président du Sénat déclara que les parlementaires étaient des juges de première instance, statuant sous le contrôle du Conseil de la même manière que les juges du fond sont contrôlés par la Cour de cassation12. L'un des partisans du Conseil, dans la Revue politique et parlementaire de l'année 1986, décrivit celui-ci comme une « chambre d'appel » du Parlement ou encore comme un « second Parlement » qui organise le travail du « premier Parlement »13. Plus tard dans la même année, Jacques Toubon, non sans mécontentement, qualifia le Conseil de « Parlement des juges »14.

La thèse que je soutiens n'a pas pour objet de créer la controverse. Elle vise à décrire une réalité, et la réalité ainsi décrite ne se limite pas au cas de la France. Bien au contraire, plus une Cour constitutionnelle exerce des pouvoirs de contrôle in abstracto avec une efficacité minimale, plus le législateur se trouve enclin à se comporter en juge constitutionnel.

II. Le Conseil et le pouvoir judiciaire

Les fondateurs de la Ve République étaient clairement opposés à la création d'une Cour constitutionnelle. En 1958, au cours des travaux préparatoires, ils rejetèrent la proposition du Comité consultatif constitutionnel tendant à donner à la Cour de cassation et au Conseil d'État la possibilité de déférer des lois au Conseil en vue d'obtenir de celui-ci une décision quant à leur conformité à la nouvelle Constitution. Ils refusèrent également de conférer au Conseil compétence au regard des droits fondamentaux. Ainsi que Michel Debré et Raymond Janot le répétaient avec insistance, en décider autrement eût conduit à un « gouvernement des juges »15.

Quand le Conseil se mit à se comporter en Cour constitutionnelle, se posèrent inévitablement des questions quant à la nature et à la portée de ses pouvoirs. La conception orthodoxe prévalant en Europe repose sur la présomption que les Cours constitutionnelles détiennent -- ou devraient détenir -- la compétence suprême pour déterminer l'interprétation et l'application des normes constitutionnelles. De plus, les décisions des juges constitutionnels s'imposent -- ou devraient s'imposer -- à tout autre organe ou acteur faisant partie intégrante du système juridique. En France toutefois, il n'est pas possible de présumer la capacité du Conseil à déterminer la manière dont la Constitution et les droits vont évoluer.

A. Questions d'autorité

Dans la mesure où l'opposition opère comme son agent, comme son « chien de garde », l'autorité du Conseil dans la sphère législative est quasiment parfaite. Le Conseil exerce des pouvoirs tantôt négatifs, tantôt positifs, et souvent les deux à la fois. Lorsque le Conseil annule une réforme législative importante, il fournit habituellement des indications sur la manière dont le projet aurait dû être initialement élaboré. De telles décisions sont à l'origine d'un processus de « révision correctrice » : le Gouvernement réécrit le texte censuré, en se conformant à la jurisprudence constitutionnelle, afin d'en assurer la promulgation. Dans un tel processus, le Conseil a déjà clairement explicité ses choix législatifs et c'est la menace d'une nouvelle saisine par l'opposition qui assure le respect par le Gouvernement de la décision du Conseil. La menace de saisine équivaut en soi à un mécanisme (coercitif) de mise en conformité16.

Par comparaison, l'autorité du Conseil dans la sphère juridictionnelle présente des imperfections certaines parce que, précisément, il n'existe aucun chien de garde ni aucun mécanisme coercitif visant à assurer le respect de sa jurisprudence. Il est notoire que le Conseil d'État et la Cour de cassation ont longtemps refusé de reconnaître l'autorité du raisonnement du Conseil. Ce qui a fait problème, au cours des années quatre-vingt, lorsque le Conseil s'est mis à émettre des réserves strictes d'interprétation. Avec l'appui de la doctrine constitutionnelle, le Conseil soutenait que ses réserves d'interprétation liaient toutes les autorités publiques, les juges en particulier, et que toute autre position serait revenue à permettre qu'une loi fût mise en œuvre de manière inconstitutionnelle.

Les termes de cette question d'autorité sont clairs : la mise en œuvre des positions du Conseil dépend des autorités judiciaires, mais celui-ci est dépourvu des moyens d'obliger les tribunaux à y procéder. Ceux-ci étaient à l'origine hostiles à l'idée de se trouver placés sous la tutelle du Conseil. En 1993, l'Association professionnelle des magistrats publia même un communiqué appelant les juges et les procureurs à ignorer les réserves d'interprétation, qualifiées par elle de glose dépourvue de valeur juridique17. À la fin des années quatre-vingt-dix (au plus tard), les hauts magistrats de la Cour de cassation et ceux du Conseil d'État avaient fait le choix d'accepter l'autorité persuasive des interprétations du Conseil. À mon sens, ce revirement ne leur coûtait pratiquement rien dans la mesure où, à cette époque, les deux Cours suprêmes étaient déjà parvenues à asseoir de manière autonome leur propre autorité dans la protection des droits, tant sur le fondement de la Constitution18 que sur celui de la Convention européenne des droits de l'homme (CEDH). Dans un tel contexte, les réserves du Conseil ont pour effet d'étendre (plutôt que de restreindre) le menu des interprétations possibles à la disposition des Cours suprêmes.

B. Pluralisme constitutionnel et questions d'autorité

En 1975, le Conseil commit une énorme erreur stratégique en déclarant que la CEDH n'entrait pas dans son champ de compétence19. La Convention fut finalement incorporée en droit français avec un statut supérieur à celui de la loi ; et les deux Cours suprêmes se mirent progressivement à en faire application en vue (1) de se défendre contre la censure par la Cour de Strasbourg et (2) de développer et consolider de nouveaux pouvoirs en matière de contrôle juridictionnel20. Au cours des quinze dernières années, procédant à la simplification d'un processus complexe, la Cour de cassation et le Conseil d'État sont devenus de facto des juges constitutionnels. De manière prétorienne, ils lisent de façon constructive et appliquent tant les droits constitutionnels que la Convention, et ce en dehors de tout contrôle du Conseil -- et du législateur. Il est significatif que les requérants qui se proposent d'opposer devant les tribunaux les droits et libertés à une disposition législative s'appuieront beaucoup plus vraisemblablement sur la Convention que sur la Constitution française -- ce qui avantage les Cours suprêmes, plutôt que le Conseil.

De nos jours, l'ordre juridique français est caractérisé par une forme puissante de pluralisme constitutionnel : de multiples hautes juridictions exercent de manière autonome leur autorité dans le développement et la protection des droits fondamentaux, lesquels ont des sources multiples (écrites, non écrites, françaises, européennes). Dans les systèmes germanique et espagnol, la requête constitutionnelle (Verfassungsbeschwerde et amparo) constitue un mécanisme relativement efficace d'affirmation de l'autorité de la Cour constitutionnelle. Avec les particuliers jouant le rôle de chiens de garde, les Cours constitutionnelles sont à même de superviser l'interprétation et l'application de la CEDH par les autorités judiciaires et de déterminer si et comment l'ordre constitutionnel s'adaptera à la jurisprudence de la Cour de Strasbourg. Le Conseil, quant à lui, ne dispose d'aucun moyen pour contrôler la manière dont la Cour de cassation et le Conseil d'État appliquent la Convention. Bien plus, chacune des deux Cours suprêmes assure la fonction -- intrinsèquement constitutionnelle -- de déterminer comment les droits constitutionnels et ceux de la Convention doivent être combinés les uns avec les autres. Un flot constant d'affaires leur fournit la possibilité de modifier ou de renforcer leur position de manière ininterrompue. Ou le Conseil reviendra sur sa jurisprudence de 1975, ou il se trouvera de plus en plus marginalisé.

Enfin, la révision constitutionnelle de 2008 introduit en France une forme de contrôle in concreto (l'exception d'inconstitutionnalité), ce qui est de nature à rendre les choses encore plus complexes. La réforme était justifiée, pour partie, par la nécessaire « modernisation » du système juridique, qui permet à la France de « rattraper » ses voisins européens. Et, ici encore, une approche comparatiste s'avère instructive21. En Espagne et en Allemagne, les particuliers peuvent en appeler directement au juge constitutionnel quand le juge ordinaire soit s'abstient de soumettre la question à la Cour constitutionnelle, soit n'applique pas la jurisprudence de celle-ci de manière appropriée. En Italie, où n'existe pas de mécanisme d'amparo, l'autorité de la Corte Costituzionale repose sur sa capacité à négocier une relation de coopération avec la Corte de Cassazione et le Consiglio di Stato. Cette coopération n'est nullement garantie ; de fait, des 'guerres des juges', d'ampleur variable, éclatent périodiquement. Le Conseil français se trouve désormais confronté à une situation à l'italienne. De mon point de vue, l'exception d'inconstitutionnalité est de nature à accentuer, plutôt qu'à réduire, le pluralisme constitutionnel. La manière dont la nouvelle procédure va fonctionner sera davantage déterminée par l'effet de relations diplomatiques entre juridictions plutôt que par voie d'autorité hiérarchique.

Conclusion

En 1958, les fondateurs de la Ve République avaient rejeté les propositions visant à établir des droits fondamentaux, une Cour constitutionnelle et un contrôle juridictionnel des lois du Parlement. Or il s'agit là, aujourd'hui, de noyaux durs du droit constitutionnel français.

Le présent article a raconté la saga de cette « transformation de la Ve République » en deux parties. La première a mis l'accent sur les interactions entre le Conseil et le législateur, dans le processus législatif, après la décision de 1971. Les hommes politiques français auraient pu réviser la Constitution pour l'expurger des droits fondamentaux. Bien au contraire, ils ont, en 1974, élargi le droit de saisine pour l'accorder à l'opposition. Les partis politiques auraient pu refuser d'user de ce droit de saisine (offense sans légitimité aucune à la formation de la Volonté générale). Bien au contraire, lorsqu'elles n'ont pas détenu la majorité, tant la gauche que la droite ont brandi la saisine comme une arme au service de leurs programmes politiques. Et elles l'ont fait, sans y trouver rien d'anormal et sans chercher à s'en justifier, légitimant ce faisant l'autorité du Conseil, et celle des droits fondamentaux, dans le processus législatif.

La seconde partie de la saga s'est attachée aux relations entre le Conseil et les deux Cours suprêmes. Pendant la période critique qui fut celle des années 1974-1988, la politique constitutionnelle qui s'est déployée dans l'espace législatif a ébranlé l'idée du caractère « sacré » de la Loi et de son insusceptibilité de contrôle externe. Progressivement, les deux Cours suprêmes ont entrepris d'interpréter et d'appliquer les droits constitutionnels de leur propre autorité et pour les besoins de leur propre politique jurisprudentielle. Tout aussi important, le développement du droit européen a fourni aux deux Cours suprêmes de nouvelles occasions de se redéfinir comme des juridictions constitutionnelles de fait. L'ordre constitutionnel actuel se caractérise par une pluralité de juridictions, se livrant à l'interprétation et à l'application de multiples sources de droit de valeur supérieure. Le Parlement n'est que l'une de ces juridictions, et souvent il n'en est pas la plus importante.

Le 21 juillet 2008, la souveraineté de la loi est morte. Le législateur français l'a tuée -- dans un acte d'euthanasie22.


  1. Traduit de l'anglais par Kinder-Gest (P.), Professeur à l'Université Paris II Panthéon-Assas.
  2. Pour une théorie de la « transformation » juridique et son application à la France, voir Stone Sweet (A.), Judicialization and the Construction of Governance, Comparative Political Studies 31 (1999), p. 147-184.
  3. Déc. n° 71-44 DC, Recueil des décisions du Conseil constitutionnel, 1971, p. 29.
  4. Stone Sweet (A.), « The Juridical Coup d'État and the Problem of Authority », German Law Journal, n° 10 (2007), p. 915-928.
  5. Stone Sweet (A.), The Birth of Judicial Politics in France : The Constitutional Council in Comparative Perspective, Oxford University Press, Oxford, 1992, 312 p.
  6. La thèse a également été appliquée aux Cours constitutionnelles d'Europe centrale et orientale, voir Sadurski (W.), Rights before Courts : A Study of Constitutional Courts in Postcommunist States of Central and Eastern Europe, Kluwer Academic Publishers, Dordrecht, 2005, 377 p.
  7. The Birth of Judicial Politics in France, op.cit.
  8. Pour une discussion de l'application au Conseil et aux autres Cours constitutionnelles de la distinction opérée par Kelsen entre législateur positif et législateur négatif, voir Stone Sweet (A.), The Politics of Constitutional Review in France and Europe, International Journal of Constitutional Law 5 (2007), p. 69-92, et Stone Sweet (A.), Constitutional Courts and Parliamentary Democracy, West European Politics 25 (2002), p. 77-100.
  9. Stone Sweet (A.), La politique constitutionnelle, in François ?(B.) et Drago ?(R.), La légitimité de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, Paris, Economica, 1999, p. 117-140.
  10. The Birth of Judicial Politics in France, op. cit. chapitre 4.
    11 Waline (M.), « Éléments d'une théorie de la juridiction constitutionnelle », Revue du droit public, vol. 45, 1928, p. 441-462.
  11. Dailly (E.), JO Débats, Sénat, 20 novembre 1981.
  12. Pascallon (P.), « Le Conseil constitutionnel : un deuxième Parlement », Revue politique et parlementaire 925, 1986, p. 3.
  13. Le Monde, 5 septembre 1986.
  14. Travaux préparatoires de la Constitution du 4 octobre 1958, Avis et débats du Comité consultatif constitutionnel, Paris, La Documentation française, 1960, pp. 75-79, 101-102, 164-166 ; Documents pour servir à l'histoire de l'élaboration de la Constitution du 4 octobre 1958, tome 1 : Des origines de la loi constitutionnelle du 3 juin 1958 à l'avant-projet du 29 juillet 1958, Paris, La Documentation française, 1987, pp. 388, 425.
  15. À moins que les partis politiques ne soient capables et désireux de réviser la Constitution afin de faire échec à la décision du Conseil, le Conseil aura normalement le dernier mot.
  16. Le Monde, 9 août 1993.
  17. À la fin des années 1980, les deux Cours suprêmes étaient en train d'apprendre comment interpréter les droits constitutionnels et en faire usage, pour leurs propres besoins, en suivant des pistes qui pouvaient ne pas être inspirées de la jurisprudence du Conseil. Voir Governing with Judges, op. cit., p. 122-124.
  18. Déc. n° 74-54 DC, Recueil des décisions du Conseil constitutionnel, 1975, p. 19.
    20 La théorie de la loi-écran ne pouvait coexister avec la notion de primauté du droit de la CE de l'UE dans les systèmes nationaux ; et l'évolution du système de Strasbourg (tout particulièrement après l'entrée en vigueur du protocole n° 11) a mis de plus en plus en lumière le caractère inapproprié et indéfendable du système français de protection des droits. Voir Lambert Abdelgawad (E.) et Weber (A.), « The Reception Process in France and Germany », in Stone Sweet (A.) et Keller (H.) dir., A Europe of Rights : The Impact of the ECRH on National Legal Systems, Oxford University Press, Oxford, pp. 107-164 ; Lasser (M.), The European Pasteurization of French law, 90 Cornell Law Review, 2005, p. 995-1083.
  19. Governing with Judges, op. cit., chapitre 4.
  20. En 1990 et 1993, des réformes similaires furent bloquées par le Sénat et se heurtèrent à l'opposition des hommes politiques tant de gauche que de droite. A l'époque, certains portaient aux nues la souveraineté de la loi, d'autres regrettaient que le développement du bloc de constitutionnalité par le Conseil n'ait pas été autorisé par le pouvoir constituant, d'autres encore s'inquiétaient de la mise en place d'un « gouvernement des juges ». En 2008, nul ne s'est soucié de soulever aucune de ces objections. La souveraineté de la loi est morte sans fracas et sans même un gémissement.