Constitution européenne et constitutions nationales : l'habile convergence des juges constitutionnels français et espagnol - À propos des décisions n° 2004-505 DC du Conseil constitutionnel français
Theodora PAPADIMITRIOU, Doctorante à l'Université Paris I Panthéon-Sorbonne
Cahiers du Conseil constitutionnel n° 18 (Dossier : Constitution et Europe) - juillet 2005
Inscrit dans le droit fil du traité de Maastricht et de la perspective d'une Union politique, le traité établissant une Constitution pour l'Europe véhicule à la fois tous les espoirs et toutes les craintes suscités par l'évolution future de la construction européenne. Dans un contexte de vif débat politique, les décisions rendues par le Conseil constitutionnel français et le Tribunal constitutionnel espagnol ont un effet apaisant.
Le jour même de la signature du traité, le Conseil constitutionnel français fut saisi par le président de la République, en application de l'article 54 de la Constitution. La question était de savoir si l'autorisation de ratifier le traité établissant une Constitution pour l'Europe devait être précédée d'une révision de la Constitution française. Par une décision de conformité partielle, rendue le 19 novembre 2004, le Conseil constitutionnel a estimé qu'appellent une révision de la Constitution, préalable à l'éventuelle ratification du traité, trois séries de dispositions : celles relatives au transfert des compétences à l'Union en matières « régaliennes », celles qui réaménagent les modalités d'exercice des compétences déjà transférées, de telle façon que se trouvent affectées les conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale, et celles qui reconnaissent des pouvoirs nouveaux aux Parlements nationaux. En revanche, l'article I-6 qui stipule le principe de primauté du droit de l'Union et la Charte des droits fondamentaux de l'Union ont été considérés conformes à la Constitution.
Pour sa part, la décision rendue par le Tribunal constitutionnel espagnol le 13 décembre 2004(1) se borne à répondre aux quatre questions précises qui figurent dans la saisine du Gouvernement(2). Il convient de remarquer que le Gouvernement avait préalablement saisi le Conseil d'État espagnol qui a suggéré, par son avis rendu public le 21 octobre 2004(3), l'examen de conformité à la Constitution du traité établissant une Constitution pour l'Europe. Dans ce contexte, l'examen du juge constitutionnel a porté sur l'existence éventuelle d'une contradiction entre la Constitution espagnole et, d'une part, l'article I-6 du traité, d'autre part, les articles II-111 et II-112. Le Tribunal constitutionnel s'est notamment prononcé sur la question de savoir si l'article 93 de la Constitution espagnole(4) était suffisant pour fonder le consentement de l'État au traité. Dans l'hypothèse où une révision de la Constitution serait nécessaire, il était demandé au Tribunal d'indiquer les modalités adéquates. Par sa décision, le juge constitutionnel espagnol a déclaré conformes à la Constitution les dispositions des articles I-6, II-111 et II-112 du traité. Par ailleurs, il a jugé suffisante pour la ratification du traité la base constitutionnelle de l'article 93. L'absence de nécessité d'une réforme constitutionnelle a rendu la quatrième question du gouvernement sans objet.
Face à deux décisions constitutionnelles, issues de deux systèmes juridiques distincts, l'analyse comparative relève d'un exercice intellectuel à la fois stimulant et délicat. Stimulant, parce que, dans les domaines où les deux juges déclarent la conformité du traité aux Constitutions respectives, les raisonnements qu'ils conduisent surprennent par leur symétrie. Délicat, parce que cette symétrie doit, à certains égards, être nuancée par des particularités de chaque système national. Notre objectif étant de mettre en avant cette image de « symétrie nuancée », nous allons nous borner à l'examen des positions de deux juridictions à l'égard du principe de primauté du droit de l'Union (I) et de la Charte des droits fondamentaux (II).
I. La conformité à la Constitution du principe de primauté du droit de l'Union
Selon la disposition de l'article I-6 du traité, « La Constitution et le droit adopté par les institutions de l'Union, dans l'exercice des compétences qui sont attribuées à celle-ci, priment le droit des États membres ». C'est ainsi que le principe de primauté figure pour la première fois de façon explicite dans le texte d'un traité communautaire. Cette consécration renvoie à une série de jurisprudences, communautaires(5) et nationales(6) divergentes, et confronte les deux juridictions constitutionnelles à la question de savoir si dans le « droit des États membres » est incluse la norme constitutionnelle nationale. Toute la difficulté réside dans le fait que l'article I-6, loin d'être un simple critère de validité des normes, « règle de façon nette et univoque une question constitutionnelle (résolution des conflits de normes entre droit de l'Union et droit constitutionnel national) »(7).
Par une mise en contexte de l'article I-6 du traité, les deux juges retirent au droit communautaire toute prétention hiérarchique à l'égard des Constitutions nationales. Cette tactique, que l'on pourrait qualifier d'interprétation neutralisante, se développe en deux volets, le premier concernant la nature de l'Union (A), le deuxième relevant de la portée du principe de primauté (B).
A. Le traité établissant une Constitution pour l'Europe ne modifie en rien la nature de l'Union
Une telle affirmation prise isolément surprend, tant elle semble constituer une contradiction dans les termes. En effet, comment pourrait-on accepter qu'un texte qui prétend établir une Constitution ne change pas radicalement la nature de l'ordre auquel il se réfère ? Les deux juridictions se livrent à un exercice de taxinomie juridique pour conclure qu'entre la catégorie juridique de « constitution » et celle de « traité » c'est la deuxième qui l'emporte(8).
Pour le juge constitutionnel français, le texte déféré « conserve le caractère d'un traité international » (cons. 9) et cela à partir de considérations portant tant sur la nature de l'Union que sur ses rapports avec les États membres. Sur le premier plan, « si l'article I-1 substitue aux organisations établies par les traités antérieurs une organisation unique, l'Union européenne, dotée en vertu de l'article I-7 de la personnalité juridique » (cons. 13), il n'en reste pas moins que les dispositions relatives « à l'entrée en vigueur (du traité), à sa révision et à la possibilité de le dénoncer » (cons. 9) relèvent du droit international. Sur le second plan, c'est le contenu de l'article I-5, paragraphe 1, du traité qui est mis en avant. Selon cette disposition, « L'Union respecte [...] l'identité nationale (des États membres), inhérente à leurs structures fondamentales politiques et constitutionnelles, y compris en ce qui concerne l'autonomie régionale et locale ». Le juge constitutionnel s'appuie sur cette consécration expresse de l'autonomie constitutionnelle des États membres(9) pour conclure que la dénomination du traité déféré « n'appelle pas de remarque de constitutionnalité », dans la mesure où elle est « sans incidence sur l'existence de la Constitution française et sa place au sommet de l'ordre juridique interne » (cons. 10).
Pour sa part, le juge constitutionnel espagnol ne se prononce pas expressément sur la nature du texte déféré. Toutefois, il convient de remarquer l'usage récurrent du terme « traité » tout au long de la décision, ainsi que la distinction qu'il opère entre la primauté du droit communautaire et la suprématie de la Constitution nationale. Cette tactique est sans doute tributaire à la fois de la position gouvernementale et de celle du Conseil d'État espagnol. En effet, le gouvernement estime que si le traité implique une fusion des traités préexistants dans un cadre juridique unique, cela « ne signifie pas pour autant que les caractères juridiques et institutionnels de base, définissant le projet d'intégration européenne, soient modifiés » ; ainsi, le texte examiné demeure « un traité international, d'un point de vue à la fois formel et matériel »(10). Partageant l'analyse du gouvernement, le Conseil d'État espagnol précise, dans son avis, qu'indépendamment de sa dénomination, il convient d'inscrire ce texte à la catégorie de « traité d'intégration supranationale ».
B. Le traité établissant une Constitution pour l'Europe ne modifie pas la portée du principe de primauté
1. Une lecture contextuelle du principe posé par l'article I-6 du traité
Affirmer que la nature de l'Union, telle qu'elle résulte de son rapport avec les ordres juridiques nationaux, ne subit pas une transformation radicale signifie également que l'on ne pourrait pas accorder au principe de primauté une portée absolue. En effet, c'est sous la condition de sa portée relative à l'égard du droit national, que ce principe est jugé conforme tant à la Constitution française qu'à la Constitution espagnole. Les limites dégagées par les deux juges constitutionnels résultent d'une lecture systématique à la fois des dispositions du traité déféré et des jurisprudences communautaire et nationales.
Partant d'une analyse contextuelle, le Conseil constitutionnel estime que l'article I-6 ne peut être interprété qu'à la lumière à la fois de l'exercice des compétences dévolues à l'Union sur le « mode communautaire » (art. I-1) et du respect des structures constitutionnelles de base propres aux États membres (art. I-5). Le « mode communautaire », choisi dans la version finale de l'article, s'est substitué à l'expression « mode fédéral », initialement envisagée(11). Dans ce contexte, l'exercice des compétences sur le « mode communautaire » pose une limite considérable au principe de primauté, car seule la logique inhérente au « mode fédéral » aurait justifié une extension de sa portée. Par ailleurs, l'exigence formulée par l'article I-5, consacrée pour la première fois de façon expresse, signifie que le principe de primauté ne peut déployer ses effets à l'égard des dispositions constitutionnelles nationales fondamentales parce qu'elles sont inhérentes à la structure étatique des États membres.
De manière analogue, le juge constitutionnel espagnol remarque que « pour interpréter correctement la primauté » proclamée par l'article I-6, il convient de souligner que « le traité part du respect de l'identité des États membres et de leurs structures constitutionnelles de base et (qu') il se fonde sur les valeurs fondamentales des Constitutions desdits États ». Ainsi, l'hypothèse de contrariété à la Constitution de l'article I-6 est écartée, dès lors qu'on interprète cette disposition dans le contexte des articles I-5 (12)et I-2 du traité qui garantissent « l'existence des États et de leurs structures de base ».
Ce rôle prépondérant des États membres connaît deux garanties supplémentaires. En ce sens, le juge espagnol affirme qu'« il ne s'agit pas d'une primauté de portée générale, à partir du moment où elle opère exclusivement dans le cadre des compétences de l'Union ». Or, ces compétences sont délimitées à la fois par le principe d'attribution (art. I-11 du traité) et par la possibilité d'un recours à l'article I-60 du traité. Ainsi, le principe de primauté « opère dans le respect des compétences qui sont cédées à l'Union par un acte de volonté souveraine des États et qui sont souverainement récupérables par le biais de la procédure du » retrait volontaire « prévu par l'article I-60 du traité(13) ». Par ailleurs, l'hypothèse d'une extension des compétences de l'Union, au-delà de l'habilitation constitutionnelle, qui aurait entraîné une extension de la portée du principe de primauté est freinée, selon le Tribunal, à la fois par les exigences des principes de subsidiarité(14) et de proportionnalité (art. I-11, § 3, et I-11, § 4) et par le contrôle dévolu aux Parlements nationaux concernant le respect du principe de subsidiarité (art. I-11, § 3).
2. Une analyse commune des rapports entre les ordres juridiques européen et nationaux
Limité, dans sa portée, par une analyse contextuelle du traité, le principe de primauté l'est tout autant par le « dialogue » entre la Cour de justice et les Cours constitutionnelles nationales. C'est en ce sens que les deux juges évoquent, explicitement s'agissant du Tribunal espagnol, plus indirectement s'agissant du Conseil français, la Déclaration n° 1, jointe au traité, qui précise que les dispositions de l'article I-6 « reflètent la jurisprudence existante de la Cour de justice »(15).
La décision du Tribunal constitutionnel doit être considérée, de ce point de vue, comme une décision de principe. Il convient de remarquer que le juge espagnol n'a connu auparavant qu'une seule saisine sur la conformité d'un traité à la Constitution (16). Par ailleurs, si la compétence de la Cour de Luxembourg en matière de contrôle de validité du droit communautaire dérivé est reconnue en Espagne(17), la question de savoir si cette règle peut connaître des exceptions n'est pas encore tranchée(18). Ainsi, cette décision a été perçue par le juge constitutionnel espagnol comme une véritable occasion de prendre position à l'égard du principe de primauté, tant dans sa dimension communautaire que nationale. Pour ce faire, il se livre, d'abord, à un exercice d'ontologie juridique portant sur la nature même dudit principe. En effet, le Tribunal constitutionnel estime que « la primauté ne doit pas être considérée comme supériorité hiérarchique », mais plutôt comme une « exigence existentielle » du droit communautaire, dès lors qu'elle conditionne l'application uniforme de ce dernier au sein des ordres juridiques nationaux. C'est un alignement élégant sur la position du juge communautaire qui lie l'application du principe de primauté au même fondement de la Communauté(19).
C'est sous ce prisme qu'il examine la question, soulevée dans l'avis du Conseil d'État espagnol(20), portant sur une éventuelle contradiction entre l'article I-6 et l'article 9, paragraphe 1, de la Constitution espagnole qui proclame le principe de suprématie constitutionnelle(21). Pour le juge constitutionnel espagnol, une telle contradiction n'existe pas, en réalité, car « suprématie et primauté sont des catégories juridiques qui se rapportent à des ordres juridiques différents ». Ainsi, la suprématie tient au caractère hiérarchique supérieur d'une norme qui constitue le fondement de validité des normes qui lui sont inférieures. En revanche, la primauté « n'est pas nécessairement liée à des considérations hiérarchiques »(22). De « nature fonctionnelle », elle opère plutôt une distinction entre des normes, en principe valides, afin de privilégier l'application de certaines d'entre elles en dépit d'autres. Certes, toute suprématie implique la primauté, « sauf si la norme suprême a prévu, dans une certaine matière, son propre déplacement ou son inapplicabilité ». Or, c'est l'hypothèse inverse qui est ici en cause : « le principe de primauté, au lieu d'entraîner la non application de la Constitution, consiste justement à l'application de son article 93 ». Ainsi, estime le Tribunal, « c'est la Constitution qui a accepté, en vertu de son article 93, la primauté du droit de l'Union dans le champ de compétences propre à ce droit, ainsi qu'il est dit expressément à l'article I-6 du traité établissant Constitution »(23). Par ce dernier considérant, le juge constitutionnel espagnol reprend le raisonnement suivi par le Conseil constitutionnel lors de sa décision Économie numérique du 10 juin 2004(24).
C'est principalement cette décision que vise le Conseil constitutionnel lorsqu'il affirme que rien ne modifie « la portée du principe de primauté, telle qu'elle résulte, ainsi que l'a jugé le Conseil constitutionnel par ses décisions susvisées, de l'article 88-1 de la Constitution ». Reprise dans les visas de la décision, cette jurisprudence du Conseil, datant de quelques mois, éclaircit considérablement le rapport entre l'ordre constitutionnel français et l'ordre juridique européen tout en fixant des limites importantes. Quoique non explicitement énoncée dans le texte de la décision du Conseil, la portée du principe de primauté relève d'une « lecture combinée » de sa propre jurisprudence et de « la jurisprudence existante de la Cour de justice » (cons. 12)(25). Il convient alors de revenir sur le raisonnement suivi par le juge français dans ses décisions de l'été 2004(26).
Soulevée pour la première fois lors de la décision Économie numérique du 10 juin 2004, la question était de savoir s'il appartenait au juge constitutionnel d'apprécier la constitutionnalité du droit communautaire dérivé, à l'occasion du contrôle exercé sur la loi de transposition d'une directive communautaire. Le juge constitutionnel a, dans un premier temps, fondé son analyse sur l'« exigence constitutionnelle » de participation de la République aux Communautés et à l'Union européennes, inscrite dans l'article 88-1 de la Constitution. Il a ainsi affirmé que « la transposition en droit interne d'une directive communautaire résulte d'une exigence constitutionnelle (celle de l'article 88-1) à laquelle il ne pourrait être fait obstacle qu'en raison d'une disposition expresse contraire de la Constitution » (cons. 7). En raison de cette exigence constitutionnelle, le Conseil se dessaisit, en principe, du contrôle de conformité à la Constitution du droit communautaire dérivé, au profit d'un contrôle de validité exercé, de façon exclusive, par le juge communautaire.
Le Conseil retrouve, toutefois, sa compétence dans l'hypothèse où le contenu de la directive, repris par la loi de transposition, se heurterait à une disposition expresse contraire de la Constitution. À l'occasion de sa décision sur la bioéthique, du 29 juillet 2004, le Conseil a précisé que ce cas exceptionnel doit concerner la contrariété du droit communautaire à une « disposition expresse et propre à la Constitution française ». Or, cette formulation renvoie, substantiellement, à la garantie de l'article I-5 concernant « le respect des structures politiques et constitutionnelles fondamentales des États membres ».
3. Une analyse pragmatique et opportune mais génératrice de difficultés
« Opportune(s) », et cela pour des « raisons de tactique relatives à l'articulation de deux ordres »(27), communautaire et national, tant la décision du Conseil que celle du Tribunal proposent une technique de prévention de conflits éventuels qui se structure autour d'un système de limites et de garanties relevant des logiques propres aux deux ordres. Ainsi, si la garantie primordiale des ordres juridiques nationaux est celle de la suprématie constitutionnelle, la garantie existentielle de l'ordre juridique communautaire est celle de son application uniforme. Ces garanties, prises isolément, pourraient conduire à un conflit irréductible, car elles s'excluent mutuellement.
Or, le juge constitutionnel français comme son homologue espagnol arrivent à neutraliser ce conflit potentiel par deux arguments. Le premier renvoie à une lecture contextuelle du système établi par le traité : c'est ainsi que l'article I-5 du traité est interprété comme « communautarisant » les exigences posées par les ordres nationaux. Second argument : la limite posée à l'application du droit de l'Union et fondée sur les exigences constitutionnelles, propres aux ordres juridiques espagnol et français, est médiatisée par les articles 93 de la Constitution espagnole et 88-1 de la Constitution française, de façon à paraître comme une « exigence constitutionnelle ».
Cette analyse, quels que soient ses mérites, reste néanmoins sujette à deux difficultés, la première de nature théorique, la deuxième de nature pratique. Sur le plan théorique, les ordres juridiques, tant français(28) qu'espagnol(29), analysent leur rapport avec les normes d'origine externe en s'inscrivant dans une doctrine moniste. Or, ce monisme semble trouver ses propres limites à l'égard du système communautaire. Comme le remarque avec pertinence Olivier Gohin, si c'est conformément à une logique moniste que le Conseil reconnaît « l'existence d'un ordre juridique communautaire intégré dans l'ordre juridique interne » (cons. 11), il n'admet aucunement que selon la même logique « la Constitution française ne peut pas rester au sommet de l'ordre juridique interne intégrant la Constitution européenne »(30). Ainsi, le paradigme moniste ne peut décrire le rapport entre normes constitutionnelles et normes communautaires que partiellement, c'est-à-dire dans la mesure où il existe des traditions constitutionnelles communes aux États membres et respectées par le système communautaire en vertu de l'article I-9, paragraphe 3, du traité. Toutefois, lorsqu'une norme communautaire se confronte à une norme constitutionnelle propre aux structures politiques d'un seul État membre, le monisme cède la place à un dualisme qui, pour les deux juges, profite à la norme constitutionnelle. La deuxième difficulté tient à l'absence d'un juge susceptible de trancher un éventuel conflit entre la Cour de Luxembourg et une Cour nationale, alors même que la survenance d'un tel conflit reste peu probable.
II. La conformité à la Constitution de la Charte de droits fondamentaux de l'Union
« La Charte n'appelle pas de révision de la Constitution » (cons. 22) déclare le Conseil constitutionnel ; « il n'existe pas de contradiction entre les articles II-111 et II-112 du traité établissant une Constitution pour l'Europe » et la Constitution espagnole affirme le Tribunal constitutionnel. Malgré l'identité de conclusions, les premières étapes du raisonnement des deux juges constitutionnels diffèrent dans la mesure où le système constitutionnel espagnol contient, en matière de protection de droits fondamentaux, une particularité inconnue de l'ordre juridique français (A). Cette divergence initiale cède, ensuite, la place à une référence commune à la Convention européenne des droits de l'homme et à la jurisprudence de la Cour de Strasbourg qui constitue, en ce sens, un troisième pôle d'interférence et de liaison entre les systèmes de protection, nationaux et communautaire (B).
A. Les conséquences de l'intégration de la Charte dans l'ordre interne
À la différence du système français, en Espagne, l'article 10, paragraphe 2, de la Constitution prévoit que « les normes relatives aux droits fondamentaux et aux libertés que reconnaît la Constitution seront interprétées conformément à la Déclaration universelle des droits de l'homme et aux traités et accords internationaux portant sur les mêmes matières ratifiés par l'Espagne ». C'est sur cette base qu'ils peuvent être invoqués devant le Tribunal constitutionnel (ATC 130/1995). En ce sens, la ratification du traité établissant une Constitution pour l'Europe signifie que désormais les droits fondamentaux propres à l'ordre espagnol devront être interprétés également à la lumière des dispositions de la Charte européenne. Au vu de cette particularité, le Tribunal devait se prononcer sur une éventuelle contradiction entre l'article 10, paragraphe 2, de la Constitution et les articles II-111 et II-112 du traité relatifs respectivement au champ d'application de la Charte et aux critères régissant son interprétation.
Dans sa saisine, le gouvernement espagnol précisait que « toute la difficulté se résume à la coexistence de trois régimes de protection des droits fondamentaux (Constitution, Convention européenne et Charte) qui entraînera nécessairement un processus d'influences mutuelles non exemptes d'une certaine complexité ». C'est précisément cette interférence, formalisée au niveau constitutionnel, qui fait émerger la « nécessité d'éclaircir le rôle des autorités juridictionnelles nationales, particulièrement dans l'hypothèse d'interprétations contradictoires ». Le Tribunal estime qu'il ne lui appartient pas de réguler les rapports entre la protection nationale, européenne (Convention européenne des droits de l'homme) et communautaire (Charte des droits fondamentaux), dès lors que « les problèmes concrets d'articulation qui pourraient être suscités par l'intégration du traité ne peuvent faire l'objet d'un jugement abstrait ». En revanche, c'est « en pondérant pour tout droit concret et dans des circonstances spécifiques la question de sa définition et de son articulation, et en dialogue constant avec les instances juridictionnelles autorisées pour l'interprétation authentique des droits contenus dans des conventions internationales », que pourrait être fournie une réponse au conflit éventuel entre droits fondamentaux, proclamés les uns par la Constitution espagnole, les autres par la Constitution française.
Pour sa part, le Conseil constitutionnel se livre à un examen détaillé des dispositions de la Charte afin d'isoler celles qui risqueraient d'entrer en contradiction avec la tradition constitutionnelle française en matière de protection des droits fondamentaux. Il est ainsi question de l'article II-70 du traité qui stipule la liberté de pensée, de conscience et de religion qu'il convient de concilier avec le principe de laïcité. Il en est de même pour la disposition de l'article II-110 consacrant le principe non bis in idem qu'il faut entendre comme concernant « exclusivement le droit pénal et non les procédures administratives ou disciplinaires » (cons. 20). Pour dissiper ce risque, le juge constitutionnel interprète une série de dispositions de la Charte à la lumière des limites posées par les articles II-111 et II-112. En effet, selon l'article II-111, la Charte s'adresse aux États membres « uniquement lorsqu'ils mettent en oeuvre le droit de l'Union » et elle est « sans incidence sur les compétences de l'Union » (cons. 15). Par ailleurs, l'article II-112 permet de dégager trois sources qui conditionnent le sens et limitent la portée des droits consacrés par la Charte. Le Conseil évoque, en ce sens, les « traditions constitutionnelles communes aux États membres » et les explications du Praesidium qui renvoient à la Convention européenne des droits de l'homme.
C'est sous le prisme de ces limites, et spécifiquement des traditions constitutionnelles communes, que le juge constitutionnel écarte le risque de contrariété entre les droits des personnes appartenant à des minorités, inscrits dans les « valeurs de l'Union » (art. I-2), et la tradition républicaine opposée au communautarisme et fondée sur les articles 1er à 3 de la Constitution française. Le Conseil estime qu'il n'y a pas de contradiction dans la mesure où les droits fondamentaux reconnus par la Charte qui résultent des traditions constitutionnelles communes aux États membres « doivent être interprétés en harmonie avec lesdites traditions » (art. II-112, § 4)(31). En revanche, s'agissant du renvoi au droit de la Convention européenne, les analyses du juge espagnol et du juge français sont partiellement divergentes.
B. La question du renvoi de la Charte à la Convention européenne des droits de l'homme
La rédaction de la Charte traduit une volonté de lui conférer une certaine autonomie substantielle par rapport au texte de la Convention européenne des droits de l'homme(32). Cette autonomie est affirmée, dès lors que « le droit de l'Union (peut accorder) une protection plus étendue (que celle accordée par la Convention européenne des droits de l'homme) » (art. II-112, § 3, al. 2).
C'est sur ce mécanisme de coordination entre le système de protection communautaire et celui de la Convention européenne des droits de l'homme, que le juge constitutionnel espagnol base fondamentalement l'argumentation qui le conduit à constater la conformité à la Constitution de la Charte des droits fondamentaux. En effet, il estime que « tant l'article 10, paragraphe 2, de la Constitution espagnole, que l'article II-112 de la Charte opèrent un jeu de références à la Convention européenne des droits de l'homme qui finit par ériger la jurisprudence de la Cour de Strasbourg en dénominateur commun en vue d'établir le contenu minimum d'interprétation ». Ainsi, « il ne résulte aucun changement qualitatif pour la jurisprudence du Tribunal constitutionnel », en matière de droits fondamentaux, dès lors que la Charte « impose à ce Tribunal de prendre en compte le régime de la Convention européenne des droits de l'homme, ce qu'il fait déjà au fondement de l'article 10, paragraphe 2, de la Constitution espagnole ». Par ailleurs, le juge estime que l'hypothèse d'une contradiction entre la portée plus étendue, accordée par la Charte à certains droits, et celle reconnue par le système constitutionnel national doit être écartée, dans la mesure où l'article II-113 du traité stipule qu'« aucune disposition de la Charte ne peut être interprétée comme limitant ou portant atteinte aux droits de l'homme et libertés fondamentales reconnus [...] par les Constitutions des États membres ».
La limite posée par la particularité constitutionnelle de chaque État membre est reprise dans l'analyse du Conseil constitutionnel relative au conflit éventuel entre l'article II-70 du traité et le principe de laïcité inscrit à l'article 1er de la Constitution française. Pour dissiper cette éventualité, le Conseil se rapporte aux explications du Praesidium, « dûment prises en considération par les juridictions des États membres » (art. II-112, § 7), qui précisent que l'article II-70 a le même sens, la même portée et est sujet aux mêmes restrictions que l'article 9 de la Convention européenne des droits de l'homme. Or, dans un arrêt récent figurant dans les visas de la décision(33), la Cour de Strasbourg a reconnu aux États une large marge d'appréciation de cette liberté, compte tenu de leurs traditions nationales. Cet argument est corroboré par le régime des restrictions qui peuvent être apportées aux droits reconnus par la Charte au nom des objectifs d'intérêt général reconnus par l'Union (art. II-112, § 1). Parmi ces objectifs figure le respect dû aux structures fondamentales politiques et constitutionnelles, en vertu de l'article I-5. Cependant rien ne peut garantir que le juge de Luxembourg partagera la position du juge de Strasbourg ou que ce dernier ne reviendra pas sur sa jurisprudence. C'est sur ce point que les deux juridictions divergent essentiellement : le juge constitutionnel espagnol est tenu par le texte constitutionnel de suivre la jurisprudence des Cours européennes, le juge constitutionnel français prend en considération ces jurisprudences pour autant qu'elles ne sont pas contraires à un principe fondamental énoncé par le texte constitutionnel. À reprendre les mots du président du Conseil constitutionnel, « il y aurait vice de consentement de la France si, le traité une fois entré en vigueur, les Cours de Luxembourg ou de Strasbourg allaient au-delà de cette lecture naturelle et raisonnable (du Conseil constitutionnel français) »(34).
Tant la position du juge constitutionnel français que celle de son homologue espagnol font preuve d'« habilité intellectuelle ». La nécessité de se prononcer sur les rapports normatifs qu'entretiennent les ordres juridiques nationaux avec l'ordre communautaire, s'est traduite par une tentative de neutraliser toute disposition susceptible d'engendrer un conflit normatif. Cependant, l'entreprise reste quelque peu fragile, faute d'un juge répartiteur. C'est peut-être trop demander au juge de Luxembourg, que de nuancer sa position, à maintes reprises affirmée(35), sur l'étendue du principe de primauté ; c'est sûrement trop espérer, que de se fier au champ d'application restreint d'une Charte, dont les dispositions, qui priment désormais sur le droit des États membres, ont, par nature, tendance à « sortir de leur lit »(36). Il n'en reste pas moins que les juges nationaux conservent aux États la faculté, assez théorique, de contenir d'éventuels débordements.
(1) DTC 1/2004, du 13 déc. 2004, disponible sur le site http://www. tribunalconstitucional.es/Stc2004/DTC2004-001.htm (en l'absence de traduction officielle de la décision du Tribunal en français, l'ensemble des citations figurant dans la présent étude ont été traduites sous la responsabilité de l'auteur).
(2) Le Tribunal constitutionnel fut saisi par le gouvernement espagnol, le 5 novembre 2004, en application de l'article 95 de la Constitution, selon lequel : « 1. La conclusion d'un traité international contenant des dispositions contraires à la Constitution devra être précédée d'une révision de celle-ci. 2. Le gouvernement ou l'une ou l'autre chambre peut faire appel au Tribunal constitutionnel pour qu'il déclare s'il y a ou non contradiction » (pour la version française de la Constitution espagnole on s'est rapporté au site Internet : http://membres.lycos.fr/histoirede france/articles/evenementstextes/constitutionespagnole1978.htm).
(3) Avis du 21 oct. 2004, n° 2544/2004 consultable sur le site officiel du Conseil d'État espagnol : http://www.consejo-estado.es/SUMARIO. htm.
(4) Selon la disposition de l'article 93 de la Constitution espagnole : « Une loi organique pourra autoriser la conclusion des traités attribuant à une organisation ou à une institution internationale l'exercice de compétences dérivées de la Constitution. Il incombe aux Cortes générales ou au gouvernement, selon le cas, de garantir l'exécution de ces traités et des résolutions émanant des organismes internationaux ou supranationaux qui bénéficient de la cession de compétences ».
(5) Selon la doctrine de primauté, développée progressivement par la Cour de Luxembourg, un État membre ne saurait se soustraire à ses obligations d'application ou de transposition du droit communautaire en s'appuyant sur une règle de droit interne, fut-elle constitutionnelle. Cette jurisprudence vise l'application uniforme du droit communautaire qui est considérée comme une condition indispensable à la réalisation des buts consentis par les États membres. Cf. CJCE, 15 juill. 1964, Costa c/ ENEL, aff. 6/64, Rec. 1141 ; CJCE, 17 déc. 1970, Internationale Handelsgesellschaft, aff. 11/70, Rec. 1135 ; CJCE, 9 mars 1978, Simmenthal, aff. 106/77, Rec. 64 ; CJCE, 11 avr. 1978, Commission c/ Italie, aff. 100/77, Rec. 879 ; CJCE, 6 mai 1980, Commission c/ Belgique, aff. 102/79, Rec. 1473.
(6) On se rapportera pour l'essentiel aux jurisprudences " Solange I " (29 mai 1974, RTD eur. 1975, note M. Fromont) et " Solange II " (22 oct. 1986, RTD eur. 1987, note V. Constantinesco) de la Cour constitutionnelle de la RFA, ainsi qu'à la jurisprudence Frontini (27 déc. 1973, 183/73, Rivista di diritto internatzionale, 1974, p. 130) de la Cour constitutionnelle italienne.
(7) J.-E. Schoettl, « La ratification du »traité établissant une Constitution pour l'Europe« appelle-t-elle une révision de la Constitution française ? », Petites affiches 29 nov. 2004, n° 238, pp. 3-25. Dans le même sens, Jean-Claude Gautron a observé récemment qu'« on est plutôt en présence d'un conflit potentiel d'ordres juridiques que des normes juridiques » (table ronde, sur la déc. 2004-505DC, 16 déc. 2004, CRDC, Paris, Centre Malher).
(8) Il est intéressant de remarquer qu'aucune des deux juridictions constitutionnelles n'envisage l'affirmation d'une nouvelle catégorie juridique : celle de « traité constitutionnel ». Malgré l'hérésie juridique que ce terme semble relever, il constitue un aperçu plus pertinent de ce texte dont « on ne peut nier [...] plusieurs caractéristiques propres à un texte constitutionnel » (déc. du Tribunal constitutionnel); en outre, il s'accommode mieux à cet « ordre juridique communautaire [...] distinct de l'ordre juridique international » (cons. 11 de la déc. 505 DC).
(9) Il convient de souligner que l'intention initiale des rédacteurs du texte était de reprendre le principe de respect de l'identité nationale, tel qu'il figure dans l'article 6, paragraphe 3, du traité UE et de l'attacher, sous forme de deuxième paragraphe, à l'article I-1 relevant de l'établissement de l'Union. Cf. CONV 574/1/03 REV 1 du 26 févr. 2003 au site officiel de la Convention européenne.
(10) Il importe de signaler que le gouvernement espagnol n'exclut pas, en théorie, la possibilité qu'un texte constitutionnel surgisse d'un traité international. Cette hypothèse est même nourrie, à un certain degré, par le présent texte, à partir du moment où « il contient, en vue de son contenu général, plusieurs caractéristiques propres à un texte constitutionnel ».
(11) La question de l'appellation de l'Union et celle du mode d'exercice de ses compétences, qui constituent deux questions intrinsèquement liées, ont séparé les conventionnels en deux camps opposés. Le terme « Union européenne » retenu à la place de « Fédération d'États nations », a ainsi privilégié le « mode communautaire » par rapport au « mode fédéral ». Cette version finale de l'article se présente quasiment à la fin des travaux de la Convention. Cf. Liste de propositions d'amendements déposés sur l'article I-1 au site officiel de la Convention et CONV 724/1/03 REV 1.
(12) Le rapprochement des articles I-5 et I-6 a été envisagé dès les premières versions de la première partie du traité, comme il résulte des travaux préparatoires au sein de la Convention. En effet, le principe de primauté figurait initialement dans le même article que le principe du respect de l'identité nationale, celui de subsidiarité et celui de coopération loyale sous l'intitulé commun « Application des principes fondamentaux » (cf. CONV 574/1/03 REV 1 du 26 févr. 2003). Il a été ensuite séparé pour gagner sa place dans un article propre, intitulé « Le droit de l'Union », suivi d'un deuxième paragraphe qui a été aussitôt supprimé car il consistait en une répétition du principe de coopération loyale (cf. Proposition d'amendement sur l'article I-10, déposée par M. Hain, membre de la Convention). En ce sens, une autre proposition d'amendement signalait que « la Constitution gagnerait en clarté si le présent article (I-10, »Le droit de l'Union") était inséré dans l'article I-5 ", dans la mesure où il « traite des relations entre l'Union et les États membres, qui font également l'objet de l'article I-5 » (cf. proposition déposé par MM. O'Sullivan et Ponzano).
(13) Plus loin dans la décision, l'article I-60 est considéré comme une garantie ultime qui « permet de définir dans sa dimension réelle la primauté qui serait ainsi incapable de s'imposer à l'exercice d'une dénonciation réservée à la volonté souveraine, suprême, des États membres ».
(14) En revanche, si le Conseil constitutionnel censure certaines des dispositions figurant dans la troisième partie du texte déféré, c'est notamment parce qu'il considère que « la mise en oeuvre de ce principe (de subsidiarité) pourrait ne pas suffire à empêcher que les transferts de compétence autorisés par le traité revêtent une ampleur ou interviennent selon des modalités telles que puissent être affectées les conditions essentielles d'exercice de souveraineté nationale » (cons. 25).
(15) CIG 52/03 ADD 1 du 25 nov. 2004, au site officiel du Conseil de l'Union européenne.
(16) Il s'agit de la décision rendue à propos du traité de Maastricht le 1er juill. 1992 (DTC 1/1992) qui figure en tête des fondements juridiques applicables à la présente décision.
(17) Le Tribunal constitutionnel, lors de sa décision TC 64/91 du 22 mars 1991, a exclu sur ce fondement la possibilité de « former un recours en amparo contre les normes ou contre les actes de droit communautaire dérivé ».
(18) Il en est ainsi de l'hypothèse d'un contrôle de constitutionnalité du droit communautaire dérivé par la voie indirecte du contrôle portant sur la loi de transposition. Cf. Fiches nationales synthétiques de la Conférence des Cours ayant compétence constitutionnelle des États membres de l'Union européenne, CCC, n° 4, second semestre 1997.
(19) C'est dans l'arrêt CJCE, 17 déc. 1970, Internationale Handelsgesellschaft (aff. 11/70, Rec. 1135) que le juge de Luxembourg affirme que le droit communautaire ne pourrait « se voir judiciairement opposer des règles de droit national quelles qu'elles soient, sans perdre son caractère communautaire et sans que ce soit mise en cause la base juridique de la Communauté elle-même ».
(20) Dans son avis, le Conseil d'État, suivant le même raisonnement du Tribunal constitutionnel, n'en avait pas moins estimé qu'« il est toutefois difficilement contestable que l'insertion, au sein du traité, de la règle de primauté du droit communautaire produira certainement des effets autrement plus importants que la simple décantation d'un principe forgé par voie jurisprudentielle, [...] sauf à dénaturer la portée du traité. Étant donné qu'est exclue la formulation des réserves ou des clauses d'exception, l'éventualité d'un conflit potentiel entre le principe de primauté du droit de l'Union et la Constitution ne peut être écartée » [on a repris sur ce point la traduction qui figure dans l'article de A. Santamaria Dacal et F. Donnat, « Ratification du traité instituant une Constitution pour l'Europe en Espagne », www.robert-schuman.org, supplément de la Lettre, n°195 (2005)].
(21) Art. 9, § 1 : « Les citoyens et les pouvoirs publics sont soumis à la Constitution et aux autres normes de l'ordre juridique. »
(22) Le Tribunal constitutionnel reprend l'évolution de la jurisprudence constitutionnelle espagnole en la matière. En effet, dans une première décision du 14 févr. 1991 (TC 28/91), le Tribunal avait accordé aux normes communautaires un caractère « infraconstitutionnel ». Deux ans plus tard, le Tribunal revient sur sa position pour qualifier les normes communautaires de « non constitutionnelles » (TC 180/93).
(23) Le Tribunal s'aligne sur ce point sur une partie de la doctrine espagnole qui estime qu'en effet : « c'est par la volonté propre de la Constitution, exprimée dans son article 93, que se produit une substitution des dispositions constitutionnelles par les dispositions des traités et des actes communautaires » (A. Mangas Martin, « Le droit espagnol et l'intégration européenne », in XVIII FIDE Kongress, Berlin, 1996, vol. 1, p. 209).
(24) Cons. const., n° 2004-496 DC, 10 juin 2004, Loi pour la confiance dans l'économie numérique, JORF 22 juin 2004, p. 11182.
(25) En effet, la mention faite à la déclaration n° 1 ne peut être lue isolément, car, accepter le principe de primauté, tel qu'il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice, et elle seule, aurait signifié lui accorder une portée absolue et donc admettre de façon générale et absolue la prévalence de la norme communautaire sur la norme constitutionnelle.
(26) Le raisonnement suivi dans la décision Économie numérique a été repris et éclairci dans les décisions Cons. const., n° 2004-497DC, 1er juill. 2004, Loi relative aux communications électroniques et aux services de communication audiovisuelle, JORF 10 juill. 2004, p. 12506 ; Cons. const., n° 2004-498 DC, 29 juill. 2004, Loi relative à la bioéthique, JORF 7 août 2004, p. 14077 ; Cons. const., n° 2004-499 DC, 29 juill. 2004, Loi relative à la protection des personnes physiques à l'égard de traitement des données de caractère personnel et modifiant la loi n° 78-17 du 6 janv. 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, JORF 7 août 2004, p. 14087.
(27) B. Mathieu, Intervention à la demi-journée d'étude portant sur la déc. n° 2004-505DC, 16 déc. 2004, CRDC, Paris, Centre Malher.
(28) La théorie du monisme en France trouve son fondement constitutionnel dans l'alinéa 14 du Préambule de la Constitution de 1946. Cette disposition est reprise dans les normes de référence applicables à la présente décision du Conseil.
(29) Quoique la Constitution espagnole ne contienne aucune référence explicite à l'Union ou/et aux Communautés européennes, les effets du droit de l'Union, y compris la primauté, sont pleinement acceptés, à la suite d'une tradition moniste enracinée qui trouve son fondement constitutionnel à la disposition de l'article 96, paragraphe 1, de la Constitution. Selon cette disposition, « Les traités internationaux conclus de façon valable et une fois publiés officiellement en Espagne feront partie de l'ordre juridique interne. Leurs dispositions ne pourront être abrogées, modifiées ou suspendues que sous la forme prévue dans les traités eux-mêmes ou conformément aux normes générales du droit international ». Cf. sur cette question, J. M. Perez de Nanclares, A. Lopez Castillo, Rapport espagnol au Congrès de la Fédération internationale de droit européen (FIDE), 2002, http://www.fide2002.org/pdfs/euspain.pdf
(30) O. Gohin, « Conseil constitutionnel et Constitution européenne : les trois contradictions », JCP (Admin. et coll. terr.) 2004 (53), pp. 1707-1710.
(31) Qualifier de partie intégrante des traditions constitutionnelles communes, la position française qui s'oppose « à ce que soient reconnus des droits collectifs à quelque groupe que ce soit, défini par une communauté d'origine, de culture, de langue ou de croyance » (cons. 16), ne peut que surprendre. Car, cette position, reprise de la décision du Conseil sur la Charte européenne sur les langues régionales ou minoritaires est minoritaire par rapport à celle des États membres, bien plus nombreux, qui ont adhéré à ladite Charte.
(32) Ibid., p. 317.
(33) Cour EDH, 29 juin 2004, Leyla Sahin c/ Turquie, n° 4774/98.
(34) P. Mazeaud, Échanges de voeux à l'Élysée le 3 janv. 2005, sur le site officiel du Conseil constitutionnel ; dans le même sens, Jean-Éric Schoettl remarque, à propos de la Charte, que « toute interprétation jurisprudentielle future des Cours de Luxembourg ou de Strasbourg allant au-delà des dispositions de la Charte ou restreignant la portée de ses clauses de limitation particulières ou générales conduirait à altérer les données au vu desquelles s'est prononcé le Conseil constitutionnel pour arriver à la conclusion que la deuxième partie du traité n'appelait pas de révision », in « La ratification du »traité établissant une Constitution pour l'Europe« appelle-t-elle une révision de la Constitution française ? », op. cit., p. 19.
(35) Cette position a été récemment réaffirmée dans son arrêt CJCE, 11 janv. 2000, Tanja Kreil, 285/92, Rec. I 95. Dans le cadre de cet arrêt, une directive sur l'égalité de traitement entre les hommes et les femmes fait obstacle à l'application de l'article 12 de la loi fondamentale allemande qui exclut les femmes des emplois militaires comportant l'utilisation des armes.
(36) B. Mathieu, « La »Constitution« européenne ne menace pas la République. Observations sur la décision 2004-505DC, traité portant Constitution pour l'Europe », D. 2004 (43), pp. 3075-3077.