Avant-propos
Laurent FABIUS
Nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel n° 53 (dossier : La Constitution et la laïcité) - octobre 2016
Nous avons choisi de consacrer ce numéro à « la Constitution et la laïcité ». Le choix de ce thème apparaît opportun, compte tenu notamment de la place éminente de la laïcité dans notre Constitution, dont l'article 1er prévoit que « la France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale ».
Loin des polémiques qui, en cette matière, ne sont pas rares et qui empêchent une réflexion sereine, le dossier que nous publions rassemble quatre contributions abordant la question de la laïcité sous l'angle juridique. Pour autant, aucun de leurs auteurs ne reste enfermé dans l'abstraction du droit : tous s'appuient sur des exemples concrets, souvent tirés de l'actualité française et internationale. La confrontation du droit au fait et inversement : telle est la ligne directrice de ces articles. Quelques mots de présentation sur chacun d'eux.
La contribution de Stéphanie Hennette Vauchez, professeur de droit public à l'Université Paris-Ouest Nanterre La Défense, défend notamment la thèse selon laquelle la laïcité, conçue au début du xxe siècle comme mode d'organisation des pouvoirs publics dans leur rapport aux cultes, tend de plus en plus à devenir le fondement de droits individuels. L'auteur s'appuie entre autres sur la décision 2012-297 QPC du 21 février 2013, par laquelle le Conseil constitutionnel a jugé que le principe de laïcité figure au nombre des « droits et libertés que la Constitution garantit » au sens de l'article 61-1 de la Constitution -- le Conseil faisant résulter de ce principe une série de droits individuels, comme le respect de toutes les croyances, l'égalité de tous les citoyens devant la loi sans distinction de religion et la garantie par la République du libre exercice des cultes.
Didier Leschi, directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, évoque plusieurs problèmes contemporains liés à la laïcité, comme la question du droit pour un employeur de licencier un salarié qui porterait, par la manifestation explicite de son appartenance religieuse, atteinte à la neutralité de l'entreprise dans son rapport aux usagers -- affaire dite « Baby Loup » --, la représentation du culte musulman et l'institutionnalisation d'un « islam de France », et plus généralement le rôle des normes juridiquement contraignantes pour faire face aux mises en cause de la laïcité.
Thomas Hochmann, professeur de droit public à l'Université de Reims Champagne-Ardenne, procède quant à lui à un exercice stimulant de droit comparé entre la France et les États-Unis concernant la place des références et emblèmes religieux dans l'espace public. L'auteur prend appui sur le débat français lié à l'installation de « crèches de Noël » dans certains bâtiments publics comme des mairies -- sujet ayant récemment fait l'objet de jurisprudences divergentes au sein de la juridiction administrative.
Enfin, l'article d'Émilie Bokdam-Tognetti, rapporteur public au Conseil d'État, retrace la jurisprudence du Conseil d'État concernant le financement des cultes. Elle insiste notamment sur les importantes décisions de juillet 2011 par les- quelles l'Assemblée du contentieux a jugé certains types de financements publics des lieux cultuels compatibles avec l'article 2 de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l'État, aux termes duquel : « La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte ».
Les débats soulevés par le principe de laïcité sont complexes, et leur traitement souvent embrumé par les passions : face aux risques de confusion et d'imprécision, ces articles invitent le lecteur à une réflexion critique, éclairée par le droit.