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La sincérité du scrutin, études réunies et présentées par Richard Ghevontian

Richard GHEVONTIAN - Professeur à la Faculté de droit et science politique d'Aix-Marseille - GERJC-CNRS UMR 6055, Directeur de l'IEFEE

Cahiers du Conseil constitutionnel n° 13 (Dossier : La sincérité du scrutin) - janvier 2003

Si dans la démocratie l'élection est naturellement placée au coeur même du système dont elle est à la fois l'expression et la garantie, il est indispensable de faire en sorte que le droit de suffrage accordé à chaque citoyen puisse s'exercer dans des conditions telles que sa volonté réelle soit déterminante pour la désignation des élus.

L'adéquation totale entre ce qu'a choisi en toute liberté la majorité des citoyens et le résultat proclamé du scrutin est en conséquence la condition première du bon exercice de toute démocratie.

La notion de sincérité du scrutin joue donc, ici, un rôle essentiel en ce sens qu'elle permet de s'assurer que le système a bien fonctionné et que le véritable choix conscient des électeurs a bien été pris en compte.

Au moment où le droit électoral retrouve, grâce en grande partie à sa « constitutionnalisation », le rang qui doit être le sien dans un État de droit, il a paru utile de s'intéresser de plus près à ce concept de sincérité du scrutin. C'est précisément le fil conducteur des études qui sont réunies dans ce présent numéro des Cahiers du Conseil constitutionnel.

Avant de montrer les différentes approches que cette notion peut susciter, il a fallu en proposer une définition qui, finalement est moins simple que ce que l'on pourrait imaginer de prime abord. C'est ce que nous avons tenté de faire dans une étude introductive.

La sincérité ne peut se limiter au seul scrutin lui-même. Elle est déjà conditionnée par le cadre général dans lequel l'élection va se dérouler à commencer par les modes de scrutin, comme le montre l'étude du doyen Jean-Claude Colliard. Les modes de scrutin ne sont pas qu'une simple technique de calcul sans incidence sur le résultat du vote. Obéissant à des choix politiques précis, ils sont destinés non seulement à permettre la transformation nécessaire des suffrages en sièges mais également à privilégier certains principes comme la représentativité, l'efficacité ou le rejet des extrêmes. C'est pourquoi, dans une démocratie, le choix d'un mode de scrutin doit résulter d'un consensus politique et populaire le plus large possible.

La sincérité du scrutin doit non seulement être garantie par tout ce qui touche à l'organisation et au déroulement du vote, mais aussi par le contrôle et la sanction éventuelle de son non respect. Le contentieux électoral prend alors tout son sens même si ses modalités peuvent varier d'un État démocratique à l'autre comme nous le présente l'étude du doyen Francis Delpérée.

Dans ces conditions, les dysfonctionnements dans l'organisation matérielle du scrutin et les interrogations ou les doutes que peuvent susciter les modalités du contrôle, peuvent être non seulement préjudiciables à la sincérité du scrutin lui-même mais aussi, de manière certes plus subjective, à la perception que les citoyens pourront avoir de la légitimité réelle de leurs élus. À partir d'un cas concret très fortement médiatisé mais aux enjeux politiques et juridiques considérables - le contentieux Bush-Gore de 2000 devant la Cour suprême des États-Unis - le professeur Michel Rosenfeld met en lumière dans une étude critique les problèmes et les interrogations que de telles difficultés peuvent engendrer.

Comme nous le voyons, l'étude comparative apparaît, dans ce domaine, particulièrement opportune pour cerner avec le plus de précisions possibles la notion de sincérité. Et, à cet égard, les expériences étrangères originales peuvent apporter beaucoup et nourrir notre réflexion. C'est notamment le cas du modèle canadien qui nous offre l'exemple d'une institution très spécifique : le Directeur général des élections, fonction très importante dont le titulaire actuel, Jean-Pierre Kingsley nous présente les contours.

Enfin, et toujours dans la même démarche, il est indispensable de s'intéresser au cas des démocraties en voie de construction ou d'achèvement. Et sur ce plan les États de l'Afrique francophone accomplissent, aujourd'hui, un travail difficile mais considérable, dont le président Jean du Bois de Gaudusson nous montre l'intérêt et l'ampleur.


Pour terminer ce bref avant-propos, qu'il me soit permis d'ajouter une touche quelque peu subjective : la plupart des contributions présentées ici émanent d'universitaires et ont, de ce fait, une vocation purement doctrinale. Les opinions émises dans ces différentes études n'ont donc vocation qu'à apporter un regard théorique sur des sujets dont les véritables acteurs sont les organes politiques et juridictionnels. Ils ne sont destinés qu'à nourrir une réflexion sur des problèmes qui touchent au coeur même de notre démocratie.