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La Loi fondamentale à la lumière de la jurisprudence de la Cour constitutionnelle fédérale

Prof. Dr. h.c. Andreas Voßkuhle - Président de la Cour constitutionnelle fédérale(1)

NOUVEAUX CAHIERS DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL N° 59 (DOSSIER : LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL ET LA TRANSPARENCE) - AVRIL 2018, p. 57

I – La Loi fondamentale et l’organe chargé de l’interpréter en dernier lieu

La Loi fondamentale constitue, comme son nom l’indique, le fondement de la République fédérale. Aucune des constitutions allemandes qui l’ont précédée n’a eu une telle longévité. Pourtant, la Loi fondamentale devait initialement n’être qu’une constitution provisoire. À l’époque (1948-1949) où le Conseil parlementaire fut chargé d’élaborer une constitution pour ce qui était alors l’Allemagne de l’Ouest, le pays était, de fait, scindé en deux parties. De l’avis des fondateurs de la Loi fondamentale, cette loi ne devait – comme l’indiquait Konrad Adenauer – être en vigueur que pendant une période limitée et de transition, afin de ne pas cimenter encore plus la division de l’Allemagne. C’est pour cette raison que les termes « Conseil parlementaire » et « Loi fondamentale » furent employés au lieu de, respectivement, « Assemblée constituante » et « Constitution ».

La Loi fondamentale s’émancipa définitivement de cette réputation de n’être qu’une constitution provisoire au plus tard lors de la réunification de l’Allemagne en 1990. Elle avait surmonté les défis qui s’étaient présentés à elle pendant un demi-siècle, et son histoire était devenue celle d’un succès. Parmi ces défis figurèrent des événements comme le réarmement de l’Allemagne, la réinstauration du service militaire ou encore l’adoption de lois d’urgence. Au cours de son histoire, la Loi fondamentale a su gagner une haute valeur, ainsi que l’estime et l’appui de la population.

Dans ce contexte, la question se pose : Quelles sont les raisons de ce succès de la Loi fondamentale ?

Outre ses fonctions de fournir un cadre pour l’organisation de l’État, d’offrir des principes directeurs, de mettre en place des mécanismes de contrôle et de garantir la protection des droits, une constitution a pour fonction de mettre en place et de préserver l’unité étatique ainsi constituée(2). Si elle doit durablement être en mesure d’exercer toutes ces fonctions, une constitution doit, au-delà de ses dispositions matérielles, posséder au moins les trois propriétés suivantes : Il faut qu’elle soit stable, ouverte aux évolutions futures et capable d’absorber et de traiter de manière adéquate la dynamique inhérente aux processus sociaux et politiques, tout en laissant aux acteurs politiques et sociaux la liberté nécessaire à leur épanouissement et assurant ainsi le pluralisme. Seule la combinaison de ces trois critères (qui entrent parfois en collision) est en mesure de garantir une constance « relative », sans se fermer au progrès imposé par les exigences du présent respectif(3). La retenue et les formulations concises et, ainsi, ouvertes à l’interprétation du catalogue des droits fondamentaux, se sont révélées, du moins dans une perspective historique, comme un élément assurant le succès de la Loi fondamentale et l’important appui pour celle-ci.

Toutefois, un constat paradoxal naît de cette observation : En raison du rapport direct existant entre la précision d’un texte constitutionnel et la nécessité de le modifier pour l’adapter, la stabilité des dispositions matérielles ne peut être réalisée que si ces dispositions sont formulées au moyen de termes ouverts, adaptables et généraux, qui rendent inutile de procéder à des révisions constitutionnelles fréquentes destinées à adapter le texte de la Loi fondamentale aux évolutions de la réalité sociale. La constitution a alors besoin d’être interprétée d’une manière dynamique et adaptative.

Toutefois, une constitution ne vaut que ce que valent ceux qui l’interprètent. À cet égard, outre le législateur constitutionnel, la Cour constitutionnelle fédérale joue un rôle prépondérant lorsqu’il s’agit de préserver et d’actualiser le « code source » de la Loi fondamentale. La Cour n’est certes pas placée au-dessus de la Constitution  ; elle est – à l’instar de tous les autres organes de la puissance publique – liée par les exigences constitutionnelles. Cependant, en tant qu’organe chargé d’interpréter en dernier lieu la Loi fondamentale, la tâche de veiller sur la Constitution dans son ensemble lui est attribuée de manière particulière. Il revient à la Cour constitutionnelle fédérale de concrétiser et de faire évoluer le droit constitutionnel, afin de l’adapter de manière modérée à la réalité politique et sociale. Par elle, la Loi fondamentale épouse le présent. Cette observation révèle l’interaction fructueuse entre la Constitution et son dernier interprète. Quelques exemples choisis permettront d’illustrer ce propos.

II – Développement de la protection des droits de l’individu

Deux décisions datant des premières années d’activité de la Cour ont joué un rôle primordial tant en ce qui concerne le rôle de la Cour constitutionnelle que le développement de la protection des droits de l’individu.

Le 16 janvier 1957, la Cour constitutionnelle fédérale statua sur un recours constitutionnel formé par Wilhelm Elfes(4), un citoyen opposé à la politique du chancelier Adenauer visant à intégrer l’Allemagne dans l’alliance occidentale et à la réarmer. En 1953, M. Elfes avait voulu se rendre à un congrès à l’étranger, mais l’autorité administrative compétente avait refusé de prolonger la validité de son passeport, au motif que la participation de M. Elfes à cette conférence lassait craindre une atteinte aux intérêts internationaux de la République fédérale. Il revenait alors à la Cour constitutionnelle de trancher la question, vivement débattue à l’époque, de déterminer si le droit au libre épanouissement de la personnalité consacré par l’art. 2, al. 1er de la Loi fondamentale (LF) garantissait un droit à la liberté générale d’agir. La Cour y apporta une réponse affirmative. Selon une formulation employée par la Cour et plus détaillée dans une décision ultérieure, l’art. 2, al. 1er LF constitue « l’expression complète de la liberté personnelle et, en même temps, le fondement de tous les droits fondamentaux dans leur fonction subjective de garanties du citoyen contre l’État »(5). Du point de vue de la théorie des droits fondamentaux, l’art. 2, al. 1er LF constitue depuis un « droit fondamental fourre-tout ». Toute action par laquelle l’individu exprime sa liberté est dès lors, et quelle que soit l’importance de cette action pour l’épanouissement de la personnalité, en principe protégée par la Constitution.

Moins d’un an plus tard, le 15 janvier 1958, la Cour rendit son arrêt relatif au recours constitutionnel formé par un haut fonctionnaire hambourgeois, Erich Lüth(6). Le litige à l’origine de ce recours constitutionnel illustre parfaitement le processus de traitement du passé nazi. En 1950, M. Lüth avait appelé devant la presse à boycotter un film du metteur en scène Veit Harlan, qui avait tourné des films antisémites à grand succès sous l’époque nazie. En réaction à cet appel, M. Lüth se vit confronté à une action en justice de la part, entre autres, de la société de production du film et destinée à imposer à M. Lüth une obligation de s’abstenir à répéter ses propos. Cette action fut couronnée de succès devant le tribunal de grande instance de Hambourg. La Cour constitutionnelle fédérale utilisa ce cas pour rendre un arrêt de principe sur la signification et le renforcement de la liberté d’expression garantie par l’art. 5, al. 1er LF. La Cour considéra que pour un État démocratique et pluraliste, la liberté d’expression revêtait une « importance tout simplement constitutive ». En matière de droit constitutionnel, les développements les plus importants de la Cour dans cet arrêt sont toutefois ceux relatifs au « rayonnement » des droits fondamentaux dans les autres domaines du droit, comme ici le droit civil. Au-delà de leur signification classique et libérale en tant que droits ayant une fonction subjective de garantie contre les ingérences de la part de l’État, les droits fondamentaux consacrés par la Loi fondamentale dans sa première partie sont interprétés comme constituant un « ordre de valeur objectif » imprégnant toutes les branches de l’ordre juridique, y compris le droit civil. Il découle de cette constatation que l’État, et en particulier le législateur, est tenu d’empêcher que la liberté du citoyen se trouve excessivement limitée par un tiers. En simplifiant, il est possible d’affirmer que depuis l’arrêt Lüth, la protection de la liberté de l’individu n’a lieu pas uniquement contre l’État, mais aussi par l’État. Dans les décennies suivant cet arrêt, la dimension objective des droits fondamentaux servit de levier pour une extension progressive de la portée des droits fondamentaux, notamment pour déduire de ces droits des obligations de protéger de la part de l’État(7).

Au sujet du développement de concepts théoriques flexibles, la mention du principe de proportionnalité ne saurait être omise, un principe qui ne se trouve pas explicitement dans le texte de la Loi fondamentale, mais a été élaboré en particulier dans l’arrêt de la Cour relatif aux pharmacies(8). Ce principe constitue un élément du contrôle de constitutionnalité opéré par la Cour et signifie que, mesurée à l’aune de l’objectif poursuivi, toute ingérence de la part de l’État dans les droits fondamentaux doit être appropriée, nécessaire et raisonnable.

Par la suite, la flexibilité du catalogue de droits fondamentaux consacrés par la Loi fondamentale a fait ses preuves dans la mesure où elle a permis de résoudre par la voie de l’interprétation de la Constitution des problèmes et défis nouveaux pour les droits fondamentaux. À nouveau, la Cour constitutionnelle fédérale a joué un rôle majeur à cet égard. Un élan important fut donné par l’arrêt relatif au recensement démographique rendu en 1983(9), qui s’est prononcé sur les risques des méthodes modernes de collecte des données, comme la disponibilité permanente, la transférabilité et les possibilités illimitées de combiner ces données. Dans cette affaire, la Cour, au lieu de simplement déclarer la loi relative au recensement démographique contraire à la liberté personnelle générale (art. 2, al. 1er LF), alla plus loin et, en se basant sur les travaux scientifiques d’Adalbert Podlech, créa un « nouveau » droit fondamental : le « droit à l’autodétermination en matière d’information » (Recht auf informationelle Selbstbestimmung). En 2008, la Cour créa un droit supplémentaire, manifestant une nouvelle fois l’adaptabilité et l’ouverture d’esprit de sa jurisprudence (élargissant la portée des droits fondamentaux) : le « droit à la garantie de la confidentialité et de l’intégrité des systèmes informatiques » (Recht auf Gewährleistung der Vertraulichkeit und Integrität informationstechnischer Systeme). Cette nouvelle expression de la liberté personnelle générale va au-delà de l’étendue classique du domaine couvert par ce droit, et protège la vie privée et personnelle de l’individu dans le domaine des technologies de l’information non seulement contre les atteintes de la part de l’État concernant des communications concrètes ou des données enregistrées, mais également contre les ingérences dans le système informatique en tant que tel(10).

III – Sécurité

Dans le domaine de la sécurité, la jurisprudence de la Cour constitutionnelle fédérale a souligné à de nombreuses reprises que la Loi fondamentale était ouverte pour des mesures de maintien de la sécurité publique. La question de la capacité de réaction de l’État face aux menaces du terrorisme se posa dans les années 1970 lors des actions de la Fraction Armée rouge et redevint d’une actualité brûlante après le 11 septembre 2001. La Cour constitutionnelle exige d’une part de tous les organes de l’État, et en particulier du législateur, de soigneusement rechercher un équilibre entre la liberté et la sécurité et d’autre part que toute disposition adoptée soit conforme aux exigences constitutionnelles découlant du principe de proportionnalité. Une primauté générale en faveur de la sécurité serait incompatible avec les droits fondamentaux garantis par la Loi fondamentale(11).

IV – Protection contre les menaces de toute nature de l’ordre constitutionnel

La Cour constitutionnelle fédérale ne s’est toutefois pas vue confrontée uniquement à des dangers pour les libertés personnelles des individus, mais a également dû assurer que les libertés publiques consacrées par la Loi fondamentale ne se trouvent pas retournées contre elles-mêmes ou abusées à des fins destinées à renverser l’ordre constitutionnel.

Le point de départ du raisonnement est la constatation que, eu égard à l’expérience faite face au national-socialisme, la Loi fondamentale a voulu instaurer une « démocratie combattante » et « capable de se défendre », telle que pensée dès les années 1930 par les auteurs émigrés Karl Loewenstein et Karl Mannheim. Selon cette conception, il est nécessaire d’empêcher, dès le départ, d’une part que l’ordre constitutionnel se trouve menacé ou vidé de son sens, et d’autre part que n’ait lieu une situation d’instabilité politique ayant des conséquences préjudiciables pour l’ordre constitutionnel. Cette idée générale se manifeste par exemple dans les dispositions de l’article 18 LF sur la déchéance des droits fondamentaux, de l’article 79 LF imposant des conditions strictes pour la révision constitutionnelle, ou encore de l’article 21, al. 2 LF relatif à la possibilité de faire prononcer l’interdiction d’un parti politique. En particulier cette dernière procédure confronte la Cour constitutionnelle fédérale à des défis de taille, puisqu’il s’agit alors de protéger la liberté au moyen d’une restriction de la liberté. La Cour constitutionnelle fédérale releva que la Loi fondamentale part du principe que « seul le débat permanent des idées entre les forces et intérêts présents dans la société, ainsi qu’entre les idées politiques en présence et, par voie de conséquence, les partis politiques défendant ces idées, [est] la bonne voie pour la formation de la volonté de l’État ». La « Loi fondamentale a confiance en ce débat en tant qu’arme la plus efficace contre la propagation d’idéologies totalitaires et méprisant la dignité humaine ». Lors de l’interprétation de l’article 21, al. 2 LF, la Cour devait alors prendre en considération les décisions de principe couchées dans la Constitution et affirmant le caractère ouvert du processus de formation de la volonté politique, la liberté d’expression (art. 5, al. 1er LF), ainsi que la liberté des partis politiques et le caractère d’exception de la disposition de l’art. 21, al. 2 LF. Elle jugea que, pour que l’interdiction d’un parti politique puisse être prononcée, ce parti devait « viser à » altérer ou à supprimer l’ordre libéral et démocratique instauré par la Loi fondamentale. Il faut des indices concrets et graves qui rendent au moins envisageable un succès des actions de ce parti (potentialité). À l’aune de cette interprétation restrictive, la seconde demande du Bundesrat d’interdire le Parti national-démocrate d’Allemagne (NPD) – une première tentative ayant échoué plusieurs années auparavant en raison d’obstacles à la procédure(12) – fut en définitive elle aussi rejetée(13). Certes, la Cour constitutionnelle fédérale considéra que le NPD poursuivait bel et bien des objectifs contraires à la Constitution, mais elle n’estima pas suffisamment probable que le NPD puisse être en mesure d’atteindre ces objectifs.

V – Un ordre constitutionnel ouvert sur l’extérieur (Offene Staatlichkeit)

L’ouverture de la Loi fondamentale se manifeste le plus explicitement dans son préambule qui aspire à l’intégration de l’Allemagne en Europe et voit en l’Allemagne un « membre égal en droits dans une Europe unie ». Ainsi la Constitution allemande se trouve-t-elle intégrée dans un cadre de référence international et européen – elle part de l’idée d’un État ouvert sur l’extérieur.

L’influence des garanties de la Convention européenne des droits de l’homme sur l’interprétation de la Loi fondamentale peut être illustrée à l’aide d’un exemple datant des années 2011 et 2012. La Cour constitutionnelle fédérale devait se prononcer entre autres sur la conformité à la Constitution du prolongement après coup de la détention de sûreté. Dans sa jurisprudence, la Cour constitutionnelle n’avait, de son côté, pas formulé de critiques de fond de cet instrument juridique. Toutefois, la Cour européenne des droits de l’homme considéra que les principales dispositions relatives à la détention de sûreté étaient contraires au droit de la Convention. Du coup, la Cour constitutionnelle se vit confrontée au défi d’intégrer dans sa propre jurisprudence les exigences formulées par la Cour européenne des droits de l’homme. La décision de la Cour constitutionnelle s’inscrivit alors dans la logique de l’ouverture de la Loi fondamentale au droit international public et de l’attachement aux droits de l’homme formulé à l’art. 1er, al. 2 LF, du dialogue des juges, ainsi que de la « réception active » de la Convention dans l’ordre constitutionnel national. D’un point de vue doctrinal, les dispositions de la CEDH et les décisions de la Cour de Strasbourg sont considérées comme un élément supplémentaire pour l’interprétation du contenu et de la portée des droits fondamentaux et des principes de l’État de droit consacrés par le droit constitutionnel, ce qui permet d’assurer une harmonisation de la protection des droits fondamentaux entre l’échelon national et l’échelon européen(14).

L’intégration européenne, et l’Union européenne qui en est née, ont eu et exercent un impact encore plus significatif sur l’ordre juridique allemand en général et le droit constitutionnel en particulier. Le transfert de compétences et de souveraineté allant de pair avec ce processus d’intégration a également conduit à une transformation des missions, du rôle et des moyens d’agir de la Cour constitutionnelle fédérale. Deux questions revêtent à cet égard une importance toute particulière : la protection des droits fondamentaux contre des ingérences de la part du droit européen et la délimitation des compétences européennes d’une part, et nationales, d’autre part(15).

Lors des débuts du processus d’intégration européenne, la Cour constitutionnelle fédérale s’était encore réservé la compétence d’examiner le droit communautaire à l’aune des exigences de la Loi fondamentale, aussi longtemps que (« solange ») la Communauté européenne de l’époque ne disposerait pas d’un catalogue de droits fondamentaux équivalent à celui garanti par la Loi fondamentale. La Cour de justice à Luxembourg releva ce défi et, depuis le début des années 1970, a constamment renforcé la protection des droits fondamentaux. Lors de la définition de ces droits comme principes généraux du droit communautaire, elle s’est tournée en particulier vers la CEDH et les traditions constitutionnelles communes des États membres en tant que sources d’inspiration pour sa jurisprudence. Prenant acte de cette jurisprudence européenne en matière de droits fondamentaux, la Cour constitutionnelle fédérale considéra dans sa décision dite « Solange II » rendue en 1986(16) que les exigences qu’elle avait formulées dans sa jurisprudence antérieure étaient désormais remplies. Elle n’a certes pas renoncé, sur le plan du principe, à se considérer compétente pour examiner la conformité d’actes de droit communautaire aux droits fondamentaux. Toutefois, elle n’exerce pas cette compétence, parce que et aussi longtemps (« solange ») qu’une protection des droits fondamentaux essentiellement équivalente à celle offerte par la Loi fondamentale est assurée à l’échelon des Communautés européennes lors de l’exercice des compétences de ces dernières. La Cour constitutionnelle fédérale a affiné cette jurisprudence dans son arrêt Maastricht de 1993(17) et sa décision de 2000 relative au marché de la banane(18), puis l’a confirmée une nouvelle fois lors de son « feu vert » au Traité de Lisbonne(19).

La question de la délimitation des compétences nationales et européennes est elle aussi caractérisée par l’idée directrice d’ouverture de la Loi fondamentale par rapport au droit européen. Les limites imposées à l’intégration en ce qui concerne les compétences de l’échelon européen ont été précisées par la Cour constitutionnelle fédérale dans sa jurisprudence relative aux actes outrepassant les compétences de l’Union (contrôle dit d’actes ultra vires), une jurisprudence complétée, dans l’arrêt Lisbonne, du critère de l’identité constitutionnelle soustraite à l’intégration. Ce « contrôle du respect de l’identité constitutionnelle » (Identitätskontrolle) de l’Allemagne se fonde sur le constat que l’habilitation donnée par la Loi fondamentale pour transférer des compétences à l’Union européenne trouve ses limites dans le noyau dur de l’identité de la Constitution – un noyau dur que la disposition de l’article 79, al. 3 LF protège même contre des révisions constitutionnelles. Ce qui est soustrait même au législateur constitutionnel doit l’être également à l’intégration européenne. Il convient cependant de souligner que cette compétence d’examiner l’applicabilité d’un acte de droit communautaire dérivé est exercée par la Cour constitutionnelle fédérale dans le cadre d’un dialogue des juges avec la CJUE  ; une expression vivante de « l’association européenne des cours (constitutionnelles) »(20).

(1) Traduit de l’allemand par Olivier Joop.
(2) Voßkuhle, Verfassungsstil und Verfassungsfunktion – Ein Beitrag zum Verfassungshandwerk, dans la revue AöR 119 (1994), p. 35 et suivantes, p. 46 et suivantes.
(3) Voßkuhle, Stabilität, Zukunftsoffenheit und Vielfaltssicherung – Die Pflege der verfassungsrechtlichen ‘‘Quellcodes‚‚ durch das BVerfG, dans la revue JZ 2009, p. 917 et suivantes.
(4) Jugement du 16 janvier 1957 – 1 BvR 253/56, Recueil BVerfGE 6, p. 32.
(5) Arrêt du 1er août 1978 – 2 BvR 123/76, Recueil BVerfGE 49, p. 15.
(6) Jugement du 15 janvier 1958 – 1 BvR 400/51, Recueil BVerfGE 7, p. 198.
(7) Jugement du 25 février 1975 – 1 BvF 1/74 e.a., Recueil BVerfGE 39, p. 1 – Obligation de protection à l’égard de l’enfant à naître lors d’une interruption de grossesse  ; jugement du 16 octobre 1977 – 1 BvQ 5/77, Recueil BVerfGE 46, p. 160 – Obligation de protection lors de menaces terroristes contre la vie des citoyens  ; arrêt du 8 août 1978 – 2 BvL 8/77, Recueil BVerfGE 49, p. 89 – Obligation de protection en raison des dangers découlant de centrales nucléaires.
(8) Jugement du 11 juin 1958 – 1 BvR 596/56, Recueil BVerfGE 7, p. 377.
(9) Jugement du 15 décembre 1983 – 1 BvR 209/83 e.a., Recueil BVerfGE 65, p. 1  ; et par la suite : jugement du 3 mars 2004 – 1 BvR 2387/98, 1084/99, Recueil BVerfGE 109, p. 279, Écoutes à domicile.
(10) Jugement du 27 février 2008 – 1 BvR 370, 595/07, Recueil BVerfGE 120, p. 274.
(11) Cf. par exemple le jugement du 2 mars 2006 – 2 BvR 2099/04, Recueil BVerfGE 115, p. 166 – Données de télécommunications  ; l’arrêt du 4 avril 2006 – 1 BvR 518/02, Recueil BVerfGE 115, p. 320 – Investigation policière par recoupement à l’aide de banques de données  ; le jugement du 27 février 2008 – 1 BvR 370, 595/07, Recueil BVerfGE 120, p. 274 – Perquisition en ligne d’ordinateurs  ; le jugement du 2 mars 2010 – 1 BvR 256/08 e.a., recueil BVerfGE 125, p. 260 – Conservation des données  ; l’arrêt du 12 octobre 2011 – 2 BvR 236/08 e.a., Recueil BVerfGE 129, p. 208 – Surveillance des télécommunications  ; le jugement du 20 avril 2016 – 1 BvR 966, 1140/09, Recueil BVerfGE 141, p. 220, Loi relative à l’Office fédéral de la police judiciaire.
(12) Arrêt du 18 mars 2003 – 2 BvB 1, 2, 3/01, Recueil BVerfGE 107, p. 339.
(13) Jugement du 17 janvier 2017 – 2 BvB 1/13, Recueil BVerfGE 144, p. 20.
(14) Jugement du 4 mai 2011 – 2 BvR 2365/09 e.a., Recueil BVerfGE 128, p. 326 – Détention de sûreté II.
(15) Cf. Voßkuhle, European Integration Through Law – The Contribution of the Federal Constitutional Court, dans la revue European Journal of Sociology 58 (2017), p. 145 et suivantes.
(16) Arrêt du 22 octobre 1986 – 2 BvR 197/83, Recueil BVerfGE 73, p. 339.
(17) Jugement du 12 octobre 1993 – 2 BvR 2134, 2159/92, Recueil BVerfGE 89, p. 155.
(18) Arrêt du 7 juin 2000 – 2 BvL 1/97, Recueil BVerfGE 102, p. 147.
(19) Jugement du 30 juin 2009 – 2 BvE 2, 5/08, 2 BvR 1010, 1022, 1259/08, 182/09, Recueil BVerfGE 123, p. 267  ; une traduction en français est disponible en ligne sur le site de la Cour constitutionnelle fédérale .
(20) Voßkuhle, Der europäische Verfassungsgerichtsverbund, dans la revue NVwZ 2010, p. 1 et suivantes.