Page

Administration et application du processus électoral: le modèle canadien

Jean-Pierre KINGSLEY - Directeur général des élections du Canada

Cahiers du Conseil constitutionnel n° 13 (Dossier : La sincérité du scrutin) - janvier 2003

Le Canada est une démocratie libérale en ce qu'il pose la liberté de choisir. Des libertés fondamentales inscrites dans la loi constitutionnelle de 1982, et notamment à l'article 2 de la Charte canadienne des droits et libertés, sous-tendent cette capacité de choisir : liberté de conscience et de religion, de pensée et de croyance, d'opinion et d'expression, de réunion pacifique, enfin liberté d'association. L'un des choix fondamentaux dont est imparti le peuple canadien est de pouvoir sélectionner ses représentants. En cela, le Canada constitue aussi une démocratie électorale représentative ou indirecte : les Canadiennes et les Canadiens habilités à voter élisent leurs gouvernants au moyen du système électoral majoritaire uninominal à un tour, et ce, depuis plus de deux siècles. Bien que l'acte de naissance officiel du Canada - l'Acte de l'Amérique du nord britannique - date de 1867, dès la fin du xviiie siècle des élections se sont tenues sur ce qui était alors le territoire du Bas-Canada et du Haut-Canada, puis du Canada-Uni.

Le chef de l'État canadien est la reine du Canada (Élizabeth II), dont les pouvoirs sont définis et encadrés par la Constitution, le Canada est ainsi une monarchie constitutionnelle. N'étant pas un monarque résident en sol canadien, la reine est représentée par le gouverneur général. Le Canada a adopté le fédéralisme de son voisin du sud et le régime parlementaire de la Grande-Bretagne, bien que ces adaptations ne soient pas intégrales (par exemple, s'agissant du fédéralisme, aux États-Unis la clause résiduelle appartient aux États alors qu'au Canada elle revient au fédéral). Outre la reine, le Parlement canadien se compose du Sénat et de la Chambre des communes. Le Sénat, aussi appelé « Chambre haute », compte un maximum de 113 membres (art. 28 de la loi constitutionnelle de 1867, telle que modifiée), nommés par le gouverneur général sur recommandation du Premier ministre. Les 301 députés de la Chambre des communes sont choisis par les Canadiennes et les Canadiens à l'occasion d'élections générales fédérales. Le système majoritaire uninominal à un tour est l'arrangement électoral retenu par le Canada - au demeurant hérité de la Grande-Bretagne, bien que des expériences de représentation binominale aient eu cours jusque dans les années 1960. Au contraire des États unitaires, les États fédératifs prévoient un partage des compétences entre plusieurs ordres de gouvernement. Le fédéralisme canadien est dualiste et il dispose que les entités fédérées (soit, d'une part, la fédération et, d'autre part, les provinces et les territoires) sont responsables de la gestion de leurs propres élections. Le directeur général des élections du Canada est chargé de la tenue des élections et des référendums qui se tiennent au niveau fédéral.

Outre la loi électorale du Canada, le processus électoral au Canada est régi par quatre autres législations, soit la loi constitutionnelle de 1867 (telle que modifiée), la Charte canadienne des droits et libertés, la loi sur la révision des limites des circonscriptions électorales et la loi référendaire (qui ne vise que les questions relatives à la Constitution du Canada). Le bureau du directeur général des élections est également assujetti à d'autres lois d'application générale de nature administrative qui encadrent divers aspects de son mandat et de son fonctionnement, notamment la loi sur la gestion des finances publiques, la loi sur l'emploi dans la fonction publique, la loi sur la protection des renseignements personnels (notamment en regard de la confidentialité de certaines informations contenues dans le registre national des électeurs), la loi canadienne sur les droits de la personne, enfin la loi sur les langues officielles (en vertu de laquelle le directeur général des élections doit offrir ses services en français et en anglais).

Cet article propose un aperçu du modèle électoral canadien s'agissant du rôle du directeur général des élections et de son bureau, communément désigné par le vocable « Élections Canada », du traitement du contentieux électoral et des dispositions constitutionnelles et législatives relatives au mode de scrutin utilisé pour les élections fédérales canadiennes.

I. Le rôle du directeur général des élections et de son bureau

Poste créé en 1920 par l'acte des élections fédérales (l'ancêtre de l'actuelle loi électorale du Canada), le directeur général des élections se limitait initialement à organiser les élections générales et partielles sur la scène fédérale. Graduellement, la loi électorale du Canada et d'autres lois régissant les questions électorales fédérales sont venues élargir le mandat du directeur général des élections aux scrutins (généraux et partiels) et aux référendums de niveau fédéral ainsi que d'autres aspects importants du système électoral canadien, une tâche pour laquelle il doit être prêt à intervenir à tout moment puisqu'au Canada les élections fédérales ne se tiennent pas à date fixe. Aujourd'hui, la loi électorale du Canada est un texte extrêmement complet, d'un point de vue descriptif et prescriptif, à tel point qu'elle n'engendre pas de législation déléguée (ou de réglementation), le directeur général des élections procédant plutôt par directives. Aussi, comme le dispose la loi électorale du Canada, outre d'encadrer les élections et les référendums et de gérer le processus électoral, le rôle du directeur général des élections est d'assurer les missions suivantes :

1. appliquer la législation électorale ce qui, aux termes de l'article 16 de la loi électorale du Canada, signifie qu'il « a) dirige et surveille d'une façon générale les opérations électorales ; b) veille à ce que les fonctionnaires électoraux agissent avec équité et impartialité et observent la présente loi ; c) donne aux fonctionnaires électoraux les instructions qu'il juge nécessaires à l'application de la présente loi ; d) exerce les pouvoirs et fonctions nécessaires à l'application de la présente loi » ;

2. soutenir les commissions indépendantes responsables de la révision périodique des limites des circonscriptions électorales, afin que la représentation reflète au mieux la répartition de la population sur le territoire canadien ;

3. procéder à l'enregistrement des partis politiques, des tiers et, le cas échéant, des comités référendaires ;

4. assurer un contrôle des dépenses d'élection des partis, des candidats et des tiers, examiner et publier leurs rapports financiers et procéder au remboursement des dépenses d'élection des partis politiques et des candidats selon les dispositions prévues par la loi ;

5. voir à ce que le système électoral soit accessible à toutes les électrices et à tous les électeurs, et ce, au moyen d'installations physiques appropriées ainsi que de programmes d'information et d'éducation de la population ; et

6. mettre à jour le Registre national des électeurs.

Le directeur général des élections a également pour mission d'élaborer des stratégies afin de relever les défis de l'avenir. L'un de ceux-ci réside dans la mutation constante de la population canadienne, une réalité qui n'est pas sans interpeller la représentation. Le directeur général des élections est ainsi doté des pouvoirs nécessaires afin d'explorer les possibilités qu'offrent les nouvelles technologies de communication pour les élections de demain (s'agissant, par exemple, du vote électronique, comme en dispose l'article 18.1 de la loi électorale du Canada).

Dans la réalisation de son mandat, le directeur général des élections du Canada est tenu à la plus stricte indépendance politique et partisane. Afin de favoriser cette liberté de toute influence politique et partisane, le directeur général des élections est un mandataire du Parlement, nommé par résolution de la Chambre des communes (paragraphe 13 (1) de la loi électorale du Canada), ce qui implique que tous les partis qui ont une représentation parlementaire participent à sa sélection. Les cinq titulaires(1) qui ont occupé le poste de directeur général des élections depuis sa création ont tous été nommés à l'unanimité par résolution de la Chambre des communes. Le directeur général des élections, qui est nommé à titre inamovible (paragraphe 13 (1) de la loi électorale du Canada) jusqu'à l'âge de 65 ans (paragraphe 13 (2) de la loi électorale du Canada), peut être révoqué pour motif valable par le gouverneur général, sur adresse du Sénat et de la Chambre des communes (paragraphe 13 (1) de la loi électorale du Canada). Il exerce ses fonctions à temps plein et a rang et statut d'administrateur général de ministère. Il ne peut occuper aucune autre charge au service de sa Majesté ni aucun autre poste (paragraphe 15 (1) de la loi électorale du Canada). Il touche un traitement égal à celui d'un juge de la Cour fédérale autre que le juge en chef ou le juge en chef adjoint (paragraphe 15 (1) de la loi électorale du Canada).

Le directeur général des élections est investi de pouvoirs importants qui lui sont nécessaires dans la réalisation de son mandat. Le paragraphe 17 (1) de la loi électorale du Canada lui confère le pouvoir d'adapter la loi : en période électorale, le directeur général des élections peut adapter les dispositions de la loi électorale « dans les cas où il est nécessaire de le faire en raison d'une situation d'urgence, d'une circonstance exceptionnelle, ou imprévue, ou d'une erreur ; il peut notamment prolonger le délai imparti pour l'accomplissement de toute opération et augmenter le nombre de fonctionnaires électoraux ou de bureaux de scrutin. » Aux termes du paragraphe 17 (2) de la loi électorale du Canada, le directeur général des élections ne peut toutefois modifier l'heure limite de réception des actes de candidature, ni prolonger les heures du vote par anticipation ou les heures de vote le jour du scrutin (à moins d'une situation d'urgence telle que définie par le paragraphe 17 (3) de la loi électorale du Canada).

Des pouvoirs budgétaires sont également conférés au directeur général des élections, dans le respect des principes d'indépendance et d'imputabilité. Il bénéficie ainsi du pouvoir d'engager des dépenses tant dans le cadre de son budget administratif qu'en vertu de son autorité statutaire. Son budget de fonctionnement relève de l'approbation du Parlement. À chaque printemps, le directeur général des élections doit soumettre à la Chambre des communes un Rapport sur les plans et les priorités énonçant ses prévisions quant à ses activités et ses besoins financiers conséquents pour l'année à venir. Les parlementaires peuvent interroger le directeur général des élections sur tout aspect de ses prévisions et doivent approuver les crédits budgétaires alloués.

En vertu de son autorité statutaire, le directeur général des élections est également investi d'un autre pouvoir de dépenser destiné à le doter des capacités nécessaires à la mise en oeuvre de la loi électorale du Canada. Aux termes de l'article 553 de la loi électorale du Canada, le directeur général des élections peut puiser directement dans les fonds non attribués du Trésor, les crédits dont il a besoin pour couvrir certaines dépenses. Il s'agit entre autres : de la rémunération des cadres et des employés supplémentaires qu'il estime nécessaires à l'exercice des fonctions que lui confère la loi électorale du Canada relativement à la préparation et à la tenue d'une élection (conformément à l'article 20 de la loi électorale du Canada); des frais encourus afin de mettre à jour le registre national des électeurs (conformément à l'al. 46 (1) b) de la loi électorale du Canada); des honoraires, frais et des indemnités versés aux directeurs du scrutin et aux autres personnes employées pour les élections (conformément au paragraphe 542 (1) de la loi électorale du Canada); des dépenses relatives à l'impression, à la préparation et à l'achat du matériel électoral ; des frais engagés par le commissaire aux élections fédérales (au titre des articles 509 à 513 et 516 à 521 de la loi électorale du Canada).

Pour le seconder dans ses fonctions, le directeur général des élections peut compter sur son bureau, communément appelé « Élections Canada ». Dans l'exercice de ses fonctions, le personnel du directeur général des élections doit également faire preuve de la plus grande neutralité politique. S'agissant de sa structure, le bureau du directeur général des élections compte cinq directions exécutives, soit : la sous-directrice générale des élections et première conseillère juridique (responsable de la direction des services juridiques, de la direction de la recherche nationale et internationale et de l'élaboration des politiques, et de la direction de la planification et des partenariats, des services internationaux et des services de soutien juridique au Commissaire aux élections fédérales), la directrice principale du financement des élections et des services corporatifs, le directeur principal du Registre, de la géographie et de la technologie informatique, le directeur des opérations, enfin la directrice des communications.

Par ailleurs, le directeur général des élections peut également compter sur le concours d'un commissaire aux élections fédérales et d'un arbitre en matière de radiodiffusion, deux acteurs électoraux qu'il nomme et démet, et dont il supervise le travail. L'arbitre en matière de radiodiffusion est responsable de répartir le temps d'antenne payant et gratuit accordé aux partis politiques au cours d'une élection générale ou aux comités référendaires au cours d'un référendum, et ce, conformément aux dispositions de la loi. Pour sa part, le commissaire aux élections fédérales, dont le rôle sera traité plus complètement dans la prochaine section, « a pour mission de veiller à l'observation et à l'exécution » (art. 509 de la loi électorale du Canada). Ainsi, le commissaire est chargé de mener des enquêtes et éventuellement d'intenter des poursuites pour non respect de la loi électorale. Tant l'arbitre que le commissaire sont tenus à la plus grande neutralité politique et partisane.

En somme, le modèle électoral canadien prévoit que la conduite des élections et des référendums sur la scène fédérale est sous la responsabilité du directeur général des élections dont les responsabilités couvrent tous les aspects de la loi. S'y ajoutent également les missions d'arbitre en matière de radiodiffusion et de commissaire aux élections fédérales.

II. Le traitement du contentieux électoral

Le contentieux électoral sur la scène fédérale est modelé au moins par deux traits de la structure de l'État canadien : l'organisation des tribunaux et le fédéralisme. Au contraire des États-Unis, avec qui il partage pourtant le fédéralisme, le Canada ne possède pas deux hiérarchies judiciaires parallèles correspondant aux deux paliers fédératifs de gouvernement. Les pères fondateurs l'ont plutôt doté d'une organisation judiciaire intégrée en vertu de laquelle les tribunaux provinciaux et territoriaux appliquent autant les lois fédérales que provinciales et territoriales. Cela ne signifie pas pour autant que toutes les causes portées devant la justice emprunteront nécessairement les filières fédérale et provinciale. Selon les circonstances et la conjoncture, il est possible qu'une cause ne suive que la filière fédérale. L'organisation judiciaire au Canada compte trois paliers : les tribunaux de première instance, les cours d'appel, et enfin un tribunal de dernier ressort (la Cour suprême du Canada). Il n'existe pas au Canada de tribunal consacré exclusivement aux matières électorales, pas plus qu'aux questions constitutionnelles.

Un État fédéral implique, entre autres, un partage des compétences entre les deux ordres fédératifs de gouvernement. Au Canada, le gouvernement fédéral, les provinces et les territoires gèrent leurs propres élections (les élections municipales relèvent de la juridiction des provinces et des territoires).

En vertu de l'alinéa 16 d) de la loi électorale du Canada qui dispose que le directeur général des élections « exerce les pouvoirs et fonctions nécessaires à l'application de la loi (électorale du Canada) » (il a également le pouvoir d'adapter la loi électorale du Canada pour les fins d'un référendum), et a le pouvoir d'appliquer une décision judiciaire concernant une province donnée à l'ensemble du Canada pour l'application de la loi. L'exemple le plus récent est la cause Harper, survenue au cours de l'élection 2000 : la Cour de division de première instance de l'Alberta a invalidé les articles 350 et 351 de la loi électorale du Canada relatifs aux dépenses de publicité électorale faite par des tiers, une décision que le directeur général des élections a décidé d'étendre à l'ensemble du pays.

Au Canada, de manière générale, le contentieux électoral couvre toutes les instances susceptibles d'être traitées par les tribunaux.

Trois situations se présentent ainsi : primo, la loi électorale du Canada peut être remise en cause à l'aune de la Charte. Dans ce cas, même s'il s'agit d'une contestation de nature constitutionnelle et en raison de la hiérarchie des tribunaux dans le contexte de la fédération canadienne, toute cour de justice, provinciale ou fédérale, est habilitée à entendre une requête en contestation constitutionnelle. Secundo, la loi électorale du Canada peut être saisie d'une infraction, ce qui peut conduire au déroulement d'un vaste processus d'enquête. Ainsi, par exemple, un parti peut contester l'éligibilité d'un candidat en vertu de l'article 65 de la loi électorale du Canada. Tertio, la loi électorale du Canada peut servir de tremplin afin de contester la validité même de l'élection d'un candidat.

A. Requête en contestation constitutionnelle

Depuis son adoption, en avril 1982, la Charte canadienne des droits et libertés a profondément transformé les règles du jeu politique au Canada. Non que les Canadiennes et les Canadiens n'avaient aucune garantie quant à leurs droits et libertés avant l'avènement de la Charte, puisqu'ils pouvaient compter sur la Déclaration canadienne des droits de 1960. Mais la Charte, qui s'applique au Parlement et au gouvernement du Canada ainsi qu'aux législatures et aux gouvernements des provinces et des territoires (art. 32), est venue cristalliser un nouveau contrat social en inscrivant dans la loi suprême du Canada des libertés et des droits démocratiques qui définissent la citoyenneté. Au demeurant, l'article 1er de la Charte dispose que les droits et les libertés qui y sont énoncés ne peuvent être « restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique », alors que l'article 52 établit la primauté et la force exécutoire des normes constitutionnelles sur les normes législatives.

S'agissant de la portée de la Charte, l'article 2 garantit certaines libertés fondamentales essentielles à la pratique de la citoyenneté : « a) liberté de conscience et de religion ; b) liberté de pensée, de croyance, d'opinion et d'expression, y compris la liberté de la presse et des autres moyens de communication ; c) liberté de réunion pacifique ; d) liberté d'association. » Les articles 3, 4 et 5 définissent les droits démocratiques, notamment les droits de vote et d'éligibilité aux élections législatives fédérales ou provinciales (art. 3), le mandat maximal de la Chambre des communes et des assemblées législatives (art. 4) ainsi que les séances annuelles du Parlement et des législatures (art. 5). Enfin, l'article 24 reconnaît le droit au recours en cas d'atteinte aux droits et libertés.

L'invocation de la Charte a donné lieu à une riche jurisprudence qui contribue aussi à façonner le modèle électoral canadien. Essentiellement, quatre questions litigieuses peuvent être dégagées, soit les droits politiques reconnus en vertu de la Charte, les limites des circonscriptions électorales, le droit à la liberté d'expression en cours de campagnes électorales, enfin les droits relatifs aux petites formations politiques.

1) Les droits politiques reconnus en vertu de la Charte des droits et libertés

Les juges, les personnes incarcérées et les personnes ayant une déficience mentale sont les principaux groupes à avoir bénéficié de recours fondés sur la Charte, notamment au regard de l'article 3 qui garantit le droit de vote. En 1988, l'affaire Muldoon c/ Canada, [1988] 3 CF 628 reconnaît aux juges le droit d'exercer leur droit de vote aux élections fédérales. Deux appels concernent le droit de vote des personnes incarcérées dans un pénitencier fédéral : en 1993, Sauvé c/ Canada (procureur général); Belczowski c/ Canada, [1993] 2 RCS 438 leur accorde le droit de voter aux élections fédérales, décision confirmée le 31 octobre 2002 par la Cour suprême du Canada dans Sauvé c/ Canada (directeur général des élections) [2002] CSC 68. Deux décisions ont affirmé le droit de vote des personnes ayant une limitation fonctionnelle ou une déficience mentale. Dans Conseil canadien des droits des personnes handicapées c/ Canada, [1988] 3 CF 622, la Cour fédérale dispose que les personnes ayant une déficience mentale peuvent voter aux élections fédérales. En 1993, le Parlement du Canada a donné suite à cette décision en éliminant l'exclusion du droit de vote pour cause de déficience mentale. Dans Canada (Commission des droits de la personne) c/ Lane (CA), [1990] 2 CF 327, la Cour fédérale établit que la législation sur les droits de la personne protège le droit des électeurs d'accéder aux bureaux de scrutin et que, conséquemment, tout électeur vivant avec une limitation fonctionnelle doit avoir accès à un bureau de scrutin pour exercer son droit de voter. Des modifications à la loi seront apportées en 1992, pour mettre en oeuvre ces principes.

D'autres décisions rendues dans le contexte de contestations judiciaires fondées sur la Charte sont venues préciser le droit de vote des citoyennes et des citoyens. Par exemple, bien que maintenant la législation fédérale, dans Clifford v. Canada (Attorney-General), [1992] O.J. No. 2380, la Cour de l'Ontario a recommandé de la modifier afin de permettre aux personnes absentes du pays le jour du scrutin (ou au moment du vote anticipé) de pouvoir voter. La législation a été modifiée en conséquence en 1993.

2) La révision des limites des circonscriptions électorales

Pour l'essentiel, les recours portant sur les limites des circonscriptions électorales ont consisté à contester la constitutionnalité du découpage électoral à l'aune de l'article 3 de la Charte : le découpage électoral respecte-t-il ledit article qui, consacrant l'égalité des Canadiens et des Canadiennes face au droit de vote, dispose d'un droit à une représentation effective ? Dans Circ. électorales provinciales (Sask.), [1991] 2 RCS 158, la Cour suprême du Canada a maintenu les frontières électorales provinciales de la Saskatchewan, arguant que le droit de vote, tel que garanti par l'article 3 de la Charte, englobait le droit à une représentation effective. Pourtant, la jurisprudence n'apporte pas de réponse unanime aux questions ainsi soulevées, le découpage électoral étant tantôt jugé conforme à la Constitution (Reference re Electoral Boundaries Commission Act (Alberta), [1992] 1 W.W.R. 481, Reference re Electoral Divisions Statutes Amendment Act, 1993 (Alberta), 24 Alta. L.R. (3d) 1), tantôt jugé inconstitutionnel (Dixon v. British Columbia (Attorney General), [1989] B.C.J. No. 1037, MacKinnon v. Prince Edward Island, [1993] P.E.I.J. No. 17, Charlottetown (City) v. Prince Edward Island, [1998] P.E.I.J. No. 88, No. 101, Friends of Democracy v. Northwest Territories (Attorney General), [1999] N.W.T.J. No. 28, No. 45, No. 81).

3) Le droit à la liberté d'expression en cours de campagnes électorales

La jurisprudence en matière de liberté d'expression en cours de campagne électorale a porté sur les plafonds de dépenses imposés aux tiers, c'est-à-dire toute personne ou groupe autre qu'un candidat ou un parti politique, la publication des résultats de sondages, ainsi que le temps d'antenne gratuit et payant. Dans Somerville v. Canada (Attorney General), [1996] AJ No. 515, la cour d'appel de l'Alberta a invalidé les dispositions législatives relatives aux dépenses des tiers sur la scène politique fédérale, dispositions qui limitaient alors toute dépense de publicité à 1000 $. Deux autres jugements ont emprunté la même tangente que Somerville: en 1997, la Cour suprême du Canada a annulé les dispositions de la loi référendaire québécoise (loi sur la consultation populaire) concernant les plafonds de dépenses des tiers (Libman c/ Québec (Procureur général), [1997] 3 RCS 569), alors qu'en 2001 la Cour de division de première instance de l'Alberta a rendu invalides les articles 350 et 351 de la loi électorale du Canada (2), qui avaient été adoptées en 2000, relativement aux dépenses des tiers (Harper v. Canada (Attorney General), [2001] ABQB 558).

S'agissant des résultats de sondages préélectoraux, la loi interdisait leur publication ou leur diffusion les trois derniers jours de la campagne électorale. Dans Thomson Newspapers Co. c/ Canada, [1998] 1 RCS 877, la Cour suprême a invalidé cette disposition législative qui, selon la Cour, gênait la liberté d'expression garantie par l'article 2 de la Charte. Aujourd'hui, l'interdit de publier ou de diffuser les résultats de sondages préélectoraux se limite à la journée même du scrutin fédéral. Enfin dans Reform Party of Canada et v. Canada (Attorney General), [1995] AJ No. 793, la cour d'appel de l'Alberta a jugé que les articles 319 c) et 320 de la loi électorale du Canada (relatifs au temps d'antenne durant les campagnes électorales ainsi qu'à son partage entre les différents partis politiques enregistrés) portaient atteinte à la liberté d'expression protégée par la Charte et, qu'au demeurant, cette limitation ne pouvait se justifier dans une société libre et démocratique (art. 1 de la Charte).

4) Les droits relatifs aux petites formations politiques

Deux affaires ont enrichi la jurisprudence sur les droits des petites formations politiques. Dans une décision rendue en 1994 (Barrette c/ Canada (Procureure générale) (CA Qué), [1994] A.Q. no. 219), la Cour du Québec a maintenu le régime fédéral à l'effet de réserver aux seuls candidats ayant obtenu au moins 15 % des votes valides exprimés, un remboursement partiel de leurs dépenses admissibles de campagnes électorales. Dans Figueroa c/ Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] ACF no. 589, la Cour de l'Ontario (Division générale) a jugé que l'État fédéral pouvait limiter ses ressources (notamment le remboursement partiel des dépenses d'élection aux partis politiques) aux seules formations ayant au moins 50 candidats en lice.

Un autre domaine du contentieux électoral est celui des infractions à la loi.

B. Le processus d'enquête en vertu de la loi électorale du Canada

Tel que mentionné précédemment, il revient au commissaire aux élections fédérales de veiller à ce que soit observée et exécutée la loi électorale du Canada (art. 509) et, à défaut, de prendre des mesures correctives. Aux termes des articles 480 à 499 de la loi électorale du Canada, commet notamment une infraction :

  • quiconque tente d'influencer un électeur à voter ou à s'abstenir de voter ;

  • quiconque entrave ou retarde illégalement les opérations électorales ;

  • quiconque contrevient aux dispositions sur le plafond des dépenses et obligations en matière de dépenses et de contributions électorales ;

  • quiconque contrevient aux dispositions sur le plafond des dépenses et obligations en matière de publicité électorale faite par des tiers ;

  • quiconque diffuse les résultats d'un sondage électoral pendant la période d'interdiction ou sans donner toutes les précisions requises par la loi ;

  • quiconque fait de la publicité électorale pendant la période d'interdiction ;

  • quiconque diffuse prématurément des résultats électoraux ;

  • quiconque utilise à des fins non autorisées des renseignements personnels figurant à une liste électorale ou au registre national des électeurs.

La notion d'infraction recouvre donc un éventail assez large de comportements.

Le commissaire est doté d'un pouvoir quasi judiciaire. En vertu de l'article 511 de la loi électorale du Canada, il peut engager ou faire engager des poursuites visant à sanctionner une infraction s'il a des motifs raisonnables de croire qu'une infraction à la loi a été commise et qu'il estime que l'intérêt public le justifie, soit d'office soit sur réception, dans les six mois de la perpétration, d'une plainte écrite alléguant la commission de l'infraction, soit à la suite d'une enquête que le directeur général des élections, en vertu de l'article 510 de la loi, lui a ordonné de faire parce qu'il avait des motifs raisonnables de croire qu'un fonctionnaire électoral aurait pu avoir commis une infraction à la loi.

Pendant la période électorale, le commissaire peut également demander à un tribunal compétent de délivrer une injonction s'il a des motifs raisonnables de croire à l'existence, à l'imminence ou à la probabilité d'un fait - acte ou omission - contraire à la loi, compte tenu de la nature et de la gravité du fait, du besoin d'assurer l'intégrité du processus électoral et de l'intérêt public (art. 516 de la loi électorale du Canada).

Par ailleurs, le commissaire peut conclure avec l'intéressé une transaction visant à faire respecter la loi s'il a des motifs raisonnables de croire à l'existence, à l'imminence ou à la probabilité d'un fait - acte ou omission - pouvant constituer une infraction à la loi (art. 517 à 521 de la loi électorale du Canada). Le commissaire publie, selon les modalités qu'il estime indiquées, un avis comportant le nom de l'intéressé, les faits reprochés et un résumé des modalités de la transaction (art. 521 de la loi électorale du Canada).

Le commissaire est secondé par des enquêteurs, le plus souvent d'anciens officiers de police dont les compétences sont régulièrement mises à jour, qui agissent en toute neutralité et confidentialité. Il peut aussi compter sur le concours des corps de police et de la gendarmerie royale du Canada.

Au terme du processus d'enquête, un rapport est remis au commissaire qui inclut, entre autres, les raisons de l'enquête ainsi qu'une description de son déroulement, le nom des personnes interviewées, les preuves mises en avant et toute autre information devant être retenue par le commissaire dans sa décision. Le rapport est également examiné par le personnel du commissaire aux élections fédérales, qui formule une recommandation quant à la suite des événements.

L'autorisation écrite du commissaire doit être préalablement obtenue avant que soient engagées les poursuites pour infraction à la loi (paragraphe 512 (1) de la loi électorale du Canada) et celles-ci doivent être engagées dans les dix-huit mois suivant la commission de l'infraction (paragraphe 514 (1) de la loi électorale du Canada).

Une fois prise la décision d'engager une poursuite, le commissaire doit décider s'il agit par voie de procédure sommaire ou par mise en accusation, selon la gravité de l'infraction. Ces deux options ont des effets différents sur la peine prononcée dans l'éventualité d'une condamnation. Les chefs d'accusation sont portés devant un tribunal criminel (les poursuites engagées en vertu de la loi électorale du Canada sont de nature quasi criminelle) et la poursuite suit la procédure normale du système judiciaire canadien, sans l'intervention du procureur général, préservant ainsi le caractère non partisan du processus électoral.

Selon les articles 480 à 502 de la loi électorale du Canada, une personne peut être reconnue coupable d'une infraction simple, d'une infraction constituant un acte illégal ou d'une infraction constituant une manoeuvre frauduleuse.

L'article 500 de la loi électorale du Canada prévoit des peines qui ont pour but de prévenir la fraude électorale, de favoriser la tenue d'élections justes, exemptes de corruption et d'intimidation, et de créer un climat électoral à même de promouvoir les droits des citoyennes et des citoyens de participer à la vie politique. Ainsi, lorsqu'une personne est reconnue coupable d'une infraction, elle est passible d'une amende ou d'une peine d'emprisonnement. Les tribunaux peuvent également imposer d'autres peines, comme l'exécution de travaux d'intérêt collectif, l'exécution de l'obligation faisant l'objet de l'infraction ou encore l'indemnisation des personnes ayant subi des dommages ou toute autre mesure raisonnable que les tribunaux estiment appropriée (art. 501 de la loi électorale du Canada). Selon que l'infraction dont est trouvée coupable une personne soit un acte illégal ou une manoeuvre frauduleuse, elle peut également perdre le droit de briguer les suffrages à une élection fédérale, de siéger à la Chambre des communes et de remplir une charge dont le titulaire est nommé par la Couronne ou le gouverneur en conseil, et ce, pendant cinq années pour un acte illégal et sept années pour une manoeuvre frauduleuse (art. 502 de la loi électorale du Canada). S'il s'agit d'un candidat, son élection peut être annulée. Bien que des infractions à la loi électorale du Canada soient à l'occasion commises, elles ne posent pas de problèmes structurels à la démocratie électorale canadienne.

C. La contestation de la validité de l'élection d'un candidat

Le contentieux électoral peut enfin concerner la validité de l'élection d'un candidat. Le dépouillement judiciaire est un premier recours que prévoit la loi électorale du Canada afin d'agir en ce sens. Le paragraphe 301 (1) de la loi électorale du Canada dispose que « tout électeur peut, dans les quatre jours qui suivent la délivrance du certificat visé à l'article 297, présenter une requête en dépouillement à un juge ». En outre, un dépouillement judiciaire s'impose « lorsque le nombre de votes séparant le candidat qui a reçu le plus grand nombre de votes de tout autre candidat est inférieur à un millième des votes exprimés [...] » (paragraphe 300 (1) de la loi électorale du Canada).

La validité de l'élection d'un candidat peut également être contestée aux termes des articles 522 à 532 de la loi électorale du Canada portant sur la contestation de l'élection. Ainsi, l'article 524 fixe les motifs sur la base desquels une élection peut être contestée, notamment l'inéligibilité du candidat élu au titre de l'article 65 (comme le fait d'être membre de l'Assemblée législative d'une province, d'être incarcéré dans un établissement correctionnel ou d'être un fonctionnaire électoral), ainsi que toute irrégularité, fraude, manoeuvre frauduleuse ou tout acte illégal ayant influé sur le résultat de l'élection. Les tribunaux de première instance de chaque province et territoire sont compétents pour entendre une requête en contestation d'élection (art. 525). L'article 526 énonce le cautionnement qui doit accompagner la requête, l'article 527 le délai de présentation de la requête, l'article 532 l'appel pouvant être interjeté à la Cour suprême du Canada.

Pour l'essentiel, les annales judiciaires retiennent deux affaires marquantes en matière de contestation des élections. La décision Wright v. Koziak, [1980] AJ No. 506 établit que, dans certaines circonstances, des irrégularités cumulées peuvent donner lieu à l'invalidation d'une élection. Toutefois, selon la loi électorale du Canada de 1970, ces irrégularités doivent affecter de manière substantielle le résultat de l'élection. L'affaire Bevilacqua, en 1988, est le dernier cas d'application de la loi sur les élections fédérales contestées (maintenant devenue la partie 20 de la loi électorale du Canada). À la suite de l'élection fédérale de 1988, le candidat libéral Maurizio Bevilacqua a été déclaré élu avec une majorité de 66 voix. Alléguant que certaines irrégularités avaient été commises pendant le processus électoral, son plus proche adversaire, le candidat conservateur Michael O'Brien, a contesté l'élection en vertu des dispositions de la loi sur les élections fédérales contestées. Un recomptage judiciaire a été effectué, qui s'est révélé lui être favorable : 121 irrégularités avaient effectivement été commises en cours de processus électoral. Maurizio Bevilacqua a alors interjeté appel et a obtenu gain de cause : un nouveau dépouillement des votes a révélé une majorité de 77 voix en sa faveur. La Cour suprême de l'Ontario a alors conclu que l'élection découlait du non respect des dispositions de la loi, puisque le nombre de suffrages contestés (soit 121 irrégularités) dépassait la marge contestée entre les deux premiers candidats (soit 77 votes) après dépouillement judiciaire. Le candidat libéral a finalement été élu député.

En définitive, le modèle canadien du contentieux électoral couvre à la fois des requêtes en contestation constitutionnelle, le processus d'enquête en vertu de la loi électorale du Canada, et la contestation de la validité de l'élection d'un candidat. Les divers mécanismes mis en place permettent d'assurer l'impartialité du système électoral, l'application de la loi et la garantie des droits démocratiques.

III. Les dispositions constitutionnelles et législatives sur le mode de scrutin canadien

Les règles relatives au mode de scrutin uninominal à un tour, c'est-à-dire à la transposition des votes en sièges à la Chambre des communes, sont principalement définies par la loi constitutionnelle de 1867 (telle que modifiée) et la loi sur la révision des limites des circonscriptions électorales (adoptée en 1964 et modifiée subséquemment). La loi électorale du Canada vient préciser qu'un parti politique enregistré ou admissible ne peut soutenir, par circonscription électorale, qu'une seule personne qui désire briguer les suffrages, (paragraphe 68 (1) de la loi électorale du Canada). Elle prescrit le formulaire du bulletin de vote, ainsi que toutes les règles relatives au dépouillement des votes.

A. La loi constitutionnelle de 1867

Le préambule de la loi constitutionnelle de 1867 (telle que modifiée) stipule que le Canada est une union fédérale dotée " [d']une Constitution reposant sur les mêmes principes que celle du Royaume-Uni. " Aussi, pour l'essentiel, le Parlement canadien fonctionne selon les mêmes principes que Westminster : monarchie constitutionnelle, interaction des pouvoirs législatif et exécutif, responsabilité ministérielle, discipline de parti ne sont que quelques-uns des traits que partagent les parlements du Canada et du Royaume-Uni.

Pourtant, le Parlement du Canada présente aussi des spécificités par rapport au modèle « Westminster ». Il possède ses propres principes constitutifs, s'agissant notamment de la représentation des provinces et des territoires à la Chambre des communes - un élément qui, dans un régime fédéral, revêt une très grande importance s'agissant de l'équilibre des partenaires fédérés. Aussi la représentation à la Chambre basse fait-elle l'objet d'une révision régulière. Ce processus est régi par la loi constitutionnelle de 1867 (telle que modifiée) et la loi sur la révision des limites des circonscriptions électorales.

Les articles 51, 51 A et 52 de la loi constitutionnelle de 1867 (telle que modifiée) portent sur les révisions électorales (art. 51), la constitution de la Chambre des communes (art. 51 A) et l'augmentation du nombre des membres de la Chambre des communes (art. 52). L'article 51 prévoit qu' « à l'issue de chaque recensement décennal, il est procédé à la révision du nombre des députés et de la représentation des provinces à la Chambre des communes [...] » et fixe les règles régissant le calcul du nombre de députés devant être alloué à une province en fonction du quotient électoral de sa population(3). Cet ajustement conduit donc à revoir le nombre de circonscriptions électorales fédérales dans chaque province en fonction de la variation et des mouvements au sein de la population. Le paragraphe 51 (2) prévoit que le Yukon, les territoires du Nord-Ouest et le Nunavut ont droit à un député chacun. L'article 51 A dispose que : « Nonobstant quoi que ce soit en la présente loi, une province doit toujours avoir droit à un nombre de membres dans la Chambre des communes non inférieur au nombre de sénateurs représentant cette province. » Enfin, l'article 52 de la loi constitutionnelle de 1867 (telle que modifiée) permet que « Le nombre des membres de la Chambre des communes [puisse] de temps à autre être augmenté par le parlement du Canada, pourvu que la proportion établie par la présente loi dans la représentation des provinces reste intacte. »

(3) Les règles de l'article 51 de la loi constitutionnelle de 1867 (telle que modifiée) prévoient : « 1. Il est attribué à chaque province le nombre de députés résultant de la division du chiffre de sa population par le quotient du chiffre total de la population des provinces et de deux cent soixante-dix-neuf, les résultats dont la partie décimale dépasse 0.50 étant arrondis à l'unité supérieure ; 2. Le nombre total des députés d'une province demeure inchangé par rapport à la représentation qu'elle avait à la date d'entrée en vigueur du présent paragraphe si l'application de la règle 1 lui attribue un nombre inférieur à cette représentation. »

B. La loi sur la révision des limites des circonscriptions électorales

La loi sur la révision des limites des circonscriptions électorales (ci-après loi sur la révision) a créé des commissions de délimitation des circonscriptions électorales indépendantes ayant pour mandat de faire rapport sur la révision de la représentation des provinces à la Chambre des communes. Chaque commission est constituée de trois membres (art. 4 de la loi sur la révision), la présidence étant occupée soit par un juge nommé par le juge en chef de la province en question, soit par une personne qui réside dans la province alors nommée par le juge en chef du Canada (paragraphes 5 (1) et 5 (2) de la loi sur la révision). Les deux autres membres sont nommés par le président de la Chambre des communes « parmi les personnalités de la province qui lui semblent compétentes » (paragraphe 6 (1) de la loi sur la révision). La charge de commissaire est incompatible avec celle de sénateur ou de député fédéral, ou de membre d'une assemblée législative ou d'un conseil législatif d'une province (art. 10 de la loi sur la révision).

Le directeur général des élections, dès qu'il reçoit du statisticien en chef, après chaque recensement décennal un état certifié de la population, procède au calcul du nombre de sièges de députés à attribuer à chacune des provinces, compte tenu des règles de l'article 51 de la loi constitutionnelle de 1867 (telle que modifiée) et en fait publier les résultats sans délai dans la Gazette du Canada (art. 14 et paragraphe 13 (1) de la loi sur la révision). Il doit également adresser un exemplaire de l'état certifié des résultats de recensement au président de chacune des commissions, puis dresser la carte démographique de chaque province et la transmettre à la commission concernée (paragraphe 13 (2) de la loi sur la révision).

Dans les meilleurs délais suivant la publication du nombre de sièges de députés à attribuer, chaque commission doit présenter, motifs à l'appui, ses recommandations quant au partage en circonscriptions électorales de la province pour laquelle elle a été constituée ainsi que du nombre de sièges et du nom à attribuer à chacune des circonscriptions (paragraphe 14 (2) de la loi sur la révision des limites des circonscriptions électorales).

Chaque commission doit remettre son rapport dans un délai maximal d'un an (à compter de la réception de l'état certifié chiffrant la population de la province), au directeur général des élections. Celui-ci le transmet au président de la Chambre des communes qui l'y fait déposer pour étude par le comité chargé des questions électorales (art. 20 et 21 de la loi sur la révision). Une commission ne peut remettre son rapport sans avoir tenu au moins une séance dans la province pour laquelle elle a été établie, de façon à entendre les observations des intéressées (art. 19 de la loi sur la révision). Par ailleurs, le comité de la Chambre des communes chargé des questions électorales peut émettre des oppositions et faire rapport au président de la Chambre des communes (art. 22 de la loi sur la révision). Ce rapport est remis aux commissions concernées par l'entremise du directeur général des élections. Des commissions doivent étudier l'opposition et statuer en l'espèce. Le directeur général des élections retourne alors au président de la Chambre des communes un exemplaire certifié conforme du rapport de la commission, avec ou sans modification selon la décision rendue à l'égard de l'opposition (art. 23 de la loi sur la révision).

Pour leur rapport, les commissions doivent tenir compte de certains principes mentionnés à l'article 15 de la loi sur la révision. Elles doivent certes partager la province en circonscriptions électorales compte tenu du quotient électoral provincial, prendre en considération, dans la détermination des limites, l'existence de « communautés d'intérêts » ou la spécificité notamment historique de telle ou telle circonscription, ou encore la nécessité de maintenir dans des limites acceptables la superficie des circonscriptions dans les régions peu peuplées (rurales ou septentrionales). Chaque commission peut déroger au quotient électoral chaque fois que cela lui apparaît souhaitable pour l'application des critères particuliers ci-dessus mentionnés. Cependant, l'écart entre la population de la circonscription électorale et le quotient électoral provincial ne doit pas excéder vingt-cinq pour cent.

Il revient au directeur général des élections d'établir et d'adresser au ministre responsable un projet de décret de représentation électorale. Ce dernier, a) établit le nombre des députés fédéraux à élire pour chaque province ; b) précise le découpage de chaque province en circonscriptions électorales ; c) identifie les limites de chacune des circonscriptions ; d) indique la population de chaque circonscription ; et e) détermine le nom de chaque circonscription (art. 24 de la loi sur la révision). Dans les cinq jours qui suivent la réception par le ministre du projet de décret, le gouverneur en conseil lui donne, par proclamation, force de loi, avec effet à compter de la première dissolution du Parlement survenant au moins un an après la date de la proclamation (paragraphe 25 (1) de la loi sur la révision).

Au moment d'écrire ces lignes, une révision des limites électorales fédérales est en cours au niveau fédéral au Canada, et ce, pour tenir compte de l'évolution démographique survenue entre 1991 et 2001. Le nombre des députés à la Chambre des communes passera ainsi de 301 à 308 en 2004.

En résumé, la loi constitutionnelle de 1867 (telle que modifiée) vient régir la façon et la fréquence à laquelle il doit être procédé à la révision du nombre de députés à la Chambre des communes, et la loi sur la révision des limites des circonscriptions électorales vient préciser les règles selon lesquelles les limites des circonscriptions électorales au sein de chaque province doivent être délimitées.

Conclusion

Le Canada est une monarchie constitutionnelle, dotée d'un État fédéral et d'un régime parlementaire du type Westminster, dont les membres de la Chambre basse sont élus au système majoritaire uninominal à un tour. Pour l'essentiel, les dispositions constitutionnelles et législatives qui encadrent le modèle électoral canadien trouvent leur fondement dans la loi constitutionnelle de 1867 (telle que modifiée), dans la Charte canadienne des droits et libertés ainsi que dans une riche jurisprudence et dans toute une série de lois ordinaires du Parlement - dont la plus importante est la loi électorale du Canada. S'il incombe au directeur général des élections du Canada d'appliquer cette dernière, c'est au commissaire aux élections fédérales qu'il appartient de veiller au respect de la loi électorale du Canada. Tel est le modèle électoral que le Canada s'est donné afin de promouvoir une juste compétition électorale et de préserver les droits constitutionnels des citoyennes et des citoyens. Ces droits sont d'autant mieux protégés que les règles du jeu électoral prévoient la possibilité de contester une élection.

Le modèle électoral canadien reflète l'histoire, les cultures ainsi que les forces qui tissent la communauté politique canadienne. Il n'est pas fixé définitivement, mais évolue aux rythmes des développements qui animent la société canadienne. La Charte canadienne des droits et libertés constitue certainement l'un des moteurs les plus dynamiques ayant contribué au changement du modèle électoral canadien au cours des vingt dernières années. Aujourd'hui, il n'existe pratiquement plus d'exclusion à l'exercice du droit de vote. L'évolution de la population exerce également une pression sur l'adaptation du modèle électoral canadien. Les Canadiennes et les Canadiens sont de plus en plus mobiles : ils déménagent et ne sont pas nécessairement présents dans leur circonscription le jour du scrutin. Deux initiatives adoptées au cours des années 1990, le bulletin de vote spécial et le registre national des électeurs, apportent des réponses à cette mobilité qui marque aujourd'hui davantage l'électorat canadien.

Pour l'heure, la loi électorale du Canada n'en demeure pas moins perfectible. À la suite de la dernière élection fédérale, celle qui s'est tenue en novembre 2000, le directeur général des élections a soumis au Parlement, conformément à l'article 535 de la loi électorale du Canada, un rapport soulignant les modifications qu'il serait souhaitable, à son avis, d'apporter à celle-ci, et ce, afin d'en améliorer l'application. Pour l'essentiel, ces modifications visent à faciliter l'accès au processus électoral, à favoriser l'égalité des acteurs électoraux, à promouvoir la liberté d'expression et d'association, enfin à améliorer l'efficacité de l'administration électorale.

(1) Il s'agit de MM. Oliver Mowat Biggar, qui a occupé le poste de directeur général des élections entre 1920 et 1927, Jules Castonguay (1927-1949), Nelson Jules Castonguay (1949-1966), Jean-Marc Hamel (1966-1990) et Jean-Pierre Kingsley, actuel directeur général des élections en poste depuis 1990.
(2) L'article 350 de la loi interdit aux tiers, pendant la période électorale relative à une élection générale, de faire des dépenses de publicité électorale dépassant, au total, 150000 $ et, de ce total, de dépenser, au total, plus de 3000 $ pour favoriser l'élection d'un ou de plusieurs candidats ou s'opposer à l'élection d'un ou de plusieurs candidats. Le terme publicité électorale, tel que définit à l'article 319 de la Loi, s'entend de la diffusion, sur un support quelconque au cours de la période électorale, d'un message publicitaire favorisant ou contrecarrant un parti enregistré ou l'élection d'un candidat, notamment par une prise de position sur une question à laquelle est associé un parti enregistré ou un candidat. L'article 319 prévoit cependant certaines exceptions telles la diffusion d'éditoriaux, de débats, de nouvelles, d'entrevues, de chroniques, de commentaires ou de lettres ; la promotion ou la distribution, pour une valeur commerciale non inférieure à sa valeur commerciale, d'un ouvrage dont la mise en vente avait été planifiée sans égard à la tenue de l'élection ; l'envoi de documents par une personne ou un groupe directement à ses membres, ses actionnaires ou ses employés ; et la diffusion par un individu, sur une base commerciale, de ses opinions politiques sur le réseau communément appelé Internet.
(3) Les règles de l'article 51 de la loi constitutionnelle de 1867 (telle que modifiée) prévoient : « 1. Il est attribué à chaque province le nombre de députés résultant de la division du chiffre de sa population par le quotient du chiffre total de la population des provinces et de deux cent soixante-dix-neuf, les résultats dont la partie décimale dépasse 0.50 étant arrondis à l'unité supérieure ; 2. Le nombre total des députés d'une province demeure inchangé par rapport à la représentation qu'elle avait à la date d'entrée en vigueur du présent paragraphe si l'application de la règle 1 lui attribue un nombre inférieur à cette représentation. »