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Fiscalité environnementale et Constitution

Pierre COLLIN - Conseiller d'État

Nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel n° 43 (Le Conseil constitutionnel et l'environnement) - avril 2014

Fiscalité et écologie sont des mots qui ont longtemps appartenu à des registres étrangers l’un à l’autre. L’impôt est défini par les auteurs classiques comme l’instrument régalien par excellence destiné à permettre la contribution de tout un chacun, dans le respect de ses capacités contributives, à la couverture des charges publiques. Mais depuis le début du XXe siècle, l’impôt s’est progressivement vu assigner d’autres buts. Il constitue désormais un outil à part entière des politiques économiques, des politiques sociales, voire des politiques culturelles. Il est utilisé comme un moyen d’obtenir des citoyens qu’ils relaient l’intervention de l’État. C’est dans ce contexte qu’est apparue depuis quelques décennies la notion de fiscalité environnementale, c’est-à-dire d’utilisation de l’outil fiscal au soutien des politiques de préservation de l’environnement. Le concept demeure cependant flou dans ses contours, hésitant entre la primauté des buts et l’utilisation effective des produits. Par ailleurs, l’État est constamment tiraillé entre sa volonté d’agir efficacement contre les atteintes portées à l’environnement par l’activité humaine et le souci de préserver ses ressources comme l’acceptabilité politique de ses actions. Face à ces inévitables contradictions d’une fiscalité en devenir, le Conseil constitutionnel s’est efforcé d’adapter sa jurisprudence en combinant les principes fondamentaux relatifs à l’impôt et les nouvelles règles constitutionnelles propres au droit de l’environnement.

La fiscalité environnementale : une notion aux frontières incertaines

L’idée d’une fiscalité environnementale part du constat selon lequel les comportements des agents économiques – entreprises, ménages mais aussi organismes du secteur public – ne tiennent spontanément compte, pour prendre leurs décisions, ni du coût des dommages que leurs activités causent à l’environnement, ni, sinon très imparfaitement, de la rareté future des énergies et des matières premières. Ce constat confère à l’État, selon des économistes tels qu’Arthur Cecil Pigou, une légitimité pour intervenir et contraindre les agents économiques à tenir compte de ces « externalités ».

Pour ce faire, la puissance publique dispose de plusieurs moyens : elle peut agir au travers d’une réglementation – interdire ou limiter certains comportements – ou utiliser des mécanismes de marchés. Ces mécanismes de marché passent par une action sur les prix, qui peut prendre deux formes : celle d’un rationnement par la fixation d’un montant total de droits – à polluer, à consommer telle ou telle énergie fossile – qui font l’objet d’échanges sur un marché qui fixe alors le prix traduisant un équilibre entre l’intérêt pour les acteurs à acquérir ces droits et l’intérêt à s’en passer en adoptant des stratégies alternatives ; celle d’une action directe sur les prix au travers de la fiscalité, qui vient renchérir le coût d’un comportement pour celui qui l’adopte.

La fiscalité environnementale constitue donc l’un des instruments de politique publique dont disposent les Gouvernements pour intégrer, dans le coût supporté par l’acteur économique, les coûts sociaux et environnementaux – externalités – que ce dernier occasionne. En résorbant l’écart entre le coût privé et le coût pour la collectivité, la taxe environnementale, fixée au niveau du coût social marginal des dommages, permet en théorie de retrouver une situation optimale, et ce de la manière la moins coûteuse pour la collectivité dans son ensemble.

La légitimité d’un tel recours à la fiscalité environnementale se trouve renforcée par l’affirmation du principe « pollueur-payeur » dans la Charte de l’environnement, qui fait aujourd’hui partie intégrante du bloc de constitutionnalité. Son article 2 dispose en effet que « toute personne a le devoir de prendre part à la préservation et à l’amélioration de l’environnement ». Son article 3 dispose que « toute personne doit, dans les conditions définies par la loi prévenir les atteintes qu’elle est susceptible de porter à l’environnement ou, à défaut en limiter les conséquences ». Enfin son article 4 dispose que « toute personne doit contribuer à la réparation des dommages qu’elle cause dans les conditions définies par la loi ».

Cela étant dit, cette approche théorique de la fiscalité écologique ne reflète que partiellement l’étendue des mesures fiscales qui s’affichent comme poursuivant un objet environnemental. À cette fiscalité comportementale qui vise à orienter les choix du contribuable par la menace d’un surcoût fiscal s’ajoutent des mesures d’incitation « positives », en ce sens qu’elles manient la carotte plutôt que le bâton en liant l’adoption d’un comportement déterminé au bénéfice d’une dépense fiscale telle qu’un crédit d’impôt. Peuvent également être rangés dans le champ de la fiscalité environnementale les mesures fiscales qui ne visent pas à orienter les choix ou le comportement du contribuable mais qui ont une visée exclusivement budgétaire et dont le produit est affecté spécifiquement à des actions en faveur de l’environnement.

Au titre de la fiscalité écologique comportementale, au sens strict du terme, on peut citer la taxe générale sur les activités polluantes, créée par la loi de finances pour 1999 en lieu et place de cinq taxes parafiscales, qui est due par les personnes physiques ou morales à raison d’un certain nombre d’activités polluantes (notamment : stockage de déchets ménagers, élimination de certains déchets industriels, émission dans l’atmosphère de substances polluantes, production d’huiles usagées, exploitation d’installations classées dangereuses ou polluantes, distribution de carburants n’incorporant pas une certaine proportion de biocarburants ).

Au titre des mesures fiscales « positives », peut être cité le mécanisme d’incitation fiscale à la rénovation des résidences principales, codifié à l’article 200 quater du code général des impôts (CGI), qui prévoit l’attribution d’un crédit d’impôt à raison de la réalisation de certaines dépenses telles que l’acquisition de chaudières à basse température, de chaudières à condensation ou de chaudières à microcogénération gaz, l’acquisition de matériaux d’isolation thermique, d’appareils de régulation de chauffage ou de pompes à chaleur.

Il arrive que certains dispositifs cumulent les deux aspects. Tel est le cas, dans un domaine non entièrement fiscal, du « bonus-malus » écologique sur les véhicules automobiles. Ce dispositif allie une taxe additionnelle à la taxe sur les certificats d’immatriculation des véhicules (article 1011 bis du CGI) due sur le premier certificat d’immatriculation délivré en France pour un véhicule de tourisme, fonction de la quantité de dioxyde de carbone émis par kilomètre, et une aide – volet non fiscal de nature réglementaire – à l’acquisition des véhicules propres.

Au titre de la dernière forme de la fiscalité environnementale – affectation d’une fraction du produit de la fiscalité générale à des organismes en charge de questions environnementales –, on peut par exemple évoquer le financement de l’Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Énergie (ADEME) qui provient pour une grande partie de la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) mais aussi de dotations directes sur des programmes ministériels.

La fiscalité environnementale : des objectifs politiques non dénués d’ambiguïté

Dans la pureté des principes, une fiscalité écologique devrait exclusivement revêtir une finalité comportementale. Pour être efficace, elle devrait, à l’inverse des préceptes de la fiscalité générale à finalité de rendement, avoir une assiette ciblée et un taux élevé afin d’être réellement incitative pour le contribuable et conduire à l’adoption de l’attitude recherchée.

On constate cependant que, non sans une certaine hypocrisie, les pouvoirs publics assignent plus ou moins implicitement à une fiscalité qualifiée d’environnementale des objectifs de rendement budgétaire en donnant aux prélèvements en cause des assiettes larges et des taux faibles. Dans cette optique, l’objectif semble davantage de tirer un profit fiscal d’habitudes et de comportements néfastes à l’environnement que de les faire cesser.

L’exemple de la fiscalité sur les produits pétroliers est à cet égard éloquent. La taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) rapporte à l’État et aux collectivités locales près de 25 milliards d’euros par an de manière régulière, sans que la charge fiscale pesant sur les consommateurs de produits pétroliers ne modifie de manière significative les volumes consommés.

Un tel constat ne se limite au demeurant pas à la fiscalité écologique mais peut s’étendre à l’ensemble de la fiscalité dite « comportementale ». La taxation du tabac s’appuie intellectuellement sur le motif que fumer nuit gravement à la santé – et au-delà de l’intérêt des individus, porte atteinte à celui des comptes sociaux –. Pour autant, et même si la consommation de cigarettes a récemment entamé une baisse non négligeable, cette fiscalité n’est pas fixée à un niveau suffisamment élevé pour devenir dissuasif. On peut d’ailleurs s’interroger sur le bien-fondé de l’utilisation dans ce cas de l’outil fiscal qui délègue la décision au consommateur en le laissant arbitrer entre sa dépendance au tabac et le prix qu’il est prêt à consentir pour ne pas chercher à s’en libérer. Puisque le tabac est toxique, il semblerait plus logique que l’État en interdise purement et simplement la consommation, comme il le fait par exemple pour le cannabis. Mais il renoncerait alors à une manne budgétaire fort précieuse.

Les économistes justifient parfois le recours à une fiscalité écologique à faible taux, assiette large et fort rendement par une théorie du « double dividende ». En substance, le premier dividende viendrait de la réduction des pollutions du seul fait de l’existence de l’imposition. Le second viendrait de la réduction de prélèvements défavorables à la croissance et à l’emploi (parce que pesant sur les facteurs de production et les renchérissant) permise par l’utilisation du produit dégagé par la taxe environnementale pour financer des politiques publiques. C’est ainsi qu’au tournant des années 2000, le produit de la TGAP a été affecté au fonds de la réforme des cotisations patronales de sécurité sociale pour financer la réforme des 35 heures. Dans le même ordre d’idées, le produit de la taxe sur les véhicules de sociétés, prélèvement qui frappe les véhicules en fonction de leurs émissions de dioxyde de carbone, a été transféré de l’État vers les organismes de sécurité sociale en 2009 en vue de compenser le coût de divers allégements de cotisations sociales décidés par le législateur.

La poursuite simultanée de ces deux objectifs apparaît cependant contradictoire. Si le premier est atteint, c’est-à-dire si les comportements néfastes pour l’environnement disparaissent en raison de ce que le tarif de la taxe s’avère suffisamment dissuasif, alors les recettes ont vocation à diminuer, voire à disparaître, ce qui pose un problème de financement des politiques publiques auxquelles ces ressources avaient été affectées. L’État, ou les organismes bénéficiaires du produit de la taxe, se trouve ainsi en position d’avoir intérêt à ce que le comportement dont l’élimination est officiellement recherchée se poursuive en réalité.

Les préoccupations budgétaires, aussi légitimes soient-elles, entrent fréquemment en conflit avec la logique de la fiscalité environnementale dans les choix que le législateur est conduit à opérer. Un exemple très récent peut être trouvé dans le « bonus-malus » écologique. L’article 54 de la loi de finances pour 2014 du 29 décembre 2013 a ainsi fortement majoré le taux de la taxe additionnelle à la taxe sur les certificats d’immatriculation des véhicules dont les barèmes sont fixés par l’article 1011 bis du CGI tandis que, par un décret du 30 octobre 2013, le Gouvernement avait modifié le montant des aides à l’acquisition de véhicules propres dans le sens, certes, d’un soutien renforcé aux véhicules hybrides et électriques mais en diminuant fortement les aides destinées aux véhicules thermiques recentrées sur les plus vertueux. Il ressort des travaux parlementaires de la loi de finances que cette réforme du régime était davantage motivée par le souci de résorber le déséquilibre du système de bonus-malus, qui accusait un déficit cumulé de 1,6 milliard d’euros sur la période 2008-2013, que fondée sur une analyse de l’efficacité respective de la taxe additionnelle et de la prime sur la détermination des comportements des acquéreurs de véhicules automobiles.

Mais le manque de cohérence des politiques de fiscalité environnementale peut s’avérer bien plus criant dans certains cas. Certaines dépenses fiscales vont clairement à l’encontre des objectifs affichés de réduction des émissions des gaz à effets de serre. Tel est le cas de dispositifs fiscaux qui, au nom de la sauvegarde de l’emploi dans certains secteurs de l’économie, encouragent purement et simplement la consommation d’énergies fossiles. Tant l’OCDE que la Cour des comptes recensent plusieurs dizaines de subventions fiscales défavorables à l’environnement qui vont d’exonérations en faveur des carburants utilisés par certains bateaux au taux réduit des droits d’accise pour les carburants utilisés par les taxis et certains types de machines agricoles en passant par les exonérations de taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques bénéficiant au charbon, combustible qui émet le plus de CO2.

La fiscalité environnementale : un encadrement constitutionnel qui tient compte de cette ambiguïté

Face à ces hésitations tant dans l’approche théorique que dans la mise en œuvre concrète de la fiscalité écologique, le Conseil constitutionnel s’est toujours attaché à conserver une jurisprudence cohérente.

Le fondement sur lequel celle-ci repose tient au fait que le Conseil a de longue date admis la possibilité pour le législateur de déroger à une stricte application du principe d’égalité devant les charges publiques dans le but d’utiliser la fiscalité comme un outil destiné à guider les comportements des contribuables.

L’article 13 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 énonce que « Pour l’entretien de la force publique, et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ». Pris à la lettre cet article n’autorise le recours au prélèvement fiscal, qui constitue une atteinte légale au patrimoine des individus, que dans le but de remplir les caisses de l’État en vue du nécessaire financement des services publics, au demeurant entendus à cette époque dans une acception exclusivement régalienne. Cette définition de l’impôt rejoint celle prêtée à Gaston Jèze dans son cours de finances publiques : « L’impôt est une prestation pécuniaire requise des particuliers, par voie d’autorité, à titre définitif, et sans contrepartie, en vue de la couverture des charges publiques ».

Mais la jurisprudence du Conseil constitutionnel a toujours admis qu’il puisse être dérogé à l’égalité pour un motif d’intérêt général. Et la déclinaison de cette jurisprudence en matière d’égalité devant l’impôt prend la forme d’une acceptation, dans son principe, de l’utilisation d’un impôt à une fin autre que la couverture des charges publiques et selon des critères qui s’écartent du strict respect de la capacité contributive de chaque contribuable. Le Conseil juge en effet que « le principe d’égalité ne fait pas obstacle à ce que soient établies des impositions spécifiques ayant pour objet d’inciter les redevables à adopter des comportements conformes à des objectifs d’intérêt général ».

Est ainsi admise la possibilité d’asseoir un impôt à la charge d’une entreprise non pas sur son chiffre d’affaires ou sur son bénéfice, agrégats censés traduire sa capacité contributive mais, par exemple, sur la quantité de gaz carbonique qu’elle rejette dans l’atmosphère. La dérogation est bien double par rapport aux canons de la théorie fiscale : le but assigné au prélèvement fiscal n’est pas au premier chef la satisfaction d’un besoin de financement mais de dissuader le contribuable de continuer à émettre des gaz néfastes pour l’environnement ; le contribuable n’est pas taxé en fonction de sa richesse ou d’un élément représentatif de celle-ci mais, précisément, en proportion du comportement que l’État souhaite le dissuader d’adopter.

Fort logiquement, le contrôle que le Conseil constitutionnel est alors conduit à opérer sur de telles dispositions fiscales au regard de l’égalité devant l’impôt est un contrôle de cohérence entre les buts que le législateur assigne lui-même à l’impôt et les moyens qu’il met en œuvre pour atteindre ces buts.

C’est pourquoi le Conseil commence toujours, lorsqu’il est confronté à une taxation environnementale – comme à toute fiscalité incitative – par identifier, au travers des travaux préparatoires de la loi, le but poursuivi par le législateur. En principe, le Conseil n’exerce qu’un contrôle extrêmement retenu sur cet objectif. Selon la formule qu’il emploie habituellement, il ne se reconnaît pas « un pouvoir d’appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement » et « il ne saurait rechercher si les objectifs que s’est assigné le législateur auraient pu être atteints par d’autres voies, dès lors que les modalités retenues par la loi ne sont pas manifestement inappropriées à l’objectif visé ». Et de fait, il n’est jamais arrivé au Conseil de remettre en cause la légitimité au regard de l’intérêt général d’un objectif de protection de l’environnement. Mais il n’est théoriquement pas exclu qu’il puisse, à l’occasion, censurer un dispositif de fiscalité incitative au motif que la dérogation au principe d’égalité qu’il implique n’est justifiée par aucun motif d’intérêt général. La censure des dispositions de la loi de finances pour 2013 prorogeant le régime fiscal dérogatoire applicable aux successions sur des immeubles situés dans les départements de Corse, qui se traduisait par la transmission de ces immeubles en franchise de droits de mutation, au motif que cette prorogation ne répondait à aucun motif légitime montre bien que pour prudent qu’il soit, le contrôle des objectifs poursuivis par une fiscalité dérogatoire existe bel et bien.

Une fois l’objectif poursuivi par le législateur identifié, le Conseil procède au contrôle de l’adéquation entre cet objectif et les moyens utilisés pour l’atteindre.

L’exemple de la décision n° 2000-441 DC du 28 décembre 2000 relative à la loi de finances rectificative pour 2000 peut être cité. L’article 37 de cette loi étendait la taxe générale sur les activités polluantes aux produits énergiques fossile et à l’électricité.

En l’espèce, l’objectif de la mesure, tel qu’affiché par le législateur, était de renforcer la lutte contre l’effet de serre en incitant les entreprises à maîtriser leur consommation de produits énergétiques.

Le Conseil a pris acte de cet objectif, dont il n’a pas discuté le bien fondé, mais a constaté, d’une part, que les modalités de calcul de la taxe arrêtées par la disposition en cause pouvaient conduire à ce qu’une entreprise soit taxée plus fortement qu’une entreprise analogue alors même qu’elle aurait consommé une moindre quantité de produits énergétiques, d’autre part, que l’assujettissement de l’électricité manquait de logique. En effet, compte tenu de la nature – essentiellement nucléaire – des sources de production de l’électricité en France et de l’autosuffisance de celle-ci en énergie électrique, la consommation d’électricité ne contribuait que très faiblement au rejet de gaz carbonique, de sorte que sa substitution à celle des produits énergétiques fossiles devait donc être au contraire encouragée si l’on souhaitait lutter contre l’effet de serre.

Le Conseil, compte tenu de cette incohérence entre les buts assignés à la mesure et son contenu, l’a censurée comme contraire au principe de l’égalité devant l’impôt.

Un raisonnement proche a été conduit par le Conseil au sujet de la « contribution carbone » dans sa décision du 29 décembre 2009 (n° 2009-599 DC) relative à la loi de finances pour 2010. Cette contribution est une taxe « pigouvienne » ayant pour but de décourager les émissions polluantes en faisant payer ceux qui polluent en fonction de leurs émissions et d’induire une évolution des comportements pour se préparer à la diminution des ressources disponibles en énergies fossiles. Le projet du Gouvernement consistait à établir à partir de 2010 une contribution de 17 euros par tonne de CO2, ce qui conduisait à renchérir de quelques centimes le prix du litre de carburant, par exemple, sur la base du contenu en CO2 de ces carburants. L’objectif était de parvenir progressivement à un tarif de 100 € par tonne en 2030, niveau jugé nécessaire par les modélisations économiques pour atteindre l’objectif d’une division par quatre des émissions en 2050 en France.

Le Conseil constitutionnel a, là encore, pris acte de l’objectif recherché par le législateur puis l’a confronté aux moyens retenus pour l’atteindre. Il a relevé que le projet comportait un grand nombre de réductions de taux ou des tarifications spécifiques, au profit de telle ou telle catégorie de contribuables. Il a certes admis, dans son principe, que de telles dérogations puissent être admises au nom de l’intérêt général, notamment au nom de la sauvegarde de la compétitivité de secteurs économiques exposés à la concurrence internationale. Il a également admis la cohérence d’une exemption totale d’autres secteurs tels que le transport public routier en commun de voyageurs, puisque le développement de celui-ci, qui limite d’autres modes de transport qui émettent beaucoup de dioxyde de carbone, doit être encouragé, de même que l’exemption d’activités soumises par ailleurs à des dispositifs spécifiques de renchérissement du coût de l’émission de CO2. Mais il a constaté que l’exemption des entreprises soumises dans l’avenir au système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre dans l’Union européenne, pour l’heure gratuits, conduisait, sans aucune contrainte issue du droit de l’Union européenne, à exclure du dispositif 93 % des émissions industrielles de dioxyde de carbone et les 1 000 sites industriels les plus polluants ainsi que la totalité du transport aérien. Il a relevé qu’in fine, les activités assujetties à la contribution carbone ne représentaient qu’environ 48 % des émissions totales de gaz à effet de serre en France.

Le Conseil en a fort logiquement tiré la conclusion que les moyens retenus par le législateur étaient impropres à atteindre l’objectif de lutte contre le réchauffement climatique dans des conditions respectueuses du principe d’égalité devant les charges publiques, tel que renforcé en matière environnementale par le principe « pollueur-payeur » posé par la Charte.

La démarche de contrôle conduite en la matière par le Conseil constitutionnel peut encore être illustrée par la toute récente décision du 29 décembre 2013 (n° 2013-684 DC) relative à la loi de finances rectificative pour 2013. L’article 30 de cette loi modifie l’article 1010 du CGI relatif à la taxe sur les véhicules des sociétés afin d’inclure dans les tarifs de cette taxe un barème permettant de tenir compte des différences de niveaux de pollution émis par les véhicules selon leur type de motorisation et l’année de leur mise en service.

Il était reproché au législateur par les parlementaires auteurs de la saisine du Conseil d’avoir méconnu le principe d’égalité devant les charges publiques en ne soumettant au nouveau barème que les seuls véhicules de société, à l’exclusion des véhicules de tourisme utilisés par les particuliers, pourtant sources d’émissions de polluants atmosphériques équivalentes.

Dans sa défense, le Gouvernement a indiqué que l’objectif de cette disposition, qui ressort avec une grande netteté des débats parlementaires et notamment de l’intervention des ministres devant les députés et sénateurs, était avant tout de remédier à l’érosion des recettes procurées par la taxe en la complétant par une nouvelle composante également assise sur la capacité contributive que représente la détention, par les entreprises, d’un parc automobile. C’est donc un objectif de rendement budgétaire qui était recherché, de manière clairement assumée, dans cette modulation du tarif de la taxe, même si l’objectif premier du dispositif, pris dans son ensemble, demeurait la lutte contre les effets nocifs des polluants atmosphériques.

Par des motifs qui n’ont pas fait l’objet d’abondants commentaires, le Conseil a relevé qu’il ressortait des travaux parlementaires que le législateur, en modifiant le tarif de cette taxe, avait entendu en accroître le rendement et qu’il avait au surplus entendu inciter les sociétés à renouveler leur parc automobile avec des véhicules émettant moins de polluants atmosphériques. Il en a déduit qu’en ne soumettant pas les véhicules des particuliers à ces mêmes dispositions, le législateur n’avait pas méconnu le principe d’égalité devant les charges publiques. Il a validé la disposition.

Des observateurs malicieux pourraient s’étonner qu’il soit aussi aisé pour le gouvernement et le législateur d’obtenir l’aval du Conseil constitutionnel face à une disposition qui apparaît en effet peu en cohérence avec l’objectif de protection de l’environnement. Prise sous le seul angle environnemental, l’absence de soumission des véhicules de particuliers au nouveau barème semble en effet peu justifiée. Mais ce serait oublier un peu vite qu’ainsi qu’il a été dit plus haut, c’est au législateur et à lui seul qu’il appartient de définir, sous un contrôle du juge qui ne peut être que restreint, les objectifs non fiscaux qu’il assigne le cas échéant à une disposition fiscale. Et dès lors que les ministres avaient pris soin d’indiquer on ne peut plus explicitement devant le Parlement que l’objectif ici poursuivi était davantage budgétaire qu’environnemental, il devenait logique d’admettre un contrôle au regard de la seule capacité contributive des contribuables.

L’ambiguïté que l’on pourrait déceler dans la jurisprudence n’est en définitive que le reflet de celle de cette fiscalité d’un nouveau genre, qui cherche à concilier des objectifs qui vont parfois à l’encontre les uns des autres. Assigner à la fiscalité des buts autres que ceux pour lesquels elle a été conçue expose à un tel risque !