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La Chambre constitutionnelle de la République du Salvador

Florentín MELÉNDEZ - Magistrat de laChambre constitutionnelle de la Cour suprême de justice du Salvador

Nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel n° 48 - juin 2015 - p. 69 à 89

I – Introduction

Le droit constitutionnel salvadorien a évolué au gré des treize constitutions qui ont jalonné son histoire, depuis la Constitution fédérale d’Amérique centrale de 1824 jusqu’à la Constitution actuelle de 1983.

Tout au long de ce processus de près de 200 ans, le droit constitutionnel a reconnu et intégré certains principes et dispositions en relation avec les droits fondamentaux et la justice constitutionnelle.

C’est ainsi, par exemple, qu’a été reconnu pour la première fois dans la Constitution de 1841 l’habeas corpus ou droit de présentation de la personne devant le juge, comme une action ou une procédure constitutionnelle visant la protection de la liberté personnelle, assorti d’une liste de garanties fondamentales pour les personnes soupçonnées d’un délit, telles que la garantie d’être entendues, le droit à la justice naturelle et la protection contre la torture.

La Constitution de 1864 établit des mesures conservatoires de substitution à la détention préventive moyennant le dépôt d’une garantie ou caution, et abolit la peine de mort pour des raisons politiques. La Constitution de 1871 stipule qu’aucune autorité ne peut restreindre ou violer les garanties constitutionnelles ; et la Constitution de 1883 reconnaît le droit de libre accès aux tribunaux ou droit d’accès à la juridiction.

La Constitution de 1886, dite « Constitution libérale », reconnaît pour la première fois le recours en amparo pour atteinte à la liberté et à d’autres droits constitutionnels. Elle incorpore la clause des droits non énoncés en disposant que : « Les droits et garanties énumérés dans la Constitution ne peuvent être interprétés comme une négation d’autres droits et garanties non énumérés mais qui trouvent leur origine dans le principe de souveraineté du peuple et la forme républicaine du gouvernement. » Cette clause est déjà reconnue au XXe siècle, dans les principaux traités relatifs aux droits de l’homme, tels que le Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966 (art. 5) et la Convention américaine relative aux droits de l’homme de 1969 (art. 29).

La Constitution de 1945 pose les bases de la loi relative à l’amparo et reconnaît pour la première fois dans le pays le droit de vote des femmes.

La Constitution de 1950, dite « Constitution sociale » reconnaît un grand nombre de droits sociaux et collectifs, tels que le droit au travail et à la sécurité sociale ; le droit à la santé et à l’assistance sociale ; et la protection de la famille, des femmes et des enfants. Elle consacre également d’importants droits politiques, tels que le droit de s’associer en partis politiques et le droit à la propagande et à la surveillance électorale. Elle instaure la suspension de garanties constitutionnelles et donne compétence aux tribunaux militaires pendant les périodes d’urgence exceptionnelle.

La Constitution actuelle de 1983 (Cn), dite « Constitution démocratique », a réaffirmé la liste des droits libéraux et sociaux précédemment adoptés et y a incorporé de nouveaux droits et libertés démocratiques. Elle a créé de nouvelles institutions publiques liées à la protection constitutionnelle des droits fondamentaux, telles que la Chambre constitutionnelle, précisément née de la Constitution de 1983.

Les réformes constitutionnelles approuvées en 1991 et 1995 ont été historiquement les premières réformes introduites au moyen de procédures établies par la Constitution. Ces réformes ont été adoptées dans le cadre du processus de paix promu par les Nations unies en vue de mettre un terme au conflit armé interne qui a commencé en 1980 et a pris fin avec la signature d’un accord de paix en 1992. La communauté internationale et notamment la République française, a largement contribué au processus de paix.

Ces réformes historiques ont entraîné de nombreux changements significatifs et ont notamment renforcé les principes d’indépendance judiciaire et de procès équitable, ont transformé les forces armées et la sécurité publique, ont refondu le système électoral et ont institué la figure du Médiateur pour les droits de l’homme.

La Constitution de 1983 a créé la première Cour constitutionnelle du Salvador, la Chambre constitutionnelle, composée de 5 magistrats directement élus par l’Assemblée législative pour une durée de 9 ans et ayant compétence pour connaître des procédures constitutionnelles, le recours en inconstitutionnalité contre les lois à travers l’exercice d’un contrôle concentré ou abstrait étant reconnu pour la première fois.

La Constitution en vigueur reconnaissait aussi pour la première fois l’exercice du contrôle de constitutionnalité diffus ou concret à tous les juges et tribunaux, dans le cadre des procédures sur lesquelles ils sont appelés à statuer (art. 185 de la Constitution nationale).

L’actuelle Constitution reconnaît trois procédures constitutionnelles :

a) le recours en inconstitutionnalité des lois (art. 183 de la Constitution nationale) ;

b) le recours en amparo visant à protéger des droits constitutionnels (art. 247 de la Constitution nationale) ; et

c) le recours en habeas corpus visant à protéger en particulier la liberté personnelle contre toute restriction illégale ou arbitraire et à préserver la dignité et l’intégrité physique ou psychologique des personnes privées de liberté (art. 11 de la Constitution nationale).

Les procédures constitutionnelles sont traitées d’office puisqu’elles ne nécessitent pas de démarches de la part des parties aux procédures, ce qui témoigne de qualités pour agir et pour défendre étendues, en garantissant ainsi l’accès à la justice constitutionnelle à tout citoyen ou toute personne s’estimant lésé(e) dans ses droits fondamentaux.

La Constitution de 1983 reprend à son compte les contributions libérales et sociales des constitutions antérieures, ce que reflètent les droits et libertés publiques ou démocratiques, dans l’attente d’un développement plus large et actualisé de la partie dogmatique de la Constitution, en vue d’y incorporer de nouveaux droits, notamment les droits des femmes et les droits des victimes.

II – Mandat de la Chambre constitutionnelle

En créant la Chambre constitutionnelle (art. 174 de la Constitution nationale), la Constitution de 1983, en établit le mandat qui se limite à trois fonctions fondamentales :

a) exercer le contrôle de constitutionnalité au moyen du recours en inconstitutionnalité contre les lois, décrets et règlements ; du recours en amparo ; et du recours en habeas corpus ou en présentation de la personne devant le juge ;

b) statuer sur les différends survenant entre le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif dans le processus d’élaboration des lois, conformément aux dispositions de l’article 138 de la Constitution ; et

c) connaître des cas de suspension ou de perte de la citoyenneté et de son rétablissement, comme le prévoit l’article 182 no 7 de la Constitution.

III – Procédures constitutionnelles

1. Recours en inconstitutionnalité

La Constitution de 1983 reconnaît pour la première fois dans le droit constitutionnel salvadorien, la faculté d’exercer le contrôle concentré ou abstrait de constitutionnalité des lois.

À cet égard, l’article 183 de la Constitution dispose ce qui suit :

« La Cour suprême de justice par le biais de la Chambre constitutionnelle sera le seul tribunal compétent pour déclarer l’inconstitutionnalité des lois, décrets et règlements, dans leur forme et leur contenu, de manière générale et obligatoire, et pourra être saisie par tout citoyen. »

Ce recours, par mandat exprès de la Constitution, s’exerce contre les lois, décrets et règlements, par voie de pétition citoyenne, de sorte que tout citoyen qui agit individuellement ou en groupe, a le droit de soumettre des requêtes en inconstitutionnalité.

La loi sur les procédures constitutionnelles (ci-après désignée la « Loi Pr. Cn. »), en vigueur depuis 1960, est destinée à développer les procédures constitutionnelles sur le plan législatif.

En ce qui concerne le recours en inconstitutionnalité, elle établit une procédure courte, simple et dépourvue de lourdes formalités procédurales. Par sa nature, cette procédure est indépendante de toute instance ou procédure en cours en attente d’un jugement définitif. Il ne s’agit pas non plus d’un incident d’instance ni d’un recours ordinaire ou extraordinaire. C’est au contraire une procédure autonome et strictement juridictionnelle, régie par des actes spécifiques, eu égard à ses caractéristiques procédurales, dans laquelle il est statué définitivement sur le fond de l’affaire de portée constitutionnelle, que ce soit par un arrêt d’admission ou de rejet, un arrêt interprétatif, complémentaire, substitutif, déclaratif, exhortatif, intégratif, structuré ou constitutif.

S’agissant de son objet, la procédure vise à contrôler la constitutionnalité des lois ou des actes législatifs de l’État, mais aussi des actes subjectifs publics de l’administration et du Parlement, garantissant ainsi la défense de la Constitution et de sa suprématie dans le régime juridique. Elle a pour objet de procéder à un examen abstrait et public de compatibilité entre les normes juridiques.

En exerçant le contrôle concentré de constitutionnalité des lois, la Chambre examine si une norme particulière de la législation en vigueur (objet du contrôle) est compatible ou non avec les dispositions de la loi primaire (paramètre de contrôle). Par conséquent, elle ne se prononce pas sur l’application d’une norme à des faits concrets ni sur le fait qu’une règle porte atteinte à des droits fondamentaux dans un cas spécifique.

La procédure n’a pas pour finalité d’assurer une protection dans des situations juridiques individualisées. Elle poursuit en effet la finalité abstraite de veiller à la constitutionnalité des normes ou d’épurer le régime juridique.

Reconnaissant la qualité pour agir en justice, ce type de procédures permet une large participation citoyenne. Une fois engagée, la procédure est traitée d’office par le tribunal, sans nécessiter de démarches de la part des parties intéressées. Tout citoyen salvadorien, qu’il agisse à titre individuel ou collectif, a le droit de soumettre des requêtes en inconstitutionnalité à la Chambre constitutionnelle, mais pourra également saisir de ces requêtes les juges de première instance du pays, qui devront les transmettre à la Chambre dans les plus brefs délais (art. 2 et 41 de la Loi Pr. Cn).

Sont fondamentalement parties à la procédure le demandeur, l’autorité défenderesse et le Procureur général de la République, agissant au nom du Ministère public et, le cas échéant, l’intervention d’amicus curiae ou de tiers justifiant d’un intérêt légitime dans la procédure a également été autorisée.

L’objet du contrôle que la jurisprudence de la Chambre limitait initialement aux actes législatifs de l’État a été étendu par la jurisprudence de la Chambre actuelle à tous les actes et omissions de l’État qui ont une portée constitutionnelle, afin qu’il ne subsiste pas de zones qui échappent au contrôle de constitutionnalité. Selon la jurisprudence récente, ce contrôle peut également s’exercer sur les actes subjectifs publics et le manquement par le législateur au mandat constitutionnel lui imposant de légiférer sur certaines questions de droits fondamentaux.

Le contrôle de constitutionnalité s’exerce donc pleinement et produit des effets généraux et obligatoires pour tous, en prenant comme paramètre de contrôle la Constitution et en complément, les traités en vigueur, notamment les traités relatifs aux droits de l’homme et la jurisprudence internationale, telle que celle issue de la Cour interaméricaine des droits de l’homme.

Les arrêts d’inconstitutionnalité ne sont susceptibles d’aucun recours, mais les parties intéressées ou un tiers justifiant d’un intérêt légitime peuvent solliciter une explication de ces arrêts ou des éclaircissements à leur sujet.

Dès lors, la Chambre constitutionnelle exerce un contrôle de constitutionnalité concentré ou abstrait, indépendamment de la faculté de contrôle diffus ou concret qu’elle possède également, selon l’article 183 de la Constitution qui dispose ce qui suit :

« Dans le cadre du pouvoir d’administration de la justice, il appartient aux tribunaux, lorsqu’ils ont à prononcer un arrêt, de déclarer l’inapplicabilité de toute loi ou disposition des autres organes de l’État, qui serait contraire aux préceptes constitutionnels. »

La Chambre exerce le contrôle de constitutionnalité non seulement sur les actes concrets du législateur, mais aussi sur les omissions législatives. La Cour a rendu un arrêt déclarant inconstitutionnel le manquement par le Parlement à son obligation de légiférer sur l’indemnisation universelle des travailleurs du secteur privé en cas de démission ou de départ volontaire, comme le prévoit depuis 1983 l’article 38 de la Constitution(1).

De même, un tel contrôle a été exercé quant au droit à indemnisation au titre de préjudices moraux prévu par la Constitution(2).

Dans les deux cas, un délai d’un an a été notifié à l’autorité défenderesse, afin qu’elle élabore la législation pertinente en vue de remédier à l’omission déclarée inconstitutionnelle.

Dans les procédures d’inconstitutionnalité, la Chambre a également eu recours à la modulation des effets des arrêts, et dans certains cas, en a différé les effets pour des raisons de sécurité juridique et afin de reconnaître des situations juridiquement constituées.

Le suivi de l’exécution des arrêts d’inconstitutionnalité est l’une des tâches qui sont à accomplir par la Cour pour s’acquitter pleinement de son mandat constitutionnel de faire respecter l’autorité de la chose jugée (art. 172 de la Constitution nationale).

Néanmoins, la Cour a rendu quelques décisions de suivi qui ont annulé les effets des actes législatifs adoptés pour exécuter l’arrêt et l’organe législatif a été contraint de légiférer de nouveau en se conformant au contenu de l’arrêt.

2. Recours en amparo

La Constitution reconnaît le droit de recours en amparo à toute personne faisant état d’une violation de ses droits constitutionnels, à l’exception du droit à la liberté personnelle qui est protégé par l’habeas corpus. L’amparo est inscrit dans le droit constitutionnel salvadorien depuis l’adoption de la Constitution de 1950. Depuis lors et jusqu’en 1983, c’était la Chambre des _amparo_s de la Cour suprême de justice qui était compétente pour connaître de ces recours, avant la création de l’actuelle Chambre constitutionnelle en 1983.

Selon la législation constitutionnelle applicable, les conditions procédurales requises pour qu’un recours en amparo soit recevable sont les suivantes : la qualité pour agir, la qualité pour défendre, l’épuisement des voies de recours et la justification d’une atteinte aux droits constitutionnels.

Le recours en amparo ne peut être engagé que lorsque l’acte incriminé ne peut être réparé dans le cadre d’une procédure fondée sur d’autres recours.

L’acte ou l’omission de l’autorité contre laquelle il est engagé doit être susceptible de constituer une atteinte aux droits constitutionnels. Le recours en amparo est donc recevable contre les actes définitifs de l’administration publique de l’État ou des particuliers, mais n’est pas recevable dans les affaires judiciaires relevant du droit civil, du droit commercial, du droit du travail ou concernant des jugements en matière pénale, la Chambre constitutionnelle n’étant pas une juridiction supplémentaire du système judiciaire salvadorien. La juridiction constitutionnelle n’est pas une instance de révision des procédures judiciaires ordinaires.

Le recours en amparo peut donc être engagé contre des actes réels et concrets, sous réserve que les voies de recours ordinaires disponibles aient été épuisées et qu’elles soient appropriées et efficaces. L’épuisement des voies de recours impose une charge procédurale à la partie requérante, en raison du caractère spécial et subsidiaire de cette procédure constitutionnelle, instituée pour assurer une protection renforcée des droits constitutionnels, de sorte que l’absence de préjudice réel et concret peut être un motif d’irrecevabilité du recours en amparo.

Dans la jurisprudence de la Cour, la qualité pour défendre s’est développée en donnant lieu à des procédures d’amparo entre particuliers, auquel cas l’auteur présumé de la violation doit se trouver, en droit ou en fait, dans une position de force ou jouir d’un avantage par rapport au demandeur.

Le recours en amparo est ouvert aux individus, aux groupes sociaux et aux personnes morales invoquant une violation de leurs droits constitutionnels. La personne lésée est celle qui a qualité pour intenter le recours d’amparo. (art. 3 de la Loi Pr. Cn)

La procédure prévoit l’adoption de mesures conservatoires destinées à éviter, pendant le déroulement de la procédure, un dommage irréparable ou difficile à réparer lié à l’arrêt définitif, en veillant ainsi à l’efficacité de cet arrêt (art. 12 de la Loi Pr. Cn).

Lesdites mesures conservatoires ne peuvent être adoptées que sous réserve des conditions requises suivantes :

a) fumus boni iuris ou apparence de bien fondé de la demande qui découle de l’analyse des faits concrets et d’autres circonstances de la procédure et de la déduction raisonnable de l’existence d’une violation de droits constitutionnels, sans que cela implique d’anticiper le jugement sur le fond de l’affaire ; et

b) periculum in mora ou urgence de la procédure découlant du risque ou de l’obstacle que peut représenter le déroulement dans le temps de la procédure pour la réalisation des conséquences potentielles de l’arrêt, la mesure conservatoire permettant d’éviter un préjudice irréparable.

Le recours en amparo prévu par la loi donne lieu à l’intervention verbale et écrite des parties et à la production de preuves, mais ne prévoit pas de délai pour le prononcé de l’arrêt définitif, à l’instar du recours en inconstitutionnalité.

L’arrêt d’amparo a pour effet concret de faire revenir les choses à leur état antérieur à la violation du droit constitutionnel, mais si cet effet est impossible, l’arrêt est simplement déclaratif ou produit des effets déclarés restitutoires par le tribunal, permettant de déterminer s’il y a lieu d’intenter une action civile en dommages-intérêts, en premier lieu contre le fonctionnaire ou l’autorité directement responsable et à titre subsidiaire contre l’État (art. 245 de la Constitution nationale et art. 35 de la Loi Pr. Cn).

La non-exécution de l’arrêt d’amparo expose l’autorité à des poursuites pour acte de désobéissance (art. 35 de la Loi Pr. Cn).

Il peut également être mis fin à une procédure d’amparo moyennant une décision de non-lieu en cas de désistement de la partie requérante ; par mise en conformité de l’acte prétendu inconstitutionnel ; pour absence de preuves sur le fond ; et par cessation de l’acte incriminé (art. 31 de la Loi Pr. Cn).

3. L’habeas corpus

Le recours en habeas corpus ou présentation de personne a été reconnu pour la première fois dans la Constitution de 1771.

La Constitution de 1983 reconnaît ce qui suit à l’article 11 :

« Le recours en habeas corpus est ouvert à quiconque subit une restriction illégale et arbitraire de sa liberté, du fait d’une personne ou d’une autorité. Ce recours est également fondé en cas d’atteinte par une autorité à la dignité ou à l’intégrité physique, psychique ou morale des personnes détenues. »

L’habeas corpus vise fondamentalement à protéger la liberté des personnes privées de liberté, mais aussi des personnes dont la liberté est menacée.

Notre système judiciaire reconnaît l’habeas corpus préventif, correctif et en référé.

Le recours en habeas corpus préventif est possible lorsque la privation de liberté n’est pas encore effective, mais qu’elle est projetée et que s’exerce une autorité avec emprise générale sur les actes de la personne et contre son consentement, à savoir lorsqu’elle est soumise à la restriction du sujet qui exerce ce pouvoir (art. 39 de la Loi Pr. Cn).

À la suite des réformes constitutionnelles approuvées dans le cadre des Accords de paix de 1992 qui ont mis fin au conflit armé interne, l’habeas corpus a visé à protéger en outre la dignité et l’intégrité physique et psychologique des personnes détenues ou privées de liberté d’une quelconque manière, d’où un élargissement du champ d’application matériel de l’habeas corpus. Il protège également les personnes privées de liberté contre les actes de torture, les traitements cruels, inhumains ou dégradants.

Selon la Constitution et la loi, toute personne, qu’elle soit lésée ou non, a le droit de former une requête d’habeas corpus (art. 11 de la Constitution nationale et art. 41 de la Loi Pr. Cn).

Les tribunaux de deuxième instance du pays sont également compétents pour recevoir des requêtes d’habeas corpus et y donner suite, leurs décisions étant finalement réexaminées par la Chambre constitutionnelle.

IV – Jurisprudence constitutionnelle

Au cours des cinq dernières années, la Chambre constitutionnelle a étoffé sa jurisprudence et a introduit de nouvelles lignes d’interprétation constitutionnelle grâce à l’initiative des citoyens qui lui ont présenté des requêtes portant sur des questions sur lesquelles elle n’avait jamais eu à se prononcer, telles que les droits sociaux et collectifs ; la protection de l’environnement ; le contrôle de constitutionnalité des actes subjectifs publics de l’administration de l’État, comme la nomination de fonctionnaires publics ; l’inconstitutionnalité par omission ; et le contrôle de constitutionnalité des réformes de la Constitution(3).

La Chambre a également développé sa jurisprudence sur d’autres questions telles que celles se rapportant au budget de l’État et à l’obligation de rendre compte de la gestion des fonds publics qui incombe sans exception aucune à tous les fonctionnaires de l’État, y compris le président de la République, eu égard aux fonds discrétionnaires ou fonds secrets de la présidence de la République.

En matière de fiscalité, la jurisprudence a évolué afin de garantir la sécurité juridique, la justice et l’équité fiscale, et d’empêcher la double imposition des contribuables.

En ce qui concerne la sécurité publique et la défense nationale, la Constitution a été interprétée à la lumière des Accords de paix de 1992 qui ont mis fin au conflit armé interne, avec la médiation de l’Organisation des Nations unies (ONU), afin de décider de la séparation de fonctions entre les forces de police et les forces armées dans les tâches de sécurité publique, conformément aux réformes constitutionnelles approuvées pour mettre en œuvre les Accords de paix. De cette manière, la Chambre a déclaré inconstitutionnelle la nomination par le président de la République de deux généraux de l’armée comme hauts responsables de la sécurité publique, au motif qu’elle est incompatible avec les réformes constitutionnelles qui ont séparé les deux fonctions publiques.

C’était la première fois qu’un arrêt d’inconstitutionnalité était rendu sur la base d’accords politiques signés par le gouvernement et les insurgés dans le contexte d’un conflit armé, pour interpréter la portée des réformes constitutionnelles approuvées après la signature de la paix(4).

En matière d’indépendance judiciaire, la jurisprudence a évolué de manière significative. La Chambre a rendu plusieurs arrêts d’inconstitutionnalité concernant des actes publics subjectifs, à savoir, la nomination de hauts fonctionnaires de l’État par le Parlement salvadorien, notamment celle du président de la Cour suprême de justice qui est parallèlement président de la Chambre constitutionnelle et de l’Organe judiciaire ; du président du Tribunal suprême électoral, la plus haute autorité électorale constitutionnelle ; et des magistrats de la Cour des comptes de la République, entité de contrôle de l’appareil de l’État.

Ces nominations ont été invalidées par des jugements de la Cour, au motif de l’incompatibilité de la fonction judiciaire avec l’appartenance ou l’affiliation politique partisane de ces fonctionnaires et au motif qu’en les nommant l’Assemblée législative n’a pas vérifié ni rendu compte de leur appartenance à des partis politiques, manquant ainsi à l’obligation constitutionnelle d’indépendance et d’impartialité judiciaire attachée à ces fonctions judiciaires.

Ces arrêts ont renforcé l’État de droit dans le pays, en garantissant la disparition dans le futur de conflits d’intérêts dans la juridiction constitutionnelle, électorale et des comptes, dès lors que ce sont précisément ces tribunaux qui sont compétents ratione materiae pour contrôler les actes et les décisions des fonctionnaires aux prises avec des conflits d’intérêts partisans(5).

La judiciarisation des droits sociaux et collectifs ou des intérêts diffus fait partie des innovations de la jurisprudence constitutionnelle du Salvador. La Chambre a rendu plusieurs arrêts dans les trois procédures constitutionnelles concernant ces droits fondamentaux. Ces procédures ont permis de protéger le droit à la santé et le droit d’accès aux médicaments de personnes infectées par le VIH, de personnes atteintes d’hémophilie ou de nouveau-nés dans des hôpitaux publics ; le droit au travail, à la sécurité sociale, le droit des travailleurs à une retraite digne et le droit à indemnisation universelle des travailleurs du secteur privé en cas de départ volontaire ; le droit à l’immunité syndicale ; le droit au logement des non-propriétaires ; ainsi que les droits des enfants, des femmes et de la famille(6).

Il convient de mentionner en particulier l’avancée de la jurisprudence constitutionnelle en matière de stabilité de l’emploi des travailleurs de l’État.

La jurisprudence s’est également développée dans le domaine de la protection de l’environnement, de la pollution de l’environnement et de son impact sur la santé ; du droit d’accès à l’eau ; et de la protection des réserves de corail du littoral salvadorien(7).

En ce qui concerne le droit à la vérité, la Chambre a estimé que bien que ne s’agissant pas d’un droit autonome expressément reconnu par la Constitution, il s’agit d’un droit individuel et collectif dont peuvent se prévaloir les personnes ayant subi une atteinte à leurs droits fondamentaux – les victimes directes, leurs familles et la société dans son ensemble – et qu’il résulte du droit d’accès à la juridiction, du droit de protection juridictionnelle effective et du droit d’accès à l’information, compte tenu de la doctrine et de la jurisprudence du système interaméricain de protection des droits de l’homme(8).

En ce sens, la Chambre ayant considéré, dans le cadre d’un recours en amparo, que les parents des centaines de victimes civiles ayant fait l’objet d’une exécution extrajudiciaire pendant le conflit armé, avaient le droit de connaître la vérité sur ce qui s’est passé et l’identité des auteurs de ces actes, et bien qu’il se soit écoulé plus de 30 ans depuis les faits, elle a ordonné une enquête et des poursuites, en faisant abstraction de la loi d’amnistie votée après la fin du conflit armé(9).

De même, la Chambre a fait droit à la demande de familles d’enfants disparus pendant la guerre et a ordonné une enquête et des poursuites dans le cadre de recours d’habeas corpus(10).

Des décisions judiciaires ont également été rendues concernant les droits des personnes privées de liberté, leurs conditions de détention, la surpopulation carcérale et la santé dans les prisons. De plus, la Chambre a déclaré inconstitutionnelle la peine maximale de 75 ans d’emprisonnement pour des crimes graves, la Constitution interdisant la peine d’emprisonnement à perpétuité (art. 27 de la Constitution nationale).

En matière pénale, la Chambre a permis aux victimes de délits d’exercer directement une action pénale sans intervention préalable du procureur général de la République, lorsque celui-ci n’a pas exercé cette action ou a abandonné les poursuites engagées, en reconnaissant ainsi aux victimes le droit d’accès à la justice, sans tenir compte du monopole des poursuites pénales dont dispose le ministère public, monopole qu’il détenait depuis 1983(11).

D’autres procédures constitutionnelles ont garanti le droit à la propriété privée individuelle et collective ; les libertés économiques ; la liberté de contracter ; le droit à l’autodétermination informationnelle et à la protection des données personnelles dans les établissements bancaires ; le droit d’accès aux informations d’intérêt public ; le droit d’association de personnes d’orientation sexuelle différente ; le droit d’immunité syndicale (fuero sindical), entre autres questions de portée constitutionnelle(12).

Il convient de mentionner les arrêts rendus par la Chambre en matière électorale et de droits politiques. La Chambre a fait évoluer la jurisprudence et l’a même modifiée, en renforçant ainsi l’exercice libre et égalitaire par les citoyens du droit de décider de la formation des organes de représentation populaire, la voix de chaque citoyen ayant le même poids et la même efficacité que celle des autres s’agissant de l’obtention de sièges législatifs.

Suite à la jurisprudence récente, le vote par panachage via des listes ouvertes et débloquées a été autorisé aux élections parlementaires, favorisant le vote libre et égalitaire reconnu par la Constitution (art. 78). De cette manière, dans l’exercice de la souveraineté populaire, les citoyens décident sans pressions ou influences extérieures, selon la volonté et les convictions personnelles de chacun et dans une totale liberté de choix, c’est-à-dire en disposant de tous les choix possibles pour voter, exprimer librement leur suffrage ou la volonté citoyenne, ainsi que le stipule l’article 23 de la Convention américaine relative aux droits de l’homme(13).

La justice constitutionnelle salvadorienne a affirmé le droit au suffrage passif des citoyens, en autorisant les candidatures indépendantes au Parlement, de telle sorte que les candidats à la députation ne soient pas exclusivement issus des partis politiques, mais aussi de la société civile (art. 85 de la Constitution nationale).

La jurisprudence constitutionnelle a en outre renforcé l’indépendance et l’impartialité du Tribunal suprême électoral concernant l’exercice de sa juridiction électorale, conformément à l’article 208 de la Constitution. La Chambre a déclaré inconstitutionnelle la nomination d’un dirigeant de parti politique à la fonction de président du Tribunal suprême électoral, au motif que les deux fonctions sont incompatibles et qu’une telle nomination est contraire au principe d’indépendance judiciaire consacré par l’article 172 de la Constitution(14).

L’arrêt d’inconstitutionnalité qui a permis de trancher un conflit de droits entre la liberté d’expression et le droit à l’honneur et à la vie privée revêt une importance particulière. Ce conflit résultait de l’approbation d’une disposition du code pénal (art. 191) qui excluait la responsabilité pénale et civile des propriétaires et rédacteurs en chef de moyens de communication et des journalistes qui commettaient des actes de diffamation dans l’exercice de leurs activités journalistiques, à la différence des particuliers dont l’entière responsabilité était retenue(15).

Eu égard au principe d’égalité devant la loi, consacré par l’article 3 de la Constitution, la Chambre a déclaré cette disposition inconstitutionnelle et a défini les paramètres de résolution du conflit sur le fondement complémentaire de la jurisprudence de la Cour interaméricaine des droits de l’homme en matière de liberté d’expression et de droit à l’honneur, et des dispositions du droit international conventionnel, énoncées dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (art. 19) et la Convention américaine relative aux droits de l’homme (art. 13).

Elle a soutenu dans son arrêt que les libertés d’expression et d’information sont des manifestations de la dignité humaine, de la liberté et de l’égalité et qu’elles font partie du noyau fondamental du statut juridique de la personne humaine. Elles comprennent le droit de demander et de recevoir des informations et des idées de toutes sortes et de les diffuser sans considération de frontières. L’exercice de ce droit n’est pas soumis à un examen ou à une censure préalable, mais quiconque use de ces libertés en enfreignant les lois répondra du délit défini par la loi (art. 6 de la Constitution nationale).

La Chambre a reconnu en outre que « la liberté d’expression est le droit dont dispose toute personne d’émettre, sans intervention injustifiée de l’État ou des particuliers, des idées, des opinions et des jugements de valeur, que ce soit verbalement, par écrit ou par tout autre moyen » et que par conséquent, les expressions linguistiques, gestes, signes, dessins, symboles ou toute forme d’expression bénéficient d’une protection.

Selon la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) – citée dans l’arrêt – : « La liberté d’expression constitue l’un des fondements essentiels d’une société démocratique, l’une des conditions primordiales de son progrès et de l’épanouissement de chacun. » Pour la CEDH, elle s’applique aux expressions, informations ou idées qui ne sont pas accueillies avec faveur, c’est-à-dire celles qui heurtent, choquent ou inquiètent l’État. « Ainsi le veulent le pluralisme, la tolérance et l’esprit d’ouverture sans lesquels il n’est pas de société démocratique »(16).

S’agissant de l’exercice du droit d’information des moyens de communication sociale, la Chambre a repris à son compte la jurisprudence de la Cour constitutionnelle de Colombie estimant que ces derniers « jouissent de la liberté et de l’autonomie pour exprimer et communiquer les informations de manière véridique et impartiale, mais qu’ils doivent le faire de façon responsable, de manière à ne pas porter atteinte aux droits fondamentaux »(17).

La Chambre a précisé que dans une démocratie, les moyens de communication ont pour rôle d’informer sur des faits d’intérêt public et de former une opinion publique libre, à partir de multiples sources d’information, mais qu’en exerçant ce rôle, ils ne pouvaient agir en ayant connaissance du caractère erroné d’une information ou au mépris de la vérité.

Sur le fondement de la Déclaration universelle des droits de l’homme des Nations unies, la Chambre a considéré que ni la liberté d’expression ni le droit à l’honneur, à la vie privée ni encore les autres droits constitutionnels, n’ont de caractère absolu et qu’ils comportent des limites et des restrictions légitimes et nécessaires dans leur exercice, tels que les droits d’autrui et des groupes sociaux, l’ordre public, la morale et le bien-être général dans une société démocratique(18).

Elle a fait valoir en outre que la liberté d’expression et le droit à l’honneur et à la vie privée « se limitent réciproquement, devant tous deux être garantis par la loi, de sorte que c’est à partir des cas concrets qu’il faudra déterminer celui des droits qui prévaudra dans des conditions données, quant à son exercice pratique ».

Dans son arrêt, la Chambre a invoqué la jurisprudence de la Cour interaméricaine des droits de l’homme, qu’elle a reprise à son propre compte, en raison de son caractère contraignant pour le Salvador, en relevant à cet égard que : « L’article 13.2 de la Convention américaine relative aux droits de l’homme prévoit la possibilité de fixer des restrictions à la liberté de pensée et d’expression moyennant l’application de responsabilités ultérieures pour exercice abusif de ce droit. » Les motifs de responsabilité devront être préalablement fixés par la loi et être nécessaires pour garantir « le respect des droits ou la réputation d’autrui, la sauvegarde de la sécurité nationale, de l’ordre, de la santé et de la morale publiques » et ne devront pas aller au-delà de ce qui est strictement nécessaire(19).

En ce qui concerne les responsabilités ultérieures, la Cour interaméricaine souligne que « la nécessité de recourir à la voie pénale pour imposer des responsabilités ultérieures à l’exercice de la liberté d’expression doit être analysée avec un soin particulier et dépendra des particularités de chaque cas ». À cet effet, il y a lieu de prendre en compte l’extrême gravité de la conduite, les caractéristiques du préjudice causé, le moyen employé et d’autres données qui rendent strictement nécessaire le recours exceptionnel à la voie pénale, la malveillance ou l’intention de nuire à l’honneur devant être prouvées dans tous les cas. Selon la Cour interaméricaine, la voie pénale ne se justifie que dans les cas les plus graves(20).

La Chambre a résolu le conflit de droits en réalisant une pondération et prenant en compte les principes de caractère raisonnable, d’égalité et de proportionnalité, ainsi que la finalité, le bien-fondé, la nécessité et la légitimité de la mesure législative faisant l’objet du contrôle constitutionnel.

En réalisant une analyse de pondération dans l’affaire qui lui était soumise, la Chambre a déterminé que les libertés d’expression, d’opinion, d’information et de critique publiques ne sont ni justiciables ni punissables, à moins d’une conduite dolosive, d’une véritable malveillance ou de l’intention manifeste de nuire à l’honneur ou à la vie privée, en se référant à cet égard à la doctrine de « véritable malveillance » de la jurisprudence américaine.

Par conséquent, pour le tribunal salvadorien, il y a lieu de dépénaliser les jugements défavorables de la critique politique, littéraire, artistique, historique, religieuse ou professionnelle en l’absence de propos calomnieux ou injurieux ou d’atteinte à la vie privée ou à l’image d’une personne.

Dans son arrêt, la Cour a reconnu le droit à la critique publique des fonctionnaires de l’État et des particuliers menant une vie publique importante, en affirmant que cela ne pouvait constituer un excès à la liberté d’expression ni une atteinte à l’honneur et à la vie privée de ces personnes.

Comme le rappelle l’arrêt, pour la Cour interaméricaine des droits de l’homme, les fonctionnaires publics et toutes les personnes qui ont une influence sur des questions d’intérêt public « s’exposent volontairement à un examen plus intense du public et sont donc plus susceptibles d’être critiqués car leurs activités sortent du domaine de la sphère privée pour s’insérer dans celle du débat public »(21).

La Cour a fait valoir qu’il n’est pas possible de résoudre le conflit pouvant naître entre ces droits et libertés fondamentaux en « méconnaissant ou en annulant un droit fondamental particulier, au profit d’un autre droit de rang égal dans la hiérarchie constitutionnelle, car cela supposerait une hiérarchisation des droits constitutionnels, ce qui ne trouve pas de fondement dans notre loi suprême. En effet, une hiérarchie entre les droits fondamentaux n’est pas compatible avec l’État constitutionnel et démocratique de droit, compte tenu de la nature et du caractère indivisible et interdépendant des droits fondamentaux ».

En reconnaissant que les droits fondamentaux ne sont pas absolus, mais comportent des limites raisonnables, exceptionnelles et nécessaires dans leur exercice, afin de garantir les droits d’autrui et de préserver des intérêts légitimes dans une société démocratique, cet arrêt est conforme au droit international des droits de l’homme et à la jurisprudence internationale.

Cette doctrine trouve son origine dans la Déclaration française des droits de l’homme et du citoyen de 1789 qui dispose(22) :

« La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l’exercice des droits naturels de chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la société la jouissance de ces mêmes droits. »

Enfin, la Chambre doit statuer sur d’autres requêtes pendantes en inconstitutionnalité concernant d’autres questions décisives pour la vie du pays, telles que, notamment le Traité de libre-échange du Salvador et de l’Amérique centrale avec les États-Unis, et la loi d’amnistie adoptée après la fin du conflit armé interne.

L’exercice du contrôle de constitutionnalité dans différents domaines a ainsi permis à la Chambre non seulement de créer une nouvelle jurisprudence concernant des questions qui n’avaient pas fait l’objet d’un examen constitutionnel, mais aussi de modifier la jurisprudence de la Cour, que ce soit en raison d’une erreur d’interprétation, du caractère incomplet de la jurisprudence, de nouveaux éléments de fait ou encore du changement de composition de la Cour.

À l’instar sans doute des tribunaux constitutionnels, la Chambre a été saisie et a statué sur des affaires de portée nationale, en dégageant de nouvelles lignes jurisprudentielles, au moyen d’une interprétation évolutive, systématique et historique, sur le fondement de la Constitution et de la défense de la personne humaine, de sa dignité et de ses droits fondamentaux (art. 1 de la Constitution nationale).

V – Autres activités de la Chambre constitutionnelle

Parmi les activités non judiciaires de la Cour, il convient de mentionner, à titre d’exemple, ce qui suit.

1. Au cours des cinq dernières années, la Cour a organisé plusieurs séminaires et conférences internationaux sur le droit constitutionnel et la jurisprudence comparée, avec la participation d’experts constitutionnalistes et de magistrats des tribunaux constitutionnels de la région et de pays européens, et celle du Conseil constitutionnel de la République française, de la Cour suprême de justice des États-Unis et des Cours constitutionnelles d’Amérique latine.

2. Elle a publié une série d’ouvrages sur la jurisprudence constitutionnelle, en vue de diffuser les nouvelles lignes jurisprudentielles auprès de la communauté juridique du pays.

3. La Chambre fait également œuvre de diffusion et de sensibilisation à la Constitution au niveau national, en donnant des conférences destinées à expliquer la Constitution aux citoyens et en distribuant des exemplaires de celle-ci en format de poche aux habitants de plus de 200 petits villages à l’intérieur du pays, au cours des cinq dernières années.

4. De même, la Cour a instauré la pratique de publier chaque année des comptes rendus sur ses activités judiciaires, en favorisant ainsi la reddition de comptes et la transparence dans la justice constitutionnelle.

VI – Conclusions

Le mandat et les fonctions de la Chambre constitutionnelle du Salvador sont extrêmement larges, comme le sont les qualités pour agir et pour défendre reconnues par la Cour. Même si au plan administratif, elle fait partie de la Cour suprême de justice, la Chambre conserve son indépendance juridictionnelle, à l’instar des tribunaux constitutionnels dont le fonctionnement est indépendant des tribunaux suprêmes ou des cours suprêmes de justice.

La jurisprudence constitutionnelle salvadorienne a évolué ces dernières années avec l’actuelle contribution de la Cour qui s’est fondée sur une interprétation évolutive, systématique et historique de la Constitution, en intégrant harmonieusement les normes conventionnelles du droit international et de la jurisprudence internationale des droits de l’homme, ce qui lui a permis d’établir un dialogue jurisprudentiel, notamment avec la Cour interaméricaine des droits de l’homme et même avec les tribunaux constitutionnels de la région tenant lieu de référence en matière de jurisprudence, tout en faisant prévaloir la suprématie et la force normative de la Constitution.

De même que tous les tribunaux de la région ayant compétence en matière constitutionnelle, la Chambre a pour rôle de veiller au plein respect de l’État de droit, à savoir : à la primauté du droit ; à la suprématie de la Constitution ; à la séparation des pouvoirs ; à l’indépendance de la justice ; au contrôle de constitutionnalité des lois et des actes de l’administration publique ; à l’application effective des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; à la souveraineté populaire ; à la responsabilité de l’État ; et au contrôle constitutionnel du pouvoir politique.

Le rôle des tribunaux constitutionnels est crucial pour le développement des sociétés démocratiques et pour la consolidation de l’État constitutionnel, social et démocratique de droit. Tel est en définitive à l’heure actuelle le rôle fondamental des tribunaux constitutionnels, sans lequel il ne serait pas possible de garantir le système de poids et de contrepoids, la séparation des pouvoirs ou encore le respect et l’application effective des droits fondamentaux.

La Chambre constitutionnelle est actuellement confrontée à des défis et des enjeux de taille. Elle doit en effet moderniser la justice constitutionnelle et la rendre plus accessible, rapide et efficace, en faisant prévaloir ses arrêts et en renforçant sa capacité de suivi de leur exécution.

La Cour doit également exercer de manière effective le contrôle de conventionnalité en matière de droits de l’homme, en intégrant dans les arrêts les normes conventionnelles du droit international des droits de l’homme et les normes de la jurisprudence internationale, en particulier celle de la Cour interaméricaine des droits de l’homme, dans le but de garantir pleinement la conformité et la compatibilité des actes de la juridiction interne avec les obligations internationales de l’État salvadorien dans le domaine des droits de l’homme, afin que soit accompli le devoir de garantie et de respect des droits protégés, tant par l’ordre constitutionnel que par le droit international des droits de l’homme.

Relever ces défis nécessite fondamentalement de renforcer l’indépendance de la Cour, afin de garantir la suprématie et la force normative de la Constitution, le contrôle constitutionnel du pouvoir et la défense des droits fondamentaux de la personne humaine.

Revue doctrinale

International– Burgorgue-Larsen, Laurence. Chronique d’une théorie en vogue en Amérique latine : Décryptage du discours doctrinal sur le contrôle de constitutionnalité. Revue française de droit constitutionnel, décembre 2014, n° 100, p. 831-863.

Allemagne– Jouanjan, Olivier. La dignité de la personne humaine dans la jurisprudence de la Cour constitutionnelle de Karlsruhe. [In : conférence-débat du Centre de droit public comparé, Paris-II, 30 octobre 2014]. Revue générale du droit, Études et réflexions 2014, n° 2, 12 p.

– Millet, François-Xavier. Le premier renvoi préjudiciel de la Cour constitutionnelle fédérale allemande : un pas en avant, trois pas en arrière. Revue du droit public et de la science politique en France et à l’étranger, janvier 2015, n° 1, p. 185-203.

– Mougeolle, Paul. Les droits et libertés fondamentaux des salariés face à l’autonomie des employeurs religieux en Allemagne. [Cour Constitutionnelle allemande, 22 octobre 2014 – 2 BvR 661/12]. Lettre Actualités Droits-Libertés du CREDOF, 18 mars 2015, 5 p.

– Pliakos, Astéris. Le premier renvoi préjudiciel de la Cour constitutionnelle allemande à la CJUE : un pas en avant, deux pas en arrière ? [BVerG, 2 BvR 2728/13, 14 janvier 2014]. Revue de l’Union européenne, janvier 2015, n° 584, p. 41-50.

Andorre– Pastor Vilanova, Pere. L’Andorre et la Convention européenne, vingt ans après. Politeia, Automne 2014, n° 26, p. 481-491.

Cameroun– Gatsi Tazo, Eric-Adol. Le Cameroun à la recherche d’un organe fiable de gestion du processus électoral. Revue du droit public et de la science politique en France et à l’étranger, novembre-décembre 2014, n° 6, p. 1697-1724.

États-Unis– Le Mestre, Renan. « From the Netherworld to a realm of normal constitutional law » : la transformation jurisprudentielle du droit garanti par le deuxième amendement à la Constitution des États-Unis de détenir et de porter une arme. Revue de la recherche juridique, droit prospectif, octobre 2014, n° 2014-1, p. 359-388.

– Morri, Johann. Liberté de religion dans les établissements pénitentiaires : La Cour suprême des États-Unis administre une piqûre de rappel. [Cour suprême des États-Unis, 20 janvier 2015, Holt v. Hobs 574 U.S]. Lettre Actualités Droits-Libertés du CREDOF, 20 janvier 2015, 5 p.

– Zoller, Élisabeth. Cour suprême des États-Unis : Session d’octobre 2013. Revue du droit public et de la science politique en France et à l’étranger, janvier 2015, n° 1, p. 257-289.

– Zoller, Élisabeth. La dignité de la personne humaine dans la jurisprudence de la Cour suprême des États-Unis. Revue générale du droit, novembre 2014, n° 4, 12 p.

Grèce– Lekkou, Efthymia. La pratique, à la lumière du droit de l’Union européenne du contrôle de constitutionnalité a posteriori en Grèce et en France. Politeia, Automne 2014, n° 26.

Italie– Cataleta, Maria Stefania. La protection d’un droit supérieur, le droit à la vie, obligation positive des États (affaire Lea Garofalo). Revue du droit public et de la science politique en France et à l’étranger, janvier 2015, n° 1, p. 159-183.

– De Vergottini, Giuseppe. Le droit constitutionnel aujourd’hui. Regard sur le constitutionnalisme italien. [Débat. Le droit constitutionnel entre droit du politique et droit de la société]. Revue du droit public et de la science politique en France et à l’étranger, novembre-décembre 2014, n° 6, p. 1505-1517.

– Jacquelot, Fanny. La Cour constitutionnelle italienne et l’application des droits international et européen en droit interne : de l’antisystème à la resystémation. Politeia, Automne, n° 26, p. 417-438.

– Matteucci, Stefano Civitarese. The Italian Constitutional Court Strengthens the Dialogue with the European Court of Justice Lodging for the First Time a Preliminary Ruling in an Indirect (‘Incidenter’) Proceeding. [Cour constitutionnelle italienne n° 207, 23 juillet 2013]. European Public Law, 1er décembre 2014, n° 4, p. 633–646.

– Vergottini, Giuseppe de. « Controllo incidentale » et Constitution vivante. Constitutions. Revue de droit constitutionnel appliqué, octobre-décembre 2014, n° 2014-4, p. 429-435.

[*] De nationalité salvadorienne. Magistrat de la Chambre constitutionnelle et de la Cour suprême de justice du Salvador. Ex-président de la Cour suprême de justice. Ex-président de la Commission interaméricaine des droits de l’homme. Licencié en sciences juridiques de la faculté de droit de l’université du Salvador, titulaire d’un master en droits de l’homme et d’un doctorat de droit de l’Universidad Complutense de Madrid, Espagne.

(1) Inconstitutionnalité 53-2005/55-2005.

(2) Inconstitutionnalité 53-2012.

(3) Inconstitutionnalité 7-2012.

(4) Inconstitutionnalités 4-2012 et 103-2012.

(5) Inconstitutionnalités 77-2013/97-2013 ; 49-2011 ; 4-2012 et 18-2014.

(6) Amparos 32-2012 ; 103-2012 ; 938-2014 et 50/2014.

(7) Amparos 163-2007 et 400-2011.

(8) Affaire Mgr Romero contre le Salvador, 2000, Commission interaméricaine des droits de l’homme.

(9) Amparo 665-2010.

(10) Habeas corpus 203-2007.

(11) Inconstitutionnalité 5-2000.

(12) Amparo 934-2007.

(13) Inconstitutionnalités 57-2011 et 48-2014.

(14) Inconstitutionnalités 61-2009 et 18-2014.

(15) Inconstitutionnalité 91-2007.

(16) Affaire Handyside. Arrêt 1976/6 du 7 décembre 1976, Cour européenne des droits de l’homme.

(17) Arrêt T-094/00 de 2000, Cour constitutionnelle de Colombie.

(18) Art. 29 de la Déclaration universelle des droits de l’homme.

(19) Affaire Palamara Iribarne contre le Chili. Arrêt du 22 novembre 2005. Affaire Kilmes contre l’Argentine. Arrêt du 2 mai 2008. Affaire Olmedo Bustos contre le Chili. Arrêt du 5 février 2001, Cour interaméricaine des droits de l’homme.

(20) Affaire Usón Ramírez contre le Vénézuela. Arrêt du 20 novembre 2000. Affaire Tristán Donoso contre le Panama. Arrêt du 27 janvier 2009, Cour interaméricaine des droits de l’homme.

(21) Affaire Herrera Ulloa contre le Costa Rica. Arrêt du 2 juillet 2004, Cour interaméricaine des droits de l’homme.

(22) Déclaration française des droits de l’homme et du citoyen, article 4.