Page

Entretien avec M. Janez Cebulj, Président de la Cour constitutionnelle de Slovénie

Cahiers du Conseil constitutionnel n° 19 (Dossier : Slovénie) - janvier 2006

Janez CEBULJ

Maître en droit en 1989, le professeur Cebulj a obtenu sa thèse de doctorat à la Faculté de droit de Ljubljana en 1991 sur le thème des différents aspects de l'utilisation de l'informatique en droit constitutionnel et en droit administratif et son influence sur les droits de l'homme et les libertés fondamentales. Sa thèse a été publiée en 1992 sous le titre La protection de l'informatique privée en Slovénie et en Europe.

Enseignant-chercheur à l'Institut d'administration publique de Ljubljana, il est l'auteur de plus de 80 publications en droit constitutionnel et en droit administratif dont un commentaire de la Constitution de la République de Slovénie. Il est Professeur de droit constitutionnel à la Faculté d'études post-universitaires et à la Faculté d'administration publique.

Secrétaire général de la Cour constitutionnelle depuis 1993, il est devenu juge en 1998 et Président depuis 2004.


Propos recueillis, le 22 juillet 2005, par Arne MAVCIC - Chef du service d'analyse et de coopération internationale


  • Arne Mavcic - Monsieur le Président, quel est le rôle de la Cour constitutionnelle dans la société slovène et dans le système juridique ; sur quels facteurs repose son autorité ?

Janez Cebulj - Le système moderne de contrôle de constitutionnalité a été, en vertu de la Constitution de la République de Slovénie adoptée en 1991, relativement rapidement ancré dans la pratique aussi bien que dans l'ordre juridique étant donné que la Slovénie avait une certaine tradition en matière de juridiction constitutionnelle. En effet, la juridiction constitutionnelle a été introduite en Slovénie pour la première fois en 1963 selon le modèle continental de contrôle de constitutionnalité, cette compétence n'étant pas du ressort de l'ex-République socialiste fédérale de Yougoslavie.

La Constitution de la République de Slovénie de 1991 a confié à la Cour constitutionnelle un rôle entièrement différent de celui qu'elle avait eu jusqu'alors. L'instauration d'un État de droit a modifié sa position et ses compétences de sorte qu'elle est devenue l'organe suprême du pouvoir judiciaire dans le pays, tant pour ce qui concerne le contrôle de constitutionnalité et de légalité que pour la protection des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Les compétences de la Cour, quant à leur contenu et leur portée, ont été mises en harmonie avec les attributions des institutions comparables dans le monde.

Du point de vue du principe constitutionnel de la séparation des pouvoirs, la place et les moyens donnés à la Cour constitutionnelle ont grandement facilité la mission de protecteur de l'État de droit qui lui a été assignée par la Constitution. Ceci dit, la Cour constitutionnelle a dû faire face à de nouveaux défis. Dans la première phase de son existence, elle a dû utiliser la Constitution en tant que critère de constitutionnalité des normes, dans une situation où n'existaient encore ni théorie constitutionnelle slovène élaborée ni pratique de la nouvelle Constitution, sur lesquelles la Cour aurait pu s'appuyer lors de ses délibérations. C'est pourquoi elle cherchait, et parfois cherche encore, des exemples éventuels de réponses aux questions posées dans la pratique des juridictions constitutionnelles étrangères, dans la théorie constitutionnelle et la jurisprudence étrangères ainsi que dans les principes et les standards du droit international universellement reconnus. Pour l'adoption de ses décisions, la Cour constitutionnelle s'est appuyée aussi sur certaines nouvelles méthodes et techniques de décision utilisées dans la pratique constitutionnelle moderne, issues le plus souvent des principes fondamentaux du droit constitutionnel.

Sans doute, la Cour constitutionnelle slovène en cette période a-t-elle eu une influence directe sur la transformation du système juridique national. Beaucoup d'affaires, dans des domaines juridiques différents, dans lesquelles la Cour a pris une décision, ont apporté de nouveaux points de vue sur le développement du système juridique et ont constitué des précédents importants en termes constitutionnels. Les réactions positives du public à l'égard de telles décisions ont contribué à l'enracinement des principes posés.

La Cour joue le rôle de protecteur de la démocratie constitutionnelle, dont l'une des caractéristiques est le fonctionnement selon les principes de l'État de droit, lequel, avec le principe de la séparation des pouvoirs, joue un rôle essentiel dans la protection des droits de l'homme. Son autorité doit être basée sur l'accomplissement de ses fonctions d'une façon juridiquement et professionnellement crédible. Pour cette raison, son pouvoir doit être basé sur la qualité et l'autorité des arguments sur lesquels sont fondées ses décisions.

  • A.M. - Quelle est la force juridique des décisions de la Cour constitutionnelle ?

J.C. Aux termes du troisième paragraphe du premier article de la loi sur la Cour constitutionnelle, ses décisions sont obligatoires. Les décisions adoptées lors du contrôle de la constitutionnalité des lois et de la constitutionnalité et de la légalité des autres actes juridiques ont un effet erga omnes. La Cour constitutionnelle interprète les dispositions de la Constitution et leur donne, par cette interprétation, un contenu protégé constitutionnellement. Par ses décisions, elle établit, d'une certaine façon, les critères constitutionnels qui doivent être respectés par le législateur et par les autres autorités de l'État. Les décisions adoptées lors de la procédure du recours constitutionnel ont, par contre, un effet inter partes. Pourtant, il faut souligner que les décisions de ce type ne sont pas seulement importantes pour les parties au procès mais elles ont aussi, d'une certaine façon, valeur de précédent et seront utilisées ultérieurement comme référence pour les décisions juridictionnelles statuant sur des cas semblables.

  • A.M. - Quelle est l'attitude de la Cour constitutionnelle envers le législateur ?

J.C. La Cour constitutionnelle est un organe autonome et indépendant par rapport au législateur, c'est-à-dire l'Assemblée nationale de la République de Slovénie. L'Assemblée nationale élit les juges de la Cour constitutionnelle, sur proposition du Président de la République, pour une période de neuf ans. L'Assemblée nationale agit comme organe constitutionnel suprême : elle fixe et adopte le budget de l'État, y compris les fonds nécessaires à l'activité de la Cour constitutionnelle. En même temps, elle intervient comme partie à la procédure dans les cas où la Cour statue sur la constitutionnalité des lois.

Il incombe au législateur et non pas à la Cour constitutionnelle de mettre en place l'encadrement législatif de la société. Toutefois, si le législateur ne réussit pas à exercer ses fonctions conformément à la Constitution, il est du devoir de la Cour constitutionnelle de protéger les valeurs constitutionnelles.

Les principes fondamentaux découlant du principe de la séparation des pouvoirs doivent également être appliqués aux relations entre le législateur et la Cour constitutionnelle.

  • A.M. - Les deux autres branches du pouvoir respectent-elles les décisions de la Cour constitutionnelle ?

J.C. Dans l'État de droit où règne le principe de la séparation des pouvoirs, il est important que chacune des branches du pouvoir exerce ses compétences avec responsabilité et respecte les freins et contrepoids mis en place par la Constitution. Dans l'État de droit, les décisions de la Cour constitutionnelle obligent les autres organes de l'État à les respecter et à les exécuter dans le cadre de leurs compétences. Le respect des décisions de la Cour signifie le respect du principe de l'État de droit et du principe de la séparation des pouvoirs. Ces principes ne sont pas édictés en faveur de ces pouvoirs mais au service de la liberté de l'homme et du respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales. C'est pourquoi l'avertissement sur l'inobservation des décisions de la Cour constitutionnelle représente en même temps un avertissement sur la violation des droits protégés par la Constitution.

Si la Cour constitutionnelle juge une loi ou une autre norme contraire à la Constitution ou illégale parce qu'elle ne règle pas une question déterminée comme elle devrait le faire, ou la règle d'une façon qui ne donne pas la possibilité de l'abroger ou de l'annuler, elle adopte, conformément à l'article 48 de la loi sur la Cour constitutionnelle, une décision déclaratoire et fixe au législateur un délai pour éliminer les dispositions qu'elle a déclarées inconstitutionnelles ou illégales. Le respect des décisions de la Cour constitutionnelle signifie, dans ce cas, l'exécution de l'obligation imposée par ladite juridiction. L'auteur d'une prescription qui ne réagit pas dans le délai et n'élimine pas l'inconstitutionnalité viole le principe de l'État de droit énoncé par l'article 2 de la Constitution et celui de la séparation des pouvoirs énoncé par l'article 3 de la Constitution ; la Cour constitutionnelle l'a plusieurs fois rappelé dans ses décisions. Il convient de mentionner ces cas d'inexécution des décisions de la Cour constitutionnelle puisque chacun d'entre eux représente une violation desdits principes constitutionnels.

Néanmoins, il faut constater que le nombre des décisions encore inexécutées s'est beaucoup réduit ces dernières années, au moins en ce qui concerne le législateur. Ceci dit, à la fin de l'année 2004, 7 décisions de la Cour constitutionnelle au total n'ont toujours pas été exécutées dont 5 entièrement et 2 en partie, tandis qu'à la fin de l'année précédente 2003, il y en avait au total 10. Il faut signaler en même temps que la Cour constitutionnelle a statué en 2004 sur plus de 1300 affaires.

  • A.M. - Monsieur le Président, que pouvez-vous nous dire sur l'activité internationale de la Cour constitutionnelle ?

J.C. Depuis 1993, la Cour constitutionnelle de la République de Slovénie est membre de la Conférence des Cours constitutionnelles européennes. En 1998, la Cour constitutionnelle est devenue membre de l'Association des Cours constitutionnelles ayant en partage l'usage du français (ACCPUF). La Cour fait partie de la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise) depuis 1991.

Dans ces associations, on débat de questions constitutionnelles importantes communes à toutes les Cours constitutionnelles. L'échange réciproque des expériences et des points de vue peut contribuer d'une manière essentielle à la qualité des décisions constitutionnelles. Pour cette raison, il est très important pour nous de participer aux associations internationales.

Nous accordons la même importance à l'échange des expériences au niveau bilatéral, c'est pourquoi nous rencontrons les juges des Cours constitutionnelles ou bien les juges des Cours suprêmes ayant des compétences équivalentes.

  • A.M. - Quelles sont les techniques et les méthodes que la Cour constitutionnelle a développées pendant la procédure de décision ?

J.C. En considérant que la forme est un élément constitutionnel indispensable d'une norme juridique, donc constitutionnelle aussi, et que le fond et la forme doivent être en harmonie, notre loi sur la Cour constitutionnelle introduit de nouvelles techniques de prise de décisions parmi lesquelles la Cour peut choisir.

Ainsi, ses décisions apparaissent sous les formes suivantes :

La décision de conformité à la Constitution est la constatation que la loi contestée ou bien l'une de ses dispositions ne sont pas contraires à la Constitution ou, dans le cas de l'appréciation de la conformité à un traité international, que la loi contestée ou l'une de ses dispositions ne sont contraires ni à la Constitution ni aux traités internationaux ratifiés. Dans le cas d'un contrôle de la conformité à une loi, la décision rendue signifie qu'un acte réglementaire ou une autre prescription ou une de leurs dispositions ne sont pas contraires à la loi.

Dans les cas où la Cour constate qu'une loi n'est pas conforme à la Constitution, elle peut l'annuler dans son intégralité ou en partie. L'annulation a un effet abrogatif. Elle ne produit ses effets qu'à la date de la décision de la Cour constitutionnelle. Les actes réglementaires et autres actes généraux inconstitutionnels ou illégaux peuvent aussi être annulés lorsque la Cour constitutionnelle estime nécessaire d'éliminer les effets dommageables de l'inconstitutionnalité ou de l'illégalité dans les conditions prévues par l'article 46. Cette annulation a un effet rétroactif et autorise les personnes ayant subi des dommages entraînés par un acte individuel adopté sur la base d'un tel acte réglementaire, à demander à l'autorité compétente de modifier ou d'annuler cet acte individuel ou à exiger devant la justice l'octroi d'une indemnité, si les conséquences de l'acte réglementaire ne peuvent être effacées d'une autre manière. Une décision de la Cour constitutionnelle en vue de modifier ou d'annuler l'acte individuel peut être demandée même dans les cas où la décision d'une juridiction est déjà passée en force de chose jugée.

Aux termes du premier paragraphe de l'article 161 de la Constitution ou de l'article 43 de la loi sur la Cour constitutionnelle, cette dernière a la possibilité d'abroger une loi ou un autre acte juridique avec effet suspensif, ce qui signifie que les conséquences juridiques prennent effet seulement après le délai fixé dans le dispositif de la décision. Dans le cas où il s'agit d'une loi, la Cour constitutionnelle est liée par la Constitution qui fixe ce délai maximum à un an. Dans ce cas aussi, la Cour doit apprécier si les circonstances du cas d'espèce justifient cette mesure. Elle l'utilise notamment lorsque l'abrogation à effet immédiat entraînerait une situation encore plus contraire à la Constitution que celle où la loi inconstitutionnelle resterait encore en vigueur pendant un certain temps.

Le deuxième paragraphe de l'article 48 de la loi sur la Cour constitutionnelle lui donne la possibilité d'apprécier si le législateur a omis une réglementation nécessaire prévue par la Constitution. Si la Cour constitutionnelle estime qu'une norme est inconstitutionnelle ou illégale parce qu'elle ne règle pas une question qu'elle aurait dû régler ou la règle d'une manière qui implique son abrogation, la Cour adopte une décision déclaratoire en vertu du premier paragraphe de l'article 48 de la loi sur la Cour constitutionnelle. Le législateur ou l'organe concerné doit faire disparaître l'inconstitutionnalité ou l'illégalité dans le délai déterminé par la Cour constitutionnelle.

En 1993, la Cour constitutionnelle a décidé de rendre pour la première fois une nouvelle forme de décision - la décision d'interprétation. Ces décisions sont nécessaires lorsqu'une norme contestée est interprétée et appliquée de plusieurs façons dont certaines sont acceptables et d'autres non. L'abrogation de la norme dans ce cas n'a pas de sens puisqu'elle affecterait aussi ceux qui l'utilisaient conformément à la Constitution de sorte qu'il faut avoir recours à la décision d'interprétation. La Cour constitutionnelle a introduit cette technique en s'inspirant des expériences des autres juridictions constitutionnelles sans avoir de base constitutionnelle (même la loi sur la Cour constitutionnelle ne lui donne pas explicitement cette possibilité). C'est bien à travers la technique de l'interprétation que la Cour constitutionnelle s'approche le plus du domaine réservé au législateur. Il s'agit, pour la Cour, d'indiquer explicitement, dans le dispositif, le contenu qu'il convient de donner à une norme. Il est cependant nécessaire de se poser la question suivante : quelle est la marge de liberté appartenant au législateur lorsqu'il doit faire disparaître les inconstitutionnalités constatées et quelle est la marge de liberté de la Cour constitutionnelle ? Cela dépend souvent des rapports de force entre les pouvoirs. Par sa décision d'interprétation, la Cour constitutionnelle maintient la norme contestée au sein du système juridique avec le sens et la portée qui sont conformes à la Constitution et l'exclut du système juridique dans son interprétation contraire à la Constitution (l'obligation est faite à tous les organes de l'État d'agir conformément à la décision de la Cour constitutionnelle).

  • A.M. - Est-ce que, pour statuer, la Cour constitutionnelle a également recours à la méthode comparative ?

J.C. À la question de savoir si la pratique constitutionnelle slovène s'est adaptée et si elle est devenue plus comparable à la pratique jurisprudentielle étrangère en ce qui concerne les droits et libertés fondamentaux depuis l'adoption de la Constitution de 1991, il est raisonnable de répondre qu'elle se rapproche de cette pratique étrangère.

La Cour constitutionnelle analyse les décisions des juridictions étrangères, mais aussi celles de la Cour Européenne des Droits de l'Homme. Dans la motivation de ses décisions, elle se réfère parfois explicitement aux décisions des autres juridictions constitutionnelles et les juges de la Cour font de même dans leurs opinions dissidentes. Depuis 1994, date de la ratification par la République de Slovénie de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, les décisions des autres juridictions constitutionnelles et des juridictions suprêmes aux compétences équivalentes ainsi que les décisions de la Cour européenne des droits de l'homme sont très souvent présentées dans les rapports internes, préparés pour les juges avant qu'ils ne statuent sur une affaire. À ce stade, on prépare souvent aussi des analyses de droit comparé portant sur des questions spécifiques qui s'avèrent importantes pour l'appréciation des affaires. Aujourd'hui, il est pratiquement impossible d'envisager un contrôle constitutionnel de qualité sans que les juges aient connaissance des aspects de droit comparé, des points de vue théoriques et des décisions des autres juridictions européennes sur les aspects constitutionnels fondamentaux d'une affaire spécifique.

  • A.M. - Monsieur le Président, comment les conséquences de l'adhésion de la Slovénie à l'Union européenne se manifestent-elles dans le rôle et le fonctionnement de la Cour constitutionnelle ?

J.C. Même si les propositions d'inscription explicite de l'adhésion à l'Union européenne dans la Constitution ont été refusées, les modifications de la Constitution adoptées en vue de l'adhésion de la Slovénie à l'Union européenne ont rendu possible une adhésion correcte du point de vue constitutionnel. Deux sont essentielles. La première précise que le droit des organisations internationales est appliqué en Slovénie « conformément à l'organisation juridique de ces organisations » ce qui permet l'application directe et la primauté du droit de l'Union européenne. La deuxième se rapporte aux motifs de l'adhésion de la Slovénie aux organisations internationales qui sont fondées sur le respect des droits de l'homme, de la démocratie et des principes de l'État de droit.

Il faut signaler que, lors de l'adhésion de la Slovénie à l'Union européenne, la Cour constitutionnelle a traité deux cas qui touchaient à la question de l'application ou non du droit de l'UE.

Dans l'affaire sur la procédure de faillite, la Cour constitutionnelle a jugé que le droit constitutionnel à la protection égale des droits n'avait pas été violé envers un citoyen de l'UE parce que, avant l'adhésion à l'UE, la juridiction de l'État avait refusé l'application du règlement de l'UE sur les procédures en cas d'insolvabilité du débiteur en appliquant la législation nationale sur la faillite. D'autre part, la Cour a refusé d'apprécier la conformité de la loi nationale sur la faillite avec le règlement de l'UE en raison de la primauté du droit de l'UE qui requiert l'application directe dudit règlement.

Dans une autre affaire, la constitutionnalité d'un règlement sur le fourrage des animaux était contestée. Ce règlement incorporait la directive de l'UE sur le fourrage des animaux dans son intégralité alors qu'une juridiction anglaise avait saisi la Cour de justice des communautés européennes de la validité de cette directive tout en suspendant son application au Royaume-Uni. Tirant les conséquences de cette situation et en se fondant sur la loi sur la Cour constitutionnelle, la Cour a suspendu provisoirement l'application du règlement sur le fourrage des animaux jusqu'à ce que la Cour de justice réponde à la question préjudicielle qui lui avait été posée. En statuant ainsi, elle n'a tout de même pas pris position sur la question de sa compétence pour examiner un acte d'application de la législation secondaire de l'UE.

Dans le cadre de sa compétence au titre de l'article 160 de la Constitution et en considérant l'article 3.a, article européen de la Constitution, la Cour constitutionnelle slovène devra développer sa propre jurisprudence constitutionnelle.

Sur ce point, il est trop tôt pour dire si la Cour fera prévaloir la primauté de la Constitution nationale en ce qui concerne la protection des droits fondamentaux. Personnellement, je pense qu'elle protégera les droits de l'homme garantis par notre Constitution nationale. Cette position a été partagée par la plupart des participants à la conférence internationale intitulée « Position des Cours constitutionnelles après l'adhésion à l'Union européenne », qui se sont réunis à Bled, en Slovénie, l'année dernière. La conférence a été organisée dans le but d'examiner de manière approfondie les conséquences de l'adhésion à l'Union européenne du point de vue du rôle et des compétences des Cours constitutionnelles des États membres, surtout en ce qui concerne la primauté du droit de l'Union européenne et la situation de ces Cours en ce qui concerne l'article 234 du Traité instituant la Communauté européenne. Je voudrais ajouter que, lors de la conférence, les membres des Cours constitutionnelles des nouveaux États membres de l'Union européenne ont adopté la « Déclaration de Bled » où ils ont souligné l'importance historique et juridique de l'appartenance à l'Union européenne. Des questions concrètes auxquelles les Cours auront désormais à répondre ont été exposées, notamment : les conséquences de la primauté du droit européen, le développement de l'appréciation de la législation de transposition du droit européen, l'interprétation de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et l'instauration de l'équilibre nécessaire entre la souveraineté nationale et le transfert des compétences à l'Union européenne. En mettant l'accent sur les particularités de chaque pays en ce qui concerne son histoire, sa tradition juridique et la position de la Cour constitutionnelle dans le cadre des compétences nationales, les participants ont constaté qu'ils avaient désormais à tenir compte des conséquences de la double appartenance aussi bien à l'Union européenne qu'à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de la nécessité de renforcer la protection des droits de l'homme des citoyens des États membres. Cette situation exige le rapprochement des pratiques juridiques nationales avec la pratique juridique européenne.

A.M. - Monsieur le Président, merci de vos réponses.