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Documents et procédures

Cahiers du Conseil constitutionnel n° 15 - janvier 2004

Depuis 1983 les saisines sont publiées au Journal officiel à la suite des décisions du Conseil constitutionnel. Il en va de même depuis 1995, des observations en réponse présentées par le gouvernement.

Il a paru cependant opportun de porter à la connaissance du public, avec l'autorisation de leurs auteurs, certains autres documents de procédure, parmi les plus intéressants.


Décision n° 2003-467 DC du 13 mars 2003

Loi pour la sécurité intérieure

Mémoire en réplique de plus de soixante sénateurs

Paris, le 11 mars 2003

Réplique par plus de 60 sénateurs aux observations du gouvernement sur les recours dirigés contre la loi pour la sécurité intérieure

Monsieur le président du Conseil constitutionnel,
Mesdames et Messieurs les membres du Conseil,
2 rue de Montpensier, 75001 Paris.

Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les membres du Conseil Constitutionnel, les observations du gouvernement sur les griefs développés par la saisine vous déférant la loi pour la sécurité intérieure, appellent, de notre part, les répliques suivantes.

I. Sur l'article 3 de la loi

Le gouvernement ne répond que très partiellement aux griefs développés dans la saisine et n'emporte pas l'adhésion. Qu'en particulier, les questions soulevées par la possibilité de prononcer des réquisitions ne sont pas les seules critiquées. Qu'il en va ainsi, notamment, des mots figurant à la fin du 4 ° introduit par la loi dans l'article L. 2215-1 du code général des collectivités territoriales : « ... et prescrire toute mesure utile jusqu'à ce que l'atteinte à l'ordre public ait pris fin ». Corps de phrase auquel il est fait référence par le troisième alinéa prévu pour ce 4 ° nouveau en ce que « le préfet peut faire exécuter d'office les mesures prescrites par l'arrêté qu'il a édicté ». Or sur ce point, les observations du gouvernement sont muettes.

A. S'agissant, d'une part, du pouvoir de réquisition, la réponse du gouvernement n'est pas convaincante et reste taisante sur les graves interrogations posées par l'expression « toute mesure utile ».

Il est éclairant de lire sous la plume du gouvernement, la liste des nombreux fondements au titre desquels, les préfets peuvent procéder à des réquisitions. Le ministre de l'intérieur avait indiqué, lors de la séance du 16 janvier 2003, que cette disposition était nécessaire pour « donner un fondement juridique solide au pouvoir de réquisition du préfet » afin de traiter des crises liées à des catastrophes naturelles, sanitaires ou industrielles.

Or, il apparaît que ces situations sont déjà couvertes par les textes en vigueur, ainsi que l'a montré l'actualité récente en matière de dommages graves causés à l'environnement. Les exemples donnés par le gouvernement ne montrent pas en quoi ce pouvoir nouveau est nécessaire. En particulier, la réquisition de certaines entreprises pour procéder au nettoyage de terrains après une « rave partie » laisse songeur dès lors que, en général, ce type de manifestation se déroule sur le territoire d'une seule commune, et qu'au surplus, il est difficile d'y voir une situation répondant à la notion, extraordinaire, de circonstances exceptionnelles.

On ajoutera que pour les situations les plus graves, y compris les menaces liées à l'activité terroriste, c'est le territoire national qui est en cause et c'est au gouvernement de prendre toute mesure adaptée à ces circonstances. Il en va ainsi de la loi du 3 avril 1955 sur l'état d'urgence étendant, après sa déclaration par décret pris en Conseil des ministres, les pouvoirs de police des préfets.

Il faut bien avouer que le gouvernement ne caractérise en rien les situations que l'article critiqué entend réellement appréhender et ne démontre absolument pas sa nécessité. Du fait de cette imprécision, et alors que les libertés publiques et individuelles peuvent être en cause, l'article concerné encourt la censure.

Mais il y a plus.

Si le gouvernement se montre disert sur les différents régimes permettant les réquisitions, il est totalement silencieux sur le sens et la portée de l'expression « toute mesure utile » en relation avec l'atteinte à l'ordre public.

C'est dire sa gêne.

Dans cette notion très floue, gisent tous les vices que les auteurs ont dénoncé dans leur saisine. En l'absence d'intervention de l'autorité judiciaire, celle-ci n'étant prévue en aucune façon par le texte critiqué, cet article ne peut échapper à la censure. L'argument selon lequel, dans le cadre des pouvoirs de police administrative, le législateur n'est tenu, par aucune règle de valeur constitutionnelle, de prévoir l'intervention de l'autorité judiciaire apparaît pour le moins paradoxal. La critique principale, en effet, repose sur la circonstance que la définition fort large et imprécise retenue par cet article risque de placer abusivement dans le champ de la police administrative ce qui relèverait normalement de la police judiciaire. S'il s'agit d'éviter la constitution d'un barrage routier, on peut se trouver dans le champ de la police administrative. S'il s'agit de réprimer ceux qui auraient commis une infraction à l'occasion d'un tel barrage, on est dans le champ de la police judiciaire. La première hypothèse relève des pouvoirs du préfet, la seconde de ceux du procureur de la République.

Autrement dit, la présente disposition confère au préfet le pouvoir de placer sous sa seule autorité des actes de police qui relèvent habituellement du pouvoir de contrôle de l'autorité judiciaire. On en voudra pour preuve que les mots « atteinte à l'ordre public ait pris fin » peuvent parfaitement couvrir la recherche et la répression d'infractions commises ou en cours de commission.

B. S'agissant, d'autre part, du pouvoir reconnu par l'article au tribunal administratif de prononcer une astreinte, elle pose problème pour ce qui concerne les personnes physiques.

Qu'en effet, dans un récent arrêt, le Conseil d'État, interrogé par le tribunal administratif de Toulouse, a considéré que le pouvoir d'astreinte ne valait à l'encontre des personnes physiques dès lors qu'il « ressort du rapprochement des dispositions, issues de la loi du 8 février 1995, des articles L. 911-1 et suivant du code de justice administrative qu'elles n'ont pas eu pour objet de créer, à l'encontre des personnes privées n'entrant pas dans leur champ d'application et pour l'exécution d'une obligation de payer, un régime d'astreinte qui se substituerait ou s'ajouterait aux voies d'exécution de droit commun » (CE, 28 oct. 2002, M. Walter et autres, n° 240088).

L'article critiqué entend donc bien, allant au-delà de la lettre et de l'esprit du code de justice administrative, prévoir un régime particulier de sanction administrative, prendrait-il la forme de l'astreinte, qui s'ajoutant aux voies de droit commun constituerait une procédure répressive singulière risquant, en définitive, de conduire à la condamnation d'une personne physique pour un montant total supérieur au montant total de l'amende prévu par le dernier alinéa de l'article en cause.

De tous ces chefs, la censure est certaine.

II. Sur l'article 11 de la loi

Le gouvernement prétend, pour l'essentiel, que cette disposition créant un nouvel article 78-2-2 dans le code de procédure pénale, répond à l'ensemble des exigences posées par votre jurisprudence la plus classique et particulièrement par la décision du 12 janvier 1977.

En réalité, force est de constater qu'il n'en est rien.

La décision précitée du 12 janvier 1977 a jugé que le texte alors soumis à votre examen portait atteinte aux principes essentiels sur lesquels repose la protection de la liberté individuelle en pointant, entres autres vices, « le caractère très général des cas dans lesquels ces pouvoirs [de contrôle] pourraient s'exercer ? » (cons. 5). Si les auteurs de la saisine ne peuvent que s'associer à toute procédure tendant à faciliter la lutte contre les actes de terrorisme ou des infractions particulièrement graves, c'est en demeurant vigilant pour qu'une telle démarche ne serve pas de prétexte à des mesures plus générales et n'ayant pas la même justification.

Si le texte querellé prend soin de reprendre certaines des garanties déterminées par votre jurisprudence, et en particulier l'intervention ab initio de l'autorité judiciaire, il demeure que les hypothèses dans lesquels ces contrôles pourront être diligentés sont particulièrement larges et, dans la réalité des faits, permettront de viser toute infraction, hors même l'exigence de gravité avancée par le gouvernement tant au cours des débats au Parlement que dans les observations.

On a vu que le visa de l'article 227-37 du code pénal permettrait de fouiller tout véhicule où des personnes consommeront des stupéfiants. On imagine, par exemple, au sortir des discothèques ou dans certains quartiers comment cela pourra donner lieu à des « campagnes de fouilles ».

Le fait de viser les articles 321-1 et 321-2 du code pénal permettrait des opérations encore plus générales, dès lors qu'il s'agit là de l'infraction de recel. Or, comme le relève la Cour de Cassation, ce texte « rédigé en termes généraux ne distingue pas entre les différents crimes et délits à l'origine de l'obtention des choses recelées », ce qui exclut seulement les contraventions (Crim., 10 juill. 1969, D. 1969, 546). Il a ainsi été jugé que la chose recelée pouvait provenir d'infractions aussi variées que le détournement de correspondance ou un paiement de chèque sans provision (Crim., 3 oct. 1972, D. 1972, 718), et qu'il y a recel même si l'auteur de l'infraction d'origine n'a pas encore été condamné ou n'a pas été identifié (Crim., 9 nov. 1965, D. 1966, 65).

C'est dire que cela ouvre un champ pour des campagnes de fouilles particulièrement ambitieuses et larges dans leur compréhension.

Il s'en évince une double critique complémentaire.

D'une part, et le gouvernement s'est bien gardé d'y répondre dans ses observations, il paraît difficile dans ces conditions que l'autorité judiciaire puisse assurer le contrôle effectif, permanent et direct desdites opérations (Cass., Ch. mixte, 15 déc. 1988). L'exigence telle que posée par votre jurisprudence pour ce qui est du rôle de l'autorité judiciaire n'est évidemment pas seulement d'apparence, mais doit être concrètement exercé.

Or, la réalité oblige à considérer que le champ très large, y compris toutes les infractions d'atteintes aux biens, retenu par l'article critiqué rend le respect de cette condition, constitutionnellement imposée, impossible.

D'autre part, et contrairement aux écritures du gouvernement, le fait de prévoir que les infractions révélées par une fouille de véhicule n'entraîneront pas la nullité des procédures incidentes manque à tous les principes de la procédure pénale. Si l'article 78-2 du code de procédure pénale prévoit certes une disposition de même facture, c'est en raison de son caractère général propre aux contrôles d'identité.

En revanche, s'agissant des visites, les articles 706-24, 706-28 et 706-35 dudit code, lesquels tendent pourtant à réprimer les actes de terrorisme, de trafic de stupéfiants et de proxénétisme, retiennent le principe de nullité des procédures incidentes.

On voit bien au terme de cette comparaison entre deux mécanismes forts distincts, que le dispositif critiqué ne tend pas à des visites de véhicules, précisément encadrées pour la recherche de personnes poursuivies dans le cadre de la répression d'infractions particulières, mais à rendre possibles des contrôles généraux dont l'autorité judiciaire ne pourra pas s'assurer véritablement.

Dans ces conditions, il ne peut faire de doute que l'article critiqué tend à rendre possible des fouilles générales de tous les véhicules et sans que la recherche d'infractions précises en constituent le cadre limité placé sous le contrôle direct et permanent de l'autorité judiciaire.

De tous ces chefs, la censure ne peut-être évitée.

III. Sur l'article 12 de la loi

Les observations du gouvernement font valoir qu'il s'agit d'une procédure spéciale aux crimes et délits flagrants et qu'en conséquence, les dispositions applicables à cette phase de la procédure le sont également en l'espèce.

Cette lecture de son texte par le gouvernement, conscient du vice constitutionnel l'affectant, ne peut davantage emporter la conviction.

D'abord, on relèvera que les dispositions relatives aux enquêtes de flagrance relèvent du chapitre I du titre II du Livre Ier du code de procédure pénale alors que l'article critiqué figure au chapitre III de ce même titre. Sans renvoi exprès aux articles 53 à 74 de ce code, et notamment 56-1 à 57, l'article 78-2-3 en cause ne saurait relever des mêmes garanties.

Ensuite, et pour preuve, il suffit de constater que l'article 78-2 du code de procédure pénale à la suite duquel l'article querellé prend place, prévoit expressément les modalités d'intervention du juge judiciaire. Que s'agissant d'une enquête de flagrance, rien n'interdirait de procéder sous le contrôle de cette autorité ainsi que l'a prévu pour les visites domiciliaires l'article 706-24 du code de procédure pénale.

Il est donc acquis qu'en ne prévoyant pas, expressis verbis, l'intervention de l'autorité judiciaire, l'article critiqué méconnaît les principes constitutionnels qui s'appliquent à la matière.

IV. Sur l'article 13 de la loi

Le gouvernement prétend que cet article s'inscrit dans le cadre de la police administrative, en sorte que le rôle subalterne et plus que limité de l'autorité judiciaire s'en trouverait justifié.

La démonstration ne convainc toujours pas surtout si l'on confronte ce mécanisme à votre jurisprudence aux termes de laquelle « la pratique de contrôles d'identité généralisés et discrétionnaires serait incompatible avec le respect de la liberté individuelle » (déc. n° 93-323 DC du 5 août 1993, cons. 9).

En premier lieu, on doit s'interroger sur la présence dans le code de procédure pénale d'un dispositif relevant de la police administrative, donc placé sous l'autorité du préfet, alors que le Livre Ier de ce code, au sein duquel s'insère l'article concerné, vise les opérations conduites par les officiers de police judiciaire, et dans certaines conditions les agents de police judiciaire, sous l'autorité du procureur de la République ou du juge de l'instruction et des libertés.

L'incohérence ne s'arrête pas là, dès lors que le gouvernement écrit que ce dispositif n'est pas « sans analogie avec le mécanisme de l'enquête préliminaire non coercitive qui permet de pratiquer une perquisition domiciliaire ? » (p. 12 des observations en réponse du gouvernement). Or, par définition, les enquêtes préliminaires relèvent de la police judiciaire.

Il s'ensuit que la défense du gouvernement paraît singulièrement floue.

Force est de constater que cet article, à l'instar de plusieurs autres dispositions de la loi, aboutit à rendre perméable la frontière entre la police judiciaire et la police administrative. L'enjeu n'est pas alors seulement celui de la théorie du droit, mais des garanties constitutionnelles que ces qualifications entraînent.

C'est bien la logique protectrice des libertés individuelles dessinée par vos décisions des 7 janvier 1977 et 19-20 janvier 1981 qui serait remise en cause par l'admission d'une telle porosité entre les notions de police administrative et de police judiciaire. La vigilance qui s'impose en la matière ne manque jamais d'être rappelée par la Cour de Cassation. Ainsi, faisant directement application de votre décision du 5 août 1993 (déc. n° 93-323 DC), la haute juridiction a jugé que « le nouveau texte n'autorise pas pour autant les contrôles effectués au titre de la police administrative en l'absence de toutes conditions de fond susceptibles de faire présumer une menace pour l'ordre public » (Civ. 2e, 28 juin 1995, Bechta).

Or, comme cela a été montré dans la saisine (p. 12), une lecture comparée avec l'article 78-2 du code de procédure pénale montre qu'aucune des précisions propres à justifier de tels contrôles ne sont ici présentes.

Pour le dire autrement, l'article critiqué vise, à l'instar des articles 11 et 12 de la loi, à généraliser les fouilles de véhicules sans que les garanties prévues en matière de contrôle d'identité soient prescrites.

De ces chefs, la censure est encourue.

V. Sur les articles 21 à 25 de la loi

Les observations du gouvernement entreprennent, sans convaincre, de réécrire les articles en cause pour tenter de les faire échapper à l'invalidation. Par ailleurs, certaines des dispositions de ces articles sont passées sous silence alors qu'elles ont fait l'objet d'une critique précise dans la saisine, montrant ainsi l'embarras du gouvernement.

S'agissant de la constitution de ces fichiers, les auteurs de la saisine sont satisfaits de lire que la loi du 6 janvier 1978 s'appliquera pleinement à ceux-ci ; même s'il eut été, sans doute, plus simple de le prévoir d'emblée...

Cette précision ne peut cependant suffire à sauver le mécanisme mis en place par les articles critiqués et en particulier au regard du principe de finalité dont le respect est propre à garantir la liberté individuelle et la vie privée.

Or, force est de constater qu'à cet égard, et contrairement aux allégations du gouvernement, aucune des craintes relevées par la CNIL dans sa délibération du 19 décembre 2000 relative au fichier dit « STIC » et dans sa délibération du 24 octobre 2002 sur la présente loi, ne font l'objet d'explications ou de justifications satisfaisantes au regard des dangers que ces fichiers, aux contenus très larges, peuvent faire courir aux libertés individuelles.

Si comme indiqué, il s'agit de fichiers visant à faciliter les enquêtes judiciaires (observations du gouvernement, p. 16), en conservant des antécédents judiciaires est-on tenté d'ajouter, rien du point de vue de cette finalité, ne justifie la faculté envisagée pour leur consultation dans des conditions aussi ouvertes que celles prévues par l'article 13 de la loi.

D'une part, la liste des enquêtes administratives pouvant justifier la consultation de ces fichiers sera prévue par décret. En sorte qu'à cet instant, on ignore si celles-ci seront respectueuses de la finalité de ces fichiers. En renvoyant à cet égard au pouvoir réglementaire sur ce point, le législateur, en tout état de cause, est resté en deçà de sa compétence telle que définie par l'article 34 C.

Enquêtes qui ne seront pas placées sous l'autorité judiciaire.

D'autre part, et le gouvernement ne dit mot à cet égard, rien au regard de la finalité d'un fichier facilitant les enquêtes judiciaires ne peut fonder son accès pour l'instruction des demandes d'accession à la nationalité française ou au renouvellement de la carte de séjour. La filiation de ces mesures avec les programmes de certains partis politiques doivent, à n'en pas douter, expliquer le silence des observations du gouvernement sur ces paragraphes de l'article 13.

De tous ces chefs, la censure ne peut être évitée.

VI. Sur l'article 30 de la loi

Il n'est pas réellement répondu aux griefs développés dans la saisine. Mais, surtout, le gouvernement peine à justifier que le simple témoin puisse être soumis à une telle mesure contraignante.

Le statut de témoin s'oppose à ce qu'il soit traité comme une personne à l'encontre de laquelle des indices graves et concordants existeraient. L'article 62 du code de procédure pénale le montre implicitement. Cela permettra également de contourner l'article 105 du code de procédure pénale prohibant que les personnes à l'encontre desquelles il existe des indices graves et concordants d'avoir participé aux faits dont le juge d'instruction est saisi ne peuvent pas être entendues comme témoins.

L'article critiqué en retenant le témoin parmi les personnes susceptibles d'être soumises à ces prélèvements externes, dont la portée juridique est identique aux investigations corporelles internes, méconnaît les grands équilibres de la procédure pénale et le principe de la présomption d'innocence.

VII. Sur l'article 50 de la loi

L'argumentation du gouvernement justifie pleinement les griefs dirigés contre cette disposition.

En premier lieu, la thèse selon laquelle une « attitude même passive » répond aux exigences du principe de légalité des délits et des peines et permet d'éviter toute application arbitraire ne résiste pas à l'examen un seul instant.

Par définition, le fait d'inciter autrui à quoi que ce soit, y compris à des relations sexuelles contre rémunération, suppose un acte positif et donc une attitude active. Ainsi que le dictionnaire Le Petit Robert l'indique, l'état passif est caractérisé par le fait de subir, d'éprouver. C'est le cas d'une personne qui se contente de subir, de ne faire preuve d'aucune activité, d'aucune initiative (édition mise à jour en juin 2000).

La Cour de cassation a jugé que le seul fait de déambuler sur la chaussée et de s'adresser à des automobilistes ou à des piétons qui se sont arrêtés spontanément à sa hauteur sans y être invités ne peut constituer à lui seul, de la part de la personne prévenue, l'infraction de racolage actif (Crim., 25 juin 1996).

Au surplus, une telle définition pourra justifier des contrôles d'identité incessants et non justifiés. Il en ira de même des fouilles de véhicules. Or, comme cela a déjà été rappelé, vous avez jugé que « la pratique de contrôles d'identité généralisés et discrétionnaires serait incompatible avec le respect de la liberté individuelle » (déc. du 5 août 1993, préc.).

Il est tout simplement impossible de considérer que la définition de la nouvelle infraction couvre une situation suffisamment précise au regard du principe de légalité. Elle ne peut qu'entraîner, bien au contraire, des applications arbitraires selon l'appréciation variable des officiers de police judiciaire et selon des circonstances étrangères à la définition du délit. On imagine aisément que la personne se prostituant notoirement subira la pression permise par une définition aussi floue.

On ajoutera que le gouvernement avance pour tenter de sauver la disposition que les prostitués qui se livrent à cette activité ont un comportement plus agressif et plus outrancier (p. 23 des observations). Là encore, un tel comportement est tout sauf passif et révèle une attitude plus qu'active.

En second lieu, sur le principe de nécessité tel que porté par l'article 8 de la Déclaration de 1789 et la critique de disproportion manifeste, le gouvernement ratifie, paradoxalement mais nécessairement, la thèse de la saisine.

La seule justification apportée pour justifier l'introduction d'un nouveau délit flou et imprécis dans le code pénal, et alors qu'y demeure une autre infraction de nature contraventionnelle aux termes très proches, tient donc au fait que les personnes se livrant à la prostitution et venant de pays étrangers seraient plus « agressives et outrancières ».

On remarquera d'abord qu'il n'est guère acceptable de désigner ainsi des personnes qui sont souvent les victimes de réseaux criminels, étant parfois réduites à l'état d'esclavage. Que leur comportement prétendument agressif mérite moins d'entrer dans la catégorie des délinquants que de susciter l'aide et l'assistance.

Mais surtout, ensuite, le raisonnement implicitement suivi par le gouvernement aboutit à considérer que l'infraction de l'article R. 624-8 du code pénal jouera pour les prostitués « classiques », évidemment de nationalité française, alors que le délit du nouvel article 225-10-1 du code pénal serait applicable aux prostitués « nouveaux » de nationalité étrangère. Cette lecture expressément proposée par le gouvernement dans ses écritures en défense, et qu'il n'avait pas osé exprimer aussi crûment lors des débats, se heurte au principe d'égalité aux termes duquel on ne saurait discriminer entre les français et les étrangers lorsque sont en cause les droits et libertés fondamentaux. Votre jurisprudence est assez abondante à cet égard pour ne pas la rappeler.

Une telle logique est insupportable et inacceptable dans un État de droit.

On ajoutera que si des agressions sont le fait de personnes se livrant à la prostitution, vols, coups, extorsions de fonds, l'arsenal de notre droit répressif comprend suffisamment d'infractions pour réprimer de telles exactions.

Enfin, le gouvernement se garde bien de répondre à l'argument selon lequel cette nouvelle infraction permettra, en réalité, de placer en garde à vue certains prostitués selon le bon vouloir des forces de l'ordre.

Le code pénal en comprenant deux infractions de même sens, mais dont l'une est plus large car floue et imprécise, permettra de moduler non seulement la répression des comportements selon des applications arbitraires, mais, de surcroît, de les soumettre à des régimes de procédure pénale différents. Dans le cadre du nouveau délit, c'est bien le placement en garde à vue qui justifiera cette qualification plutôt que celle figurant à l'article R. 625-8 du code pénal.

Or, du point de vue de la nécessité des peines, cette construction ne peut satisfaire. Ainsi qu'il a été amplement montré, comme le reconnaît le gouvernement, l'article R. 625-8 du code pénal autorise déjà la répression des attitudes provocatrices et la police administrative rend possible d'assurer la tranquillité publique et notamment celle des riverains de certains quartiers.

Du point de vue de l'ordre public, cette nouvelle infraction n'apporte rien. En revanche, elle soumet à un régime de procédure pénale plus sévère certaines personnes selon des appréciations qui peuvent se révéler totalement arbitraires.

Les critères dégagés dans votre décision du 16 juillet 1996 sont ici pleinement réunis et l'invalidation de l'article critiqué ne méconnaîtrait en rien le pouvoir d'appréciation du Parlement, dès lors qu'il s'agirait de censurer une erreur manifeste d'appréciation ainsi que vous l'avez décidé encore très récemment (déc. n° 2003-466 DC du 20 févr. 2003).

En troisième lieu, le gouvernement feint de ne pas comprendre en quoi cette disposition pourrait porter atteinte au principe de dignité humaine.

La réalité des réseaux criminels qui réduisent au rang d'esclaves certains des prostitués, ne peut pas être, au moment où l'on discute de la portée de la disposition critiquée, ignorée.

Le placement en garde à vue arbitraire des personnes relevant de ces réseaux, les rendra suspectes aux yeux de leurs tortionnaires d'avoir, par exemple, révélé certains noms ou faits aux autorités de police. Elles représenteront alors un risque pour ces criminels et risqueront de subir des représailles qui peuvent aller jusqu'à des traitements inhumains et dégradants. Ces dernières années ont malheureusement montré que ce ne sont pas là des hypothèses.

Plus gravement, si elles apparaissent une menace décidément trop sérieuse pour le réseau, ces personnes, réduites en esclavage, risqueront d'être envoyées dans un autre pays pour continuer la prostitution ou même dans leur État d'origine. Elles seront alors exposées à des traitements inhumains et dégradants encore plus graves, si on peut imaginer un degré dans l'horreur, voire à la mort.

Autrement dit, pour satisfaire la tranquillité publique, et alors que notre droit offre tous les moyens de répondre aux attentes des riverains, on prend le risque de soumettre à des traitements inhumains et dégradants les prostitués victimes de réseaux criminels pour qui la vie de son prochain ne compte pas. On ajoutera qu'aujourd'hui de nombreuses associations à but humanitaire offrent l'aide et l'assistance à ces personnes et peuvent parfois les extraire de cette souffrance psychique et physique. C'est cette petite lueur d'espoir qu'on risque aussi de réduire à néant.

Du point de vue de la dignité humaine, le fait que les atrocités se dérouleraient hors le territoire national ne change évidemment rien à la force du raisonnement.

Entre la législation-spectacle qui n'apporte rien à l'ordre public et la sauvegarde de la dignité et de la vie humaine, il apparaît que dans un État de droit, le choix ne souffre guère d'hésitations.

En dernier lieu, en ce qui concerne la pénalisation du client de la personne qui se prostitue en situation de vulnérabilité, le gouvernement ne répond pas aux griefs développés.

Les auteurs de la saisine n'ignorent pas la présence de la notion de vulnérabilité dans notre droit. En revanche, ils pointent la difficulté de l'appliquer aux cas visés par l'article critiqué.

En effet, d'une part, on doit avouer que toute personne victime d'un réseau criminel l'ayant réduite en esclavage doit être regardée comme vulnérable. D'autre part, le gouvernement ne répond pas au fait que cette disposition risque d'entraîner une prostitution clandestine se déroulant dans des conditions dégradantes.

On rappellera que l'article 225-14 du code pénal réprime le fait de soumettre une personne, en abusant de sa vulnérabilité ou de sa situation de dépendance, à des conditions de travail ou d'hébergement incompatibles avec la dignité humaine. La Cour d'Appel de Paris a jugé une telle infraction encore récemment (CA Paris, 19 mars 2002). Pourtant, c'est bien cette conséquence que l'article critiqué porte en lui.

En repoussant inévitablement vers la clandestinité une partie de la prostitution, on risque de faire subir des traitements inhumains et dégradants aux personnes concernées. À cet instant, une intention louable risque de se transformer en remède pire que le mal.

De tous ces chefs, la censure est encourue.

VIII. Sur l'article 51 de la loi

Pour tenter de sauver cette disposition, le gouvernement établit une comparaison avec le proxénétisme hôtelier. Cette comparaison ratifie la thèse des saisissants.

L'élément matériel du délit de proxénétisme par fourniture de locaux consiste à accepter ou à tolérer habituellement qu'une ou plusieurs personnes se livrent à la prostitution à l'intérieur de l'établissement ou de ses annexes ou y recherche des clients en vue de la prostitution. Pour entrer en voie de condamnation, le juge doit relever avec précision les éléments constitutifs, et particulièrement l'habitude qui en constitue un élément essentiel (Crim., 18 avr. 1989, Dr. pén. 1990, n° 53).

On le voit, il s'agit là de réprimer dans le cas du proxénétisme par assimilation, celui qui, personne physique ou personne morale, tire profit de la prostitution d'autrui même indirectement ou la facilite en faisant fonction d'auxiliaire ou d'intermédiaire.

Rien de tel en l'espèce.

Le fait de vendre une voiture, en sachant que son acquéreur va l'utiliser pour se prostituer, n'érige pas le vendeur, concessionnaire automobile ou particulier, en auxiliaire même occasionnel de la prostitution d'autrui. Interdire cette vente constitue du point de vue de la liberté d'entreprendre, une limitation injustifiée dès lors que l'acquéreur se propose d'utiliser ce bien pour une activité licite.

Plus fondamentalement, le fait de vendre un bien meuble de consommation courante à une personne qui exerce une activité libre, ce qu'est encore la prostitution, ne saurait transformer quiconque en proxénète. Admettre, ce que le code pénal n'a encore jamais fait, que les actes les plus courants de la vie quotidienne deviennent interdits à la personne qui se prostitue, ne peut que conduire à leur isolement social et à la marginalité qui en résulte souvent. Car, au surplus, une voiture peut fort bien servir pour partie à la prostitution et pour une autre part à des déplacements d'ordre privé et, pourquoi pas, à des voyages en famille. La mesure critiquée empêcherait cette liberté d'aller et venir et plus fondamentalement la liberté individuelle de la personne se prostituant.

Pour tout dire, on imagine que les réseaux de criminalité et les proxénètes pourront se fournir des véhicules automobiles de toutes autres manières. Ne se livrant pas eux-mêmes à la prostitution ils ne seraient pas, en outre, concernés par cette nouvelle infraction. L'article querellé est d'autant plus inutile que pour contourner la mesure, il suffira d'acquérir un véhicule via un prête nom ou dans un État frontalier. Les réseaux n'auront aucune difficulté pour y parvenir, la personne se prostituant sera souvent la seule affectée.

Cette mesure inutile porte une atteinte injustifiée à plusieurs droits et libertés fondamentaux et encourt la censure.

IX. Sur l'article 65 de la loi

Le gouvernement ne montre pas en quoi la nouvelle infraction se distingue de celle d'extorsion de fonds ni en quoi, elle est strictement nécessaire.

D'une part, on ne voit pas, ni au titre de la ratio legis ni au titre de la jurisprudence, en quoi l'infraction d'extorsion de fonds ne pourrait pas se réaliser sur la voie publique. D'autre part, aucune précision n'est apportée sur les « attitudes d'intimidation qui ne tomberaient pas nécessairement sous le coup du délit », précité.

Il est cependant reconnu que la nouvelle infraction permettra le placement en garde à vue des personnes se livrant à la mendicité. Or, de deux choses l'une : où nous sommes en présence d'une extorsion de fonds et cela se justifie pleinement, ou nous sommes confrontés à une mendicité hyperactive et cela n'est pas nécessaire.

Quant à la proportionnalité des peines, si le gouvernement tente d'y répondre pour ce qui concerne l'article 64 de la loi critiquée, il reste silencieux s'agissant de l'article 65.

À la lecture des observations du gouvernement, on se rappellera les propos de M. l'avocat général Bonalt, tenus lors de son discours prononcé à l'occasion de l'audience solennelle de la cour d'appel de Paris, le 16 octobre 1889, sur la « mendicité, des moyens de la prévenir et de la réprimer » : « La misère n'est ni un crime, ni un délit, c'est un malheur pour celui qu'elle atteint ; or, on ne punit pas le malheur, on le soulage quand on n'a pas pu le prévenir ». Au xxie siècle, ces paroles fortes paraissent conserver toute leur actualité.

Paroles qui valent aussi pour les articles 50 et 51 de la loi critiquée.

X. Sur l'article 76 de la loi

Le gouvernement fait l'aveu que les mots « sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public » sont superflus dès lors qu'ils rappellent la condition générale de préservation de l'ordre public.

Or, du fait des nouvelles infractions créées, cette condition risque de jouer très souvent et d'autant plus que les fichiers de police, créés en application de l'article 21 de la loi, constitueront une source de vérification permanente au titre de l'article 25.

Contrairement à ce qu'affirme le gouvernement, cette disposition protectrice doit pouvoir jouer alors que la personne concernée est encore en situation de se prostituer mais essaie d'arrêter. Le fait de dénoncer constitue précisément un des moyens d'y parvenir.

Ces quelques mots sont donc inutilement restrictifs et ruinent l'impact même de la mesure proposée. Étant séparables du reste de l'alinéa, ils peuvent être invalidés sans que le mécanisme d'ensemble soit affecté.

Il en va de même pour la limite fixée en ce qui concerne la délivrance de la carte de résident. La personne prostituée en dénonçant tel ou tel membre d'un réseau ou un proxénète isolé, prendra des risques importants pour sa vie. Il est donc important que sa protection soit très élevée. Face à de tels risques, le témoignage abusif paraît peu probable.

C'est pourquoi, il convient de censurer cet alinéa, également séparable de l'article, en sorte que le droit commun des étrangers pourra s'appliquer pleinement, dans le respect de l'équilibre nécessaire entre la protection du témoin et de la personne mise en cause dans une procédure pénale.

Les invalidations partielles ainsi décomposées répondent tant à l'objectif de l'ordre public qu'à la nécessaire protection de personnes victimes de réseaux criminels.

XI. Sur l'article 113 de la loi

Les exemples avancés par le gouvernement pour défendre cette disposition ne peuvent emporter l'adhésion.

D'une part, les auteurs de la saisine constatent que le gouvernement confirme, implicitement, mais nécessairement, leur argumentation en prenant soin de citer l'article 440 du code de justice militaire. Qu'en effet, cette disposition répond aux statuts particuliers des personnels militaires. Or, comme ne peut l'ignorer le gouvernement, ces fonctionnaires relèvent d'un statut général déterminé par la loi du 13 juillet 1972, qui limite l'exercice de plusieurs libertés constitutionnellement établies. Ainsi, « la force armée étant essentiellement obéissante » (D. du 12 déc. 1790), les militaires ont une liberté d'expression très contrainte, une liberté d'association limitée, un droit de grève et un droit syndical inexistant.

En justifiant la mesure critiquée par l'exemple d'un statut qui, pour des raisons évidentes, limitent les droits et libertés fondamentaux, le gouvernement démontre très clairement qu'il s'agit d'une disposition particulièrement attentatoire à la liberté d'expression du citoyen n'étant pas sous les drapeaux.

On ajoutera que l'article 440 du code de justice militaire ne vise pas l'hymne national. C'est dire que même au titre d'un régime fort dérogatoire au droit commun, il est apparu peu crédible de constituer en infraction une telle hypothèse difficile à cerner raisonnablement.

On espère que dans l'esprit du gouvernement, les citoyens ne sont pas destinés, un jour, à regretter avec Racine que « La gloire d'obéir est tout ce qu'on nous laisse ».

D'autre part, il est éclairant de constater que l'atteinte à l'ordre public avancée n'est absolument pas caractérisée. S'agissant d'une atteinte à la liberté d'expression et de communication des opinions, cette caractérisation précise est pourtant indispensable.

Les autres exemples en font la contre-épreuve évidente. La destruction de biens publics, notamment, suppose des actes matériels précis dont, au surplus, on peut craindre dans certaines circonstances qu'ils aboutissent à interrompre ou à rendre plus difficile la continuité du service public auquel l'édifice ou le bien public en cause est affecté.

Rien de tel en l'espèce.

Quant à l'outrage tel qu'il existe dans le code pénal, il est certain que sa définition n'a pas été reprise dans l'article critiqué. Or, du point de vue de la légalité des délits et des peines, on ne saurait se référer aux éléments constitutifs d'une autre infraction, aurait-elle le même intitulé, dès lors qu'elle vise des comportements différents.

L'outrage par le geste, l'écrit, l'image... peut se comprendre parfaitement quand une personne est en cause. Ces éléments constitutifs sont plus délicats à caractériser lorsqu'il s'agit d'un drapeau ou d'un hymne. Sauf si, comme les auteurs de la saisine le soutiennent, en visant les écrits ou les images ont entend porter atteinte à la liberté d'expression y compris celle de création des artistes.

Enfin, pour ce qui est de la référence à la jurisprudence de la cour de Cassation sur l'apologie de crimes contre l'humanité, on peine à comprendre le lien avec le grief.

De tous ces chefs, la censure est encourue.

XII. Sur les articles 141 et 142

Les observations du gouvernement ne peuvent convaincre.

En particulier, si la suppression d'une procédure consultative est possible au terme de votre jurisprudence, encore faut-il que cela n'aboutisse pas à méconnaître le principe d'égalité. Or, en l'espèce, rien ne justifie que cette consultation de la commission du titre de séjour soit supprimée sur cette seule partie du territoire national.

Par ces motifs et tous autres à déduire ou suppléer, même d'office, les auteurs de la saisine persistent de plus fort dans l'intégralité des griefs dirigés contre l'ensemble de la loi sur la sécurité intérieure.

Nous vous prions de croire, Monsieur le président du Conseil Constitutionnel, Mesdames et Messieurs les membres du Conseil, à l'expression de notre considération la plus haute.

Décision n° 2003-468 DC du 3 avril 2003 1/2

Loi relative à l'élection des conseillers régionaux et des représentants au Parlement européen ainsi qu'à l'aide publique aux partis politiques

Mémoire en réplique de plus de soixante députés

Paris, le 28 mars 2003

Monsieur le président
Mesdames et Messieurs les membres du Conseil constitutionnel
2, rue Montpensier 75001 Paris

Monsieur le président,
Mesdames et Messieurs les conseillers,

Le gouvernement vous a adressé ses observations en réponse à notre saisine portant sur la loi relative à l'élection des conseillers régionaux et des représentants au Parlement européen ainsi qu'à l'aide publique aux partis politiques. Ces observations appellent de notre part la réplique suivante, que nous nous sommes efforcés de rendre aussi concise que possible.

I. À propos de l'article 4 de la loi déférée

A. Sur le grief tiré de la violation de l'article 39

Premièrement, s'il est vrai que le Conseil des ministres peut adopter des dispositions différentes de celles figurant dans le texte soumis au Conseil d'État c'est, comme le gouvernement l'indique lui-même, dans la limite des « questions posées ». L'on ne peut sérieusement soutenir que la présence d'un seuil dans l'avant-projet soumis à la Haute Assemblée suffit à ce qu'ait été posée la question de son niveau, puis à rendre possible la fixation, a posteriori, dudit seuil à n'importe quel niveau. Ce n'est pas d'une différence de niveau qu'il s'agit, comme le soutient le gouvernement, mais bien d'une différence de nature, comme en témoigne la réaction de l'ensemble des formations signataires de la saisine.

Quant à l'affirmation, deuxièmement, selon laquelle une lecture stricte de l'article 39 - celle que commandent ses termes mêmes - porterait atteinte aux pouvoirs du collège gouvernemental, elle est inexacte : la procédure de la lettre rectificative est justement là pour permettre au Conseil des ministres d'exercer librement ses compétences sans porter atteinte à celles que la Constitution confie expressément au Conseil d'État. La « marge de liberté » qu'invoque le gouvernement est définie par l'article 39 lui-même : elle ne saurait l'autoriser à introduire un élément substantiel qui n'a pas été soumis au Conseil d'État, alors surtout, d'une part, que le débat parlementaire a prouvé qu'il s'agissait de la mesure la plus controversée du texte et que, d'autre part, notre saisine a démontré qu'il soulevait des questions constitutionnelles majeures, ce qui n'était nullement le cas, sur ce point, du seuil dont le Conseil d'État avait eu connaissance.

Troisièmement, la comparaison faite avec d'autres consultations obligatoires est distrayante. C'est son seul mérite. Qu'il s'agisse du Conseil supérieur de la fonction publique, ou encore du Conseil économique et social ou des assemblées d'outre-mer, il n'est jamais attendu des instances éminentes de ce type qu'elles veillent à la qualité juridique des textes qui leur sont soumis, laquelle, au contraire, est dans la vocation même du Conseil d'État. De celles-là, on attend des prises de position d'ensemble, qui peuvent éventuellement s'accommoder de certaines lacunes. De celui-ci, on attend un examen détaillé, disposition par disposition, qui perd son sens si lui est soustrait un élément essentiel surtout si, de surcroît, il est hautement problématique.

Quatrièmement, enfin, la référence à l'article 44, sous la plume du gouvernement lui-même, achève de démontrer son erreur. L'article 39 et l'article 44, ainsi que vous l'avez souligné et que nous l'avons rappelé, instituent des procédures différentes, et l'on ne saurait en aucun cas s'affranchir des exigences du premier prétexte pris de l'existence du second.

En définitive, la question n'est pas de savoir si l'article 39 est trop rigoureux - il ne l'est d'ailleurs nullement. Elle est seulement de savoir s'il peut être méconnu impunément. La réponse va d'elle-même.

B. Sur les griefs tirés de l'atteinte à la liberté et au pluralisme

Le gouvernement, en premier lieu, ne répond pas à la démonstration selon laquelle, compte tenu du droit en vigueur, l'objectif prétendument poursuivi est intrinsèquement inconstitutionnel en ce qu'il ne vise nullement à faire émerger une majorité, puisque c'est déjà acquis, mais seulement à procéder à des éliminations abusives, non seulement attentatoires au pluralisme, mais encore inutilement attentatoires à celui-ci.

Le gouvernement, en second lieu, invoque comme un mérite particulier le fait d'avoir prévu la présence minimale de deux listes au second tour. C'était la moindre des choses et il n'y a pas lieu à s'en auto-satisfaire. En revanche, il est muet sur le fait que, précisément lorsque ce résultat serait atteint - seulement deux listes en présence - la prime de 25 % des sièges perdrait toute utilité et, du même coup, toute légitimité, cessant d'être une nécessité pour former une majorité et devenant un privilège indu au profit des vainqueurs.

Dès lors, les soussignés maintiennent l'ensemble de leur argumentation, à laquelle il n'a été opposé aucune objection réelle. Pour faire bonne mesure, ils se permettent d'ajouter deux remarques.

Premièrement, les résultats électoraux constatés, tant dans les scrutins régionaux anciens que dans les autres scrutins plus récents, donnent à penser que, loin de combattre les extrêmes (cf. annexe), le seuil retenu pourrait souvent aboutir à exclure du second tour l'une des listes représentatives des grands partis nationaux, pour ne laisser de place qu'à un face-à-face incertain entre l'autre liste des formations parlementaires et une liste extrémiste, comme c'eût été le cas en Alsace en 1998 mais aussi, en 1992, en Alsace, en Île-de-France, en Lorraine et en Rhône-Alpes ! L'on n'ose croire que cela fasse partie des effets sournoisement recherchés.

Deuxièmement, le mécanisme envisagé aurait pour effet d'exclure des listes dont ni la présence, ni l'autonomie éventuelle ne soulève la moindre difficulté. À titre d'exemples, l'on rappellera que celle qui, en 1992, a conquis la présidence de la région Corse, eût été éliminée, cependant que celui qui, après ces mêmes élections, fut élu président de la région Alsace dirigeait une liste indépendante qui elle aussi avait dépassé 10 % des suffrages exprimés mais n'avait pas non plus recueilli 10 % du nombre des électeurs inscrits, ce qui, avec le dispositif envisagé, l'eût empêché de figurer au second tour, a fortiori d'être porté à la présidence (à laquelle les électeurs le confirmèrent pourtant, en 1998).

C. Sur les griefs tirés de l'atteinte à l'égalité

Le gouvernement, à nouveau, s'abstient de répondre à l'argumentation précise et circonstanciée des saisissants qui, partant, la maintiennent.

Tout au plus invoque-t-il derechef la comparaison avec les seuils calculés par rapport au nombre des électeurs inscrits qui existent déjà dans le droit positif. L'on sait que ce précédent est sans pertinence puisque, quel que soit le nombre des candidats au second tour d'un scrutin uninominal, un seul est élu, tandis que dans un scrutin confrontant des listes, toutes peuvent, dans des proportions variées, prétendre obtenir les sièges que les électeurs conservent le droit de leur attribuer.

Au-delà, et d'une manière générale, l'insistance avec laquelle le gouvernement rappelle le pouvoir général d'appréciation du législateur lui tient lieu, en réalité, d'unique argument.

Mais nous avons déjà démontré dans notre saisine, d'une part, que nous n'ignorons rien de ce principe, qui au contraire nous est cher en toutes circonstances, d'autre part, qu'il connaît cependant des limites qui, toutes, ont été franchies au cas présent, comme vous ne manquerez pas de le constater et de le sanctionner.

II. À propos de l'article 9 de la loi déférée

Il convient, en premier lieu, d'éclairer la vision du gouvernement qui « voit mal » quelle disposition « pourrait faire l'objet d'un contrôle de constitutionnalité ».

Premièrement, l'inconstitutionnalité peut résulter d'une commission mais également d'une omission (il suffit de songer, par exemple, à une nationalisation sans indemnisation juste et préalable). Dans ce second cas, l'absence d'un élément indispensable entache la constitutionnalité de tous ceux qui sont présents. Il en va d'autant plus ainsi, en l'occurrence, que l'article 9 est effectivement indispensable à la tenue des élections en Corse, de sorte que sa censure obligera le législateur à intervenir et, à cette occasion, à combler la lacune, contraire à la Constitution, qu'il a laissé s'établir.

Que, deuxièmement, cette lacune existe et soit contraire à la Constitution ne faisait guère de doute avant les observations du gouvernement et en fait moins encore après. Celui-ci, en effet, souligne à l'envi tout ce qui distingue l'Assemblée de Corse, et le statut de l'île, de leurs équivalents continentaux, mais il se trouve qu'aucune de ces différences, réelles, n'a le moindre rapport avec l'objet ou la finalité de la disposition dont l'absence est dénoncée. D'une part, l'article 3 de la Constitution pose aujourd'hui, dans son dernier alinéa, un principe clair et contraignant, d'autre part, la loi déférée met ce principe en oeuvre pour toutes les régions de France. Or, au regard de ces deux éléments, aucune des singularités corses n'est concernée. La rupture d'égalité résultant, au détriment des femmes corses, du dispositif adopté par le Parlement ne peut donc se réclamer d'aucune justification, d'aucune sorte, et sera censurée en conséquence.

III. À propos des articles 14 et 15 de la loi déférée

Exactement comme pour les élections régionales, le gouvernement se borne ici, pour l'essentiel, à invoquer le pouvoir général d'appréciation et de décision du Parlement. Ici comme là, c'est un peu court.

Le gouvernement, en premier lieu, demeure muet sur l'essentiel de l'argumentation et, notamment, sur les termes étranges de ce marché de dupe dans lequel on contraindrait les électeurs à sacrifier une proximité politique réelle au profit d'un rapprochement géographique illusoire, pour le plus grand dommage du principe de pluralisme.

On ne peut qu'être surpris, en deuxième lieu, de voir mettre en doute l'opposabilité du principe selon lequel les découpages doivent s'opérer sur des bases essentiellement démographiques. Le fait que le Parlement européen relève effectivement d'un ordre juridique distinct de l'ordre national n'autorise pas ce dernier, pour ce qui le concerne, à s'affranchir des exigences les plus élémentaires de la démocratie, dont vous avez justement rappelé la prégnance.

Les soussignés, au-delà, n'entendent pas abuser de votre temps en répétant ce qu'ils ont déjà exposé, à quoi il n'a pas été réellement répondu, et qu'ils maintiennent d'autant plus.

IV. À propos de l'article 28 de la loi déférée

Sur cette disposition, dont la censure entraînera inévitablement celle des articles 14 et 15, inséparables, nous nous bornerons également à quelques brèves remarques.

Toute la défense du gouvernement le conduit, comme on pouvait s'y attendre, à tenter de se réfugier derrière l'article L. 12 du code électoral. Nul ne saurait s'en satisfaire.

Premièrement, il est des Français qui ne présentent aucune des conditions, même libérales, permettant de s'inscrire sur une liste en France ou dans un État de l'Union. Peu importe leur nombre, seul importe le principe. Celui ici en cause n'est pas le principe d'égalité, qui peut connaître toutes sortes de nuances, mais, de manière très choquante, le principe d'universalité qui, lui, est un absolu, dont on ne peut exclure que ceux qui ne sont pas en mesure de voter, soit parce qu'ils n'en ont pas encore l'âge, soit parce qu'ils ont commis des faits qui ont amené à les juger indignes d'exercer leurs droits civiques. Hors ces deux cas, de surcroît passagers l'un et l'autre, nul ne peut être retranché de l'universalité des citoyens et la loi qui l'oublie est tout simplement aberrante.

Ce n'est donc que tout à fait subsidiairement que nous ajouterons que si, deuxièmement, nos concitoyens établis hors de France sont autorisés à voter néanmoins en se faisant inscrire sur le territoire national, pour ceux du moins qui entrent dans l'une des catégories limitativement prévues, c'est une faculté bienvenue, non une nécessité (rappelons qu'ils bénéficient d'une représentation parlementaire spécifique au Sénat, qui fait que leur participation aux élections législatives n'est nullement nécessaire, tandis que leur vote aux élections locales ne correspond à aucun impératif de droit ou de fait). En conséquence, l'on ne saurait se prévaloir de ce que certains disposent de facultés que la Constitution n'impose pas pour s'autoriser à les priver tous de droits que la Constitution consacre à leur profit.

Troisièmement, même pour ceux des intéressés qui ont la faculté de figurer sur une liste en France, ils perdent, en le faisant, la possibilité de demeurer inscrits dans un consulat, de sorte que, afin de pouvoir voter, par procuration, aux élections européennes, ils devraient s'obliger à voter également par procuration aux élections présidentielles et aux référendums, ne pouvant plus alors s'exprimer personnellement dans aucun de ces trois types de scrutins majeurs.

Quant à l'argument ultime selon lequel, pour éviter cela, il eût fallu « rattacher de manière arbitraire les Français établis hors de France à l'une de ces circonscriptions », il prête quelque peu à sourire, compte tenu de la dose d'arbitraire que l'on tente d'introduire par ailleurs en donnant Lille comme capitale européenne aux électeurs de Cherbourg, ou en faisant voter dans la même circonscription ceux de Nouméa et de Saint-Pierre-et-Miquelon !

À tous ces titres, les soussignés persistent dans leur argumentation et ne doutent pas qu'elle conduira à la censure des dispositions contestées. Quoi que son origine soit controversée, puisque certains dictionnaires la font provenir de la pétanque, d'autres de la pêche, d'autres encore du jeu de bouchon lui-même (Robert, Dictionnaire historique, Dictionnaire des expressions, L'argot français et ses origines), l'expression « pousser le bouchon trop loin » correspond parfaitement, et sur tous les poins contestés, à l'attitude adoptée par les auteurs de la loi déférée, ce qui, en termes juridiques, se traduit par autant d'atteintes inacceptables à la Constitution.

Nous vous prions, Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les Conseillers, d'agréer l'expression de notre haute considération.

Décision n° 2003-468 DC du 3 avril 2003 2/2

Loi relative à l'élection des conseillers régionaux et des représentants au Parlement européen ainsi qu'à l'aide publique aux partis politiques

Nouvelle délibération de la loi relative à l'élection des conseillers régionaux et des représentants au Parlement européen ainsi qu'à l'aide publique aux partis politiques

Décret du 4 avril 2003 soumettant l'article 4 de la loi déférée à une nouvelle délibération

Le président de la République,

Vu la loi relative à l'élection des conseillers régionaux et des représentants au Parlement européen ainsi qu'à l'aide publique aux partis politiques ;

Vu la Constitution, et notamment son article 10, 2e alinéa ;

Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, et notamment son article 23, 1er alinéa ;

Vu la décision du Conseil constitutionnel n° 2003-468 DC du 3 avril 2003,

Décrète : Article 1

Il est demandé au Parlement une nouvelle délibération de l'article 4 de la loi relative à l'élection des conseillers régionaux et des représentants au Parlement européen ainsi qu'à l'aide publique aux partis politiques. Cette délibération interviendra en premier lieu à l'Assemblée nationale.

Article 2

Le Premier ministre est chargé de l'exécution du présent décret, qui sera notifié au président de l'Assemblée nationale et au président du Sénat et publié au Journal officiel de la République française.

Fait à Paris, le 4 avril 2003

par le Président de la République, Jacques Chirac
Le Premier ministre, Jean-Pierre Raffarin

Décision n° 2003-471 DC du 24 avril 2003

Loi relative aux assistants d'éducation

Assemblée nationale - Rapport n° 694

Effectifs comparés des MI-SE, aides-éducateurs et assistants d'éducation

Fin 2002 Fin 2003 Différence
MI-SE* 41.000 35.400 - 5.600
Aides-éducateurs 57.000 31.000
37.000 inscrits en LFI,
6.000 départs supplémentaires non remplacés
- 26.000 dont :
-20.000 départs en fin de contrat prévus en LFI 2003
Assistants d'éducation 0 16.000 temps plein + 16.000 temps plein
Total** 98.000 82.400 (**) - 15.600 (**)

* Si le turn-over des MI-SE dépasse 5600, les départs seront remplacés par des assistants d'éducation.

Source : Ministère de l'Éducation nationale.

Décision n° 2003-473 DC du 26 juin 2003

Loi habilitant le gouvernement à simplifier le droit

Fiche technique

Exemples étrangers de partenariat public/privé

Historiquement, les partenariats-publics-privés (PPP) ont été développés en premier lieu en Grande-Bretagne sous la forme de « PFI », soit « private finance initiative ».

Introduits en 1992, les PFI sont présents aujourd'hui dans la plupart des infrastructures de service public, dont les transports, les hôpitaux, les secteurs de la défense et de l'éducation, la gestion de l'eau et des déchets, la construction d'espaces de bureaux, de logements ou de prisons.

À titre d'exemples, la formule du PFI a permis de réaliser en Angleterre des projets aussi divers que :

  • la construction, le financement et la gestion d'un centre d'entraînement pour équipages d'hélicoptères ;

  • la construction d'un système militaire de communication par satellite ;

  • la réalisation et l'exploitation de nombreux hôpitaux ;

  • la rénovation de l'ensemble des écoles secondaires anglaises, pour un programme courant de 2003 à 2013 et portant sur 20 milliards de livres sterling ;

  • la rénovation du réseau ferroviaire ou métropolitain (Jubilee line du métro de Londres).

Cette formule sert également de support à des projets de rénovation sociale tels que la rénovation d'un quartier de l'est de Londres ou de centres sociaux.

Depuis, diverses formules de partenariat ont été élaborées en Allemagne, aux Pays-Bas, en Espagne, au Portugal et en Italie ainsi que pour des projets transfrontaliers.

En Italie on peut citer l'adoption de la « loi objectif » (Legge obiettivo) le 21 décembre 2001. Elle prévoit un système de programmation de grandes infrastructures. En effet, l'Italie est confrontée à une importante dette publique et à une carence en ce domaine. Elle a donc fait le choix de privilégier le mécanisme du partenariat public privé. Cette loi comporte trois volets :

  • simplification des procédures administratives concernant la réhabilitation des immeubles privés ;

  • modification de la loi de transposition des directives communautaires réglementant la gestion des déchets ;

  • introduction de procédures spéciales pour la réalisation des grands ouvrages (PPP).

Elle est aujourd'hui utilisée pour 21 projets parmi lesquels on peut citer l'axe autoroutier de la plaine du Pô, le projet pour la sauvegarde de la lagune de Venise (MOSE), la création de systèmes de transports intégrés à Rome, Naples, Bari et Catane ou encore la rénovation des installations hydriques dans le Mezzogiorno.

Les PPP constituent enfin l'instrument privilégié des grandes infrastructures transfrontalières. C'est sous cette forme par exemple qu'il est envisagé de réaliser le projet « Lyon Turin ».

On peut signaler que le développement de ces nouveaux contrats constitue un axe prioritaire d'activité de la Banque européenne d'investissement dont le rôle est de cofinancer les projets porteurs de développement en Europe.

Décision n° 2003-478 DC du 30 juillet 2003

Loi organique relative à l'expérimentation par les collectivités territoriales

« Porte étroite » parlementaire

Paris, le 28 juillet 2003

Monsieur le président,
Mesdames, Messieurs les membres du Conseil constitutionnel,
2, rue de Montpensier, 75001 Paris.

Monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du Conseil constitutionnel, j'ai l'honneur, en ma qualité de président du groupe socialiste du Sénat, de vous transmettre les observations suivantes sur la loi organique relative à l'expérimentation par les collectivités territoriales dont vous avez été saisi, le 22 juillet 2003, par M. le Premier ministre en application de l'article 61, alinéa 1er, de la Constitution.

En vous déclarant incompétents pour statuer sur le recours visant la loi de révision constitutionnelle relative à l'organisation décentralisée de la République (déc. n° 2003-469 DC du 26 mars 2003), vous avez conféré au contrôle des lois organiques imposées par cette modification de notre loi fondamentale, un rôle central afin que soit assuré le respect des principes constitutionnels formant le coeur de notre République.

C'est pourquoi, le contrôle de la présente loi organique, et de celles à venir, revêt une importance première justifiant que le groupe socialiste du Sénat, que je représente, formule des observations distinctes de toute saisine formelle (déc. n° 92-305 DC du 21 février 1992).

I. Sur la procédure

La loi organique dont vous avez été saisis par M. le Premier ministre viole le second alinéa de l'article 39 de la Constitution pris en sa dernière phrase et qui dispose :

« Sans préjudice du premier alinéa de l'article 44, les projets de loi ayant pour principal objet l'organisation des collectivités territoriales et les projets de loi relatifs aux instances représentatives des Français établis hors de France sont soumis en premier lieu au Sénat. »

Pourtant, la loi dont s'agit a été d'abord soumise à l'examen de l'Assemblée nationale. Or, considérant son champ et sa portée, il est certain qu'elle aurait dû faire l'objet d'une première lecture devant le Sénat, lequel dispose donc d'un droit de priorité sur les projets de loi de cette nature.

Il ne peut faire de doute, contrairement à ce que le gouvernement a exprimé pendant les débats parlementaires (Sénat, séance publique du 21 juill. 2003), que la loi relative à l'expérimentation par les collectivités territoriales relève de cette obligation de dépôt devant le Sénat.

L'article 39 C vise, en effet, les textes ayant pour principal objet l'organisation des collectivités territoriales.

Quant à l'article 72 C pris en son quatrième alinéa, il dispose que « dans les conditions prévues par une loi organique, et sauf lorsque sont en cause les conditions essentielles d'une liberté publique ou d'un droit constitutionnellement garanti, les collectivités territoriales ou leurs groupements peuvent, lorsque, selon le cas, la loi ou le règlement l'a prévu, déroger à titre expérimental et pour un objet et une durée limités, aux dispositions législatives ou réglementaires qui régissent l'exercice de leur compétences ».

L'article 39 C a fait l'objet de diverses interprétations pendant les travaux préparatoires d'élaboration de la loi de révision constitutionnelle. Parmi celles-ci, on relèvera les propos de M. le président de la Commission des Lois de l'Assemblée nationale pour qui la structure du code général des collectivités territoriales, conduit à ce que le terme d'organisation recouvre « le choix du nom des collectivités territoriales, la détermination des règles relatives à leurs organes et à leurs actes, ainsi que la fixation de leurs limites territoriales » (JO, Débats, A.N., 3e séance du 21 nov. 2002).

Il s'évince de l'exposé des motifs de la loi organique que celle-ci a, notamment, pour objet de préciser « le régime des actes dérogatoires pris à titre expérimental » (projet de loi organique, n° 855, p. 2, § 2).

Le rapport du Sénat précise, à cet égard, que le projet de loi permettra aux dites collectivités de déroger aux règles régissant « l'exercice de leurs compétences » (Rapport, Sénat, n° 408, M. G. Longuet, p. 36, § 3).

Il s'ensuit, à cet égard, que les nouveaux articles LO 1113-2, LO 1113-3 et LO 1113-4 du code général des collectivités territoriales organisent :

  • d'une part, la procédure applicable à la collectivité souhaitant expérimenter et les règles applicables à ses organes délibérants ;

  • d'autre part, les conditions de forme et d'entrée en vigueur des actes à caractère général et impersonnel pris, dans le cadre de cette expérimentation, par la collectivité territoriale en cause ;

  • enfin, le régime contentieux, et, en particulier, les pouvoirs du représentant de l'État en matière de recours contre des actes pris dans cet environnement dérogatoire que constitue la période d'expérimentation.

Il s'agit là de règles touchant au plus près de l'organisation des collectivités territoriales, qu'il s'agisse des contraintes pesant sur la procédure d'adoption des actes, dont celle de l'organe devant intervenir et des formes de cette intervention, ou bien des règles de validité des actes des collectivités, ou bien encore du régime contentieux de ces actes. De multiples règles existent actuellement dans le code général des collectivités territoriales sur ces aspects. Celles-ci s'y ajoutant, il ne peut faire de doute que la loi organique en cause affecte l'organisation des collectivités territoriales.

Quand M. le rapporteur devant le Sénat souligne que le code général des collectivités territoriales comporte les règles relatives aux organes des collectivités territoriales et à leurs actes, c'est-à-dire à leur vie interne, et vise, pour l'exemple, les procédures relatives aux organes délibérants ou la nature des actes, il convainc, peut-être malgré lui, que cette loi organique modifie l'organisation des collectivités territoriales (Sénat, séance publique, 21 juill. 2003).

La circonstance que ces aspects soient liés à une période d'expérimentation ne change rien au raisonnement. Il s'évince de ce nouveau cadre légal que les collectivités territoriales verront leur organisation modifiée en ce qui concerne l'adoption de certains actes et le régime de ceux-ci.

Dans ces conditions, il ne peut faire de doute que la loi organique dont s'agit concerne l'organisation des collectivités territoriales. En conséquence, elle aurait dû faire l'objet d'un examen prioritaire par le Sénat.

La méconnaissance de cette contrainte constitutionnelle ne pourra qu'entraîner l'invalidation de la loi.

II. Sur l'article 1er

L'article 1er de la loi insère un article LO 1113-6 nouveau dans le code général des collectivités territoriales (ci-après : CGCT) qui prévoit, d'une part, une possibilité de prolongation de la période d'expérimentation pour trois nouvelles années en sus de la période de cinq ans initialement votée par le Parlement, et d'autre part, une prorogation de cette même période pour une nouvelle année ouverte par le seul dépôt d'un projet ou d'une proposition de loi sur le bureau de l'une ou l'autre assemblée.

Ce texte méconnaît, d'une part, le quatrième alinéa de l'article 72 de la Constitution (II.1.) et des articles 6 de la Déclaration de 1789 et ensemble de l'article 34 de la Constitution (II.2.).

II.1. Sur la violation de l'article 72 C

Le quatrième alinéa de cet article 72 C précise que la période d'expérimentation ouverte à une collectivité territoriale ou à un groupement de collectivités, doit avoir un objet et une durée limités.

Vous interprétez strictement le pouvoir d'expérimentation qui peut être accordé par la loi à une personne morale de droit public (v. pour comparaisons : déc. n° 93-322 DC du 28 juill. 1993 et déc. n° 2001-454 DC du 17 janv. 2002). Certes, désormais, la Constitution prévoit expressément ce droit à l'expérimentation, levant ainsi un des verrous existant auparavant (déc. du 17 janv. 2001, préc.).

Il demeure que l'article 72 C a pris soin, et on le comprend aisément si l'on entend préserver la forme républicaine du gouvernement et le principe d'égalité qui est en son sein, de fixer une contrainte forte tenant à la durée limitée de toute expérimentation.

S'agissant d'une condition de nature à préserver une certaine idée de la République et du principe d'égalité, il est certain que cette condition constitutionnelle doit s'interpréter strictement.

C'est, d'ailleurs, le sens de la rédaction proposée pour le nouvel article LO 1113-1 du CGCT qui précise que la loi autorise une expérimentation pour une durée, qui ne peut excéder cinq ans.

Dès lors, la double prolongation prévue par l'article LO 1113-6 nouveau du CGCT, qui peut porter à neuf ans, en tout, la prolongation de la période d'expérimentation, outre la contradiction avec le principe posé à l'article LO 1113-1 précité, s'affranchit de la contrainte de limite dans le temps déterminée par l'article 72 C.

Une expérimentation de neuf années ne constitue plus une dérogation mais, de fait, la norme pour les citoyens et les acteurs économiques. C'est dire que pendant cette période, de nombreuses activités seront régies par les règles dérogatoires ainsi adoptées.

C'est en vain que l'on opposerait les motifs tirés de la nécessité de mieux apprécier les conséquences de l'expérimentation ou de l'encombrement de l'ordre du jour des assemblées parlementaires. D'abord, il faut savoir finir une expérimentation. Si au terme d'une période de cinq années, nul n'est en situation d'apprécier la portée de ladite expérimentation, cela signifiera qu'elle est sans portée et qu'il convient d'en finir. Ensuite, il incombe au gouvernement de gérer l'ordre du jour des assemblées parlementaires de telle sorte qu'il puisse satisfaire les contraintes fixées par la Constitution.

Dans ces conditions, il est certain que la prolongation prévue à l'article LO 1113-6 du CGCT excède manifestement la limite posée par l'article 72 C.

II.2. Sur la violation de l'article 6 de la Déclaration de 1789 et ensemble de l'article 34 C

Le mécanisme de prolongation de la durée d'expérimentation est d'autant plus inconstitutionnel qu'il prévoit une possibilité de prorogation par le seul fait du dépôt d'un projet ou d'une proposition de loi.

1) C'est dire qu'une dérogation encadrée et limitée dans sa durée par la Constitution, pourra être prolongée grâce à un projet ou une proposition de loi non examiné et encore moins voté par le Parlement. Or, l'article 34 C dispose que « la loi est votée par le Parlement ». Il s'ensuit que le dépôt d'une proposition de loi, voire même d'un projet de loi, ne peut avoir de conséquences normatives sans que le Parlement ne se soit prononcé par un vote.

Cette contrainte constitutionnelle s'impose d'autant plus lorsque, d'une part, l'objet du texte est de déroger aux lois et règlements, mettant en cause ainsi le principe d'égalité devant la loi, et que, d'autre part, la Constitution a précisé que la durée de l'expérimentation ne peut avoir qu'une durée limitée.

Il n'est donc pas possible de faire échec à cette double obligation constitutionnelle par un tel mécanisme.

Il n'est pas sérieux, à cet égard, de s'abriter derrière le risque d'un encombrement de l'ordre du jour parlementaire pour justifier de cette disposition. D'abord, cette cause ne peut devenir une clause de style permettant régulièrement de faire échec aux pouvoirs du Parlement. Ensuite, il appartient au gouvernement de gérer au mieux l'ordre du jour prioritaire.

Enfin, il importe de mesurer les risques qu'un tel mécanisme fait courir à la sécurité juridique et à la garantie des droits. Il suffira, en effet, qu'une expérimentation se déroule avec difficultés et qu'elle génère des contentieux, qu'elle agite un débat local, pour qu'un parlementaire isolé puisse, par le seul fait du dépôt d'une proposition de loi, prolonger des expériences contrariées par le juge ou contestées par les citoyens. On imagine l'usage qui pourrait être fait de cette faculté à la veille d'une élection, y compris partielle, ou, plus gravement, pour porter atteinte à des droits ou libertés. Malheureusement, il existe des collectivités territoriales, peu heureusement, dont l'exécutif est dirigé par des élus aux préférences partisanes qui ne trouvent pas dans la République les sources de leurs inspirations.

Certes, l'article 72 C excepte du champ de l'expérimentation les droits et libertés publiques. Mais, des atteintes à ces droits et au principe d'égalité, peuvent se révéler à l'usage de l'expérimentation. Il est donc essentiel que la durée de l'expérimentation soit limitée dans le temps et que le Parlement conserve le contrôle réel et effectif sur celle-ci.

2) On ajoutera que les principes de clarté, d'accessibilité et d'intelligibilité, dont vous avez consacré la valeur constitutionnelle, ne peuvent qu'être méconnus par un tel mécanisme. Certes, l'article critiqué prévoit la mention de cette prorogation au Journal officiel. Mais, on peut douter que pour les citoyens, déjà aux prises avec la complexité liée à des dérogations expérimentales, une telle mention suffise pour garantir une connaissance satisfaisante de la loi applicable.

3) La comparaison tirée du mécanisme prévu par l'article 38 de la Constitution en ce qui concerne les ordonnances ne pourrait purger les vices d'inconstitutionnalité dont la mesure critiquée est entachée. Monsieur le rapporteur du Sénat a pointé la singularité du mécanisme discuté et indiqué, qu'en réalité, il ne pouvait être réellement assimilé à celui de l'article 38 de la Constitution (Sénat, Rapport, n° 408, préc., pa. 52 et 53).

Dans ces conditions, l'article LO 1113-6 du CGCT ne peut qu'encourir l'invalidation. À tout le moins, les conditions de prolongation prévues par ladite disposition devront être censurées.

Je vous prie de croire, Monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du Conseil Constitutionnel, à l'expression de ma haute considération.

Claude Estier

Décision n° 2003-483 DC du 14 août 2003

Loi portant réforme des retraites

Fiche technique

Éléments de comparaison hommes/femmes
en matière de pensions de retraite

La plupart des données de cette fiche sont extraites de l'Étude et résultats n° 183 (DREES, juillet 2002) - fondé sur l'exploitation de l'échantillon inter-régimes des retraités (EIR 2001) - et du document du COR Égalité de traitement entre hommes et femmes (réunion plénière du 2 oct. 2002).

Partie I

Bien que bénéficiant de la majoration de durée d'assurance (MDA), les femmes retraitées sont moitié moins nombreuses que les hommes à justifier d'une carrière complète, du fait de durées moyennes validées plus faibles.
Pourcentage de carrières complètes et durée moyenne d'assurance (en trimestres)

60 à 64 ans65 à 69 ans70 à 74 ans75 à 79 ans80 à 84 ans85 ans et plusEnsemble
Pourcentage de carrières complètes
Hommes82,485,486,885,485,174,884,5
Femmes52,639,238,137,133,529,839,1
Durée moyenne d'assurance (en trimestres)
Hommes164166168172176164168
Femmes141122119119115113122

Source : DREES, échantillon inter-régimes des retraités 2001.

Sur les retraités en stock, l'écart entre les durées d'assurance validées par les hommes et par les femmes est considérable : tous régimes confondus, il atteint 46 trimestres - soit 11,5 années en moyenne - alors que les MDA sont prises en compte dans la durée d'assurance des femmes (79 % des femmes en bénéficient à la CNAV, cf. section 5). Dès lors, seules 39 % des femmes contre près de 85 % des hommes bénéficient d'une carrière complète.

Sur le flux des générations récentes de retraités, l'écart entre hommes et femmes reste conséquent : 141 trimestres d'assurance en moyenne pour les nouvelles pensionnées âgées de 60 à 64 ans, contre 164 pour les hommes. En moyenne, bien que liquidant leur pension 2 années plus tard que les hommes (à 62,5 ans environ, contre 60,5), les femmes valident donc une durée d'assurance plus courte de 2 années. Ces nouvelles retraitées justifient à près de 53 % d'une carrière complète, alors que ce taux atteint 82 % pour les hommes (l'écart ressort donc à 29 points, malgré les MDA).

Partie II

Tous régimes confondus, les montants moyens de pension de droit direct des femmes nouvellement pensionnées demeurent inférieurs de 37 % à ceux des hommes.

Montants mensuels moyens bruts (en $) des avantages principaux de droit direct selon l'âge et le sexe

60 à 64 ans65 à 69 ans70 à 74 ans75 à 79 ans80 à 84 ans85 ans et +Ensemble
Ensemble des carrières
Hommes (1)1417139313741373139211871383
Femmes (2)892666619587566506650
Rapport (2)/(1)0,630,480,450,430,410,430,47
Dont carrières complètes
Hommes (1)1488147814451449147513071461
Femmes (2)11241026967906924790986
Rapport (2)/(1)0,760,690,670,630,630,600,67

Source : DRESS, échantillon inter-régimes des retraités 2001. Sur le stock des pensionnés tous régimes, les écarts sur les pensions de droit direct - pensions de base et complémentaires - sont de 53 % en défaveur des femmes et de 37 % si l'on restreint la comparaison aux seules carrières complètes.

Sur le flux des pensionnés tous régimes (approché ici par les retraités âgés de 60 à 64 ans), les écarts se réduisent du fait de l'amélioration des carrières féminines, mais la pension des femmes demeure de 37 % inférieure à celle des hommes en moyenne (de 24 % si l'on se restreint la comparaison aux seules carrières complètes).

Bien qu'en réduction, des écarts de pension devraient perdurer à terme. Le modèle de micro-simulation Destinie de l'INSEE prévoit en effet qu'en 2020 la pension moyenne des femmes - prenant en compte les MDA éventuelles - devrait être égale à 78 % environ de celle des hommes.

Partie III

Si l'on centre l'analyse sur les retraités du régime général, on observe des écarts de pensions entre hommes et femmes un peu plus élevés encore qu'en moyenne.

Types de carrièreSexePart des carrières complètesMontant mensuel moyen des retraites (droits directs, base + complémentaires)Effectifs\*\*
Toutes CarrièresCarrières complètes
Retraités monopensionnés CNAVHommes85,6 %1590 euros1713 euros34,2 %
Femmes32,2 %583 euros1072 euros56,0 %
Écarts H/F53,4 points1007 euros (63 %)641 euros (37 %)21,8 pts
Retraités polypensionnés CNAV\*Hommes89,5 %1339 euros1401 euros19,5 %
Femmes39,0 %603 euros914 euros11,7 %
Écarts H/F50,5 points736 euros (55 %)487 euros (35 %)7,8 pts

Source : d'après DREES, EIR 2001. Montants bruts de retraite en 2001, base plus complémentaires, hors droits dérivés. * Par « retraités polypensionnés CNAV », on entend ici les retraités ayant validé au moins la moitié de leur durée d'assurance à la CNAVTS.
** Lecture : 56,0 % de l'ensemble des femmes retraitées sont monopensionnées au régime général, contre 34,2 % des hommes à la retraite.

Ces données, disponibles uniquement sur le stock, montrent des écarts plus prononcés entre hommes et femmes pour les retraités de la CNAV que tous régimes confondus : ainsi, les monopensionnées de la CNAV perçoivent en moyenne une retraite inférieure de 63 % à celle des hommes (583 euros par mois en 2001, contre 1590 euros pour les hommes, soit un écart mensuel de plus de 1000 euros, pensions de base et complémentaires confondues), alors que l'écart est de 57 % pour l'ensemble des monopensionnées.

Si l'on restreint la comparaison aux seules carrières complètes, il demeure un écart, analogue cette fois à celui observé tous régimes confondus (37 % contre 36 %), les retraitées de la CNAV percevant en 2001 une pension totale mensuelle de 1072 euros, soit 641 euros de moins que les hommes.

Partie IV

Une partie de l'écart vient du fait que les salaires d'activité des femmes demeurent moins élevés que ceux des hommes.
Salaires nets annuels moyens par catégorie professionnelle (en euros courants), secteurs privé et semi-public

Profession /Salaires en 2000FemmesHommesRapport Femmes/Hommes
Cadres316904194076 %
Professions intermédiaires192902238086 %
Employés144201577091 %
Ouvriers125401539081 %
Ensemble174402139082 %

Champ : salariés à temps complet du secteur privé et semi-public.
Source : déclarations annuelles des données sociales, DADS, INSEE.

Les écarts de salaires entre hommes et femmes (18 % en 2000) reflètent à la fois des différences de formation, de type d'emplois occupés et un recours plus important au temps partiel chez les femmes : 27,1 % des actives occupées travaillaient à temps partiel en 2001, contre 4,7 % des actifs occupés (source : INSEE, enquête Emploi 2001). Dans 34 % des cas, le temps partiel serait précisément choisi par les femmes « pour s'occuper des enfants » d'après la DARES (enquête Emploi du temps INSEE, 1998), tandis que ce motif n'est évoqué que par 6 % des hommes occupant un emploi à temps partiel.

Partie V

Les MDA contribuent toutefois à relever significativement le niveau de la pension de base des femmes ayant élevé des enfants. D'après la Direction Actuariat Statistiques de la CNAV, au 31 décembre 1999, 78,9 % des femmes retraitées bénéficient de majorations de la durée d'assurance (MDA).

Parmi les femmes bénéficiant de MDA :

  • la durée moyenne de MDA au régime général(1) est de 6 années, dont 5,3 interviennent en moyenne dans la durée validée servant au calcul du niveau de pension (du fait du plafonnement à 150 trimestres, jusqu'en 2003);

  • la part moyenne de pension imputable à la MDA (estimation prorata temporis des durées validées) est de 86 euros par mois en 1999, soit 22,6 % de la pension moyenne de base des femmes retraitées de droit direct (bénéficiaires ou non de la MDA).

Il s'agit là de valeurs moyennes(2), mais dans certains cas, l'apport des MDA pour les femmes peut être sensiblement plus élevé. Considérons le cas-type d'une femme ayant élevé 3 enfants (qui bénéficie ainsi de 6 années de majoration) et qui justifie de ce fait à 60 ans d'une carrière complète à la CNAV (soit exactement 160 trimestres validés à 60 ans pour une liquidation en 2003 sous la législation Balladur, ou encore 164 trimestres validés à 60 ans pour une liquidation en 2013 sous la législation Fillon). À durée de carrière inchangée, cette femme verrait, en l'absence de MDA, sa durée d'assurance amputée de 24 trimestres, ce qui réduirait le montant de sa pension de base de 55 % pour une liquidation en 2003 sous la législation Balladur et de 36 % en 2013 sous la législation Fillon(3). Vu l'ampleur de la baisse, en l'absence de MDA, cette femme serait très vraisemblablement contrainte de prolonger son activité durant plusieurs années (au plus 6) pour retrouver un niveau de pension équivalent.

Le coût de la MDA a été estimé par la CNAV(4) à près de 3,5 Md euros sur le stock des pensions versées en 1999 (y compris l'incidence sur la majoration de 10 % pour 3 enfants ou plus), soit 6,5 % des droits directs contributifs.

(1) Parmi les femmes ayant liquidé leur pension à la CNAV en 2000, les durées moyennes sont un peu plus faibles du fait de la baisse du nombre moyen d'enfants : elles sont de 5,6 ans, dont 4,7 ans utiles.
(2) Ces ordres de grandeur sont à considérer avec la plus grande prudence, compte tenu des fortes non linéarités caractérisant la formule de calcul de la pension. Comme le souligne le document de travail n° 33 de la DREES (L'évolution de la pension moyenne dans les modèles de simulation à long terme des dépenses de retraite, juin 2003), « raisonner sur un individu moyen plutôt que sur une moyenne d'individus peut biaiser les résultats, en particulier pour les femmes. [?] Pour les femmes, la pension d'un individu moyen sous-estime la moyenne des pensions d'environ 30 % ».
(3) On raisonne à SAM inchangé. La législation Fillon est moins pénalisante que la précédente, non pas au niveau du taux de proratisation (dans l'exemple, les 24 trimestres manquants induisent une perte de - 15 % au lieu de - 9 % pour les 14 trimestres manquants sous la législation Balladur) mais à celui du taux de liquidation (la décote ne serait à terme que de 5 % par année manquante - dans la limite de 5 - au lieu de 10 %, ce qui conduit à un taux de liquidation minimal de 37,5 % sous la législation Fillon, contre 25 % auparavant). À noter toutefois que dans l'exemple, la personne est initialement amenée à travailler une année de plus dans la législation Fillon pour bénéficier du taux plein, du fait de l'allongement de la durée d'assurance opéré à partir de 2009.
(4) Cette estimation est très fragile, car établie en imputant une part des pensions servies de façon proportionnelle au rapport de la MDA utile sur le total de la durée d'assurance validée au régime général. Elle ne tient pas compte en particulier du fait que, dans certains cas, la MDA permet aux femmes de liquider leur pension avant 65 ans sans abattement, ce qui induit un coût supplémentaire.