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L'apport de l'évolution institutionnelle de l'outre-mer non départementalisé au droit constitutionnel depuis 1998

Olivier GOHIN - Professeur agrégé de droit public à la Faculté de droit de Paris V

Cahiers du Conseil constitutionnel n° 12 (Dossier : Le droit constitutionnel des collectivités territoriales) - mai 2002

L'outre-mer non départementalisé a connu, depuis 1998, c'est-à-dire dans un espace de temps fort réduit, une évolution institutionnelle d'une ampleur inégalée puisque pas moins de quatre collectivités territoriales, successivement, ont fait l'objet de lois ou de projets de loi statutaires ou en relation avec leur statut, précédés ou accompagnés de révisions ou de projets de révision de la Constitution ainsi que d'une importante jurisprudence du Conseil constitutionnel :

  • La Nouvelle-Calédonie avec l'accord de Nouméa du 5 mai 1998, suivi d'abord de la loi constitutionnelle du 20 juillet 1998 qui rétablit un titre XIII consacré aux dispositions transitoires relatives à la Nouvelle-Calédonie en deux articles 76 et 77 nouveaux, ensuite de deux lois en date du 19 mars 1999, l'une organique sous le n° 99-209 et l'autre ordinaire sous le n° 99-210, chacune des deux précédée d'une décision du Conseil constitutionnel en date du 15 mars 1999, la première publiée sous le numéro 99-410 DC qui se rapporte à la loi organique, au titre du contrôle obligatoire de constitutionnalité, la seconde publiée sous le numéro 99-409 DC qui se rapporte à la loi ordinaire au titre du contrôle facultatif de constitutionnalité, sur saisine opportune du Premier ministre. On y ajoutera, d'une part, une tentative de révision constitutionnelle de l'article 77 nouveau, adoptée en termes identiques par l'Assemblée nationale et par le Sénat, relative au « gel » du corps électoral restreint et bloquée par l'ajournement sine die du Congrès qui devait se réunir le 24 janvier 2000 et, d'autre part, la première décision 2000-1 LP du Conseil constitutionnel sur les lois du pays en date du 27 janvier 2000, encore la seule à ce jour, qui résulte de la mise en oeuvre de la loi organique statutaire relative à la Nouvelle-Calédonie, spécifiquement du dispositif prévu par ses articles 104 et 105 ;

  • La Polynésie française dont la réforme statutaire envisagée, visant à son alignement institutionnel sur le nouveau statut de la Nouvelle-Calédonie au sein d'une nouvelle catégorie dite des « pays d'outre-mer », supposait le préalable d'une révision constitutionnelle qui aura finalement subi le même sort que la tentative de révision précitée de l'article 77 nouveau. Il existe pourtant, dans les limbes encombrés du droit constitutionnel français, un futur-ex ou un ex-futur article 78 nouveau de la Constitution, adopté en termes identiques par l'Assemblée nationale et par le Sénat ;

  • Mayotte dont la réforme statutaire aura été un couper-coller de la réforme engagée en Nouvelle-Calédonie, mais à droit constitutionnel constant au cas particulier, avec un accord de Paris en date du 27 janvier 2000, suivi d'une consultation de la population intéressée et de la loi statutaire du 11 juillet 2001 qui, pour sa part, n'aura pas été constitutionnellement vérifiée et qui, pour dire le vrai, n'avait pas utilement à l'être. Toutefois, la consultation a été permise par la loi du 9 mai 2000 qui a fait l'objet d'une décision préalable de conformité à la Constitution en date du 4 mai 2000 sous le numéro 2000-428 DC ;

  • Saint-Pierre-et-Miquelon dont la loi statutaire du 11 juin 1985 reste inchangée, mais qui entre dans le champ d'application de la loi d'orientation pour l'outre-mer, précédée, quant à elle, d'une décision préalable de conformité à la Constitution en date du 7 décembre 2000 sous le numéro 2000-435 DC.

Trois révisions constitutionnelles entreprises, l'une réussie en 1998 et les deux autres en panne depuis 2000, quatre législations constitutionnellement vérifiées dont une organique, cinq décisions de conformité du Conseil constitutionnel dont une sur les lois du pays, le bilan est lourd ou le travail prometteur, comme l'on voudra, en tous cas susceptible d'une synthèse sur l'apport de l'évolution institutionnelle, depuis 1998, de ces quatre collectivités territoriales dont le droit se caractérise par la spécialisation.

À ce titre, sans entrer dans la problématique non moins ardue, et rarement traitée en droit, du champ d'application de l'article 75 de la Constitution sur le statut personnel, force est de constater que tout l'outre-mer non départementalisé n'est pas à la même enseigne, le propre de la spécialité étant sans doute la variabilité. C'est ainsi que, pour s'en tenir aux quatre collectivités territoriales considérées, une échelle de spécialité peut être dressée dont la montée aux barreaux suppose :

  • De commencer par Saint-Pierre-et-Miquelon que le passage rapide par la départementalisation entre 1976 et 1985 aura fait basculer du principe de la spécialité dans celui de l'assimilation, fortement adaptée cependant depuis sa constitution en collectivité territoriale à statut propre de l'article 72, alinéa 1er puisque cette collectivité qui n'est pas une région ultra-périphérique de l'article 299-2 du traité instituant la Communauté européenne, connaît une spécificité législative résiduelle en matière douanière et fiscale ;

  • De poursuivre par Mayotte dont le nouveau statut de collectivité départementale qui conserve une collectivité territoriale à statut propre de l'article 72, alinéa 1er, reste fondé sur le principe de spécialité avec injection déjà massive du droit commun, éventuellement adapté, qui devrait permettre une évolution progressive, en trois étapes au cours d'une période transitoire d'une dizaine d'années, vers un département d'outre-mer dont l'accès, dans ce délai, au statut de région ultra-périphérique reste cependant hypothétique ;

  • Et de terminer, dans l'ordre, par la Polynésie française qui est encore un territoire d'outre-mer de l'article 74, régi par un statut d'autonomie interne fixé par la loi organique du 12 avril 1996, et par la Nouvelle-Calédonie qui n'est plus un territoire d'outre-mer, mais une collectivité territoriale de la République dont le régime transitoire est fondé sur l'article 77 nouveau de la Constitution révisée.

Ces deux derniers cas correspondent, l'un et l'autre, à la mise en oeuvre du principe de spécialité législative et réglementaire avec, toutefois, une spécialité nettement renforcée en ce qui concerne la Nouvelle-Calédonie dont l'assemblée délibérante : le congrès de la Nouvelle-Calédonie, réunion des trois assemblées de province, est ainsi autorisée, en certaines matières, législatives en métropole, à prendre directement des textes qui sont, en apparence, non pas des règlements susceptibles de recours pour excès de pouvoir devant la juridiction administrative, mais des « lois du pays », actes dont l'article 107 de la loi organique du 19 mars 1999 prescrit qu'ils ont « force de loi » par le seul motif qu'ils peuvent ainsi échapper à ce contentieux administratif.

En se rapportant à la hiérarchie normative, ce principe de spécialité législative et réglementaire trouve son fondement juridique dans une véritable spécialisation du droit constitutionnel qui se déduit, de façon ancienne, dans le cas de la Polynésie française, de l'interprétation constante et coordonnée qui est donnée par le Conseil d'État, en formation administrative et contentieuse, de l'article 74 des Constitutions de 1946 et de 1958 et par le juge constitutionnel de l'article 74 de la Constitution de 1958 et, dans le cas de la Nouvelle-Calédonie, de la même base constitutionnelle formée des dispositions interprétées de l'article 74, jusqu'en 1999, puis d'une nouvelle base constitutionnelle fournie par l'accord de Nouméa du 5 mai 1998 et par la loi constitutionnelle consécutive du 20 juillet 1998, depuis 1999 et pour la durée d'une période transitoire d'une vingtaine d'années.

Ainsi la réforme des institutions de la Nouvelle-Calédonie, opérée à partir de l'accord de Nouméa, aura été l'occasion de renforcer la spécialisation du droit constitutionnel français de l'outre-mer non départementalisé pour ouvrir des perspectives préoccupantes quand on considère tant les contradictions de l'État unitaire (I) que les atteintes aux droits et libertés (II).

I. Les contradictions de l'État unitaire

Depuis la Constitution de 1958 et contrairement à la tradition héritée de la Révolution française et transcrite encore à l'article 85 de la Constitution précédente, la République a cessé d'être « une et indivisible » pour n'être plus qu' « indivisible ». Dès lors, la forme de l'État ne résulte pas expressément du texte constitutionnel et son caractère unitaire se déduit de dispositions nombreuses et de jurisprudences constantes dont, toutefois, l'évolution institutionnelle de l'outre-mer non départementalisé, depuis 1998, principalement celle de la Nouvelle-Calédonie, a bien démontré la grande fragilité. On assiste ainsi à un double mouvement contradictoire en faveur de la remise en cause (A) et de la préservation de l'État unitaire (B).

A. La remise en cause de l'État unitaire

Un État unitaire suppose, pour durer, une Constitution cohérente qui régisse un peuple unifié. Or, cette thématique, moins juridique qu'historique ou sociologique, est en question depuis l'élargissement des normes de référence et la discontinuité dans l'unicité du peuple français.

1) L'élargissement des normes de référence

De l'élargissement des normes de référence, on dira qu'il est double : il résulte d'abord de la constitutionnalisation de l'accord de Nouméa du 5 mai 1998 par la loi constitutionnelle du 20 juillet 1998. Il résulte ensuite de la résurrection de l'alinéa 2 du Préambule de la Constitution de 1958 par la décision du Conseil constitutionnel en date du 4 mai 2000.

a) L'accord de Nouméa

Par quelle alchimie subtile le plomb d'un acte de droit privé passé, hors de toute investiture publique, entre les représentants de deux formations politiques locales, même négocié en présence du représentant du gouvernement français, même cosigné par le Premier ministre et le secrétaire d'État à l'outre-mer et même publié au Journal officiel de la République française (JO 27 mai 1998, pp. 8039-8044), a-t-il pu se transformer en l'or d'une norme de référence particulière du contrôle obligatoire de constitutionnalité opéré sur la loi organique relative à la Nouvelle-Calédonie ? « Considérant, en premier lieu, [...] qu'il résulte en effet des dispositions du premier alinéa de l'article 77 de la Constitution que le contrôle du Conseil constitutionnel sur la loi organique doit s'exercer non seulement au regard de la Constitution, mais également au regard des orientations définies par l'accord de Nouméa, lequel déroge à un certain nombre de règles ou principes de valeur constitutionnelle ». C'est donc en prévoyant expressément que la loi organique est tenue de déterminer les principaux éléments du nouveau statut de la Nouvelle-Calédonie « dans le respect des orientations définies par cet accord », selon une formulation qui est typiquement de contrôle de constitutionnalité, que le pouvoir constituant dérivé est parvenu, en connaissance de cause, à publiciser et à constitutionnaliser cet accord.

Le texte de l'accord de Nouméa qui vise à sortir la Nouvelle-Calédonie de l'espace confiné de l'article 74 de la Constitution, est structuré en un Préambule et un document d'orientation (au singulier) où l'on aurait pu croire que les orientations définies par cet accord seraient concentrées. Or, malgré la pétition de principe selon laquelle « de telles dérogations ne sauraient intervenir que dans la mesure strictement nécessaire à la mise en oeuvre de l'accord », au titre d'une restriction raisonnable au regard d'une norme de référence fort longue et fort détaillée, le Conseil constitutionnel n'a pas craint d'opposer notamment le Préambule de l'accord de Nouméa pour admettre les mesures de discrimination positive en faveur de l'emploi local des personnes durablement établies en Nouvelle-Calédonie. Dès lors, il résulte de la décision 99-410 DC en date du 15 mars 1999 que c'est l'ensemble de l'accord de Nouméa qui est susceptible d'être utilisé comme norme de référence constitutionnelle.

b) L'alinéa 2 du Préambule

Mais il y a lieu, ensuite, de se rapporter aussi à la décision 2000-428 DC en date du 4 mai 2000 qui trouve le fondement constitutionnel de la consultation de la population de Mayotte dans le deuxième alinéa du Préambule de la Constitution de 1958 en tant qu'il continue à inscrire la mise en place des institutions nouvelles, celles de 1958, dans le cadre du principe de « la libre administration des peuples » dans « les territoires d'outre-mer ».

Assurément, il n'était pas indispensable au Conseil constitutionnel de porter une telle atteinte à la cohérence, on dira même à la cohésion du droit constitutionnel français pour prévenir a contrario le recours à la consultation de la population de la Corse qui, en effet, ne saurait en aucun cas se réclamer du deuxième alinéa du Préambule de 1958 pour accéder au droit d'être consultée sur l'évolution statutaire de la collectivité territoriale à l'intérieur de la République : à droit constitutionnel constant et comme le pouvoir politique l'a bien enregistré, seuls les prétendus peuples des territoires d'outre-mer, pour s'en tenir à l'outre-mer non départementalisé, bénéficient d'un tel droit à consultation.

2) La discontinuité dans l'unicité du peuple français

Or, l'existence d'un « peuple kanak » figure par trois fois, de façon explicite, dans le Préambule de l'accord de Nouméa, prolongé par la mention du « peuple d'origine », à confronter avec le dispositif de l'article 1er de la Constitution qui affirme cependant « l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine ». Une telle rédaction du Préambule de l'accord dont la valeur constitutionnelle est acquise, a pour objet et pour effet de maintenir la distinction que le Conseil constitutionnel a déjà opérée par deux fois, en 1987 (Cons. const., 2 juin 1987, déc. 87-226 DC) et en 1991 (Cons. const., 9 mai 19991, déc. 91-290 DC), entre le peuple français et les peuples des territoires d'outre-mer, lesquels sont pourtant constitués de « nationaux français » au sens de l'article 3, alinéa 4 de la Constitution. Alors qu'à bon droit, l'existence d'un « peuple corse, composante du peuple français » est constitutionnellement niée au titre de l'unicité du peuple français, comme le Conseil constitutionnel a eu l'occasion de le souligner dans sa décision précitée 91-290 DC en date du 9 mai 1991, l'existence d'un peuple kanak devrait donc, en revanche, être constitutionnellement admise à côté du peuple français sans que cela soit nécessaire pour consolider la transposition en droit de réalités socio-culturelles de la Nouvelle-Calédonie que le pouvoir politique pouvait et peut encore vouloir légitimement admettre.

Mais l'incident de parcours constitutionnel n'est pas limité à un seul dispositif de texte et à la seule Nouvelle-Calédonie. On est confronté, en effet, au sujet des « territoires d'outre-mer », à une jurisprudence constitutionnelle à éclipses qui tantôt éclaire, tantôt éteint le concept juridique d'unicité du peuple français.

Il y a lieu, d'abord, de se rapporter à la décision 99-412 DC en date du 15 juin 1999 par laquelle le Conseil constitutionnel a saisi une nouvelle occasion de se fonder sur le principe constitutionnel de l'unicité du peuple français notamment pour s'opposer « à ce que soient reconnus des droits collectifs, à quelque groupe que ce soit, défini par une communauté d'origine, de culture, de langue ou de croyance ». Il s'agit là d'une définition enfin exigeante du peuple français, entendu, contrairement aux décisions précitées du 2 juin 1987 et du 9 mai 1991, comme l'ensemble des nationaux français, y compris ceux des populations de l'outre-mer non départementalisé. Ce rejet de toute communautarisation du peuple français, déduit à bon droit de l'article 1er de la Constitution ainsi réécrit, de même que la prise en compte de l'unité de l'État-nation, à travers son indispensable fondement linguistique : « la langue de la République est le français » (art. 2, al. 1er), ont donc conduit le Conseil constitutionnel à refuser la constitutionnalité de la Charte des langues régionales ou minoritaires après l'affirmation et avant la réaffirmation, dans des termes proches, du caractère nécessairement facultatif de l'enseignement public des langues régionales dans les collectivités territoriales concernées, d'abord du polynésien en Polynésie française (Cons. const., 9 avr. 1996, déc. 96-373 DC), ensuite du corse en Corse (Cons. const., 17 janv. 2002, déc. 2001-454 DC).

Toutefois, il résulte aussi de la décision précitée 2000-428 DC en date du 4 mai 2000 et, à travers l'alinéa 2 du Préambule de 1958, de la référence au principe de « la libre administration des peuples » dans « les territoires d'outre-mer » que, de façon ni nécessaire ni logique ni contemporaine ni pertinente, la notion de peuple mahorais est implicitement retenue par le Conseil constitutionnel alors que, notamment, la loi déférée au contrôle de constitutionnalité était relative à la consultation de la « population de Mayotte » et que, pour avoir fait partie, de 1946 à 1975, du territoire d'outre-mer des Comores, Mayotte, en tant que collectivité territoriale de la République, n'a jamais relevé de l'article 74 de la Constitution.

Et la solution ainsi retenue serait d'ailleurs tout autant inadéquate pour l'organisation d'une telle consultation en vue de la redéfinition du statut de la Nouvelle-Calédonie au sein de la République, au terme de la période transitoire et après rejet, par trois fois au plus, de la souveraineté internationale, à l'occasion des consultations d'autodétermination. L'accord de Nouméa précité qui révèle l'existence d'un « peuple kanak », ne fait aucune allusion, en effet, à l'existence d'un peuple calédonien ou d'un peuple wallisien. Dès lors, à droit constitutionnel constant, il faudrait que le Conseil constitutionnel se réfère à nouveau à l'alinéa 2 du Préambule de 1958 et admette implicitement l'existence de ces peuples pour leur permettre de participer également à une telle consultation statutaire. Or, depuis 1987, les textes relatifs aux consultations sur place font mention constante des « populations intéressées » et, depuis 1999, la Nouvelle-Calédonie n'est plus un territoire d'outre-mer.

B. La préservation de l'État unitaire

À travers une jurisprudence subtile qui conduit à se demander si, parfois, le Conseil constitutionnel ne vient pas dialoguer avec lui-même en annonçant, en nuançant ou en corrigeant ses solutions antérieures, les contradictions de l'État unitaire tiennent au fait que sa remise en cause s'accompagne de sa préservation par la réaffirmation de l'indivisibilité de la République et le maintien de l'unité du pouvoir législatif.

1) La réaffirmation de l'indivisibilité de la République

L'indivisibilité de la République est un principe qui est certainement au centre de la Constitution française (art. 1er; Cons. const., 30 août 1984, déc. 84-177 DC). Il interdit toute expression qui, insérée dans une loi, pourrait donner à penser que les collectivités territoriales ne font pas partie intégrante de la République. Tel est manifestement le cas de l'emploi de l'expression de « pacte qui unit l'outre-mer à la République », non seulement en ce qui concerne les départements d'outre-mer, mais aussi Saint-Pierre-et-Miquelon et - on peut le soutenir — toutes les autres collectivités territoriales de l'outre-mer non départementalisé, au-delà du champ d'application de la loi déférée. Comment aussi ne pas se féliciter de cette censure du Conseil constitutionnel, à l'occasion de sa décision 2000-435 DC précitée du 7 décembre 2000, à une époque où le droit public semble si attiré par la charte ou la convention alors qu'après tout, le contrat n'y a qu'une place seconde et qu'au surplus, il est des matières qui touchent, par essence, à la puissance publique et où seul l'acte unilatéral peut trouver régulièrement à s'employer ? Le droit constitutionnel qui attribue exclusivement à la loi, c'est-à-dire à un acte unilatéral à vocation générale et impersonnelle de l'État, le soin de fixer « les règles concernant les principes fondamentaux de la libre administration des collectivités locales, de leurs compétences et de leurs ressources », est certainement au nombre de ces matières.

2) Le maintien de l'unité du pouvoir législatif

Si le titre XII sur les collectivités territoriales et le titre XIII sur les dispositions transitoires relatives à la Nouvelle-Calédonie, tant que ces dispositions sont en vigueur et dans la mesure où elles sont expressément contraires à celles du titre XII, inscrivent l'ensemble du droit des collectivités territoriales de la République dans le cadre d'un État unitaire, c'est que l'unicité du pouvoir législatif est préservée au profit du seul peuple français qui l'exerce principalement par la voie de ses représentants au Parlement, en tenant compte de la répartition des compétences au sein de l'État, par exemple entre le législateur organique et le législateur dans le cadre de l'article 74 de la Constitution, comme l'illustre la décision du Conseil constitutionnel 99-409 DC en date du 15 mars 1999, ou exceptionnellement par la voie du référendum législatif.

a) L'émergence des lois du pays

Le transfert au congrès de la Nouvelle-Calédonie d'un nombre limité de matières législatives a donné lieu à la création des « lois du pays ». Ce sont, par conséquent, des délibérations qui, pour être matériellement législatives, ne sont pas formellement législatives, faute que l'assemblée délibérante soit une assemblée parlementaire de la République ou au sein de la République ou faute qu'en droit interne, le pouvoir législatif lui soit dévolu. Il n'en irait autrement que si l'article 34, alinéa 1er avait été explicitement ou implicitement modifié à l'occasion de la révision constitutionnelle de 1998. Or, l'accord de Nouméa se contente de prévoir que « certaines délibérations auront le caractère de loi du pays et de ce fait ne pourront être contestées que devant le Conseil constitutionnel avant leur publication » tandis que l'article 77 nouveau est plus évasif encore, mentionnant « certaines catégories d'actes de l'assemblée délibérante » qui « pourront être soumises avant publication au contrôle du Conseil constitutionnel ».

On observera que le même schéma est exactement transposé dans le projet de révision constitutionnelle concernant la Polynésie française qui voudrait transformer le territoire en un pays d'outre-mer. C'est ainsi que l'article 78 nouveau de la Constitution, encore en projet, prévoit que « la loi organique définit également [...] les conditions dans lesquelles certaines catégories d'actes de l'assemblée délibérante, ayant le caractère de lois du pays, pourront être soumises avant publication au contrôle du Conseil constitutionnel ».

Or, la loi organique du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie précise, dans son article 107 précité, que « les lois du pays ont force de loi ». Pour autant, elles ne sont pas des lois, mais des règlements, l'assimilation étant alors simple à faire entre les lois du pays et les ordonnances de l'article 38 de la Constitution. Sans doute, de la volonté expresse du législateur organique, ces règlements ne sont pas administratifs et constituent une catégorie intermédiaire entre les règlements administratifs et les lois ordinaires. Autrement dit, la loi du pays n'a ni pour objet ni pour effet de sortir du droit constitutionnel commun tel qu'il repose sur la distinction de base entre le domaine de la loi et le domaine du règlement. Ni le fait que l'acte intervienne en matière législative ni le contrôle de constitutionnalité sur un tel acte qui, par construction n'est pas subordonné à une loi, ne suffit à regarder cet acte comme législatif. N'étant pas formellement législatif, il est réglementaire. Mais n'étant pas administratif, il n'est pas un règlement administratif. En attendant une qualification claire par le juge constitutionnel, on se contentera donc de dire, par provision, que la loi du pays est un règlement autonome ayant force de loi.

b) Le contrôle des lois du pays

Le contrôle des lois du pays est une exigence de l'État de droit. Il s'agit d'abord d'un contrôle par voie d'action porté devant le Conseil constitutionnel. Car, la particularité juridique des lois du pays qui sont des règlements résultant de la délibération d'un organe administratif, sans être des règlements administratifs, est précisément d'avoir force de loi afin que leur contentieux par voie d'action relève de la compétence du Conseil constitutionnel, d'ailleurs exclusive comme cela résulte du seul accord de Nouméa sur ce point. Dès lors, les lois du pays sont une construction juridique qui se déduit du ressentiment injustifié des autorités des territoires d'outre-mer à l'égard de la jurisprudence des tribunaux administratifs mis en place, en 1984, à Nouméa et à Papeete et, plus précisément, de la censure, à bon droit, par le Conseil constitutionnel de la loi organique relative au statut d'autonomie de la Polynésie française dans sa décision 96-373 DC précitée en date du 9 avril 1996 en faveur de la sauvegarde du droit d'accès à la juridiction administrative contre les actes administratifs des autorités locales. Le plus simple évidemment était que ces actes cessent d'être administratifs et ils l'ont cessé. On a jamais prétendu le contraire (contra, GDCC 2001.920).

Ce contrôle par voie d'action, le Conseil constitutionnel a eu l'occasion de l'exercer une fois dans sa décision 2000-1 LP du 27 janvier 2000 dans des conditions, déjà analysées par ailleurs (AJDA 2000.524 et s.), qui établissent suffisamment combien le juge constitutionnel se comporte, en réalité, comme un véritable juge de l'excès de pouvoir. On voudra seulement redire ici à quel point il importe que le juge ordinaire ne laisse pas le particulier qui n'a pas accès au juge constitutionnel sans protection et que, sollicité en ce sens, il n'abdique pas, le moment venu, l'exercice de son contrôle de conventionnalité par voie d'exception que ni l'accord de Nouméa ni la loi constitutionnelle ni la loi organique n'ont exclu expressément. Il en va de la sauvegarde des droits et libertés à l'encontre du contenu de lois du pays qui, même compte tenu des « nécessités locales » (CEDH, art. 56, § 3), pourrait venir gravement menacer des nationaux français, des ressortissants communautaires ou des étrangers, en situation régulière notamment.

II. Les atteintes aux droits et libertés

Car, l'affirmation figurant à la fin du Préambule de la Constitution de 1946 selon laquelle « la France [...] garantit à tous [...] l'exercice individuel et collectif des droits et libertés », ne saurait rester un voeu pieux. Cela vaut notamment du droit de suffrage dont le caractère universel est consacré à l'article 3, alinéa 3 de la Constitution de 1958 et des libertés fondamentales qui résultent, en particulier, de la normativité constitutionnelle. Or, il faut constater que, sans grande réaction doctrinale, l'évolution institutionnelle de l'outre-mer non départementalisé, effective ou envisagée, porte gravement atteinte aux droits et libertés par la restriction du suffrage (A) et par la limitation de certaines libertés fondamentales (B).

A. La restriction du droit de suffrage

La restriction du droit de suffrage en Nouvelle-Calédonie, aucunement envisagée en Polynésie française, a pour point de départ la ferme volonté des consignataires de l'accord de Nouméa de restreindre l'électorat géographiquement ou professionnellement mobile dont la participation incidente, voire provoquée au suffrage en Nouvelle-Calédonie pour des consultations d'intérêt local : approbation de l'accord de Nouméa, élections aux assemblées de province et donc au congrès de la Nouvelle-Calédonie ou encore consultations d'autodétermination en fin de période transitoire, présenterait le risque de peser, même marginalement, sur le résultat de ces différentes consultations dans un sens qui pourrait être initialement défavorable à l'accord et ultérieurement défavorable aux partisans de l'indépendance, d'abord dans la gestion des affaires locales, finalement pour l'accession à la souveraineté internationale, dite « pleine souveraineté ». Tout cela fait tout de même beaucoup d'hypothèses ; mais il est vrai que la voie d'une telle exclusion du droit de suffrage à l'encontre des électeurs de moins de trois ans de domicile avait déjà pu être tracée à l'occasion de la consultation d'autodétermination de 1987 et validée par la décision précitée 87-226 DC du Conseil constitutionnel en date du 2 juin 1987.

En revanche, une exclusion qui concernait des électeurs de moins de dix ans de domicile devait être considérée comme attentatoire au caractère universel du suffrage et donc inconstitutionnelle au regard des alinéas 3 et 4 de l'article 3 de la Constitution. Cette position doctrinale a rencontré l'assentiment du pouvoir politique qui a eu recours, en 1988, à la voie référendaire pour faire adopter une législation organisant une telle restriction du droit de suffrage en Nouvelle-Calédonie, à l'occasion de la consultation d'autodétermination prévue initialement dix ans plus tard, puis, en 1998, à la voie de la révision constitutionnelle pour prévenir la censure, tenue pour certaine, d'une législation parlementaire maintenant la même restriction du suffrage pour la consultation des populations intéressées sur l'accord de Nouméa, substituée à la consultation d'autodétermination précitée, et pour les consultations d'intérêt local suivantes.

Autrement dit, le recours au référendum législatif de 1988 comme le recours à la révision constitutionnelle de 1998 permettaient de prévenir la censure du Conseil constitutionnel sur une législation qui visait à restreindre le droit de suffrage et donc à lui faire perdre son caractère universel. On imagine sans peine que le pouvoir constituant dérivé, si attaché par ailleurs à la promotion des droits de l'homme en France et dans le monde, ne s'en est pas glorifié. En particulier, il s'est bien gardé de modifier l'article 3, alinéa 3 de la Constitution qui a fait ainsi l'objet d'une révision implicite, admise par le juge constitutionnel implicitement. Bien plus, soucieux de ne pas rompre le lien établi depuis la Révolution française entre la citoyenneté et le suffrage, le pouvoir constituant dérivé est allé, de façon passablement hypocrite, jusqu'à inventer une citoyenneté de la Nouvelle-Calédonie de laquelle il déduit précisément l'accès au corps électoral restreint.

Or, dans la définition de ce corps électoral restreint, le Conseil constitutionnel a refusé l'atteinte portée au principe d'égalité par l'exclusion du suffrage des nationaux français installés en Nouvelle-Calédonie après le 8 novembre 1998 alors même qu'ils justifieraient de dix années de résidence continue. Ainsi, de façon remarquable dans le contexte du renforcement de la spécialisation du droit constitutionnel de l'outre-mer non départementalisé, c'est le souci inverse d'une lecture restrictive de l'accord de Nouméa et de la loi constitutionnelle consécutive qui aura animé le juge constitutionnel, trouvant ici, à bon escient, l'occasion d'appliquer la réserve précitée relative aux « dérogations » qui « ne sauraient intervenir que dans la mesure strictement nécessaire à la mise en oeuvre de l'accord ». Aussi importantes que soient les marges que le droit constitutionnel écrit et jurisprudentiel peut vouloir offrir spécifiquement à l'outre-mer non départementalisé, la décision courageuse 99-410 DC du 15 mars 1999 qui repose sur une interprétation justement restrictive de la dérogation au caractère universel du suffrage, établit suffisamment que l'intégration de cet outre-mer au droit constitutionnel, autant que possible, aussi souvent que nécessaire, demeure un souci constant pour le Conseil constitutionnel.

Toutefois, on a vu se profiler aussitôt un projet de révision de la révision pour insérer un avant-dernier alinéa à l'article 77 nouveau de la Constitution ainsi rédigé : « Pour la définition du corps électoral aux assemblées de province et au congrès de la Nouvelle-Calédonie, le tableau auquel se réfère l'accord mentionné au premier article de l'article 76 est le tableau des personnes non admises à participer à la consultation prévue à cet article. » En clair, l'adoption de ce texte par le Congrès signifierait une nouvelle sanction du juge constitutionnel dont la solution en faveur du caractère nécessairement « glissant » du corps électoral restreint devrait être ainsi abandonnée : tous les nationaux français qui se seraient installés en Nouvelle-Calédonie après le 8 novembre 1998 se verraient alors définitivement privés de la possibilité de voter aux élections locales, quelle que soit la durée de leur domicile continu.

B. La limitation de certaines libertés fondamentales

L'accord de Nouméa et sa constitutionnalisation en 1998 auront également permis de déroger à nombre de principes de valeur constitutionnelle, notamment au droit à l'emploi et à l'égale admissibilité aux emplois publics : « la Nouvelle-Calédonie mettra en place [...] des mesures destinées à offrir des garanties particulières pour le droit à l'emploi de ses habitants » et « pour les salariés du secteur privé et pour la fonction publique territoriale, une réglementation locale sera définie pour privilégier l'accès à l'emploi des habitants », mais aussi à la liberté d'aller et venir : « la réglementation sur l'entrée des personnes non établies en Nouvelle-Calédonie sera confortée » ou encore au droit d'établissement : « pour les professions indépendantes le droit d'établissement pourra être restreint pour les personnes non établies en Nouvelle-Calédonie », le tout sous couvert, bien entendu, de citoyenneté de la Nouvelle-Calédonie, travestissement juridique de la violation de droits garantis, par ailleurs, par nombre de traités ou conventions internationales applicables en Nouvelle-Calédonie, notamment la convention n° 111 de l'Organisation internationale du travail.

Or, l'instrument de la limitation de ces libertés fondamentales, ce sont précisément les lois du pays dès lors que les matières législatives correspondantes entrent dans le champ des compétences immédiatement transférées par la Nouvelle-Calédonie et exercées par délibérations du congrès de la Nouvelle-Calédonie, par application de l'article 99 de la loi organique statutaire.

Ce même schéma est également reproduit dans la tentative de révision constitutionnelle du statut d'autonomie de la Polynésie française. C'est ainsi que l'article 78 nouveau de la Constitution, encore en projet, prévoit que « la loi organique définit également [...] les règles relatives à la citoyenneté polynésienne et aux effets de celle-ci en matière d'accès à l'emploi, de droit d'établissement pour l'exercice d'une activité économique et d'accession à la propriété foncière ».

En conclusion, on soulignera combien, en quelques années, l'apport au droit constitutionnel de l'outre-mer non départementalisé aura été riche et contrasté. Les questions de droit public y trouvent un terrain privilégié d'expérimentation et de contentieux qui tient certainement à son particularisme foncier. Ainsi le débat juridique sur l'évolution du statut de la Corse qui aura connu une première conclusion heureuse devant le Conseil constitutionnel, à l'occasion de la récente décision 2000-454 DC en date du 17 janvier 2002, aura été bien préparé a contrario par les solutions constitutionnelles, retenues ou développées antérieurement, sur le traitement des matières législatives dans les territoires d'outre-mer, mais aussi sur la portée de l'adaptation aux spécificités dans les départements d'outre-mer. Dans les mois et les années qui viennent, l'organisation et le régime de cet outre-mer français vont devoir évoluer fortement et ce mouvement ira vers une différenciation plus grande entre les collectivités territoriales concernées, au bénéfice d'ajustements constitutionnels réclamés et nécessaires. Or, il importe que cette évolution vers une décentralisation diversifiée se fasse en tenant le plus grand compte des nombreux éléments de la jurisprudence constitutionnelle en faveur de l'unité de la République, des principes de la souveraineté nationale et de la démocratie, de la sauvegarde des droits et libertés et du respect des engagements internationaux afin que la cohérence de la construction d'ensemble soit le plus souvent préservée et, parfois, retrouvée.