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L’Autorité judiciaire, la Constitution française et la Convention européenne des droits de l’homme

Marc ROBERT - Procureur général près la cour d'appel de Riom

Nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel n° 32 (Dossier : Convention européenne des droits de l’homme(1)) - juillet 2011

Résumé : Le concept d'Autorité judiciaire est inscrit dans la Constitution Française ; il figure aussi à l'article 5 de la Convention. Ces deux sources consacrent le rôle de cette Autorité dans la garantie des libertés individuelles. Pourtant, la jurisprudence du Conseil et celle de la Cour européenne paraissent diverger sur son contenu, notamment la place du parquet. Les récents débats sur la garde à vue ont généré à cet égard des appréciations divergentes sur la compatibilité de ces deux jurisprudences.
L'article tend à démontrer qu'au plan juridique, il ne fait guère de doute que ces dernières sont, non seulement compatibles, mais encore complémentaires et que le parquet à la Française reste partie intégrante de l''Autorité judiciaire telle que définie par les normes internes.


L'an M.DCCC.XVIII, M. Henrion de Pansey, Conseiller d'État et Président à la Cour de cassation, publiait, chez Théophile Barrois père, libraire à Paris, un traité intitulé « De l'Autorité Judiciaire en France ».

Cet éminent jurisconsulte mais aussi ardent défenseur de la charte de 1814 en sa qualité de chef du conseil du duc d'Orléans, traitant du nécessaire équilibre entre « la Puissance législative » et « le Pouvoir exécutif », définissait « l'Autorité judiciaire » comme la branche de l'Exécutif ayant pour objet le droit civil, c'est-à-dire le droit de punir les crimes et de régler les intérêts privés par l'application des lois générales.

Pour autant, ajoutait-il, « Il est libre au prince de déléguer ou de se réserver le commandement militaire et le pouvoir administratif, mais il doit déléguer l'autorité judiciaire... parce qu'il ne pourrait l'exercer sans danger pour la liberté civile... Ainsi la justice émane du roi, mais il n'en est pas l'organe ; elle s'administre en son nom, mais il n'en est pas l'administrateur ; il en est la source, mais les justiciables ne la reçoivent pas immédiatement. »

Cette digression historique prouve, s'il en fallait, que le concept même « d'Autorité judiciaire » n'est pas né avec la deuxième moitié du XXème s. et la lecture de l'ouvrage précité démontre que les plus récentes controverses du XXIème s. sur la définition de cette Autorité et ses rapports avec les autres sources de pouvoir étaient déjà d'actualité en 1818.

Mais le débat des temps modernes a ceci de spécifique que les textes fondateurs et, partant, les plus grandes cours de justice (Cour européenne des droits de l'homme, Conseil constitutionnel, Cour de cassation) s'en sont saisis et que les décisions de ces dernières ont conféré à cette question un caractère d'actualité, qui va bien au-delà des cercles professionnels habituels.

D'évidence, une telle pluralité de sources fait courir le risque, sinon de la confusion, du moins d'une hétérogénéité dans les analyses, qui ne serait pas sans conséquence sur le justiciable.

Mais c'est moins les convergences jurisprudentielles qui méritent intérêt que les divergences -réelles ou supposées- mises en exergue par les commentateurs et qui portent essentiellement aujourd'hui, via la garde à vue, sur la question du parquet, son appartenance ou non à l'Autorité judiciaire et, par voie de conséquence, son rôle institutionnel dans la garantie des libertés individuelles.

C'est, à cet égard, la jurisprudence de Strasbourg qui servira de référence, comme relevant de la norme la plus élevée.

I. La Cour européenne des droits de l'homme : l'Autorité judiciaire, d'une absence de concept à l'assimilation au juge

Aux lendemains de la 2ème guerre mondiale et du génocide qui l'a accompagné, la volonté de placer le droit au centre des rapports internationaux s'est notamment traduite par une affirmation très forte du rôle de la Justice dans la protection des droits de l'homme nouvellement énoncés. Elle s'est accompagnée de la définition des principales garanties auxquelles devait répondre « le procès », qui paraissait, à lui seul, résumer alors l'intervention judiciaire y compris au plan pénal, l'enquête policière étant réduite à sa plus simple expression.

Ce fut la « Déclaration universelle des droits de l'homme », texte sans portée juridique mais à haute valeur symbolique adopté par l'assemblée générale des Nations-Unies le 10 décembre 1948 à Paris, qui affirma, la première, l'exigence du procès équitable par « un tribunal indépendant et impartial ».

Toutefois, et parallèlement à la Déclaration, la Commission des droits de l'homme des Nations-Unies fut chargée par l'Assemblée générale d'élaborer un « projet de Pacte international relatif aux droits de l'homme », qui aurait, lui, force obligatoire. Un tel projet connut bien des vicissitudes compte-tenu de la « guerre froide » et le « Pacte international relatif aux droits civils et politiques » ne devait être adopté par l'assemblée générale des Nations-Unies que le 16 décembre 1966.

Pour autant, l'examen des travaux préparatoires de 1949 est riche d'enseignements puisque le projet qui en fut issu se retrouve dans l'article 14 du Pacte actuel et l'article 6 de la Convention européenne relatifs au procès équitable, à quelques amodiements près.

Mais, ce qui était plus novateur dans ce projet de 1949, ce fut, par-delà la phase du procès, la volonté d'encadrer judiciairement, sinon l'enquête de police elle-même, du moins l'arrestation et la détention. Et c'est à cette occasion que, pour la première fois au plan international, il fut proposé de distinguer le rôle du tribunal de celui du magistrat habilité, en amont, à garantir certaines libertés, en consacrant le droit que « Toute personne arrêtée ou détenue sur l'accusation d'une infraction ou d'une tentative d'infraction pénale sera immédiatement traduite devant un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires », libellé repris sans véritable changement dans l'article 9 du Pacte de 1966, ainsi que dans l'article 5.3 de la Convention européenne.

Quant au concept même d'Autorité Judiciaire, il résultait d'un amendement que la France et quatre autres Etats déposèrent afin que soit précisé, dans le projet de Pacte international, les hypothèses dans lesquelles la privation de liberté s'avérait conforme aux droits de l'homme : l'une d'entre elles visait, en fait, la garde à vue définie comme le fait d'arrêter un individu « en vue d'être conduit devant l'autorité judiciaire compétente, lorsqu'il y a des raisons plausibles de soupçonner qu'il a commis un délit, ou qu'il y a des motifs raisonnables de croire à la nécessité de l'empêcher de commettre une infraction ou de s'enfuir après l'accomplissement de celle-ci... ».

Si cet amendement ne prospéra pas, la majorité des membres de la Commission Onusienne doutant de la possibilité de donner une liste exhaustive des cas dans lesquels la privation de liberté pouvait être admise, il fut, à l'initiative du Royaume-Uni, repris dans la Convention européenne des droits de l'homme signée le 4 novembre 1950, plus exactement dans l'actuel article 5.1 c).

Telle est l'origine historique des deux notions, qui devaient faire couler par la suite beaucoup d'encre (2).

Pourtant, aucune de ces notions ne souleva alors la moindre discussion.

Manifestement, l'ensemble des composantes du Conseil de l'Europe n'attachèrent alors aucune valeur particulière à la notion « d'autorité judiciaire compétente », utilisée comme simple locution pour renvoyer à la réalité de chaque système juridique et recouvrir des réalités diverses (juge professionnel ou non professionnel, magistrat ou fonctionnaire du parquet...).

Et le fait de mettre sur le même plan « un juge » et « un autre magistrat habilité par la loi » pour effectuer un premier contrôle de légalité sur la garde à vue exprimait une pareille volonté de respecter ces mêmes réalités - et notamment le fait que, dans nombre de systèmes juridiques, le défèrement intervenait devant un membre du parquet -, l'important étant alors d'assurer un contrôle judiciaire.

En résumé, hormis le droit de toute personne privée de sa liberté d'introduire un recours devant un « tribunal » sur le fondement de l'article 5.4, le « droit à la liberté et à la sûreté » énoncé par l'article 5 n'exigeait pas, pour ses fondateurs, une protection de même niveau que le « droit à un procès équitable » de l'article 6, raison pour laquelle la Convention est restée muette sur le type de garanties devant être présentées par le « magistrat » précité, se contentant de renvoyer pour cela aux législations internes.

Par voie de conséquence, lors de la ratification de la Convention, les États, et au 1er rang la France, ne firent d'autres réserves sur l'article 5 que celles consistant à préserver la spécificité de la justice militaire, le rôle du parquet étant apparemment sauvegardé par le libellé même de la Convention.

La Cour européenne des droits de l'homme devait en décider autrement à propos de la garde à vue.

En effet, afin d'assurer la plus grande effectivité possible des droits ainsi conférés à la personne arrêtée ou détenue, la Cour a considéré que le droit de cette dernière à être déférée ne se révélait protecteur que si, entre autres, « le magistrat », en charge de contrôler la légalité de l'arrestation ou de la détention (cf. Irlande c. Royaume-Uni, 18.01.1978), présentait certaines garanties, garanties dont la détermination ne pouvait être abandonnée aux soins des seules législations nationales.

Raisonnant par référence à sa jurisprudence relative au « tribunal indépendant et impartial » visé par l'article 6 § 1, la Cour a ainsi jugé que le « magistrat » de l'article 5 § 3 devait posséder certaines qualités du juge, à savoir l'indépendance à l'égard de l'Exécutif et l'impartialité à l'égard des parties (cf. Schiesser c. Suisse du 4.12.1989).

Ainsi que l'énonce la Cour, bien qu'« une analyse littérale donne à penser que l'article 5 § 3 englobe les magistrats du parquet comme ceux du siège » ( § 28), et notamment que « le »magistrat« ne se confond pas avec le juge », et qu'en outre, par comparaison avec les dispositions de l'article 5 § 4, « les »fonctions judiciaires« peuvent ne pas revêtir un caractère juridictionnel », encore faut-il que ce « magistrat » « en possède certaines des qualités, c'est-à-dire remplisse des conditions constituant autant de garanties pour la personne arrêtée. La première d'entre elles réside dans l'indépendance à l'égard de l'exécutif et des parties. Elle n'exclut pas toute subordination à d'autres juges ou magistrats, pourvu qu'ils jouissent eux-mêmes d'une indépendance analogue. » ( § 31). En fait, c'était déjà exiger que le magistrat de l'article 5 § 3 présente toutes les qualités attendues des membres du « tribunal indépendant et impartial » de l'article 6 § 1 (cf. De Wilde et autres c. Belgique, 18.06.1971)...

Dans un premier temps, fidèle à son approche in concreto, la Cour a considéré que le procureur de la République, voire l'auditeur militaire, pouvait être assimilé à un « magistrat » au sens de l'article précité, à la double condition que, dans l'affaire en cause, il n'ait point reçu d'instructions du Pouvoir Exécutif et qu'il n'ait point assumé personnellement par la suite le rôle de « partie poursuivante » (cf. Schiesser précité ; Brincat c. Italie, 26.11.1992 ; et, pour un auditeur militaire, Pauwels c. Belgique, 26.05.1998).

Dans un second temps, abandonnant la conception objective au profit de la théorie dite « de l'apparence », la Cour a jugé, dès 1984, et plus encore en 1999 (cf. Huber c. Suisse, 23.10.1979), que la condition de l'impartialité était, par nature, incompatible avec la qualité même d'autorité de poursuite ; simultanément (cf. Vasilescu c. Roumanie, 22.05.1998), elle a estimé que la condition tenant à l'indépendance devait être appréciée en fonction de l'existence ou non de liens de subordination statutaire entre la magistrat concerné et le Pouvoir Exécutif, le fait qu'une telle subordination ne se soit pas exercée effectivement en l'espèce devenant indifférent.

En résumé, la Cour a renforcé substantiellement les garanties bénéficiant aux personnes arrêtées ou détenues, en gommant en grande partie la gradation de protection voulue par les rédacteurs de la Convention entre l'arrestation et le procès. Pour ce faire, elle a, purement et simplement, vidé de toute substance le concept de « magistrat » de l'article 5 § 3 pour ne considérer comme valide, au regard de la Convention, qu'un défèrement effectué devant un juge.

Il en résulte qu'aucun membre des ministères publics des États-membre du Conseil de l'Europe, y compris ceux qui bénéficient d'un statut de totale indépendance (cf., par ex., le parquet Italien), n'a qualité pour exercer le contrôle judiciaire de l'article 5 § 3.

Tel est le cas du parquet Français, même s'il a fallu attendre 2010 (cf. Medvedyev c. France, 29 mars 2010, § 124 ; et surtout Moulin c. France, 23.11.2010 (3) et l'arrêt de la Cour de cassation du 15.12.2010) pour que la France admette que la jurisprudence de la Cour de Strasbourg s'appliquait aussi à elle.

Même si cela relève de l'implicite, il n'est pas douteux que l'évolution de la jurisprudence de la Cour ait été motivée, au moins pour partie, par la place de plus en plus grande faite à l'enquête policière et à la garde à vue dans le processus pénal, par rapport à l'instruction préparatoire conduite par un juge - étant précisé que le juge d'instruction français remplit les conditions pour assurer le contrôle prévu à l'article 5 § 3 (cf. A.C. c. France, 14.12.199 ; Zervudacki c. France, 27.07.2006, § 51 ; Medvedyev c. France, 29.03.2010, § 128) - (4). Malicieusement, d'aucuns y voient aussi la difficulté, pour la seule cour internationale à ne pas comprendre un ministère public, à saisir précisément le rôle spécifique et multiple assigné historiquement à ce dernier dans certains États membres (cf. France, Pays-Bas, Italie...).

Quelle conséquence sur la notion d'Autorité judiciaire ?

Comme il a déjà été dit, le visa, dans l'article 5 § 1, de « l'autorité judiciaire compétente » ne revêtait, aux yeux de ses rédacteurs, aucune portée conceptuelle.

Pourtant, dans sa jurisprudence, la Cour assimile le « juge ou (l') autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires » de l'article 5.3. à « l'autorité judiciaire » visée à l'article 5.1. Ainsi que le résume l'arrêt rendu en appel, le 29 mars 2010, dans l'affaire Medvedyev et autres c. France ( § 122), à propos de l'article 5, « le paragraphe 1 c) forme un tout avec le paragraphe 3 et l'expression « autorité judiciaire compétente » du paragraphe 1 c) constitue un synonyme abrégé de « juge ou (...) autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires » du paragraphe 3 (voir, notamment, Lawless c. Irlande, 01.07.1978, et Schiesser, § 29) ». L'arrêt précité rendu dans l'affaire Moulin confirme une telle assimilation.

Il ne s'en évince pas pour autant des considérations de portée générale puisque si, pour la Cour, « l'autorité judiciaire » ne comprend que les juges, c'est bien, pour l'instant, au seul regard du contrôle juridictionnel de l'article 5 § 3 et dans les conditions fixées par celui-ci.

Il reste à savoir si, dans l'avenir, ce concept d'autorité judiciaire, maintenant épuré, va recouvrir la notion encore prédominante de « tribunal indépendant et impartial », toutes deux ayant en commun un même acteur -le juge- défini de manière équivalente.

II. Le Conseil constitutionnel : l'Autorité judiciaire, un concept institutionnel regroupant les magistrats du siège et du parquet pour la garantie des libertés individuelles, mais comportant une hiérarchisation interne

Au sens constitutionnel du terme, l'Autorité judiciaire est de création récente, puisqu'elle apparaît dans le titre VIII de la Constitution du 4 octobre 1958.

Cette Autorité se définit d'abord par ce qu'elle n'est pas : ce fameux « pouvoir judiciaire », qui, même s'il fut consacré, de manière éphémère par la Constitution du 3 septembre 1791 puis par celle de la 2ème République (1848), mobilisa comme un « chiffon rouge » les pourfendeurs des anciens Parlements et les dénonciateurs du « gouvernement des juges » symbolisé par le modèle américain (5). L'échec de la tentative de réforme constitutionnelle de la fin des années quatre vingt dix comme la nature des recommandations du Comité de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions de la V° République créé en 2007 (6), illustrèrent, par la suite, la difficulté de toute évolution en ce domaine.

Mais, à l'instigation de ce grand réformateur de la Justice que fut Michel Debré (7), cette même Autorité fut aussi érigée, et pour la première fois dans le marbre de la loi fondamentale, en gardienne de la liberté individuelle (cf. art. 66 de la Constitution), même si ce rôle éminent fut strictement cantonné dans son mode d'intervention, puisque, au contraire de l'habeas corpus anglo-saxon, c'est à la loi seule qu'est confié le soin d'en déterminer les conditions.

Si le principe même de la séparation des pouvoirs ne fut pas exprimé -mais le Conseil constitutionnel comblera cette absence sur le fondement de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen-, l'Autorité Judiciaire, pour exercer son rôle en matière de libertés, vit son indépendance proclamée pour être aussitôt placée -conception très « Gaullienne » de l'Etat- sous la responsabilité du Président de la République, dont les pouvoirs sur le nouveau Conseil supérieur de la Magistrature se trouvaient simultanément renforcés (cf. art. 64).

Il revenait au Conseil constitutionnel de donner corps à cette Autorité Judiciaire, garante des libertés individuelles, notion dont la valeur constitutionnelle fut véritablement consacrée par l'arrêt du 12 janvier 1977 relatif à la fouille des véhicules.

Il le fit d'abord en définissant de manière large la notion de liberté individuelle confiée à la sauvegarde de cette dernière qui, par-delà la seule légalité des détentions évoquée dans les travaux préparatoires et dans le 1er alinéa de l'article 66, concerne la majeure partie des droits fondamentaux attachés à la personne humaine, avec néanmoins quelques exceptions réservant le droit de l'administration et, plus encore, du juge administratif. (8) Il s'agit là d'une première différence avec l'article 5 de la Convention, qui ne vise que la privation de liberté.

Il le fit ensuite en tentant de mieux cerner le contenu même de cette Autorité par rapport aux deux composantes essentielles de l'ordre judiciaire que sont les magistrats de carrière du siège et du parquet.

En réalité, la simple lecture des articles 64 et 65 de la Constitution (9) - et notamment le fait de donner compétence, et pour la première fois, au Conseil supérieur de la Magistrature s'agissant tant des magistrats du siège que de ceux du parquet, mais aussi celui de prévoir une loi organique unique portant statut de l'ensemble des magistrats - laissait clairement à entendre que les constitutionnalistes avaient été guidés par le souci de réaffirmer le principe de l'unité de la Magistrature et que les magistrats du parquet faisaient naturellement partie intégrante de l'Autorité judiciaire. Les réformes constitutionnelles successives, notamment celle du 27 juillet 1993, accentuèrent un tel constat.

Pour autant, ces mêmes dispositions respectaient la spécificité des juges, tant en leur reconnaissant un caractère inamovible qu'en renforçant à leur égard les pouvoirs propres du Conseil Supérieur et en préservant en son sein deux formations distinctes.

Le Conseil définit d'abord des garanties s'appliquant à l'ensemble du corps judiciaire et s'évertua, par rapport à l'indépendance proclamée de l'Autorité judiciaire dans son ensemble, à différencier celles qui relevaient du statut même de magistrat et celles, renforcées, applicables aux fonctions de jugement (10).

Logiquement, le Conseil en tira les conséquences s'agissant de l'article 66 en considérant que les magistrats du parquet étaient garants, comme leurs collègues du siège, des libertés individuelles, aux motifs que « ...l'autorité judiciaire qui, en vertu de l'article 66 de la Constitution, assure le respect de la liberté individuelle, comprend à la fois les magistrats du siège et du parquet » (cf. CC 93-326 du 11.08.1993, § 5). Il le fit à propos de la prolongation de la garde à vue à la fin des 24 premières heures et pour répondre à un moyen qui, déjà, soutenait qu'une telle décision devait relever du juge.

Ce n'est pas tant l'énoncé du principe qui fit alors débat - puisque le Conseil en avait déjà fait implicitement état auparavant (11) - que le fait d'en faire application dans le domaine de la privation de liberté. Ce rôle dévolu au parquet constitue une deuxième différence essentielle avec la Cour européenne.

Par la suite, le Conseil confirma le rôle du parquet dans la garantie des libertés durant la phase de l'enquête, aux motifs que les actes visés par le législateur constituaient des « opérations de police judiciaire, réalisées sous la direction et le contrôle permanent du procureur de la République en vertu des dispositions du code de procédure pénale » (cf. CC. 97-389 DC du 22.04.1997, s'agissant de contrôles d'identité et de fouilles de véhicules en zone frontalière destinés à rechercher des étrangers clandestins ; ou encore, ibidem, s'agissant de la visite, sur réquisitions du procureur, de lieux privés mais à usage professionnel pour lutter contre le travail clandestin ; cf. aussi CC 2003-467 du 13.03.2003 pour les contrôles d'identité et, avec l'accord du conducteur, la visite des véhicules (12)), y compris à nouveau en matière de garde à vue (cf. CC 2004-492 du 2.03.2004, s'agissant de l'application des dispositions prévoyant l'intervention différée de l'avocat dans le domaine de la criminalité organisée, application jugée « soumise au contrôle de l'autorité judiciaire » du seul fait que le parquet était chargé de contrôler le bien-fondé des qualifications policières).

C'est ce même principe qui fut réaffirmé avec force à l'occasion de la décision précitée rendue sur la constitutionnalité de la garde à vue (cf. Cons. const., 30 juill. 2010, n° 2010-14/22 QPC, AJDA 2010. 1556 ; ibid. 2011. 375, chron. A. Lallet et X. Domino ; D. 2010. 1928, entretien C. Charrière-Bournazel ; ibid. 1949, point de vue P. Cassia ; ibid. 2254, obs. J. Pradel ; ibid. 2696, entretien Y. Mayaud ; ibid. 2783, chron. J. Pradel ; ibid. 2011. 1713, obs. V. Bernaud et L. Gay ; AJ pénal 2010. 470, étude J.-B. Perrier ; Constitutions 2010. 571, obs. E. Daoud et E. Mercinier ; ibid. 2011. 58, obs. S. De La Rosa ; Rev. science crim. 2011. 139, obs. A. Giudicelli ; ibid. 165, obs. B. de Lamy ; ibid. 193, chron. C. Lazerges ; RTD civ. 2010. 513, obs. P. Puig ; ibid. 517, obs. P. Puig, § 26), en réponse à un moyen qui soutenait que, faute d'indépendance, le magistrat du parquet ne pouvait être considéré comme partie intégrante de l'Autorité judiciaire, garante des libertés. Le Conseil rejeta le grief aux motifs que « l'autorité judiciaire comprend à la fois les magistrats du siège et du parquet ».

Ce faisant, le Conseil, et l'on retrouve là une exigence commune avec la Cour européenne, insiste souvent sur la nécessaire effectivité du contrôle de l'Autorité judiciaire, y compris du parquet, dans le domaine des libertés (cf. CC 93-323 DC du 5.08.1993, § 5 et 10 ; CC 2003-467 du 13.03.2003, § 22 ; CC 2004-492 du 02.03.2004, § 6 in fine ; et surtout Cons. const., 30 juill. 2010, n° 2010-14/22 QPC, AJDA 2010. 1556 ; ibid. 2011. 375, chron. A. Lallet et X. Domino ; D. 2010. 1928, entretien C. Charrière-Bournazel ; ibid. 1949, point de vue P. Cassia ; ibid. 2254, obs. J. Pradel ; ibid. 2696, entretien Y. Mayaud ; ibid. 2783, chron. J. Pradel ; ibid. 2011. 1713, obs. V. Bernaud et L. Gay ; AJ pénal 2010. 470, étude J.-B. Perrier ; Constitutions 2010. 571, obs. E. Daoud et E. Mercinier ; ibid. 2011. 58, obs. S. De La Rosa ; Rev. science crim. 2011. 139, obs. A. Giudicelli ; ibid. 165, obs. B. de Lamy ; ibid. 193, chron. C. Lazerges ; RTD civ. 2010. 513, obs. P. Puig ; ibid. 517, obs. P. Puig, § 26, dans lequel la Cour souligne la réalité des pouvoirs dont dispose le parquet pour veiller au respect des libertés dans la garde à vue : « il résulte des articles 63 et 77 du code de procédure pénale que le procureur de la République est informé dès le début de la garde à vue ...il peut ordonner à tout moment que la personne gardée à vue soit présentée devant lui ou remise en liberté... il lui appartient d'apprécier si le maintien de la personne en garde à vue et, le cas échéant, la prolongation de cette mesure sont nécessaires à l'enquête et proportionnés à la gravité des faits que la personne est suspectée d'avoir commis... ».).

Une autre exigence commune tient à l'intervention rapide du juge, au titre de l'article 66, lorsque, n'étant pas à l'origine d'une privation de liberté (13), il doit se prononcer sur le maintien de l'intéressé sous un régime de coercition ou sur la prolongation de ce dernier. Ce fut d'abord en matière de rétention des étrangers ou de leur maintien en zone de transit que fut posé le principe, sans aucun doute par référence aux dispositions internes relatives à la garde à vue, que le maintien ou la prolongation de la mesure devait intervenir dans les 48 heures du placement (cf. CC 79-109 DC du 9.01.1980, § 4 ; CC 97-389 du 22.04.1997, § 55), ou, du moins, « dans le délai le plus court possible » (cf. Cons. const., 26 nov. 2010, n° 2010-71 QPC, AJDA 2011. 174, note X. Bioy ; ibid. 2010. 2284 ; ibid. 2011. 375, chron. A. Lallet et X. Domino ; D. 2011. 1713, obs. V. Bernaud et L. Gay ; RDSS 2011. 304, note O. Renaudie ; Constitutions 2011. 108, obs. X. Bioy ; RTD civ. 2011. 101, obs. J. Hauser qui précise, concernant les hospitalisés d'office et à l'intention du législateur, que « toutefois, les motifs médicaux et les finalités thérapeutiques qui justifient la privation de liberté des personnes atteintes de troubles mentaux peuvent être pris en compte pour la fixation de ce délai »).

Le Conseil en a fait application à la matière de la garde à vue en deux temps ; d'abord, en constatant que « l'intervention d'un magistrat du siège peut être requise pour certaines prolongations de garde à vue » (cf. CC 93-326 DC du 11.08.1993, § 5 in fine, mais la décision du 20 janv. 1981, n° 80-127 DC, Gr. délib. CC 2009. n° 27 contenait déjà la même idée) ; ensuite, plus nettement, dans la décision précitée du 30 juillet 2007 (§ 26) où la Cour énonce explicitement que « l'intervention d'un magistrat du siège est requise pour la prolongation de la garde à vue au-delà de 48 h » et précise que c'est « avant la fin de cette période » que « le déroulement de la garde à vue est placé sous le contrôle du procureur de la République, qui peut décider, le cas échéant, de sa prolongation de 24 h ».

Deux conséquences paraissent pouvoir en être tirées :

- d'une part, l'intervention du parquet en tant que garant des libertés n'est pas exclusive, s'agissant des mesures privatives de liberté, de celle du juge, qui devient obligatoire passé ordinairement le délai de 48 heures, du moins si la personne n'a pas été remise en liberté ou présentée à un juge avant ce terme.

- d'autre part, et dans l'hypothèse d'une intervention successive d'un magistrat du parquet puis d'un juge, la compétence du premier s'arrête nécessairement, en ce qui concerne la garantie des libertés, là où commence celle du juge (14).

Le Conseil les a illustrées ces conséquences s'agissant des personnes déférées à l'issue de leur garde à vue, en validant tant la présentation le jour même devant un magistrat du parquet (cf. CC 2011-125 QPC du 6.05.2011) (15) que la possibilité de retenir, dans les dépôts des tribunaux, une personne pendant une durée maximale de 20 heures avant sa comparution (cf. Cons. const., 17 déc. 2010, n° 2010-80 QPC, D. 2011. 1713, obs. V. Bernaud et L. Gay ; Rev. science crim. 2011. 193, chron. C. Lazerges).

Dans les deux hypothèses, c'est l'appartenance des magistrats du parquet à l'Autorité judiciaire qui est encore invoquée, puisque la personne retenue est placée sous son contrôle. Toutefois (cf. La décision précitée du 17.12.2010, § 11), « l'intervention du juge étant requise pour la prolongation de la garde à vue au-delà de 48 heures... la privation de liberté instituée par l'article 803-3 du code de procédure pénale, à l'issue d'une mesure de garde à vue prolongée par le procureur de la République, méconnaîtrait la protection constitutionnelle de la liberté individuelle si la personne retenue n'était pas effectivement présentée à un magistrat du siège avant l'expiration du délai de 20 heures prévu par cet article ». On ne peut qu'être frappé par la similitude entre cette dernière décision et l'arrêt CEDH Moulin c. France du 23.11.2010 qui, pour calculer si le délai maximal de saisine du juge était expiré, a pris en compte le temps de garde à vue et celui de l'exécution du mandat d'amener qui l'avait suivie.

En définitive, le véritable point d'interrogation qui subsiste s'agissant de l'adéquation entre la jurisprudence constitutionnelle et la jurisprudence de Strasbourg a trait au rôle dévolu au parquet en tant que garant des libertés individuelles pour certaines mesures privatives de liberté, puisque, si l'article 66 de la Constitution n'est pas en contradiction avec la lettre de la Convention (cf. art. 5.1 et 5.3), l'interprétation qu'en a donné la Cour paraît aujourd'hui exclure le parquet de tout rôle à cet égard.

Pour répondre à cette question, il convient de s'intéresser à la jurisprudence de la Cour de cassation.

III. La Cour de cassation : le constat implicite d'une absence d'incompatibilité entre la jurisprudence constitutionnelle et la jurisprudence conventionnelle relatives à l'Autorité judiciaire

De manière générale, la Cour de cassation fait peu référence à ce dernier concept, sauf pour désigner l'institution judiciaire, française ou étrangère, dans son entier. Seule la Chambre civile compétente pour le contentieux des étrangers se fonde parfois sur les dispositions de l'article 66 de la Constitution pour rappeler le rôle du juge en tant que garant des libertés individuelles (cf. Civ. 2e, 22 mai 1996, n° 95-50.071, D. 1997. 47, obs. F. Julien-Laferrière ; Cass. civ. 1 n° 04-50.024 du 22.03.2005 sur la compétence du juge pour statuer sur l'ensemble des irrégularités attentatoires à la liberté invoquées par l'étranger ; 04-50.063 du 14.06.2005 sur la possibilité pour le juge d'interrompre à tout moment la prolongation du maintien en rétention, même d'office...).

Toutefois, dans l'affaire CREISSEN (cf. Crim., 15 déc. 2010, n° 10-83.674, D. 2011. 338, obs. S. Lavric, note J. Pradel ; Cah. Cons. const. 2011. 231, obs. W. Mastor ; Rev. science crim. 2011. 142, obs. A. Giudicelli), la Chambre criminelle était invitée à se prononcer sur la conventionnalité d'une décision ayant rejeté un grief d'inconventionnalité suite à une prolongation de garde à vue effectuée par un magistrat du parquet à l'issue des 24 premières heures. L'arrêt attaqué était motivé par le fait que la Cour européenne ne s'était pas expressément prononcée sur l'appartenance du parquet français à l'Autorité judiciaire (l'arrêt Moulin c. France est postérieur à la décision en cause) alors même qu'une telle appartenance ressortait de la jurisprudence du Conseil constitutionnel et de la Cour de cassation. Au visa de l'article 5.3. de la Convention et au regard de la jurisprudence de Strasbourg, le requérant affirmait au contraire que la garde à vue, faute pour l'intéressé d'avoir été présenté aussitôt à un juge, s'avérait nulle. Le rapport du conseiller-rapporteur paraissait aller dans le même sens.

La Cour, après avoir constaté que la garde à vue avait été effectivement prolongée par le procureur de la République et s'était clôturée au bout de 25 heures par une mise en liberté, a rejeté le moyen aux motifs que, « ... si c'est à tort que la chambre de l'instruction a retenu que le ministère public est une autorité judiciaire au sens de l'article 5 § 3 de la Convention européenne des droits de l'homme, alors qu'il ne présente pas les garanties d'indépendance et d'impartialité requises par ce texte et qu'il est partie poursuivante, l'arrêt n'encourt pas pour autant la censure, dès lors que le demandeur a été libéré à l'issue d'une privation de liberté d'une durée compatible avec l'exigence de brièveté imposée par ledit texte conventionnel ».

Par arrêt en date du 29 mars 2011 (cf. Cass. crim n° 10-87.404), la Cour a jugé dans le même sens qu'une durée de 41 h. avant d'être traduit devant un juge était compatible avec l'article 5 § 3.

Si l'affirmation selon laquelle le magistrat du parquet français n'est pas un « magistrat » au sens de l'article 5.3 et donc « une autorité judiciaire » au sens de l'article 5.1 c) de la Convention ne fait que prendre acte d'une jurisprudence européenne établie, les décisions précitées, en ce qu'elles affirment implicitement la conformité à la Convention des dispositions du droit français confiant au parquet le soin de décider de la prolongation de la garde à vue à l'issue des 24 premières heures, résultent aussi directement de l'examen de la jurisprudence de Strasbourg.

En effet, contrairement à ce que semble littéralement exiger la version française de la Convention, qui entend que le défèrement devant le juge intervienne « aussitôt » - ce qui limiterait la durée de la garde à vue à un simple temps de conduite (16) -, la Cour européenne a pris en compte la contradiction entre les versions française et anglaise du texte (17) et estimé que le défèrement devait être assuré avec « promptitude » (cf. Brogan et autres c. Royaume-Uni, 29.11.1998, § 59) ou « rapidement » (cf. Aquilina c. Malte, 29.04.1999, § 49). Et si la Cour Européenne entend préserver son pouvoir d'analyser in concreto les espèces qui lui sont soumises, il résulte de sa jurisprudence que la privation initiale de liberté avant présentation au juge ne doit pas excéder entre trois ou quatre jours, selon la nature de l'infraction, la complexité de l'affaire et l'âge des gardés à vue (18).

Dès lors, et contrairement aux dires de certains commentateurs, il n'y a aucune contradiction entre un contrôle du juge qui, du fait des exigences européennes, doit débuter trois ou quatre jours après le début de la privation de liberté - délai en fait réduit à 48 h. en droit français -, et le fait d'ériger, pour la période antérieure, un contrôle non juridictionnel mais confié à un magistrat, le procureur de la République.

Le fait que, dans les deux cas, il soit fait référence à une « autorité judiciaire » dont ne ferait pas partie le magistrat du parquet pour la Cour Européenne et dont serait partie intégrante ce même magistrat dans le droit français ne saurait faire illusion, car l'identité terminologique recouvre, d'évidence, des concepts différents ; il en est d'ailleurs de même pour la notion de « magistrat », le fait que ce terme n'ayant plus de réalité au titre de l'article 5 § 3 n'entraînant nullement, ipso facto, des effets en droit français.

Suivant en cela les réquisitions dont elle était saisie, la Cour a ainsi jugé que le droit français, en réduisant à 48 heures le délai maximal de privation de liberté avant présentation au juge, répondait aux exigences conventionnelles.

En conséquence, et même si la Cour de cassation n'a pas cru pouvoir l'affirmer explicitement ainsi que l'y encourageait l'avocat général, non seulement la Constitution et la jurisprudence du Conseil précitée ne sauraient encourir le moindre grief de non-conventionnalité pour avoir érigé le magistrat du parquet en première autorité garante des libertés avant l'intervention obligatoire du juge, mais de telles dispositions constituent, à n'en pas douter, une garantie additionnelle à celle de la jurisprudence européenne qui, attentive à ne pas méconnaître les contraintes de l'enquête de police ni la diversité des systèmes juridiques en Europe, n'a prévu aucune protection organisée des libertés avant la phase juridictionnelle. Et si le Conseil constitutionnel, même s'il se refuse à exercer un contrôle de conventionnalité sauf dans les cas où il y est obligé, s'est largement inspiré de la jurisprudence conventionnelle, peut-être serait-il temps que cette dernière prenne aussi en compte les apports du droit constitutionnel français...

Il reste, et les débats parlementaires relatifs à la loi du 14 avril 2011 l'ont bien montré, que cette question juridique se mélange à des questions d'opportunité, d'ailleurs exacerbées par les derniers arrêts de la Cour de Strasbourg, mais qui ne font pas consensus.

Celle de savoir où mettre « le curseur », s'agissant du rôle respectif des magistrats du siège ou du parquet, en terme de garantie des libertés individuelles.

Celle de l'effectivité nécessaire à cette garantie des libertés, car confier, par exemple, le contrôle de 800.000 ou même de 500.000 gardes à vue à 1500 magistrats du parquet déjà débordés relève du voeu pieux.

Celle aussi d'un nécessaire équilibre entre les deux missions fondamentales du parquet : veiller à l'application de la loi pénale, civile, commerciale et sociale dans l'intérêt général, dont fait partie intégrante son rôle de garant des libertés individuelles ; et appliquer la politique pénale arrêtée par le Gouvernement.

Celle enfin du statut de ce même parquet, car, comme l'exprime la Cour européenne, l'apparence compte parfois autant, aux yeux d'un justiciable, que la réalité.

(1) Les Cahiers du Conseil constitutionnel, dans le n° 32 de juillet 2011, ont publié un dossier intitulé « Le Conseil constitutionnel et la Convention européenne des droits de l'homme » qui, outre la présente contribution, comprend les articles suivant :

Les Cours constitutionnelles et la Cour européenne des droits de l'homme, par Vincent Berger, p. 7.

La conception des libertés par le Conseil constitutionnel et par la Cour européenne des droits de l'homme, par Joël Andriantsimbazovina, p. 19.

Les décisions du Conseil constitutionnel et de la Cour européenne des droits de l'homme, par Bertrand Mathieu, p. 45.

Question prioritaire de constitutionnalité et Convention européenne des droits de l'homme, par Marc Guillaume, p. 67.

(2) Cf. les documents d'information n° DH (56) 10 du 8 août 1956 rédigés par le secrétariat de la Commission européenne des droits de l'homme du Conseil de l'Europe sur les « travaux préparatoires de l'article 5 (et de l'article 6) de la Convention ».

(3) « ... La Cour considère que, du fait de leur statut..., les membres du ministère public, en France, ne remplissent pas l'exigence d'indépendance à l'égard de l'Exécutif qui, selon une jurisprudence constante, compte, au même titre que l'impartialité, parmi les garanties inhérentes à la notion autonome de « magistrat » au sens de l'article 5 § 3. »

« ... Par ailleurs, la Cour constate que la loi confie l'exercice de l'action publique au ministère public, ce qui ressort notamment des articles 1er et 31 du code de procédure pénale. Indivisible..., le parquet est représenté auprès de chaque juridiction répressive de 1re instance et d'appel en vertu des articles 32 et 34 précités. Or la Cour rappelle que les garanties d'indépendance à l'égard de l'Exécutif et des parties excluent notamment qu'il puisse agir par la suite contre le requérant dans la procédure pénale » ( § 57 et 58).

(4) Telle sera d'ailleurs la motivation, explicite cette fois, du Conseil constitutionnel dans sa décision du 30 juillet 2010 sur la garde à vue...

(5) Cf. R. Martin, « Les cheminements des pouvoirs judiciaires depuis 1789 », in RTD Civ. 2004, p. 251.

(6) Il avait pourtant notamment pour mission de s'interroger sur l'opportunité de reconnaître dans la Constitution l'existence d'un véritable pouvoir judiciaire ou juridictionnel.

(7) Cf. J.-L. Debré, « Michel Debré, une certaine idée de la Justice », intervention à l'Ecole nationale de la Magistrature le 22.12.2008 ; D. Salles, « Michel Debré et la protection de la liberté individuelle par l'autorité judiciaire », in Cahiers du Conseil constitutionnel n° 26, août 2009.

(8) Il n'est pas dans la vocation de cet article de présenter la synthèse de la jurisprudence constitutionnelle sur ce point (cf., notamment, F. Fines, « L'autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle dans la jurisprudence constitutionnelle », in RFDA 1994, p. 594 s.).

(9) Avant comme après la loi constitutionnelle n° 2008-724 du 23 juillet 2008.

(10) Cf., G. CANIVET, « Le juge judiciaire dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel », in Cahiers du Conseil constitutionnel n° 16 - juin 2004.

(11) Cf., notamment, CC 90-281 DC du 27.12.1990, affaire dans laquelle le Conseil censura des pouvoirs d'investigation relatifs à la recherche des infractions à la législation sur les télécommunications aux motifs qu'ils n'étaient pas placés sous le contrôle effectif du procureur de la République, simplement avisé a posteriori du contrôle effectué ; mais ce fut surtout la décision CC 93-323 DC du 5.09.1993 qui posa le principe précité en validant la loi relative aux contrôles et vérifications d'identité aux motifs que ces opérations et rétentions étaient soumises à la décision ou au contrôle du procureur de la République et que, par voie de conséquence, « les garanties attachées au respect de la liberté individuelle sous le contrôle de l'Autorité judiciaire (n'étaient) pas méconnues. » ( § 6).

(12) En cette même décision, le Conseil a validé aussi les traitements automatisés de données nominatives mises en oeuvre par les services de police et de gendarmerie, aux motifs que ces traitements étaient placés « sous le contrôle du procureur de la République » (cf., dans le même sens, CC 2004-492 DC du 2/03.2004).

(13) A plusieurs reprises, le Conseil a rappelé que « Si l'article 66 de la Constitution exige que toute privation de liberté soit placée sous le contrôle de l'Autorité judiciaire, il n'impose pas que cette dernière soit saisie préalablement à toute mesure de privation de liberté » : cette dernière peut être ainsi le fait soit de l'administration, soit de la police judiciaire. Au niveau de la Convention, l'article 5.1 c) décrit une même réalité.

(14) Toutefois, en matière de garde à vue, le Conseil, comme d'ailleurs le législateur, a jugé que le contrôle qu'exerce le procureur de la République sur la garde à vue et qui constitue aussi une garantie pour les libertés, ne cesse pas du fait de la prolongation de la mesure par un juge (cf. CC86-213 DC du 3.09.1985, § 17). Il pourrait d'ailleurs difficilement en être autrement puisque le procureur garde la direction de l'enquête. Il est vrai que le Conseil ne s'est pas encore prononcé sur le fait de savoir si, après la prolongation, le juge garde ou non la possibilité d'interrompre à tout moment la garde à vue, comme en matière de rétention des étrangers (cf. CC 2003-484 DC du 20.11.2003).

De manière plus générale, la jurisprudence du Conseil permettant, après une décision du juge mettant fin à une privation de liberté, de maintenir l'intéressé à la disposition de la Justice pour permettre au parquet d'interjeter appel en l'assortissant d'une demande d'effet suspensif, en ce qu'elle est motivée par le fait que les magistrats du parquet font eux aussi partie intégrante de l'Autorité judiciaire, garante des libertés (cf. CC 97-389 DC du 22.04.1997, § 63 ; CC 2002-461 DC du 29.08.2002, § 73 et 74 ; CC 2003-484 DC du 20.11.2003, § 77), soulève aujourd'hui quelques interrogations.

(15) Certains commentateurs ont voulu voir dans cette décision, qui fait aussi interdiction au procureur de la République de recueillir les déclarations volontaires de la personne déférée devant lui (cf. art. 393 C.P.P.), aux motifs qu'elle ne peut être assistée par un avocat, la remise en cause de l'appartenance du parquet à l'Autorité judiciaire. Il n'en est rien, le fait d'être garant des libertés n'autorisant pas à faire l'économie des droits de la défense ; à l'égard des personnes privées de liberté, le droit d'assistance est déjà pleinement reconnu en garde à vue comme devant les juridictions d'instruction et du jugement, et il était logique qu'il soit étendu au défèrement ou que l'on tire les conséquences de l'absence de l'avocat ; en revanche, la solution apportée par le Conseil interroge, d'abord parce que les déclarations spontanées en question pouvaient aider le parquet à faire son choix, ensuite car la difficulté posée était de plein droit résolue par la seule application de l'article 1er de la loi n° 2011-392 du 14 avril 2011...

(16) Telle était bien, semble-t-il, à l'époque de la rédaction du texte - qui n'envisage aucunement une absence de défèrement -, la conception que l'on avait de la garde à vue, laquelle trouvait son débouché naturel dans une traduction devant le juge d'instruction, voire le juge de jugement.

(17) La version anglaise emploie l'adverbe promptly, équivalent de « promptement, rapidement ».

(18) Pour davantage de précisions sur ce point, cf. l'avis rendu par l'auteur, ès qualités d'avocat général, devant la Chambre criminelle de la Cour de cassation dans l'affaire CREISSEN.