L’utilisation des principes constitutionnels dans la jurisprudence de la chambre criminelle de la Cour de cassation
Xavier SAMUEL - Substitut du Procureur général près la Cour d'appel de Paris
Cahiers du Conseil constitutionnel n° 26 (Dossier : La Constitution et le droit pénal) - août 2009
Large marge d'appréciation, facilité d'usage d'un texte plus détaillé en matière pénale que les normes constitutionnelles internes issues de la Déclaration de 1789, jurisprudence abondante de la Cour européenne des droits de l'homme permettant l'instauration d'un dialogue direct dans le cadre d'un contrôle concret et a posteriori : tout concourait à ce que la chambre criminelle use abondamment des possibilités de contrôle de la loi au regard de la Convention européenne des droits de l'homme auquel le Conseil constitutionnel avait invité les juridictions ordinaires dans sa décision du 15 janvier 1975. Ce contrôle ne lui permettait-elle pas d'assurer le respect des droits fondamentaux, en écartant l'application de toute loi incompatible avec la Convention européenne, avec des effets quasi-équivalents à ceux d'un contrôle de constitutionnalité qu'elle ne pratique pas(1) ?
Toutefois, comme l'utilisation des principes constitutionnels ne se réduit pas au contrôle de la constitutionnalité des lois, la chambre criminelle n'en a pas moins continué à utiliser ces principes, selon des modalités diverses dont la présente contribution a pour objet de rendre compte, en actualisant et complétant les contributions antérieures consacrées à ce sujet(2). Il s'agit en quelque sorte de dresser le dernier bilan d'une jurisprudence, avant que la mise en œuvre de la question préjudicielle, à la suite de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, n'ouvre des perspectives nouvelles dans le rapport de la chambre criminelle aux principes constitutionnels.
À l'aube de cette ère nouvelle, force est de constater que la chambre criminelle utilise les principes constitutionnels dans le respect des compétences du Conseil constitutionnel, mais que la convergence avec la jurisprudence de ce dernier dans l'appréciation de la portée des principes constitutionnels demeure inachevée.
I. Une utilisation effective des principes constitutionnels dans le respect des compétences du Conseil constitutionnel
Utilisant les principes constitutionnels sans disputer au Conseil le contrôle de constitutionnalité des lois, la chambre criminelle s'attache à prendre toujours davantage en compte ses interprétations lorsqu'elle statue sur des dispositions qu'il a examinées.
A - L'utilisation des principes constitutionnels détachée de tout contrôle de constitutionnalité
L'histoire du rapport du juge judiciaire au contrôle de constitutionnalité des lois a fait l'objet de suffisamment d'études pour qu'il soit inutile d'y revenir autrement qu'à grands traits. Rappelons simplement que, pour des raisons qui tiennent autant au droit qu'à l'histoire, le juge judiciaire, et donc la chambre criminelle, a constamment refusé de contrôler la constitutionnalité des lois. Il est admis qu'il aurait pu en aller autrement et que rien en cela n'était la conséquence inéluctable des textes et principes par lesquels cette position a pu être justifiée. Toujours est-il que la création du Conseil constitutionnel en 1958 n'a pu que renforcer une jurisprudence bien établie et que la chambre criminelle n'a jamais eu, depuis, la tentation d'abandonner.
Invitée pourtant à le faire à intervalles réguliers, elle a dû rappeler, récemment encore, qu'il ne lui appartenait pas d'apprécier la constitutionnalité des lois, que ce soit à propos de l'application des peines minimales dites « peines plancher », déclarées non contraires à la Constitution par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 9 août 2007(3) (28 mai 2008, n° 0881403), ou même à propos de principes constitutionnels autres que pénaux (art. 17 de la Déclaration de 1789 et droit de propriété, 24 avr. 2007, n° 0684229 ; droit au travail, 8 mars 2006 n° 0585276).
Hors de tout contrôle de constitutionnalité, la chambre criminelle utilise néanmoins les principes constitutionnels à un triple titre.
Elle le fait, tout d'abord, en contrôlant l'application des dispositions de la Constitution qui définissent certaines modalités de poursuite contre le président de la République et les membres du Gouvernement ou du Parlement. Il en est ainsi lorsqu'elle détermine si les conditions dans lesquelles un parlementaire, poursuivi pour injures publiques, a tenu des propos relatifs aux personnes homosexuelles, lui permettent de bénéficier de l'immunité prévue pour les parlementaires par l'article 26 de la Constitution (réponse négative en l'espèce : 12 nov. 2008, Bull. n° 229).
Elle le fait, ensuite, en veillant à l'application des lois qui les mettent en œuvre, qu'il s'agisse des textes qui en reproduisent la substance (ex. art. 111-3 du code pénal : principe de légalité), de ceux qui en tirent les conséquences pratiques dans l'organisation concrète de la procédure pénale (comme l'exercice des droits de la défense durant la garde à vue), et évidemment de l'article préliminaire du code de procédure pénale dont le Conseil a lui-même souligné qu'il rappelait plusieurs principes de valeur constitutionnelle(4).
Le rôle déterminant de l'introduction de l'article préliminaire dans le code de procédure pénale par la loi du 15 juin 2000 doit être à cet égard souligné. Si cet article n'a jamais servi pour écarter l'application d'autres textes de valeur législative, il a été utilisé pour les interpréter dans un souci de protection plus grande des droits fondamentaux.
Ainsi, c'est au visa de ce seul texte que la chambre criminelle a récemment cassé un arrêt ayant relevé d'office un moyen de droit sans que les parties aient été préalablement invitées à présenter leurs observations (4 novembre 2008, Bull. n° 224).
En général, toutefois, elle le combine avec des dispositions légales précises ou avec des stipulations de la Convention européenne, par exemple dans l'arrêt où elle juge que le défaut d'impartialité d'un enquêteur peut constituer une cause de nullité lorsqu'il a pour effet de porter atteinte au caractère équitable et contradictoire de la procédure ou de compromettre l'équilibre des droits des parties (14 mai 2008, Bull. n° 115). Ou encore dans celui où elle décide qu'en l'absence d'éléments antérieurs permettant d'en soupçonner l'existence, la provocation à la commission d'une infraction par un agent public constitue un procédé déloyal qui rend irrecevables en justice les éléments de preuve obtenus, quand bien même il aurait permis la découverte d'autres infractions déjà commises ou en cours de commission (4 juin 2008, Bull. n° 141).
Elle protège, ce faisant, les divers principes constitutionnels invoqués dans les moyens, comme le droit à un procès équitable garanti par l'article 16 de la Déclaration de 1789, mais sans s'y référer explicitement. De manière générale, la constance avec laquelle les avocats aux Conseils invoquent des principes constitutionnels n'a d'égal que le silence que leur oppose la chambre criminelle pour se prémunir contre toute apparence de contrôle de constitutionnalité.
Enfin, la chambre met en œuvre les principes constitutionnels de manière plus discrète encore, en interprétant la loi dans un sens qui leur donne pleine vigueur. Par exemple, lorsqu'elle considère que l'erreur, faite par une personne qui forme une demande de mise en liberté, sur l'autorité compétente pour en connaître constitue une simple « erreur matérielle » qui ne doit pas entraîner l'irrecevabilité de la demande, dès lors que la juridiction compétente en a été finalement régulièrement saisie. En admettant que rien ne s'oppose à la réorientation d'une demande de mise en liberté vers la seule autorité compétente pour en connaître, n'assuretelle pas, fût-ce sans viser ces principes, le caractère effectif de son rôle de gardien de la liberté individuelle que lui attribue l'article 66 de la Constitution et la garantie des droits proclamée à l'article 16 de la Déclaration (21 mai 2008, Bull. n° 128) ?
Mais l'application des principes constitutionnels se manifeste aussi par le respect des interprétations du Conseil.
B - L'utilisation des principes constitutionnels par le respect des interprétations du Conseil constitutionnel
Le respect des réserves émises par le Conseil constitue l'une des manifestations de l'influence de sa jurisprudence sur les autres institutions de la République. Il illustre aussi l'application des principes constitutionnels, puisque la réserve conditionne la déclaration de non-contrariété à la Constitution d'une disposition dont l'application concrète dans un sens conforme à la Constitution se trouve entièrement remise entre les mains du juge ordinaire.
Les réserves bénéficient de l'autorité prévue à l'article 62, alinéa 2, de la Constitution, selon lequel les décisions du Conseil s'imposent notamment à toutes les autorités juridictionnelles. Cette autorité s'attache non seulement au dispositif des décisions, mais aussi aux motifs qui en constituent le soutien nécessaire. Le Conseil a d'ailleurs implicitement jugé que cette autorité s'étend aussi à la chose interprétée(5).
Le respect des réserves s'est développé d'autant plus que, depuis 2002, elles sont explicitement identifiées comme telles dans les décisions du Conseil. Il n'en reste pas moins difficile à déceler.
La chambre criminelle rend en effet des arrêts trop concis pour s'attacher à citer les réserves, même si elle les a eues à l'esprit. Les avocats au Conseil ne les rappellent d'ailleurs pas dans les moyens soumis à la chambre, ne les invoquant que dans les mémoires, non publiés, déposés à leur soutien. Toutefois, l'étude des rapports des conseillers permet de s'assurer qu'elles y sont exposées en vue d'assurer leur respect.
Il en est ainsi des réserves émises dans la décision du 2 mars 2004 sur la loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité(6) qui autorisait l'interception de correspondances émises par la voie des télécommunications à la demande du parquet. Elles appelaient à un strict contrôle de l'autorité judiciaire sur la mise en œuvre de ces mesures. Le rapporteur les a rappelées dans son rapport à la chambre avant qu'elle ne se prononce sur ces dispositions. C'est donc en pleine connaissance de ces réserves qu'elle a jugé, d'une part, que si la décision écrite par laquelle le juge des libertés autorise une telle interception doit intervenir avant que la réquisition ne soit délivrée à l'opérateur téléphonique, il n'est pas exigé qu'elle ait été transmise préalablement à l'officier de police judiciaire, d'autre part, que les informations que doit fournir le procureur de la République au juge des libertés portent sur les diligences effectuées et non sur leur contenu (24 mars 2008, Bull. crim. n° 74).
En tout cas, la chambre criminelle n'a jamais eu à énoncer de manière aussi solennelle que l'ont fait les chambres civiles(7), pour en sanctionner la méconnaissance par les juges du fond, l'autorité des réserves d'interprétation.
Celles-ci ne constituent au demeurant pas la seule expression des interprétations auxquelles se livre le Conseil sur les dispositions qu'il examine.
C'est d'ailleurs à propos d'une interprétation qui ne figure pas dans une réserve qu'est apparue une divergence majeure entre la Cour de cassation et le Conseil constitutionnel. Il ne sera fait mention ici que pour mémoire de l'arrêt Breisacher(8) qui a statué sur les modalités de mise en œuvre de la responsabilité pénale du président de la République. D'une part, parce que cet arrêt a été rendu par l'Assemblée plénière de la Cour, non par la chambre criminelle, même si ce fut au rapport de son doyen, d'autre part, parce qu'il a déjà donné lieu à d'abondants commentaires.
La jurisprudence de la chambre criminelle fournit au contraire des exemples de prise en compte des interprétations faites par le Conseil même en dehors de toute réserve(9). Tel est le cas à propos du fichier judiciaire automatisé des auteurs d'infractions sexuelles (FIJAIS).
Lors de l'examen de la loi qui l'instituait, le Conseil avait estimé que l'inscription sur ce fichier ne constituait pas une sanction, mais une mesure de police(10). Il ne s'était toutefois pas prononcé sur le problème de l'application dans le temps des dispositions en cause.
Qu'allait décider la chambre criminelle, devant laquelle était contestée, sur le fondement de l'article 7 § 1 de la Convention européenne, l'application immédiate de ces dispositions aux infractions commises antérieurement à la date de publication de la loi ?
Attentive à la décision du Conseil et consacrant ainsi le renouveau des « mesures de sûreté », elle a considéré, comme lui, que l'inscription au FIJAIS ne constituait pas une peine, mais une mesure ayant pour seul objet de prévenir le renouvellement des infractions sexuelles et de faciliter l'identification de leurs auteurs. Elle en a tiré la conséquence que cette inscription n'était pas soumise au principe de la non-rétroactivité des lois pénales de fond plus sévères, ce qui permettait d'y procéder, en 2005, à raison de faits commis entre 1995 et 1997 (31 octobre 2006, Bull. n° 267).
Reste toutefois à déterminer si le phénomène de convergence entre la chambre criminelle et le Conseil constitutionnel ne se manifeste qu'à l'occasion des dispositions sur lesquelles le Conseil s'est prononcé ou s'il revêt une portée plus large.
II. Une convergence accrue, mais encore inachevée, dans l'appréciation de la portée des principes constitutionnels.
Souvent, la chambre criminelle se prononce sur la portée de certains principes à l'occasion de l'application de dispositions que le Conseil n'a pas examinées. Si sa jurisprudence atteste de ce qu'elle interprète les principes conventionnels en vue de les faire coïncider avec les principes constitutionnels, il est néanmoins des domaines où les jurisprudences ne se sont pas encore rejointes.
A - Une jurisprudence qui tend à assurer la coïncidence entre principes conventionnels et principes constitutionnels
La tendance à faire coïncider la portée des principes conventionnels et constitutionnels s'est manifestée à l'occasion de l'application du principe de la non-rétroactivité de la loi pénale de fond plus sévère. Ce principe a été, au cours des dernières années, au cœur de débats juridiques et politiques qui ont retenti jusque dans l'opinion.
Par dérogation à ce principe, le 3 ° de l'article 112-2 du code pénal dispose que toute loi relative au régime d'exécution et d'application des peines est applicable immédiatement à la répression des infractions commises avant son entrée en vigueur. Une exception à cette dérogation est toutefois prévue, qui aboutit au retour au principe initial : dans le cas où une telle loi a pour résultat de rendre plus sévères les peines prononcées, elle n'est applicable qu'aux condamnations prononcées pour des faits commis postérieurement à son entrée en vigueur.
Cette dernière disposition, issue d'une interprétation contestable de la décision du Conseil constitutionnel du 3 septembre 1986(11) relative à la période de sûreté, contrariait la jurisprudence de la chambre criminelle qui appliquait traditionnellement aux situations en cours les lois relatives à l'exécution des peines, même plus sévères.
Traduisait-elle un principe constitutionnel ? Dans sa décision du 8 décembre 2005(12), le Conseil a clairement répondu par la négative : il a considéré que le législateur pouvait y déroger, en validant l'instauration de la mesure de « surveillance judiciaire » qui permettait l'application immédiate du port du bracelet électronique mobile pour des personnes antérieurement condamnées pour certaines infractions d'une particulière gravité, alors même qu'il s'agissait d'une mesure rendant plus sévère l'exécution de la peine.
C'est à propos d'une autre disposition de la même loi, sur laquelle le Conseil ne s'était pas prononcé, que la chambre criminelle devait statuer à son tour sur la portée du 3 ° de l'article 112-2. Cette disposition, qui modifiait dans un sens défavorable le calcul du crédit de réduction de peine pour les récidivistes(13), avait été déclarée immédiatement applicable aux condamnations mises à exécution après l'entrée en vigueur de la loi. Dans un arrêt du 9 avril 2008 (Bull. n° 98), la chambre criminelle a considéré que le principe de non-rétroactivité de la loi pénale n'était applicable qu'à la peine elle-même et non aux mesures de réduction de peine et que le législateur pouvait donc y déroger sans méconnaître pour autant l'article 7 § 1 de la Convention européenne.
Elle a donc cassé l'arrêt d'une cour d'appel qui, pour retenir une solution contraire, s'était fondée à tort non seulement sur l'article 7 de la Convention, mais aussi sur l'article 8 de la Déclaration de 1789.
En refusant de se fonder sur la Déclaration de 1789, la chambre criminelle a évité toute apparence de contrôle de constitutionnalité des lois. En examinant la question sous le seul angle conventionnel, et au demeurant en harmonie avec la jurisprudence de la Cour européenne elle-même(14), elle est restée dans les limites de sa compétence. Mais en adoptant, sur le fondement conventionnel, une solution équivalente à celle retenue par le Conseil, à propos d'autres dispositions de la loi, sur le seul fondement des principes constitutionnels, elle a assuré la coïncidence de ces principes, renforçant par là-même l'interprétation du Conseil, qu'une certaine doctrine avait pourtant sévèrement critiquée, fût-ce de manière infondée.
Elle a de la sorte parachevé la résolution d'un problème essentiel relatif à l'application de la loi pénale dans le temps, sécurisant la tendance du législateur à prévoir l'application immédiate d'un certain nombre de dispositions plus sévères relatives à l'exécution des peines(15).
La recherche de la coïncidence entre principes conventionnels et constitutionnels suppose toutefois que ces principes figurent dans les deux « catalogues » des droits fondamentaux. Or, tel n'est pas toujours le cas, malgré le souci du Conseil de tirer des textes de valeur constitutionnelle des principes équivalents à ceux de la Convention. Il peut en résulter des difficultés d'autant plus aiguës qu'elles peuvent intervenir dans un domaine où l'approche du Conseil et celle de la chambre criminelle diffèrent.
B - Une convergence encore inachevée qui peut ouvrir la voie à la question préjudicielle
Aussi profond que soit le mouvement de convergence mis jusqu'à présent en évidence, ce dernier n'est pas achevé, comme en atteste l'application par la chambre criminelle du principe de la rétroactivité in mitius, i.e de la rétroactivité de la loi pénale plus douce.
Selon le troisième alinéa de l'article 1121 du code pénal, la loi pénale de fond plus douce s'applique immédiatement, même aux faits commis avant son entrée en vigueur, dès lors qu'ils n'ont pas donné lieu à une condamnation passée en force de chose jugée.
Ce principe ne figure pas dans la Convention européenne. L'article 15 § 1 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques ne le définit que pour les peines et non les incriminations. Si la Cour de justice des communautés européennes lui reconnaît le caractère de principe général du droit communautaire, elle en limite, elle aussi, la portée à l'application rétroactive de la peine la plus légère.
Dans sa décision des 1920 janvier 1981, le Conseil constitutionnel a conféré valeur constitutionnelle à ce principe en censurant des dispositions législatives qui le méconnaissaient(16). Le législateur a néanmoins adopté ultérieurement des dispositions qui s'en écartaient.
Il en a été ainsi, en 2005, dans la loi en faveur des petites et moyennes entreprises, qui comportait des dispositions écartant expressément le principe de la rétroactivité in mitius en matière de revente à perte. Le Conseil, bien que saisi de l'ensemble de la loi, ne s'est pas prononcé à leur égard, les requérants ne les ayant pas attaquées(17).
Ce silence ne saurait être interprété comme une validation puisque le Conseil ne décerne de brevet de constitutionnalité qu'aux dispositions sur lesquelles il s'est expressément prononcé. Tout au plus peuton constater qu'il n'a pas soulevé d'office la question, sans qu'on doive en tirer quelque conséquence que ce soit.
La chambre criminelle n'a pas encore eu l'occasion de statuer sur ces dispositions, mais on relève une évolution de sa jurisprudence vers une interprétation plus exigeante du principe de la rétroactivité in mitius.
Se refusant à tout contrôle de constitutionnalité, elle a longtemps admis, y compris après la décision du Conseil de janvier 1981, qu'une disposition expresse contraire pouvait faire échec à la rétroactivité in mitius(18). Ce raisonnement n'était que l'un des nombreux moyens qu'elle a successivement mis en œuvre pour limiter les conséquences, quant à l'efficacité de la répression, des modifications de nature législative ou réglementaire intervenant fréquemment en matière économique.
Toutefois, c'est dans un souci de respect accru de la rétroactivité in mitius, directement inspiré par la jurisprudence du Conseil, qu'elle a délibérément choisi, à l'occasion de poursuites pour favoritisme(19), de ne plus se fonder sur des « dispositions expresses contraires » assurant la survie temporaire de dispositions anciennes, alors même que le législateur avait prévu de telles dispositions. Pour assurer la continuité de la répression, elle a préféré recourir à la notion de « support légal de l'incrimination », en considérant que la loi sanctionnant l'inobservation de dispositions réglementaires, qui constitue donc le support légal de l'incrimination, n'était pas affectée par la modification, même dans un sens moins sévère, de ces dispositions réglementaires, si bien que le maintien des poursuites ne pouvait être utilement contesté(20).
Le recours à cette solution n'est évidemment possible que lorsque l'incrimination trouve son fondement dans une loi qui sanctionne la violation de dispositions réglementaires, ce qui n'est pas toujours le cas en matière de régulation économique.
Que déciderait la chambre criminelle si des poursuites reposant sur le maintien transitoire d'une disposition exclusivement législative, comme celle sur la revente à perte, lui étaient soumises ? À défaut de stipulations conventionnelles pertinentes, peut-être le problème de l'usage de la question préjudicielle serait-il posé. Et le Conseil lui-même statuerait-il comme il y a vingt-huit ans ?
Quoiqu'il en soit, la tendance du Conseil constitutionnel à déduire des textes de valeur constitutionnelle des principes équivalents aux principes conventionnels pas plus que la coïncidence recherchée par la chambre criminelle dans l'interprétation de ces principes ne permet d'échapper à certaines solutions de continuité, mais ce sera le propre de la question préjudicielle que de permettre de surmonter les difficultés qui en résultent.
(1) Dutheillet de Lamothe (O.), Contrôle de constitutionnalité et contrôle de conventionnalité, Mélanges Labetoulle, Dalloz 2007, p. 315.
(2) La Cour de cassation et la Constitution de la République, colloque des 9 et 10 décembre 1984, Presses universitaires d'Aix-Marseille, 1995. - L'application de la Constitution par les Cours suprêmes, colloque du 4 octobre 2006, sous la direction de Drago (Guillaume), Dalloz, 2007. -- Commaret (D.) : L'application de la Constitution par la Cour de cassation : la jurisprudence de la chambre criminelle. Cahiers du Conseil constitutionnel, n° 22. - Desportes (F.) : La protection, par les juridictions judiciaires, des droits et libertés proclamés par la convention européenne des droits de l'homme, rencontre avec la Cour suprême du Canada, Bulletin d'information de la Cour de cassation n° 573 du 15 mars 2003. - Lamy (B. de), les principes constitutionnels dans la jurisprudence judiciaire, RDP 2002, n° 3, p. 781.
(3) Déc. n° 2007-554 DC, Loi renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs.
(4) Déc. n° 2004-492 DC, Loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, cons. n° 6.
(5) Déc. n° 2004-506 DC du 2 décembre 2004, cons. nos 17 à 22 et tables analytiques 2004 : « autorité de la chose interprétée ».
(6) Dite Loi Perben II, déc. n° 2004-492 DC.
(7) 1re civ. 22 mars 2005, Bull. n° 150.
(8) Bull. civ., 10 octobre 2001, Ass. plén. 2001, n° 11.
(9) Cf. aussi pour la 1re chambre civile, 6 juillet 2005, Bull. 2005, I, n° 304.
(10) Déc. n° 2004-492 DC du 2 mars 2004, cons. n° 74.
(11) Déc. n° 86-215 DC, Loi relative à la lutte contre la criminalité et la délinquance.
(12) Déc. n° 2005-527 DC, Loi sur le traitement de la récidive des infractions pénales.
(13) Art. 721 du code de procédure pénale, modifié par l'article 41 de la loi du 12 décembre 2005.
(14) Rev. sc. crim. 2008, p. 700.
(15) Ex. art. 12 de la loi du 10 août 2007 rendant d'application immédiate les dispositions plus sévères en matière d'application des peines. Art. 13. VI de la loi du 25 février 2008 prévoyant l'application immédiate de nouvelles mesures plus sévères relatives aux réductions de peines.
(16) Déc. n° 80 ? 127 DC du 20 janvier 1981, Loi renforçant la sécurité et protégeant la liberté des personnes (Sécurité et liberté), cons. n° 112.
(17) Déc. n° 2005 ? 523 DC du 29 juillet 2005.
(18) Ex. 29 mars 2000, Bull. n° 147.
(19) 19 mai 2004 : Bull. n° 131 ; 7 avril 2004 : Bull. n° 93 ; 28 janvier 2004 : Bull. n° 23.
(20) Favoritisme : 19 mai 2004 : Bull. n° 131 ; 7 avril 2004 : Bull. n° 93 ; 28 janvier 2004 : Bull. n°23 ? tromperie, 15 juin 2004, n° 03 ? 84925 ; débits de boisson, 15 avril 2008, n° 0786909 ; santé publique, 1er avril 2008, n° 07 83 ? 189 ; excès de vitesse, 18 janvier 2006, n° 0584369.