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Voeux 2002 à l'Élysée

Allocutions de Messieurs Jacques CHIRAC et Yves GUÉNA, Palais de l'Elysée, 3 janvier 2002


Allocution de Monsieur Jacques Chirac, Président de La République

À l'occasion de la présentation des vœux du Conseil constitutionnel

Palais de L'Élysée, Jeudi 3 janvier 2002

Monsieur le Président,

Mesdames, Messieurs,

Je vous remercie des vœux que vous venez de m'adresser au nom de votre collège et auxquels je suis, Monsieur le Président, très sensible. A mon tour, je forme pour vous et pour les membres du Conseil constitutionnel les vœux les plus chaleureux pour une bonne et heureuse année 2002.

Les Constituants de 1958 vous ont confié la haute mission de garantir la conformité des lois à la Constitution, de veiller à l'équilibre de nos institutions et à la régularité des élections nationales.

Avec le temps, ces missions se sont encore développées, ne serait-ce que parce que votre existence répondait à un besoin réel de la démocratie aussi bien qu'à une aspiration profonde des Français.

Vous vous êtes donné les moyens d'assurer en toute circonstance la défense des grandes libertés. Vous avez placé le respect des droits de l'Homme au cœur de notre édifice institutionnel. Pour la première fois dans son histoire, notre pays dispose ainsi d'une institution chargée de veiller à ce que le dernier mot revienne toujours aux principes fondamentaux de notre ordre républicain.

A travers les réformes de 1974 et de 1992, votre action s'est également traduite par un plus grand respect des droits de la minorité parlementaire, contribuant ainsi à l'équilibre et à la modernisation du débat politique dans notre pays.

Vos décisions tiennent désormais une place tout à fait essentielle dans notre démocratie. Elles s'imposent dans toute l'étendue de la chose décidée à toutes les autorités administratives et juridictionnelles. Elles doivent être respectées.

Ce n'est pas seulement la Constitution qui donne à votre collège une telle autorité. C'est le contenu même de vos décisions, qui sont toujours allées dans le sens d'une protection plus efficace des droits de l'Homme et du citoyen. Par leur clarté, par leur équilibre, elles contribuent à guider l'action du législateur, des pouvoirs publics et des juridictions.

Votre jurisprudence ne se contente pas d'assurer la défense des principes immuables de notre République. Elle est aussi attentive aux évolutions de notre société. Cette écoute est du reste indispensable pour garantir une protection réelle et efficace des libertés de chacun, c'est-à-dire pour trouver à chaque instant le point d'équilibre entre des objectifs constitutionnels qui s'enracinent dans des textes de portée absolue, mais dont le contenu concret se doit d'évoluer avec la société.

C'est vrai dans le domaine de la bioéthique, où vous devrez continuer à guider le législateur dans l'arbitrage qu'il recherche entre le progrès scientifique, le respect des droits des malades et celui de la dignité humaine. C'est vrai pour notre organisation territoriale, qui doit faire plus de place aux libertés locales sans remettre en cause l'indivisibilité de la République. C'est vrai enfin dans le domaine essentiel de l'ordre public, où le Parlement a le devoir impérieux de donner au Gouvernement un cadre législatif permettant de garantir la sécurité des Français, car la sécurité est aujourd'hui la première des libertés et l'insécurité la première des inégalités.

Jamais les grandes libertés n'ont été aussi présentes dans notre ordre juridique. Elles doivent continuer à s'imposer avec la même vigueur, avec le même souci des droits individuels de chacun.

Mais pour que ces libertés prennent tout leur sens, il est impératif que l'ordre républicain soit respecté. Votre jurisprudence en a fait, à juste titre, un objectif à valeur constitutionnelle. La liberté n'est pas l'impunité et rien ne porte plus atteinte à la République que la violence.

Tous les démocrates devront dans les années qui viennent s'assurer que le droit de chacun à la sécurité est respecté. Ils devront faire en sorte que les forces de police aient les moyens juridiques de lutter contre la criminalité et que la justice puisse apporter à toute infraction une réponse rapide et adaptée, conforme à nos traditions pénales. Il en va de la défense de notre État de droit et de notre capacité à vivre ensemble. Au-delà des droits proclamés, qui tardent si souvent à trouver leur plein effet, il en va aussi de notre capacité à renforcer les garanties dont bénéficient nos concitoyens pour l'exercice réel et concret de leurs libertés fondamentales.

Monsieur le Président,

Mesdames, Messieurs,

Vous avez, au cœur de nos institutions, un rôle éminent d'arbitrage et de régulation. L'indépendance, la mesure et l'indéfectible attachement aux valeurs républicaines avec lesquels vous vous acquittez de cette mission justifient la place essentielle que vous avez prise dans la République. A chacune et à chacun d'entre vous, je renouvelle mes vœux les plus chaleureux pour l'année 2002.

Je vous remercie.

Allocution de Monsieur Yves Guéna, Président du Conseil constitutionnel

À l'occasion de la présentation des vœux du Conseil constitutionnel au Président de la République

Palais de L'Élysée, Jeudi 3 janvier 2002

Monsieur le Président de la République,

A l'aube de cette année 2002, le Conseil constitutionnel, renouvelé pour un tiers l'an dernier, vous présente ses vœux les plus sincères. Ils s'adressent à vous, à Madame Chirac, ainsi qu'à tous ceux qui vous entourent et vous secondent dans cette maison. L'année 2001 aura été pour le Conseil une année faste puisque vous nous fîtes l'honneur de votre visite rue de Montpensier à l'occasion du centenaire de la loi sur les associations et du trentième anniversaire de notre décision fondatrice de 1971.

Alors que le monde est entré dans une période troublée qui requiert chez les dirigeants, capacité de décision, sûreté de jugement et pondération, nous nous rappelons que vous avez été formé de longue main aux exigences du service de l'Etat, de la République, de la France dans des postes de ministre, puis par deux fois de Premier ministre, qui vous avaient préparé à l' exercice de la plus haute charge de l'Etat, la Présidence de la République. Une telle expérience est précieuse dans les heures difficiles ; elle est bénéfique pour la France. Le Président de la République, garant de l'indépendance nationale, assure par son arbitrage le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ; en tant que chef des Armées, il est celui vers lequel en période de crise, se tournent naturellement les Français, et il tient le rôle essentiel sur la scène internationale.

Aussi bien, je le dis en passant, nul n'a pu s'étonner que la Cour de cassation, dans la ligne du Conseil constitutionnel, ait reconnu au chef de l'Etat un statut répondant à sa position éminente dans la République.

Vous veillez, Monsieur le Président de la République, au respect de la Constitution. Il est donc normal que le Conseil constitutionnel vous rende compte de son action en 2001 dans sa double mission de contrôle de la constitutionnalité des lois et des traités, et de juge électoral.

Pour la première mission et sans vous lasser par une énumération de nos décisions, je citerai deux lignes directrices de notre jurisprudence pour l'année écoulée. En premier lieu la réaffirmation de l'égalité devant la loi, inséparable de l'indivisibilité de la République ; ainsi avons-nous écarté des dispositions qui instauraient en vérité des quotas transgressant le principe républicain d'accès aux emplois publics et de dévolution des marchés publics. En second lieu, la sécurité juridique sans laquelle la loi perdrait tout crédit ; ainsi venons-nous de refuser la remise en cause rétroactive d'engagements solennellement contractés par l'Etat à l'égard de la sécurité sociale.

D'une façon générale, nous sommes les gardiens de la loi suprême qui fut adoptée par le peuple et dont au surplus les vertus sont évidentes, notamment par la stabilité qu'elle assure à l' exécutif : il est de fait qu'en 43 ans, un seul gouvernement fut renversé par l'Assemblée, situation sans précédent en 130 années de régime républicain.

Au sein du Conseil, lorsque nous prenons nos décisions, nous nous conduisons comme des hommes et des femmes qui ont l'expérience du gouvernement et de la vie politique. Ainsi sommes-nous

- conscients des contraintes qui enserrent l'action des pouvoirs publics ; il n'est pas facile de gouverner, nous le savons ;

- respectueux de la liberté d'action du Parlement, car nous ne nous reconnaissons pas un pouvoir d'appréciation de même nature que le sien, et nous le rappelons « expressis verbis » ;

- empreints du souci de ne jamais sacrifier l'intérêt général à une vision trop étriquée du droit.

S'agissant de notre rôle de juge électoral, nous avons en 2001, tranché en quelques semaines le contentieux des élections sénatoriales.

Sur saisine du Garde des Sceaux, nous prononçâmes, en application d'un jugement définitif, la déchéance d'un parlementaire ; nous croyons savoir qu'un autre cas de déchéance attend le bon vouloir de l'autorité compétente pour nous saisir.

Mais sur le terrain électoral, depuis des mois, et pour des mois encore, l 'essentiel de notre temps est et sera consacré à la préparation de l'élection présidentielle. Le Conseil a constaté avec satisfaction, en examinant les textes qui régissent cette élection que ses observations à la suite des précédents scrutins, avaient été largement retenues par le législateur et par le pouvoir réglementaire.

Récemment, nous nous étions souciés d'un arrêt de la Cour de cassation qui tient pour nulles les sanctions prévues en cas de publication des sondages dans la dernière semaine des campagnes électorales. Il nous avait semblé qu'à tout le moins, la veille et le jour du scrutin, des interdictions s'imposaient, que pourrait encore édicter le législateur. Aussi bien, après délibération du Conseil, vous ai-je écrit à ce sujet, Monsieur le Président de la République ; et j'en ai saisi le Premier ministre ainsi que les présidents des deux assemblées. C'est avec satisfaction que nous avons appris le prochain dépôt d'un projet de loi dans ce sens. Nous y sommes très sensibles.

Monsieur le Président de la République, en vous renouvelant ses vœux pour 2002, le Conseil constitutionnel vous assure de son respect ainsi que de son attachement au Droit et à la République, disons à la République et au Droit.