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La déclaration du 13 décembre 2004 (DTC n° 1/2004):

Laurence BURGORGUE-LARSEN - Professeur à l'Université de Rouen - Directeur du Centre de recherches et d'études sur les droits de l'homme et le droit humanitaire

Cahiers du Conseil constitutionnel n° 18 (Dossier : Constitution et Europe) - juillet 2005

La déclaration rendue le 13 décembre 2004 par le Tribunal constitutionnel (DTC n° 1/2004)(1) est la seconde décision rendue dans la jeune histoire de la démocratie espagnole en matière de contrôle a priori des traités internationaux (art. 95, § 2, de la Constitution de 1978)(2). La première, formulée le 1er juillet 1992 (DTC n° 1/1992), avait été l'occasion pour le Tribunal constitutionnel d'examiner la constitutionnalité du traité sur l'Union européenne (TUE)(3). Cependant, à la différence du mécanisme de l'article 54 de la Constitution de 1958, le mécanisme préventif espagnol de contrôle des traités internationaux a ceci de particulier qu'il n'induit pas leur examen exhaustif. La saisine du juge est marquée du sceau de la restriction. Ce n'est ni l'intégralité du traité sur l'Union européenne, signé à Maastricht le 7 février 1992, ni l'intégralité du traité établissant une Constitution pour l'Europe signé à Rome le 29 octobre 2004 qui ont été soumises à la sagacité du juge madrilène (4). L'article 95, paragraphe 2, combiné avec l'article 78 de la loi organique du Tribunal constitutionnel (LOTC) (5) et la maigre pratique en la matière postulent donc un examen circonscrit aux doutes de constitutionnalité qui sont mis en évidence par le Conseil d'État (Consejo de Estado)(6), et repris en général par le Gouvernement. En 1992, ces doutes portaient sur le droit, pour les étrangers, d'être élus aux élections municipales sur la base de l'article 8-B du traité instituant la Communauté européenne (droit de suffrage passif), ce que le libellé de l'article 13, paragraphe 2, de la Constitution espagnole interdisait(7). En 2004, il s'est agi de savoir si la primauté « constitutionnalisée » (art. I-6), ainsi que les droits fondamentaux consacrés dans des conditions et limites précises (art. II-111 et II-112 du traité établissant une Constitution pour l'Europe), portaient atteinte à la suprématie de la Constitution (art. 9, § 1, Constitution espagnole) et à la technique d'interprétation des droits fondamentaux constitutionnels (art. 10, § 2, Constitution espagnole).

Les traités passent et les déclarations ne se ressemblent guère(8). En 1992, une révision mineure de la Constitution découlait de l'intervention du gardien de la Constitution (9); en 2004, de révision, il ne fut point question malgré l'importance juridique et politique d'un texte présenté par le juge lui-même comme porteur d'une « refondation juridique de l'Union européenne » (10). Si des conséquences aussi opposées furent suscitées par l'intervention du juge, on le doit à l'interprétation de la « clause d'ouverture » (art. 93). Elle est radicalement revisitée et, partant, la grille de lecture des rapports entre le droit de l'Union et la Constitution nationale prend une nouvelle tournure. De réserve de compétence, il est en effet question (I).

En ce sens, la déclaration n° 1/2004 s'inscrit dans un vaste mouvement jurisprudentiel où d'autres Cours, à d'autres époques, s'étaient déjà singularisées pour faire entendre leur voix, leur différence, pour in fine faire prévaloir ce qu'elles considéraient être une plus-value constitutionnelle (11). Si le juge prend soin de présenter les limites matérielles à la cession de l'exercice des compétences découlant de la Constitution de 1978, il laisse comprendre dans le même temps qu'il sera particulièrement difficile voire improbable de les enfreindre. En effet, l'analyse des articles I-6, II-111 et II-112 du traité établissant une Constitution pour l'Europe a été l'occasion pour le juge de démontrer que les limites qu'il avait identifiées n'avaient pas été malmenées et qu'aucune contradiction entre le « traité constitutionnel » (12) et la Constitution espagnole ne pointait à l'horizon (II).

I. Une réserve de compétence énoncée

Si le Tribunal constitutionnel énonce avec emphase une réserve de compétence au fondement juridique n° 2 de sa décision, il la fonde sur une nouvelle lecture de l'article 93 de la Constitution. La « clause d'intégration » - imaginée par les constituants dans l'optique de l'adhésion de l'Espagne(13) - voit ainsi sa signification métamorphosée au gré des exigences découlant d'un nouveau contexte.

En 1992, le juge constitutionnel considéra l'article 93 comme une disposition de « caractère organico-procédural » (índole orgánico procedimental)(14) en confirmant à cet égard une position établie clairement dès 1991(15). L'expression peut sembler a priori hermétique ; elle fait, en réalité, référence à deux données simples et échelonnées dans le temps. La première concerne les modalités renforcées du consentement donné par l'Espagne à l'adhésion à une « organisation internationale » à laquelle est attribué « l'exercice de compétences dérivées de la Constitution ». L'article 93 prévoit que cette adhésion s'effectue au moyen d'une loi organique(16) en plus de l'accord préalable des Cortes generales. C'est le versant procédural de la clause. Une fois l'adhésion effectuée, intervient le second aspect qui concerne quant à lui la question de la garantie de l'exécution des traités et actes de droit dérivé des organismes internationaux titulaires du transfert de compétence. L'article 93 attribue cette fonction, selon les cas, aux Cortes ou au gouvernement. Il est question ici du versant organique de la clause. Ainsi, quand en 1992 le Tribunal constitutionnel affirme le caractère « organico-procédural » de l'article 93, c'est ni plus ni moins l'analyser de façon littérale. Il suffit de retranscrire ici la disposition pour le comprendre immédiatement :

" Une loi organique pourra autoriser la conclusion de traités par lesquels est attribué à une organisation ou institution internationale l'exercice de compétences dérivées de la constitution.

« Il appartient aux Cortes generales ou au gouvernement, selon les cas, de garantir l'exécution de ces traités et des résolutions émanant des organismes internationaux ou supranationaux qui bénéficient de ce transfert de compétences(17). »

À l'époque, cette acception littérale fut jugée particulièrement réductrice et déclencha les plus vives critiques de la part de la doctrine espagnole pour qui le juge n'avait pas profité de l'occasion qui lui avait été donnée de développer une argumentation plus ambitieuse sur le sens et la portée de l'article 93(18). Conformément à cette optique restrictive, la moindre contrariété littérale entre le texte de la Constitution espagnole et le traité de Maastricht fut relevée (art. 13, § 2, versus art. 8-B TCE) et éliminée au moyen d'une « retouche » de la Constitution conformément à la procédure souple de révision (art. 167, § 1)(19). Le Tribunal constitutionnel s'écartait délibérément, ce faisant, des analyses doctrinales qui octroyaient à l'article 93 des vertus réformatrices : il repoussa en effet sans ambages la fameuse thèse de la « réforme implicite ou tacite » de la Constitution(20).

Douze ans plus tard, le Tribunal constitutionnel change de cap et en donne les raisons ; elles n'emportent pas toutefois la conviction. Et d'expliquer que l'interprétation de 1992 « se situait dans un contexte précis », celui de l'existence d'une contradiction patente entre l'article 8-B du traité instituant la Communauté européenne et l'article 13, paragraphe 2, de la Constitution espagnole, ce qui n'est pas le cas de la nouvelle déclaration qui intervient dans « un cadre bien distinct » (21). On conviendra que l'on aurait pu attendre une démonstration plus percutante pour expliquer les raisons du revirement ! Et d'opposer, au caractère « organico-procédural » de la clause telle que dévoilée en 1992, sa « dimension substantielle ou matérielle » (dimensión sustantiva o material) qu'il convient de « ne pas ignorer » en 2004 :

« L'article 93 est sans nul doute le support constitutionnel de base de l'intégration d'autres ordonnancements avec le nôtre, à travers le transfert de l'exercice de compétences dérivées de la Constitution, ordonnancements appelés à coexister avec l'ordre juridique interne, en tant qu'ordres autonomes au regard de leur origine. S'il fallait utiliser une métaphore, on pourrait considérer que l'article 93 agit telle la charnière au moyen de laquelle la Constitution elle-même permet l'entrée dans notre système constitutionnel d'autres ordres juridiques au travers du transfert de l'exercice de compétences. De sorte qu'il est conféré à l'article 93 une dimension substantielle ou matérielle qu'il convient de ne pas ignorer (22). »

Le renversement de perspective est manifeste. L'analyse ne repose plus sur les mêmes présupposés méthodologiques car d'interprétation exégétique, il n'est plus question. Ce fut d'ailleurs un des axes de la critique formulée par les trois juges dissidents(23).

C'est dans ce contexte qu'intervient ce qui doit être considéré comme l'intérêt majeur de cette décision : la réserve de compétence qui n'est pas sans rappeler la jurisprudence italienne, allemande ou plus récemment, française. Le juge espagnol affirme que :

« L'opération de transfert de l'exercice de compétences à l'Union européenne et l'intégration subséquente du droit communautaire au sein de l'ordre juridique espagnol imposent des limites inévitables aux facultés souveraines de l'État, acceptables uniquement dans la mesure où le droit européen est compatible avec les principes fondamentaux de l'État social et démocratique de droit établi par la Constitution nationale. Le transfert constitutionnel que l'article 93 permet a, à son tour, des limites matérielles qui s'imposent au transfert lui-même. Ces limites matérielles - qui ne sont pas expressément exposées dans la disposition constitutionnelle, mais qui découlent implicitement de la Constitution comme de la signification essentielle de la disposition elle-même - se traduisent dans le respect de la souveraineté de l'État, de nos structures constitutionnelles de base et du système de valeurs et de principes fondamentaux consacrés dans notre Constitution où les droits fondamentaux acquièrent une normativité propre (art. 10, § 1) - limites qui, comme nous le verrons ultérieurement, sont scrupuleusement respectées dans le traité objet de notre analyse »(24) (souligné par nous).

La démonstration renoue avec une grande partie de la doctrine qui avait déploré l'acception très restrictive de la clause d'intégration dans la déclaration de 1992 sur le traité sur l'Union européenne et qui avait proposé que lui soit attribuée une dimension plus matérielle(25). Quand les réflexions de la doctrine finissent par influencer les juges... Ceux-là ont alors naturellement considéré que l'article 93 était un support constitutionnel suffisant pour ratifier le traité (FJ n° 7).

II. Une réserve de compétence neutralisée

Cette nouvelle interprétation de l'article 93, qui arbore désormais une nature substantielle et matérielle(26), permet au juge de neutraliser la réserve de compétence en contournant l'apparente antinomie(27) entre l'article I-6 et l'article 9, paragraphe 1, de la Constitution espagnole(28), tout d'abord (FJ nos 3 et 4), et les articles II-111 et II-112 et l'article 10, § 2, ensuite (FJ n° 5). Exit donc la perspective d'une révision de la Constitution sur le mode très contraignant décliné à l'article 168 de la Constitution(29) dont on rappellera qu'elle implique une dissolution des chambres (§ 1), une approbation du texte constitutionnel révisé à la majorité des deux tiers par les chambres nouvellement constituées (§ 2) et, last but not least, la convocation d'un référendum (§ 3)(30) ! On imagine sans peine que cette perspective à hauts risques politiques dû peser à l'heure de statuer(31)...

L'antinomie est dépassée au moyen d'une double argumentation : l'article I-6 est relié tout d'abord à son contexte constitutionnel (FJ n° 3), pour ensuite être analysé in se sur la base d'un distinguo présenté non sans une certaine emphase entre primauté et suprématie (FJ n° 4). La démonstration aurait été suffisante si le juge constitutionnel s'en était tenu à la première analyse d'ordre systémique. En s'aventurant dans des méandres conceptuels, il n'ajoute rien à sa démonstration, pis, il prête le flanc à la critique.

C'est donc tout d'abord à une « lecture contextualisée » de l'article I-6 à laquelle procède le Tribunal constitutionnel espagnol à l'instar d'ailleurs de son homologue français dans sa décision du 19 novembre 2004(32). En d'autres termes, apprécier la primauté cristallisée, implique de la replacer dans son contexte constitutionnel. L'interprétation systémique s'impose au lieu et place d'une interprétation littérale. Elle se déroule en deux temps. Le premier a pour objet de mettre en avant les dispositions du traité qui font référence aux systèmes et valeurs nationales, pour ensuite valoriser la nouvelle configuration communautaire des compétences clairement délimitées. Deux domaines où d'autres juges constitutionnels n'avaient pas manqué de faire entendre leur voix.

Les articles I-5, paragraphe 1, et I-2, mais aussi le Préambule comme l'article III-113 de la Constitution européenne sont mis en avant par le juge constitutionnel afin de démontrer que pour « interpréter correctement la primauté proclamée », il faut relever que le traité établissant une Constitution pour l'Europe respecte tout à la fois l'identité des États, leurs structures constitutionnelles de base (art. I-5, § 1) et qu'il se fonde sur des valeurs qui sont à la base des Constitutions desdits États (art. I-2, Préambule de la Charte et art. II-113)(33). Le Tribunal aurait pu s'arrêter là ; c'est ce que fit le Conseil constitutionnel (cons. 12 et 13). Toutefois, autres lieux, autres moeurs juridiques. La propension argumentaire est, on le sait, plus développée outre-Pyrénées. Intervient alors une démonstration majeure qui a tout simplement pour objet de constitutionnaliser les résistances constructives jurisprudentielles qui s'étaient manifestées très tôt en Italie et en Allemagne - sur le mode de la célèbre formule Solange(34) - afin de préserver le niveau élevé de protection des droits fondamentaux - ou qui, très récemment, ont été mises en évidence en France par la série de décisions rendues tout au long de l'année 2004(35).

" Ces dispositions [art. I-2, art. I-5, § 1, Préambule Charte, art. II-113] consacrent, notamment, la garantie de l'existence des États et de leurs structures de base, ainsi que leurs valeurs, principes et droits fondamentaux qui ne peuvent en aucun cas être méconnus après le phénomène du transfert de l'exercice de compétences à l'organisation supra-étatique, garantie dont l'absence ou le défaut de proclamation explicite justifia, de par le passé, les réserves opposées à la primauté du droit communautaire sur les différentes Constitutions, réserves présentées à travers de célèbres décisions émanant des juridictions constitutionnelles de certains États, ce qui fut appelé en doctrine le dialogue entre les tribunaux constitutionnels et la Cour de justice.

« En d'autres termes, les limites auxquelles se référaient les réserves desdites juridictions constitutionnelles apparaissent désormais proclamées de manière non équivoque par le traité lui-même soumis à notre examen, qui a fini par adapter ses dispositions aux exigences des Constitutions des États membres(36). »

Le traité a donc la vertu de prendre en considération ce qui avait été à l'origine des résistances des juridictions constitutionnelles(37). Partant, il désamorce le conflit ; il contourne l'antinomie apparente des dispositions. Il n'y aurait plus de raison de récuser la primauté telle que conçue par la Cour de justice car :

« La primauté proclamée dans le traité établissant une Constitution pour l'Europe opère à partir d'un ordre juridique qui se construit sur les valeurs communes des Constitutions des États intégrés dans l'Union et de leurs traditions constitutionnelles communes(38). »

Le renversement de perspective est important. Alors que c'est traditionnellement la Cour de justice qui a interprété le droit de l'Union en s'inspirant des valeurs et traditions constitutionnelles communes ; ici, c'est la juridiction constitutionnelle qui interprète le droit de l'Union et qui l'estime conforme à ces mêmes traditions et valeurs. La perspective analytique espagnole s'inscrit bien dans le droit fil des interprétations italienne, allemande et désormais française où c'est la juridiction constitutionnelle qui délivre sa vision de la protection des droits fondamentaux constitutionnels - bref qui dévoile les limites de l'intégration. La nouveauté, dans le contexte constitutionnel, c'est qu'une telle démarche apparaît conforme au traité si on a égard à l'article I-5, « la clause d'identité nationale » (à laquelle on pourrait ajouter l'article II-113).

Le deuxième temps de l'interprétation systématique délivrée par le Tribunal constitutionnel a pour objectif de présenter, pour la louer, la nouvelle architecture des compétences communautaires en présentant - dans un ordre sur la logique duquel on peut s'interroger - l'exercice des compétences non exclusives, puis le système de répartition des compétences en tant que tel. Et de prendre d'ailleurs le soin de souligner que « la primauté s'entend expressément dans le cadre de l'exercice des compétences attribuées à l'Union européenne »(39). Ceci établi, il affirme tout d'abord que l'existence des principes de subsidiarité et de proportionnalité (art. I-11, §§ 3 et 4) « rationalise et limite le phénomène de l'expansion des compétences induite antérieurement par la nature fonctionnelle et dynamique du droit communautaire ». De même, le mode de répartition des compétences entre l'Union et les États, organisé par les articles I-12 à I-17, définit avec une « plus grande précision le domaine de compétence propre de l'Union ». Et le Tribunal de présenter en creux ce qui avait été au coeur de la décision Maastricht du 12 octobre 1993 du Tribunal de Karlsruhe comme de la décision du Højesteret danois le 6 avril 1998(40):

« Le nouveau traité n'altère pas substantiellement la situation créée suite à notre adhésion aux Communautés et, en réalité, la simplifie et la réorganise en des termes qui rendent plus précise la portée du transfert de l'exercice des compétences effectuée par l'Espagne(41). »

Le Tribunal constitutionnel relie ensuite dans une phrase capitale la question des compétences à celle des droits fondamentaux et des valeurs :

« Mais, surtout, il apparaît que les compétences dont l'exercice est transféré à l'Union européenne ne pourraient pas, sans enfreindre le traité lui-même, servir de fondement pour la production de normes communautaires dont le contenu serait contraire aux valeurs, principes ou droits fondamentaux de notre Constitution » (souligné par nous).

Le professeur Ricardo Alonso García récapitule à merveille la construction dogmatique du juge espagnol qui affirme que : 1) La constitution espagnole contient des limites matérielles à l'intégration ; 2) ces limites sont également inscrites au sein du traité constitutionnel ; 3) la violation de ces limites impliquerait par voie de conséquence immédiatement une violation du traité constitutionnel lui-même(42). Le changement de cap avec la jurisprudence constitutionnelle antérieure est patent(43). Le juge entend résolument s'inscrire ici dans le « pluralisme constitutionnel » européen où, sur la base d'interactions constantes et constructives, les juges nationaux dialoguent avec le juge européen pour in fine déterminer ce qui constitue le socle des valeurs et principes communs aux ordres nationaux et communautaire(44). Pablo Pérez Tremps, professeur de droit constitutionnel et actuel membre de la Haute juridiction espagnole, démontrait, dès 1993, que l'intégration devait être conçue comme une « catégorie constitutionnelle sui generis » ; ce faisant, « deux ordres juridiques qui doivent se coordonner pour agir de façon conjointe - comme le font les ordres étatique et communautaire - nécessitent de répondre à des critères matériels de base communs »(45). C'est manifestement ce qu'entend démontrer le Tribunal qui estime présent, dans le traité constitutionnel, ce socle de valeurs et principes communs. Le double mouvement décrit par Ricardo Alonso García est au coeur de la décision : une interprétation pro communitate de la Constitution à laquelle s'adjoint une interprétation pro constitutione du traité(46).

Le Tribunal présente toutefois « l'hypothèse difficilement concevable » (caso difícilmente concebible) où la dynamique ultérieure du droit de l'Union deviendrait inconciliable avec la Constitution espagnole en mettant en valeur le « contrepoint radical » de l'article I-6, à savoir le droit de retrait de l'article I-60.

La démonstration était faite, l'antinomie était dépassée par la voie d'une interprétation dynamique. Pourtant, le Tribunal s'aventure dans un deuxième type d'argumentation, très théorique celle-là, opposant la primauté du droit communautaire à la suprématie de la Constitution espagnole, « consubstantielle à son statut de norme fondamentale » (FJ n° 5)(47).

" Primauté et suprématie sont des catégories qui évoluent dans des ordres distincts. La première, dans celui de l'application de normes valides, la seconde dans le cadre de procédures d'élaboration des normes.

" La suprématie repose sur le caractère hiérarchique supérieur d'une norme et, ce faisant, elle est source de validité pour celles qui lui sont inférieures, ce qui entraîne leur invalidité si elles contreviennent au contenu de la norme supérieure.

" La primauté en revanche ne repose pas nécessairement sur la hiérarchie, mais sur la distinction entre des domaines différents d'application des normes, en principe valides, et où une ou plusieurs d'entre elles ont la capacité d'en écarter certaines en vertu de leur application préférentielle ou prévalente pour une raison ou pour une autre.

" Toute suprématie implique, en principe, primauté (ce qui explique un usage indifférencié des expressions dans notre déclaration du 1er juillet 1992 au FJ n° 1), excepté quand la norme supérieure a prévu, dans un quelconque domaine, sa propre mise à l'écart ou sa propre inapplicabilité.

« La suprématie de la Constitution est ainsi, ce faisant, compatible avec des régimes d'application qui octroient une préférence pour appliquer des normes d'un ordre juridique différent de l'ordre juridique national à chaque fois que la Constitution le prévoit, ce qui est le cas avec l'article 93. [... / ...] En définitive, la Constitution a accepté en vertu de l'article 93, la primauté du droit de l'Union dans le domaine d'application de ce droit conformément à ce qu'affirme expressément l'article I-6 du traité(48). »

Si, d'un côté, eu égard à la sécheresse argumentaire du juge constitutionnel français - dont on sait qu'il arrive à la même conclusion (Cons. const., n° 2004-505 DC, 19 nov. 2004, cons. 13) - on peut saluer l'effort conceptuel du Tribunal espagnol, d'un autre côté, l'analyse globale qu'il délivre peut susciter la critique... Car la primauté du droit communautaire telle qu'elle est décrite implique soit la « mise à l'écart », soit l'« inapplication » des normes de l'ordre juridique national, sans que celles-ci soient dûment identifiées. Or, l'annulation des normes réglementaires n'est-elle pas au coeur, en Espagne, de l'activité judiciaire du Tribunal suprême en cas de contrariété avec le droit communautaire(49) ? L'erreur, à tout le moins la maladresse, a été d'étendre aux normes réglementaires un discours pensé pour des dispositions internes ayant rang ou force de loi(50). Surtout, le Tribunal ne dit rien sur le fait que la primauté « constitutionnalisée » s'impose aux matières des anciens piliers intergouvernementaux (dont la logique a en principe disparu), même si la compétence de la Cour de justice, quoique considérablement accrue, reste encore soumise à certaines restrictions concernant la coopération policière et judiciaire en matière pénale(51) et la politique étrangère et de sécurité commune(52).

Le dernier temps de la décision du Tribunal constitutionnel (FJ n° 6 et 7) aborde la question de l'articulation des articles II-111, II-112 du traité avec l'article 10, paragraphe 2, de la Constitution espagnole(53) qui a permis à la Convention européenne des droits de l'homme et à la jurisprudence de la Cour de Strasbourg d'être des instruments d'interprétation exceptionnels des droits fondamentaux en Espagne(54). La saisine du gouvernement mettait en évidence la crainte diffuse que la Charte bouleverse le système espagnol d'interprétation des droits fondamentaux, outrepassant les limites pourtant posées à l'article II-111 dont on sait qu'il identifie les destinataires et délimite le champ d'application de la Charte. Sur ce point, l'analyse du juge est irréprochable, rappelant - sans y insister(55) - « le jeu de références » à la Convention européenne posé par le paragraphe 7 de l'article II-112. Et d'expliquer que la Charte aura le même statut que la Convention dans l'ordre juridique, ni plus ni moins. À cet effet, il mentionne deux de ses décisions (STC n° 292/2000 du 30 nov. 2000 et STC n° 53/2002 du 27 févr. 2002) qui ont déjà utilisé la Charte des droits fondamentaux de l'Union comme instrument interprétatif de référence (FJ n° 6). La première, relative à la protection de données à caractère personnel, est particulièrement audacieuse (STC n° 292/2000)(56) car le juge s'est aventuré à évoquer la Charte alors qu'elle n'avait pas encore reçu l'onction symbolique et qu'elle n'était encore qu'à l'état de projet. La seconde (STC n° 53/2002)(57) fait référence au droit communautaire de l'asile et à la progressive transformation du droit d'asile en un droit de l'Union européenne en soulignant ses liens avec les politiques de sécurité et de contrôle de l'entrée des étrangers au sein du territoire de l'Union. La relation symbiotique de cette problématique avec la protection des droits fondamentaux est évidente, ce que relève le Tribunal en opérant une référence expresse à la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et, plus précisément, à ses articles 18 et 19. Et de considérer que l'intime connexion entre l'asile, le contrôle de l'immigration et la sécurité européenne ne se produit pas aux dépens du droit d'asile mais, bien au contraire, à son profit au regard de sa nécessaire permanence au sein de l'Union(58).

On le voit, l'ouverture de la Constitution espagnole au droit international des droits de l'homme (art. 10, § 2, Constitution espagnole) et l'abondante jurisprudence subséquente rendue sur le fondement du recours d'amparo (art. 53, § 2, Constitution espagnole) permettent en toute logique au juge constitutionnel de ne trouver aucune contrariété entre la Constitution européenne (art. II-111 et II-112) et la Magna Carta.

Cette décision s'inscrit assurément dans l'entrelacs européen des décisions constitutionnelles qui tentent de concilier et d'harmoniser l'articulation entre les ordres juridiques nationaux et l'ordre juridique communautaire. Elle est la marque d'un « pluralisme constitutionnel » vivant et constructif où la Constitution nationale voit sa suprématie pérennisée et où le traité constitutionnel n'est, en définitive, en aucun cas déprécié.

(1) Les extraits de la « déclaration » qui sont reproduits en français sont le fruit d'une traduction personnelle.
(2) Sur les subtilités de l'article 95, v. « Le tribunal constitutionnel espagnol et les traités internationaux », in P. Bon, F. Moderne, Y. Rodriguez (dir.), La justice constitutionnelle en Espagne, Paris, Economica, 1984, pp. 251-270.
(3) Sur cette Déclaration du 1er juill. 1992, on se reportera aux analyses, en français, de F. Rubio Llorente, « La Constitution espagnole et le traité de Maastricht », RFD const., 1992, n° 12, pp. 651-662 ; S. Muñoz Machado, « Espagne », in J.-C. Masclet, D. Maus (dir.), Les Constitutions nationales à l'épreuve de l'Europe, Paris, La Documentation française, 1993, pp. 43-66. Pour quelques analyses en espagnol, v. J.-F. López Aguilar, « Maastricht y la problemática de la reforma de la Constitución (Unión europea, derechos de los extranjeros y reforma constitucional : teoría y case study) », Revista de estudios políticos, 1992, n° 77, pp. 57-93 ; A. Mangas Martín, « La declaración del Tribunal constitucional sobre el artículo 13, § 2, de la Constitución (derecho de sufragio pasivo de los extranjeros): la reforma constitucional innecesaria o insuficiente », Revista española de derecho internacional, 1992, n° 2, pp. 381-392.
(4) En 1992, ceci a suscité moult débats doctrinaux car si le Tribunal constitutionnel a considéré qu'il lui revenait d'examiner la Constitution in toto, il a immédiatement estimé que l'examen du traité était circonscrit aux termes de la saisine qui identifie des points précis de contrariétés éventuelles. On se permet ici de renvoyer à notre thèse pour découvrir ces controverses, L'Espagne et la Communauté européenne. L'État des Autonomies et le processus d'intégration européenne, Bruxelles, Éditions de l'Université libre de Bruxelles, 1995, pp. 293-296.
(5) Elle est reproduite dans le numéro n° 2 des Cahiers du Conseil constitutionnel (1997), pp. 65-76 consacré notamment au Tribunal constitution espagnol ; v. la présentation générale de P. Bon suivie d'un entretien avec l'ancien président A. Rodríguez Bereijo.
(6) Pour la DTC n° 1/1992, v. avis du Conseil d'État du 20 juin 1991, n° 850/91 ; pour la DTC n° 1/2004, v. avis du Conseil d'État du 21 oct. 2004, n° 2544/2004.
(7) Il était libellé comme suit : « Seuls les Espagnols seront titulaires des droits reconnus à l'article 23 sauf ce qui, sous réserve de réciprocité, peut être établi par traité ou loi pour le droit de suffrage actif dans les élections municipales. »
(8) La différence concerne le fond des décisions. S'agissant du mécanisme de l'article 95, paragraphe 2, qui consiste en la « défense juridictionnelle de la Constitution », le juge en a au contraire profité pour rappeler sa fonction : assurer in fine la suprématie de la Magna Carta (FJ n° 1). À ce propos, il convient de ne pas s'attarder à la dénomination de « déclaration » qui pourrait laisser croire qu'il ne s'agit que d'un avis sans force contraignante. Le Tribunal, dès 1992, mentionnait qu'il rendait, dans le cadre de l'article 95, paragraphe 2, une « décision contraignante » (decisión vinculante) (DTC n° 1/1992, 1er juill. 1992, FJ n° 1).
(9) Il s'est agi d'ajouter le mot « passif » aux côtés du mot « actif » à l'article 13, paragraphe 2, de la Constitution espagnole. La mise en oeuvre de la révision le 28 août 1992 fut une simple formalité : le consensus était tel qu'aucun débat politique d'envergure ne se déroula dans l'enceinte des Cortes. La majorité des trois cinquièmes exigée dans les deux chambres par l'article 167, paragraphe 1, fut largement acquise.
(10) DTC n° 1/2004, Antecedentes (I.B.): Le traité établissant une Constitution pour l'Europe « suppose une véritable refondation juridique de l'Union européenne dans la mesure où, conformément à l'article IV-437, le nouveau traité abroge le traité instituant la Communauté européenne et le traité sur l'Union européenne ».
(11) L. Burgorgue-Larsen, « Les résistances des États de droit », in J. Rideau (dir.), De la Communauté de droit vers l'Union de droit, Colloque de Nice d'avril 1999, Paris, LGDJ, 2000, pp. 423-458.
(12) Dans la partie « Antécédents » qui annonce celle relative aux « Fondements juridiques » (FJ,), le juge prend soin d'affirmer qu'« il faut souligner, malgré l'évidence, que le texte examiné est un traité international, du point de vue formel comme matériel, sans que l'on puisse nier cependant que, de par son contenu général, il possède beaucoup des caractéristiques mêmes d'un texte constitutionnel ». Le texte original se lit ainsi : " [...] debe subrayarse, pese a su obviedad, que el texto examinado es un tratado internacional, formal y materialmente, sin que pueda por ello negarse que tiene también, por su contenido general, muchas de las características propias de un texto constitucional ".
(13) Le juge constitutionnel le rappelle avec un lyrisme assez percutant : « Tal y como se desprende de los trabajos de las Cortes constituyentes, el art. 93 se concibió como el medio constitucional de nuestra integración en las Comunidades europeas, fenómeno de integración que va más allá del puro procedimiento de la misma, y que comparta las consecuencias de la inserción en un ente supranacional distinto, susceptible de crear un Ordenamiento propio dotado de particulares principios rectores de la eficacia y de las exigencias y límites de la aplicabilidad de sus normas. Aquella fue una integración largamente anhelada y, sin ninguna duda, constitucionalmente querida y por ello facilitada por el citado art. 93 CE. » On traduit ici uniquement la dernière phrase qui se lit ainsi : « Ce fut une adhésion amplement désirée et, sans nul doute, voulue constitutionnellement et donc permise par l'article 93 de la Constitution espagnole. »
(14) DTC 1/1992, FJ n° 4.
(15) Sentence du 14 févr. 1991, Élections au Parlement européen, n° 28/1991 ; sentence du 22 mars 1991, Apesco, n° 64/1991.
(16) L'approbation, la modification ou la dérogation à une loi organique exigent la majorité absolue du Congrès des députés dans un vote final sur l'ensemble du projet (art. 81, § 2, de la Constitution espagnole). Cette majorité a été considérée, à l'époque, comme très faible engendrant même un « déficit démocratique ». L'internationaliste renommé Antonio Remiro Brotóns analysait en 1984 les aspects internationaux de la Constitution de 1978. Il n'avait pas mâché ses mots à propos de la procédure prévue à l'article 93. « En termes d'appui parlementaire, la conclusion d'un traité qui organise un transfert de compétences s'avère plus aisée [...] que la proposition d'un magistrat pour siéger au Tribunal constitutionnel ou - non plus ultra - la désignation des membres du Conseil d'Administration de RTVE », La Acción exterior del Estado, Madrid, Tecnos, 1984, p. 115.
(17) Version originale de l'article 93 : « Mediante ley orgánica se podrá autorizar la celebración de tratados por los que se atribuya a una organización o institución internacional el ejercicio de competencias derivadas de la Constitución. Corresponde a las Cortes generales o al Gobierno, según los casos, la garantía del cumplimiento de estos tratados y de las resoluciones emanadas de los organismos internacionales o supranacionales titulares de la cesión. »
(18) En ce sens, par ex. R. Alonso García*, Derecho comunitario : sistema constitucional y administrativo de la Comunidad europea,* Madrid, Fundación Ramón Areces, 1994, p. 281 ; A. Mangas Martín, « La declaración... », op. cit., p. 391 ; du même auteur, « La Constitución y la ley ante el derecho comunitario », Revista de instituciones europeas, 1991, n° 2, p. 599 ; P. Pérez Tremps*, Constitución española y Comunidad europea*, Madrid, Fundación Universidad Empresa/Civitas, 1993, pp. 36-37.
(19) Le titre X de la Constitution espagnole de 1978 est consacré à la « réforme constitutionnelle ». Deux procédures de révision y sont présentées. La moins contraignante est celle de l'article 167 où le paragraphe 1 impose que chaque chambre approuve les projets de réforme à la majorité des trois cinquièmes. Si échec il y a, le paragraphe 2 prévoit que le texte peut être approuvé par le Congrès des députés à la majorité de deux tiers mais à la condition que le Sénat ait émis un vote favorable à la majorité absolue. Rien de tel à l'article 168 qui doit automatiquement être activé dès qu'il s'agit de réformer la Constitution dans son ensemble ou si la révision de la Constitution affecte le titre préliminaire, le chapitre second, la section 1 ° du titre I ou le titre II. Chaque chambre doit approuver le principe d'une réforme à la majorité des deux tiers pour ensuite être immédiatement dissoutes (§ 1). Le paragraphe 2 prévoit que les nouvelles chambres devront confirmer la décision de révision et approuver, chacune d'entre elles à la majorité des deux tiers, le nouveau texte constitutionnel. Une fois la réforme approuvée par les Cortes, elle devra ensuite être soumise à référendum (§ 3).
(20) DTC n° 1/1992, FJ n° 4 : « L'article 93 ne pourrait pas être utilisé comme instrument pour contrarier ou rectifier les mandats ou prohibitions contenues dans la norme fondamentale, car non seulement cette disposition n'est pas le fondement légitime pour la »réforme implicite ou tacite« constitutionnelle, mais en outre, une telle contradiction des impératifs constitutionnels ne pourrait pas être assimilée, en toute logique, à une attribution d'exercice de compétences ». Ce faisant, il récusait une thèse défendue à l'époque par un nombre important de juristes espagnols qui considéraient l'article 93 comme une lex specialis permettant de déroger aux règles constitutionnelles, notamment celle de la révision, v. A. Mangas Martín*, Derecho comunitario europeo y derecho español,* Madrid, Tecnos, 1987 (2e éd.), p. 30.
(21) DTC n° 1/2004, FJ n° 2 : « Lo que dijimos en la DTC 1/1992 se situaba en unas coordenadas precisas, consistentes entonces en la existencia de una contradicción entre el art. 8-B del tratado constitutivo de la Comunidad Europea y el texto de la Constitución española, su artículo 13 § 2 siendo en esas coordenadas en las que debe entenderse el alcance de algunos de los contenidos de dicha Declaración a la hora de emitir la actual, que opera en un marco bien distinto en el que, como razonaremos, tal contradicción con el texto no se da » (souligné par nous).
(22) DTC n° 1/2004, FJ n° 2 : « El art. 93 CE es sin duda soporte constitucional básico de la integración de otros ordenamientos con el nuestro, a través de la cesión del ejercicio de competencias derivadas de la Constitución, ordenamientos llamados a coexistir con el Ordenamiento interno, en tanto que ordenamientos autónomos por su origen. En términos metafóricos podría decirse que el art. 93 CE opera como bisagra mediante la cual la Constitución misma da entrada en nuestro sistema constitucional a otros ordenamientos jurídicos a través de la cesión del ejercicio de competencias. De este modo se confiere al art. 93 CE una dimensión sustantiva o material que no cabe ignorar. »
(23) Selon l'article 90, paragraphe 2, de la LOTC, les juges constitutionnels peuvent émettre un vote dissident. Ce furent les magistrats Javier Delgado Barrio, Roberto García-Calvo y Montiel et Ramón Rodríguez Arribas qui profitèrent de cette faculté en 2004. Le magistrat J. Delgado Barrio put ainsi écrire qu'" il est clair que la teneur littérale que présente aujourd'hui l'article 93 CE ne permet pas que l'exercice des compétences qu'il mentionne puisse servir pour s'écarter de la Constitution ou, ce qui revient au même, cette disposition ne permet pas le déplacement de la Constitution par le droit communautaire, sauf en ce qui concerne le sujet à qui est attribué l'exercice de la compétence " (souligné par nous).
(24) La version originale se lit ainsi au FJ n° 2 : « La operación de cesión del ejercicio de competencias a la Unión europea y la integración consiguiente del Derecho comunitario en el nuestro propio imponen límites inevitables a las facultades soberanas del Estado, aceptables únicamente en tanto el Derecho europeo sea compatible con los principios fundamentales del Estado social y democrático de Derecho establecido por la Constitución nacional. Por ello la cesión constitucional del art. 93 CE posibilita, a su vez, límites materiales que se imponen a la propia cesión. Esos límites materiales, no recogidos expresamente en el precepto constitucional, pero que implícitamente se derivan de la Constitución y del sentido esencial del propio precepto, se traducen en el respeto de la soberanía del Estado, de nuestras estructuras constitucionales básicas y del sistema de valores y principios fundamentales consagrados en nuestra Constitución, en el que los derechos fundamentales adquieren sustantividad propia (art. 10, § 1, CE), límites que, como veremos después, se respetan escrupulosamente en el Tratado objeto de nuestro análisis ».
(25) P. Pérez Tremps, Constitución española y Comunidad europea, op. cit., pp. 56, 59 ; A. Mangas Martín, « La Constitución y la ley ante el derecho comunitario », Revista de las instituciones europeas, 1991, n° 2, p. 18.
(26) On signalera (ce n'est certainement pas anodin) que parmi la doctrine critique à l'égard de la Déclaration du 1er juill. 1992 figurait le constitutionnaliste Pablo Pérez Tremps. Aujourd'hui, il fait partie des douze sages qui siègent au Tribunal ; on se permet ici d'avancer l'idée que sa présence n'est certainement pas étrangère à la nouvelle interprétation de l'article 93 de la Constitution espagnole.
(27) Pour sa part, le juge dissident R. Rodríguez Arribas a écrit que « l'évidente antinomie entre la teneur littérale des deux dispositions [art. 9, § 1, et art. I-6] est impossible à annuler avec une interprétation qui aurait pour objectif de les rendre compatibles en s'écartant de la teneur de leurs textes respectifs ».
(28) Il se lit ainsi : « Les citoyens et les pouvoirs publics sont soumis à la Constitution et aux autres normes de l'ordre juridique. »
(29) La procédure contraignante de réforme constitutionnelle de l'article 168 aurait été celle mise en oeuvre si le Tribunal constitutionnel avait mis en évidence une contrariété entre les dispositions du traité et les articles 9, paragraphe 1, et 10, paragraphe 2, de la Constitution car ils font tous deux partie du titre préliminaire. Or, conformément au paragraphe 1 de l'article 168, une réforme du titre préliminaire est soumise à cette procédure contraignante.
(30) V. la note X qui décrit précisément les différentes phases de la mise en oeuvre de l'article 168 de la Constitution.
(31) A. Mangas Martín avait pour sa part estimé que l'antinomie était telle entre l'article I-6 du traité et l'article 9, paragraphe 1, de la Constitution, qu'il n'était pas possible de faire l'impasse d'une révision constitutionnelle : « Sobre la primacía del tratado constitucional ¿Tensiones constitucionales a la vista ? », C. Closa Montero, N. Fernández Sola (dir.), La Constitución de la Unión Europea, Madrid, Centro de Estudios constitucionales, 2005, pp. 153-163. Et de clore son analyse en proclamant que « L'Europe vaut bien une réforme constitutionnelle » ; P. Pérez Tremps le considéra également dans un article paru quelques mois avant la décision du 13 décembre 2004 : « Constitución española y Unión europea Monográfico XXV Aniversario de la Constitución (III), Mayo/Agosto 2004, p. 121 : « L'affirmation explicite par la Constitution européenne de sa primauté sur les ordres juridiques internes, y compris la Constitution, suppose une authentique antinomie avec l'article 9, paragraphe 1, de la Constitution nationale, impossible à dépasser par la seule interprétation, et qui exige une réforme constitutionnelle conformément à la doctrine établie par le Tribunal dans sa déclaration du 1er juillet 1992 ». Cet article fut cité en filigrane (sans que le nom de son auteur et la source soient expressément mentionnés) dans l'opinion dissidente du juge R. García-Calvo y Montiel, fustigeant à mots à peine couverts le changement de perspective analytique de P. Pérez Tremps. Toutefois, qui a dit qu'il était interdit de changer de point de vue, surtout dans le contexte particulier et difficile de l'adoption d'une décision juridique aux conséquences politiques majeures ?
(32) Pour une analyse combinée des deux décisions, v. dans ce numéro des Cahiers l'article de T. Papadimitriou.
(33) DTC n° 1/2004, FJ n° 3 : « El primer aspecto a destacar, para interpretar correctamente la primacía proclamada y el marco en que se desenvuelve, es que el Tratado por el que se establece una Constitución para Europa parte del respeto a la identidad de los Estados integrados en ella y de sus estructuras constitucionales básicas, y se funda en los valores que están en la base de las Constituciones de dichos Estados. »
(34) La doctrine Solange (aussi longtemps que) a pris l'allure d'un avertissement assez cinglant en 1974 (Solange I) qui s'est transformé quelques années plus tard en une formule plus bienveillante, même si en théorie la réserve de compétence ne fut pas levée (Solange II, arrêt du 22 oct. 1986). Après l'intermède diversement interprété de la décision du 12 oct. 1993 (déc. Maastricht ou encore dite Brunner), le dialogue des juges s'est apaisé semble-t-il pour un long laps de temps avec la décision sur Les Bananes du 7 juin 2000.
(35) L'analyse combinée de la décision du 10 juin 2004 avec celles des 1er et 29 juill., ainsi que celle du 19 nov., démontre que la réserve de compétence énoncée par le Conseil constitutionnel concerne non seulement les « dispositions expresses et spécifiques contraires à la Constitution » en matière de droits fondamentaux, mais aussi les traits essentiels de la « structure fondamentale politique et constitutionnelle ».
(36) DTC n° 1/2004, FJ n° 3 : « Dichos preceptos, entre otros, vienen a consagrar la garantía de la existencia de los Estados y sus estructuras básicas, así como sus valores, principios y derechos fundamentales, que en ningún caso podrían llegar a hacerse irreconocibles tras el fenómeno de la cesión del ejercicio de competencias a la organización supraestatal, garantía cuya ausencia o cuya falta de una proclamación explícita justificó en etapas anteriores las reservas opuestas a la primacía del Derecho comunitario frente a las distintas Constituciones por conocidas decisiones de las jurisdicciones constitucionales de algunos Estados, en lo que ha dado en llamarse en la doctrina el diálogo entre los tribunales constitucionales y el TJCE. En otros términos, los límites a que se referían las reservas de dichas jurisdicciones constitucionales aparecen ahora proclamados de modo inequívoco por el propio Tratado sometido a nuestra consideración, que ha venido a acomodar sus disposiciones a las exigencias de la Constituciones de los Estados miembros. »
(37) G. C. Rodríguez Iglesias, A. Valle Gálvez, « El Derecho comunitario y las relaciones entre el Tribunal de justicia de las Comunidades europeas, el Tribunal europeo de derechos humanos y los tribunales constitucionales nacionales », Revista de Derecho Comunitario europeo, 1997, n° 2, p. 373.
(38) DTC n° 1/2004, FJ n° 3 : « Así pues la primacía que se proclama en el Tratado por el que se establece una Constitución para Europa opera respecto de un Ordenamiento que se construye sobre los valores comunes de la Constituciones de los Estados integrados en la Unión y de sus tradiciones constitucionales. »
(39) DTC n° 1/2004, FJ n° 3 : « la primacía [...] se contrae expresamente al ejercicio de la competencias atribuidas a la Unión europea ».
(40) P. Dyrberg, « La Constitución danesa y la Unión europea II (Comentario a la sentencia del Tribunal supremo danés de 6 de abril de 1998) », Revista de Derecho Comunitario europeo, 1998, pp. 573-591.
(41) DTC n° 1/2004, FJ n° 3 : « El nuevo tratado no altera sustancialmente la situación creada tras nuestra adhesión a las Comunidades y, si acaso, la simplifica y reordena en términos que hacen más preciso el alcance de la cesión del ejercicio de competencias verificada por España. »
(42) R. Alonso García, « Constitución española y Constitución europea... », op. cit.
(43) Il suffit de retranscrire un passage déterminant de la célèbre décision du Tribunal, Élections au Parlement européen du 14 févr. 1991. Cela « ne signifie pas pour autant que par le biais de l'article 93 les normes de droit communautaire acquièrent rang et force constitutionnels ni que leur éventuelle violation par une disposition de droit espagnol entraîne nécessairement en même temps la violation dudit article 93 de la Constitution ».
(44) I. Pernice, « Multilevel constitutionalism and the Treaty of Amsterdam : european constitution-making revisited », CMLrev., 1999, n° 4, pp. 697 et s. Du même auteur*, Fondements du droit constitutionnel européen,* Paris, Pédone, 2004, 93 p. (Cours et travaux n° 1, Institut des hautes études internationales de Paris).
(45) P. Pérez Tremps, Constitución española y Comunidad europea, op. cit., p. 123.
(46) R. Alonso García, El juez español y el derecho comunitario, Madrid, Consejo General del poder Judicial, 2003, p. 120. Dans son analyse précitée de la DTC 2004, R. Alonso García considère toutefois que le Tribunal constitutionnel est parfois trop « unidirectionnel » en omettant de prendre en considération la pression que le droit communautaire fait peser sur les ordres constitutionnels, en se focalisant trop sur le mouvement inverse, la pression constitutionnelle sur le droit communautaire, en l'occurrence le traité constitutionnel.
(47) Il déduisit cette suprématie d'un ensemble de dispositions de la Constitution espagnole et plus précisément de ses articles 1, paragraphe 2, 9, paragraphe 1, 95, 161, 163, 167, 168. Et d'affirmer la « suprématie ou le rang supérieur de la Constitution face à n'importe quelle autre norme, et spécifiquement, face aux traités internationaux ».
(48) DTC n° 1/2004, FJ n° 4 : « Primacía y supremacía son categorías que se desenvuelven en órdenes diferenciados. Aquélla, en el de la aplicación de normas válidas ; ésta, en el de los procedimientos de formación. La supremacía se sustenta en el carácter jerárquico superior de una norma, y, por ello es fuente de validez de las que le están infraordenadas, con la consecuencia, pues, de la invalidez de éstas si contravienen lo dispuesto imperativamente en aquélla. La primacía, en cambio, no se sustenta necesariamente en la jerarquía, sino en la distinción entre ámbitos de aplicación de diferentes normas, en principio válidas, de las cuales, sin embargo, una o unas de ellas tienen capacidad de desplazar a otras en virtud de su aplicación preferente o prevalerte debida a diferentes razones. Toda supremacía implica, en principio, primacía (de ahí su utilización en ocasiones equivalente, así en nuestra DTC 1/1002, FJ n° 1), salvo que la misma norma suprema haya previsto, en algún ámbito, su propio desplazamiento o inaplicación. La supremacía de la Constitución es, pues, compatible con regímenes de aplicación que otorguen preferencia aplicativa a normas de otro ordenamiento diferente del nacional siempre que la propia Constitución lo haya así dispuesto, que es lo que ocurre exactamente con la previsión contenida en su art. 93, mediante el cual es posible la cesión de competencias derivadas de la Constitución a favor de una institución internacional así habilitada constitucionalmente para la disposición normativa de materias hasta entonces reservadas a los poderes internos constituidos y para su aplicación a éstos. En suma, la Constitución ha aceptado, ella misma, en virtud de su art. 93, la primacía del Derecho de la Unión en el ámbito que a ese Derecho le es propio, según se reconoce ahora expresamente en el art. I-6 del Tratado ».
(49) Pour un exemple de jurisprudence : STC, 26 janv. 2000 cité par R. Alonso García, « Constitución española y Constitución europea ».
(50) Ibid.
(51) Dans ces domaines, la Cour ne pourra statuer que sur la validité et la proportionnalité d'opérations menées par la police ou d'autres services répressifs dans un État membre, ou en matière de maintien de l'ordre public ou de sauvegarde de la sécurité intérieure (art. III-377).
(52) La compétence de la Cour demeure limitée. L'exclusion de sa compétence reste le principe (art. III-376, al. 1, reprenant l'article 46 TUE). Deux tempéraments sont introduits toutefois, l'un concernant la légalité des mesures restrictives adoptées par l'Union à l'encontre de personnes physiques ou morales dans le cadre de la PESC (art. III-376, al. 2), et l'autre relatif à la compatibilité d'un accord international, y compris en matière de PESC, avec la Constitution européenne (art. III-325.11).
(53) Il se lit ainsi : « Les normes relatives aux droits fondamentaux et aux libertés que reconnaît la Constitution seront interprétées conformément à la Déclaration universelle des droits de l'homme et aux traités et accords internationaux portant sur les mêmes matières ratifiés par l'Espagne. »
(54) L. Burgorgue-Larsen, « La constitutionnalisation du droit au juge », J. Rideau (dir.), Le droit au juge dans l'Union européenne, Paris, LGDJ, 1998, pp. 69-108.
(55) À l'inverse de la démarche très maladroite du Conseil constitutionnel qui, en retranscrivant les explications du Praesidium, cristallise la jurisprudence européenne. Pour une critique de cette démarche interprétative, on se permet de renvoyer à notre analyse « Ombres et lumières de la constitutionnalisation de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne », CDE, 2004-6, pp. 663-690.
(56) STC n° 292/2000 du 30 nov. 2000, FJ n° 8 : " [...] otro tanto ocurre en el ámbito comunitario, con la Directiva 95/46, sobre Protección de las Personas Físicas en lo que respecta al Tratamiento de Datos Personales y la Libre Circulación de estos datos, así como con la Carta de Derechos Fundamentales de la Unión Europea del presente año, cuyo art. 8 reconoce este derecho precisa su contenido y establece la necesidad de una autoridad que vele por su respeto. Pues todos esos textos internacionales coinciden el establecimiento de un régimen jurídico para la protección de datos personales en el que se regula el ejercicio de este derecho fundamental en cuanto a la recogida de tales datos, la información de los interesados sobre su origen y destino, la facultad de rectificación y cancellaria, asi como el consentimiento respecto para su uso o cesión. Esto es, como antes se ha visto, un haz de garantías cuyo contenido hace posible el respeto de este derecho fundamental " (BOE, 4 enero 2001, núm. 4). V. les observations de B. Fernández Pérez, in Revista española de Derecho Internacional, 2001-1 et 2, vol. LIII, pp. 438-443. et l'article de A. Saiz Arnaiz, « La Carta de los Derechos Fundamentales de la Unión europea y los ordenamientos nacionales : ¿qué hay de nuevo ? », Cuadernos de Derecho público, 2001, pp. 153-168. Ces auteurs relèvent avec pertinence et intérêt le fait que le juge constitutionnel combine indistinctement hard law (Directive et Convention du Conseil de l'Europe), soft law (résolution de l'assemblée générale de l'ONU et Charte des droits fondamentaux).
(57) Cette décision résout le recours d'inconstitutionnalité présenté par le Défenseur du Peuple contre l'article 5.7, paragraphe 3 de la loi 5/1984 du 26 mars 1984 qui réglemente le droit d'asile et la condition de réfugié (LRDA), réformé par le paragraphe 8 de la loi 9/1994 du 19 mai 1994 selon lequel : « Durant l'examen de la demande d'asile et, selon les cas, d'une demande de réexamen, le demandeur demeurera au poste frontière, en pouvant bénéficier de locaux adaptés à cet effet. » On sait que le droit d'asile est aujourd'hui l'objet dans le champ de l'Union européenne d'une vaste refonte sur la base de la création par le traité d'Amsterdam d'un espace de liberté, de sécurité et de justice.
(58) C. López-Jurado, A. Segura Serrano, « La aplicación judicial del derecho comunitario en España durante 2002 », Revista de Derecho Comunitario europeo, n° 15, Mayo-Agosto 2003, p. 810.